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Poésie, connaissance, sacréAuthor(s): James DauphinéSource: Nouvelle Revue du XVIe Siècle, Vol. 14, No. 1, Poésie de la Connaissance (1996), pp. 9-13Published by: Librairie DrozStable URL: http://www.jstor.org/stable/25598812 .
Accessed: 14/06/2014 18:47
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Nouvelle Revue du Seizieme Siecle - 1996 - n? 14/1, pp. 9-13
POESIE, CONNAISSANCE, SACRE
Pour les Peres D. Ghiraldi et L. Issautier
Entre 1575 et 1615, les poetes scientifiques ont, dans leur grande majo rity accorde une place preponderate a la topique du sacre de type religieux ou cosmologique, ce qui est somme toute naturel pour des esprits notam ment vivifies et eclaires par le neo-platonisme ficinien. En revanche, on
remarque que les champs du sacre tels qu'ils les explorent ne correspondent pas exactement a ce que la notion de sacre semblerait impliquer aujourd'hui. Le decalage des mentalites, apres plusieurs siecles, est tel qu'il serait stupide de ne pas prendre en consideration la systematisation qui fut alors en vigueur et qui s'exprima par des options argumentatives aussi bien que par des choix de mise en ecriture. En meme temps, la notion de sacre est incontestablement au coeur de cette poesie denommee ?didascalique? en Italie, ?metaphysi
que? en Angleterre, ?scientifique? en France. L'ancrage du projet litteraire de La Boderie, du Tasse ou de Donne, ne saurait s'affranchir d'un acte de
celebration du monde, de l'homme et de Dieu. D'ou Fhumilite vecue du
poete qui, comme le plus simple des mortels lecteurs, s'efface devant le spec tacle de la nature qui Fenchante, et magnifie ?la corne d'abondance? d'un tel sujet, a la fois parole, signe et ?surjon immortel de divine eloquence?'.
*
1. ? A la lumiere de VHarmonia mundi de Georges de Venise, oeuvre admirable et trop peu etudiee, il est manifeste que la demarche scientifique passe par un encyclopedisme a finalite religieuse. Peu importe les mille visa
ges du reel puisqu'ils concourent a Frustration magistrate que Dieu ?tous ses oeuvres a fait par poids, nombre et mesure?2. Cette option fondatrice qui rejoint par ailleurs les reves premiers et mythes fondateurs de Fhumanisme, a ete determinante dans Felaboration des poemes cosmologiques herites de la tradition hexamerale. On constate une unite d'inspiration et de pro
1 Du Bartas, L'Uranie, ou Muse celeste, vers 217 et 220. 2 La Sepmaine, II, 298. Leitmotiv venu de Salomon, Livre de la Sagesse, XI, 21, deve
loppe par tous les poetes scientifiques de Du Bartas a L. Parent.
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gramme allant de Du Bartas a Donne, de Du Monin k Marino. Ainsi compris le sacre parce qu'il se mele, voire se confond avec les domaines respectifs de la science et de l'encyclopedisme, risque de perdre son mystere. D'ou un para
doxe , a savoir que les poetes scientifiques tout en exaltant le divin, sont
parmi tes premiers poetes modernes a devoiler, meme s'ils n'en ont pas cons
cience, le sentiment d'une rupture avec ce meme divin. L'attention qu'ils por tent aux formes multiples du cosmos qu'ils expliquent avec zele, n'exclut pas certes le plan celeste, mais elle en limite la puissance. Des lors, il est normal
que Du Bartas soit longuement cite ? qu'on se reporte a la Physique ou
science naturelle (1603) de Scipion Dupleix ?, pour conforter ou justifier un
expose savant et demonstratif3. En d'autres termes, dans les poemes scienti
fiques de la fin du XVIC siecle, l'homme s'approprie le monde et devient ?le maitre et possesseur de la nature?. Descartes, dont on sait qu'il appreciait la poesie, a probablement lu les poetes scientifiques!
2. ? Lorsqu'on s'attache a la question des formes, le constat est egale
ment troublant. La poesie, activite sacree, possederait avec les hymnes et les
poemes reprenant la veine hexamerale sa plus haute expression. Or si tous, a l'image de Du Bartas, ont cultive la ?haute science? afin de faire du poeme un temple ou un palais4, image recurrente voire obsessionnelle renvoyant au
Temple de Salomon, ils ne sont pas generalement parvenus a exprimer poeti
quement l'eblouissement engendre par le cosmos. Pourtant ils ont essaye...
en vain si Ton s'en tient aux remarques de Du Perron et a celles de Deimier5 relevant complaisamment defauts, fautes de gout ou ridicules d'une ecriture
echappant aux canons du naturel autant qu'a ceux du sublime par abus de
grandiloquence, d'obscurite ou de cuistrerie (?Du Monin faisoit gloire d'escrire ainsi en langage de la my-nuict: et si bien qu'il ne luy sembloit pas d'avoir bien faict, si ses vers n'estoyent tous couvers et flottans, parmy un
tenebreux et continuel nuage de metaphores, d'antitheses, de metonymies, de periphrases, et de nouveaute de mots et dictions estranges dont a tout pro
pos il embarrassoit ses conceptions)))6. Toutefois, il est assez discutable de
rejeter, a partir de quelques exemples, cette production litteraire au sein de
1 II y aurait une etude a mener a propos de Pinnuence de l'oeuvre bartasienne sur les savants comme S. Dupleix ou A. Ross (The new Planet [...], 1646)
4 Du Bartas, La Sepmaine, d. Y Bellenger, Paris, STFM, 1992, ? Brief advertissement?, pp. 345-354.
5 P. de Deimier, L'Academie de I'art poetique [..] , Paris, J. de Bordeaux, 1610; J. Davy Du Perron, Perroniana et Thuanea [...J Cologne, 1694, pp. 37-38.
6 P. de Deimier, op. cit., pp. 258-259. Pour une rehabilitation de Du Monin, se reporter a la these que Mile Fraimont acheve (edition et commentaire de L'Uranologie).
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POESIE, CONNAISSANCE, SACRE 11
laquelle se rencontrent beautes et reussites, en particulier celles qui reposent sur un art de la majeste et celles qui enrichissent de mille fioritures l'objet a poetiser. L'enchassement des passages alternes (poesie grave du divin, poe sie profane des merveilles) est si concerte, orchestre et musique que le texte, dans sa totalite acquiert une reelle qualite d'elevation poetique. Simplement, en quoi cette qualite est-elle support ou consequence du sacre? La proclama tion repetee que le poetique revele des ? secrets ? ne saurait suffire a restituer
la manifestation de la transcendance. C'est curieusement aux Dicerie sacre
de Marino qu'il conviendrait de revenir, car cet ouvrage, injustement delaisse, est Fun de ceux qui envisage le mieux les problemes d'une estheti
que du sacre organise selon des motifs, themes, pratiques et techniques connus7. Le sacre n'est pas qu'un argument de critique, et Marino d'en four
nir quelques illustrations-celebrations inoubliables. Du Bartas avait procede autrement sans son ?Brief advertissement ?8 ou la poetique qu'il prone est
examinee sur le modele du canevas de la rhetorique traditionnelle (invention,
disposition, elocution). Peu enclin a demonter les jeux et techniques de com
position qui sont les siens, Du Bartas se contente de privilegier la disposition afin de ?contribue(r) ce peu que Dieu (lui) a donne, a la structure de son
saint tabernacle?9 et done d'exclure du champ de son interrogation le sacre.
Du Bartas ne ruse pas; il possede des certitudes quant a son role, sa poesie et sa foi. Aussi la question proprement esthetique du sacre ne se pose-t-elle pas vraiment dans La Sepmaine tandis qu'elle est omnipresente dans les Dicerie sacre, oeuvre ou se cotoient les questionnements les plus divers, oeuvre ou le sacre n'est plus une certitude mais releve du choix litteraire.
3. ? Le sacre se derobe... Ou se niche-t-il dans la masse des poemes cos
mologiques ecrits entre 1575 et 1615? On remarque, d'une part, qu'intellec tuellement il y figure par principe de topique et de convention. D'autre part, il est aussi cet horizon de quete rarement atteint. Tout en admettant le poids de la religion et celui de la ?semiosis herrhetique?'?, soulignee par Eco, on
pourrait penser, a partir de l'exemple de Du Bartas, que le sacre prend essen
tiellement sa source dans l'idee, la conception d'une creation concue comme
7 G. Marino, Dicerie Sacre (1614), ed. G. Pozzi, Turin, Einaudi, 1960, pp. 211-374 (la musica) et 375-432 (il cielo). On tirera profit egalement de G.C. Carpaccio, Delia Selva de i con cetti scritturali, Venise, 1594 (I) et Naples, 1600 (II).
1 J. Dauphine et M.-L. Demonet, La Bibliotheque de Du Bartas, Paris, Champion, 1994, pp. 15-25.
9 Du Bartas, ?Brief advertissement?, p. 354. 10 U. Eco, Les Limites de Vinterpretation, Paris, Grasset, 1990, p. 14.
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cosmos. L'ordre harmonieux impliquerait la naissance du sacre. Au com
mencement il y aurait eu la fable et le poete. C'est pour cela que Du Bartas, Du Monin ou La Boderie sont persuades d'etre les ?organes)> de la voix-voie
divine, de doter le monde d'un sens. Le sacre, plus qu'inscrit dans une pers
pective religieuse, serait a l'origine d'une apparition des sens. Les poetes
scientifiques n'ont cesse d'interroger la creation pour en extraire et decupler les nombreuses significations. Pour ces esprits hors du commun la quete du sens est alors naturellement en quete du sacre. Fort peu animes du souffle de La divine Comedie, ces poetes n'offrent pas de ?traversee d'une ecri ture?''. Leur esthetique n'est ni tentative de depassement des limites ni expe rience premiere du sacre; tout au plus traduit-elle une meditation privilegiant le regne du sens (topoi, motifs, themes, merveilles...). C'est pourquoi l'appa rition du sacre au sens moderne de ce terme, ne peut etre que fragmentaire, limitee et rare. A Pinterieur de ce fonctionnement, il y a toujours la possibi lity d'une histoire interieure, celle d'un homme epris d'absolu ou soucieux de denombrer les infinies mirabilia de la creation, ce qui s'accompagne gene ralement d'un recours esthetique frequemment employe: l'hymne. Puisque de facon naturelle les signes sensibles font connaitre ?la sainte trinite))
(?Noscende divine altissime trinitatis sensibilia signa?)'\ il est normal de
rechercher en toutes choses les traces du sacre. De maniere magistrate, Du
Bartas et ses imitateurs ont cultive ce cheminement allant du signe a son sens
et ont done propose, sous forme versifiee, un ?traite des signes? ?ou le Lec teur trouvera une infinite de choses curieuses et remarquables, quantite de traits de la haute Antiquite. Plusieurs points de l'Histoire de la Sacree et de
la Profane; les Origines veritables et le progrez de toutes les choses qui ser
vent de Matiere a cet Ouvrage; en un mot mille differens sujets qui Poccupe ront agreablement et utilement?'3. Le sacre se voile et se devoile en meme
temps; comme la Verite dans Le Poeme de Parmenide, le sacre, par nature, est et n'est pas exprimable. De surcroit, et Guillaume de La Perriere le precise ?en propos de Divinite, vaut mieux se taire que parler: il est plus decent de
parler peu, que beaucoup?M. Les poetes scientifiques, s'ils ont multiplie
l'analyse repertoriee des signes du sacre, signes exposant la gloire de Dieu, ont respecte le silence ?en propos de Divinite?. Certes Pensemble de leur
" P. Sollers, L'Ecriture et l'experience des limites, Paris, Seuil, 1971 (1968), pp. 14-47: ?Dante et la traversee de l'ecriture?.
12 C. de Bovelles, Le Livre du Sage, Paris, Vrin, 1982, ch. XXX, pp. 191-212. " A. Costadau, Traite" [...] des signes [,..), Lyon, veuve Guillimin, 1717. 14 G. de la Perriere, Les considerations des quatre mondes [...], Lyon, Mace Bonhomme,
1552, A 6 v?.
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POESIE, CONNAISSANCE, SACRE 13
production exalte les champs du sacre, mais c'est afin de mieux en souligner une forme d'impossible caracterisation directe, de mieux en attester le reve
d'une parole insaisissable. *
Le sacre, point commun de Fideologie des poetes scientifiques, a
influence la constitution de leur credo poetique et sa mise en ecriture. Dans
La Sepmaine, texte canonique a cet egard, le sacre n'est-il pas constamment
Fattente revendiquee d'un ephemere present descriptif a depasser, a integrer au plan celeste? Du Bartas plus que Du Monin, La Boderie, voire L.
Parent'5, a fort bien compris le handicap stylistique engendre par le pari con
sistant a vouloir deceler en la creation les gammes du sacre. Or un tel dessein
n'etait pas selon eux, illusoire et vain, car il correspondait aux admirables
lecons de VHarmonia mundi. Au sein de leurs oeuvres, l'experience du sacre
ne passe pas inapercue meme si elle semble s'evanouir, se dissimuler parce que l'ecriture chargee de la traduire n'y parvient pas. La tentative et tentation
de dire le sacre aboutit dans ses meilleures reussites a une epiphanie. Par la
s'offre la dimension scripturale du sacre toujours relative a la finalite reli
gieuse, toujours frappee du sceau de la foi. Tout commence et tout s'acheve
par la contemplation: ... en regardant la grand magnificence
Du Ciel et de la Terre, on pense plus pro fond ?16.
Universite de Toulon et du Var James DAUPHINE.
" L. Parent, Traite' du Ciel compost en vers, Franequer, I. Wellens, 1659. 16 G. de La Perriere, op. cit., quatrieme centurie des Considerations, LVII.
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