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Platon et la Prééminence de la main droite Author(s): PIERRE-MAXIME SCHUHL Source: Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. 4 (1948), pp. 172-176 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40688662 . Accessed: 12/06/2014 14:25 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Internationaux de Sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.77.89 on Thu, 12 Jun 2014 14:25:28 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Platon et la Prééminence de la main droite

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Platon et la Prééminence de la main droiteAuthor(s): PIERRE-MAXIME SCHUHLSource: Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. 4 (1948), pp. 172-176Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40688662 .

Accessed: 12/06/2014 14:25

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Platon et la Prééminence de la main droite

PAR PIERRE-MAXIME SCHUHL

Dans une note publiée ici-même Tan dernier, nous avons montré en Xavier Bichat un précurseur de la théorie socio- logique de la prééminence de la main droite1.

Mais déjà la Grèce antique offre un lieu d'élection à qui veut étudier comment certains esprits ont su s'affranchir, sur ce point précis, de la tyrannie des représentations col- lectives.

Ces représentations s'expriment avec une netteté parti- culière, en ce qui concerne notre sujet, dans les traditions pythagoriciennes, dont le caractère archaïque est bien connu 2. Nous savons par Aristote que les Pythagoriciens groupaient dans une même série de termes la droite, le'bien et l'impair, dans la série opposée la gauche, le mal et le pair3. Dans leurs « symboles » se mêlent des pres- criptions complexes, où s'affirme la hiérarchie des deux termes : ne pas croiser le genou gauche sur la jambe droite4; faire chausser d'abord le pied droit, mais faire laver d'abord le pied gauche5; aborder le temple par la

1. Cahiers internationaux de Sociologie, vol. I, 1946, p. 172 et suivantes : Xavier Bichat et la théorie de ¡a prééminence de la main droite.

2. Cf. notre Essai sur la Formation de la Pensée grecarle, Paris, 1934, p. 255 et suivantes.

3. Métaphysique, A 5, 986 a 15; Diels, Vorsokratiker, 45 B 5 (p. 347). Cf. fr. 195, 1513 a 24 et suiv., et v. J. Cuillandrb, La droite et la gauche dans les poèmes homériques en concor- dance avec la doctrine pythagoricienne et avec la tradition celti- que, Paris, 1944, p. 470.

4. Plutarque, de vit. put., 8; et ap. Cuillandre, op. cit., p. 470. 5. Jambuque, Protr. 21 (p. 106, 18 Pist.), xlx; Diels, 45 C 6

(p. 360, 1. 31).

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droite, le quitter par la gauche6. Ne parlons pas des repré- sentations astronomiques et cosmologiques, qui nous entraî- neraient beaucoup trop loin.

Contre de tels traditionalismes se dresse la critique des Sophistes : à la Loi, à la Coutume, ils opposent la Nature 7.

On sait qu'en général Platon critique les Sophistes et aime à s'inspirer des Pythagoriciens. De fait, M. Robin a souligné, dans une note de sa traduction de la Pléiade 8, le caractère pythagoricien du texte des Lois qui prescrit d'of- frir aux divinités olympiennes des prélèvements de la partie droite d'offrandes faites en nombre impair, aux divinités infernales des prélèvements de la partie gauche d'offrandes en nombre pair9. On en peut dire assurément autant du mouvement des âmes après le jugement, dans le mythe d'Er : les justes montent par la route de droite, les injustes s'enfoncent par la route de gauche 10. Dans le Timée, le cercle de l'Autre est mû de la droite vers la gauche; celui du Même, qui a la prééminence, de la gauche vers la droite11. Dans le Banquet, le passage de la coupe se fait dans le même sens 12, et il en est de même de Tordre des discours 13, le tour de parole échéant en dernier à Socrate, qui occupe la place d'honneur, à la droite d'Agathon 14.

Mais si, sur tous ces points, Platon se conforme à la fois à l'usage courant et à la tradition pythagoricienne, il est par contre un texte capital où nous voyons Platon rompre

6. Jamblique, Vit. Pyth., 156. Le droit, ajoute-t-il pour moti- ver la prescription, est le principe des nombres impairs, il est divin; le gauche est le symbole des nombres pairs et de tout ce qui se dissout. Cf. J. Carcopino, Basilique Pythagoricienne de la Porte Majeure, 1927, p. 227.

7. V. Essai sur la Formation de la Pensée grecque, p. 356 et suivantes.

8. T. IL n. 47. n. 1512. 9. Lois, iv, 717 a b. 10. République,*, 614 c. 11. Timée, 36 e. Cf. République x, 617 c (sur le mouvement

des mains des Moires); Lois, vi, 760 d; et voir les remarques de M. Rivaud, Notice du Timée, édition Budé, 1925, p. 55 et 56. Cf., du même auteur, « Etudes platoniciennes I », Revue d'Histoire de la Philosophie, 1928, p. 11.

12. 223 c. 13. 214 b c. 222 e. 14. 175 c d. Cf. les remarques de M. Robin, Notice du Ban-

quet, édition Budé, 1929, p. xvn.

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Pierre-Maxime Schuld

avec le point de vue de ses maîtres préférés, et proposer une innovation véritablement révolutionnaire, qui va dans le sens où mène la distinction sophistique.

Il se plaint en effet, dans les Lois 15, que presque per- sonne n'ait conscience du caractère arbitraire des disposi- tions en vigueur à propos de la gauche et de la droite16. Ne semble-t-il pas que main droite et main gauche diffèrent par nature 17, eu égard à l'usage que nous en faisons dans notre activité? Pourtant il n'en est pas du tout de même de nos pieds, disons mieux : de nos membres inférieurs, que nous faisons peiner autant l'un que l'autre, indifféremment. C'est le manque de raison 18 de nos gouvernantes et de nos mères qui nous rend tous comme manchots 19. Alors que la nature de nos membres s'équilibre à peu près de côté et d'autre20, nous les avons rendus différents par nos habi- tudes, en nous en servant d'une manière qui n'est pas cor- recte 21. Sans doute il importe peu que nous tenions la lyre de la main gauche et le plectre de la main droite : ce sont là des activités sans importance, et cela ne tire point à con- séquence; mais en faire des modèles22, que Ton applique sans nécessité à d'autres comportements, c'est presque de la déraison 23. Ce qui le montre bien, c'est la coutume des Scy- thes, qui n'est pas de consacrer exclusivement la gauche à tenir Tare à distance, la droite à tirer la flèche à soi : au contraire, ils appliquent indifféremment une main ou l'autre à chaque usage. Il y a des quantités d'autres exemples (la tenue des rênes, etc.) qui permettent de comprendre que c'est aller contre nature que de rendre la gauche plus faible

15. L. vu, p. 794 d et suiv. 16. xò y^P òrj vOv xaÔeaxòç iztpX xà totaQta àyvoetxat itapà rotç itaatv

17. ÇÚCTEC. 18. Wa (794 e 1). 19. xaA¿%l : boiteux, estropiés. 20. tï)ç <pú<xea>; yàp 'exaxépcov töv jieXöv axeÖov yKjoppoizo'>ar'<;. 21. aÚTol Ôià ta 20t) Òíaçopa aura TzeTzoir'xa'Ltv oùx ¿pôoç xpá>i«vo(. 22. toutou ôè itxpaòiiy'iaoi xpwjievov. La critique du recours à de

mauvais modèles proposée par ce texte, qui en préconise d'au- tres, est intéressante à mettre en rapports avec la théorie posi- tive du paradigme, telle que la dégage M. V. Goldschmidt, Le Paradigme dans la théorie platonicienne de Vaction, Revue de» Etudes grecques, t. LVIII, 1945, p. 118-145. Sur l'usage logique de la notion, v. du- même auteur Le Paradigme dans la dialec- tique platonicienne, iParis, 1947.

23. cTxeÔòv Svota (795 a 1).

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que la droite24. Tout cela, nous l'avons dit, n'a pas grande importance s'il s'agit de manier des plectres de corne, ou d'autres instruments de ce genre; mais lorsqu'il s'agit d'ins- truments de guerre, d'arcs, de javelots de fer, la différence est grande; elle l'est plus encore lorsqu'il s'agit de combattre armes contre armes... Sans doute, celui qui est parfaitement entraîné au pancrace, à la boxe ou à la lutte n'est pas inca- pable de se servir de sa gauche; il ne reste point là à faire le manchot, se contentant de pénibles ripostes et accumulant les fautes lorsque l'adversaire, en changeant de main, le force à faire travailler l'autre côté. Il en est de même, je pense, au combat et partout : il faut savoir comprendre que, possédant des moyens doubles de défense et d'attaque, il n'en faut, autant que l'on peut, laisser aucun dans l'inertie, ni rester dans l'ignorance de ses possibilités; si l'on avait cent mains, comme Géryon et Briarée, il faudrait, de ces cent mains, être capable de lancer cent traits. Voilà donc à quoi devront donner tous leurs soins les inspectrices des jeux et de la puériculture, et les autorités de l'enseignement: obtenir que tous les garçons et toutes les filles sachent se servir de leurs deux mains aussi bien que de leurs deux jambes, et éviter, dans la mesure du possible, que de mau- vaises habitudes ne viennent pervertir leur constitution naturelle 25.

Il est remarquable de trouver le point de vue du maître de l'Académie si proche de ce qui devait être celui de Bichat: la nature a fait la gauche et la droite sensiblement égales; ce sont des habitudes sociales qui ont introduit entre elles des différenciations.

Sur ce point, le novateur avait su vaincre en Platon le conservateur, surmonter le puissant obstacle que constituait le caractère rituel et augurai, religieux et social attaché à la primauté de la droite. La méthode comparative, l'étude pédagogique et ethnographique avaient joué leur rôle libé- rateur, révélant la relativité de conceptions qui paraissaient absolues à la mentalité antérieure. L'observation de Pacti-

24. izapà cpÚCTCV xaTaffxeuáÇouacv oí àpi<rr£pà oefccöv àorôeváírrepa ■xaTadxeuáÇovTÊÇ.

¿O. OTTO); àpTt7TOoe<; xe xat àpxtxetpEÇ rcavre; re xat rcàaai ytyv6'ievoi (A7)5èv Totç lOeatv aicoßXauTwat xàç çútret; etç tò ôuvaróv (795 d e).

Nous nous sommes préoccupés de transposer le texte plutôt que de le traduire, tout en restant fidèles à l'esprit de Platon. Certaines expressions ont été empruntées à la traduction de M. Robin (V. n, p. 871-872).

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Pierre-Maxime Schuhl

vité humaine, envisagée dans la pratique des techniques, des sports, du combat, avait montré à un esprit qui avait su se dégager des préjugés en cours, combien il est irration- nel pour Thomme de ne pas utiliser pleinement toutes les ressources dont il dispose; elle avait souligné le danger que constitue pour un droitier un adversaire gaucher, ou plutôt ambidextre; et la mythologie même, en permettant de réflé- chir sur un cas imaginaire, avait servi à élargir le cadre de la réflexion positive. Enfin, applications pratiques et me- sures d'exécution étaient prévues avec précision : les réfor- mes préconisées sont moins aventureuses, mais aussi hardies peut-être que certaines de celles qui avaient scandalisé maint lecteur de la République. Il s'agit bien là d'une réflexion d'esprit véritablement sociologique, de caractère à la fois critique et constructif.

Faculté des Lettres Sorbonne

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