Poirier, C, - Le « renouveau » du cinéma québécois

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    LE RENOUVEAU DU CINMA QUBCOISChristian PoirierP.U.F. | Cits

    2005/3 - n23

    pages 165 182

    ISSN 1299-5495

    Article disponible en ligne l'adresse:

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-cites-2005-3-page-165.htm

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    Pour citer cet article :

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Poirier Christian, Le renouveau du cinma qubcois,

    Cits, 2005/3 n23, p. 165-182. DOI : 10.3917/cite.023.0165

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    Le renouveau du cinma qubcoisCHRISTIAN POIRIER

    On parle beaucoup du cinma qubcois depuis quelque temps. Desproductions rcentes telles que Sraphin, de Charles Binam, La grandesduction, de Jean-Franois Pouliot, Gaz bar blues, de Louis Blanger, ouLes invasions barbares, de Denys Arcand ont connu, tant au Qubec qultranger, un vif succs auprs du public et de la critique. On sait cepen-dant peu de chose sur le contenu proprement dit des films. Quelles sont,globalement et historiquement, les images de la socit qubcoise quisont vhicules par le cinma ? Dans cet article, nous proposonsdexaminer les reprsentations de lidentit au sein de limaginairefilmique qubcois1. Il sagit de voir comment la question identitaire estpose ou sexprime. Il sagit de voir aussi comment cette question devientun problme formul par des locuteurs qui, dans leurs dialogues ourflexions, retravaillent lidentit qubcoise.

    Sur le plan thorique, nous mobilisons les principaux outils duneanalyse hermneutique dveloppe par Paul Ricur grce ses notionscentrales didentit narrative et de rcit2. Lidentit est ainsi conceptualise

    comme une mise en rcit au sein de laquelle la socit labore sa mmoire

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    Le renouveau du cinma qubcoisCh. Poirier

    Cits 23, Paris, PUF, 2005

    1. Pour une analyse plus dtaille, on consultera Christian Poirier, Le cinma qubcois. larecherche dune identit ?, t. 1 : Limaginaire filmique; t. 2 : Les politiques cinmatographiques,Qubec, Presses de lUniversit du Qubec, 2004. Notre recherche a bnfici du soutien financierdu Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSHC).

    2. Paul Ricur, Temps et rcit, t. 1 : Lintrigue et le rcit historique, Paris, Le Seuil, 1983 ;Temps et rcit, t. 2 : La configuration dans le rcit de fiction, Paris, Le Seuil, 1985 ; Temps et rcit,t. 3 : Le temps racont, Paris, Le Seuil, 1985.

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    collective, articule ses thmatiques majeures au sein dun certain nombredhorizons discursifs et construit ses projets davenir. La dimension narra-tive de lidentit fait ici rfrence deux lments centraux : la continuittemporelle (ce que nous sommes aujourdhui dpend en partie de ce quenous avons t et de ce que nous projetons dtre) et la capacit de seraconter, de faire rcit.

    Nous avons, dans notre corpus filmique, cern la prsence de deuxrcits identitaires principaux : un rcit de l empchement dtre , soitun rcit du manque et du vide, un rcit tragique o lessence identitaireest recherche par une fermeture la question ouverte pose parlidentit ; et un rcit alternatif, celui de l enchantement dtre , sortede rcit de laccomplissement et de lambivalence positivement assume et

    permettant darticuler une figure diversifie de lidentit intgrant demultiples rfrences ainsi quune reprsentation plus positive du pass. Cedeuxime rcit se pose en rupture par rapport au premier. Au cours desdernires annes, il a gagn en importance sur le rcit mlancolique, maissans le remplacer ni le marginaliser. Cest ainsi que lon peut constater,parfois chez un mme cinaste, un va-et-vient constant entre une identitconue comme une essence associe un rcit nostalgique, avort oumenac du destin collectif, et une identit dcouvrant une valeur positive lambigut fondamentale et la multiplicit des appartenances desQubcois. Il semble en fait que la richesse et loriginalit du cinmaqubcois tiennent prcisment la tension qui existe entre ces deuxtrames narratives parcourant la cinmatographie qubcoise.

    LE RCIT DE LEMPCHEMENT DTRE

    Certains des traits majeurs de limaginaire filmique qubcois sont djprsents ds les dbuts du cinma qubcois. Dans Un homme et son pch,de Paul Gury (1948), et dans Tit-Coq, de Ren Delacroix et GratienGlinas (1952), on retrouve des individus qui, anims dune volont dervolte et dindpendance, subissent lhistoire au lieu de la faire et sonttotalement coups du pass, sans filiation. Lorphelin Tit-Coq est cetgard exemplaire. Les figures dautorit ne sont pas des adjuvants laccomplissement des personnages, que ce soit la religion, la politique outout autre rfrent. De faon gnrale, les films prsentent une socit endissolution. Cest particulirement le cas dans La petite Aurore lenfant

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    martyre, de Jean-Yves Bigras (1951), alors quAurore, victime par excel-lence, est martyrise et brutalise mort par la nouvelle femme de sonpre. Aurore est la recherche dune identit. Son pass a disparu avec samre assassine et aucun modle ne peut lui venir en aide. Elle voudraitprendre la parole, mais on lui interdit de le faire.

    Avec la Rvolution tranquille, moment de renouveau culturel, cono-mique et politique au Qubec, on aurait pu sattendre une rgnrationdes topiques identitaires prsents dans les films. Loin sen faut. Le corpusfilmique montre plutt une socit qui hsite se lancer de faon dcidevers lavenir. Lide de stagnation individuelle et collective est sans cessebrasse. Dans tout prendre (Claude Jutra, 1963), Claude, 28 ans, aplusieurs personnages en lui dont il voudrait se dbarrasser. Cela dit, il ne

    sait par o commencer et ignore tout autant comment se (re)dfinir.Claude est blas : Je suis seul et je ne fais rien dimportant ; Je suis unmort-vivant . Le personnage du film est prsent comme nayant pas depass et comme tant sans dsir davenir. Il a des rapports distancis avecsa mre et nentretient aucune relation avec son pre. Notre prison nenous quitte pas, dit-il, elle se dplace autour de nous . Lincertitude deson identit sociale et de son identit sexuelle provoque des checs dansses relations avec les femmes. La politique nest pas non plus une solution.Il sexile finalement en Afrique.

    Le besoin de changement en profondeur des structures sociales etlincapacit identifier les chemins adquats pour provoquer ce change-ment sont galement illustrs dans Le chat dans le sac, de Gilles Groulx(1964). Pour Claude, lincertitude sentimentale reflte lindcisioncollective : Je mappelle Claude et jai 23 ans. Je suis Canadien fran-ais, donc je me cherche. Son amie Barbara lui dit : Toi tu nexistespas, tu es comme un mort-vivant. Au rdacteur dun journal qui luiaffirme que cest plutt laction qui donne les ides et fournit la compr-hension, Claude signe et persiste dans son pessimisme : On estcondamn, nous les Qubcois, vivre en de de nous-mmes. Le

    film montre tout ce que des individus voudraient exprimer mais quilstaisent. Aurore lenfant martyre nest pas loin. Claude se pose en faitcomme une victime : Tu peux difficilement exister quand les moyensdagir ne te sont pas offerts ou quand tes oblig de les crer toi-mme. Les propos de Gilles Groulx nous permettent de mieux comprendre seschoix narratifs : Pour la mise en scne des situations, jai particulire-ment recherch la platitude du quotidien que je considre comme tant

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    un tat gnralis des francophones du Qubec, une vie sans issue,minable, qui tourne en rond. 1

    La mme reprsentation mlancolique est reprable dans Le rvolution-naire, de Jean-Pierre Lefebvre (1965). Un sentiment de culpabilit et dehonte face lhistoire de la collectivit qubcoise est exprim par dejeunes intellectuels : Mais hlas notre histoire est bien courte et aussi peuvarie que notre cuisine. Le film Entre la mer et leau douce, de MichelBrault (1967), rsume dans son titre mme les hsitations de cette gnra-tion. Les films de cette priode montrent bien que la socit qubcoise sesitue entre le vide laiss derrire la Rvolution tranquille a, en effet,prestement dilapid lhritage qui la prcdait, celui-ci tant associ lide dune grande noirceur collective et langoisse du premier pas

    vers lavenir socialiste et indpendantiste. De plus, cest comme si ladialectique entre soi-mme et lautre2 tait ramene au soi bref, lle seposant distance des autres terres, sorte de paradis originel dans sonessence retrouver par les voix(es) de la camra. Le sentiment de victimedevient en consquence prpondrant. Oublier sa condition de victimesignifie se donner une fausse conscience de soi. Comme si, en dehors de lasouffrance qui correspond la vraie ralit des Qubcois , ceux-cicessaient dexister. Dans ces films appartenant rsolument limaginairetragique, le contrat social qubcois est bas sur le partage de souffrances.Cette victimisation est troitement associe une reprsentation mlanco-lique et nostalgique de la nation et de lessence identitaire qubcoise.

    Dans On est loin du soleil, de Jacques Leduc (1970), une famille estrunie par la mort de la plus jeune enfant (il ny a, dans lhistoire de cefilm, pas davenir possible, ni pour lindividu ni pour la collectivit). Ida-lement, le ralisateur aurait dailleurs souhait filmer vingt-quatre heuresde la vie dun homme qui il narrive rien. 3 Pour Leduc, si cette socitna pas dhistoire raconter (puisque son Histoire reste faire), la formecinmatographique doit en tre le reflet. La maudite galette, de DenysArcand (1971), prsente une autre remise en question radicale de la

    communaut alors que les membres de la famille Soucy sentretuent. Denombreux autres films se situent dans le mme horizon smiotique pensons Rjeanne Padovani, de Denys Arcand (1972), Les colombes,

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    1. Gilles Groulx, Objectif, 35, mai-juin 1966, p. 12.2. Paul Ricur, Soi-mme comme un autre, Paris, Le Seuil, 1990.3. Jacques Camerlain, Entretien avec Jacques Leduc , Squences, 73, juillet 1973, p. 6.

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    de Jean-Claude Lord (1972), O.K. La libert, de Marcel Carrire (1973),et Taureau, de Clment Perron (1973).

    Les cinastes ont affirm, au moment de la Rvolution tranquille, queles Qubcois pourraient enfin explorer et dvelopper leur propre imagi-naire et leur propre mythologie, loin des emprunts franais, amricainsou religieux. Or cet imaginaire que lon labore effectivement est celui dumanque, du vide, du dsarroi et de lchec. Il tait une fois dans lest, filmdAndr Brassard ralis en 1973 partir dun scnario de Michel Trem-blay, est une vive illustration de cette tendance. Le film raconte lhistoiredun monde o lhorizon commun de signification est pratiquementinexistant. Les propos suivants de Tremblay illustrent bien lide derrirele scnario : Je voulais donner une image du cinma qubcois comme

    mon pre en avait une du cinma franais, quand jtais petit. Mon predisait : Ah ! cest une vue franaise, donc on va voir une femme en bras-sire ! Lquivalent de la femme en brassire, pour nous, cest le salonmortuaire. 1 Dans cette vision mlancolique des pratiques populaires,perues travers le paradigme de lalination et du complexe du colonis,se trouve lune des cls de comprhension de labme qui a souvent sparles cinastes de la population qubcoise. Les premiers postulent en effetque la multiplicit des ancrages identitaires des Qubcois qui nourris-sent une faon trs ambivalente de se reprsenter sont des masques qui

    cachent la vritable nature de lidentit qubcoise et que ces ancragesmultiples ne sont nullement lexpression, pour le groupement, dunemanire positive dtre.

    Le film de Pierre Perrault, Un pays sans bon sens ou wake up, mes bonsamis !!! (1970), se veut rien de moins quune injonction faite au peuplequbcois pour la qute de son essence... perdue dans lalination histo-rique de soi. Le titre du film est trs rvlateur des intentions du cinaste.Dans la lunette de Perrault, le Qubec na, en effet, littralement pas desens, cest--dire quil na pas qu un sens (en termes didentit) et quil

    ne chemine pas davantage vers une direction (lindpendance)conforme ses fondements originels. Perrault fait le constat ngatifpour lui de lhtrognit intrinsque de la collectivit qubcoise : lafois qubcoise, canadienne, nord-amricaine, britannique et franaise,simultanment nationaliste et fdraliste, en mme temps sociale-

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    1. Lo Bonneville, Entretien avec Andr Brassard et Michel Tremblay , Squences, 88,avril 1977, p. 14.

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    dmocrate et capitaliste, et lon en passe. On ne peut, selon le cinaste,tre attach son village natal ou soutenir lide de la souverainet duQubec tout en consommant, par exemple, des produits culturels amri-cains. Perrault incite en consquence ses concitoyens sortir de leurtorpeur et de leur fausse conscience alinante. Ce faisant, et paradoxale-ment, il reproduit le mme type dopration que celui auquel se livrent lesfdralistes purs et durs qui, plein de bonnes intentions, bien sr, veulentapporter une rponse tranche la question qubcoise en emmenantle groupement du ct de lidal canadien. Pour Perrault comme pour cesfdralistes, lambivalence ou la polyvalence identitaires sont dembleposes comme problmatiques.

    Le rcit du manque identitaire et de l empchement dtre

    atteint, entre 1975 et 1986, un degr particulirement lev dintensitcinmatographique. Les personnages sont seuls et ont des relationstendues, tordues ou nulles et non avenues avec leurs parents. Cesderniers sont dailleurs souvent spars, ce qui fait que la communicationentre les gnrations est difficile. Les couples nont pas de vie sociale, leshommes sont incomptents et les groupes sociaux ainsi que les politiquesne sont pas perus comme des outils de transformation de la ralit.Lavenir est ailleurs, en Floride ou en Californie. Le cinma qui simposealors orbite autour des topiques du prsent et de la vie monotone etquotidienne qui est sans pass et na ni futur. Labsence du pre, laprsence de plusieurs orphelins, les suicides ou les exils dmontrent, chezles cinastes tout au moins, une crise identitaire aigu qui est lie unecassure de la continuit temporelle. Des films comme Bulldozer, dePierre Harel (1974), ou encore Gina, de Denys Arcand (1975),sont particulirement illustratifs de ce rgime cinmatographique dontlorientation est ainsi justifie par Jean-Pierre Lefebvre : Nous sommesdes Qubcois, nous avons film des Qubcois et le Qubec. Etnous nous sommes rendu compte que, dans les rves de notre peuple, ily avait beaucoup de cauchemars. Il est donc vrai, rgle gnrale, que

    notre dramaturgie a toujours oscill du ct de la tragdie. NotreHistoire en est une. 1 Mme son de cloche chez un critique qui, propos du film Un royaume vous attend, de Pierre Perrault et BernardGosselin (1976), dclare : Ce film, nous laimons dans la mesure o il

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    1. Jean-Pierre Lefebvre, CECO (6) moi, messieurs les dputs, deux mots ! , CinmaQubec, no 45, mai 1976, p. 10.

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    dnonce notre histoire, dans la mesure o il est limage du Qubec.Image de lchec. 1

    Le thme de la fin des rves est galement mis en scne dans Le dernierglacier, de Jacques Leduc et Roger Frappier (1984), tandis quun videidentitaire extrme est illustr dans La femme de lhtel, de La Pool(1984), film o les causes du malaise dcrit sur la pellicule sont difficile-ment identifiables. Si bien quaucun travail sur soi ou deuil nest possible.Dans La cuisine rouge (1979), Paule Baillargeon et Frdrique Collinexposent lincommunicabilit et lignorance rciproque entre les universmasculin et fminin : les femmes sont condamnes la cuisine et leshommes la taverne. Les rapports hommes/femmes sont galement trsproblmatiques dans Cruising Bar, de Robert Mnard (1989), ou encore

    dans Le sphinx, de Louis Saa (1995). Dans Voyage en Amrique avec uncheval emprunt, de Jean Chabot (1987), le Qubec est un pays quisenfonce tranquillement dans le silence, loubli et la rouille. La fluidit etla mouvance constante des repres identitaires provoquent, chez lecinaste, un sentiment dangoisse et de quasi-certitude de la disparitionprochaine des Qubcois. Une perte didentit similaire, lie lchec durve indpendantiste, est reprable dans Trois pommes ct du sommeil,de Jacques Leduc (1988).

    La dislocation des temporalits et le vide identitaire sont au cur duDclin de lempire amricain, de Denys Arcand (1986). Que raconte lefilm qubcois le plus connu lchelle internationale ? Rien dautre quelclatement de la communaut. Ce film porte en effet sur le dclin de lasocit occidentale, mais surtout sur la dchance des intellectuels qub-cois et de la gnration du baby-boom. Dans lhistoire raconte parArcand, le Qubec apparat sans avenir ni pass, centr sur un prsenthdoniste et la seule certitude du court terme. Le film dArcand fait toute-fois la dmonstration de limportance dviter deux attitudes identitairesopposes : dune part, le retour perptuel sur Soi dans la mise en valeur adnauseam de ses traits distinctifs et particularisants ; dautre part, la dissolu-

    tion dans lAutre ou dans le Tout, sorte dexil identitaire vers le Nowhere.Pour Arcand, ces deux chemins identitaires reprsentent deux tentativesde fixer ou de dissoudre lidentit qubcoise.

    Labsence davenir est galement au cur de Sonatine, de MichelineLanctt (1983). Ici, deux adolescentes dlaisses par leurs parents et par

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    1. Lo Bonneville, Entretien avec Pierre Perrault , Squences, 111, janvier 1983, p. 7.

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    la socit se suicident dans lindiffrence gnrale. Dans Eldorado, deCharles Binam (1995), on retrouve aussi le portrait de jeunes sansavenir de mme que limage dun dsarroi urbain marqu par labsencede schmas communautaires et de repres sociaux. Eldorado est reprsen-tatif de cet tat mlancolique qui frappe le sujet moderne qubcois.Limpression de vide et un profond sentiment de fatigue sont des traitscaractristiques des personnages de ce film : Je voudrais oublier monnom, dit lun deux, devenir comme une roche, ne plus avoir de nom. Si la frustration des personnages des films qubcois des annes 1960-1970 tait lie labsence de ralisation de lindpendance et du socia-lisme, les causes du malaise identitaire sont, dans Eldorado, nettementplus difficiles cerner. On est fatigu mais on ne sait pas pourquoi

    (Loulou : Chus tanne ; Marc : Tanne de quoi ? ; Loulou : Je lesais pas ). Les personnages ne savent tout simplement plus vivre ensocit. Ces jeunes pensent rgulirement au suicide (un ami de Ritasest suicid et elle-mme a tent de le faire plusieurs reprises) ounoient leur solitude dans leuphorie de la drogue, de lalcool et du sexerapidement consomm.

    Dans Un 32 aot sur Terre (1998), Denis Villeneuve met en scneSimone Prvost, une jeune femme de 26 ans dont la mre et le pre sontabsents. Le titre mme du film fait rfrence un temps incertain et ladisparition des repres temporels traditionnels. Philippe, lami de Simone,a limpression de se dsintgrer. Le film met galement laccent sur deslieux anonymes (route, clinique, avion, htel, dsert) qui vident litt-ralement les tres de leur contenu. Lhsitation de Philippe provoque saperte (il se fait attaquer dans le centre-ville de Montral et sombre dans lecoma). La chanson du gnrique conclut : Quand je regarde loin, aufond de moi / Je ne comprends plus rien. Nous sommes ici en prsencede personnages littralement avorts. Le terme avort illustre bien unetendance dominante de ce rcit filmique qui se traduit symboliquementpar une quantit impressionnante davortements effectus par les person-

    nages qubcois. Un film rcent comme Maelstrm, de Denis Villeneuve(2000), en est une bonne illustration qui combine, dans une ode particu-lirement russie la tragdie de la vie, un avortement, plusieurs tenta-tives de suicide, un dcs et un exil.

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    LE RCIT DE LENCHANTEMENT DTRE

    La vie heureuse de Lopold Z., du cinaste Gilles Carle (1965), prsenteun contraste frappant avec le rcit de lclatement identitaire ngatif. Onne retrouve chez Carle aucune volont de dcouvrir une quelconque essence identitaire qubcoise. Au contraire, ses films sont tous descoups de projecteur ports sur plusieurs aspects dune identit compositeassocie des appartenances multiples. Le personnage principal, Lopold,ne renie pas sa filiation typiquement canadienne-franaise. Il parle un trsbon franais, reprend son compte le rve amricain et montre firementses influences britanniques. Le cinaste constate que le regard quil portesur la ralit populaire qui lentoure lui apparat en contradiction fonda-mentale avec la fatigue culturelle exprime par certains interprtes dela socit qubcoise. Dans La vraie nature de Bernadette, du mmecinaste (1972), la multiplicit, lhtrognit et lambivalence sontposes comme constituant le cur de lidentit qubcoise. Gilles Carle seprononce dailleurs sans ambigut (!) sur cette question : Mais on pour-rait aussi se demander ce quest la vraie nature de Thomas, la vraienature de Roch. Cest quau fond elle nexiste pas, cette vraie nature, ettout ce que lon peut saisir cest le cheminement vers ; cest le mouve-ment, la dynamique plutt que la fixit. On parle toujours du juste

    milieu, mais le juste milieu nexiste pas, cest une tension entre les choses.Et cest au milieu de cette tension que jaime me situer. 1

    Le film de Claude Jutra, Mon oncle Antoine(1971), constitue une vri-table dmonstration de labsence de fondement lidentit qubcoise. Lesujet qubcois y est prsent comme devenant adulte. Ne sidentifiantnullement aux modles identitaires qui lui sont proposs, Benot doit secomposer une identit au sein dun espace vid dintersubjectivit. Ilentreprend de construire son identit grce aux lments et appartenancesquil ira puiser o il voudra. Ici, nulle essence retrouver ou recon-qurir. Un autre film, Le temps dune chasse, de Francis Mankiewicz(1972), montre aussi le passage de lenfance lge adulte et illustre leconstat de labsence de fondements identitaires. Les bons dbarras, dumme cinaste (1980), prsente galement laccession lge adulte de lapetite Manon. Le film de Jean-Pierre Lefebvre, Les dernires fianailles(1973), met en scne une rconciliation exemplaire avec le pass et

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    1. Gilles Carle, Un western religieux ? , Cinma Qubec, 1, 9, mai-juin 1972, p. 17 et 20.

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    laction dun vritable travail de deuil commun. Ce film prsente des genssimples, heureux, qui amorcent des actions positives tout en oprant unegestion harmonieuse des rfrences temporelles. Surtout, le pass assum(le deuil du fils) permet non seulement de mieux envisager lavenir, maissurtout de ne pas saccrocher la reprsentation nostalgique dune iden-tit non accomplie dans son essence.

    Le sentiment dimpuissance et de rsignation est compens, dans lefilm Bar salon, dAndr Forcier (1974), par la prsence dun bonheurpartag. On peut cerner une attention respectueuse pour tous ces petitsriens qui composent une vie humaine et lenvironnement populaire.Dans Au clair de la lune, du mme cinaste (1982), le recours lima-ginaire permet aux personnages de grer les rfrences temporelles et de

    mieux amnager une ralit vcue difficilement. Ti-Mine, Bernie pis lagang, de Marcel Carrire (1976), fait pour sa part la dmonstration quelavenir est au Qubec et non en Floride.

    Jean Beaudin explore le pass (la fin du XIXe sicle) dans J. A. Martin,photographe (1976). Rose-Aime effectue une action constructive quipermettra au couple de recrer des liens solides et un nouvel horizoncommun de signification. Un autre film dont laction se situe dans lepass Les Plouffe, de Gilles Carle (1981) prsente une explorationpositive de rfrences identitaires varies. Deux univers de sens sont en

    confrontation en ces annes prcdant la Seconde Guerre mondiale :dune part, les valeurs traditionnelles canadiennes-franaises domines parla crainte de ce qui provient de lextrieur et menace la cohsion de lacommunaut ; dautre part, lappropriation positive dune multiplicit derfrences. La varit des rfrents identitaires est un trait marquant dufilm : les influences catholique, franaise, canadienne-anglaise et amri-caine sont explores. Surtout, lamricanit est clairement et positivementassume. En tmoigne cette remarque du pasteur Brown en visite dans lavieille capitale : Vous savez, votre ville, Qubec, a aussi son cachet fran-ais exceptionnel. Tout en restant une ville trs nord-amricaine. 1 Cefilm de Gilles Carle montre sans ambages le passage dune conception frileuse de lidentit une reprsentation active et volontariste de cette

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    1. Signe des temps (le Qubec sloigne des rfrences europennes, contexte du libre-changenord-amricain, etc.), deux sries de lOffice national du film portent explicitement sur le thmede lamricanit, la fin des annes 1980 : Lamricanit et Parler dAmrique . Il sagit,pour plusieurs de ces films, de reconnatre lamricanit intrinsque des Qubcois sans en dduireune alination culturelle ou une dpossession de soi-mme.

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    identit dsormais oriente vers lavenir construire ( Nous autres lesPlouffe, quand on veut, on peut. Nimporte quoi ).

    Dautres films sont anims du souci deffectuer un travail dinventairedu pass qubcois. Ils ne proposent pas un retour quelques racinescollectives, mais, fidles la tradition hermneutique, considrent leslments de la tradition comme des questions ouvertes poses auxcontemporains et susceptibles de contribuer tout en conservant uneperspective critique donner un sens aux figures identitaires du prsent.Cest le cas, notamment, de Pour la suite du monde, de Pierre Perrault etMichel Brault (1963), de Jean Carignan violoneux, de Bernard Gosselin(1975), de La veille des veilles, du mme cinaste (1976), de Les servantesdu bon Dieu, de Diane Ltourneau (1978), et de La turlute des annes

    dures, de Richard Boutet et Pascal Glinas (1983). La rconciliationncessaire avec un pass qui bloque le prsent et lavenir est galement aucur du film de Francis Mankiewicz, Les beaux souvenirs(1982).

    Les rapports au pass et lhistoire sont aussi au centre des proccupa-tions de Robert Lepage. Ses deux premiers films : Le confessionnal(1995)et Le polygraphe(1996), en tmoignent de faon loquente. Au dire deLepage, si le pass dtermine en partie ce que sont les individus, cesderniers conservent une importante marge dautonomie qui leur permetdinnover. Limportant est de ne pas senfermer dans ce pass cest--

    dire dans une reprsentation tragique de la communaut ni doubliercompltement ce pass et ne plus savoir do lon vient. Le confessionnalillustre ainsi le passage dune identit relativement stabilise dans ses rf-rents et transmise de gnration en gnration (notamment dans un passtrs moralis et spiritualis) une identit qui est construire (il fautdornavant rechercher activement cette moralit et cette spiritualit).Lide de passage identitaire est illustre par le personnage de Pierre qui,en qute de repres existentiels, part pour ltranger (Chine) puis revientau Qubec. Son dpart modifie sa vision des choses et change ses param-tres identitaires sans le diluer comme tre situ . Pierre reste lui-mmetout en intgrant le diffrent et la nouveaut. loppos, son frre Marcse perd entre, dune part, une fixation sur lorigine et la filiation, et,dautre part, lclatement des modes de vie et des rfrences. Chez Lepage,la pluralit des interprtations du rel est prsente comme un faitincontournable et positif du monde contemporain.

    Les films de Lepage oscillent aussi constamment entre le particulier etluniversel, que ce soit sur le plan temporel comme dans Le confessionnal,

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    ou sur le plan gographique comme dans Le polygraphe ou dans N(1998). Le cinaste montre ainsi linterpntration des diffrents niveauxde la ralit telle que vcue au Qubec. La socit qubcoise nvolue pasen vase clos et le croisement des rfrences est une partie fondamentalede son identit. Le nationalisme qubcois y est constamment prsentcomme tant imbriqu dans une ouverture sur le monde. Selon Lepage, ilest possible dtre favorable lindpendance du Qubec sans avoir nces-sairement une reprsentation essentialiste de lidentit. Notons que lesfilms de Robert Morin voir entre autres Requiem pour un beau sans-cur(1992) et Yes sir ! Oui madame... (1995) explorent galement ces fron-tires changeantes de lidentit et postulent demble une pluralit depoints de vue sur la ralit. On pourrait galement soutenir que, malgr

    ses propos souvent essentialistes , le cinaste Pierre Falardeau pro-pose dans ses films une rflexion particulirement intressante sur denombreux aspects identitaires des Qubcois, souvent pour les ridiculiser voir entre autres la srie des Elvis Gratton (1985, 1999, 2004).

    Le topique dun pass positif prsent comme indispensable lacomprhension et linterprtation du prsent est illustr dans un docu-mentaire de Benot Pilon, Rosaire et la Petite-Nation (1997). Le jeunecinaste y filme son vieil oncle de 89 ans avec lequel il amorce undialogue. Dans cette entreprise hermneutique, Pilon sintresse de prsaux questions qui ont anim la vie de son oncle et qui sont susceptiblesde laider dans sa propre qute identitaire. Les films Avant le jour, deLucie Lambert (1999), Le temps et lieu, de Bernard mond (1999), et Lerel du mgaphone, de Serge Gigure (1999), vont dans le mme sens.Les besoins de continuit temporelle et de transmission de valeurs cultu-relles entre les gnrations sont illustrs dans Les portes tournantes,de Francis Mankiewicz (1988). Le jeune Antoine amne son pre,Madrigal, sexprimer. Il enqute sur le pass de la mre de celui-ci etla rencontre New York. Agissant ainsi, il fait littralement pivoterles portes tournantes entre le pass et le prsent afin de mieux

    cerner lidentit de son pre, sa filiation et, par le fait mme, sa propreidentit.Un autre rcit alternatif, constitu par lappropriation des rfrences

    temporelles et le rapprochement intergnrationnel, est prsent dansJacques et Novembre, de Jean Beaudry et Franois Bouvier (1984). Jacquesest lhpital et il est sur le point de mourir dune maladie incurable. Ilcommence alors rechercher une temporalit qui lui est propre : il revient

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    sur son pass en remontant jusqu son enfance. Il russit mme tablirun dialogue avec son pre. Le film prsente enfin, dans la grande tramenarrative qubcoise, un personnage masculin qui exprime ses sentimentset son identit et se bat afin de laisser une trace pour les gnrationsfutures. La condition masculine est galement aborde dans Lhommerenvers, dYves Dion (1986). Lentraide mutuelle et le dialogue sontprsents comme des facteurs positifs daction sur soi et sur son entou-rage. Une entraide similaire est reprable dans les films de Louis Blanger,notamment Post Mortem (1999) et Gaz bar blues(2003). Dans ce dernierfilm, Blanger explore galement les relations entre un pre et ses fils.Lhomme qubcois y est enfin prsent dans toute sa complexit. Il nestni un perdant ni un individu constamment domin par les femmes qui

    lentourent. Des liens rtablis entre continuit temporelle et communautsont galement prsents dans Matroni et moi, de Jean-Philippe Duval(1999). Dans le film Les Boys, de Louis Saa (1997), cest tout un groupede coquipiers qui se donnent la main.

    Dans Pudding chmeur (1996), de Gilles Carle, cest le pre quirecherche son fils quil a abandonn. La communaut ici prsente on sesitue lchelle du quartier sentraide et croit aux petits miracles de lavie quotidienne. Cette entraide se nourrit en outre de lapport des No-Qubcois. La communaut voit, dans lhtrognit des modes de vie et

    des faons de penser, une valeur positive. Dans Bach et Bottine, dAndrMelanon (1986), cest une enfant qui transforme le fatalisme du person-nage adulte en confiance dans lavenir et en affirmation de soi grce lenrichissement des relations interpersonnelles. Dj, dans La guerre destuques, du mme cinaste (1984), les enfants russissaient recrer unecommunaut, et ce, malgr leurs divisions et labsence des parents. Desprojets en commun sont galement centraux lhistoire du film Le matou,de Jean Beaudin (1984), alors quon peut observer un couple heureux quiparvient surmonter ses difficults. Le film de Claude Gagnon, Larose,Pierrot et la Luce (1982), prsente galement une trame narrative quisouvre sur une difficult rencontre, mais volue vers la ralisationpersonnelle des personnages grce lentraide intersubjective. Dans cettehistoire, il y a dpassement dun pass douloureux marqu par un senti-ment dchec.

    Le cri de la nuit, de Jean Beaudry (1996), montre le rapprochemententre un homme (orphelin) de 43 ans qui ne veut pas denfant et unjeune homme de 18 ans (orphelin aussi) qui veut se suicider. Lun et

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    lautre apprennent ensemble communiquer et donner un sens leurvie. Dans Deux secondes, de Manon Briand (1998), cest un immigrantitalien, Lorenzo (50 ans), qui apprend Laurie (28 ans) retrouver unetemporalit propre, plus en accord avec son mode de vie sa nouvelle identit professionnelle et homosexuelle et vivre le tempsprsent li la dcouverte de lamour. Dans cette construction dun rcitalternatif de lidentit au Qubec, Jean Beaudin voit sexprimer la fonc-tion politique de lartiste aujourdhui : Lartiste peut, justement, trans-cender la ralit, aller au-del. Il y a des gens qui sen sortent et cest ceque je veux traduire. Cest fondamental. Si les artistes ne font pas cela,qui va le faire ? 1

    Ce qui est tout fait original et nouveau, dans plusieurs films qubcois

    rcents, cest la volont manifeste par les personnages de sen sortir et de seprendre en main. En tmoignent le long-mtrage dAndr Turpin, Uncrabe dans la tte(2001), et ceux dOlivier Asselin, La libert dune statue(1990) et Le sige de lme(1996). Ces films, qui sintressent l mehumaine plutt qu l essence qubcoise , se situent dans lhorizonphilosophique universel de ltre humain et de son exprience temporelle.Cest dire que, tranquillement, le sujet qubcois est extirp de son statutde victime. Larrive dune nouvelle gnration de cinastes (AndrMelanon, Jean Beaudry et, plus rcemment, Olivier Asselin, ManonBriand, Robert Lepage, Franois Girard, Andr Turpin, Louis Blanger...)a dailleurs grandement contribu ce renouvellement de la perspectiveidentitaire. De faon gnrale, on constate une volution des personnages et non plus leur stagnation ou leur rgression entre le dbut et la fin desfilms.

    Un zoo la nuit, de Jean-Claude Lauzon (1987), reprsente ce titrelune des premires vritables tentatives de lhistoire du cinma qubcoisde restaurer la figure du pre. Chus ton pre, pis tes mon gars, ditAlbert son fils, Marcel. Pour moi, a veut encore dire quelque chose. Marcel est en outre ce que Lauzon qualifie de winner amoral, renversant

    ainsi limage dominante de lhomme qubcois au cinma. Ce filmmarque en fait une tape dans limaginaire filmique qubcois. Il est unsigne majeur de la transformation des paramtres de lquation identitairequbcoise traditionnelle. Le cinaste nhsite pas reconceptualiserlidentit qubcoise tout en demeurant lcoute des prdcesseurs : Je

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    1. Michel Coulombe, Entretien avec Jean Beaudin , Cin-Bulles, 18, 1, t 1999, p. 19-20.

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    suis fier de ma culture francophone, je veux la dpasser, la rinventer,mais je ne veux pas la renier ! 1 Le film mlange ainsi les rfrences lorignal et la fort qubcoise au contexte typiquement urbain desgrandes mtropoles. La ligne de chaleur, dHubert-Yves Rose (1987),Gaspard et Fil$, de Franois Labont (1988), Le fabuleux voyage de lange,de Jean-Pierre Lefebvre (1991), Lassassin jouait du trombone, de RogerCantin (1991), et Aujourdhui ou jamais, de Jean-Pierre Lefebvre (1998),montrent galement des rapprochements fconds entre pres et enfants.

    Avec La position de lescargot (1998), Michka Sal ralise un film surdeux thmes majeurs de cette diversification de limaginaire qubcois : larelation au pre et la cohabitation interethnique. Myriam, personnagecentral du film, est dorigine marocaine et se dfinit comme une Juive

    errante . Il sagit dune femme qui, malgr son incertitude identitaire etses questionnements perptuels, a confiance dans la vie et dans lavenir.Labsence du pre est toutefois vcue comme un poids qui lempche desaccomplir. Elle a un petit ami, Tho, Qubcois francophone qui secherche et nest pas sr de lui ni de ses relations avec les autres. Tho est lereprsentant typique des personnages qubcois qui hsitent poser desquestions qui feront avancer le cours des choses : Jai limpression de pusservir rien ; On peut [ragir], mais a donne rien.

    Le pre de Myriam refait alors surface. Lun et lautre se mettent jouer

    symboliquement au jeu des questions, lequel suppose de sinterrogermutuellement sans apporter de rponses aux nigmes poses. Toutelimportance de la question hermneutique, du point de vue identitaire,est ici souligne : il est tout fait normal quil ny ait pas de rponses biendfinies et dfinitives la question identitaire. Cela incite lexplorationde lespace entre les cultures, la dcouverte des interstices composant lasocit. Myriam parvient ainsi mieux intgrer un pass qui butait touteentreprise dinterprtation. Les amis de Myriam laident galement danssa recherche identitaire. La mtaphore de lescargot, qui transporte samaison avec lui, illustre bien cette nouvelle rfrence identitaire :lidentit nest pas trouver dans une quelconque sphre idale et norma-tive, elle nous suit quotidiennement et se mtamorphose au gr delintgration des rfrences nouvelles. ce propos, la cinaste dclare : Sur ce plan, je crois quon a souvent tendance associer le cinmaqubcois une image dpasse. (...) On voit ce cinma comme tant

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    1. Claude Racine, Jean-Claude Lauzon , 24 images, 34-35, t 1987, p. 41.

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    toujours le cinma merveilleux quon a aim, celui qui ma fait venir auQubec, le cinma du patrimoine, celui qui touche lhritage culturel et la reprsentation de la quotidiennet. (...) Ce qui est intressant, cest lechoc des cultures, et non pas la perptuation ad vitam aeternam duneculture nostalgique qui de toute vidence ne cesse de se transformer. 1

    La question de lintgration des immigrants merge ainsi, au coursdes annes 1980-1990, comme une proccupation des cinastes. PaulTana explore particulirement cet aspect dans Caff Italia, Montral(1985). Le cinaste montre ce qui constitue ses yeux un danger savoir, lessentialisation de lidentit, quelle soit qubcoise ouitalienne. Au lieu de choisir lexil, les Qubcois doivent construire unesocit qui reconnat lAutre. Dans Jsus de Montral, de Denys Arcand

    (1989), la mort de Daniel ne conduit pas une rupture de la continuit.Au contraire, son dcs tablit un lien avec lAutre alors que ses organessont transplants sur des personnes issues des communauts culturellesde Montral. Dans Oumar 9-1-1, de Stphane Drolet (1998), cest unQubcois dorigine africaine qui se donne son entourage et tente desauver les autres Qubcois. La survie de la nation qubcoise passe parcette ouverture laltrit et ncessite un travail de redfinition des rf-rents identitaires collectifs. Avec Pas de rpit pour Mlanie (1990), JeanBeaudry explore le processus de dcouverte et dapprivoisement de ladiffrence interethnique. Le cinaste avoue lui-mme sinscrire au curdu rcit identitaire alternatif : Jai juste envie de filmer des affaires quejai envie de crier, dune faon qui ressemble ce que je suis, cest--direni Amricain, ni Franais, ni Canadien, ni Qubcois, ni Jos Bl, maisBeaudry, Qubcois, Nord-Amricain, Terrien, en fin de XXe sicle. 2

    Dans Matusalem, de Roger Cantin (1995), un village multiethniquecompos denfants, le fantme de Philippe de Beauchne aide les jeunesQubcois francophones. Claude Gagnon aborde pour sa part la ques-tion amrindienne dans Visage ple (1985). Le dialogue et lcoutepermettent ici de construire un monde commun de significations par-

    del les diffrences et de surmonter les stigmates et les apparencessymboliques.

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    1. Michka Sal, Michka Sal ou larchitecture de limaginaire , Squences, 200, janvier-fvrier 1999, p. 8.

    2. Jean Beaudry, Un Hollywood en chocolat sil vous plat , Lumires, 29, hiver 1992,p. 30-32.

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    CONCLUSION

    Durant les annes 1960, la volont des cinastes tmoignait du dsir departiciper activement au mouvement social et culturel qui secouait alors leQubec. Le cinma qubcois devait se rapproprier limaginaire mono-polis par Hollywood. cette poque, les cinastes mettent laccent surlimportance de rvler les Qubcois comme ils sont. Les films partici-pent alors de la (re)construction identitaire du sujet qubcois prsentsous les atours du sujet en voie de modernisation acclre. Puis, au fur et mesure que la conscience politique des Qubcois se radicalise noussommes ici dans les annes 1970 , les films danalyse politique et

    dintervention sociale apparaissent afin de proposer une vaste entreprisede codification de la ralit qubcoise en vue dun projet politique(lindpendance) et conomique (le socialisme). On met cependantlaccent sur tout ce qui ne va pas au sein de la socit qubcoise. On ydcrit aussi un imaginaire trs sombre et ngatif. Lchec rfrendaire demai 1980, la monte de lindividualisme et le ralisme conomique plon-gent ensuite, au dire de plusieurs, lidentit collective dans une criseprofonde. Paradoxalement, cette priode semble avoir t salutaire dans lamesure o elle a ouvert toute une srie de questionnements repris etreformuls par de nouvelles gnrations de cinastes sur les diffrentes

    facettes de lidentit qubcoise.On peut galement reprer un dplacement du politique dans la filmo-graphie qubcoise. Celui-ci va de la nation construire dans lindpen-dance politique du Qubec et du socialisme difier par le biais des partispolitiques, la multiplicit des rfrents identitaires et leur internationa-lisation. On note aussi une diversification majeure des thmes abords :lducation et la sant ctoient les sujets environnementaux, les nouvellesreligions et la mondialisation. De manire gnrale, il est faux de dire queles films politiques et engags ont disparu de lhorizon filmique qub-cois. Cest plutt lide de politique qui a chang dchelle et de sens.Dans ce contexte, la nation ou la proccupation pour lindpendancenationale demeurent pour nombre dindividus et de cinastes un pleidentitaire majeur. Ces sujets cohabitent toutefois avec une multiplicitde rfrences qui sont susceptibles de participer la (re)construction du soi et du nous . Le Qubec est dornavant considr comme unequestion ouverte assume comme telle et nappelant pas de rponseunique. La communaut qubcoise est perue comme un espace de

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    multiples appartenances rinterprter collectivement. Pour tout dire, leQubec tel quil est reprsent lcran apparat comme un lieu de recom-position identitaire majeur, sorte de prototype de ce qui survient un peupartout en Occident.

    Mais ce qui sexprime de faon plus particulire, cest la prsence,depuis les annes 1960, des deux trames narratives de la tragdie et delmancipation. Ainsi, un film typique de lempchement et de lcla-tement comme Les invasions barbares, de Denys Arcand (2003), ctoie unfilm de lenchantement et de laccomplissement comme La grande sduc-tion, de Jean-Franois Pouliot (2003). Grce cette diversit, le cinmaqubcois apparat, dans la confrontation entre un rcit identitaire delempchement dtre et un rcit identitaire de lenchantement dtre,

    comme une mise distance de la ralit, comme lexploration aussi deterritoires imaginaires et identitaires qui permettent denrichir en retour lacommunaut. nen pas douter, il sagit l de lune des principalesfonctions politiques du cinma dans le cadre de la question identitairequbcoise.

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