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Pourenfiniravecle«développementdesressources»

DidierDelignièresUniversitédeMontpellier

Misenlignele26avril2016

https://didierdelignieresblog.wordpress.com/2016/04/26/pour-en-finir-avec-le-developpement-des-ressources/

C’est avec un certain soulagement que j’ai vu disparaître des récents programmes del’Education Physique et Sportive ce qui constituait depuis des décennies son premierobjectif:«Ledéveloppementet lamobilisationdesressources individuelles favorisantl’enrichissementdelamotricité».Soyonsclair:jenesuispasentraindedirequel’EPSdoit renoncer à améliorer les pouvoirs moteurs des élèves. Je me suis exprimé à denombreuses reprises sur la nécessité pour les élèves de réaliser des apprentissagessignificatifs, d’atteindre des niveaux avérés de performance, de construire descompétences effectives dans les activités sportives et artistiques. Ce que je tiens àinterrogerici,cesontlesdérivesquecetobjectifde«développementdesressources»apu entraîner dans les représentations que les enseignants avaient de leurs missionsauprèsdesélèves.Cettethématiqueapparaîtd’ailleurstoujoursdansleprogrammedel’écrit2duCAPEPS,ettendàsusciterchezlescandidatsetlesformateursdesmontagesthéoriquesassezdéconcertants.

Lorsque l’on interroge lesétudiantsou lesenseignantssurcettenotionderessources,leurs réponses se basent généralement sur la littérature obligée du domaine, etnotamment lesclassificationsproposéesparDuring(1989),distinguant lesressourcesbiomécaniques, informationnelles, affectives, énergétiques, et sémiotrices, ou parFamose (1983), identifiant les ressources bio-informationnelles, bioénergétiques, etbiomécaniques.Diversesautresclassificationsontétéproposées,iln’yaguèred’intérêtàenfairel’inventaireexclusif.Cetteapprochegénèresouventdansl’espritdesétudiantsunevisiondel’élèvequel’onpourraitcompareràunearmoireàépices,unensembledetiroirs dans lesquels chaque «ressource» mènerait son existence indépendante. Ilconviendrait dès lors de travailler sélectivement sur chacune de ces ressources, demanière délibérée et rationnelle, afin de parvenir à un développement complet etéquilibrédel’ensemble.

Cette idéerenvoieàune traditionhistoriquede l’EducationPhysique,etnotammentàl’époquedesgymnastiquesconstruites,oùlaconceptiondesexercicesetdesleçonsétaitprincipalementdictéepardes classifications (biomécaniques,physiologiques, etc.)des«ressources»qu’ilconvenaitdedévelopper(voirparexempleBellinduCoteau,1930,ou Loisel, 1935). Bien que la discipline ait connu depuis des évolutions majeures, etnotamment sa sportivisation dans les années 60, cette idée a perduré puisquequ’elleapparaît encore en 2010 comme le premier objectif des programmes d’EPS au lycée.Cette conception a été amplement alimentée par les travaux de Famose (1983, 1985,1990), qui ont pu laisser penser qu’il était possible de construire des tâches ciblantspécifiquementtelleoutelleressourcepourenfavoriserledéveloppement.Onvoitainsidescandidatsauxconcourscaresserdansleurscopiesdesrêvesdedémiurge,opérantdes frappes chirurgicales sur des ressources sélectionnées, par la magie de tâchessavammentconstruites.

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Jeconçoisqu’unetelleapprochepuisseséduire.PouruneEducationPhysiquedésireusede se doter des attributs de sérieux, de systématique qui siéent à toute disciplinescolaire qui se respecte, qui vise aussi à se démarquerde son imagededéfouloir destensionsscolaires,ledéveloppementrationnel,contrôlé,scientifiquedes«ressources»peutêtreconsidérécommeuneentrepriseattractive.

Il convient néanmoins de prendre un peu de recul vis-à-vis de ces inventaires de«ressources»,quiconstituentgénéralementunmelting-potinterdisciplinaire,associantdes concepts hétéroclites, issus de la psychologie expérimentale, de la psychologiesociale,delaphysiologie,etc.Onretrouvel’originedececonceptderessourcesdansdestravaux déjà anciens qui visaient à rendre compte du comportement de sujets ensituation de double tâche (Kahneman, 1973; Navon & Gopher, 1981). Les auteursdéfendaient l’idée que le système cognitif était composé de multiples «ressources»(processusinformationnels,réservoirsénergétiques),quipouvaientêtredistribuéessurles différents aspects de la tâche. D’autres auteurs, dans des domaines de recherchedifférents,onttentéd’identifierdes«facteursdelaperformance»(aptitudes,habileté,effort, etc.), que l’on a ensuite regroupés sous le concept générique de «ressources»(Famose,1983).

Il faut cependant garder à l’esprit que ces «ressources», auxquelles on a tendance àattribuer une existence palpable, ne sont généralement que des constructionsthéoriques,destinéesàmettrede l’ordredansune réalité inobservable.Lesaptitudes,par exemple, ne sont guère que des facteurs statistiques permettant de décrire lacohérencedesperformancesdansdestâchesvoisines(Fleischman,1964).Lestraitsdepersonnalitéontétémisenévidenceselonunelogiquesimilaire(Eysenck,1967).Quantaumodèledesstadesdetraitementdel’information,quisous-tendl’idéede«ressourcescognitives», il a été construit au prix de subtilités expérimentales et statistiques(Sternberg,1969)dontlapertinenceaétédepuisquestionnée.

Au-delà, il est clair que les différentes «ressources», quoique souvent considéréesdemanière indifférenciée, semblentposséderdespropriétés fortdiverses.Certaines sontdécrites comme transversales (les aptitudes, les traits de personnalité), d’autresextrêmement spécifiques (les connaissances, les habiletés), certaines sont conçuescommeprincipalement innéesetpeumodifiablespar lapratique,d’autres commedesproduitsdel’apprentissage.

Il convient en outre de garder à l’esprit que l’enseignant n’a pas et n’aura jamais decontactdirectavecles«ressources».Ilestenpriseaveclecomportementdel’élève,uneentitéglobaleetdifficilementdissécable.Cecomportementestévidemmentsous-tenduparunecombinaisondeprocessus,maisdontilestdifficilementconcevablededéviderl’écheveau.

Onpeutêtrealorscirconspectvis-à-visdesdiagnosticsquelesenseignantss’autorisentàénonceràproposdetelleoutelleperformanced’élève.Onpeuttoujoursaffirmerquetelcomportementestdéterminépar«unefaiblecoordinationmotrice»,ou«uneprised’informationincomplète».Maiscen’estparcequel’onmetunnomsurlamaladiequel’onguéritlemalade.L’enseignantn’aprisequesurlecomportementglobaldel’élèveetcen’estqu’àceniveauholistiquequ’ilpeutagir.Lesthéorisationsplusmicroscopiquesnesontqu’undécorumsansgrandeutilitépratique.Proposonscethéorème:faceàuneperformancedonnée,onpeuttoujoursdéfinirune infinitéde«ressources»supposéeslasous-tendre.Ilsuffitd’avoirdel’imagination,maiscelanesertpasàgrand-chose.

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Quant à l’idée selon laquelle il serait possible de cibler sélectivement telle ou telle«ressource»,elletientdifficilementàl’analyse.Ilestpeutêtrepossiblededirequetelleoutelletâchesollicitedemanièrepréférentielletelleoutelle«ressource».Maisaucunemanifestationcomportementalenepeutêtre considéréecomme l’expressionexclusived’une«ressource»unique.

Par ailleurs, on ne saurait affirmer que des performances similaires renvoient àl’investissement de ressources identiques. Le comportement de l’élève est avant toutcaractérisé par sa singularité. Il y a une infinité de manières de réaliser une tâchedonnée,etchacunconstruitsaréussiteenfonctiondecequ’ilest,desamorphologie,desaconstitution,desesapprentissagesantérieurs,desespréférences.Lorsqu’unindividuréaliseuneperformancechronométrique,encourseouennatation,ilestdifficilededirece qui revient à son potentiel énergétique, à l’efficience de sa technique, ou àl’investissementqu’ilaconsenti.

C’est déjà vrai dans le cadre de tâches simples. C’est encore plus évident en ce quiconcernelessituationscomplexesoùsontàl’œuvrecequel’onappellelescompétences.Evidemmentonpeutsupposerque l’individudansunesituationcomplexeexploite les«ressources»qu’il a à sadisposition.Mais il le fait dansune combinatoirequi lui estpropre, et qui évolue sans doute d’unmoment à l’autre. Il serait bien présomptueuxd’essayerd’enavoiruneapprocheanalytique.

Encoreune fois, jenesuispasen traindedireque l’enseignantd’EPSdoit renonceràaméliorerlamotricitédel’élève,nimêmesionytientvraimentles«ressources»quilasous-tendent.Maisavanttoutl’EPSn’adesensquesil’élèveconstruitdescompétencesavérées dans des activités culturellement signifiantes. Ceci suppose une pratiqueprolongée, une recherche explicite de progrès. Et dès lors qu’un élève pratique demanièrepersistante,dèsqu’ilprogressedansl’activité,onpeutadmettrequ’ildéveloppeles«ressources»quecetteactivitérequiert.Onneconstruitpasunecompétencepourdévelopperlesressources,maisenpoursuivantlaconstructiondescompétences,onnemanquecertainementpasdedévelopperles«ressources»qu’ellesexploitent.

Mais surtout l’élève n’est pas une collection de «ressources», qu’il conviendrait dedévelopper de manière systématique. L’élève est une entité globale, confrontée à lacomplexité des pratiques sociales. Alors en effet les élèves doivent progresser. Ilsdoivent maîtriser des situations sportives complexes. Mais cette obnubilation dudéveloppementscientifiquedesressources,completetéquilibré,ilestsaged’éviterd’enfaireunefinalitéprioritaire.

Références

Ackerman,P.L. (1988).Determinantsof individualdifferencesduring skill acquisition:cognitiveabilitiesand informationprocessing. JournalofExperimentalPsychology,117,288-318.

BellinduCoteau,M.(1930).Laméthodesportive.InM.E.LabbéetM.BellinduCoteau,Traitéd'Educationphysique.Paris:Doin.

During, B. (1989). Ressources et conduitesmotrices. In B. During,M. Brousse, J.M. LeChevalier,&M.Pradet(Eds.),Energieetconduitesmotrices.Paris:INSEP.

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Eysenck,H.J.(1967).ThebiologicalBasisofPersonality.Springfield:Thomas.

Famose, J.P. (1983). Stratégies pédagogiques, tâches motrices et traitement del'information. In J.P. Famose, J. Bertsch, E. Champion&M. Durand,TâchesmotricesetstratégiespédagogiquesenEducationPhysiqueetSportive(pp.9-21).Paris:EPS.

Famose,J.P.(1985).L'habiletémotrice:théorieetenseignement.STAPS,12,31-48.

Famose, J.P. (1990). Apprentissage moteur et difficulté de la tâche. Paris: INSEP.

Fleischman,E.A.(1964).Structureandmeasurementofphysicalfitness.EnglewoodCliffs:PrenticeHall.Kahneman,D.(1973).Attentionandeffort.New-York:PrenticeHall.

Loisel,E.(1935).Basespsychologiquesdel'éducationphysique.Paris:F.Nathan.Navon, D., & Gopher, D. (1981). Task difficulty, resources and dual task performance. In R.S. Nikerson (Ed.), Attention and performance, VIII (297-315). Hillsdale, NJ: Erlbaum.

Sternberg,S.(1969).Thediscoveryofprocessingstages.ActaPsychologica,30,276-315.