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1 Pour nous-mêmes : des femmes lisent le Coran

Pour Nous Memes Fr

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  • 1Pour nous-mmes :

    des femmes lisent le Coran

  • Premire parution : "For ourselves: Women reading the Qur'an", WLUML, 1997.Traduction en franais : Aida Camara / Dakar, Sngal / Edition : WLUML Coordinationinternationale, 1998.

    Copyright et publi par Femmes sous lois musulmanes en 1998.

    Tous droits rservs. Sans limitation des droits sous copyright, aucune partie de cettepublication ne peut tre reproduite, stocke ou introduite dans un systme de recherchedocumentaire, ou transmise sous quelque forme que ce soit ou par quelque moyen quece soit (lectronique, mcanique, photocopie, enregistrement ou autre) sans uneautorisation crite pralable du dtenteur du copyright et en dehors de l'diteur de celivre.

    Les opinions exprimes par les participants la runion sur les interprtations du Coranpar les femmes et transcrites ici ne refltent pas ncessairement les points de vue etpositions du rseau Femmes sous lois musulmanes.

  • 5 Glossaire

    9 Prface : Prsentation du rseau Femmes sous lois musulmanes14 Pour nous-mmes : des femmes lisent le Coran : Introduction

    21 Partie 1A : Interprtation et jurisprudence21 Sur la question de l'interprtation39 Discussion sur l'histoire de la jurisprudence et du ijtihad

    55 Partie 1B : Les mythes fondateurs et la Sourate Al Nissa (4):verset 34

    66 Premire prsentation sur la Sourate Al Nissa (4): verset 3475 Deuxime prsentation sur la Sourate Al Nissa (4): verset 3485 Discussion sur les deux premires prsentations102 Troisime prsentation sur la Sourate Al Nissa (4): verset 34109 Des principes coraniques la codification

    119 Partie 2A: Le processus de la jurisprudence musulmane: les femmes dans la famille

    119 L'exemple du divorce138 La pension alimentaire aprs le divorce149 La polygamie et l'ge nuptial153 L'hritage et l'adoption

    Sommaire

  • 165 Le mariage avec des non musulmans172 L'interface entre la coutume et la jurisprudence codifie

    181 Partie 2B : Le processus de la jurisprudence musulmane : les femmes dans la socit

    181 Discussion sur la zina205 Sur la codification du chtiment et de la preuve211 La femme en tant que champ218 Le langage de la parit de genre : les houris et la prfrence

    pour le fils222 Les relations entre l'habillement, la pudeur et la sexualit

    251 Partie 3 : Actions et stratgies

    251 Le contexte de l'interprtation261 Actions et stratgies

    279 Annexe : Le programme Femmes et loi dans le monde musulman 280 Pour une lecture plus pousse281 Index

  • ahadithdictons et traditions du Prophte, tels querapports par des gnrations dedisciples

    burqaforme de voile consistant en un longvtement de dessus, de type manteau,ajust ou large, avec un accessoiredistinct, servant couvrir la tte et levisage

    chaddar aur char deewari / chardeewari (Ourdou)littralement "le voile et quatre murs",c'est--dire le purdah et l'isolement desfemmes

    charialittralement "la voie"

    chouraconseil consultatif

    darajadegr, tendue

    dhotilong morceau de tissu port enroulautour de la taille. Il couvre la partieinfrieure du corps, et est utilis par leshommes et les femmes dans denombreuses parties du sous-continent

    dupattalong morceau de tissu port soit sur latte, soit sur les paules, et en biais surla poitrine. Il fait partie du shalwar kamizdes femmes

    Fiqu-e-Jafriale fiqh chiite

    haddchtiment maximal donn sous lajurisprudence musulmane

    hadithsingulier de ahadith

    haq mehrdot ; lment essentiel d'un contrat demariage musulman

    Hijratl'anne de la migration du ProphteMohammed la Mecque, 622 aprs J.C

    hilalamariage intermdiaire obligatoire (avecune tierce personne) pour une femmecherchant se remarier avec son ex-mari

    iddatpriode d'attente obligatoire pour unefemme qui a t soit divorce, soitveuve ; elle ne peut se marier pendantcette priode

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    Glossaire

  • ijmatroisime fondement de l'Islam ;consentement unanime des rudits. LeIjma peut tre exprim travers uneopinion dclare, l'unanimit dans lapratique, et par le silence /noninterfrence

    ijtihaddduction logique par rapport unequestion juridique ou thologique

    istidlalterme utilis en exgse pour unedclaration ncessitant une certainepreuve

    kurtalongue chemise porte par les hommeset les femmes dans de nombreusesrgions du sous-continent

    maulvipersonne qui dirige rgulirement laprire la mosque locale, ou touthomme religieux

    mehrvoir haq mehr

    mollahhomme religieux ; souvent utilis demanire pjorative

    nikahmariage, couple

    nikahnamacontrat de mariage musulman

    ulmapluriel de alim, les rudits, avec unerfrence spcifique la jurisprudence

    oummala communaut, les gens

    omraplerinage la Mecque

    qazffausse accusation, relativespcifiquement aux crimes soumis auhadd ; le qazf lui-mme peut tre soumisau hadd

    qadijuge ; en gnral, juge d'un tribunal de laCharia

    quismatdestin, chance

    qiyasquatrime fondement de l'Islam ;raisonnement analogique par rapport auCoran, aux ahadith et l'ijma

    ra'yterme de jurisprudence signifiant l'opinionpersonnelle ou le jugement individuelfond sur aucune source de droitreconnue

    shalwar kameezlongue chemise et pantalons largesports par les femmes dans certainesrgions du Pakistan et de l'Inde

    shalwar kurtalongue chemise et pantalons largesports par les hommes et les femmesdans certaines rgions du Pakistan et de l'Inde

    sunnales traditions du Prophte ; celles-cicomprennent ce que le Prophte lui-mme a fait, ce qu'il a enjoint de faire, etce qui a t dit ou fait en sa prsencesans qu'il ne l'interdise explicitement

    tafsircommentaire, exgse du Coran

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  • talaqdroit unilatral de l'homme divorcer

    talaq-i-tafwizdroit dlgu de la femme au divorce ; lemari peut tout moment au cours dumariage, accorder sa femme ou toutetierce personne, le droit conditionnel ouinconditionnel au divorce

    taqlidterme de jurisprudence qui signifie ladpendance non critique sur lesprcdents du pass et sur les colesexistantes

    tchadorlarge morceau de tissu utilis par lesfemmes dans les socits musulmanesorthodoxes, pour couvrir leur tte et leurcorps, mais laissant le visage dcouvert

    vozoo

    purification rituelle ; ncessaire avant laprire

    zinarelations sexuelles en dehors dumariage ; comprend la fornication etl'adultre

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  • 8

  • Le rseau Femmes sous lois musulmanes (WLUML) a t prsent par troisparticipantes.

    Le rseau WLUML n'est pas n de grandes considrations thoriques, mais commeune rponse des cas urgents. En 1984, trois fministes ont t arrtes en Algriepour avoir lu d'autres femmes le projet de loi propos sur le Code de la famille1. Ellesont t emprisonnes pour sept mois, sans aucun contact avec l'extrieur. C'est travers la campagne pour leur libration, organise avec de nombreuses autresorganisations, que pour la premire fois, le soutien est venu non seulement des librauxet des progressistes des pays occidentaux, mais galement de l'intrieur du TiersMonde et des pays musulmans ; nous pensions que la campagne serait trs diffrentesi nous pouvions galement obtenir un soutien au sein du monde musulman. Les troisfministes ont t libres au bout d'un mois et demi, ce qui est exceptionnel, commele savent la plupart d'entre vous.

    Nous avons reu pendant la campagne, le soutien de femmes Bombay, qui peu detemps aprs nous ont crit pour nous annoncer qu'une "jeune femme musulmane allaitauprs de la Cour Suprme pour remettre en question la constitutionnalit des loismusulmanes qui lui avaient t appliques pendant son divorce. Pouvez-vous obtenirdes signature des femmes algriennes pour organiser une campagne en sa faveur?" Laplupart d'entre vous connaissent peut-tre le cas de Shahnaz Sheikh, une femmeindienne de 24 ans2. Et cela a constitu le vritable dbut de notre rseau car nousavons pris conscience de l'norme capacit que nous avions si nous pouvions tre enrapport les unes avec les autres, avoir un flux continu d'information et nous soutenir lesunes les autres.

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    1. Loi vote le 9 juin 1984.2. En dcembre 1983, Shahnaz Sheikh, une indienne musulmane sunnite qui cherchait divorcer d'avec son mari tout en conservant cependant son droit la pension alimentaire, adpos une ptition auprs de la Cour Suprme indienne, sous prtexte que le droitmusulman sur la personne faisait de la discrimination envers les femmes et violait donc ledroit fondamental l'galit garanti tous les citoyens indiens conformment l'Article 19de la Constitution. Elle a en fin de compte retir sa ptition aprs avoir t la cible degroupes musulmans "fondamentalistes", mais aussi aprs avoir dcouvert que son avocattait membre du RRS, groupe hindou "fondamentaliste" qui cherchait utiliser cette affaireafin de s'introduire dans la propagande collective anti musulmane.

    Prface : Prsentation du rseau Femmes sous lois musulmanes

  • Le rseau WLUML est parti du principe que, alors quon prsume souvent quil y a unmonde musulman homogne, linteraction entre les femmes issues des socitsmusulmanes nous a trs clairement montr que nous partageons certaines choses -effectivement, beaucoup de choses - mais quil y a aussi de grandes diffrences dansles situations dans lesquelles nous nous trouvons, dans la vie que nous menons, dansles choix mis notre disposition. Dans le monde musulman, il existe des situations danslesquelles les femmes ont une libert trs restreinte, et sont trs recluses, danslesquelles nous n'avons que trs peu d'espace, mais il existe aussi d'autres situationso cet espace est beaucoup plus grand. Par exemple, rencontrer des femmes deTunisie en 1986 a t pour nombre d'entre nous originaires d'autres rgions une vraiervlation ; toute leur manire d'tre tait si diffrente que cela nous a ouvert la voie beaucoup plus de possibilits que celles dont nous disposions.

    Nous avons galement dcouvert qu'il existe de nombreuses coutumes, de nombreuxrituels et attitudes qui, nous dit-on dans nos pays respectifs, sont "islamiques", etpourtant, lorsque nous discutons et nous runissons, toutes cultures confondues, nousdcouvrons que les mmes choses ne se passent pas ailleurs. L'exemple le plusfrappant de la dernire interaction a t le fait que la circoncision fminine en Afriquesoit justifie comme un acte "islamique", est extrmement choquant pour celles d'entrenous qui venaient de rgions du monde musulman o cette pratique tait inconnue.

    Ainsi, une des tentatives du rseau est de simplement promouvoir et faciliterl'interaction entre nous (les femmes), afin que nous puissions faire la distinction entrece qui est religieux et ce qui est coutumier, par rapport la culture spcifique danslaquelle nous voluons. En retour, cela nous permet de voir plus facilement comment ilnous est strictement refus de raliser notre potentiel car il nous est dit que si nousfaisons X, cela n'est pas musulman ; si nous faisons Y, cela n'est pas pakistanais et sinous faisons Z, cela ne fait pas partie de la culture orientale laquelle nousappartenons. Au cours des 15 dernires annes au Pakistan, nous avons ressenti celatrs fortement. Tout ce que nous faisons, si nous essayons d'lever nos voix et remettreen question quelque chose, on nous dit tout le temps : "Vous n'tes pas islamiques,vous tes contre la religion, contre l'Etat, et en outre, cela n'appartient pas notreculture".

    Il nous a sembl que les gens nous imposent trop facilement silence de cette manire.Nous avons accept pendant trop longtemps que les autres (c'est--dire les personnespossdant le pouvoir social, politique et conomique) nous disent, par le biais de laculture dominante, ce que nous devrions faire.

    En juillet 1984, dix d'entre nous se sont rencontres l'occasion d'un rassemblementfministe en Hollande, ont cr un Comit d'Action des Femmes Sous LoisMusulmanes et ont pris l'engagement de soutenir les luttes des unes et des autres. Enjanvier 1985, le besoin d'avoir une structure permanente permettant d'avoir un fluxcontinu d'information et d'interaction a t identifi, et le rseau a t cr. Il s'estofficiellement runi pour la premire fois Aramon en avril 1986 quand dix d'entre nousont rdig ensemble le premier projet de Plan d'action de WLUML.

    Pour nous-mmes : des femmes lisent le Coran

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  • Le premier Plan d'action a dfini les besoins suivants : premirement, changerrgulirement des informations sur nos situations, nos luttes et nos stratgies diffrents niveaux, en partie par la production et la diffusion de Dossiers3.Deuximement, se soutenir les unes les autres, travers des "alertes pour action",c'est--dire que chaque fois qu'une affaire ou une question merge, qui nous concernetoutes, nous la diffusons et demandons chacune d'apporter son soutien. Mais celui-cin'est pas obligatoire. Ce n'est pas parce que vous appartenez au rseau que vous"devez" soutenir telle ou telle affaire. Le rseau n'est pas une organisation dogmatique.Il est souple, et il nous relie quand nous en ressentons le besoin. Il ne dit personnequelles sont les priorits dans son pays, dans sa vie personnelle ou dans le contextepolitique dans lequel il/elle vit. Le rseau nous lie donc uniquement, et nous aide noussoutenir les unes les autres. Troisimement, il nous sert organiser des activitscommunes qui nous profitent toutes dans la mesure o nous les avons nous mmesdfinies. Les deux premires activits dfinies dans le Plan d'action d'Aramon taientles suivantes : un programme d'change (ralis en 1988) ; un projet Femmes et lois.

    Le Programme d'change s'est droul en 1988 sur la constation que seulement lire lesralits, les stratgies et les luttes des autres n'est pas suffisant. Nous avons galementbesoin d'une exprience directe sur le fait de vivre avec d'autres femmes dans leurpropre ralit, afin d'tre inspires par tout ce que peuvent faire les autres femmes, etaussi tre capables de constater par nous mmes que dans un environnement diffrent,les femmes font face des problmes similaires aux ntres, par des moyens quipeuvent tre diffrents de notre propre action dans notre propre environnement. Lesfemmes activistes travaillant avec des groupes de femmes dans un pays musulman oudans une communaut musulmane, ont t envoyes au sein de groupes de femmesdans un autre pays.

    Etre transposes de l'univers dont on a l'habitude dans un contexte diffrent mais toutde mme musulman nous permet de sparer les choses que nous prsumonsnormalement former un ensemble, c'est--dire d'une part la religion, et d'autre part lestraditions et coutumes, et finalement l'utilisation politique de ces deux lments. Cesdiffrences apparaissent tellement plus clairement dans un pays autre que le ntre, parexemple, des femmes originaires de pays o les femmes sont voiles, qui vont dansdes pays o elles ne sont pas voiles tout en se dclarant quand mme musulmanes.Ce type d'exprience est trs rvlateur pour ce qui est de la tradition, et de la maniredont l'Islam, travers son expansion, a absorb diverses traditions qui ne faisaient paspartie du concept initial.

    Avant le Programme d'Echange, les participantes sont alles sur le terrain et sontentres en contact avec des personnes ressources reprsentant un large ventaild'approches aux problmes auxquels les femmes font face dans les cultures et

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    3. Les Dossiers sont un instrument informel de maillage de rseau visant donner desinformations sur la vie, les luttes et les stratgies des femmes vivant dans diverscommunauts et pays musulmans, travers le monde. Seize Dossiers ont t produits cejour.

  • 4. Les Ordonnances sur le Hudood ont t promulgues en 1979 par le Gnral Ziaul Haq,administrateur de la loi martiale, et comprennent la clbre Ordonnance sur l'infraction laZina (Application du Hudood).

    communauts musulmanes. Ainsi, nous avions invit une thologienne fministe qui aparl de ce qui pourrait tre une interprtation fministe du Coran, mais nous avionsgalement eu quelqu'un qui mettait l'accent sur les femmes opprimes par le patriarcat,une Iranienne qui a parl partir d'un point de vue marxiste, etc. De cette manire, lesfemmes ont t exposes une varit d'analyses qui ont montr qu'il existe denombreux moyens de faire face au mme problme. Elles pouvaient alors faire leurspropres choix. Les visites de terrain ont donn naissance beaucoup d'ides degroupes de travail partages par les femmes leur retour : un groupe de travail sur lethme "Pourquoi les femmes se joignent-elles aux groupes fondamentalistes" (bien sr,il y a beaucoup de controverse sur l'utilisation de ce mot, alors soyez patientes avecmoi, et nous trouverons un nom adquat plus tard), un autre sur le pouvoir financier desgroupes "fondamentalistes" : d'o tirent-ils leur argent? que font-ils avec? (Tellementplus que ce que nous pouvons faire!) ; un groupe de travail sur le fminisme dans notrepropre environnement ; et enfin, un groupe de recherche sur les femmes dans l'Islam,qui a conduit au prsent atelier sur l'interprtation du Coran par les femmes.

    Nous esprons que ceci dbouchera sur le prochain projet collectif de WLUML sur lesFemmes et la loi, dans lequel nous voulons compiler et comparer les diffrentes lois (ycompris le droit coutumier) qui touchent spcifiquement les femmes, et essayer dedcouvrir quelle tait l'origine historique et religieuse de ces lois. Nous aimerions lescomparer de sorte qu' la fin, nous puissions produire un manuel par lequel nouspourrons dire, si vous luttez par exemple pour une affaire de garde des enfants ou dedivorce, ou toute autre affaire, quelles sont les diffrences entre les diverses lois travers le monde musulman, montrer comment les gens ont essay de lutter contre ceslois oppressives, et avec quel degr de russite, etc., et indiquer comment contacterces personnes pour laborer des stratgies. Nous esprons galement que toutes lespersonnes prsentes cette runion et qui sont particulirement intresses par lesinterprtations du Coran, apporteront chacune leur aide, selon leurs proprescomptences, au programme Femmes et Loi dans le monde musulman qui constituerale prochain projet commun.

    Comme la plupart d'entre vous le savent peut-tre, il existe trs peu de ayat dans leCoran qui font rfrence aux femmes. Cependant, comme les rudits l'ont soulign, ilexiste un si grand nombre de jurisprudences concernant les femmes et les relationsentre les hommes et les femmes, que j'en ai le vertige. Pourquoi y a-t-il un tel besoinde consacrer autant de temps contrler les femmes musulmanes? Il ne semble pas yavoir d'autre religion qui insiste autant sur ce que l'on nous dit toujours : "Ah! Ceci estislamique, vous ne pouvez pas y toucher". Les Ordonnances sur le Hudood4 parexemple, qui mon avis, et de l'avis de nombreux rudits, ont fait jurisprudence ; onpeut les intgrer dans d'autres domaines, mais pas dans la loi. Et une fois qu'ellesdeviennent loi, nous sommes mises en avant, une parodie de justice, au nom de l'Islam.Ainsi, parce que la relation est si troite, nous aimerions galement que cet ateliers'orientt vers la loi et le savoir islamique.

    Pour nous-mmes : des femmes lisent le Coran

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  • Je pense que nous devons nous rappeler une chose, dans tout notre travail, ainsi quedans cette runion : les nombreuses similarits entre ce que j'appelle les groupesobscurantistes religieux n'existent pas seulement au sein du monde musulman. Il existed'normes points communs entre les peuples chrtiens, qui adoptent la mmeorientation et affirment les mmes choses vis vis des femmes qui leur disent : "Vousn'avez pas ces droits", en dclarant que "Notre religion est menace, notre culture estmenace", etc., etc. Ainsi, ces parallles vont au-del du simple monde musulman.Pour nous, il est donc logique de nous mettre en contact les unes avec les autres, etpas uniquement dans le monde musulman - ce qui est important- mais aussi avec lespersonnes qui travaillent en dehors de ce monde musulman sur des questionssimilaires. On vient juste de me donner le slogan d'un groupe religieux obscurantiste ou"fondamentaliste" en France : "Catholique et franais pour toujours".

    Prface

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  • Les textes suivants sont la transcription d'un atelier de 6 jours, "Runion surl'interprtation du Coran par les femmes" qui s'est tenu en 1990. L'ide d'organiser untel atelier est ne au cours du Programme d'change de Femmes sous loismusulmanes de 19885. Au cours de cet Echange, et par la suite, un certain nombre defemmes et de groupes de femmes ont exprim un besoin trs fort de briser le monopolede l'interprtation masculine. Une des participantes la runion a dclar ce qui suit :

    On nous dit toujours ce qu'il est "correct" et ce qu'il est "incorrect" de faire ; onnous menace toujours avec l'ide que "si vous ne respectez pas ceci, ceci etceci, et nous vous avons dit ce que 'ceci' est, alors vous tes excommunie" -si je peux utiliser ce mot dans le contexte islamique "vous ne faites plus partiede la famille musulmane". C'est une menace trs forte. Et celles d'entre nousqui ont vcu sous le rgime de la loi martiale du Gnral Ziaul Haq auPakistan, peuvent vous dire que ce rgime tait trs menaant car il nes'agissait pas seulement d'un type particulier d'Islam -et dans beaucoup decas, j'appellerai cela des injures l'Islam- que l'on instaure et diffuse dansnotre pays, mais de lois pouvantables, votes et appliques, qui renforcentcette interprtation particulire. Et nous avons dcouvert qu'une fois les loisvotes, il est extrmement difficile de les faire amender ou abroger. Nousavons constat (en luttant contre les propositions) qu'il est plus faciled'empcher une loi d'tre vote que de la faire amender.Exception faite de la ncessit d'avoir une interprtation du Coran par lesfemmes, le besoin s'tant galement fait ressentir de runir les femmestravaillant en ce moment -ou qui aimeraient travailler dans le futur-spcifiquement sur le Coran. Et ce parce que les quelques femmes ruditesque nous avons sont disperses dans diffrents pays. Nous voulons quebeaucoup de choses naissent de cet atelier, l'une d'elles tant un effort collectifpossible pour continuer travailler sur le Coran. Il existe de nombreuses ayatqui s'y rapportent, de sorte que ce travail peut ne pas durer 6 jours, mais plutt6 ou 16 ans. Un autre souhait est d'instaurer des liens entre les groupes defemmes au niveau communautaire et les universitaires, qui travaillent sur leCoran et la Sunna.

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    5. Voir la Prface pour plus de dtails sur le rseau WLUML et le Programme d'Echange.

    Pour nous-mmes : des femmes lisent le CoranIntroduction

  • Une explication plus personnalise de la logique de cette runion et des problmes querencontrent ceux qui cherchent rinterprter le Coran a t prsente par l'une dessix personnes ressources de la runion. Elle a expliqu que lorsqu'elle a commenc faire des recherches sur le thmes des femmes dans l'Islam :

    La majeure partie de ce travail tait pour moi une raction un fort besoinexistentiel. Je ne pensais pas que ceci aurait de l'intrt pour une autrepersonne. Puis, en 1983-84, l'ensemble du processus appel islamisation tait son apoge et il y eut une norme vague de violence contre les femmes, la fois physique et verbale dans la presse. Lorsque l'on dbat de ces lois, lesraisons avances le sont toujours sur la base de la religion, et vous ne pouvezpas vaincre une argumentation religieuse par une argumentation politique.Vous ne pouvez avoir le dessus dans une argumentation religieuse qu'avecune meilleure argumentation religieuse.A ce moment l, j'ai commenc rflchir dans une toute autre direction. Unemanire de faire tait de prendre un verset spcifique du Coran et de dire qu'ilest mal interprt, et de le prendre verset par verset. Mais cela ressemble unjeu de domino. Vous avez en dfense la premire ligne : il existe des versetsqui sont cits pour maintenir les femmes " leur place" ; vous luttez donc pourprsenter une interprtation alternative, et tes trs satisfaite. Mais cettesatisfaction ne dure pas trs longtemps, car derrire cette ligne de versetsexiste une autre ligne de versets, et ainsi de suite. Puis, il existe des millionset des millions de ahadith, et tout cela n'en finit pas. Nous devons concevoircette interprtation avec une mthode diffrente. Une personne ici a dit qu'ellene voulait pas remette en question l'Islam, mais ce que signifie "islam" est laquestion capitale. Il ne signifie certainement pas une seule chose. Comme laplupart des religions, l'Islam a de nombreuses sources, et la source primairesur laquelle tout le monde s'accorde est le Coran, puis les ahadith, le fiqh, leijma, le ijtihad et la jurisprudence. Non seulement ces sources ne forment pasun corps homogne, non seulement elles n'affirment pas la mme chose, maisen plus, elles comportent de nombreuses contradictions que je peux citer sansrflchir, qui sont des contradictions par rapport au Coran et par rapport auxdiffrentes sources. Comment peut-on faire face toutes ces contradictionsinternes?... Nous devons dfinir les paramtres de l'Islam.La plus grande partie de mon travail porte sur les femmes et le Coran car pourmoi, ce Livre constitue la source primaire. Mme alors, il existe des problmesde langue, car l'arabe et l'hbreu n'ont pas le mme systme defonctionnement que les autres langues. Dans les langues smitiques, vousdevez connatre la racine du mot, et au-del de la racine, il y aura descentaines, voire des milliers de mots qui sont tous lis. Par exemple, le mot"kufr" qui apparat presque dans chaque verset du Coran, a au moins huitsignifications distinctement diffrentes. Il n'existe donc aucune traduction duCoran, uniquement des interprtations. Le fait qu'il existe de multiplespossibilits est une bndiction.Malheureusement, le Coran a toujours t interprt travers les ahadith.Alors que tous les rudits de l'Islam s'accordent dire que la plus grande partiedes ahadith est fausse, ces derniers reprsentent sans aucun doute la pense

    Introduction

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  • des musulmans du 8 sicle. Une grande partie de cette pense a tincorpore dans ce que les gens considrent comme une interprtation duCoran. Aprs quelque temps, les ahadith deviennent invisibles.Il n'existe pas de raccourci, et il est impratif aujourd'hui d'viter l'interprtationmasculine. Que nous sachions les rponses ou pas, nous devons faire desrecherches et les trouver par nous-mmes.

    Les participantes et leurs origines

    Les femmes qui ont particip cette recherche au cours de la "Runion surl'Interprtation du Coran par les Femmes" reprsentaient une grande varit decommunauts musulmanes, dont : l'Algrie, le Bangladesh, l'Egypte, l'Inde, l'Indonsie,la Malaisie, le Sri Lanka, le Soudan et les Etats-Unis d'Amrique.Il existait une diversit similaire dans les professions des participantes : rudition enIslam, expertise linguistique en arabe (en plus de nombreuses autres langues), droit,histoire, ducation, sociologie, anthropologie, psychologie sociale, philosophie,relations internationales, journalisme. Toutes les femmes taient des militantes.Pratiquement toutes les participantes taient activement impliques dans desorganisations de femmes centres sur le plaidoyer en faveur des droits humains (et desfemmes en particulier), et les activits de dveloppement, que ce soit dans lesdomaines de la recherche, l'ducation et l'aide juridiques, les campagnes desensibilisation, la formation, les abris pour les femmes, ou toute combinaison de cesdiffrents domaines. La dure de leur association avec WLUML tait trs diffrente. Il yavait les femmes qui ont constitu le groupe noyau, et celles pour qui cette runionconstituait le premier contact face face avec les autres membres du rseau.

    Des rudites en Islam, des avocates et une historienne sur la jurisprudence musulmanetaient prsentes en tant que personnes ressources. Mais toutes les participantestaient des expertes sur les ralits de vie des femmes des diffrentes communautsmusulmanes. Quel est le degr de diffrence entre ces ralits, et quel degr de varitla raction des femmes peut-elle avoir? Ces questions ont t exprimes dans lapremire session dans laquelle les femmes ont parl de leur vie et de leursproccupations. Certaines des diversits dans leurs origines et proccupations au seinde leur propre environnement sont illustres par les extraits suivants, tirs desintroductions personnelles des participantes :

    "A l'origine, je suis sociologue et anthropologue sociale. J'ai enseign lamthodologie des sciences sociales pendant douze ans l'Universit d'Alger.Je travaille maintenant temps plein dans le rseau WLUML... Je suis fille etpetite-fille de fministes, et ma fille ane de 26 ans est galement unefministe engage dans diffrentes actions"."Au Sri Lanka, je participe l'organisation de programmes pour les personnesayant abandonn l'cole, les jeunes ayant termin leur scolarit, et les jeunesfilles innocentes. Voil mon occupation. Outre ce travail, nous uvrons sur la base du volontariat dans un nouveau groupe qui se bat encore pour

    Pour nous-mmes : des femmes lisent le Coran

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  • s'accrotre... Nous n'avons pas d'adresse, mais nous avons normment deprojets et d'ides, et nous esprons qu'un jour, les rves deviendront ralit"."Je reprsente le Forum des femmes musulmanes pour la recherche et l'action(Muslim Women's Research and Action Forum), et travaille aussi commeresponsable des relations de travail (c'est mon travail temps plein). Lesprogrammes de notre organisation sont destins aux femmes musulmanes etaux femmes en gnral, et nous avons particip des programmes desensibilisation sociale. Les thmes que nous avons retenus sont trs varis,par exemple, le stress des femmes et le travail domestique des femmes, maisaussi les femmes et la loi. Nous avons un projet en cours sur les femmes et laloi, que le Programme Femmes et Lois de WLUML utilisera. Au moment onous avons commenc nos activits, il y a eu un couvre-feu quelque part, etune guerre autre part, et cela nous handicape aujourd'hui... Nous travaillonsaussi avec d'autres communauts"."J'ai eu de la chance de participer au Programme d'change, et ce que j'y ai leplus aim, c'tait les deux semaines du programme d'orientation au coursdesquelles nous tions en contact avec tant de pays et tant de choses dontnous ignorions pratiquement l'existence. Par exemple, la circoncision de lafemme. Eh bien, j'avais lu des ouvrages sur le sujet, mais cela n'a jamais trel pour moi, jusqu' ce que je participe l'change. Ce Programme nous aamenes raliser que nous avons des points communs avec d'autresfemmes. Dans presque tous les pays, les femmes souffrent de la plupart deshandicaps dont nous souffrons, bien que ce soit videmment, des degrsdiffrents"."Je suis tudiante en relations internationales, et c'est ce que j'ai enseign l'Universit pendant plus de dix ans. Mais paralllement cette activit, j'avaisconscience de ce qui arrivait aux femmes, et j'ai maintenant commenc travailler et crire plus sur les questions relatives aux femmes. La plupart demes activits se font avec Shirkat Gah qui s'investit galement dans biend'autres domaines, mais je suis galement membre du Forum d'Action desFemmes (WAF), et membre fondateur de WAF-Lahore"."Au Soudan, j'enseigne les tudes de femmes l'Universit. J'ai particip auProgramme d'change en 1988, ce qui a constitu une exprience trsintressante pour moi. C'tait la premire fois que je quittais mon pays et quej'allais dans des pays musulmans... pour voir les diffrences et les pointscommuns, et la manire dont l'Islam avait t utilis par les politiciens, pourleur propre intrt"."A l'Universit -o je suis le seul professeur de sexe fminin- j'ai enseign ledroit pendant quatorze ans et le droit musulman pendant huit ans. J'aigalement crit sur les questions et les droits des femmes. J'ai survcu dansun monde totalement masculin, au sein d'une socit trs conservatrice, et mon avis, cela repose sur la manire dont vous laborez votre stratgie desurvie".

    Introduction

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  • "Ma discipline est la philosophie. Je dirige galement un projet dedveloppement dans un quartier de squatters Karachi. Une des propositionsque nous ferons au Comit du Plerinage la Mecque est que les femmes aucamp du Plerinage puissent au moins aller prier la mosque, carlorsqu'elles vont la Mecque, elles doivent prier derrire l'Imam, et nous,femmes pakistanaises, ne savons pas prier derrire un Imam. Lorsque j'aiparl un journaliste, il a t choqu, et a en fait commenc trembler. Je luiai dit qu'il est permis aux femmes la Mecque et Mdine de prier dansn'importe quelle mosque, et il ne pouvait pas y croire. Il m'a dit 'Non, cela nepeut tre vrai'.""J'ai enseign le droit de la famille pendant quatre ans, mais rcemment, onm'a dit que cela n'tait pas permis. Lorsque j'ai prsent cette affaire devant leDoyen, il m'a dit que "je n'tais pas marie". J'tais galement considrecomme tant trop jeune"."J'ai commenc mon troisime cycle en Islam en 1980, en insistantparticulirement sur les femmes dans le Coran, et j'enseigne aujourd'hui l'Universit Internationale Islamique. Ma proccupation particulire par rapport la recherche sur le Coran est que les normes par lesquelles nous jugeons leCoran ont t conues l'origine par des hommes. Mme si les femmesavaient un contact avec le texte, ou un mot dire sur le texte, leur voix ne faitpas partie de ce que nous considrons comme l'histoire archive, et ainsi,lorsque nous essayons de comprendre quelle est notre place dans le Coran,nous ne trouvons pas notre point de vue dans les documents crits quin'incluent pas l'exprience que nous avons eue avec le texte. Ce que j'essaiede faire est de recrer un environnement de contact avec le texte afin deremplir un vide de quatorze cents ans." [Rires]"Nous avons dirig une formation pour femmes, et entam une campagnecontre le viol et en faveur de la rforme de la loi en Indonsie, dans la mesureo jusqu' prsent, il n'existe rien pour protger les femmes. Puis, nous avonsdbattu sur les femmes et les musulmans dans notre pays, au sein d'uneorganisation informelle d'environ 10 femmes. Nous avons ainsi reu le soutiend'un groupe d'hommes membres d'un grand parti musulman, pourl'organisation d'une runion sur les femmes, la religion et la culture".

    Qu'elles aient trait la question de la lecture du Coran partir de la perspective de lacroyance ou de la non croyance, toutes ont reconnu l'impact sur la vie des femmes dela domination masculine dans l'interprtation. Aprs une discussion prliminaire libre,sur divers thmes autour de l'interprtation, des expriences personnelles des femmesrelatives l'impact de la religion sur leur vie tant l'chelle publique que prive, et leurrelation avec le militantisme et le fminisme, la Prsidente de session a rsuml'approche de la runion :

    La ralit dans la plupart de nos pays -ce que nous faisons, comment nousvivons, comment sont diriges nos affaires, quel systme bancaire nousavons, quelles formes de crimes existent- n'a vraiment rien voir avec lesintentions de l'Islam, quelle que soit sa dfinition. Si nous tudions, dansn'importe quel pays, les lois supposes tre islamiques, telles que les

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  • Ordonnances sur le Hudood, etc., je ne pense pas qu'elles aient beaucoup voir avec le processus de dveloppement d'une socit islamique.J'aimerais galement rappeler toutes ici que cette runion de travail porte surl'interprtation du Coran, et pas sur les femmes dans l'Islam 'per se'. Dans lamesure o le Coran est li d'autres choses dans notre vie, nous aborderonsgalement d'autres aspects, mais l'axe central est, -et je pense qu'il devraitl'tre- les ayat dans le Coran lui-mme, qui nous touchent de manire plusconcrte dans notre vie quotidienne, puis, comment ces ayat ont tinterprtes pour nous affecter. Le droit de la personne (hritage, etc.) dans laplupart de nos pays est prsent comme une interprtation du Coran.

    Il a t alors dcid qu'aprs une introduction sur l'interprtation, la runion continueraitavec la Sourate Al Nissa (4) : verset 34, et que l'ordre du jour serait alors dcid au jourle jour, avec pour objectif de traiter d'autres ayat et questions au cours des journesrestantes.

    Comme la runion sur l'Interprtation du Coran par les femmes tait envisage commeun exercice prliminaire dans un domaine largement inexplor, les interprtations quiont t provisoirement prsentes n'taient pas supposes tre dfinitives ouncessairement irrfutables sur le plan acadmique. Avec cela l'esprit, les ditricesde "Pour nous-mmes : des femmes lisent le Coran" ont dlibrment dcid dereproduire les transcriptions de la runion de six jours dans un format largement nondit, en vitant d'imposer des commentaires ou analyses externes, et en laissantintactes les contradictions occasionnelles dans et entre les contributions desparticipantes.Cependant, l'ordre dans lequel les sections et leurs contenus ont t prsents ici n'estpas ncessairement l'ordre dans lequel les discussions ont t tenues dans l'atelier.Bien que les ditrices soient restes le plus prs possible des transcriptions originales,certaines rorganisations de l'ordre des discussions ont t faites, pour une meilleureclart et des rfrences faciles.

    Remarque : Bien que l'on ait pris grand soin de s'assurer que tous les mots arabes ettrangers utiliss au cours des discussions aient fait l'objet d'une translittration exacte,il existe quand mme la possibilit que certains mots n'aient pas t correctementrendus, et pour cela, nous demandons l'indulgence du lecteur.La traduction anglaise et la translittration en alphabet latin du Coran utilises dans cedocument ont t tires du livre de Abddullah Yusuf Ali, Roman Transliteration of theHoly Quran, with full Arabic text ; d. Sh. Muhammad Ashraf, Lahore, pas de date, 1redition 1934. Les ayat reproduites ici de l'arabe original ont t tires de l'uvre deMarmaduke Pickthall, The Meaning of the Glorious Qur'an : text and explanatorytranslation, Taj Company Ltd., Lahore, pas de date.Les opinions et prsentations comprises dans ce volume ne reprsentent pasncessairement le point de vue des organisatrices de la runion sur l'Interprtation duCoran par les femmes ou du rseau Femmes sous lois musulmanes.

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  • Pour nous-mmes : des femmes lisent le Coran

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  • Sur la question de l'interprtation

    La Prsidente : Sur la question de l'interprtation et de la mthodologie del'interprtation... un problme pour les gens comme moi qui n'ont aucune connaissancede l'arabe est le suivant : cela veut-il dire alors que je ne pourrai jamais tre un bonmusulman dans la mesure o je ne peux pas comprendre par moi-mme ce qui dit leLivre, et serai toujours oblige de me rfrer des sources secondaires et leurinterprtation de ce qui a t dit? (Et je suis d'accord pour dire que ce sont desinterprtations) Mon sentiment sur la question est que dans la mesure o ce sont desinterprtations, et que j'ai aussi reu une certaine dose d'intelligence, je devrais utilisercette intelligence et dcider avec quelles interprtations je suis d'accord ; lesquelles mesemblent logiques et lesquelles me semblent illogiques. C'est une question qui a tsouleve diffrentes occasions au cours des derniers mois. Je n'ai personnellementpas opt de passer dix ans apprendre l'arabe. Cela n'a pas t ma priorit, et n'estpas non plus la direction vers laquelle j'aimerais m'orienter dans le futur. Cependant, jepense qu'il existe des rudits dont la spcialit est la langue, et avec qui nous devrionsprendre contact. Que nous acceptions ou non leur interprtation est autre chose. Nouspouvons accepter leur expertise, mais pas ncessairement ce qu'ils affirment.

    L'affirmation "Ah! vous ne savez pas ce que dit l'arabe, ce que contient le Coran"me drange. Elle est vraie, mais je peux dire que ce que je crois est correct ou incorrect,sinon le Coran et l'Islam ne s'adresseraient qu'au monde arabophone.

    J'ai l'impression qu'au cours de ces quelques sicles de dveloppement de la loiislamique, un point qui reste confus pour nous est que nous pensons que tout ce quiest de langue ou de culture arabe est islamique. Voil une chose que nous devons sortirde notre esprit. L'Islam a merg en Arabie. La base tait une socit tribale arabeprislamique o les gens avaient leur propre culture, civilisation, etc. etc., vieilles deplusieurs sicles. Je me demande si vous avez remarqu que le 14 aot6, certainespersonnes s'habillent comme les Arabes, sans aucune raison. Je ne sais pas ce qu'ellesessaient de prouver. Ceci n'est qu'un exemple tout bte. Je veux dire que rien qu'avecle port de cette robe et de ce couvre-chef, nous pensons tre devenus musulmanes.

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    6. Fte de l'Indpendance du Pakistan.

    Partie 1 A : Interprtation et jurisprudence

  • Voil exactement le problme qu'une des personnes ressource a soulign par rapport la diffrentiation entre la Sunna et les ahadith : l'une a des implications et sous-entendus arabes tous les niveaux, et les autres ne sont pas supposs en avoir. Ainsi,en dveloppant une stratgie pour l'interprtation de la jurisprudence musulmane, nousdevons essayer d'viter ces types d'interprtation qui nous ramnent aux coutumestribales arabes prislamiques. L se trouve notre problme. En tudiant lesOrdonnances sur le Hudood, et en tudiant toutes ces lois discriminatoires etoppressives l'gard des femmes, vous trouverez la racine, pratiquement toutes lescoutumes arabes prislamiques et le statut dgrad des femmes. Il est important quenous fassions la diffrence entre la manire dont nous allons interprter les ahadith etcelle dont nous allons interprter la sunna.

    Une participante : Deux brefs commentaires : propos des coutumes arabes, cela mesemble clair, et nous pouvons constater que l'Islam aujourd'hui absorbe toutes sortesde coutumes locales non islamiques, telles que la circoncision fminine.

    Le deuxime point est que le fait d'tre originaire d'un pays arabe n'aide pas comprendre le Coran, car les langues parles et appeles arabes en Afrique du Nordet au Moyen-Orient, ne sont pas la langue du Coran. Un profane ne peut comprendre,ni lire aisment cette dernire malgr les racines communes qu'elle a avec les autres.Il est galement important de comprendre que le peuple arabe ne peut pas lire le Coran,car l'arabe s'crit sans voyelles. Ainsi, si vous ne connaissez pas le mot, vous nepouvez pas le lire. Si je ne connais pas un mot en anglais, je peux le lire et le prononcer,et donc le chercher dans le dictionnaire. Mais tel n'est pas le cas avec l'arabe sansvoyelles7. Si vous voulez avoir des livres accessibles tous, vous devez insrer lesvoyelles ; et pour cela, vous devez effectuer l'impression du livre sans voyelles, puisrajouter la main les lignes du dessus et du dessous. Je veux simplement dire que celan'est accessible qu' une lite, et non toute personne parlant arabe. Loin de l. Cecipour dmystifier ce que la plupart d'entre vous, personnes originaires de pays nonarabes, pensez.

    Une participante : Au Pakistan, l'alphabet coranique que nous utilisons pour le Corancomporte des voyelles. Autrement, il nous serait impossible de lire le Coran.

    Une participante : Nous utilisons galement le Coran avec des voyelles au Sri Lanka.

    Une participante : Je constate, et ce en me fondant sur mon exprience personnelle,que lorsque vous essayez de discuter ou de parler avec les maulvis de l'injustice deleurs rgles et de leurs interprtations de ce que le Coran dit, et de ce qu'il ne dit pasen ralit, ils vous ignorent toujours, en dclarant : "Qu'en savez-vous? Vous necomprenez pas l'arabe. Vous ne comprenez pas le Coran. Vous n'avez pas tudi leCoran, vous avez eu une ducation laque. Vous avez tudi en Occident". Ils utilisentces affirmations pour dmolir la crdibilit de ce qu'est l'Islam selon votrecomprhension. Je me suis trouve dans des situations o je discutais d'un point ou

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    7. Sans le zer, zabr (signes ou accents placs au-dessous et au-dessus des lettres arabeset qui fonctionnent comme des voyelles), l'arabe crit ne peut tre correctement comprisdans la mesure o les combinaisons de consonnes sans voyelles peuvent avoir une grandevarit de sens possibles.

  • d'une rgle islamique avec une personne qui avait tudi Al-Azhar8, et il ne cessait deciter un kitab aprs l'autre. "Voyez ce qu'il dit en arabe". Et ces kitab taient toussurligns en jaune ou en vert, et je n'avais pas l'expertise ncessaire pour discuter aveclui, pour justifier et essayer de le convaincre que ce qu'il disait n'tait pas dans levritable esprit du Coran. Si je veux avoir une quelconque influence et contribuer ceprocessus de changement que nous essayons de mettre en branle, je devrais metourner vers le Coran. Et pour ce faire, il me faudrait apprendre l'arabe. Sinon, leursyeux, vous n'avez pas le droit la parole, vous n'avez aucune autorit ni aucunecrdibilit pour parler du Coran et de l'Islam.

    Personne ressource (2) : Je suis sre que vous tes dj convaincue de la rponse :ne pas comprendre l'arabe ne signifie pas que vous ne pouvez pas tre de bonnesmusulmanes. Ceci pose problme dans le contexte moderne. En Malaisie, en Turquie,en Iran, et dans le sous-continent indo-pakistanais, les gens utilisent l'alphabet arabe,mais dans d'autres pays, ils utilisent l'alphabet latin. Ce n'est donc plus une questiond'alphabet. Si vous croyez que Allah est juste, c'est que Allah voulait srement quechacun soit capable de suivre ses directives.

    Ce qui s'est pass pendant la priode initiale du dveloppement intellectuelislamique est que les gens ont t classs dans cette catgorie de alim ou ulma, etqu'en rsultat, le simple individu a dclar : "Je n'ai pas besoin de connatre tout ceci",et le alim (ou au pluriel, les ulma) a rpondu : "Nous vous l'expliquerons". Enconsquence, beaucoup de choses ont intgr la tradition dont nous essayons de nousdbarrasser.

    Alors non, cela ne change rien au fait que vous puissiez tre une bonnemusulmane, mais il existe certaines questions auxquelles nous voulons tre en mesurede rpondre, telles que l'interprtation du Coran. Vous ne pourrez pas rsoudre lesproblmes en choisissant les meilleures traductions. Cela vous donnera simplementune chose avec laquelle vous vous sentirez l'aise pour avancer un peu. Mais leprocessus rel d'interprtation va plus loin que la simple langue arabe et est un lmenten quelque sorte exclu. Il s'agit du nasiq wal-mansuq9, c'est--dire tout le contextehistorique et chronologique dans lequel certaines questions et certains aspects ont texclus, ou modifis, ou encore abrogs. Il s'agit galement de l'ide de la manire dontcertaines choses entrent en interaction.

    Le processus d'interprtation est en thorie diffrent du fait d'tre un musulman,et la grande majorit des gens seraient musulmans, et on l'espre, de bons musulmans,en se basant sur une catgorie de personnes qui, espre-t-on, auront une interactionavec le texte et les vrais problmes. Mais pas uniquement la classe de personnes quiexiste aujourd'hui, qui discutent avec le texte, sans jamais faire le lien entre ce texte etce qui se passe dans le contexte moderne rel.

    Vous avez alors des personnes qui vivent dans ce contexte moderne, et netrouvent rien dans l'interprtation du texte qui les aide rsoudre leurs problmes.

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    8. Al-Azhar est l'Universit la plus clbre dans l'Islam, fonde par les Fatmid au Caire,aprs la conqute de l'Egypte en 969.9. Nasiq : terme utilis pour un verset, une phrase du Coran ou des ahadith, qui abroge unverset ou une phrase antrieure qui est alors appel mansuq.

  • Et l se trouve l'intrt du commentaire de Fazlur Rehman10. Il doit y avoir quelque part,une rencontre entre les besoins modernes et les talents d'interprtation, ou alors, ondevrait prsenter les problmes aux gens et les obliger les rendre rels afin d'viterle "Oh! ceci est simplement trop compliqu pour que vous puissiez comprendre..." EnMalaisie, quelqu'un m'a dclar un jour, au cours d'une discussion : "Ils disent que leCoran est trop compliqu pour que vous puissiez le comprendre, alors, laissez-nousl'interprter pour vous".

    Afin d'tre un bon musulman, vous devez avoir un certain sens du Livre, mais celane signifie pas que vous pouvez rsoudre tous les problmes de jurisprudence, toute lalutte sur la question du genre, sans avoir une certaine expertise. Il doit y avoir un certainchange.Une participante : La plupart des musulmans aujourd'hui sont musulmans soit denaissance, soit parce qu'ils l'affirment, mais ils ne respectent pas ncessairement lesenseignements du Coran, soit parce qu'ils ne le lisent pas, soit parce qu'ils ne peuventpas le comprendre. Ils sont musulmans en vertu de l'environnement dans lequel ilsnaissent, et ils l'expriment essentiellement par les coutumes et les rituels. Ainsi, qu'ilsen aient conscience ou non -exception faite du ct rituel-, ils pratiquent l'Islam par bonsens, par sens naturel ou instinctif de la justice. L'Islam est arriv un certain momentdans le temps, en continuit avec les vnements, et la justice naturelle fait partie decette continuit. Et pourtant, les arguments se rfrent toujours ce qui estnaturellement juste et naturellement mal. Ma supposition est que les versets taientrvls dans le contexte de quelque chose qui est arriv et qui devait tre expliqu.

    D'aprs moi, chaque explication est une ritration de ce qui est dj connucomme tant la justice naturelle. Je ne suppose pas que chacun de nous, millions demusulmans travers le monde, viendra bout du Coran, car il s'agit d'tudes trscomplexes, et nous devons galement suivre le cours de notre vie. De nombreuxversets sont rpts, et sont une ritration d'autres versets, bien qu'apparaissant dansun autre contexte. Ma question est double : peut-on simplifier ceci et suivre l'esprit del'Islam si nous synthtisons certaines des rvlations sous une forme concise? Et deuximement, existe-t-il un doute quelque part, sur ce qui est bien et ce qui est mal,une rfrence la justice naturelle est-elle suffisante?Personne ressource (2) : Votre question est trs profonde. Parfois, la profondeurdpasse les gens, sauf s'ils peuvent la concrtiser. Je vous raconterai donc une sorted'histoire.

    A l'universit, un jeune homme dont la formation en philosophie reste trsprsente dans son approche, rdigera un document dans lequel il affirmera "Je veuxque vous trouviez les versets du Coran qui soutiennent ceci, et ceci, et ceci". Cettedmarche quivaut prendre une ralit externe qu'il possde ou dans laquelle il croit,et essayer de l'implanter dans le Coran. D'aprs mon exprience, le modle de justicesociale dans le Coran va au-del des expriences externes que nous avons. En allantdu texte vers l'extrieur, cela supprime certains des arguments qui nous font penser quenous sommes trs radicaux en ce qui concerne les droits humains etc. La manire de

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    10. Directeur de l'Institut de Recherche Islamique du Pakistan (1962/68), il fut en fin decompte oblig de dmissionner, sous la pression du lobby obscurantiste. Voir p. 38.

  • rsoudre cette question est d'tre capable de comprendre quelque chose de plus dansle texte que ce que nous comprendrions normalement, et de dvelopper une thiquecoranique que nous n'avons pas. C'est quelque chose que nous, musulmans, n'avonsjamais fait, nous concentrant au contraire sur les actes que les personnes ont effectus,et sur la manire dont ils ont fait les choses. Nous mettons la qualit de l'effort dans laperformance d'un acte, et non dans les principes thiques. Il existe une thiquecoranique, et trs peu d'tudes ont t ralises sur le sujet.

    Je pense que les modles coraniques de la justice sont beaucoup plus forts queceux que nous avons compris par nous mmes. Et si, sur la base du tafsir-al-Qur'an-bil-Qur'an -analyse du Coran fonde sur le Coran lui-mme- quelque chose de limitatifressort d'un certain verset, il vous est alors permis de limiter encore plus ce verset pourqu'il soit inapplicable votre situation particulire, en vous fondant sur un principesuprieur existant dans le Coran lui-mme. Voil pourquoi dans certaines ayat, lafemme est incluse dans ce qui est explicitement mentionn, de peur de donner prise l'affirmation selon laquelle "Dieu n'a absolument rien dit sur les femmes..."

    Pour ce qui touche la justice sociale, aux droits humains, etc., les principesdominants dans le Coran doivent tre mieux exposs et utiliss comme appuis servant contrebalancer les parties du Coran qui sont de nature restrictive. Et j'affirme qu'ilexiste des parties du Coran qui sont restreintes des contextes, et mme de manireplus explicite, des individus. Je n'ai pas fait toutes mes recherches sur ce sujet, desorte je ne suis pas encore en mesure d'illustrer ce propos.Personne ressource (1) : Laissez-moi rcapituler ce que je vous ai entendu dire, etveuillez me corriger si j'exprime votre point de vue de faon incorrecte. Ce que vousdites est que si une personne est musulmane de naissance, elle grandit au sein d'uneculture et d'un environnement o d'une manire ou d'une autre, elle apprend ce qu'estla vie islamique en gnral. Sans mme un effort vident de recherche dans lessources, sans devenir un rudit, ou encore, sans rflchir trs profondment sur lesquestions religieuses, elle peut d'une manire ou d'une autre, vivre une vie relativementagrable, en suivant ce que vous avez dcrit comme sa justice instinctive, ou son bonsens, ou encore son intelligence.

    Ma rponse vos propos est la suivante : il existe de nombreuses manires parlesquelles une personne peut identifier ce que signifie tre musulman. Et je n'aimeraispas du tout affirmer qu'il existe un seul chemin suivre. Ce que je voudrais partageravec vous est une chose que j'ai rcemment crite. En effet, pour moi, tre musulmanaujourd'hui, ou n'importe quelle poque, signifie vivre selon la volont et le plaisird'Allah. Aujourd'hui, les musulmans disent souvent avec joie et fiert qu'il est faciled'tre musulman dans la mesure o l'Islam est la voie directe menant au Paradis. End'autres mots, les principes de l'Islam sont simples et directs, sans aucun mystre,ambigut, confusion ou incohrence. Et comprendre ces principes ou vivre en lesrespectant n'est pas difficile. Ici, cette prsomption signifie que si une personne arrived'une manire ou d'une autre sur la voie directe en acceptant l'Islam, qui constitue ladernire et ultime rvlation d'Allah l'humanit, elle arrivera destination avecpratiquement peu d'efforts : l'tat de batitude ternelle en prsence d'Allah.

    Je dois avouer que je suis totalement sidre par cette hypothse. Pour moi, tremusulman aujourd'hui, ou n'importe quelle poque semble tre extrmement difficile.En effet, pour tre musulman, chaque personne doit constamment faire face au dfi de

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  • premirement connatre la volont et les dsirs d'Allah, pas seulement pour l'humaniten gnral, mais aussi pour soi-mme, deuximement, faire ce qu'elle pense tre lavolont et le plaisir d'Allah chaque moment de sa vie.

    Ma rponse est donc que cette personne ne devient pas vraiment musulmane depar sa naissance, par accident, ou sans faire d'efforts. Il faut normmentd'engagement positif et de travail pour devenir musulman. L'Islam, tout comme lesautres religions, ne relve pas uniquement de la profession de foi ; il s'agit de le vivrecar dans le Coran, chaque fois que vous avez le mot "aminu" (qui signifie croire), vousavez le mot "amalu" qui signifie "le vivre". En Islam, la croyance et l'action sontabsolument et totalement insparables. Une sourate dit "Malheur la personne qui croitmais ne fait pas attention son prochain".

    Je ne suis pas partisane du fait de dclarer que les gens sont des musulmans denom. Je n'aurais pas l'audace d'affirmer qu'ils ne devraient pas se dire musulmans.Mais utiliser le mot "musulman" dans le sens coranique du terme est un travail constantet trs difficile.

    A partir d'une perspective diffrente : les gens passent des annes et des annes acqurir diffrentes sortes de comptences, pour devenir sociologues, ingnieurs,mdecins ; et tous ces efforts semblent tre bien utiliss car vous arrivez suivre unecarrire. Pourquoi croyez-vous qu'tre musulman devrait tre si simple, et ne demanderaucun effort, quel qu'il soit?

    En ce qui concerne le concept de la justice naturelle et du bon sens : la justicenaturelle est trs dnature et le bon sens trs rare. Ils ne fonctionnent pas vraiment.

    Une participante : Partout, les musulmans ont t contre l'utilisation du terme"mahomtisme", n'est-ce pas? Mais lorsque vous parlez de la sunna qui reprsente cequ'a fait le Prophte, cela ressemble en quelque sorte au mahomtisme. Dans leCoran, il est constamment fait rfrence Mohammed comme le "Messager". O est-il dit que nous devrions nous rfrer ses actes? C'est une chose diffrente de serfrer ses actes, en tant que bon exemple donn par un homme bon. Je parle dececi car on y a fait rfrence dans la sunna. Je demande simplement si cela est uneobligation pour un musulman? Et si oui, pourquoi? O le dit-on?

    Une participante : Dans le Coran, il est dit plusieurs fois : "Obissez Dieu et obissez au Prophte". Donc, si vous obissez au prophte, vous suivez naturellementla sunna.

    Une participante : "Obissez au prophte" peut signifier en sa qualit de messager. Sivous parlez du terme de Prophte en tant que messager, l'obissance envers Dieu estle message qu'il apporte. C'tait aprs tout un homme.

    Une participante : Vous voyez, si vous vous limitez juste au Coran, vous pouvez direque ce dernier est venu de Dieu, et que Mohammed n'y a pas rajout un seul mot. Il estmme dit dans le Coran que le Prophte ne donne pas sa propre opinion, mais dit toutce qui lui a t rvl. Ainsi, cela signifie selon la croyance musulmane que le Coranvient uniquement de Dieu. Mais lorsque vous dites "Ati ullaha wa attiur Rasool", celasignifie qu'il y a autre chose, en plus du Coran. Nous croyons que ce sont les ahadithet la sunna. En outre, vous ne pouvez pas pratiquer compltement l'Islam en lisantsimplement le Coran, car les dtails n'y sont pas inclus. Par exemple, le simple fait de

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  • dire vos prires : les dtails ne sont pas donns dans le Coran sur le sujet. Si vousvoulez rciter vos prires, vous devez vous rfrer la sunna et aux ahadith.

    Une participante : Ma rponse est personnelle et non rudite : j'ai toujours imagin quel'on suit la sunna du Prophte tant qu'elle se rapproche de quelque chose qui amplifierale Coran. Mais elle ne doit pas tre suivie comme lorsque les gens vous disent "cecirelve de la sunna" en vous pressant d'accepter des bonbons dont vous ne voulez pas ;ou en vous faisant obligation de vous parfumer, chose que le Prophte tait supposfaire. Je pense que ces choses taient purement personnelles. Je trouve moi-mmeque ce type de pratique est tout fait inacceptable car vous allez alors l'encontre dece que le Prophte lui-mme disait, savoir qu'il n'tait que le simple messager de Dieuet n'avait aucune divinit. Ainsi, vous suivez la sunna lorsqu'elle se rapportespcifiquement des domaines o vous avez besoin que ce qui fut rvl au Prophte travers le Coran vous soit expliqu. Mais vous ne pouvez tre un modle parfait pource qui concerne la consommation de bonbons et le port de parfum.

    Une participante : Il tait la parfaite incarnation de l'humanit complte. Il estimpossible de lui trouver une quelconque faute. Si vous pensez qu'il a des faiblesses,cela signifie que l'ordre suivant : "Ati ullaha wa attiur Rasool" n'est pas complet. Cela nespcifie pas suivre le Prophte en tant que prophte, ou comme un messager oucomme un chef, mais affirme simplement "Suivez-le". Il est donc tous les gards unguide parfait pour nous. Personne ressource (1) : Je voulais dire une chose propos d'un point soulev plustt, puis je tenterai de rpondre cette question qui est d'importance.

    A propos du handicap rsultant de l'incomprhension de l'arabe : d'une certainemanire, tous les non arabophones sont confronts ce handicap. On me l'a jet lafigure maintes reprises. On m'a demand : "Qui vous donne l'autorit pour interprterle Coran? Vous n'tes pas un homme et vous ne parlez pas arabe. Vous n'avez pas t Al-Azhar", et ainsi de suite. Et je rponds : "Je me la suis donne, cette autorit. Quid'autre devrait me la donner?" Voil ce qu'il y a de bien tre musulman. Nous n'avonspas d'Eglise. Nous n'avons besoin de l'autorit de personne pour valider notre besoind'tudier.

    Je pense cet effort collectif comme une sorte de course de relais. Tout lemonde ne peut pas tre spcialiste en toute chose. Si vous tudiez le vaste corpus dela thologie fministe en Occident, vous trouverez qu'il n'existe qu'une poigne depersonnes qui font les tudes fondamentales. Il existe quelques personnes qui tudientles sources primaires, et il existe des personnes qui se spcialisent dans diversdomaines. C'est comme une course de relais. Vous courrez sur une certaine distance,et une autre personne prend le relais. Je pense que si nous commenons penser des manires de diviser nos tches en consquence, nous arriverons quelque chose.

    Une participante : Il a t mentionn qu'il n'y a pas d'Eglise dans l'Islam. Et bien, telpeut tre le cas dans le principe, mais en fait, c'est de moins en moins vrai. Nonseulement nous avons un clerg, mais celui-ci agit dans de nombreuses instancescomme un groupe politique. Je ne pense pas que nous devrions l'ignorer. Cela meramne la question de l'arabe. Nawal el Sadawi et Fatima Mernissi comprennentl'arabe, et peuvent citer le Coran de bout en bout, mais leur apport est quand mmeexclu par le clerg. Alors d'une faon ou d'une autre, nous devons traiter cette question.

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  • Personne ressource (1) : J'aimerais vous lire une ou deux dclarations de laconfrence de Allama Iqbal sur "le Principe du mouvement dans la structure del'Islam "qui a une grande influence sur la mthodologie utilise pour interprter leCoran :

    "Je sais que les ulma de l'Islam revendiquent l'irrvocabilit pour les colespopulaires de droit mahomtan, bien qu'ils n'aient jamais pu nier la possibilitthorique d'un ijtihad complet. J'ai essay d'expliquer le facteur qui mon avis,a dtermin l'attitude des ulma. Mais je ne vois aucune raison de maintenirplus longtemps cette attitude dans la mesure o les choses ont chang et quele monde de l'Islam est confront, dans toutes les directions, de nouvellesforces libres par l'extraordinaire dveloppement de la pense humaine,forces qui exercent une influence sur lui.Les fondateurs de nos coles ont-ils jamais revendiqu l'irrvocabilit pourleurs raisonnements et leurs interprtations? Non. Les revendications desgnrations prsentes de musulmans libraux qui veulent rinterprter lesprincipes juridiques fondateurs la lumire de leur propre exprience et desconditions diffrentes de la vie moderne, sont mon sens parfaitementjustifies.L'enseignement du Coran selon lequel la vie est un processus de crationprogressive implique que chaque gnration, guide mais non gne par letravail de ses prdcesseurs, devrait avoir la possibilit de rsoudre sespropres problmes".

    Cette dclaration est la plus explicite de Iqbal, concernant ce problme. Il affirmedeux choses trs importantes. La premire est que les principes fondateurs peuventtre tudis en profondeur, et pas seulement dans leurs aspects superficiels, ou leursuperstructure. La deuxime est que chaque gnration a le droit de rsoudre sespropres problmes. Ces deux points sont extrmement importants.

    Cependant, ce qui se passe en gnral dans de nombreux pays -en particulierdans le sous-continent, de l'poque de Sir Syed Ahmed Khan aux temps modernes,port en exemple par les rudits tels que le Professeur Fazlur Rehman- est que lesgens disent qu'il existe beaucoup de confusion dans les socits musulmanes, parrapport ce qu'est l'Islam. Vu la situation, il est essentiel de retourner aux fondementsde l'Islam, au Coran. Mais la question est celle de la manire dont nous devons tudierle Coran, et comme il a t dit plus tt, comprendre l'arabe ne forme qu'un lment decette question. Vous devez galement savoir ce que ces mots signifient dans un milieuculturel particulier, comment ils ont t interprts par les gens vivant dans cette rgion.Une fois que nous connatrons la signification de ces concepts cette poque, nouspourrons les mettre en avant, et voir comment ils s'appliqueraient de nos jours.

    Ce n'est pas que nous voulons recrer les conditions existant au 7 sicle,comme certaines personnes, mais nous voulons voir comment ces conceptss'adaptaient ces conditions. Par exemple, il est prouv que l'Islam et le Prophte del'Islam ont accord aux femmes beaucoup plus de droits qu'elles n'en avaient l'poque. Historiquement, nous le savons. Cela signifie que dans chaque gnration,les femmes musulmanes doivent avoir plus de droits qu'elles n'en avaient auparavant ;pas moins. C'est le principe de l'analogie.

    Pour nous-mmes : des femmes lisent le Coran

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  • Ces rudits parlent d'un mouvement de retour vers le Coran, et d'une avancefaite partir du Coran, vers le temps prsent. Je pense que c'est ce que nous devonsfaire dans notre travail ici.

    A prsent, pour en venir votre question sur la position du Prophte de l'Islam.Je pense qu'elle reprsente elle aussi un lment de la question trs complexe de larvlation. D'une part, je pense que les musulmans accordent trs peu de crdit auProphte de l'Islam. Je dessine un diagramme lorsque j'enseigne ce point en classe.Vous commencez par Dieu, puis arrivent Gabriel, le Prophte Mohammed et lesmusulmans. La ligne est droite. Les musulmans disent que le Prophte est un rcepteuret un transmetteur. Dans l'analogie moderne, il ressemble un magntophone : vosparoles sont enregistres et retransmises. Cela signifie que le Prophte n'a rien apportau Coran. Cependant, parce que le Prophte est le vhicule par lequel le Coran a ttransmis, le tmoignage entier, la preuve intgrale du Coran repose sur le Prophte.

    Laissez-moi vous donner un exemple -dont certaines d'entre vous se souviennentpeut-tre- tir de l'poque du Gnral Ayub Khan11 qui tait, toutes proportionsgardes, un musulman progressiste. J'insiste sur l'expression 'toutes proportionsgardes'. Il a invit le Professeur Fazlur Rehman ( mon avis, le meilleur ruditislamique de notre temps) venir aider le gouvernement du Pakistan libraliser leslois. Le Professeur Fazlur Rehman demeura au Pakistan pendant plusieurs annes, etfit un bon travail. Il a t essentiel dans la conception de l'Ordonnance progressiste surle Droit musulman de la famille de 1961, etc. En raction sa pense progressiste, tousles mollah se ligurent contre lui. Ce qu'ils ont finalement utilis contre lui a t unedclaration qu'il avait faite sur la rvlation, dans son livre crit 20 ans auparavant. Enexpliquant la rvlation, il avait affirm "Dans la mesure o la source du Coran est laparole de Dieu, elle est entirement la parole de Dieu. Dans la mesure o Mohammedtait le transmetteur du Coran, celui-ci est la parole de Mohammed car il en a t levhicule". C'tait une dclaration. Les mollah l'ont traduite en ourdou en disant queFazlur Rehman avait dclar que le Coran tait l'uvre conjointe de Dieu et deMohammed, ce qui ne correspond pas du tout la dclaration qu'il avait faite ; mais cefut suffisant. Fazlur Rehman dut quitter le pays en 24 heures. Je vous ai donn cetexemple afin de souligner, en particulier pour celles qui ne sont pas originaires duPakistan, qu'il est extrmement dangereux de parler de la rvlation. En effet, toutedclaration que vous faites devient une remise en cause des articles fondamentaux dela foi.

    Mais la question demeure. Quelle est l'importance du Prophte? Je pense que leProphte est extrmement important pour la comprhension de l'Islam. Le Coran ditqu'il y a eu une srie de prophtes, que le Prophte Mohammed n'tait pas le premierprophte. Les musulmans croient qu'il est le dernier des prophtes. Il n'existe aucunehirarchie entre les prophtes dans le Coran. Ce dernier dit plusieurs fois que "Nous nefaisons aucune distinction entre eux". Le Prophte est dcrit dans le Coran comme unexemple pour les musulmans, puisqu'il a t le Prophte qui a diffus cette rvlationspcifique, et qu'il a t le plus proche dans le temps, des musulmans.

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    11. Premier dictateur militaire du Pakistan, il a rgn partir de 1956 et a ensuite t luPrsident en 1962, poste qu'il a occup jusqu'en 1969.

  • Il est important de se rappeler que dans la chrtient, Jsus est un tre humaindivin, ce qui signifie qu'il ne pouvait pas pcher. C'est aussi le point de vue chiite sur leProphte Mohammed et sur les Imams ; ils ne peuvent pas pcher.

    Une participante : Excusez-moi, mais ce concept est diffrent de celui de la divinit.

    Personne ressource (1) : Oui, je le sais. Ce que je dis est qu'il tait une "personnecomplte". Ce qui le rend si spcial est qu'il a port en exemple, au cours de sa vie, lerle du mari ; du pre ; du gnral ; de l'administrateur ; d'un rcipiendaire du Coran ;de tant de choses, qu'il est considr comme un tre humain complet. Voil ce qui lerend si important. Il est vraiment dommage qu' cause de la confusion qui existe dansl'tat gnral de nos connaissances islamiques nous ayons perdu de vue de nombreuxfaits de la vie du Prophte. Par exemple, nous avons oubli quel point le Prophtetait compatissant. Je veux dire que nous vivons dans une socit o la moindresuspicion, une femme doit tre lapide. Et nous avons des traditions du Prophte selonlesquelles, lorsque quelqu'un allait le voir et lui disait : "J'ai commis l'adultre", il lerenvoyait chez lui trois fois et lui disait : "Rentrez et rflchissez-y".

    Il existe tant d'histoires sur la compassion du Prophte, sur sa misricorde enversles gens qui lui taient antagonistes, sur son libralisme, sur sa gnrosit, sur lamanire dont il traitait les femmes et ses pouses, et sur le respect qu'il portait cesdernires. Nous avons oubli toutes ces histoires. Par contre, nous avons tous lesahadith ngatifs qui lui sont attribus, et ils sont utiliss contre nous.

    Nous devons arriver comprendre l'importance du Prophte Mohammed en tantque fministe. Je le considre comme un fministe. Iqbal tait un rudit en arabe, quicomprenait trs bien le Coran. Une des choses qu'il a dites est que s'il lisait le Coransans savoir qui l'avait crit, "Je supposerais qu'il avait t crit par une femme", car ilest trs pro-fministe.

    Une participante : Je suis tombe sur un hadith qui disait : certaines personnes sontvenues demander au Prophte des conseils sur la manire d'amliorer les dattiers quine portaient pas de fruits. Il leur a dit d'utiliser une mthode spcifique pour fairepousser ces arbres. L'anne suivante, ils vinrent et lui dirent qu'il n'y avait toujours pasde fruits. Alors, il est suppos avoir dit : "Pour ce qui concerne les choses de ce monde,ne m'coutez pas". Les ahadith se trouvent dans le Dossier WLUML N 2. Je suisd'accord que pour certaines affaires, nous ne pouvons prendre la pratique toute entirecomme si elle avait t ordonne.

    Personne ressource (1) : Parmi les diverses sectes, il existe des gens qui se fontappeler Ahle-Sunnat, qui veulent suivre tout ce que le Prophte a fait. Cela signifie qu'ilsse laissent pousser la barbe, ou par exemple, le Prophte n'aimant pas la couleurjaune, vous ne devez pas aimer non plus cette couleur. Je trouve que le fait de l'aimerou non ne revt aucun intrt. Il faut utiliser votre bon sens. De quelle manire doit-iltre suivi? Il tait un tre humain. Et ceci est une dclaration que fait le Coran unnombre infini de fois. Il marchait ; il parlait ; il dormait ; il faisait tout comme un trehumain. Vous pouvez le respecter car il tait un excellent homme, mais vous n'tes passuppos faire tout ce qu'il faisait. En tant que Prophte, son envergure tait diffrentede celle qu'il avait en tant que personne. Nous avons tous nos gots et nos couleurspersonnels.

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  • Personne ressource (3) : Comment se produit la distorsion? Nous avons le Coran, quenous musulmans croyons tre la parole de Dieu, mais ensuite, la parole du ProphteMohammed a commenc tre incorpore dans un corpus de jurisprudence islamique.

    Ce que le Prophte a dit et ce qu'il a fait sont deux choses diffrentes, mais cesur quoi il a gard le silence est devenu une partie de la tradition qui fut exploite parles Califes et les rois de l'Islam qui ont rgn plus tard, de sorte que lorsqu'ils voulaientqu'une chose soit conforme leur volont, ils demandaient un juriste : "Maintenantvous le dites de cette manire, car le Prophte tait rest silencieux sur cette question",et cette tradition devenait une fatwa, puis un nombre de plus en plus grand de fatwas.En Inde, l'poque de Aurangzeb, on les appela Fatwa-i-Alamgiri, et les traditions del'Imam Abu Hanifa furent appeles les Hidaya. Il n'y avait aucune recherchescientifique.

    Il n'y a aucune comprhension positive de ce que signifient les traditions duProphte Mohammed, par les ahadith, car ahadith est ce que A a dit B, et le processuss'tale sur trois gnrations. Dans la gnration du Prophte, il y avait certainespersonnes qui apprenaient ce que le Prophte disait, et elles passaient ces paroles la gnration suivante, tabiun qui les transmettaient la troisime gnration : taba'u't-tabiun. Remarquez, ces personnes les ont transmises principalement par la parole.Puis il y eu le texte des ahadith et les personnes qui transmettaient ces ahadith. Onconstate souvent que les transmetteurs n'taient ni des rudits, ni des intellectuels, nides personnes qui se fondaient sur le savoir et la comprhension, mais simplement despersonnes au bon cur, mais que leur mmoire pouvait avoir trahies. Il n'y avait aucunerecherche scientifique sur les ahadith, et aujourd'hui, vous avez un hadith transmis par72 personnes 4 personnes connues sous le nom de hadith-i-muta'awatil, ce qui veutdire qu'il n'y avait que trs peu de doute propos de cette tradition spcifique car 20,ou 30, ou 40 hommes (ou 10 ou 5 hommes) l'ont affirm, pas seulement dans unegnration, mais des gnrations 1 2, 2 3, et mme de 3 4 parfois. Mais il existetrs peu de muta'awatil ; la plupart des traditions taient ahadi, ce qui signifie"singulirement promulgue". En d'autres termes, un seul homme de la gnration 1 lestransmettait un seul homme de la gnration 2, qui les rptait un seul homme dela gnration 3, et elles taient ainsi assimiles. Il y a eu en cela aussi normment dedistorsion car certaines traditions sont connues 100 %, sans erreur, certaines sontconnues 75 %, 50 %, 40 %, et il existe des diffrences d'opinion.

    Toutes ces confusions ont t cres dans la superstructure de la jurisprudenceislamique. Ces types de conflits et tensions qui viennent dans les versets du Coran -que nous essayons d'interprter et de rinterprter- existent simplement parce que cestendances ont t introduites dans les traditions de la jurisprudence islamique. Cestraditions ont t cristallises au 4 sicle de l'Islam par les maulvis sunnites qui lesappellent taqlid, ce qui signifie que vous n'avez plus l'autorit de les remettre enquestion. Pour les chiites, l'autorit est celle des dirigeants. Mais le principe d'utilisationde votre propre jugement a t perdu. Ainsi, le processus de ijtihad ainsi que lesprocessus d'apprentissage, d'opinion personnelle et de sanctions personnelles a tperdu, et cela a malheureusement cr le conflit.

    En Egypte nanmoins, au dbut des annes 1850, il y eut une reprise, par desgens comme Muhammad Abdu-Wa Jamaluddin Afghani qui a cr l'Ecole de penseSalafiyya. Driv de salaf ("anctres"), Salafiyya signifie retourner au texte original duCoran, en n'utilisant que les traditions qui refltent le Coran afin d'en faire une

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  • rinterprtation. Ils ont fait paratre un magazine clbre appel Al-Minar qui regroupaitde nombreux versets de ces personnes. L'Egypte est l'un des premiers pays faire unpas vers cette libration. Ils ont commenc rinterprter le texte par rapport auxtemps modernes, aux situations modernes, conformment ce qui avait t dit etessay pour apporter l'galit de statut qui a t videmment repris ensuite par les paysd'Afrique du Nord et de l'Asie du Sud-est. Bien sr, les mutations ont t trs lentes.Certaines d'entre elles, telles les mutations apportes en 1961 au Pakistan(Ordonnance sur le droit musulman de la famille) ont t jusqu' un certain degr, trsprogressistes, mais, en 1979, les tendances au Pakistan ont t renverses.

    Le Coran dans sa propre dure de vie, vous apprend vous rformer. Prenez lesversets sur les liqueurs alcooliques. Le premier est le suivant : "dans ceci, il existe plusde mal et moins de bien". Le second dit que lorsque vous tes ivre, n'allez pas faire vosprires, et le troisime dit que c'est l'acte de Shaitan (le Diable), alors ne buvez pas.Ainsi, dans sa dure de vie, vous constatez que le Coran montre une tendance, etforme l'esprit humain accepter certaines normes au cours de sa progression. Ainsi, ilvous apprend que -sur la base des principes qu'il a tablis- vous pouvez crer unesuperstructure l'chelle de la jurisprudence, que vous pouvez encore amliorer, etrinterprter plus loin encore afin de faire ressortir une comprhension plus proche desprincipes.

    Personne ressource (5) : Ce qui m'intresse par rapport l'interprtation coranique,et aussi par rapport ce que le rseau va faire dans le programme Femmes et lois,c'est la codification de certaines injonctions du Coran. Pourquoi devrait-il y avoir uneinterprtation particulire dans un pays islamique spcifique, etc. J'aimerais maintenantexaminer les processus avec lesquels cela est rendu lgitime par la jurisprudencemusulmane de type traditionnel. Cette prsentation ne sera pas trs acadmique, elleest trs gnrale, et c'est le type standard de prsentation dispense dans lesuniversits sur la mthodologie de l'interprtation. Les liens manquants seront laquestion du genre ou une sorte particulire de perspective de la domination masculine.Ce groupe peut discuter des liens manquants chez ceux qui dfinissent l'Islam entreces deux perspectives.

    Habituellement, lorsque nous commenons une classe de jurisprudence, cesgens disent que les sources du droit islamique doivent tre les suivantes : le Coran, lasunna du Prophte, le ijma, les qiyas. La sunna est compose du comportement tablidu prophte. Alors que la plupart des manuels disent que les sources du droit islamiquesont la fois le Coran et la sunna, le ijma et les qiyas, fondamentalement, les sourcesincontestes sont le Coran et la sunna. Le processus d'interprtation travers le ijmaet les qiyas est toujours sujet interprtation car il constitue en lui-mme un instrumentd'interprtation des sources originales du Coran et des ahadith.

    Le Ijma est le consensus des juristes, c'est--dire celui des coles sunnites, parexemple, les coles chafiite, malekite, hanafite et hanbalite qui se runissent toutes ets'accordent sur un point. C'est a le ijma : le consensus de la communaut. Maislorsque vous tudiez ce consensus, il n'existe pas en ralit, car qui est lacommunaut? A quel moment devenez-vous une communaut, etc. Tous ces pointssont sujets controverses.

    Puis il y a les qiyas, dont le sens est "raisonnement par analogie". Il existe parexemple une injonction spcifique dans le Coran, soutenue par les ahadith, et qui

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  • interdit de boire du vin. Alors, est-ce haram (interdit) de boire du vin de dattes? Si boiredu vin est haram, alors par analogie, boire du vin de dattes est aussi haram.

    Puis, on entre dans le processus : s'il s'agit d'une injonction coranique, commentsavez-vous que c'est la bonne injonction? Alors on tudie le processus de la rvlationde la aya : quel moment dans le temps a-t-elle t rvle, etc., afin d'tudier sonauthenticit. Cela est suivi par un annasa : lorsqu'il y a des ayat contradictoires, laquelled'entre elles abrogera l'autre? Puis, merge la controverse sur la question de savoir siles ahadith peuvent abroger le Coran. Et si cela est possible, on passe alors laquestion : "Quand un hadith peut-il abroger le Coran?"

    Ceci est le type d'exercice standard que nous faisons si nous passons par unecole de droit. Il existe en fait BEAUCOUP de littrature sur le sujet. Introduire le genreet demander : "Ceci est-il l'Islam?", "Ceci n'est pas l'Islam", "Qui dit ce qu'est l'Islam?"est une nouvelle dmarche. Vous constatez, du fait de la littrature disponible -qu'ellesoit ijma ou opinions diversifies ou encore opinion majoritaire-, que la question del'application du droit musulman devient trs difficile car ce processus est limit despersonnes trs peu nombreuses. Au Pakistan, les allamass ou les maulvis qui ontpass cinq, dix ans dans une cole de droit, sont supposs tout connatre. Pour laplupart d'entre nous, ce savoir est hors de porte. Nous devons toujours aller vers desgens rudits dans ce domaine, qui matrisent toute la littrature sur la question. Leproblme de l'application du droit merge lorsque quelques personnes sont les seules vraiment savoir ce qui se passe, et affirment : "Ceci est le droit. Ceci est l'Islam. Etvoil comment cela devrait tre", alors que le reste d'entre nous ne peut pas lesdmentir car nous n'avons pas connaissance de toute cette littrature.

    Ainsi, pour le moins d'aprs mon exprience en Asie du Sud-est, il existe unbesoin d'assurer un accs public au droit, et de peut-tre aider l'administration du droitmusulman codifi, dans un pays spcifique.

    La codification a commenc il y a longtemps, pendant la priode ottomane, enAlgrie, en Tunisie, etc. L'ide fondamentale de la codification du droit est de dclarerquelle loi particulire est aujourd'hui la loi de la rgion dans un pays particulier. Dans unsens, cela limite la juridiction des qadi, ou des institutions particulires, ou alors limiteleur juridiction dans l'interprtation d'une situation ou d'une question particulires. L'Etatdcide de l'interprtation pour la rgion, les qadis doivent l'appliquer et la populationl'acceptera. Cela se fait normalement pour le droit de la famille. Elle est rendue lgitimepar un processus de jurisprudence appel siyasa-i-sharia, ce qui signifie en essence,que c'est le droit d'un dirigeant, d'un Etat ou d'une institution politique particulire -selonla personne ou l'entit qui dirige l'Etat- de dterminer les principes utiliser dansl'application d'une loi musulmane spcifique dans cet Etat particulier. Il y a eu beaucoupde discussions sur la question de savoir si cela laissait la porte ouverte aux abus, et quidevait dcider.

    Mme si c'est l'Etat, les ulma ou les maulvis qui dcident, ils sont tous supposstre guids par le principe suivant : "Ce qui est suppos tre bon pour la communaut" :la maslaha de la communaut. Mais quand ce problme merge, qui va dcider del'identit des personnes qui composent la communaut? Est-ce le mollah? Est-ce lapopulation? De ce fait, vous pouvez rencontrer beaucoup de problmes. Nanmoins,compte tenu de ma propre exprience, je ne peux pas dire que toute la codification estpar exemple contre les femmes. En Asie du Sud-est, nous ne sommes pas dans unesituation o nous avons eu par exemple l'exprience pakistanaise des lois sur le

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  • Hudood12. Ainsi, la raction n'a pas t une confrontation cette institution. Notrecodification du droit musulman s'est faite selon les concepts de l'autorit politique dansl'Islam et du siyasa-i-sharia. Prenez les questions de genre telles que la polygamie. EnMalaisie, vous avez 13 Etats : certains d'entre eux limitent la polygamie, et d'autres lapermettent travers ce processus de siyasa-i-sharia. Cela m'a fait penser : commentcela se fait-il? Il existe des opinions divergentes et pas seulement entre les coles, maismme dans le droit chafiite. La Malaisie peut tre intgralement chafiite, mais certainsEtats chafiites permettent la polygamie, et d'autres non.

    Une participante : Pour ce qui concerne le siyasa-i-sharia, le pige est pour moi lesuivant : qui dcide de qui sont les dirigeants? Parce que si les dirigeants ont usurp lepouvoir, n'ont aucune autorit sur la population qu'ils dirigent par la force, o cettesituation nous laisse-t-elle en termes d'interprtation et de progrs? Et o peut-ellenous mener?

    Personne ressource (5) : Lorsque vous parlez de rinterprtation, une approchenovatrice est-elle permise dans le processus de siyasa-i-sharia? Ou doit-on se limiter l'tude du corpus de lois tabli par tous ces ulma depuis des temps immmoriaux,pour ensuite faire une slection entre eux? C'est toujours le problme par rapport auijtihad. Cela a toujours t sujet controverse.

    Mais je sais que certaines des interprtations en faveur des femmes qui sontutilises en Malaisie ne sont pas des interprtations nouvelles. Au contraire, elles sonttires de diffrentes opinions qui peuvent ne pas tre l'opinion majoritaire de l'colesunnite, ou mme l'opinion majoritaire chafiite, mme si les musulmans en Malaisiesont chafiites. Par exemple, l'imposition d'un ge minimum de mariage est venue d'unevariante trs mineure de l'cole chafiite. Ils ont pens aujourd'hui que cette obligationdevrait tre la loi de la rgion car ils ont dit : "Cela conviendrait nos conditions socialesd'aujourd'hui". Ainsi, je ne suis pas sre qu'on doive interroger chaque interprtationparticulire. De nombreuses personnes ici sont trs fches contre les gens qui ontdonn leur opinion il y a longtemps, mais nous avons normment d'interprtations trsintressantes et trs varies que nous pouvons galement utiliser, en addition uneperspective nouvelle.

    A part ceci, la Malaisie n'a pas seulement adopt le point de vue chafiite, maisgalement hanafite et malekite, dans certains aspects de son processus de siyasa etde codification, mais elle a galement tudi le corpus d'interprtations. Je ne pensepas qu'il y ait dj eu une nouvelle interprtation 'ijtihadique'. Cependant, je sais quecela a t fait au Pakistan, dans l'affaire Khursheed Bibi qui a fait date, en 1967,concernant le droit de la femme au khula, c'est--dire la dissolution du mariage. Danscette affaire, il a t dcid qu'une femme peut demander le divorce, et qu'elle n'a pas passer par toute la procdure judiciaire pour l'obtenir. Je pense que c'est une nouvelleinterprtation 'ijtihadique'.Une participante : Mais cela remonte au hadith, et elle doit toujours aller devant untribunal. La seule diffrence est qu'avant l'affaire Khursheed Bibi, une femme avait des

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    12. Suite cette runion, en 1995, les lois sur le hudood ont t introduites dans l'Etat deKelantan en Malaisie.

  • motifs limits, et par la suite, ne pas aimer le visage de son mari a t accept commemotif valable pour le khula.

    Personne ressource (5) : Eh bien, elle n'a donc pas besoin de la permission de sonmari pour le khula alors que dans les pays chafiites, elle doit avoir cette permission afind'obtenir un khula. Il passe par tout un processus, mais nous avons adopt le point devue malekite selon lequel, en bout de course, l'affaire doit aller devant les tribunaux. Letribunal doit accorder le divorce. Le mari n'a aucun droit de donner ou de ne pas donnerson consentement si le tribunal estime qu'il doit accorder le divorce. C'est un exemplede la manire dont la loi a t modifie en introduisant un concept malekite.

    Ces derniers temps, je suis tombe sur une affaire de violence domestique qui serapporte la question de savoir si le mari a le droit ou non de battre sa femme, et celaest une nouveaut car jusqu' prsent, il n'existe rien dans le corpus juris, c'est--direle droit dvelopp par les juristes sur ce point. Je suppose que ce dernier n'a pas tsoulev comme problme l'poque o les juristes devaient crer le corpus juris. Pourautant que je sache donc, cette question n'est pas couverte, et peut-tre que nouspourrions galement en discuter par rapport au verset 4:34. Voil vritablement o nousdevons aborder un nouveau domaine : tudier la perspective de genre.

    Je pense que ce dont le groupe doit discuter, ce sont toutes les interprtationstraditionnelles de questions spcifiques sur les relations hommes/femmes, sur lesprjugs de genre, etc.

    C'tait une critique trs brve de la jurisprudence. Ce qui peut revtir quelqueintrt parce que le Pakistan fait face la nouvelle loi de la Charia (Shariah Act) est lefait que l'Universit Islamique Internationale avait labor une nouvelle srie de lois surla famille sous la doctrine siyasa pour l'intrt du public. Cependant, ils ont ensuitedcouvert que changer la loi elle-mme n'tait pas suffisant, car, qui allait l'appliquer?La rponse ne se limite pas avoir des juges de sexe fminin. Avoir des femmes juges,quand elles ne sont pas conscientes de certaines questions de genre, n'est d'aucuneaide. Alors en Malaisie, le tribunal de la Charia a renvoy les qadis sur les bancs del'cole ; les qadis en Malaisie ont, en fait, un minimum standard de formation, puis ilsdoivent retourner la facult de droit pour apprendre comment ils doivent appliquer leslois et comment ils devraient exercer leur pouvoir discrtionnaire. Et ce parce quecertains d'entre eux font ce qu'ils veulent car ils pensent tre des mujtahid, qu'ils onttout tudi. L'Etat a dcid de restreindre leur pouvoir discrtionnaire sur certaineschoses travers la loi de la rgion. Quelquefois, les qadis