Pour en finir avec la critique de l'aide au développement

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  • 8/8/2019 Pour en finir avec la critique de l'aide au dveloppement

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    ______________________________________________________________________

    Pour en finir avec la critiquede laide au dveloppement

    Esquisse des courants actuels__________________________________________________________________

    Grald Liscia

    Juillet 2010

    .

    NNoottee ddee ll II ff rr ii

    ProgrammeAfrique subsaharienne

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    LIfri est, en France, le principal centre indpendant de recherche,dinformation et de dbat sur les grandes questions internationales. Cr en1979 par Thierry de Montbrial, lIfri est une association reconnue dutilitpublique (loi de 1901).Il nest soumis aucune tutelle administrative, dfinit librement ses activits etpublie rgulirement ses travaux.LIfri associe, au travers de ses tudes et de ses dbats, dans une dmarcheinterdisciplinaire, dcideurs politiques et experts lchelle internationale.Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), lIfri simpose comme un desrares think tanksfranais se positionner au cur mme du dbat europen.

    Les opinions exprimes dans ce texte

    nengagent que la responsabilit de lauteur.

    Le programme Afrique subsaharienne est soutenu par :

    ISBN : 978-2-86592-753-1 Ifri 2010 Tous droits rservs

    Site Internet :Ifri.org

    Ifri-BruxellesRue Marie-Thrse, 21

    1000 Bruxelles BELGIQUETl. :+32(0)22385110Fax:+32(0)22385115

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    Sommaire

    INTRODUCTION ................................................................................... 2

    LE COURANT DU POST-DEVELOPPEMENT ET SES LIMITES................. 5

    Une approche conceptuelle du dveloppementqui reste problmatique ............................................................. 8

    Une vision essentialiste de la culture ....................................... 8DAUTRES COURANTS CRITIQUES PLUS PERTINENTS ........................... 14

    Une critique plus ajuste :celle des logiques structurelles de laide................................ 14

    Une critique plus porteuse : celle des outilset mthodes luvre dans le dveloppement ...................... 15

    LA CRITIQUE DES CADRES CONCEPTUELS ACTUELSDU DEVELOPPEMENT ......................................................................... 19

    Le paternalisme offensant ....................................................... 20

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    Introduction

    Alors que lon sinterrogede faon de plus en plus vive sur limpact etlefficacit des politiques daide au dveloppement1, il devient nces-saire, pour clairer ce dbat, de faire le point sur la critique du sys-tme daide, toujours plus prsente et parfois trs radicale.

    Loin dtre un phnomne rcent, cette critique a toujours tconsubstantielle aux thories du dveloppement et aux politiques desortie de la pauvret. L'cole de la dpendance, ds les annes1960, a incarn lun des points culminants de cette contestation. Laprincipale ide dfendue par ses reprsentants tait que la priphriedestinataire de l'aide ne pourrait jamais effectuer le rattrapagesuppos par l'idologie dominante du dveloppement et que cedernier naboutirait qu entretenir lingalit. Pour sortir de cettedpendance et de l'change ingal, il tait impratif d'inventer unnouveau mode d'allocation des ressources ou de sortir de l'interna-tionalisation de l'conomie en privilgiant un cadre national dedveloppement intgr. Samir Amin2 fut lune des grandes voix decette cole, formulant une critique parfois radicale des thories de lamodernisation et du dcollage conomique des pays pauvres. En

    1969, Ivan Illich critiquait sans concession les grandes logiques et lesgrandes institutions qui orientent le dveloppement. l'occasion de laprsentation du Rapport Pearson3 Robert McNamara, alorsprsident de la Banque mondiale, I. Illich dnonce la pauvretplanifie et l'imposture cache derrire l'ide que les pays richespeuvent et doivent reprsenter un modle rattraper. Le sous-dveloppement est pour lui simplement la consquence d'undveloppement continuel 4. Le dveloppement du Nord ntait, pourlcole de la dpendance, que le produit de la domination du Nord surle Sud.

    Plus tt encore, la charnire de la mise en valeur colonialeet de l'avnement de l'aide au dveloppement, les logiques institu-

    Grald Liscia est responsable du dpartement des sciences politiques et sociales delISTOM.1 D. Moyo, Dead Aid: Why Aid is Not Working and How there is a Better Way forAfrica, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2009.2 S. Amin, Le Dveloppement ingal. Essai sur les formations sociales du capitalismepriphrique, Paris, ditions de Minuit, 1973.3 R. Pearson, Vers une action commune pour le dveloppement du tiers-monde,Paris, Denol, 1969.4 I. Illich, Librer l'avenir, Paris, Seuil, 1971.

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    tionnelles et l'efficacit de l'intervention en milieu rural sont critiquespar des grandes figures de lpoque. Ren Dumont met ainsi enlumire, dans un rquisitoire svre, les errements et les gaspillagesdu Fonds d'investissement pour le dveloppement conomique etsocial (FIDES) et du Fonds d'aide et de coopration (FAC)5 etdplore les logiques de mise en valeur des valles dAfrique delOuest. La continuit entre les logiques coloniales et les logiques dedveloppement, qui produisent les mmes effets et qui sontcaractrises par la mme inefficacit, est souligne par bien desobservateurs de l'poque6. Paralllement ces dnonciations, lesanalyses des difficults du dveloppement conomique ont uneaudience significative. L'ide que le progrs technique et l'accumu-lation du capital ne dterminent mcaniquement ni la sortie de lapauvret, ni l'essor des conomies, est dj dfendue par PaulBairoch, un des plus illustres contempteurs des thories de sortie du sous-dveloppement 7.

    La critique du systme d'aide a ainsi toujours accompagn defaon coextensive lhistoire du dveloppement des pays pauvres.Dautres manifestations ou tendances historiques de cette critiquepourraient tre voques. On pourrait citer les mises en cause trscritiques, par Peter Wallace Preston8, de la dialectique de l'tat et dumarch qui, depuis plusieurs dcennies, soutient les dbats et lesgrandes orientations universalistes des logiques de dveloppement.Proche de lui, John Brohman dnonce galement les matricesgnrales qui, par l'action de l'tat ou celle du march, prtendentdonner les cls d'un dveloppement et d'une sortie de la pauvret9.

    Notre objectif nest cependant pas de retracer la dj longue

    histoire de cette critique du dveloppement, mais de faire le point surses formes et sur ses prolongements les plus actuels. La dnon-ciation des logiques et des effets du systme daide na en effetcess de samplifier. Elle sest aujourdhui divise en plusieurscourants et rencontre une audience plus large dans un contextegnral de vives interrogations sur l'efficacit de l'aide. Il sagit doncici de proposer une lecture ordonne de cette critique, qui devientconfuse tant elle est aujourdhui fragmente, tant elle se dploie dansdes directions trs varies, sattachant dnoncer les paradigmesqui orientent les thories du dveloppement, ses rsultats, mais aussises acteurs, leurs mthodes et leurs outils dintervention. Un clai-rage sur les principaux constituants de cette critique sera ainsi

    propos. Cest dabord le courant du post-dveloppement quisera prsent ; une dmarche contradictoire nous permettra ensuite

    5 R. Dumont, L'Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, 1962.6 A. Maurel, Le Congo de la colonisation belge l'indpendance, Paris, LHarmattan,1962.7 P. Bairoch, Rvolution industrielle et sous-dveloppement, Paris, SEDES, 1963.8 P. W. Preston, Development Theory. An Introduction, Oxford, Blackwell, 1996.9 J. Brohman, Popular Development. Rethinking the Theory and Practice ofDevelopment, Oxford, Blackwell, 1996.

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    den isoler les lignes critiques les plus fragiles et les plus discutables.Il sera alors possible, lissue de cette discussion, de mettre envidence dautres dimensions de la critique du systme daide qui,bien que moins largement diffuses, nous semblent heuristiquementplus fcondes.

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    Le courant du post-dveloppement et ses limites

    Le courant du post-dveloppement , qui sest construit dans lesannes 1980, cristallise une des expressions les plus en vue de lacritique actuelle du systme daide10. Si tous les auteurs de cecourant ne sinscrivent pas dans le mme registre de discours, ils onten commun de faire le procs du dveloppement, de dnoncer son

    inefficacit et lcart entre ses intentions explicites et ses effetsdltres, voire franchement contraires aux objectifs quil sestvertueusement assigns.

    Serge Latouche est lun des principaux reprsentants franaisde cette cole. Inscrivant ses travaux dans le prolongement deluvre de Franois Partant, qui critiquait dj les fondements ido-logiques du dveloppement11, S. Latouche dfinit celui-ci comme uneoccidentalisation du monde12 qui produit en ralit les maux quilprtend combattre et quil est donc ncessaire de dnoncer et derefuser13, notamment par la dcroissance conviviale et le localisme.

    Ici, le dveloppement sinscrit toujours, de manire plus ou

    moins violente, dans la logique destructrice de laccumulation capi-taliste. Il est assimilable au stade suprme de limprialismeconomique et signifie ingalits, destruction de lenvironnement etdes cultures . Bien que devenu universel, il procde de valeurs quisont occidentales : l'universalisme, le progrs, la matrise de lanature, la rationalit quantifiante, qui sont lies l'histoire del'Occident et recueillent peu d'cho dans les autres socits .Pourtant, au mpris de leurs spcificits, celles-ci sont amenes suivre l'exprience occidentale du dcollage de l'conomie tellequ'elle s'est mise en place depuis la rvolution industrielle enAngleterre dans les annes l750-1800 14.

    10 J.-Ph. Peemans, Le Dveloppement des peuples face la modernisation dumonde, Collection Population et dveloppement n10, Louvain-la-Neuve/Paris,Academia-Bruylant/LHarmattan, 2002.11 F. Partant, La Fin du dveloppement. Naissance dune alternative ? , Arles, ActesSud, 1983.12 S. Latouche, L'Occidentalisation du monde, Paris, La Dcouverte, 2005.13 S. Latouche, Faut-il refuser le dveloppement ?, Paris, PUF, 1986.14S. Latouche, Les mirages de loccidentalisation du monde. En finir une fois pourtoutes avec le dveloppement , Le Monde diplomatique, mai 2001.

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    Cette question des formes de pouvoir caches derrire ledveloppement et des dispositifs de savoir vocation hgmoniquequi y sont adosss est largement reprise par Mark Hobart19, quidnonce lui aussi la violence et la prtention luniversalisme dudveloppement et lcart entre ses ambitions explicitement afficheset ses effets rels . Majid Rahnema reprend galement soncompte cette ide d'un dveloppement qui disqualifierait lestraditions, notamment celles des relations sociales ou des universculturels, et dnonce cet gard l'agressivit des idologies et despratiques du systme d'aide20. Dautres auteurs comme RobertChambers21 se sont empars de cette mme question de la lutteingale entre deux types de savoir (celui des oprateurs dudveloppement et celui de ses bnficiaires locaux) ensinscrivant dans un registre qui valorise de faon radicale les savoir-faire traditionnels et tout ce qui est issu du local. Ici, ledveloppement ne peut avoir de sens et defficacit que sil

    sautonomise et vient den bas22

    .Toujours dans cette large mouvance, Gilbert Rist, dans son

    analyse de lhistoire du dveloppement23, met en vidence la

    permanence du dogme de la croissance et les checs de toutes lestentatives pour renouveler le cadre thorique et conceptuel durattrapage par la croissance et la thorie du take-off, dveloppe parWalt Whitman Rostow. On touche ici une critique fonde sur ltudede lhistoire du dveloppement, du concept mme et de sesvolutions. Cette autre dimension de la dnonciation du post-dveloppement, largement tudie24, insiste sur lide que ledveloppement renvoie un nouvel ordre du monde, impos par leNord, une nouvelle forme de distribution des ingalits, et quil nestrien dautre quun nouveau cadre qui fixe arbitrairement des rgles etdes fonctionnements lavantage de ses promoteurs25.

    De nombreux travaux soulignent cette toile de fond trspolitique, cette emprise sur le monde dont le dveloppement serait undes leviers, le refus de prendre en compte tout ce qui ne sinscrit pasdans la volont hgmonique de lOccident

    26. De grandes voix

    19 M. Hobart, An Anthropological Critique of Development. The Growth of Ignorance,Londres, Routledge, 1993.20 M. Rahnema et V. Bawtree (dir.), The Post-Devlopment Reader, Londres, ZedBooks, 1997.21 R. Chambers, Dveloppement rural. La pauvret cache, Paris, Karthala, 1990.22 R. Chambers, Whose Reality Counts? Putting the First Last, Londres, ITPublications, 1997.23 G. Rist, Le Dveloppement : histoire dune croyance occidentale, Paris, Pressesde Sciences Po, 1996.24 J.-R. Legout, Dfinir le dveloppement : historique et dim ensions dun conceptplurivoque , Cahier de recherche, vol. 1, n 1, Montral, universit du Qubec,fvrier 2001.25 G. Rist et F. Sabelli, Il tait une fois le dveloppement, Lausanne, ditions denBas, 1986.26 C. Coquery-Vidrovitch, D. Hlery, J. Piel, Pour une histoire du dveloppement :tats, socits, dveloppement, Paris, LHarmattan, 2007.

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    slvent jusque dans lunivers de la philosophie contre lincapacitde lOccident faire sa propre critique et admettre la violence deses institutions et des systmes dordonnancement du monde quimanent de lui27.

    Une approche conceptuelle du dveloppementqui reste problmatique

    Mme si ce courant est porteur dune critique intressante etncessaire sur plusieurs points (comme la mise en vidence de lafiliation directe entre la colonisation et le dveloppement), il nen restepas moins affect par un certain nombre de limites.

    Il est dabord totalisant lextrme et prend appui sur des

    noncs et des catgorisations problmatiques force dtre tropglobales28. dnoncer le dveloppement , il dnie ce dernier sadiversit dacteurs, de projets, de ralisations, de logiques et decontradictions. Commodment, on ignore ainsi les ralisationsconcrtes et les russites. titre dexemple, lorsque lAgence fran-aise de dveloppement (AFD) accompagne des projets dhydrau-lique pastorale au Tchad afin de crer des points deau quiretarderont la descente des leveurs dans les zones cultives etrduiront de ce fait les conflits entre les deux communauts, les effetsbnfiques pour les pasteurs et les agriculteurs sont patents. Mmesil est toujours possible, dans le dtail et dans la complexit des situations, de discuter ou de relativiser le caractre positif des

    impacts dune action de dveloppement, ce projet Almy al Afia ( de leau pour la paix) men au Tchad avec lappui doprateursspcialiss et reconnus, comme lInstitut de recherches et dappli-cation des mthodes de dveloppement (IRAM), a permis, via tout untravail de concertation et de mdiation, de ngocier des couloirs detranshumance, de rduire la divagation des troupeaux sur lesparcelles et de diminuer sensiblement les conflits entre les deuxcommunauts29.

    Une vision essentialiste de la culture

    Une autre faiblesse importante concerne la faon dont la culture estapprhende par ce courant. Dans les discours du post-dveloppement, la culture est prsente comme une raison de

    27 C. Castoriadis, La Monte de l'insignifiance. Les carrefours du labyrinthe IV, Paris,Seuil, 1996.28 G. Deleuze, Pourparlers, Paris, ditions de Minuit, 1990.29 .

    http://www.afd.fr/jahia/Jahia/site/afd/lang/fr/pid/18900http://www.afd.fr/jahia/Jahia/site/afd/lang/fr/pid/18900
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    l'chec du dveloppement (il est inadapt la culture), comme la justification du refus du dveloppement (ce nest pas leur culture),comme la victime du dveloppement (qui diffuse une culture unique) ;le dveloppement est plus ou moins explicitement pens comme leproduit d'une culture de domination et le refus du dveloppement estmotiv ou sous-tendu par une culture qui lui serait trangre.

    Ces vises ne rsistent pas l'examen et aux apports massifsdes sciences sociales dans ce domaine. Le post-dveloppementsinscrit ici dans une vision essentialiste de la culture, lui dniant sadimension de construction sociale et mouvante, pourtant plus quelargement admise dans le champ des sciences sociales30. Il est eneffet difficile dadmettre lexistence dun contenu culturel homogne etfixement tabli, de valeurs parfaitement spcifiques qui seraientlapanage dune culture ou dont la diffusion serait dpourvue de toutsens (ou mme impossible) dans une autre aire culturelle. Le conceptdhybridit culturelle31permet de dpasser lide dune culture fige

    ou identifiable comme une somme claire d'lments objectifs ,prexistants, fondamentalement incompatibles pour certains avecd'autres lments dune autre culture. Edward W. Sad a montr queles modes de reprsentation des autres socits et de leurs culturesprocdent de constructions ouvertes, qui sont autant de grillesarbitraires de lectures orientes du monde32. Percevoir ces culturescomme des sommes de valeurs positives quil serait possibledidentifier fixement et disoler revient ignorer ou mconnatre cespuissantes constructions sociales et collectives qui faonnentlidentit de lautre, qui existe moins en soi que dans cesconstructions. Pierre Bourdieu a tabli que lidentit culturelle est unconstruit qui slabore dans les relations et qui, comme toutes lesidentits, est un enjeu de lutte sociale, susceptible de fluctuer enfonction des rapports de force luvre33. Nous sommes ici loppos de la vision essentialiste du post-dveloppement quiconsidre la culture du Sud comme un ensemble constitu dl-ments non compatibles avec les valeurs du Nord et dont les acteursdu bas auraient tous la mme conscience. Or, il n'existe pas deculture du Nord uniformise34, cohrente35 et identifiable avec telle ettelle proprit36, faisant face une somme de cultures du Sud, biendistinctes et diffrentes, encore prserves. La culture du Nord s'est toujours forme au contact de celles des autres socits,

    30 D. Cuche, La Notion de culture dans les sciences sociales, Paris, La Dcouverte,2004.31 H. K. Bhabha, Les Lieux de la culture. Une thorie postcoloniale, Paris, Payot,2007 (1e dition : 1994).32 E. W. Sad, L'Orientalisme. L'Orient cr par l'Occident, Paris, Seuil, 1980.33P. Bourdieu, Lidentit et la reprsentation , Actes de la recherche en sciencessociales, n 35, 1980.34 J.-B. Duroselle, LIde dEurope dans lhistoire, Paris, Denol, 1965.35 E. Morin, Penser lEurope, Paris, Gallimard,1990.36 G. Corm, LEurope et le mythe de lOccident. La construction dune histoire, Paris,La Dcouverte, 2009.

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    africaines comprises37, et inversement38. Lide que les limites qui cir-conscrivent les primtres des cultures africaines sont des dmar-cations susceptibles dtre sans cesse ajustes, dplaces, recom-poses dans les changes, nest plus une ide neuve depuis lestravaux de Fredrik Barth39. Jean-Franois Bayart slve contre lamonte des songes identitaires qui prsentent les cultures dans despermanences figes et comme des cls pour exprimer lme despeuples 40. Fernand Braudel a quant lui montr que les transfertsde biens culturels sont permanents ; ils sont si nombreux, les uns sirapides, les autres si lents, ils prennent tant de directions que nul nesy reconnat dans cette immense gare de marchandises o rien nedemeure en place 41. Ailleurs, il tablit que la vision du monde dungroupe culturel ou social n'est que la transcription, la consquence detensions sociales dominantes qui elles-mmes sont voues auchangement, exposes la diffrence et la digestion dinfluencesextrieures42. Les cultures du Sud sont elles aussi un vecteur de

    l'histoire mondiale et un lment qui a faonn le monde tel qu'il estaujourd'hui, cest--dire, entre autres, globalis. Henri-Irne Marrou(bien que spcialiste dunepoque qui nest pas la ntre) dveloppelide quil nyjamais assez doriginalit et jamais assez de cohrenceau sein dune culture ou dune civilisation et que ce sont l desnotions, un instrument provisoire sans cesse dpass[s] 43.

    Lapport du structuralisme est prcisment de voir plus loinque les diffrences culturelles apparentes pour dbusquer lescorrespondances, les structures invariantes des fonctionnementssociaux, la permanence de principes culturels fondamentaux, les priori identiques dune socit une autre44. Si le structuralisme nestbien sr pas directement opposable aux visions de la culture dans lepost-dveloppement, il nen reste pas moins que sa recherche duncapital commun, de problmatisations identiques en amont desproductions particulires, est difficilement compatible avec un dis-cours qui sarrte sur la simple expression de varits culturellesindpassables jusqu lantinomie. La vise du structuralisme sac-commode mal dune originalit et dune cohrence maximales de laculture et dune approche qui la consacrerait comme un bien diffrenci ou menac. On comprend que la valorisation systma-tique de certains aspects culturels, prsents comme uniques, dotsde valeurs spcifiques et particulires (par R. Chambers entres

    37 B. Lugan, Atlas historique de l'Afrique des origines nos jours, ditions du Rocher,2001.38 A. de Libera, Penser au Moyen-ge, Paris, Seuil, 1991.39 F. Barth, Les groupes ethniques et leurs frontires , in Ph. Poutignat etJ. Streiff-Fenart, Thories de lethnicit, Paris, PUF, 1995.40 J.-F. Bayart, LIllusion identitaire, Paris, Fayard, 1996.41 F. Braudel, La Mditerrane et le monde mditerranen l'poque de Philippe II,Paris, Armand Colin, 1949.42 F. Braudel, Grammaire des civilisations, Paris, Arthaud, 1987.43 H.-I. Marrou, Culture, civilisation, dcadence, Paris, Revue de synthse, 1938.44 C. Lvi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958.

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    autres) ait pu tre qualifie de populisme idologique par Jean-PierreOlivier de Sardan45 dans sa clarification des rapports entretenus entrelanthropologie et le dveloppement46.

    Les questionnements ou les notions de modernit, de progrs,

    dinnovation, de matrise de la nature sont lapanage de toutes lessocits. Hubert Cochet47 a montr comment les socits paysannesafricaines avaient pu, malgr la faiblesse des moyens de production,oprer des changements considrables dans leurs systmes deproduction, innover de faon efficace, faonner des paysagesagraires :

    Ce qui est en gnral qualifi de traditionnel nest enrien immuable et se rvle presque toujours le fruit dunesuccession dadoptions et dabandons, dadaptations etde transformations beaucoup plus considrables quil nyparat. () Comment imaginer, par exemple, que les premires semences de mas semes la fin duXVIe

    sicle sur les ctes du golfe de Guine ou de lAngolaaient pu si rapidement tre colportes sur tout lecontinent en si peu de temps pour quelles soientconnues, utilises et massivement adoptes au Rwandaun ou deux sicles plus tard? () On reste confondusdevant lefficacit de ce processus de radaptation-slection et devant la rapidit de diffusion et dadoptionde cette innovation travers tout le continent. () Lesterrassements si imposants des monts Mandara auCameroun, les rizires de mangroves gagnes sur la merdepuis la Casamance jusquaux ctes de Guine ouencore les collines jardines du Burundi, du Rwanda, du pays Bamilk ou de lthiopie, pour ne citer que

    quelques exemples parmi les plus spectaculaires, illus-trent quel point les paysans africains peuvent tre devritables btisseurs de paysage.

    Le courant du post-dveloppement a galement tendance isoler le dveloppement comme une catgorie ou une sphre part,dote dune autonomie trs large pour imposer sa propre volont, quiserait celle de l'extension de l'conomie de march. Le dvelop-pement serait ainsi une nbuleuse indpendante que lon pourraitinculper et dnoncer. Or, le dveloppement n'est pas une catgorie part, autonome, cohrente et dote d'intentions que lon pourraitisoler et critiquer ; il nexiste que comme un systme ouvert et htro-

    gne, un processus produit dans lhistoire.

    45 J.-P. Olivier de Sardan, 1997, propos du populisme dveloppementiste :idologie, action, connaissance , note de lecture propos de Whose RealityCounts? Putting the Last Firstde R. Chambers, cit par A. Salam Fall, A. Lericollais, Light, rapid rural appraisal: des mthodologies brillantes et lgres ? , Le Bulletinde lAPAD, n3, mis en ligne le 21 juillet 2006, Apad.revues.org.46 J.-P. Olivier de Sardan, Anthropologie et dveloppement. Essai en socio-anthropologie du changement social, Paris, APAD/Karthala, 1995.47H. Cochet, Concurrence dloyale : lagriculture vivrire en crise , Esprit, aot-septembre 2005.

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    Le dveloppement, cest aussi lhistoire des disciplines quilont enfant, lhistoire des notions qui lui sont consubstantielles, lescontributions (aussi dsordonnes et contradictoires soient-elles) son mergence. titre dexemple, la sociologie a ainsi concouru btir lidologie du dveloppement avec un mile Durkheim qui a enson temps introduit avec toute son cole lide dun rattrapage , en opposant les socits primitives (structures par lereligieux) aux socits modernes (sorties de cette gangue initiale)48,mme si Durkheim refusait lide dune diffrence de nature entre lesprimitifs et les civiliss49. Lide de progrs50, formalise notammentdans la pense de Turgot51 et de Condorcet52, est un autresoubassement de la pense du dveloppement. Comment alorsconcevoir ce dernier comme autonome, indpendant et critiquableen soi ?

    Si on critique le dveloppement, il faut alors critiquer tous lesacteurs qui se rclament de lui, des tats du Sud aux socits civileslocales. Il ne sagit pas tellement de dire que le Sud est demandeurde dveloppement, que les paysans africains veulent exporter leursmangues ou quun certain nombre dacteurs partage les convictionsou les intrts des promoteurs du dveloppement. Il sagit bien plusdinsister sur une lacune du post-dveloppement qui est finalementfond sur une conception trs descendante des programmes etprojets de dveloppement. Il sous-entend quil existe des structuresqui interviennent et des socits qui reoivent (voire subissent) uneaide dj conue, venue den haut. Norman Long a pu montrer lecaractre mutilant dune telle supposition qui fait du dveloppementun processus linaire et externaliste. Il apparat au contraire commeun processus construit, transactionnel et ngoci entre les orga-nismes de dveloppement et les acteurs locaux qui prennent doncune part active la dtermination de la nature et de lissue desinterventions53. La dnonciation du dveloppement et de ses promo-teurs mconnat totalement lexistence de processus stratgiques etinterprtatifs locaux qui influencent jusquaux effets des projets misen uvre.

    48 . Durkheim, Les Formes lmentaires de la vie religieuse [1912], Paris, PUF,1968.49 . Durkheim, Notes sur la notion de civilisation , LAnne sociologique, tome12, 1913.50 J.-B. Bury, The Idea of Progress, Londres, Macmillan, 1920.51 Turgot, Sur les progrs successifs de lesprit humain. Discours prononc le 11dcembre 1750 , in uvres de Turgot, ministre dtat, Londres, Elibron Classics,2005.52 Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des progrs de l'esprit humain [1795],Paris, Flammarion, 1998.53N. Long, Du paradigme perdu au paradigme retrouv ? Pour une sociologie dudveloppement oriente vers les acteurs , Le Bulletin de lAPAD, n7, Lessciences sociales et lexpertise en dveloppement , mis en ligne le 13 dcembre2007, Apad.revues.org.

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    Ce qui est en revanche certain, cest que le dveloppementsest form dans la ligne droite de lidologie de la colonisation. Celle -ci a longtemps t perue comme une des fonctions les plus levesdune socit parvenue un tat avanc de civilisation. Elle ntaitpas une affaire de choix mais un devoir, une obligation morale,dfendus par les grands partisans de la paix54. Aujourdhui, lesdiscours qui dfendent la ncessit du dveloppement reprennent leur compte cette ide dobligation morale et cet extrait dun ouvragede 1874, de Paul Leroy Baulieu (un des partisans de la colonisationsous la IIIe Rpublique), rsonne trangement si on le compare auxjustifications actuelles du dveloppement :

    Le mrite dun peuple qui colonise, cest de placer lajeune socit quil a enfante dans les conditions les pluspropres au dveloppement de ses facults, de lui donnerles moyens et outils ncessaires la croissance !55

    Cette perspective historique produit une comprhension desrelations internationales qui ne plaide pas en faveur de laide audveloppement. Celle-ci apparat comme un instrument de ror-ganisation des rapports de forces, au service de la continuit dunedomination et dobjectifs stratgiques spcifiques. Laide peut ainsitre vue, dans les diffrents pisodes de son histoire, comme unmoyen de matrise de lavance communiste, de stabilisation dergions sensibles (notamment en Afrique pour la France) et detransition des conomies socialistes vers lconomie de march. Dela mme manire, cependant, laide peut tre perue comme ayantt efficace ces diffrents gards et prcieuse en termesdimpratifs politiques ou stratgiques.

    54 F. Laurent, Victor Hugo face la conqute de l'Algrie, Paris, Maisonneuve &Larose, 2001.55 P. Leroy-Baulieu, De la colonisation chez les peuples modernes, Paris, Guillauminet Cie, 1874.

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    Dautres courants critiquesplus pertinents

    Une critique plus ajuste :celle des logiques structurelles de laide

    Si le travail de James Ferguson est bien situer dans le courant delanthropologie du dveloppement qui dconstruit le discours desinstitutions et fait le procs de leur inefficacit, ses analyses sontcependant distinguer de celles qui ont t voques jusqualors.Rigoureuse, trs bien renseigne, sans diabolisation, son tude decas au Lesotho56 devenue clbre produit une critique fconde dusystme daide en attirant lattention vers le dfaut de ses logiquesstructurelles et en mettant en vidence les biais introduits par unstock pistmologique standard, des cadres conceptuels rigides etdes logiques dintervention sans cesse reproduites. J. Fergusonmontre quel point le diagnostic pralable tabli par les experts de la

    Banque mondiale est dcal par rapport la situation du Lesotho,cart qui se comprend si lon considre que la finalit du diagnosticest oriente vers la justification de lintervention57. La rplication desmmes caractrisations de problmes, au Lesotho comme ailleurs,permet dinitier les mmes packages dinterventions, techniquesvidemment. De fait, le moteur de cette inadquation rside dans lancessit, pour les oprateurs de laide, de permettre, prenniser etpromouvoir, parfois en toute bonne foi, leur logique dinterventionnorme.

    Leffet de dpolitisation produit par de telles logiquesstructurelles doit tre soulign58. Ncessairement, la technicisation

    des problmatiques de dveloppement est inhrente cette dpoliti-sation de la pauvret. Laide devient une somme de solutionstechniques ou rglementaires qui viennent corriger un tat initial

    56 J. Ferguson, The Anti-Politics Machine: 'Development', Depoliticization andBureaucratic Power in Lesotho, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1990.57 N. Bako-Arifari, P.-Y. Le Meur, Une anthropologie sociale des dispositifs dedveloppement , in J.-F. Bar (dir.), Lvaluation des politiques de dveloppement.Approches pluri-disciplinaires, Paris, LHarmattan, 2001.58 E. Faugre, Regards sur la culture dveloppementiste : reprsentations et effetsnon intentionnels, Document scientifiquen20, Paris, Gret, 2001.

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    lacunaire ou dficient. Une telle dpolitisation, qui exonre dechercher des responsabilits politiques ou dentrer de plain-pied danslpineuse question des rapports sociaux, est elle-mme coextensiveau dterminisme climatique. Ce dernier, qui explique les crises et lapauvret par les caractres du milieu naturel, est le socle sur lequelsappuie la dpolitisation. Les lectures de linscurit alimentaire qui atouch le Niger en 2005 sont symptomatiques de cet tat de fait etdes faons dont les acteurs semparent de la crise59. Les vuln-rabilits sont perues comme le produit de lingratitude du milieu(dficit hydrique et invasion acridienne) et cest techniquement quilfaut remdier aux insuffisances du milieu.

    Une critique plus porteuse : celle des outilset mthodes luvre dans le dveloppement

    Devant la multiplication des checs, des rsultats mitigs et desdiagnostics non fiables, lide que les bnficiaires devaient trecompris, consults et associs la dmarche de dveloppement agagn en audience. Les mthodes participatives en sont ainsi venues simposer largement dans les projets de dveloppement et recevoir la faveur des bailleurs comme des matres duvre

    60 ou deschercheurs. La prise en compte de la demande locale et des besoinsdes groupes cibles est ainsi devenue centrale, adosse unecertaine forme de dfiance vis--vis des dmarches strictementverticales et suscitant beaucoup despoirs61. La recherche oulintervention rapides en milieu rural ont ainsi vu le jour, souventdsignes sous le vocable gnrique de RRA62 (Rapid RuralAppraisal) avec, en franais, une dclinaison via ce quon nommeaujourdhui communment la Mthode acclre/active de rechercheet de programmation (MARP), largement dveloppe et utilisedepuis longtemps dj63.

    Bien sr, ces dmarches participatives, censes rendre pluspertinentes les actions de dveloppement et faire correspondre lalogique des projets avec celle des bnficiaires, ne sont pas exemp-tes de critiques. Ces faons doprer se rvlent en ralit minem-

    59 M. Gazibo, Lespace politique nigrien de la crise alimentaire , in X. Cromb,J.-H. Jzquel (dir.), Niger 2005, une catastrophe si naturelle, Paris, Karthala, 2007.60 G. Lazarev, M. Arab, Dveloppement local et communauts rurales. Approches etinstruments pour une dynamique de concertation, Paris, Karthala, 2002.61J. M. Cohen, N. T. Uphoff, Participations Place in Rural Development: SeekingClarity through Specificity, World Development, vol. 8, 1980.62 R. Chambers, Rural Appraisal: Rapid, Relaxed and Participatory, document detravail n 311, Brighton, Institute for Development Studies, University of Sussex,Falmer, 1992.63 B. Guye, Dveloppement de la Mthode active de recherche et de planificationparticipatives au Sahel et missions des rseaux MARP, 2e dition, Londres, IIED,1997.

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    ment pineuses et de fait, le systme daide, mme dot de cesintentions participatives, reste sous le feu dune critique anthropolo-gique particulirement fconde et constructive64. Cest dans ce mmetat desprit et avec cette mme rigueur que les investigations etdiagnostics rapides en milieu rural finalits de recherche (RRA) ontt critiqus65.

    Tout en soutenant lide que les complexits sociales etpolitiques doivent tre saisies et apprhendes par le dvelop-pement, cette critique met en vidence les limites des dmarchesparticipatives telles quelles sont la plupart du temps pratiques66.

    Le fait que les informations ou les analyses aient t fourniespar des populations locales nest pas en soi un critre de pertinenceni mme de validit, si les conditions dune rigueur du qualitatif nesont pas remplies67. La notion de besoin , que les dmarchesparticipatives tentent de faire merger, ne renvoie jamais des

    besoins objectifs et consensuels , mais au contraire des diver-gences dopinion et dintrts, des contradictions, des rapportssociaux et tout une micropolitique. Qui exprime les besoins ? Qui setrouve dans limpossibilit dexprimer les siens ? Les plus vulnrablessont souvent loin dtre en position de pouvoir participer lnonciation dune demande68. Ds lors, les animateurs se retrouventimmergs et inscrits dans un champ sociopolitique local complexe,qui les dpasse souvent, et les tentations de drive sont nom-breuses : fermer les yeux sur les clivages ou tout simplement ne pasvoir clairement comment les positions ou les pouvoirs se distribuent,ne pas sapercevoir que liniquit est ici consensuelle et prfrable sa remise en cause, mal valuer la marge de manuvre de certains

    groupes ou celle des animateurs, glisser dans une complicit taciteavec les groupes sociaux dominants qui vont saccaparer lesressources de lintervention ou encore tomber dans la technicisation outrance des problmes pour sortir de la complexit sociopolitique.Toutes ces attitudes comportent autant de risques dchecs, et defait, il est difficile danimer des ateliers participatifs alors mme que lecontrle social y est trs puissant et les censures ou autocensurescourantes. Il faut se garder du postulat populiste qui fait croire quilsuffit dtre ouvert pour susciter la transparence ou du postulat

    64 Ph. Lavigne Delville, M. Mathieu, Donner corps aux ambitions : le diagnostic

    participatif comme enjeu de pouvoir et comme processus social in Ph. LavigneDelville, N. Sellamna et M. Mathieu (coord.), Les Enqutes participatives en dbat :ambitions, pratiques, enjeux, Paris/Montpellier, Karthala/Gret/Icra, 2000.65 A. Salam Fall, A. Lericollais, op. cit.66 A. Waters-Bayer, W. Bayers, Planification avec des pasteurs. MARP et au del, uncompte rendu de mthode centr sur lAfrique, Eschborn, Deutsche Gesellschaft frTechnische Zusammenarbeit (GTZ), 1995.67 M. Leroy, La Participation dans les projets de dveloppement. Une analysecritique, Paris, ditions AgroParisTech-ENGREF, 2009.68 B. Guye, mergence et dveloppement de la Mthode active de recherche et deplanification participatives au Sahel. Acquis, contraintes et nouveaux dfis. Londres,IIED, 1999.

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    communautariste qui idalise la notion de communaut au dtrimentde la ralit des conflits qui la segmentent. La tentation est grande delaisser les ateliers se drouler sous le contrle de quelques partici-pants et doublier que les outils doivent permettre lexpression du plusgrand nombre afin de mettre en vidence des problmes et descontradictions entre groupes. Le fait quune MARP permette dappr-hender les rapports sociaux est loin dtre vident69 et il est tabli queles populations sorganisent, ragissent, sadaptent de faon com-plexe aux dmarches et sollicitations participatives70.

    Une autre limite vidente est que la participation reste souventconfine une seule phase du projet. Les processus de dvelop-pement sont encore rarement participatifs dans leur ensemble et lespopulations consultes ne peuvent en ralit peser sur toutes lesautres dimensions du projet (circuits dapprovisionnement, rythmesde dcaissement). Elles restent dpendantes des structures institu-tionnelles et dcisionnelles de laide, souvent centralises, et de fait,leurs priorits ne peuvent sexprimer.

    La conduite dateliers participatifs ncessite donc la conju-gaison dun grand nombre dexigences et de comptences71. Il sagitnon seulement de la connaissance des techniques danimation degroupe, de la psychosociologie des groupes restreints, mais pluslargement de la mthodologie de lenqute en sciences sociales. Estgalement ncessaire la connaissance des normes de fonctionne-ments sociaux des groupes cibles. Il est donc impossible de conduireune MARP sans une quipe exprimente et pluridisciplinaire,capable de sapproprier le principe dune dmarche itrative quiimplique que les analyses en cours dterminent les outils qui seront

    immdiatement utiliss pour la suite.On pourrait formuler les mmes rserves propos dun autre

    outil : la matrice du cadre logique. Initialement dvelopp parlAgence des tats-Unis pour le dveloppement international (UnitedStates Agency for International Development, USAID)72, le cadrelogique sest aujourdhui impos comme la grammaire commune detous les oprateurs du dveloppement pour dcrire les projets etformaliser leurs objectifs73. Il nest cependant pas exempt de critiques

    69 L. Boutinot, Questions sur la neutralit des outils de type jeux de rle etcartographie participative dans une exprience de gouvernance foncire au

    Sngal , Norois, vol. 4, n209, 2008.70 J.-P. Chauveau (coord.), La Dynamique des socits rurales face aux projetsparticipatifs de dveloppement rural, Srie Participation populaire n11, Rome, FAO,1997.71 Lutilisation de la MARP dans le cadre de la gestion des terroirs , Rapport delatelier de formation sur la Mthode active de recherche et de planificationparticipatives (MARP), Koudougo, UNSO, PNGT, 1993.72 L. Rosenberg, L. Posner, The Logical Framework: A Manager's Guide to aScientific Approach to Design and Evaluation, Washington DC, Practical ConceptsIncorporated, 1979.73 Banque mondiale, The Logframe Handbook. A Logical Framework Approach toProject Management, Washington DC, Banque mondiale, 2000.

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    La critique des cadres conceptuelsactuels du dveloppement

    Le fait que le dveloppement se soit prioritairement orient vers lalutte contre la pauvret, depuis plus de dix ans, pose aussi question.Dans la pratique et dans la plupart des cas, les projets se contententdafficher cette intention mais sans toutefois la convertir concrtementet explicitement en termes doprationnalit. La dtermination des

    plus pauvres, leur inclusion relle dans les bnficiaires, la carac-trisation de leur vulnrabilit restent floues. On reste trop souventsur une situation de principe : On travaille avec des gens ensituation moyenne ou pauvre, donc on a forcment un impact sur lalutte contre la pauvret et les ingalits 79. Ce raisonnement impli-cite mconnat la difficult pour les projets de toucher les plusvulnrables ou la capacit pour les moins pauvres de saccaparer oude dtourner les ressources gnres par les projets80. La pauvretest souvent pense de manire mutile, rduite ses seules dimen-sions montaires ou conomiques, alors mme quelle renvoie aussi des dficits de capitaux immatriels (social, symbolique ouculturel)81, et il nest pas interdit de se demander si la lutte contre la

    pauvret est susceptible de fonder rationnellement les interven-tions des organisations publiques 82.

    De la mme manire, la notion de dveloppementintgr 83, promue aujourdhui par les grandes institutions qui incar-nent lidologie du dveloppement, est dj soumise la critique.Dveloppe en rponse aux reproches qui stigmatisaient les para-digmes des dcennies 1980 et 1990, cale sur les principes duconsensus de Washington, cette notion associe proccupationssociales, conomiques et environnementales. Se trouvent donc agr-

    79 Ph. Lavigne Delville, A. S. Brouillet, M. Lvy, Les projets de dveloppement

    contribuent-ils la lutte contre la pauvret, les ingalits et lexclusion ? Une grilledanalyse, Les notes mthodologiques, Paris, Gret, Direction scientifique, 2007.80 J.-P. Olivier de Sardan, 1995, op cit.81 Le capital social est une notion qui a pu tre dveloppe par P. Bourdieunotamment dans Le sociologue en question in Questions de sociologie(ditionsde Minuit, 1984) ou, dans une acception diffrente, par R. D. Puntman dans BowlingAlone: The Collapse and Revival of American Community (Simon and Shuster,2000).82 J.-M. Severino, Refonder laide au dveloppement au XXIe sicle , Critiqueinternationale, vol. 10, n1, 2001.83 J. Ritzen, W. Easterly, M. Woolcock, On Good Politicians and Bad Policies: SocialCohesion, Institutions and Growth, Washington DC, World Bank, 2000.

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    ges la question des institutions et de la gouvernance, celle delconomie et de la proccupation sociale, elle-mme adosse celledes liberts, thme redevenu majeur notamment grce aux contri-butions dAmartya Sen84. Cela dit, ces changements affichs depriorits, qui pourraient laisser penser que les droits individuels sontredevenus centraux, sont dj critiqus. Il est dj possible de serfrer des dmonstrations qui suggrent que les finalits et modesdintervention restent les mmes85. On pourrait formuler la mmecritique sur un des nouveaux paradigmes en vogue, celui des bienscommuns plantaires 86, et regretter que tous ces modes soientdabord orients vers la justification et la lgitimation des politiques dedveloppement.

    Le paternalisme offensant

    Hegel, en 1828, crivait :

    () ni la zone chaude, ni la zone froide ne sontfavorables la libert de lhomme et lapparitionde peuples historiques. Dans les endroits o lanature est trop puissante, il est difficile pourlhomme de se librer, de slever au degr delibert qui lui permettrait de se livrer des intrtssuprieurs, spirituels. LAfrique est pour cela, defaon gnrale, le pays repli sur lui-mme et qui persiste dans ce caractre principal de concen-

    tration sur soi (). Ce que nous comprenons sousle nom dAfrique, cest un monde anhistorique nondvelopp, entirement prisonnier de lesprit naturelet dont la place se trouve encore au seuil delHistoire Universelle 87.

    Depuis des sicles, en effet, lAfrique est victime dereprsentations sociales et collectives dgradantes88. Particulire-ment vives lpoque de la colonisation

    89 (et bien sr ds avant

    84 A. Sen, Un Nouveau modle conomique. Dveloppement, justice, libert, Paris,Odile Jacob, 2003.85 B. Prvost, Les Fondements philosophiques et idologiques du nouveau discourssur le dveloppement, version provisoire, Montpellier, universit Montpellier 3, CEMI,2002.86 I Kaul, I. Grunberg, M. Stern, Global Public Goods: International Cooperation in the21st Century, New York, Oxford University Press for the United DevelopmentProgramme, 1999.87 Hegel, La Raison dans lHistoire[1830], Paris, Le Livre de poche, 2003.88 W.-C. Cohen, Franais et Africains. Les Noirs dans le regard des Blancs, 1530-1880, Paris, Gallimard, 1981.89 A. Chatelier (dir.), Images et colonies, Paris, La Dcouverte/Syros, 1993.

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    galement)90, ces reprsentations qui ont ensauvag lAfrique ontcertes t dnonces assez vite par quelques grandes cons-ciences91. Si elles sont aujourdhui attnues, elles demeurent pr-sentes sous des formes dguises, dans des strotypes offensantset paternalistes92 que lon retrouve souvent en filigrane (lorsque cenest pas plus vident) jusque dans le monde des oprateurs dudveloppement. De fait, ces reprsentations des bnficiaires influencent directement la conception des programmes de dvelop-pement et la logique des interventions, qui se retrouvent adosss un culturalisme grevant fortement lefficacit de toute une partie delaide.

    Pour le comprendre, il faut invoquer ici lhritage considrablelaiss par des sicles dimages et de discours ngatifs, vhiculs pardinnombrables vecteurs. La thorie des races, les manuels scolairesqui les reprenaient leur compte, la socio-anthropologie et sonanthropomtrie faciale, les crits de mdecins ou gouverneurs dans

    les colonies93, les travaux de scientifiques renomms94 et depenseurs illustres95, toute une littrature (Tintin au Congonest quunexemple pris dans un vaste corpus96) ou bien encore la gographie97,la politique98, etc., ont t autant de biais massifs de diffusion, sur letemps long et de larges chelles, dimages dgradantes.

    Si la mmoire collective a oubli la violence de cesreprsentations99, de certaines de ses manifestations100 ou de

    90 Y. Monnier, LAfrique dans limaginaire franais (fin XIXe et dbutXXe), Paris,LHarmattan, 1999.91

    Leiris, Senghor, Bachelard, Griaule ont dnonc ces strotypes jusqu laparution de Prsence africainedont le premier numro tait ddi la rhabilitationdu Noir-Africain, avec des textes de Gide, Monod ou Sartre.92 P. Dewitte, Regards blancs et colres noires , Hommes et migrations, mai1990.93 Adolphe Cureau, dans Les Socits primitives de lAfrique quatoriale (1912),estime quautour de lge de 10 ans, les Noirs rgressent intellectuellement de faonirrmdiable et restent incapables de toute abstraction.94 L. Lvy-Bruhl, Les Fonctions mentales dans les socits infrieures, Paris, PUF,1951.95 E. Renan, Rforme intellectuelle et morale(Calmann Ly, 1871), cit in G. Comte,L'Empire triomphant, Paris, Denol, 1988 : Autant les conqutes entre mmesraces doivent tre blmes, autant la rgnration des races infrieures ouabtardies par les races suprieures est dans lordre providentiel de lhumanit () ;une race de travailleurs de la terre, c'est le ngre. 96 L. Fanoudh-Siefer, Le Mythe du ngre et de lAfrique noire dans la littraturefranaise (de 1800 la deuxime guerre mondiale), Paris, Klincksieck, 1968.97 Les Ngres sont en gnral bien faits et robustes, mais paresseux, fourbes,ivrognes, gourmands et malpropres , in Crozat, Gographie universelle, Limoges,Martial Ardant, 1827 [1843].98 Montesquieu crit dans LEsprit des lois : LAfrique est dans un climat pareil celui du midi de lAsie et elle est dans une mme servitude , mais on pourrait citeraussi Arthur de Gobineau et son Essai sur lingalit des races qui contribua lmergence de l'exaltation de la conscience de race. 99 J.-P. Chrtien, Histoire dAfrique, les enjeux de mmoire, Paris, Karthala, 1999.100 N. Blancel, P. Blanchard, G. Botsch, E. Deroo, S. Lemaire et al., Zoos humains,Paris, La Dcouverte, 2004.

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    certaines de ses cibles particulires101, particulirement lesfemmes102, de nombreux clichs demeurent. Au Tchad, la stigma-tisation par certains oprateurs de dveloppement de la consomma-tion dalcool par les paysans est symptomatique de ce paternalisme.Est ainsi dfendue lide que la fabrication des bires traditionnelles,faites par exemple partir de mil, sacrifie une partie de la rcoltevivrire et menace la scurit alimentaire103. Autrement dit, ce qui estsous-entendu ici, cest que les Africains sont imprvoyants, irres-ponsables, mauvais gestionnaires de leurs ressources et que certainsde leurs fonctionnements sociaux, mme sils sont tablis de longuedate104, leur sont prjudiciables, leur insu, et quil est important deles soumettre examen et correction105.

    Les strotypes qui affectent les reprsentations desoprateurs et des agents de dveloppement sont ainsi lgion, endpit des ouvrages de spcialistes qui essayent de les rfuter106. Lacommunaut villageoise africaine est consensuelle107. La solidarit

    africaine relve de la gnrosit108. Il est inscrit dans leur culturedavoir de trs nombreux enfants109. Lentrepreneur est une figuretrangre aux cultures africaines110. La mosaque ethnique expliqueles conflits africains et les troubles sociaux111. Malheureusement, cesstrotypes sont solidement ancrs et lon mesure quel point ilspeuvent influencer ou mutiler la comprhension des mcanismessociopolitiques, qui est pourtant la condition sine qua non de larussite de bien des interventions. Non seulement les sciencessociales ne se voient pas toujours accorder limportance quellesmritent112, mais plus encore les regards ports sur les socits par

    101 G. Botsch, E. Savarse, Le corps de lAfricaine : rotisation et inversion ,Cahiers dtudes africaines, vol. 39, n153, 1999.102Y. Le Bihan, Lambivalence du regard colonial port sur les femmes dAfriquenoire , Cahiers d'tudes africaines, n 183, 2006, mis en ligne le 12 octobre 2006,.103 G. Magrin, K. Mbayhoudel, Manger Boire. Flau Social ? Enjeux et dynamiquesde la consommation dalcool au Sud du Tchad, Paris, CIRAD et PRASAC, 2002.104 G. Nachtigal, Sahara and Sudan, t.III, The Chad Basin and Bagirmi [1881], trad.Allan G.B. Fisher et Humphrey J. Fisher, Londres, C. Hurst & Company, 1987.105 G. Magrin, K. Mbayhoudel, op. cit.106 G. Courrade (dir.), LAfrique des ides reues, Paris, Belin, 2006.107 J.-P. Olivier de Sardan, Anthropologie du dveloppement , in P. Bonte etM. Izard (dir.), Dictionnaire de lethnologie et de lanthropologie, Paris, PUF (2e d.),

    2000, p. 758-759.108 S. Ndembou, La solidarit africaine relve de la gnrosit , in LAfrique desides reues, op. cit.109 T. Locoh, J. Vallin, Afrique noire : la baisse de la fcondit , in Population etsocits, n338, 1998.110 S. Ellis, Y.-A. Faur, Entreprises et entrepreneurs africains, Paris,Karthala/ORSTOM, 1995.111 C. Bouquet, Guerres et conflits en Afrique : la dcomposition des pouvoirs etdes territoires , Actes du festival international de gographie de Saint-Di, octobre2008.112 Ph. Lavigne Delville, quoi servent les sciences sociales dans les projets dedveloppement rural ? Points de Vue d'un Agent Double , Le Bulletin de l'APAD,

    http://etudesafricaines.revues.org/index6019.htmlhttp://etudesafricaines.revues.org/index6019.html
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    G. Liscia / Pour en finir avec la critique de laide

    les acteurs du dveloppement sont teints dun essentialisme quientache durablement la porte des actions entreprises. Pierre Janin apu montrer propos de lAfrique de lOuest que le strotype de lacommunaut villageoise galitaire obre largement les comprhen-sions de linscurit alimentaire et des hirarchies sociales, quidistribuent trs ingalement la perception du risque et les vulnra-bilits113. Lefficacit des projets et politiques de renforcement de lascurit alimentaire ptit videmment de cette mconnaissance. Cesreprsentations culturalistes, bien que silencieuses, figurent proba-blement au rang des obstacles les plus tenaces lamlioration delefficacit de laide.

    Le champ du dveloppement est ainsi parcouru par unepremire dialectique, celle dun culturalisme qui altre la foiscertains de ses modes dintervention et certaines formes de sacritique. Il est galement travers par une seconde dialectique, visiblelorsquon le situe dans le jeu des relations internationales. Le sys-tme daide apparat alors comme ambivalent, dsorganis par lacoexistence de deux intentions : une, clairement affiche, autour dela rduction de la pauvret, et lautre qui, sans tre cache, renvoie des objectifs gopolitiques moins explicites et au fait que le dvelop-pement devient un instrument de stabilisation, dintimidation ou dedissuasion (par exemple par loctroi ou le refus de laide). Sommetoute, cest bien dans une bance que le dveloppement noussemble pris. Il est dabord comprhensible comme un processus detransition ou de transformation des socits vers une conomiemoderne, par la croissance. Il est galement perceptible comme uneambition damlioration de la qualit et du niveau de vie, de rductionde la pauvret. Sa premire dimension implique un processushistorique et la seconde renvoie plutt une intention (presque unprogramme) politique et sociale. Le systme daide, avec tout sonappareillage idologique, postule que la premire entranera laseconde. Or ce lien est problmatique, variablement observ, soumis des dbats qui ne cessent de rester ouverts. Le dveloppement estpris dans cette dialectisation de fond et dans cette interrogation dulien entre ces deux ambitions. Cest ce qui le dfinit le mieux notresens ; cest aussi ce qui explique sa grande fragilit et louvre tant la critique.

    n14, La dcentralisation au Mali : tat des lieux , mis en ligne le 29 janvier 2007,Apad.revues.org.113 P. Janin, La gestion spatio-temporelle de la soudure alimentaire dans le Sahelburkinab , Revue Tiers Monde, n180, 2004.