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Poésie de La Pensée

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L'homme et ses perceptions poétiques.

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  • DUMMEAUTEUR

    AuxditionsGallimardLESANTIGONES,BibliothquedesIdes,1986;FolioEssaisn182.DANSLECHTEAUDEBARBE-BLEUE.Notespouruneredfinitiondelaculture(LACULTURE

    CONTRELHOMME,ditionsduSeuil,1973),FolioEssaisn42,1986.RELLESPRSENCES.Lesartsdusens,NRFEssais,1991;FolioEssaisn255.ANNODOMINI(ditionsduSeuil,1966),Folion2344,1992.PREUVES,Arcades,1993.LAMORTDELATRAGDIE(ditionsduSeuil,1965),FolioEssaisn224,1993.PASSIONSIMPUNIES,NRFEssais,1997;FolioEssaisn385.ERRATA.Rcitdunepense,Dumondeentier,1998;Folion3430.GRAMMAIRESDELACRATION,NRFEssais,2001;FolioEssaisn505.MATRESETDISCIPLES,NRFEssais,2003;FolioEssaisn477.LESLIVRESQUEJENAIPASCRITS,HorssrieLittrature,2008.LECTURES.ChroniquesduNewYorker,Arcades,2010.

  • GeorgeSteiner

    Posiedelapense

    TraduitdelanglaisparPierre-EmmanuelDauzat

    nrf

    Gallimard

  • Steiner,George(1929-)Littrature:posie;critiquelittraire.Antiquit.Allemagne.

    TitreoriginalTHEPOETRYOFTHOUGHT

    FromHellenismtoCelan

    GeorgeSteiner.,2011.EditionsGallimard,2011,pourlatraductionfranaise.

  • PourDursGrnbeinPote&cartsien

  • Toutepensecommenceparunpome.

    ALAINCommentairesurLaJeuneParque,1953

    Ilyatoujoursdanslaphilosophieuneproselittrairecache,uneambigutdestermes.

    SARTRESituationsIX,1965

    GegenberdenDichternstehendiePhilosophenunglaublichgutangezogenda.Dabeisindsienackt,ganzerbrmlichnackt,wennmanbedenkt,mitwelchdrftigerBildsprache,siediemeisteZeitauskommenmssen.1

    DURSGRNBEINDasersteJahr,2001

    Lucrce et Snque sont des modles dinvestigation philosophico-littraires, o la languelittraire et des structures dialogiques complexes engagent lme entire de linterlocuteur (et dulecteur)commenesauraitlefaireuntraitdansuneproseabstraiteetimpersonnelle.[]Laformeest un lment crucial du contenu philosophique de luvre. En vrit, comme avecMde, lecontenude la forme savre si puissant quil remet enquestion lenseignementprtendumentplussimplequellecontient.

    MARTHANUSSBAUMTheTherapyofDesire,1994

    1Encomparaisondespotes,lesphilosophessontincroyablementbienhabills.Maisilssontnus,pathtiquementnus,quandonsonge lapauvretdes imagesdont ilsdoivent secontenter laplupartdutemps.(Touteslesnotessontdutraducteur.)

  • Prface

    Tous les actes philosophiques, chaque effort pour penser la pense, lexception possible de lalogique formelle (mathmatique) et symbolique, sont irrmdiablement linguistiques. Ils supposent, aupoint den tre les otages, quelque mouvement du discours, un codage au moyen des mots et de lagrammaire. Orale ou crite, la proposition philosophique, la formulation et la communication delargumentsontsujettesladynamiqueetauxlimitesexcutivesduparlerhumain.Il se peut quau sein de toute philosophie, trs certainement de toute thologie, se tapisse un dsir

    opaquemais insistant le conatus de Spinoza de se soustraire cette servitude et ce quelleautorise. En modulant la langue naturelle dans les exactitudes tautologiques, les transparences et lesvrifiabilits desmathmatiques (ce rve froid et ardent hante Spinoza, Husserl,Wittgenstein) ou, demanire plus nigmatique, en renouant avec les intuitions antrieures la langue elle-mme.Nous nesavons pas quil en existe, quil puisse y avoir pense avant le dire.Dans les arts, enmusique, nousapprhendonsdemultiplesforcesdesignification,defigurationsdusens.Linpuisablesignificationdelamusique,quidfielatraductionoulaparaphrase,imprimesamarquesurdesscnariosphilosophiqueschezSocrate, chezNietzsche.Mais invoquons-nous le sens des reprsentations esthtiques ou desformesmusicalesquenousnefaisonsquemtaphoriser,procderparanalogiesplusoumoinsmasques.Nouslesenfermonsdanslescontoursdundiscoursdominant.Doletropercurrent,sipressantchezPlotin,dansleTractatus,quelecurdumessagephilosophiquenichedanscequinestpasdit,danscequirestetaciteentreleslignes.Cequipeutsnoncer,cequiprsumequelelangageestplusoumoinsconsonant avec des intuitions et dmonstrations vritables, peut en fait rvler la dcomposition dereconnaissances primordiales, piphaniques. Cela peut renvoyer lide que, dans une conditionantrieure,prsocratique,lelangagetaitplusprochedessourcesdelimmdiatet,dunelumirede ltre que rien ne voilait (cf.Heidegger).Mais rien ne prouve quun tel privilge adamique aitjamais exist. Invitablement, 1 animal doude langage, ainsi que lesGrecs anciensdfinissaientlhomme,habitelesimmensitsbornesdumot,desinstrumentsgrammaticaux.LeLogosassimilelemotlaraisondanssesfondementsmmes.Lapensepourraitbientreexile.Maissitelestlecas,nousnensavonsrienou,plusprcisment,nousnesaurionsdiredequoiellelest.Ilsensuitquephilosophieetlittratureoccupentlemmeespacegnratif,mmesilestendfinitive

    circonscrit.Leursmoyensperformatifssontidentiques:lalignementdesmots,lesmodesdelasyntaxe,laponctuation(ressourcesubtile).CestaussivraidescomptinesqueduneCritiquedeKant,dunromandegarequeduPhdon.Cesontdesactesdelangage.Lide,chreNietzscheouValry,quelapenseabstraite puisse se danser est affectation allgorique. Tout est dans la formulation, lnonciationintelligible. Toutes deux sollicitent la traduction, la paraphrase, lamtaphrase et chaque technique detransmissionoudetrahisonouyrsistent.Lespraticienslonttoujourssu.Danstoutephilosophie,concdaitSartre,ilyauneproselittraire

    cache.Lapensephilosophiquenepeutseraliserquemtaphoriquement,enseignaitAlthusser.maintes reprises mais avec quel srieux ? Wittgenstein professa quil aurait d noncerses Investigations en vers. Jean-Luc Nancy cite les difficults vitales que philosophie et posiesoccasionnentlunelautre:Ensemble,ellessontladifficultmme:defairesens.Formulequiindiquelepointessentiel,lacrationdusensetlapotiquedelaraison.Cequonamoinslucid,cestlapressionformatriceincessantedesformesdudiscours,dustyle,sur

  • lesprogrammesphilosophiquesetmtaphysiques.quelsgardsunepropositionphilosophique,mmedanslanuditdelalogiquedeFrege,est-elleunerhtorique?Peut-ondissocierunsystmecognitifoupistmologiquedesesconventionsstylistiques,desgenresdexpressionquiprvalentousontcontests lpoqueoudans lemilieuqui sont les siens?Dansquellemesure lesmtaphysiquesdeDescartes,SpinozaouLeibnizsont-ellesconditionnesparlescomplexesidauxsociauxet instrumentauxdulatintardif, par les lments constituants et lautorit sous-jacentedune latinitpartiellement artificielle ausein de lEurope moderne ? En dautres points, le philosophe entreprend dassembler une languenouvelle,unidiolectepropresondessein.Maiscettedmarche,patentechezNietzscheouHeidegger,estelle-mmesatureparlecontexteoratoire,familierouesthtique(tmoin,1expressionnismedansZarathoustra).DerridaestinconcevablehorsdujeudemotsinitiparleSurralismeetDada,labridesacrobatiesdelcritureautomatique.Quya-t-ildeplusprochedeladconstructionqueFinnegansWakeouleconstatlapidairedeGertrudeStein,quethereisnotherethere,lilnyapasdel?Demanireinvitablementpartielleetprovisoire,cesontcertainsaspectsdecettestylisationdans

    certainstextesphilosophiques,delengendrementdecestextesviadesoutilsetdesmodeslittraires,quejentends considrer ici. Je voudrais noter les interactions, les rivalits entre pote, romancier,dramaturge, dun ct, le penseur dclar de lautre. la fois tre Spinoza et Stendhal (Sartre).Platon a rendu iconique les intimits et lamfiance rciproque, renesdans le dialoguedeHeideggeravecHlderlin.Au cur de cet essai, niche une conjecture que je peine verbaliser. Lassociation troite de la

    musique et de la posie est un lieu commun. Elles partagent les catgories sminales du rythme, duphras,de lacadence,de lasonorit,de lintonationetde lamesure.Lamusiquede laposieestexactementcela.Mettredesmotsenmusiqueoudelamusiqueenmotsestunexercicesurdesmatirespremirespartages.Yaurait-il,enunsensapparent,uneposie,unemusiquedelapenseplusprofondequecellequi

    sattaqueauxusagesextrieursdelalangue,austyle?Nousavonstendanceutiliserlemotetleconceptdepenseenfaisantmontredunedispersionet

    dune largesse inconsidres. Nous attachons le penser une multiplicit grouillante qui va dusubconscient,dutorrentchaotiquedespavesintriorises,jusquedanslerve,laplusrigoureusedesdmarches analytiques, qui embrasse le babil ininterrompu du quotidien et la mditation concentredAristote sur lesprit ou de Hegel sur le soi. Dans le parler courant, penser est dmocratis.Universalis, sans nul besoin dautorisation. Mais cest l confondre radicalement des phnomnesdistincts,voireantagonistes.Pourpeuquonendonneunedfinitionresponsablenousmanquonsduntermeinsigne,lapensesrieuseestchoserare.Ladisciplinequellerequiert,aveclabstentiondelafacilitetdudsordrequecelasuppose,estrarement,sinonjamais,laportedelimmensemajorit.Pourlaplupart,nousnavonsquunevagueidedecequestpenser,transmuerenpenselebric--bracdes rebutsdfrachisdenoscourantsmentaux.Convenablementperuequandnousdonnons-nous le temps dy songer ?, linstauration dune pense de premier calibre est aussi rare que laconfectiondunsonnetdeShakespeareoudunefuguedeBach.Peut-tre,danslabrvehistoiredenotrevolution,navons-nouspasencoreapprispenser.Hormispourunepoignedentrenous,lappellationdhomosapiensnestpeut-trequevantardiseinfonde.Leschosesexcellentes,prvientSpinoza,sontraresetdifficiles.Pourquoiuntextephilosophique

    distingu serait-il plus accessible que lesmathmatiques suprieures ou lun des derniers quatuors deBeethoven?Unprocessusdecration,uneposiequilrvleetlaquelleilsoppose,estinhrentuntextedecegenre.Lagrandepensephilosophico-mtaphysiqueengendredesfictionssuprmesen

  • mmetempsquellecherchelesdissimulerenelles.Leaudecaledenosruminationsindiscriminesestbel et bien la prosedumonde.Nonmoinsque la posie au sens catgorique, la philosophie a samusique, sa pulsation tragique, ses transports, et mme, bien que rarement, son rire (comme chezMontaigneouHume).Toutepensecommenceparunpome,enseignaitAlaindanssoncommerceavec Valry. Ce commencement partag, cette initiation de mondes est difficile provoquer.Mais illaissedestraces,desbruitsdefondcomparablesceuxquichuchotentlesoriginesdenotregalaxie.Jesouponnequecestracessontdiscernablesdanslemysteriumtremendumdelamtaphore.Enuncertainsens, lamlodieelle-mme, lesuprmemystredessciencesde lhomme(Lvi-Strauss),peuttremtaphorique. Si nous sommes un animal dou de langage , nous sommes plus spcifiquement unprimate pourvu de la capacit duser de mtaphores par exemple, pour emprunter une image Hraclite,derattacherunclairdelumireauxtessonsdisparatesdeltreetdelaperceptionpassive.Ophilosophieetlittraturesengrnent,oellessontportessechicanersurleplandelaformeetdelamatire, sont audibles ces chosde lorigine.Mmeanalytique, le raisonnement a sonbattementdetambour. Ildevientode.Ya-t-ilmeilleureexpressiondesderniersmouvementsde laPhnomnologiequelerienderienddithPiaf,unedoublengationqueHegeletapprcie?Cetessaiestuneffortpourcouterplusattentivement.

  • 1Nousparlonsdemusique.Lanalyseverbaledunepartitionpeut,jusquuncertainpoint,enclairerla structure formelle, les composantes techniques et linstrumentation.Maisquand il ne tientpasde lamusicologie au sens strict, quand il ne recourt pas un mtalangage parasitaire de la musiquecl,hauteurdeson,syncope,lediscourssurlamusique,critouoral,estuncompromissuspect.Unrcit,unecritiquedelinterprtationdunmorceauportemoinssurluniversreldusonquesurlemusicienetlarceptionparlauditoire.Ilestreportageparanalogie.Ilnepeutdiregrand-chosequi touche au fond de la composition. Une poigne desprits vaillants, Boce, Rousseau, Nietzsche,Proust et Adorno entre autres, ont cherch traduire en mots la matire de la musique et sessignifications.loccasion,ilsonttrouvdescontrepointsmtaphoriques,desmodesdesuggestion,dessimulacresduneffetvocateurconsidrable(ProustsurlasonatedeVinteuil).Lesplussduisantesde ces virtuosits smiotiques elles-mmes sont, au sens propre de lexpression, hors sujet . Unedrive.Parlerdemusique,cestcultiveruneillusion,uneerreurdecatgorie,diraientleslogiciens.Cest

    traiterlamusiquetelleunelanguenaturelle,oucommesielleentaittrsproche.Transfrerlesralitssmantiques dun code linguistique un code musical. Les lments musicaux sont expriments ouclassscommesyntaxe ; laconstructionvolutivedunesonate, sonsujet initialetsecondairesontdsigns comme grammaticaux. Les noncs musicaux la dsignation elle-mme est emprunte possdent leur rhtorique, leur loquence ou leur conomie. Nous sommes ports oublier quechacunedecesrubriquesestemprunteseslgitimitslinguistiques.Lesanalogiessontinvitablementcontingentes.Unephrasemusicalenestpasunsegmentverbal.Les relations multiples entre mots et mise en musique aggravent cette contamination. Un systme

    linguistiquement ordonn est insr dans un non-langage , adapt et contre lui.Cette coexistencehybrideestdunediversitetdunecomplicationpossiblessanslimite(souvent,unLieddeHugoWolfennieletexte).Notrerceptiondecetamalgameestlargementsuperficielle.Endehorsdelauditeurleplusconcentr,partitionetlivretlamain,quiestcapabledesuivresimultanmentlesnotesdemusique,lessyllabesqui lesaccompagnentet leur interactionpolymorphique,vritablementdialectique?Lecortexhumainadumaldiscrimineretrecombinerdesstimulitotalementdistincts,autonomes.Sansdouteya-t-ildesmorceauxdemusiquequivisentmimer,accompagnerdes thmesverbauxet figuratifs. Ilexiste une musique programme pour les temptes et le calme, les festivits et les lamentations.Moussorgskimet enmusique les tableauxduneexposition. Il existeunemusiquede film, souventessentielleauscriptvisueletdramatique.Maison les tient juste raisonpouruneespcesecondaire,btarde. Per se, plus durable que lhomme, selon Schopenhauer, la musique nest ni plus ni moinsquelle-mme.Lchoontologiqueestimmdiat:JesuiscequeJesuis.Saseule traductionouparaphrasesignificativeestcelledumouvementducorps.Lamusiquese

    traduitendanse.Maislerefletavecsesravissementsestapproximatif.Arrtezlesonet ilnyaaucunmoyensrdediresurquellemusiqueondanse(sujetdirritationquePlatonvoquedanslesLois).ladiffrence des langues naturelles, cependant, lamusique est universelle.Dinnombrables communautsethniquesnepossdentquedesrudimentsorauxdelittrature.Aucunagrgathumainnestsansmusique,une musique souvent labore et rassemble de manire complexe. Les donnes sensorielles,motionnellesdelamusiquesontbienplusimmdiatesquecellesduparler(sansdouteremontent-elles

  • la matrice). Sauf certains extrmes crbraux, essentiellement associs au modernisme et auxtechnologies en Occident, la musique se passe du dchiffrement. La rception est plus ou moinsinstantaneauxniveauxpsychique,nerveuxetviscral,dontnouscomprenonspeinelesinterconnexionssynaptiquesetleproduitcumul.Maisquest-cequi est reu, intrioriset susciteune raction?Quest-cequinousmet enbranle?

    Nous achoppons ici sur une dualit de sens et de signification que lpistmologie,lhermneutique philosophique et les investigations psychologiques ont t quasiment incapablesdlucider.Cequi invitesupposerquecequiestdoudunesignification inpuisablepeuttreaussivide de sens. La signification de la musique rside dans son excution et son audition (daucunsentendentunecompositionenlisantensilencelapartition,maisilssontrares).Expliquercequeveutdireunepartition,tranchaitSchumann,cestlarejouer.Depuisledbutdelhumanit,lamusiqueestsirichedesensqueleshommesetlesfemmesnesauraientgureimaginerlaviesanselle.Delamusiqueavanttoutechose(Verlaine).Lamusiqueenvientpossdercorpsetconscience.Ellecalmeouaffole,console ou dsole. Pour dinnombrables mortels, nulle autre prsence ressentie napproche, mmevaguement,lamusiquepourinfrer,pourprvoirlaralitpossibledelatranscendance,dunerencontreaveclenumineux,aveclesurnaturel,horsdetouteporteempirique.Pourbeaucoup,lmotionreligieuseestunemtaphorisationdelamusique.Maisquelsensa-t-elle,quellesignificationlarendvrifiable?Lamusiquepeut-ellementir?Est-ellecompltementimmunisecontrecequelesphilosophesappellentles fonctionsdevrit ?Unemusique identique inspirera et exprimera apparemment des propositionsinconciliables.Elle traduitenantinomies.LemmeairdeBeethoveninspira lasolidaritnazie, lapromessecommunisteetlesfadespanacesdelhymnedesNationsunies.LemmechurduRienzideWagner exalte le sionisme de Herzl et la vision du Reich de Hitler. Une fantastique profusion designifications diverses, voire contradictoires, et une totale absence de sens. Ni la smiologie, ni lapsychologie ni la mtaphysique ne peuvent dominer ce paradoxe (qui ne manque pas dalarmer lespenseursabsolutistes,dePlatonCalvinetLnine).Aucunepistmologienatcapabledapporterunerponseconvaincantecettequestionsimple:quoisertlamusique?Quelsenspeut-ilyavoirfairedelamusique?Cetteincapacitcrucialeestplusquunindicedeslimitesorganiquesdulangage,deslimitesquisontaucurdeladmarchephilosophique.Lediscoursparl,onleconoit,pournediremotdelcrit,estunphnomnesecondaire.Peut-trecesdeuxformesincarnent-ellesunedsintgrationdecertainestotalitsprimordialesdelaconsciencepsychosomatiquequisontencoreluvredanslamusique.Tropsouvent,parler,cestsetromper.Peudetempsavantsamort,Socratechante.

    *

    QuandDieuseparlelui-mme,ilchanteenalgbre,opinaitLeibniz.Lesaffinits,lesnerfsquirattachent la musique aux mathmatiques ont t perus ds Pythagore. Des traits cardinaux de lacomposition musicale comme la hauteur de son, le volume et le rythme se laissent dtermineralgbriquement.Demme en va-t-il de conventions historiques telles que les fugues, les canons et lecontrepoint. Lautre langue universelle, ce sont les mathmatiques. Une langue commune tous leshommes,immdiatementlisibleceuxquisontquipspourlalire.Enmathmatiques,demmequenmusique, la notion de traduction nest applicable quen un sens trivial. Certaines oprationsmathmatiques se prtent un rcit ou une description verbale. Il est possible de paraphraser ou demtaphraser certaines formules mathmatiques. Mais ce sont des marginalia ancillaires, quasimentdcoratifs. Lesmathmatiques en elles-mmes ne peuvent tre traduites quen dautresmathmatiques

  • (commedans lagomtriealgbrique).Dans les textesmathmatiques, ilnya souventquunseulmotgnratif:unsoitinitialquiautoriseetlancelachanedessymbolesetdesdiagrammes.UnsoitcomparablelimpratifquiinitielesaxiomesdelacrationdanslaGense.Restequelaouleslanguesdesmathmatiquessontimmensmentriches.Leurdploiementestundes

    raresvoyagespositifs,propres,danslesarchivesdelesprithumain.Quoiqueinaccessiblesauxprofanes,les mathmatiques disposent de critres de beaut en un sens exact, dmontrable. Seule prvaut icilquivalenceentrevritetbeaut.ladiffrencedecellesquisontnoncesdanslalanguenaturelle,lespropositionsmathmatiquessontvrifiablesoufalsifiables.Olindcidabilitaffleure,ceconceptaaussisasignificationprcise,scrupuleuse.Oralesoucrites,leslanguesmentent,trompent,obscurcissent chaque stade. Bien souvent, leur moteur est la fiction, lphmre. Il arrive aux mathmatiques deproduire des erreurs, qui sont ensuite corriges. Elles ne mentent pas. Il y a de lesprit dans desconstructions et des preuvesmathmatiques comme il y en a chezHaydn et Satie. Il peut y avoir destouchesdestylepersonnel.Desmathmaticiensmontditpouvoiridentifierlauteurdunthormeetdesadmonstration surdesbases stylistiques.Cequi compte, cest que,une foisprouve, uneoprationmathmatique entre dans la vrit collective et la disponibilit de lanonyme. Elle est de surcrotpermanente.QuandEschyleseraoubli,etdjlegrosdesonuvreadisparu,lesthormesdEuclideresteront(GodfreyH.Hardy).DepuisGalile, lamarchedesmathmatiquesest impriale.Cest sur ledegrauquelelle se laisse

    mathmatiserquunesciencedelanatureengagesalgitimit.Lesmathmatiquesjouentunrledeplusen plus dterminant en conomie, dans des branches minentes des tudes sociales et mme danslhistoire quantitative ou cliomtrie .Le calcul diffrentiel et la logique formelle sont la source etlanatomie de la computation, de la thorie de linformation, du stockage lectromagntique et de latransmission qui rgissent et transforment aujourdhui nos vies quotidiennes. Les jeunesmanipulent ledploiementcristallindesfractalescommejadislesrimes.Lesmathmatiquesappliques,souventduneclasseavance,envahissentnotreexistenceindividuelleetsociale.Demble, la philosophie, la mtaphysique ont encercl les mathmatiques tel un faucon frustr.

    LexigencedePlatontaitclaire:QuenulnentredanslAcadmiesilnestpointgomtre.ChezBergson,chezWittgenstein,lalibidomathmatiqueestexemplairedelpistmologiedanssonensemble.Il est des pisodes clairants dans la longuehistoire de la philosophie desmathmatiques, notammentdans les premires investigations de Husserl. Mais les avances ont t capricieuses. Si lesmathmatiquesappliquesavecleurscommencementsdanslhydraulique,lagriculture,lastronomieetlanavigation peuvent tre situes dans le champdes besoins conomiques et sociaux, lesmathmatiquespures et leurs progrs mtoriques posent une question apparemment insoluble. Les thormes,linteraction des mathmatiques suprieures, de la thorie des nombres en particulier, drivent-ils deralits qui sont l (out there) ou y renvoient-ils quand bien mme on ne les a pas encoredcouvertes?Neserait-cequunniveauformalis,traitent-ilsdephnomnesexistentiels?Ouest-ceun jeu autonome, un ensemble et une squence doprations aussi arbitraires, aussi autistes que leschecs?Laprogressionsansborne,fantastique,peut-ondire,desmathmatiquesdepuisletriangledePythagore jusquaux fonctions elliptiques, suit-elle sa propre dynamique, se nourrit-elle de sa proprenergie,indpendammentdelaralitoudetouteapplication(mmesi,demanirecontingente,celles-cipeuvent affleurer) ? quels lans psychologiques ou esthtiques rpondent les mathmatiques ? Lesmathmaticienseux-mmes,lesphilosophesenontdbattuaufildesmillnaires.Leproblmedemeureirrsolu.Ajoutez-y lnigme lumineusedes capacits et de laproductivitmathmatiques chez les toutpetits, les pradolescents.Une nigme analogue,mais analogue seulement, aux virtuosits dumusicienprodige ou de lenfant matre aux checs. Existe-t-il des liens ? Quelque addiction transcendante

  • linutileserait-elleimplantechezunepoignedtreshumains(unMozart,unGauss,unCapablanca)?Condamnesaulangage,laphilosophieetlapsychologiephilosophiquesesonttrouvesplusoumoins

    dmunies.Plusdunpenseurafaitchocetantiquechagrin:Euss-jetphilosophesijavaisputremathmaticien?

    *

    Au regarddes exigences de la philosophie, la languenaturelle souffre de graves infirmits.Elle nesauraitsemesurerluniversalitdelamusiqueoudesmathmatiques.Laplusrpanduedenosjours,langlo-amricainnestelle-mmequeprovincialeetphmre.Aucunelanguenepeutrivaliseraveclescapacitsdesimultanitspolysmiquesdelamusique,dessignificationsmultiplessouslapressionde formes intraduisibles. Lenrlement dmotions, tout la fois spcifiques et gnrales, prives etcommunautaires,dpassedebeaucoupceluidu langage.certainsgards, laccitest rparable :onpeutliredeslivresenbraille.Lasurdit,quiostracisdelamusique,estunexilirrmdiable.Lalanguenaturellenesauraitnonplusrivaliseraveclaprcision,lafinalitdnuedambigut,laresponsabilitet la transparence des mathmatiques. Elle ne saurait satisfaire les critres de la preuve ou de larfutationce sont lesmmespropres auxmathmatiques.Devons-nousoupouvons-nousvouloirdire ce que nous disons ou dire ce que nous voulons dire ? La gnration implicite de nouvellesquestions,denouvellesperceptions,dedcouvertesnovatricesdelintrieurdelamatricemathmatiqueest sans quivalent dans le discours oral ou crit.Les voies que suivent lesmathmatiques paraissentautonomesetsanslimites.Lelangagegrouilledespectresdfrachisetdecircularitsfactices.Et pourtant. La dfinitionmme des hommes et des femmes comme animaux dous de langage

    avance par les Grecs anciens, la nomination du langage et de la communication linguistique commelattributquidfinit lhumainnesontpasdes tropesarbitraires.Lesphrases,oralesetcrites (lemuetpeutapprendrelireetcrire),sontlorganehabilitantdenotretre,decedialogueavecsoietaveclesautresquiassembleetstabilisenotreidentit.Siimprcisetasservisautempsquilssoient,lesmotsconstruisentlammoireetexprimentlefutur.Lespoirestletempsfutur.Mmenavementfiguratifsetnonexamins,lessubstantifsquenousattachonsdesconceptscommelavieetlamort,legoetlautresont engendrs par lesmots. Hamlet Polonius. La force du silence est celle dun cho ngateur dulangage. Il est possible daimer en silence, mais peut-tre uniquement jusqu un certain point.Lauthentiqueprivationdeparoleaccompagnelamort.Mourir,cestcesserdebavarder.JaiessaydemontrerquelincidentdeBabeltaitunebndiction.Chaquelanguecartographieunmondepossible,uncalendrier,unpaysage.Apprendreunelangue,cesttendreincommensurablementleprovincialismedumoi. Ouvrir largement une nouvelle fentre sur lexistence. Les mots ttonnent et trompent. Certainespistmologiesleurnientlaccslaralit.Laposielaplusbelleestelle-mmecirconscriteparsonidiome.Nanmoins,cestlalanguenaturellequifournitlhumanitsoncentredegravit(observezlesconnotationsmorales,psychologiquesdecemot).Leriresrieuxestaussilinguistique.Ilsepeutquelesourireseuldfielaparaphrase.La langue naturelle est lemdium inluctable de la philosophie. Le philosophe peut recourir des

    termes techniques et des nologismes ; il peut, comme Hegel, essayer dinvestir des expressionsidiomatiquesbienconnuesdesignificationsindites.Maisaufondet,onlavu,sauflesymbolismedelalogique formelle, il faut faire avec : Language must do. Comme lobserve R. G. Collingwood danssonEssayonPhilosophicalMethod(1933),silelangagenepeutsexpliquerlui-mme,riendautrenepeutlexpliquer.Lalanguedelaphilosophie,toutlecteurattentifdesgrandsphilosopheslesaitdj,

  • estdoncunelanguelittraire,nonpastechnique.Lesrglesdelalittratureprvalent.Decepointdevueirrsistible,laphilosophieressemblelaposie.Elleestunpomedelintellectetreprsentelepointauquellaproseserapprocheauplusprsdelaposie.Laproximitestrciproque,carcestsouventlepotequisetourneverslesphilosophes.BaudelaireserfredeMaistre,MallarmHegel,CelanHeidegger,T.S.EliotBradley.Dansleslimitesincapacitantesdemescomptenceslinguistiquesetenmeservantmaladroitementde

    la traduction, jentendsme pencher sur une thorie de textes philosophiques qui se dploient sous lapression des idaux littraires et la potique de la rhtorique. Je souhaite examiner les contactssynaptiques entre le raisonnement philosophique et lexpression littraire. Ces interpntrations, cesfusions ne sont jamais totales,mais elles nous conduisent au cur du langage et la crativit de laraison.Cequenousnepouvonspenser,nousnepouvonslepenser;nousnepouvonsdoncdavantagedirecequenousnepouvonspenser(Tractatus,5.61,trad.Gilles-GastonGranger).

  • 2LincandescencedelacrativitintellectuelleetpotiqueenGrcecontinentale,enAsiemineureetenSicileauxVIeetVesiclesavantnotreredemeureuniquedanslhistoirehumaine.certainsgards,laviedelespritnatensuitequunecopieusenoteenbasdepage.Lvidencesestimposedepuissilongtemps.Lescausesdecettechappedesoleil,lesmobilesquilontproduitecettepoqueetsurcesterresdemeurentpourtantnbuleux.Lepolitiquementcorrectpnitentielquiprvautaujourdhuietleremords du post-colonialisme aidant, il est dlicat ne serait-ce que de poser les questions sans doutepertinentes,dedemanderpourquoilardentemerveillequestlapensepurenelaemportpresquenullepartailleurs(quelthormenousestvenudAfrique?).Desfacteursmultiplesetcomplexesontdjouer,implosifs,silestpermisdemprunterunconcept

    crucialdelaphysiqueatomiquepourdnoterladensitdescollisions.Parmiceux-ci,figuraientunclimatplusoumoinsclmentet la facilitdescommunicationsmaritimes.Largumentationvoyageaitvite.Ausensantiqueetfigur,elletaitmercurielle.Ladisponibilitdesprotines,cruellementrefusesunesigrandepartiedumondesubsaharien,asansdoutetdcisive.Lesnutritionnistesparlentdesprotinescommedunenourriturecrbrale.Lafaim,lamalnutritionestropientlagymnastiquedelesprit.Ilesttantdechosesquenousnesaisissonspasencore,bienqueHegelenaitpressentilerlecentral,proposdelambiancequotidiennedelaservitude,delincidencedelesclavagesurlasensibilitindividuelleetsociale. Il est cependant vident que pour les privilgis, et ils taient relativement nombreux, lapropritdesclavesdonnaitdesloisirsetdispensaitdetchesmanuellesetdomestiques.Ellelaissaitdutemps et de la place au libre jeu de lintellect.La licence est immense.NiParmnide niPlatonnontbesoinde gagner leur vie. Sous des cieux temprs, unhommebiennourri peut sen aller discuter oucoutersurlagora,danslesbosquetsdelAcadmie.Letroisimelmentestaussileplusdifficilevaluer. de rares exceptions stellaires prs, les femmes restaient confines chez elles, prenant auxaffaires une part souvent subalterne, en tout cas dans les affaires philosophiques et rhtoriques de lapolis.Sansdoutecertaineseurent-ellesaccsuneducationsuprieure.MaisonnenaguredepreuveavantPlotin.Cetteabstentionforce,traditionnelle?a-t-ellecontribuauluxe,voirelarrogancedu spculatif ? Notre quotidien, dsormais mtamorphique, sen ressent-il travers la contributionsaisissante demodestie des femmes auxmathmatiques et lamtaphysique ?Protines, esclavage etprpotence masculine : quen est-il de leur causation cumulative dans le miracle grec ? Car soyonsclairs:cefutunmiracle.Unmiraclequi consistadans ladcouverte, bienquece conceptdemeure fuyant, et la culturede la

    pense abstraite. De la mditation absolue et dun questionnement incontamin par les impratifsutilitaires de lconomie agraire, de la navigation, de la prvention des inondations ayant marqu laprophtieastrologiquequidomina,souventbrillamment,danslescivilisationsmditerranennes,proche-orientalesetindiennesenvironnantes.tantsesproduits,nousavonstendancetenircettervolutionpourallantdesoi.Envrit,elleesttrange,scandaleuse.Lquationparmnidiennedelapenseetdeltre,laffirmationsocratiquequunevienonexaminenevautpasdtrevcuesontdesprovocationsdunedimension rellement fantastique. Elles incarnent la primaut de linutile, telle que nous la donnons entendredanslamusique.DanslidiomefierdeKant,ellesaspirentlidaldudsintress.Quya-t-ildeplustrange,deplussuspectpeut-tredunpointdevuethique,quelempressementsacrifiersavie une obsession abstraite, peut-tre inapplicable, telArchimdemditant sur les sections coniques ou

  • Socrate ? Dans son tranget, la phnomnologie de la pense pure est presque diabolique. Pascal,Kierkegaardenportenttmoignage.Maislesprofondscourantsdautismeradieuxquirattachentlesmathmatiquesgrecquesetledbatthorique,spculatif,quilvelatraquedelavritau-dessusdelasurviepersonnelle,lancentlegrandvoyageoccidental.Ilsforcentcevoyagetraverslesmerstrangesdelapensesolitaire,queWordsworthattribueNewton.Notrechafaudagedethories,nossciences,nos dsaccords raisonns et nos fonctions de vrit, si souvent abstruses, procdent de cette lointainelumireionienne.NoussommestousGrecs,proclameShelley.Jelerpte:miracle,ilya,maisaussitrangetet,peut-tre,unetouchedinhumain.La prose littraire et philosophique, en vrit la prose mme, est tardive. Sa prise de conscience

    delle-mmeestpeineantrieureThucydide.Laproseest totalementpermableaudbrailletauxcorruptions du vrai monde . Elle est ontologiquementmondaine (mundum). La squence narrativesaccompagne souvent de la promesse spcieuse dune relation et dune cohrence logiques. Desmillnaires doralit prcdent lusage de la prose pour tout, hormis les notations administratives etmercantiles(cf.leslistesdanimauxdomestiquesenLinaireB).Lcritureenprosedepropositionsetdedbatsphilosophiques,defictionsetdhistoireestuneramificationspcialise.Ilsepeutquellesoitsymptomatique de dcomposition. Le dgot avec lequel la considre Platon est fameux. Lcriture,plaide-t-il,subvertit,affaiblitlesforcesprimordialesetlesartsdelammoire,lamredesMuses.Elleambitionneuneautoritfacticeenprvenantunecontestationimmdiateetlautocorrection.Elleprtend une fausse monumentalit. Seuls les changes oraux, la licence de linterruption comme dans ladialectique, peuvent pousser linvestigation intellectuelle vers lintuition responsable, une intuitionquinestcomptablequladissension.Do le recours rcurrent au dialogue dans les uvres de Platon lui-mme, dans les livres perdus

    dAristote, chez Galile, Hume ou Valry. Parce quelle prserve au sein de ses formes crites ladynamiquedelavoixquiparle,parcequelleestaufondvocaleetapparentelamusique,laposieneprcde pas seulement la prose : elle en est, paradoxalement, lemode performatif le plus naturel. Laposieexerce,nourritlammoire,commelaprosenesauraitlefaire.Sonuniversalitestenvritcellede la musique ; maints hritages ethniques ne connaissent pas dautre genre. Dans les critureshbraques, les lments prosaques laissent transparatre le battement du vers. Lus voix haute, ilstendentverslechant.Unbonpomefaitpasserlepostulatdunnouveaucommencement,lavitanuovadusans-prcdent.Quandlaproseestsilargementfilledelhabitude.Lesdmarcationsquenousprsumons,presquefortuitement,entremtaphysique,sciences,musiqueet

    littrature navaient aucune pertinence dans la Grce archaque. Nous ne savons presque rien desorigines,oraculaires,rhapsodiques,didactiques,decequiallaitdevenirlapensecosmologique.Nousnesavonsriendeschamansdelamtaphorequinousdevonslidentitdelespritoccidental,quiontjetlesfondementsdecequeYeatsappelaitlesmonumentsdelintellectquinevieillitpas.Aumieuxhypothtiques demeurent les attributions aux cnacles orphiques, aux cultes mystre, aux contactssminaux avec les pratiques perses, gyptiennes, voire indiennes, de la sagesse. On a des raisons decroireque lesdoctrinesprsocratiquestaient rcitesoralement,chantespeut-tre,commeNietzscheen eut lintuition.Les lignes entre les rcits de la cration, les fictionsmythologico-allgoriques, dunct, lesdicta philosophiques, les propositions, de lautre, sont trs longtemps demeures totalementfluides (Platon est un virtuose dumythe).quelque stade quon ne saurait retrouver, labstraction, lecogito prend son imprative autonomie, son tranget idale. Les thories le conceptmme est unformidabledfitrangertantdeculturessurlescomposantesetlesordonnancesdumondenaturel,lanaturede lhommeetsonstatutmoral, lepolitiqueausens large, trouvaient leursformulations lesplusincisives dans les modes potiques. Lesquels, leur tour, aidaient se rappeler et mmoriser. Le

  • prcdent rhapsodique, avec ses subversions de la textualit, drange Platon. Tmoin les ironiestroubles de son Ion. Nous le retrouvons dans les paradoxes deWittgenstein sur le non-crit. Lidepersiste quHomre et Hsiode sont les vrais matres de la sagesse. Le paradigme du pomephilosophique,duneadquationparfaiteentrelexpressionesthtiqueetlateneurcognitivesystmatique,perdure dans lamodernit. Laspiration de Lucrce rpandre lclatante lumire du chant sur leschoseslespluscachesnarienperdudesoncharme.

    *

    Lesthtiquedufragmentadernirementretenulattention.Etpasseulementenlittrature.Danslesarts,lesquisse,lamaquette,lbaucheonttlevesau-dessusdeluvretermine.Leromantismeinvestitdans laura de linachvement, ce qui na pas t fini par la grce dunemort prmature.Ce qui estemblmatiquedumodernedemeuresisouventinachev:ProustetMusildansleroman,SchoenbergetBerg dans lopra, Gaud en architecture. Rilke exalte le torse, T. S. Eliot tanonne les fragmentscontrenotreruine.Lesproblmes sont importants.Lesmouvements centrifugeset anarchiquesde lapolitiquemoderne,

    laccelerandodelascienceetdelatechnologie,letravaildesapedesstabilitsclassiquesdansnotreintelligence du conscient et du sens, comme dans la psychanalyse ou la dconstruction, rendentimplausibles lunisson systmatique et lexhaustivit. Le centre ne peut tenir. Les ambitionsencyclopdiquesdesLumires,lesconstructivitsgantesdupositivisme,commechezComteetMarx,nepersuadentplus.Nousavonsdumalraconterousuivrelesgrandsrcits.Noussommesattirsparlaformaaperta,cequidemeureouvert.Levinasopposelesprtentionscontraignantesetlaforclusiondela totalit , du totalitaire, la promesse libratrice, au fondmessianique, de 1 infini .Adornoassimilecarrmentlachvementaufaux.Ces antinomies sont aussi anciennes que la philosophie elle-mme. En accord, peut-tre, avec les

    oppositions radicales de la sensibilit humaine, il y a eu les matres-btisseurs et les praticiensmercurielsde labrgde laperceptiondanssonmouvementprovisoire.La lignedAristoteestcelledunessaidercolteetdemoissontotales.ElleinspirelaplnitudedAugustinetlaSummadeThomasdAquin.Ellesous-tendlacohrenceaxiomatiquedelthiquedeSpinozaetluniversalismenewtoniende Kant. Au premier rang des btisseurs de systme, se trouve Hegel dont le recours mme au mot encyclopdie couronne une ambition millnaire. Quand elles promettent au marin qui passe larvlation de tout ce qui a t, est et sera, les Sirnes mettent Hegel en musique. Le contre-courantremonteauxPrsocratiquesetauxaphorismesabrupts,parataxiques,delEcclsiaste.Lorsmmequilssont formellementcopieuxetdiscursifs, lesessaisneperdonspasdevue lesens littraldecemot de Montaigne procdent par sauts et bonds digressifs. Ils progressent par marginalia et annotentlexistence.LesPensesdePascalralisentlacontradictionapparentedelagrandeurfragmentaire,desimmensits fractures.Cemodle trouvera son accomplissement dans la photographie au flash deNovalisetdeColeridge,aupointprcisolemiragedunomniumgatherum (la formulemacaroniqueestdeColeridge)ahantcespenseurs.ToutNietzsche,toutWittgensteinestfragment,tanttvoulu,tanttimpospardescontingences.loppos,lescritsdeHeideggerstendrontsurquatre-vingt-dixtomes,etlinachvementdeSeinundZeitnacessdtreamendpar lasuite.Seulscriventetpublientdeslivresceuxquisonttropfaiblesoutropvaniteuxpoursenabstenir,disaitWittgenstein.Lachanceaidant,lesvritsdufragmentpeuventfrisercellesdusilence.Leformatdanslequellapensesocratiquenousestparvenueest,assurment,largementfortuit.Ceque

  • nouspossdons,cesontdesreliquats.Desproposfractionnsbiensouventintgrs,inexactementpeut-tre, dans des contextes polmiques et hostiles, chez les Pres de lglise ou leurs dtracteursaristotliciens.Lencessairematriellaconservationdesuvrescritesdequelqueampleuravolulentement.Ilneprcdegurelardactiondelpopehomrique.UnefoisseulementSocrateconsulteun rouleau crit.Mais il est aussi des raisons de fond la teneur aphoristique et apodictique de cesdclarationsdesaurores.QuandleMagedeMiletaffirmequetoutematireestfondesurleau,etquunsage rival soutient que tout, en dfinitive, est feu, quun voyant de Sicile proclame lunicit de touteschoses alors quun sophiste itinrant insiste sur leurmultiplicit, il ny a, strictement parler, rien ajouter. La dmonstration par tapes, telle quelle est pratique en mathmatiques, ne touche queprogressivement lacosmologieet lamtaphysique.Initialement,penseetdictum sont,pourainsidire,ivresdelabsolu,dupouvoirquaunephrasededirelemonde.Lextrmeconcision,desurcrot,doitsonimpactlexposoraletmetlammoirecontribution.LeseulvolumedesdialoguesdePlatonnestpaslemoindreaspectdeleurgniervolutionnaire.Bienquiciaussilerecourssoitfrquentauxfictionsdeloralit,delaremmorationreproductive.LesdoctrineslapidairesdesPrsocratiquessepropagentdebouche oreille et peuvent tremmorises par une communaut pr-alphabtise. Dune longueurpygmenne,lexpressionestdeJonathanBarnes,cesvestigesarchaquesnousparlentdecequiduttredes incursions audacieuses, en un sens extatiques, sur des mers inconnues. Limage de la pensephilosophiquecommeOdyssepersisterajusquSchelling.Lobscurit de nombre de ces vestiges nest peut-tre pas accidentelle, quoique notre ignorance du

    cadrepertinent et des spcificits linguistiquesy contribue.Si 1orphique, l hraclitenou le pythagoricien ne vont pas sans connotations hermtiques, cette association implique lexistencepossibledecnaclesthosophiques,philosophiques,voirepolitiques,plusoumoinsinitis.LesacolytesdeWittgensteinensontunpendantmoderne.Ilsattirentaussinotreattentionsurdesliensentrelagensede la rationalit philosophique et la rcitation potique bien plus ancienne, parfois rituelle. LhistoiredOrphe est inextricablementmythique,mais indique ce que nous pouvons deviner des sources de lamusiqueetdulangage.Laforcepuredelafablenesestpasamoindrieaufildesmillnaires.PourlesAnciens, dj, la sagesse visionnaire dOrphe instruit ses auditeurs sous le charme des origines ducosmos et de linstauration dune hirarchie olympienne. Pour lesmythographes, artistes et potes duMoyen ge et de la Renaissance, ce programme chant, tel quil nous est rapport danslesArgonautiquesdApolloniosdeRhodes, faitdOrphe leprede lacosmologie.Unpre tragique,danslesillageduquellaphilosophienchapperajamaislombreinstructivedelamort.Lunissonde laposie,de lamusiqueetde lamtaphysiquecontinuedehanter laphilosophie telun

    spectrefraternel.Quandapprochelafin,Socratesetourneverssopeetlechant.HobbestraduitHomreenvers.LesvreHegelcritunpomeHlderlinprofondmentsenti.Nietzscheseveutcompositeur.JaicitWittgensteinsur laDichtung.DespassagesdePlatonetduTractatusonttmisenmusique.Dansleurportelaplushaute,onlavu,cesqutespartagentlecombledelinutilit.Thalsdj,disait-on,avaitrejettouslesgainsmatriels.Dunpointdevuepragmatique,ilestabsurdedesacrifiersaviepour dfendre une hypothse intellectuelle spculative ; de renoncer la scurit conomique et lestime sociale pour peindre des tableaux que nul na envie de voir, sans parler de les acheter ; decomposerdelamusiquesansesprancesralistesdtrejououentendu(lesmoyenslectroniquesontquelque peu nuanc ce paradoxe) : de projeter des espaces topologiques qui chappent jamais ladmonstrationouladcidabilit.Leclichestgracieux,quiassocie laposieauxfoliesde lamour.Mais lessolitudes intimeset les

    abstentionsdelanormalitdontsalimentalalogiquechezGdelnesontpasmoinstranges.rosasesrcompenses.Quest-cequirendleraisonnementphilosophiqueabstrusindispensabledeshommeset

  • des femmes ? Quelle passion ou arrogance dsintresse amne Parmnide et Descartes identifiercogitationettre?Nousnelesavonspasvraiment.Jaisuggrqueladcouvertedelamtaphoreavaitmislefeulapenseabstraite,dsintresse.

    Unanimalmtaphorise-t-il?Cenestpasseulementquelalangueestsaturedemtaphores.Ilyvadenotre compulsion, de notre capacit de concevoir et dexaminer dautres mondes, de construire despossibilitslogiquesetnarrativesau-deldetoutecontrainteempirique.Lamtaphoredfie,surmontelamortcommedanslafabledOrphedeThracelorsmmequelletranscendeletempsetlespace.Frustranteestnotreincapacitdesituer,oummedeconcevoirlheurelaquelleunagenthumaindelaGrceantiqueetdelIonievitquelocanavaitlacouleursombreduvin,quelhommedanslabatailletait devenu un lion vorace.Ou de saisir comment lauteur de Job vit les toiles faire pleuvoir leurslances.Desurcrot,parquellesvoiesplausiblespeut-ondirequelamusiqueet lesmathmatiquessontmtaphoriques ? Quy a-t-il de mtaphorique dans leur lien avec lexprience radicale et leur auto-distanciationradicaleparrapportcelle-ci?DequoiunesonatedeMozartoulaconjecturedeGoldbachest-elleunemtaphore?Cestdunmagmamtaphoriquequelaphilosophieprsocratiqueparatfaireruption(levolcanique

    nestpasloin).DujourounvoyageurArgosperutlesptressurlescollinespierreusescommedespasteursdesvents,ounmarinduPireeutlasensationquesaquillelabouraitlamer,laroutetaitouverte,quimenaitPlatonetEmmanuelKant.Ellecommenadanslaposieetnesenestjamaisbeaucouploigne.

    *

    LaforcedelapenseetdustyledHracliteesttellementirrsistiblequelleemportelimaginationdeseslecteurs[]au-deldeslimitesduneinterprtationpose,observaitHermannFrnkel,lepluspos des savants. Lhistoire des essais dlucidation des fragments dHraclite, souvent tronqus ouimparfaitementrestitusdansdescontextesultrieurs,hostiles,compteensoiparmilesgrandesaventuresdelintelligenceoccidentale,davantPlatonjusquHeidegger.PourMauriceBlanchot,Hracliteestlepremiervirtuosedu jeusurraliste.Pourdenombreuxartistesetpotes, il est lapremire icnede lasolitudemditative,delesseulementaristocratique.Cegniefier,stableetanxieux,critRenChar,sous le charme, comme T. S. Eliot, dune voix qui consume lcale de la traduction djoue. SextusEmpiricusetMarcAurlelisaientpourtantHraclitecommeunauteurengagdanslacitetscrupuleuxdanslobservancecommunautaire.Sonhritagenevieillirajamais,disaitNietzsche.AvecPindare,trancheHeidegger,Hraclitematriseunidiomequimontreunenoblesseducommencementingale.Laubedusens.Philologues,philosophesethistoriensdelaGrcearchaqueontuvrpourdfinir,circonscrirecette

    forceaurorale.LesditsdHraclitesontdesarcsvoltaquescomprimsquiilluminentlespaceentrelesmotsetleschoses.Saconcisionmtaphoriquesuggrelesimmdiatetsdunerencontreexistentielle,lesprimauts dune exprience largement inaccessible aux rationalits et la logique squentielle aprsAristote.LeLogosestlafoisunenonciationperformativeetunprincipeinhrentcequilsignifie.Lnonciation,ledcodagedelapenseprenddoncuneralitindpendanteunpeuextrieurelorateur(ledieSprachesprichtdeHeidegger).certainsgards,Hracliteportetmoignagedesoriginesdelaconscience intelligible (Bruno Snell). Aussi Hraclite clbre-t-il tout en la combattant touteclbrationestagonistiqueleterriblepouvoirquepossdelelangagedetromper,davilir,demoquer,deplonger le renommritdans la tnbrede loubli.Dialectiquement, la capacitpropreau langage

  • dornementeretdenchsserlammoirenevapassanssesfacultsdoubli,sanslostracismequifrappelerappel.Hraclite,observeClmenceRamnoux, lundesescommentateurs lespluspntrants, travaillede

    faon originale dans le mtier de parler originale ayant ici le double sens dinitial et desingulier.Ilextraitlelangageavantquilneflchisseenimagerie,enabstractionrode.Sesabstractionssont radicalement sensorielles et concrtes, mais pas sur le mode opportuniste de lallgorie. Ellesreprsentent,ellesjouentlapenseoelleestencore,pourainsidire,incandescente:letropedufeuestinvitable.Oellesuitlechocdeladcouverte,delaconfrontationnueavecsonpropredynamisme,tout la fois illimit et born. Hraclite ne raconte pas. Pour lui, les choses sont, avec une vidence etlnigmeduneprsencetotalepareillescelledelclair(limageestdelui).Queseraitletempspassdu feu ? Tous nont pas t sduits. La contradiction, linstrument dlection dHraclite, impliquefausset ; et cest bien de cela quil sagit (Jonathan Barnes). Il fut un paradoxographe dont1insuffisanceconceptuelleestpatente.CestunverdictquePlatonsuggredansleSophiste,malgrlafascinationquHracliteexercesurlui.Pour lesAnciens,dj,Hraclitetaitduneobscuritproverbiale.Adeptedesnigmesnbuleuses,

    toutaussimprisantlgarddesessubalternesplbiensquilltaitenversceuxlagrandemajoritdelespcehumainequitaientincapablesdesaisirunparadoxeouunargumentphilosophique.Mais,pour lapensearticule,pour lediscoursexcutif,quesignifietredifficile?Jaiessayailleursdesquisser une thorie de la difficult1. La plus courante est contingente et circonstancielle.Nous nesavons pour ainsi dire rien du contexte linguistique et social de la langue dHraclite, de son terraindallusion. Toute recherche nous est impossible. Il carte grossirementHomre etArchiloque, parcequilsnontpointcompris lharmoniedescontrairesquigouverne lexistencehumaine,quilsdissipentlesmotsenfantaisiespuriles.Maisleshexamtrespiquesaffleurentdanslestexteshraclitensetcequipeuttredeslmentsdefablespr-sopennesdanslesrfrencesdHraclitedesanimaux.Lesnoms mtaphoriques quil aligne souvent la place des noms communs renvoient aux formulationsgnomiques de loraculaire. Nous sommes loin den savoir assez sur les conventions oraculaires,mantiquesetorphiquespourapprcierleurinfluencesurHraclite.Lemmorablefragment33professequApollon,dont loracleestDelphesneditninecache,maisdonneunsigne (lamanuvreestwittgensteinienne). Au contraire dune nomination adamique, Hraclite ntiquette ni ne dfinit unesubstance,maisinfresonessencecontradictoire.Lesambigutssmantiques,secondordrededifficult,serapportent linterneet lexterne,marquantainsi leurdissociation.Danscequidrivesansdouteencoreunefoisdeprcdentsarchaques,lesnigmessontcruciales,ellessontlacl.Calembours,jeude mots, synonymie trompeuse rendent les profondeurs polysmiques, la mobilit constante desphnomnes et leur contrepartie linguistique prsume. Les affinits potiques, par exemple avecltiologie du chaos chezHsiode, sont plausiblesmais indmontrables.Des savants ont propos desanalogiesentrelacosmogoniedHracliteetlesmythesdelacrationduMoyen-Orient.Queconnaissait-il de lgypte, si tant est quil en st quoi que ce soit ?Lide que le symbolisme zoroastrien du feutrouve une rsonance chez Hraclite est quasiment invitable. phse est voisine de lIran. Danslensemble, toutefois, les nerfs de la grammaire et du vocabulaire hraclitens, de ses constructionsparataxiques et de ses lisions lui sont propres.On nen trouve de parallle que dans certaines odeschoralesdelatragdie,danscertainstropesdePindare.Cenestpasverbalement,maisdanslamusiquequelessuspensionshraclitennesdelalogiquelinaire,quesessimultanitssuivantdesmouvementscontraires (canons renverss),ont leuranalogue.Nietzscheasenticetteaffinit. Iciaussi,commedansZarathoustraetsesmlodiesdeminuit,lobscuritpeutdevenirlumineuse.CetteobscuritfaitsanscontestepartieducharmequHracliteaexercsurlalittrature.Leplus

  • fascinant des penseurs-potes est exemplaire dune tradition et dune esthtique de la matireobscure.DunelignequicomptePindare,Gngora,Hlderlin,MallarmetPaulCelan.Onesttentdedirequesoninclinationverslhermtiqueestdautantplusfortequelaposieestelle-mme,sapprocheauplusprsdelafusionducontenuetdelaformedanslamusique.Ilestuneconceptiondurabledelaposiequisinsurgecontrelelangagenaturel,contretoutedialektiktekhn,lescritressquentielsdela dmonstration raisonne et de la persuasion ordonne. Les difficults qui en rsultent sont dordreontologique.Lapenseetledirecherchenttranscenderlesmoyensdontilsdisposent,fairevaloirlespotentialits transgressives.T.S.Eliot faitallusioncetteconditionfrontaliredans leschoshraclitens des Quatre quatuors (la citation musicale est vidente). Hraclite force lnonc verslaporia,verslesantinomiesetlesindcidabilitslalisiremmedulangage,commesilelangage,linstardesmathmatiques,pouvaitengendrerdesonseinmmeunecomprhensionnovatrice,quiaillede lavant. Char, prcisment, invoque Hraclite et ses contraires ces mirages ponctuels ettumultueux[]posieetvrit,commenoussavons,tantsynonymes.Hracliteintresselesplusstylsdesphilosophes,ceuxquisontlesplusattentifsauxcontrainteset

    ressourcesexpressivesdelapensenonce,sacadenceimplicite,commeKierkegaardetNietzsche.MaisaussiNovalis,praticiendufragmentorphique,etHeidegger,lenologiste,lartisandelatautologie.Les intelligences rhapsodiques et oraculaires reconnaissent en Hraclite la collision fondamentale etgnratriceentrelopacitlusivedumotetlaclartetlvidencedeschoses,toutaussilusivesmaisirrsistibles.Lapprhensionimmdiateoupresse,lefamilier,ratecettetensiondcisive,celledelarcet de la lyre, suivant la fameuse dualit dHraclite. couter attentivementNietzsche dfinissait laphilologie comme une lecture lente , cest exprimenter, de manire toujours imparfaite, lapossibilitque lordredesmots,notammentdans lamtriqueet la structurenerveusedesmtresde labonne prose, rflchisse, voire entretienne la cohrence cache et pourtantmanifeste du cosmos.Uneconjecture cardinalepour lamtaphysique.Pertinente est lanalogie avec lesmodlespythagoricien etkplrien de concordance entre les relations harmonieuses et les intervalles dans la musique et lesmouvementsplantaires.Unefoisencore,lamusiqueestlepassageentrelaspculationmtaphysiqueetcosmologique,i.e.lespculaire,etlexpressionsmantique.LaviolenceoccultedelinspirationnefascinaitpasmoinsHraclitequeRimbaudouRilke.Ilinvoque

    laSibyllelabouchedlirante,dontlavoix,ajoutePlutarque,franchitunmillierdannes.Ilserfre, quoique avec prudence, aux acolytes qui dliraient pour Dionysos dans une possessionextatique. Mais en tant quauteur, lminence dHraclite rside dans son conomie exponentielle.Quelques mots austres se dploient dans lillimit (un effet que ralise le diptyque dUngarettiMillumin/dimmensoolimmensitillumineetclaire).Jaidjsignallusagehraclitendumotarc,quunsimpleaccentdiffrenciedevie:Lenomdelarcditlavie; lachosefait laMort. Une concision dans laquelle Artmis et Apollon sont prsents tels des ombres naissantes.Dunenigmeoudunparadoxeapparent,laconstructiongrammaticalepeutfaireunesourcedintuitionen expansion : Mort est tout ce que nous voyons veills, et tout ce que nous voyons en dormant,sommeil.Lesstructuresannulairessedploientenspiraledans lesprofondeurssotriquesquenouspourrions,tort,qualifierdepsychanalytiques:Levivanttoucheaumortdanssonsommeil;veill,iltoucheaudormeur(Hracliteestnotregrandpenseurdusommeil).Avecaudace,peut-treseulparmilesAnciens,Hraclitedfie lesdieuxdansunaphorisme toutenquilibreeten tension : immortelsetmortels sont unis, vivant lamort de lautre,mort dans la vie de lautre .Nietzsche est attentif auximplicationsdecefragment62,etEuripideluiferacho:Quisaitsivienestpasmort,etmortsontour nest pas considre comme vie aux enfers ? La royaut appartient lenfant. La foudregouvernetoutechose,queHeideggeramisaucentredesonenseignement.Unsurralismecognitifqui

  • dfiequasimentlaparaphrase.Douzemotssuffisentmettreenscneundramecosmique:Lesoleilnedpasserapassesmesures.

    Sinonlesrinyes,ministresdeJustice,saurontledcouvrir.Lacollisionentrelamtriqueuniverselleetlamesure(mtra)etlaJusticeinfernaleinspireralePrologueduFaustdeGoethe.Lacitationestsans doute une paraphrase de Plutarque, mais on y reconnat incontestablement la patte dHraclite :LesmesflairentdanslHads,ellesseserventdeleurodorat.Commelespotes,Hraclitesuitlalangueoelleleconduit,oilestrceptifsonautoritintrieureetautonome,avecuneconfiancedesomnambulemaisuneluciditaigu.Doseseffortsrcurrentspourcaractriserlazonecrpusculaireentrelesommeiletlveil,afinquenoussoyonspartieprenante.Lejourquisefonddanslanuit,lanuitquiengendrelejourdanslasubversiondelalumiremordantedelaMditerrane.Entreladcouvertephilosophique ou scientifique et la forme potique, il ny a pas ici de distinction. Les sources de lapense sont identiques dans les deux cas (poiesis). La posie trahit son daimn quand elle est tropparesseuse ou complaisante pour penser profondment (1 astreindre cher Valry). Lintellectionfaussesontourlamusiquequifaonneenellequandelleoubliequelleestposie.Une source ancienne raconte quHraclite dposa le rouleau qui contenait ses crits dans le temple

    dArtmis phse.Wittgenstein confiequil aurait vouluddier ses Investigationsphilosophiques Dieu. Les points comparables de mthode et de sensibilit sont saisissants. Les deux penseurs sontconstamment conscients de ce qui se trouve au-del du dire rationnel, des titres dumysticisme et dusilencequitoutlafoisabrogentettablissentlalgitimitdumot.NonmoinsquHraclite,lauteurduTractatus parat stremfi de lachvement systmatique.Le fragmentaire disait la pense dans sonmouvement provisoire. Il librait un souffle compact. Le timbre, le ton de leur style est souventapparent. Tout comme la vertu ou linconvnient de ce style dans la gense de laura de mythe,dtranget inspirante qui mane des deux personae. Un retrait, un lan de secret sous-tend leurspropositions:Dieuneservlepasdanslemonde(Tractatus,6.432);Touteconsquenceadvientapriori (5.133) ; Je suismonmonde (Lemicrocosme) (5,63) ; La philosophie nest pas unedoctrinemaisuneactivit(4.112).On retrouve cette conomie oraculaire dans lesdicta heuristiques, plus techniques, deWittgenstein.

    Lesdeuxsagespossdentledonraredetransformerunenigmelogiqueoudesprovocationsdidactiquesenunclairdeposiepure.Lesrosessont-ellesrougesdanslenoir?Leverbervera-t-iluntempsprsent?HracliteetWittgensteinjouentdesjeuxdelangagedanslesquelslasyntaxeetlesconventionsdulangageparlsontcorrigesparcellesdesmathmatiquesetdelamusique.Au459desZettel(Fiches),WittgensteinciteleOnnepeutsebaignerdeuxfoisdanslemmefleuvedHraclite,puis ajoute, au 460 : En un certain sens on ne saurait en user trop prcautionneusement avec leserreursphilosophiques : elles renferment tantdevrit.Exactementcomme lesnigmesdeDelphes.NouspensonsaulegeindHracliteetsescontactsconcevablesaveclEcclsiastequandWittgensteinnoteen1937:Lapenseaussiauntempspourlaboureretuntempspourrentrerlamoisson.Etdurantlestnbresde1944:Sidanslavienoussommesenvironnsparlamort,pareillementdanslasantdelentendementnoussommesenvironnsparlafolie(trad.GrardGranel;cf.lesbouchesdlirantesdHraclite). Trouverait-on mieux accord avec lesprit dHraclite que cette admonestation deWittgensteinen1947:Onnecessedoublierdallerjusquaufondement.Onneposepasassezprofondlespointsdinterrogation?Leproposestclair:enphilosophiecommeenlittrature,lestyleestsubstance.Lamplituderhtorique

    et lacontraction laconiqueoffrentdes imagesetdes lecturesdumondecontrastes.Laponctuationestaussipistmologie.Auseindelaphilosophie,nichelternelletentationdupotique,quonsenfliciteouquonlarejette.Lesnuancesdetensionetdinteractionsontmultiples.Lesaffinitsdelavoixrendent

  • contigusdesdoctrinesapparemmentdisparates.Quandonphilosophe,ilfautdescendredanslantiqueChaosetsetrouverbienl(trad.GrardGranel).Danssescarnetsde1948,Wittgensteintranscrivait-ilunfragmentdHraclitequinenoustaitpasencoreaccessible?SamuelBeckettestunautreminimalistedelimmensit.LeschosdeSpinozaetdeSchopenhauersontfrquents.Unefoisencore,lescroisementsne sont pas ncessairement ceux dune doctrine spcifique. Tout est affaire de rythme, dintonation,dinflexion grammaticale. Les os les plus nus du langage finissent par rsonner. Des mots, souventmonosyllabiques, pressent contre le non-dit. Des conjonctifs et des disjonctifs, formellement vides,prennentunefinalitnormative,monumentale.Turclamaislesoir ; ilvientIldescend: levoici.[]Instantsnuls,toujoursnuls,maisquifontlecompte,quelecompteyest,etlhistoireclose(Findepartie). Ce nest pas unmauvais rsum de la fin de lhistoire selonHegel.Mais voyez cettemarehraclitennedumouvementperptuel,dufluxcosmiquedansLaDernirebande:Nousrestions l,couchs,sansremuer.Mais,sousnous,toutremuait,etnousremuait,doucement,dehautenbas,etdunct lautre.Chez lephilosophecommechez ledramaturge, insondableest leministredu temps :Deloinenloinleseigle,quunsouffledairbalance,jetteetretiresonombre(Parolesetmusique,versionfranaisedeSamuelBeckett).LacosmogonieprsocratiqueestterriblementvivantedanslafollemonodiedeLuckydEnattendantGodot : lacampagne lamontagneetaubordde lameretdescoursetdeauetdefeulairestlemmeetlaterreassavoirlairetlaterreparlesgrandsfroidslairetlaterrefaitspourlespierresparlesgrandsfroidshlasauseptimedeleurreltherlaterrelamerpourlespierresparlesgrandsfondslesgrandsfroidssurmersurterreetdanslesairs,ollisiondelaponctuationproclamedesperceptionsarchaquesde lunissondeslmentsavant les fragmentationsappauvrissantesetdformantesdelalogiqueetdessciences.Terre,air,feueteau,aussiimmdiatspourBeckett quepour lesvisionnaires avantPlaton.DemmequechezHraclite, lesbrivetsdeBeckettsauvegardentleursecretimplosif.Ilsrejettentcettemaniedexplicitation![]Quedespoints!Plusdi!(Catastrophe).CommentHracliteetsesdamnsquiflairentleurchemindanslesenfersauraient-ilschappShakespearequand,supplici,unGloucesteraveuglesevoitsarcastiquementinvitflairersoncheminjusquDouvres?Commeentremtaphysiqueetposie,lairestchargdchos.Maisaussidchecs.Delafrustrationdenepouvoirincarner,communiquerdansetvialelangage,la

    naissance timide, inchoative, du sens. Au mieux entrevoyons-nous cette naissance chez Anaximandre,chezHraclite,danslesdsesprantessincritsdesInvestigationsphilosophiques.Dequels tumultes,de quelles clbrations, mais aussi de quels revers de la conscience a d saccompagner le constatrellementmystrieuxque le langagepeut toutdire, sans jamaispuiser lintgritexistentielledesonrfrent ?QuandBeckett nous invite rater, rater encore ,mais ratermieux , il repre lasynapselaquellesengrnentpenseetposie,doxaetlittrature.Cestledpartquiestdifficile.

    *

    DanssescourssurParmnidedesannes1942-1943,Heidegger insistesurcecommencement,cetteteneurde lapense laube.Les effortsdes diteurs et exgtespour faire lapart dupomeet de lacosmologie chez Parmnide sont anachroniques. Nulle dissociation de ce genre ne tient. PluttqueLehrgedicht, ou posie didactique, Heidegger propose das Sagen, le Dire , la Totalit delnonc:laseulecatgorieappropriecequenouspouvonsfairedelavisionetdelintentiondeParmnide.Nousavonsdumalrendre justicecetteformeparcequenoussommes inaptesallerverslecommencement,remonterenamontolesensasansdoutetrouvsonorigine.LagloseautocratiquedeHeideggerfondesur ledogmescandaleuxmaispassifacile infirmer

  • queseuls legrecancienet lallemandaprsKant sontdousdesmoyensexcutifsde lamtaphysiquemagistraleexerceunefascinationgnomiquequiluiestpropre.Lescontrastesquildveloppe,commeentre lallgorie de Parmnide, lalternance dauto-dvoilement et de retrait dans laltheia (lavrit)grecque,dunepart,laclbrationde1ouverturedanslahuitimedeslgiesdeDuinodeRilke,dautrepart, cristallisentpresquechaque facettedu thmeetde lhistoirede laposiede lapense. Le commentaire de Heidegger est quasiment intraduisible comme lest la posie dont il estentreml:DasHausderGttinistderOrtdererstenAnkunftderdenkendenWanderung,lamaisondelaDesseestlepremierlieudarrivedanslexcursiondelapense.LevoyageverslademeuredeladivinitquimetenmouvementletextedeParmnideistdasHindenkenzumAnfang,lapensequisedirige vers le commencement . La philologie acadmique et la critique textuelle jugent cet idiomeirresponsable.Lesusagesparmnidiensdurythme,desjuxtapositionssymtriquessuggrentunefrisearchaque.Ce

    quilnousfautdbrouiller,soutientKarlReinhardtdanssamonographiesminalede1916,cesont lesrglesdelacompositionarchaque.Dequellesmanires,caractristiquesdesPrsocratiques,Parmnidecondense-t-il la somme de ses arguments dans chaque section apparemment discrte ? Les linamentsmythologiquesdupomenesontpasunvtementouunmasqueausensbaroque.Lemythologiqueincarne,autoriseleseulaccsdirectlinvocationetlarticulationdelabstraitolelangage,avantAristote,napasencorelaborlesmodesclsduneprdicationlogique.MaislesophisteGorgias,dj,compritquelesversdeParmnidesedistinguentparlesmmesalignementsimpratifsquelesmouvementsdelapensequilssefforcentdeverbaliseretdunifier.PourParmnide,lemondenestquelemiroirdemapense:propositiondontlnormitnedevraitjamaisnouschapperpar-dellesmillnaires.Laformepotique devient ainsi la configuration naturelle de la plus radicale, irrsistible,mais aussi trange etpeut-tre contre-intuitive des affirmations : celle de lidentit de la pense et de ltre. Cette identitexistentielleseradterminantedanslagenseetleplerinagedelaconscienceoccidentale.Enunsens,DescartesetHegelsontdesnotesenbasdepage.Pourautantquonlespuissedgager,levocabulaireetla syntaxedeParmnidedonnent force la pense aupoint den faire la voixde ltre.Latmosphredifiante(cautionary)delaproseviendraplustard.Il estdesclairsdeposiedansnos textes fragmentaires. ImitantHomre,Parmnideditde la lune

    quelleerreautourdelaterre,unelumiretrangre.Unautrepassage,mystrieusementprescientdelastrophysique moderne, raconte comment la chaude puissance des astres commena dadvenir ltre . Des savants ont suggr que Parmnide possdait une sensibilit de pote aux connotationspsychologiques et aux associations acoustiques de mots. Dans ladresse la Desse, son recours lambigutetlironiepotiqueestcelledunauthentiquecrivain.Comme Hraclite, Parmnide use doxymores comment ont-ils t dcouverts ? afin de

    dramatiser,dejouer(perform)sathsecentraleduconflitquiconduitlarsolutionharmonique:lesoleilnousaveugle,teignantlesastresetrendantainsileschosesinvisibles.Parmnideparatexprimerlaconsciencedunpote,sonauditiondelapoussenaissanteetdelaprodigalitdulangageavantquilneseraidissedanslusagecourant,utilitaire.lgamment, lessalutationsquiouvrent leParmnidedePlaton font cho la salutation la Desse de Parmnide dans De la nature. Ces gestes portentlempreintedelaube.Enrevanche,ditHeidegger,noussommesdanslAbendland,laterrevespraleducrpuscule.Dunpointdevueformel,Empdocleestleplusfin,leplusmmorabledesdeuxpotes.Salangueest

    la fois archaque et inventive. Lexpression du cycle cosmique exerce une subtile fascinationesthtique;etlestylepotiquedEmpdoclesolennel,formulaire,rptitifethirophantiqueajoutecette forcede sduction (JonathanBarnes).Aristote rapportequEmpdocleavait aussicritde la

  • posiepique.LionienenlevdEmpdocleest truffdenologismesetdetourslocaux.SespithtesprodiguesviennentsouventdHomre.LadetteenversHsiodeestvidente.CertainestouchesdriventsansdoutedePythagoreetdujargonformulairedescultesmystre.EmpdocleaffleureraparmomentschezEschyle,notammentdanslOrestie.Lamatricedeladoctrineestlittraire.LesversphilosophiquesdEmpdocle,notamment sesPurifications, furent dclams Olympie par le rhapsodeClomne.Lapenseestchante.Sendgageuneposiepure:Zeus,lasplendeurblanche.Yeats,aurait-ilconnucetautrevers,lafouletoutcoupmuettedespoissonsquiremontentlarivire?UneterreursurrellemarquelapeinturequebrosseEmpdocledescorpsdchirsmaiserrantsdesmortsetdelaturbulenceduchaos(labuferadeDante).Ilestdeslocutions,observeBarnes,quisuggrentunartistecartsien.Empdocleparledelprouvantebousculadedesimagesetdusavoirdanslesprithumain.Leurpressionestpolymorphique:Carmoi,jefusdjunjourgaronetfille, /Etplanteetoiseauetpoissonmuetdanslesondessales.LarayonnanteAphroditeannuleralesscissionsagonistiques,leshainescruelleset le sang vers qui assombrissent notre monde. travers la potique dEmpdocle, les contrainteslogiquesdelcolelatiquedonnentlesconcettimtaphysiquesetlesintuitionslyriques.Latechniquedesritrationsvariantesasamusicalitdidactique.Do la prsence rcurrente dEmpdocle travers la littrature occidentale. La lgende de son

    suicide,desasandale(dor?)retrouveaubordducratreadonncetteprsenceunstatuticonique.Empdoclerestelephilosophe-poteclbrdanslaposie.Aucundocumentdelamythographiedelapense, aucune reconstruction de ltranget sacrificielle et du caractre part de la crativitintellectuelle ne surpasse les trois versions successives du Tod der Empedokles dHlderlin. Lescommentairesdecetexteimposantformentungenremtapotiqueetmtaphilosophiqueensoi.ChaquepointquejessaiedeclarifierdanscetessaiestexposchezHlderlin.Unecosmologiecyclique,lapertedunphilosophe-roi apportant lharmoniedans les travauxet les joursdeshommes, lapdagogie faiterosyreoiventuneexpressiontoutlafoisintimeetmonumentale.Aucuneautreexgsenapprochedelintelligence par Hlderlin de la transition du rituel et de la magie lthique et au politique chezEmpdocle.Decette interprtationmtamorphiquedesexigencesautodestructrices,presqueinhumainesdelapensespculativepurequandelleenivreetconsumelesfragilescontoursdelaraison.HlderlintaitlepairdeHegelenmatiredethorie,maisilpoussaplusloindansletourbillonduquestionnementet de lexprience de la catastrophe quil anticipe dans son Empdocle. Quelle que soit sa forcecommunicative,lepenseurminententretousestvoulasolitude:Alleinzusein/UndohneGtter,istderTod.treseul,/etsansdieux,voillamort.Mmeltrehumainquenousaimonsleplusnepeutpenseravecnous.Le srieux pdagogique dEmpdocle sur lEtna de Matthew Arnold ne saurait mousser

    compltementladouleurdelautoportrait:

    Beforethesophist-broodhathoverlaidThelastsparkofmansconsciousnesswithwordsErequitethebeingofman,erequitetheworldBedisarrayedoftheirdivinityBeforethesoulloseallhersolemnjoys,Andawebedead,andhopeimpossible,AndsoulsdeepeternalnightcomeonReceiveme,hideme,quenchme,takemehome!

  • AvantquelengeancedessophistesnaittouffDemotsladerniretincelledeconsciencedelhommeAvantqueltrehumain,avantquelemondeNesoientdvtusdeleurdivinitAvantquelmeneperdesesjoiessolennelles,Queleffroinesoitmort,etlespoirimpossible,Etqueviennelanuitprofonde,ternelledelmeRecevez-moi,cachez-moi,dsaltrez-moi,accueillez-moi!

    Ce que nous possdons des divers essais deNietzsche pour composer unEmpdocle ne laisse pasdintriguer, mais conduit aussi directement la figure de Zarathoustra. Marshall McLuhan attirelattention sur linhrence du discours dEmpdocle propos de la double vrit dans les Quatrequatuors de T. S. Eliot. Yeats, Ezra Pound et Joyce voquent lamort ardente dEmpdocle. Elle estprsentechezPrimoLevi,danssonAdoraincerta(uneheureincertaine)de1984.Ces rencontres et permutations littraires stendent aux Prsocratiques dans leur ensemble. La vie

    posthume de Pythagore dans le folklore mathmatique, la thorie musicale, larchitecture et loccultecourt depuis lre hellnistique et Byzance jusqu la scolastique et au temps prsent. Znon et leparadoxe de sa flche immobile font leur entre mtorique dans le Cimetire marin de Valry.LatomismematrialistedeDmocritefaitpartiedupanthondeMarxetdesasoifdunprcdentquilevalide.Descourantsultrieursdelapenseoccidentalesontmanifestes,ft-celtatembryonnaire,dansles

    dclarationslatiques,ioniennes,pythagoriciennesethraclitennes.Potiquesdeboutenboutou,plusprcisment,antrieuresauxdiffrenciationsduversetdelaprose,durcitancrdanslamythologieetdelanalytique.Decettesourcehybrideprocdelatensiondurableentreimageetaxiomedanstoutenotrephilosophie.Lechantdessirnesdelapotiqueetlepotentieldemtaphoresubversivequilcomportehabitent la pense systmatique. Les efforts pour mettre contribution cette subversion, comme chezNietzsche,oula tenirrigoureusementenrespect,commechezSpinozaouKant,sont le legsirrsoluduprodigedelamditationvoixhautequitrouvesonorigine(maiscomment?)avecThals,Anaxagoreetleurssuccesseursinspirs.

    *

    Sansnuldoute,LucrcecherchaunguideenEmpdocle.LesuicidedumageanimelesvocationsdelEtnaaulivreVIduDererumnatura,aveclaflammequislveet jaillitdesvastesfournaisesdelEtna,flammaforasvastisAetnaefornacibusefflet.SantayanametlepomedeLucrcesurlemmeplan que la Commedia et le Faust de Goethe. Il est le locus classicus de notre thme. Mais lesdiffrences avec ces autres sommets sont fondamentales.Lucrce vise une haute vulgarisation desdoctrinescosmologiquesetmoralesdpicure,unexposdesinstructionsdesonmatresurlavieetlamort,mmesilleurimprimeuneinflexionpersonnelle.Biendeschosesnouschappentsansdoutedanscequipourraitfortbientreuneuvreincomplte.QuelesrflexionsdeLucrceet,peut-tre,savisiondumondeclectique, influencepar le stocisme, suiventunlanproprenenestpasmoins clair.Lessourcesde lavisionsontdoubles.Sur lemodepicurien,Lucrceentendaffranchir leshommeset lesfemmes de la servilit lgard des superstitions et de la peur de la mort. Les dieux sont distants,possiblementmortels (Nietzscheconnaissaitce texte). Ilenvadenotremondecommedesdeux,qui

  • doiventcommenceretfinir.Danslemmetemps,Lucrceclbreetchercheexpliquerdemultiplesphnomnesnaturels,lavieorganiquedontilobservesansbroncherlesprodigesetterreursgrouillantesetleurstransformations.Lhymne introductif Vnus, patronne de lengendrement, a retenti au fil des ges.Dans la version

    festivedeDryden:

    Foreverykind,bythyprolifiquemight,Springs,andbeholdstheRegionsofthelight.

    Carchaqueespce,partapuissanceprolifique,Sourdetcontemplelesrgionsdelalumire.

    Les plaines des mers elles-mmes sourient de ce prodige gnrateur : tibi rident aequora ponti.Animsparlamour,dunlanvitalcosmique,lestroupeauxbondissenttraverslesgraspturages,ferae pecudes persultant. En contrepoint ce naturalisme exultant, Lucrce est dou dun sensimplacableduprincipederalit,de lirrmdiableexpositiondeshommesaudsastre.Qui,horsThucydide,asibienrendulapeste?CettevaguedemortdferlantdgyptequiengloutitAthnes,brlant les hommes jusqu la folie.Lucrce souligne les forces de la raison, du diagnostic rationnel.Maisilenfaitvaloirleslimites.Lobservationestglaante:mussabattacitomedicinatimor, telletaitlapeurquellerduisitlesmdecinsausilence.DanslatraductiondeCharlesHubertSisson:

    Thedoctorsmutteredanddidnotknowwhattosay:Theywerefrightenedofsomanyopen,burningeyesTurningtowardsthembecausetheycouldnotsleep.

    Lesdocteursmarmonnaientetnesavaientquedire:IlsseffrayaientdetantdyeuxouvertsetbrlantsTournsverseuxfautedepouvoirdormir.

    LesommeilestinstrumentaldansleDererumnatura.Illibrelespritdutroubleetdelangoisse.quoi bon se tourmenter sil savre ternel aprs le stress de la vie passagre ?Dune formule aussilapidairequunaxiomedeWittgenstein,Lucrceconclutque lamortnesauraittrevcue,elleestinoffensive,horsexistence.Lucrce est le plus latin des potes romains, celui dont loreille et la sensibilit linguistique

    concordent le plus intimement avec le gnie de la langue o elle est lemoins informe, comme chezVirgile,parlexemplegrec.Aucunautrepoteromainnamieuxrendulepoids,lebruitdepascommeceluidunelgionenmarche:

    Ergoanimussiveagrescit,mortaliasignamittit,utidocui,seuflectituramedicina.usqueadeofalsaerationiveravideturresoccurrereeteffugiumpraecludereeuntiancipitquerefutatuconvincerefalsum.

  • Donc,quelmetombemaladeouquellesoitrtablieparlamdecine,ellemanifesteparl,commejelaimontr,soncaractremortel.Tantilestvraiquunefaussedoctrinevienttoujoursseheurterlavrit,quiluibarrelaretraiteet,parunedoublerfutation,laconvaincdesonerreur.(trad.AlfredErnout)

    Cetteimagedelavritcombattantlemauvaisraisonnement,luibarrantlaretraitequandelledcampeetvainquantlerreurparunedoublerfutation,estmartialedeboutenbout.Onentendlefracasdesarmesavec les fricatives, lesret fquiportent lepassageenavant.WalterSavageLandoraainsiqualifi leregistreduDererumnaturadeviril,simple,concentretnergique.Ildfinitlalatinit.Lucrcenousfaitsentirque,danscertainsmouvementsde lapense,duraisonnementabstrait, ilest

    unegravitas,unpoidsmatriel(lapesanteurdeSimoneWeil).Lessyllabes,aveclnergiequeleurdonnentlesconsonnes,lasyntaxedense,parfoisrbarbativeparaissentployer,puisbondirenavantsousle poids de la spculation philosophique. Quand la cadence sacclre, cest celle de la clrit enarmure, dunaccelerandopugnace. Comme celle d enfants en armes, formant des rondes agiles, etchoquantencadencelairaincontrelairain.Nulletraductionnatteintlepoidsmercuriel,sitantestquepareillechoseexiste,deloriginal:

    cumpuericircumpuerumpernicechoreaarmatiinnumerumpulsarentaeribusaera.

    Lucrce, le mot est de I. A. Richards, avait le gnie de 1 interanimation , son uvre potiqueinspirefcondantsesleonsmorales,cognitives,scientifiques,mdicalesetpolitiques,etinversement,dune faon qui sest rvle exemplaire. De nombreux potes aux inclinations philosophiques ouscientifiquesontessayderivaliseravecleDererumnatura.Chaquefoisquelasensibilitspculativeoccidentale incline lathisme,ouvertoumasqu,aumatrialismeet lhumanismestocien,Lucrceesttalismanique.Sonaudacetranquille,lassentimenttonifiantlabrivetetauxafflictionsdelaviequiinspirentsonpropostaientindispensablesauxpomesetdialoguesphilosophiquesdeLeopardi.CommeVoltaire avant lui, le jeune Leopardi reconnut dans le De rerum natura un texte qui, de manireincomparable,forait lesavoirentrerdanslalumiredelaraison.LeLucretiusdeTennysonestunemditationteintedrotisme,cequinestpeut-trepastrscaractristique.Enrevanche,souveraineestsa paraphrase de passages de Lucrce : I saw the flaring atom-stream / And torrents of hermyriaduniverse,jaivulesflotsdatomesembrass/etlestorrentsdesoninnombrableunivers.Aumieux,lesdieuxhantentleclairentre-deuxmondes(hauntthelucidinterspaceofworldandworld).Lheurenestsansdouteplusloigneolhommeprcaire

    Neressembleraplusriensesyeux,Olui,sesespoirsetseshaines,sesmaisonsetsesvans,EtmmesesosdelonguedatecouchsdanslatombeLesflancsmmedelatombe,toutpassera,Sedissipant,atomeetvide,atomeetvide,jamaisdanslinaperu

  • Shallseemnomoreasomethingtohimself,Buthe,hishopesandhates,hishomesandfanesAndevenhisboneslonglaidwithinthegrave,Theverysidesofthegraveitselfshallpass,Vanishing,atomandvoid,atomandvoid,Intotheunseenforever

    Datde1868,lescnariodeTennysonsurleprtendusuicidedeLucrceclaireseseffortsinquietspourconcilierlaconfiancedelhommeaveclespresconflitsscientifiquesettechniquesdesontemps.IlseraitdifficiledamliorerleportraitquelejeuneMarxbrossedeLucrcedanslesprolgomnes

    sonprojetdhistoiredelaphilosophiepicurienneetsceptique:Guerrehroqueomniacontraomnes,autonomieabsolue,laNaturevidedesdieuxetunDieutrangeraumonde.CitantleDererumnatura,I,922-934,Marxnotesonchanthardiettonnant.Untextequiproclamelajouissanceternelledelesprit.Cette rjouissance de lintellect se retrouve dans les longues, mais rarement cites, Notes sur

    LucrcequeLoStrauss inclut dansLeLibralismeantique etmoderne (1968).Dans le pomedeLucrce,pournepasdiredanslpicurismeengnral,lapenseprmoderneparatplusquenullepartailleurs se rapprocher de la pense moderne. Nul penseur prmoderne ne semble avoir t plusprofondment convaincu que Lucrce de la pense que rien de ce qui est aimable nest ternel ousempiternelouimmortel,ouquelternelnestpasaimable.Paraphrasant,Straussjugelesujetsombre,mais le pome lumineux . Lucrce nousmontre que la posie est le lien, ou lamdiation, entrereligion et philosophie . En cho sa propre position exgtique, Strauss observe que le potephilosophe est le parfait mdiateur entre lattachement au monde et lattachement au dtachement dumonde.LajoieouleplaisirquefaitnatrelepomedeLucrceestparconsquentaustre,rappelantleplaisirquefaitnatreluvredeThucydide.Straussreviendraailleurscetteanalogie.SiLucrcemarquelapogedelaposiedelapense,delinstaurationetdelexpospotiques

    dintentions philosophiques systmatiques qui remontent aux Prsocratiques,De rerum natura signaleaussiunpilogueprolong.Quellepopephilosophiqueaboutieluiasuccd?LecasdeDanteestexcessivementcomplexe.Quasiincommensurable,lalittraturesecondairenafait

    quaggraver les choses. Les contributions de Dante la thologie philosophique, lontologie aprsAristote, la thorie politique, lesthtique, aux spculations cosmologiques sont bien entenducapitales.Onnatracedaucunintellectplussubtilniplusconcis,denullepuissancepotiquesuprmedoueduneplusgrandepntrationanalytique,daucunesensibilitquiaitnourripluscrativement lalanguedunevivacitlogiqueetpsychologiquediscipline.Danteestomnivoredansladiversitdesesrfrences philosophiques : le legs dAristote, Snque, les Stociens,Cicron, les Pres de lglise,Averros,ThomasdAquinet, peut-tre, dautres sources islamiques. Il est vaguementpossibleque laCommedia porte les traces de contacts avec desmatriaux hbraques et kabbalistiques accessibles Vrone. Le thomisme de Dante est dune force dassimilation et de reformulation sans gale. Parmoments,Aristote nest pas loin dtre gal Dieu. Pourtant, lusage que faitDante de lastronomieptolmaquedfielorthodoxiearistotlicienne.Etbienquelacausedemeureconteste,laCommediaabien pu flirter avec lamtaphysique hrtique de Siger deBrabant. Bref, ds le noplatonisme de lapremireposierotiqueavecsonjeucomplexedelrosetdelintellect, luvredeDante,enprosecommeenvers,estimmergedanslalangue,souventtechnique,etdanslesdterminantsconceptuelsduphilosophique.DamePhilosophierestatoujourssescts.

  • Dante,onladit,commencerpartienneGilson,envisageaitunemtaphysiquetotalequiincluraitlathologie,dverrouillantainsilessecretsdeltreetdelunivers.Qui,parexemple,dvoileraitpourquoilescieuxtournentdestenouestetrvlentlesoriginesdenotreunivers?Cettephilosophiesouveraineetcettecosmologiemtaphysiquercompenseraientlespeinesdelaraison,demmequelathologiecellesdelafoi.MaisDantesavaitquecettesummasummarumdelintelligiblenestpaslaportedesespritsmortels : Dio lo sa ; che a me pare presuntuoso a giudicare. Dieu le sait, mais il me paratprsomptueuxdenjuger.Unechoseestclaire:dansluvredeDante,cestlathologiequiprside,qui manuvre le discours intellectuel, souvent abstrait, la dialectique morale et les sciences. Leplerinageardudelespritadesmobilesetuncouronnementthologiques.LaphilosophiedelhistoireprodigieusementsavantedeDante,sesdoctrinespolitiques,saphilologiepolyglotte,etmmesesusagesdanaloguesoudesymbolesmathmatiquesetmusicauxsontlesramificationsdunmridienthologique.La porte est immense et, plus dune fois, idiosyncrasique. Mais les contraintes sont celles dunearmatureetduneprescriptionscolastiques,quelquecomprhensionultimequiptsetrouverau-del.AprsDante, lpopehroque, allgoriqueet romantiqueaunehistoiremultiple.Ellevitdans les

    Cantos de Pound, avec des aspirations qui font cho la Divine Comdie. Toutefois, le pomephilosophique dans toute son ampleur, le recours au vers pour professer et exposer une doxamtaphysique se fait rare.Coleridge envisageait prcisment unepareille entreprise avecune ferventersolution.EntendantWordsworthrciterunepartduPrludedanslanuitdu7janvier1807,ilsalua

    AnOrphicsongindeed,Asongdivineofhighandpassionatethoughts.Totheirownmusicchanted!

    Unchantorphiqueenvrit,UnchantdivindepenseshautesetpassionnesChantessurleurpropremusique!

    Ici brillait la lumire de Penses bien trop profondes pour les mots ! La chose paraissaitconvaincanteColeridge!Achevs,RecluseetExcursiondeWordsworthraliseraientcette fusionduchant et de la philosophie, du rhapsodique et du cognitif que lemythe avait attribue la rvlationorphique. Mais la notion de philosophie implicite dans le pangyrique de Coleridge est diffuse etmtaphorique.Ellesattardesurlaconscienceintrospectivepluttquesurlapensesystmatique.Les dernires popes eschatologiques de Victor Hugo ne sont gure lues. Sil est une exception,

    souventignore,cestcelledelEssaisurlhommedePope,desannes1732-1733.Silhommenavaitpas un temprament philosophique, de manire intressante il devina quelque chose de la staturedAblard.LEssaisenourritdeNewtonetdeBolingbroke,peut-tredeLeibniz,commeLucrcestaitnourri dpicure. Formellement, la dette envers lesptres dHorace nest pasmasque.Mais le tonincisifetquilibrdeshroquescoupletsdePopeprteuneautorit lthiqueprovidentielleet lacosmologiequilexpose:

    HeavnfromallcreatureshidesthebookofFate,Allbutthepageprescribd,theirpresentstate:Frombruteswhatmen,frommenwhatspiritsknow:

  • Orwhocouldsufferbeingherebelow?Thelambthyriotdoomstobleedto-day,Hadhethyreason,wouldheskipandplay?Pleasdtothelast,hecropstheflowryfood,Andlicksthehandjustraisdtoshedhisblood.Ohblindnesstothefuture!kindlygivn,Thateachmayfillthecirclemarkdbyheavn:Whoseeswithequaleye,asGodofall,Aheroperish,orasparrowfall,Atomsorsystemsintoruinhurld,Andnowabubbleburst,andnowaworld.

    LecielcachetouteslescratureslelivreduDestin,Horslapageprescrite,celledeleurtatprsent;Auxbtescequeleshommes,lhommecequesavent

    lesesprits:Autrementquipourraitici-bassouffrirsonexistence?TavoluptcondamneaujourdhuilAgneaulamort;Silavaittaraison,bondirait-il,jouerait-il?Contentjusqulafin,ilbroutelepturagefleuri,Etlchelamainquislvepourrpandresonsang.ccitdelavenir!charitablementdonne,QuechacunemplisselecerclequeleCielamarqu;Dieudetous,ilvoitdunilgalUnhrosprir,unpassereautomber;Lesatomesousystmesseffondrer,Unebulledeauclater,etmaintenantunmonde.

    ObservezlatransitiondulivreduDestinlapageprescrite,lallusionvoileHamletetauxvangilesdanslachutedumoineau,etlexactedichotomiedesatomesetdessystmes.Kant,quinavaitriendunjugefacile,admiraitlEssaidePopepoursonmessagephilosophiqueetsonconomiepotique.

    1Cf.GeorgeSteiner,OnDifficultyandOtherEssays,NewYork,Oxford,OxfordUniversityPress,1978,inditenfranais.

  • 3Une fois encore, comme pour Dante, la littrature secondaire est gigantesque. Lindustrie descommentairesdePlaton,etdescommentaires,souventpolmiques,decescommentairesestsansfin.Lesbibliographies forment des volumes part entire. Dans cette sempiternelle mare, semble pourtantsubsisterunvidecentral.Ltudedugnie littrairedePlaton,desasuprmatiededramaturge,etdesfaons dont ce gnie et cette suprmatie engendrent ncessairement la substance de ses enseignementsmtaphysiques,pistmologiques,politiquesetesthtiques.LestudesconsacreslinitiationdePlatonet ses usages du mythe ne manquent pas. Par intermittence, on a essay de suivre le jeu despersonnages dans les dialogues. Plus rarement, on sest aperu de la prsence dun personnagehistoriqueoudunautredanslesconversations:Critias,parexemple,dansleTime.Noustrouvonsdesobservations aigus,mais parses, dans le travail pionnier deKenneth Burke sur la rhtorique desmotifs . Le vocabulaire, la syntaxe, les tours heuristiques et oratoires de la prose de Platon ont tminutieusementdissqus.MalgrleMimesisdeLidiaPalumbo,quisepenchesurlethtreetlemondedanslesdialogues

    (2008), manque une analyse adquate de lincomparable dramaturgie de Platon, de son invention depersonnagesetdesamaniredelesplacerquirivalisentaveccellesdeShakespeare,MolireouIbsen.Ilexistedes recherches ingnieusessur lescnariodespremires lignesdans lesgrandsdialogues,maisaucunexamencritiquesystmatiquedelafaondontlecadreurbainourural,privoupublic,lamiseenscneinitientetinspirentlarhtoriquequisuit.Jeneconnaisdexamencompletdurledesentresetdessorties dans les dialogues lors mme que les dplacements y sont aussi dterminants que dans toutegrandepice.LercitquefaitPlatondujugementetdelamortdeSocrateestdelonguedateconsidr,demmeque

    leGolgotha,commeunarchtypedelartetdelasensibilittragiquesdelOccidentintoto.NoussavonsquePlatoncommenaparcriredestragdies.Certainsdialogues,dontleBanquetetlePhdre,onttmonts. La mise en musique de La Mort de Socrate dric Satie est cristalline. En revanche, nousnavonspasderecherchelittraire,etsolidedunpointdevuephilosophique,surlesmultiplesvoiesparlesquelleslapenseplatonicienneetleplatonismesontluvreduncrivain,dunesensibilitetdunetechniquedramatiquesquinelecdentpersonnedanslaveinetragiqueet,plusrarement,comiqueouironique.ManqueuneanalysefouilledemoyenslittrairescomplexescommelesnarrationsdePlaton,du postulat dlibrment contre-raliste dun long colloque rapport demmoire par un tmoin ou unparticipantou,unetripledistance,parunhommequilundesparticipantslavaitracont(manuvredetriplealination,auraitditBrecht).Ilnousfautconsidrerladramaturgiedesabsences:celledePlatonlheuredelamortdesonmatre,celledeSocratesilnestpasltrangerathnien!dudernieretduplusvolumineuxdialoguedeSocrate,lesLois.Danscetessai,jemefforcedclairerdansquellemesuretoutephilosophieeststyle.Endehorsdela

    logiqueformelle,aucunepropositionphilosophiquenestdissociabledesesmoyensetdesoncontextesmantiques. CommeCicron sen aperut propos de ses sources grecques, elle nest pas non plusentirement traduisible. O la philosophie brle duniversalit abstraite, comme dans le moregeometricumdeSpinozaoudanslpistmologiedeFrege,lestensionsetfrustrationsquienrsultentneprtentpasaudoute.Cenestpasseulementquetoutelaphilosophieoccidentalenestquunenoteenbasdepage luvredePlaton,pourreprendrelemotdeWhitehead.Cestaussiquelesdialogueset les

  • lettresdePlaton sontdes actes littrairesperformatifsdune richesse etdune complication suprmes.Danssestextes,sincarne,prendcorpsbodiedforth,commedisaitShakespeare,unepenseabstraite et spculative dune extrme complexit. Les offensives et contre-offensives intellectuellessexprimentdans leregistredudrame.Ilestdesoccasionso laDivineComdie, leSecondFaustouUlysse, dans le dbat inspir autour dHamlet, parviennent une telle incarnation. Nous avonsDostoevskietsaparabolethologico-mtaphysiqueduGrandInquisiteurainsiquelesallgoriesdeKafka.Mais aucun de ces exemples capitaux, lexception possible de Dante, natteint le champ, ladiversitetlesimmdiatetsduthtredelespritdePlaton.Beaucoupdemeurenigmatiquedans la capacitde la littrature,desmotsoudesphrasesorauxou

    crits de crer, de nous communiquer, de rendre des personnages inoubliables. Des personnagesautrement plus complexes, aimables ou hassables, consolateurs oumenaants que limmensemajoritdes vivants. Des personae auxquelles nous pouvons identifier nos petites personnes et qui durentparadoxerayonnantquiscandalisaitFlaubertbienau-delde laduredeviede lcrivainetdulecteur.Quelle imitatio de la cration divine ou organique, quelle technique vivifiante rend possiblelengendrementetladurabilitdunUlysse,duneEmmaBovary,dunSherlockHolmesouduneMollyBloom?Riendeplusquedesgriffuressurunepage,objectaitSartre,cequiestlafoisirrcusableetrisiblementinsuffisant.Nonmoinsque laqutedu Jsushistorique, celleduvraiSocratedemeurepeuconcluante,

    voirefactice.NousnesavonspasninesaurionssavoiraveclamoindreassurancequoiressemblaitleSocrate vivant ni ce quil enseignait. Des savants inclinent penser quil ressemblait sans doute aumoralisteetlconomisteunbrinprosaqueetdomestiququedpeintXnophon.QuelleestlapartdereportageauthentiquecachdansleportraitsatiriquequAristophanefaitdeSocratedansLesNues?Maisvoicimonintuitionsansreproche(blameless,pourreprendrelpithteindulgentedeQuine):leSocratedePlatonestuneconstructiondramaturgiqueetlittrairequineressembleaucuneautre.NiHamletniFaust,niDonQuichotteni lecapitaineAhabnesurpassent laprodigalitpsychologique, lescaractristiques physiques et mentales, la prsence relle du Socrate anim dune vie quasimentinsatiabledanslesdialogues.OungalenttoutfaitlepathtiquemtindironieduprocsetdelamortdeSocratetelsquePlatonlesaenrichis,composs,inventsnousnensavonstoutsimplementrien.Quiplusest,nulautrepersonnagedenotrepatrimoinenepeutrivaliseraveclesprofondeurscognitivesetlurgencethiquemanifestesdanslemontagedePlatonsilsagitbiendecela.Hamlet,Faust,lenarrateur de Proust : autant de prsences intellectuelles dune stature capitale. Comme le Virgile deDante.AliochaKaramazov rayonne de provocationmorale.Maismme cesdramatis personae ne sehissentpaslahauteurdesdimensionsphilosophico-moralesduSocratedePlatondesdimensionsquicontraignent une si large part de la conscience et du questionnement apparus dans leur sillage. Il mesemblequilnyapaseuplusgrandforgeurdemotsquePlaton.LafameusequerelledePlatonaveclespotesetlaposieunequerelleanticipeparHraclite,on

    lavu,maisaussinotablechezXnophaneetdanslacritiquedHomreparHsiodeenestdautantplusfascinanteetcentrale,pournotrethme.Platon,quiavaitcomposdestragdiesdanssajeunesseetqui, au livre X de la Rpublique, confesse combien il lui est pnible daffranchir son esprit desenchantementsdelapotique.Leverdictnenestpasmoinsvigoureux:danslapolispossibleouidale,onnesauraitautoriserquuneposiedidactiqueouciviquementornementale. Il fallaitenproscrire lesbardeset rhapsodesprgrinsquiavaient jouunrlesimarquantdans lediscoursgrecnaissantet lapaideia.Unefoisdeplus,lecorpusducommentaireaprisuneampleurdmesureetcontribuelargementobscurcirunproblmedjcomplexe,peut-treambigu.Chaquefoisquesontauxpriseslaphilosophieetlalittrature,pointentdeslmentsdelapolmique

  • platonicienne. On en trouve des chos au fil des sicles dans les condamnations ecclsiastiques desspectaclessurlesplanchesetdescritslicencieux.EtcestaussilidalplatonicienquifaonnelamiseenaccusationdesthtresparRousseau.Quisous-tendliconoclasmefoncierdeTolsto.Ilestimplicitedans la lecture freudienne de la posie comme rvasserie infantile quil convient de dpasser par unaccs cognitif et adulte la connaissance positive et au principe de ralit . Plus lourde deconsquences encore est lide draconienne de Platon quun art et une littrature non censurs, unemusicalit non gouverne sont par nature anarchiques, sapent les devoirs pdagogiques, la cohrenceidologique et la gouvernance de ltat. Expose avec une svrit glaante dans les Lois, cetteconviction a engendr de nombreux programmes de contrle de la pense et de censureinquisitoriale,puritaine,jacobine,fascisteoulniniste.Lepoteouleromanciersansentravesstimuleet illustre les irresponsabilits rebellesde limagination. Il est toujoursgauchedusentimentofficiel.Danslconomie, toujourssouspression,desmoyensetobligationsciviques, lesthtiquepeuttreunesource de gaspillage et de subversion.De ce point de vue, Platon fait pire que rpudier la socitouverte(lafameuseaccusationdeKarlPopper):ilrpudielespritouvert.Ilcherchedisciplinerledmonsensuel, turbulent,quiestennous,etdont lepotentielcontrastefortementavec ledaimnde lajusticechezSocrate.Leproblmee