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Plus haut, plus vite, plus fort Marc Gentili 1 , Laurent Jouffroy 2 1. CHP Saint-Grégoire, Vivalto Santé, 35760 Saint-Grégoire, France 2. Clinique des Diaconesses, 67000 Strasbourg, France Correspondance : Marc Gentili, CHP Saint-Grégoire, avenue de la Boutière, 35760 Saint-Grégoire, France. [email protected], [email protected] Disponible sur internet le : 31 janvier 2014 Higher, faster, stronger En 2012, malgré un bon niveau de soins dans une économie moderne, l’état des lieux de l’ambulatoire en France, récemment souligné par un rapport de la Cour des Comptes, est médiocre, représentant à peine 40 % de l’activité chirurgicale face à des résultats nettement plus probants dans les autres pays occidentaux : 83 % aux États-Unis, 79 % en Angleterre ou encore 70 % dans les pays scandinaves [1,2]. Le développement de l’ambulatoire s’est longtemps heurté aux réticences des communautés médicales et hospitalières, privilégiant une organisation centrée sur les spécialités, les services et les lits. L’ambulatoire est aujourd’hui un objectif prioritaire de santé publique en France dont les enjeux sont connus : organisationnels parce qu’ils supposent une évolution des mentalités et des structures hospitalières ; humains car ils doivent répondre aux objectifs de qualité d’une hospitalisation conventionnelle ; financiers évidemment à l’heure de réduire les dépenses publiques. États des lieux La pratique ambulatoire implique la réorganisation des activités autour du patient, une articula- tion encore plus étroite des équipes chirurgicales et des anesthésistes-réanimateurs, la mise en place de procédures transversales rigoureuses nécessaires à la maîtrise des flux, et souvent des restructurations immobilières dès lors qu’il s’agit de créer des unités spécifiques. Ces change- ments sont d’autant plus vécus comme des contraintes qu’ils sont potentiellement assimilés à une perte de territoire, de représentation ou d’activité de soins sans valorisation tangible en termes de reconnaissances financière ou autre. Deux points faibles ressortent clairement des études françaises : une connaissance insuffisante des professionnels sur le concept organisa- tionnel (enquête de l’assurance maladie 1999) et un défaut de communication entre l’hôpital et la ville, pénalisant la prévention d’éventuels risques ou complications secondaires à domicile [3]. Si dans l’enquête SFAR-Inserm [4], le taux de mortalité péri-anesthésique se trouvait réduit par un Chirurgie ambulatoire en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com Dossier thématique Presse Med. 2014; 43: 272274 ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 272 Éditorial tome 43 > n83 > mars 2014 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.11.007

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Chirurgie ambulatoire

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

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Presse Med. 2014; 43: 272–274� 2014 Elsevier Masson SAS.

Tous droits réservés.

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Édit

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ossier thématique

Disponible sur internet le :31 janvier 2014

Plus haut, plus vite, plus fort

Marc Gentili1, Laurent Jouffroy2

1. CHP Saint-Grégoire, Vivalto Santé, 35760 Saint-Grégoire, France2. Clinique des Diaconesses, 67000 Strasbourg, France

Correspondance :Marc Gentili, CHP Saint-Grégoire, avenue de la Boutière, 35760 Saint-Grégoire,[email protected], [email protected]

Higher, faster, stronger

En 2012, malgré un bon niveau de soins dans une économie moderne, l’état des lieux del’ambulatoire en France, récemment souligné par un rapport de la Cour des Comptes, estmédiocre, représentant à peine 40 % de l’activité chirurgicale face à des résultats nettementplus probants dans les autres pays occidentaux : 83 % aux États-Unis, 79 % en Angleterre ouencore 70 % dans les pays scandinaves [1,2]. Le développement de l’ambulatoire s’estlongtemps heurté aux réticences des communautés médicales et hospitalières, privilégiantune organisation centrée sur les spécialités, les services et les lits. L’ambulatoire est aujourd’huiun objectif prioritaire de santé publique en France dont les enjeux sont connus : organisationnelsparce qu’ils supposent une évolution des mentalités et des structures hospitalières ; humains carils doivent répondre aux objectifs de qualité d’une hospitalisation conventionnelle ; financiersévidemment à l’heure de réduire les dépenses publiques.

États des lieux

La pratique ambulatoire implique la réorganisation des activités autour du patient, une articula-tion encore plus étroite des équipes chirurgicales et des anesthésistes-réanimateurs, la mise enplace de procédures transversales rigoureuses nécessaires à la maîtrise des flux, et souvent desrestructurations immobilières dès lors qu’il s’agit de créer des unités spécifiques. Ces change-ments sont d’autant plus vécus comme des contraintes qu’ils sont potentiellement assimilés àune perte de territoire, de représentation ou d’activité de soins sans valorisation tangible entermes de reconnaissances financière ou autre. Deux points faibles ressortent clairement desétudes françaises : une connaissance insuffisante des professionnels sur le concept organisa-tionnel (enquête de l’assurance maladie 1999) et un défaut de communication entre l’hôpital etla ville, pénalisant la prévention d’éventuels risques ou complications secondaires à domicile [3].Si dans l’enquête SFAR-Inserm [4], le taux de mortalité péri-anesthésique se trouvait réduit par un

tome 43 > n83 > mars 2014http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2013.11.007

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facteur dix, la part de l’ambulatoire n’a pu être spécifiquementrecherchée, aucun décès ne lui étant attribuable, ce qui estpositif quant à ce mode de prise en charge, au moins pour lapratique française. Une simple comparaison des donnéesdémographiques des patients pris en charge aux États-Uniset en France montre que le déficit ambulatoire de notre paysconcerne cette frange de patients de la deuxième moitié de lavie fortement consommatrice de soins dans les pays moderneset que par habitude culturelle ou manque d’investissement onrépugne à traiter en ambulatoire. L’effort doit donc porter sur labanalisation des procédures de soins pour les interventionsconcernant ces patients, y compris pour des actes lourds telsqu’arthroplastie prothétique ou résection intestinale. Cetteapproche s’inscrit dans le concept de réhabilitation précocedéveloppé par le chirurgien danois Henri Kehlet dans les années1990 afin d’accélérer le rétablissement et la sortie des patients(circuits courts), réduisant per se les coûts et la morbiditéinduits par l’hospitalisation prolongée [5,6].

Perspectives et croissances

Un des facteurs de croissance de l’ambulatoire aux États-Unis areposé sur le développement d’ambulatory surgery centers,autonomes sur le plan juridique et administratif, souventdédiés à une spécialité ou un parcours de soins [7,8].Il apparaît important pour chaque équipe de déterminer lestriptyques « acte-patient-structure » réalisables en ambulatoireen fonction de son expertise et d’assurer, si possible, l’ensemblede la prise en charge (consultations, interventions, continuité dessoins) sur un même site. La réussite d’un parcours rapide enmilieu chirurgical repose sur une organisation spécifique dessoins, centrée autour du patient : le chemin clinique trouve ici saprincipale justification [2,9]. Cette méthode, dérivée du lean

management décrit dans l’industrie, souhaite remettre les atten-tes du patient au coeur de la démarche qualité [10]. En France, lapratique anesthésique peut s’appuyer à la fois sur des recom-mandations ad hoc [2,11] et un arsenal réglementaire définis-sant les alternatives à l’hospitalisation et les conditions desécurité anesthésique [2]. Les recommandations formaliséesd’experts de 2009 éditées par la Société française d’anesthé-sie-réanimation incluent même la possibilité de chirurgies urgen-tes dès l’instant où les critères sont réunis pour assurer unesécurité identique à une hospitalisation traditionnelle [11–13].

Références[1] Haute Autorité de santé. Rencontres HAS.

Enjeux organisationnels de la chirurgieambulatoire. HAS; 2011, (http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1072194/fr/rencontres-has-2011-enjeux-organisationnels-de-la-chirurgie-ambulatoire [accès au site le30/12/2013]).

[2] HAS-ANAP. Ensemblment de la chirurgieconnaissances. HAS-www.has-sante.fr/application/pdf/201de_connaissances.pd12/2013]).

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Aspects financiers

Le ministère de la Santé mène, depuis 2005, une politiqued’incitation tarifaire. Celle-ci a consisté, pour des gestesciblés, en une valorisation des tarifs en ambulatoire et àleur diminution en hospitalisation complète. Initialementdestinée à 18 procédures chirurgicales, son champ s’estprogressivement étendu jusqu’à s’appliquer à 47 procéduresen 2013. Une nette progression du taux de l’ambulatoire surces gestes ciblés est aujourd’hui observée. La HAS recom-mande fortement de s’inspirer des modèles tarifaires duRoyaume Uni et des États-Unis afin de proposer en Franceune tarification adaptée à l’objectif poursuivi. Se rapprocherde la tarification forfaitaire à l’épisode de soins (bundledpayment) expérimentée aux États-Unis ou du tarif à lameilleure pratique (best practice tariff) basé sur le coûtde la pratique la plus efficiente en Grande-Bretagne vanécessiter sans doute de gros efforts de la part de lacommunauté médicale, l’objectif étant d’atteindre un tauxnational cible de 50 % de chirurgie ambulatoire à l’horizon2016 [14–16].

Futur et changements de paradigme

La révolution de l’ambulatoire s’inscrit dans une redéfinition dupaysage hospitalier qui peut s’observer aujourd’hui Outre-Atlantique avec la multiplication d’unités autonomes visant àune efficience quasi industrielle et, en parallèle dans leshôpitaux, une prééminence de soins intensifs spécialisés à laplace des grands services classiques. Les progrès des techno-logies de communications peuvent indéniablement faciliter larelation de proximité entre le patient et les équipes de soins.Au-delà, c’est peut être une transformation de la chirurgie et desa spécialisation qui se profile si l’on considère les nouveauxmoyens technologiques que sont la robotisation, les culturestissulaires : faut-il raisonner en termes de spécialité oud’organe ou simplement en termes de geste ?En partant de l’amélioration de la qualité perçue par le patient,les structures hospitalières sont conduites à repenser tous leursprocessus dans une optique d’efficience et d’améliorationconstante. Des incitations fortes, en particulier financières,de la part des tutelles sont nécessaires : il faut imaginer qu’ellespuissent concerner les structures mais aussi les personnels etles patients.

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e pour le développe- ambulatoire. Socle deANAP; 2012, (http://portail/upload/docs/2-04/rapport_-_socle_f [accès au site le 30/

[3] Robaux S, Coul ibaly Y, Konate B,Boileau S, Cornet C, Dautel G et al.Acute postoperative pain managementat home after ambulatory surgery: aFrench pilot survey of general prac-titioners’ views. Anesth Analg 2002;95:1258-62.

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[4] Lienhart A, Auroy Y, Péquignot F, BenhamouD, Warszawski J, Bovet M et al. Premiersresultats de l’enquete SFAR-Inserm sur lamortalite imputable a l’anesthesie en France :reduction par 10 du taux de ces deces en20 ans. Bull Acad Natl Med 2004;188:1429-41.

[5] Kehlet H, Wilmore DW. Evidence-basedsurgical care and the evolution of fast-tracksurgery. Ann Surg 2008;248:189-98.

[6] White PF, Kehlet H, Neal JM, Schricker T, CarrDB, Carli F. The role of the anesthesiologist infast-track surgery: from multimodal analge-sia to perioperative medical care. AnesthAnalg 2007;104:1380-96.

[7] Chukmaitov AS, Menachemi N, Brown LS,Saunders C, Brooks RG. A comparative studyof quality outcomes in freestanding ambu-latory surgery centers and hospital-basedoutpatient departments: 1997–2004. HealthServ Res 2008;43:1485-504.

[8] Poole EL. Ambulatory surgery: the growth ofan industry. J Perianesth Nurs 1999;14:201-6.

[9] Tong D, Chung F, Wong D. Predictive factorsin global and anesthesia satisfaction inambulatory surgical patients. Anesthesiology1997;87:856-64.

[10] Rotter T, Kinsman L, James E, Machotta A,Gothe H, Willis J. Clinical pathways: effectson professional practice, patient outcomes,length of stay and hospital costs. CochraneDatabase Syst Rev 2010;3:CD006632.

[11] Société française d’anesthésie et de réanima-tion. Recommandations formaliséesd’experts. Prise en charge anesthésique despatients en hospitalisation ambulatoire (RFE2009). SFAR; 2009, (http://www. sfar.org/article/207/prise-en-charge-anesthesique-des-patients-en-hospitalisation-ambulatoire-rfe-2009 [accès au site le 30/12/2013]).

[12] Franck L, Maesani M, Birenbaum A, DelermeS, Riou B, Langeron O et al. Etude de

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[14] Froimson MI, Rana A, White REJr, Marshall A,Schutzer SF, Healy WL et al. Bundledpayments for care improvement initiative:the next evolution of payment formulations:AAHKS Bundled Payment Task Force.J Arthroplasty 2013;28:157-65.

[15] https://www.gov.uk/government/news/update-to-best-practice-tariffs.

[16] Sales JP. Chirurgien et pratique ambulatoire.In: Gentili M, Jouffroy L, Paqueron X,White PF, editors. Anesthésie en chirurgieambulatoire. Rueil Malmaison: Arnette; 2005.p. 35-42.

M Gentili, L Jouffroy

tome 43 > n83 > mars 2014