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POURQUOI L'HOMME A-T-IL DEUX BRAS ET DEUX JAMBES ? Il a deux mains pour pouvoir écrire et se gratter le nez en même temps. Il a deux mains, une pour la caresse et l’autre pour tenir les rênes. Il a deux pieds pour garder l’équilibre et courir et sauter et faire des cabrioles. Il a deux pieds pour pédaler à fond sur son vélo. Deux bras deux jambes pour t’enlacer, te bercer, t’apprendre à marcher, courir, sauter, avancer, tenir debout, porter des bas nylon et des belles chaussures, être plus grande que toi. Si l’homme avait trois bras et trois jambes, il en aurait en trop. Si l’homme n’avait qu’un bras et qu’une jambe, il n’en aurait pas assez. Trois, c’est trop pour s’habiller; c’est plus difficile pour enfiler un vêtement et ça revient plus cher. Un seul bras, une seule jambe, c’est moins onéreux. Mais l’équilibre est plus incertain et le maintien moins ferme et moins assuré. Il faut bien dire ce qui est : être cul de jatte ou manchot ce n’est pas rigolo et, avoir trois membres supérieurs et inférieurs ce n’est pas beau. Pour serrer l'enfant dans ses bras, tout en caressant le bébé qui s'endort. Deux bras et deux mains pour tenir la pomme que l'on épluche, deux jambes pour courir et jouer au foot, pour guider l'enfant qui commence à marcher, l'aider à traverser, pour porter l'objet fragile, pour faire un déménagement, pour tenir la bêche au jardin, pour monter à l'échelle. Sans bras ni jambe, l'homme serait au début de la création : un poisson ? La crainte est levée : tout a bien fonctionné, le bébé a ses deux bras et ses deux jambes. Il aurait pu en être autrement. Quelques années plus tard, on me pose la question. Est- ce un hasard, une chance, une volonté ? Qu'en ai-je fait ? Consciemment, inconsciemment ? Tous les jours, beaucoup de choses ...et, sans jamais les casser. Est-ce un hasard, une chance ? L’homme a deux bras et deux jambes pour les ouvrir, les fermer, les lever, les baisser. Pour quelle gymnastique, physique, cérébrale, intellectuelle ? Comment embrasser si un bras vous manquait? Que de taches inachevées lorsque qu'un bras vous a lâché. Qu'il est difficile d'avancer lorsque l'accident vous a privé de l'usage d'une jambe ou d'un pied. L'homme a deux bras pour tenir un enfant, pour nager, faire la brasse, conduire une voiture, tenir dans ses bras une femme pour danser, pour faire plein de choses, quoique avec un bras une jeune fille a gagné des médailles d'or aux jeux de Sotchi. Deux jambes pour tenir debout : le premier usage, marcher, courir, bêcher pour le jardinier, faire du vélo etc... Pourquoi l'homme a-t-il deux bras et deux jambes ? se demande un homme tronc autonome. Je peux rouler de ma natte ; par un mouvement arrière, je me déplace vers la douche, des contorsions me mènent vers la cuisine, ma bouche commande les manettes. On le voit aussi ramper, sautiller, embrasser, rire et penser, aimer, lire, étudier, parler. Il transmet sa sagesse et sa joie de vivre.

POURQUOI L'HOMME A-T-IL DEUX Sans bras ni … · POURQUOI L'HOMME A-T-IL DEUX BRAS ET DEUX JAMBES ? Il a deux mains pour pouvoir écrire et se gratter le nez en même temps. Il a

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POURQUOI L'HOMME A-T-IL DEUX

BRAS ET DEUX JAMBES ?

Il a deux mains pour pouvoir écrire et se gratter

le nez en même temps. Il a deux mains, une pour

la caresse et l’autre pour tenir les rênes.

Il a deux pieds pour garder l’équilibre et courir et

sauter et faire des cabrioles. Il a deux pieds pour

pédaler à fond sur son vélo.

Deux bras deux jambes pour t’enlacer, te

bercer, t’apprendre à marcher, courir, sauter,

avancer, tenir debout, porter des bas nylon et

des belles chaussures, être plus grande que toi.

Si l’homme avait trois bras et trois jambes, il en

aurait en trop. Si l’homme n’avait qu’un bras et

qu’une jambe, il n’en aurait pas assez. Trois,

c’est trop pour s’habiller; c’est plus difficile pour

enfiler un vêtement et ça revient plus cher. Un

seul bras, une seule jambe, c’est moins onéreux.

Mais l’équilibre est plus incertain et le maintien

moins ferme et moins assuré. Il faut bien dire ce

qui est : être cul de jatte ou manchot ce n’est

pas rigolo et, avoir trois membres supérieurs et

inférieurs ce n’est pas beau.

Pour serrer l'enfant dans ses bras, tout en

caressant le bébé qui s'endort. Deux bras et deux

mains pour tenir la pomme que l'on épluche,

deux jambes pour courir et jouer au foot, pour

guider l'enfant qui commence à marcher, l'aider

à traverser, pour porter l'objet fragile, pour faire

un déménagement, pour tenir la bêche au jardin,

pour monter à l'échelle.

Sans bras ni jambe, l'homme serait au début de

la création : un poisson ?

La crainte est levée : tout a bien fonctionné,

le bébé a ses deux bras et ses deux jambes. Il

aurait pu en être autrement. Quelques

années plus tard, on me pose la question. Est-

ce un hasard, une chance, une volonté ?

Qu'en ai-je fait ? Consciemment,

inconsciemment ? Tous les jours, beaucoup

de choses ...et, sans jamais les casser. Est-ce

un hasard, une chance ?

L’homme a deux bras et deux jambes pour les

ouvrir, les fermer, les lever, les baisser. Pour

quelle gymnastique, physique, cérébrale,

intellectuelle ?

Comment embrasser si un bras vous manquait?

Que de taches inachevées lorsque qu'un bras

vous a lâché. Qu'il est difficile d'avancer lorsque

l'accident vous a privé de l'usage d'une jambe ou

d'un pied.

L'homme a deux bras pour tenir un enfant, pour

nager, faire la brasse, conduire une voiture, tenir

dans ses bras une femme pour danser, pour faire

plein de choses, quoique avec un bras une jeune

fille a gagné des médailles d'or aux jeux de

Sotchi. Deux jambes pour tenir debout : le

premier usage, marcher, courir, bêcher pour le

jardinier, faire du vélo etc...

Pourquoi l'homme a-t-il deux bras et deux

jambes ? se demande un homme tronc

autonome. Je peux rouler de ma natte ; par un

mouvement arrière, je me déplace vers la

douche, des contorsions me mènent vers la

cuisine, ma bouche commande les manettes. On

le voit aussi ramper, sautiller, embrasser, rire et

penser, aimer, lire, étudier, parler. Il transmet sa

sagesse et sa joie de vivre.

Pour embrasser les chênes, couper l’air comme

avec des ciseaux, sauter à la corde et avoir le

plaisir de jouer à cloche-pied.

Pourquoi le chat a-t-il neuf vies ?

Pourquoi le ciel est-il bleu, gris, rouge ou blanc ?

Pourquoi le vent souffle-t-il de l’ouest à Brest et

de l’est à Nice ?

Pourquoi les oiseaux chantent-ils alors que le

jour se lève ?

Pourquoi cette enfant a-t-elle peur de l’école ?

Pourquoi écrit-elle pourquoi, pourquoi,

pourquoi, pourquoi ?

L'être humain du 21 è siècle a besoin de ses

membres pour vivre indépendant. Des jambes

pour sa vie de tous les jours et des bras pour

protéger, aimer, amener à soi, travailler, tout en

sachant que ça ne suffit pas sans son cerveau.

PETITES OBSERVATIONS

La première journée de soleil après la pluie

Le chant du paon

Les bourgeons des hortensias

Les enfants sur la balançoire

La fleur de pissenlit offerte

Le tapis de boutons d'or

L'aubépine fleurie

La visite de ma voisine.

En cuisine

Le plan de travail vierge

Le jeu disparate des poêles

Le bruit brusque de batteur électrique

L’odeur du poivre fraîchement moulu

Les frissonnements du beurre fondu

La touche verte de la ciboulette

Le regard d'envie du convive.

Les pêchers sont en fleurs

Les violettes parsèment le devant de la maison

Le camélia rose fait ses fleurs, qui fanent trop

vite,

Entendu un pic-vert taper sur le tronc de l'arbre,

Le héron est allé se cacher dans les hautes

herbes du lac,

Au loin, le champ de colza fleuri éclaire le

paysage.

Les fleurs jaunes des pissenlits embellissent la

pelouse.

Ne pas oublier son jeton

Apprécié la serviabilité du personnel

Le caddy de la ménagère est bien rempli

Le choix est difficile

Apprendre à bien se nourrir

Respecter sa liste de courses

Choucroute ou cassoulet ?

Regarder les prix

Le stress de la jeune ménagère

Boycotter l'appareil scan

La caisse est ouverte

Le bonjour de la caissière

La file d'attente est longue

L’énervement bouillonne au troisième rang

Respecter la caisse réservée prioritaire

Vous la prenez du rayon

Vous la mettez dans le caddy

Vous la sortez du caddy

Vous la mettez sur le tapis roulant

Vous la sortez du tapis roulant

Vous la remettez dans le caddy

Vous la sortez du caddy

Vous la mettez dans votre panier

Vous la sortez du panier

Vous la rangez dans le placard

Vous la sortez du placard

Vous l'ouvrez

Vous la versez dans la casserole

Vous la reversez dans un saladier

Et là, vous entendez la famille dire : « on n'aime

pas les petits pois ».

Les volets clos

Remonté les volets fermés

Trouvé les bols salis

Un biberon de chocolat au lait pas terminé

Deux bols de café

Un verre de jus d’orange

Un bocal de confiture d’abricot entamé

Rangé les crêpes, la brioche et le pain

Epluchures de pommes pour le composteur

Déjeuner seule

Apparition du soleil

Lumière inondant la cuisine

Le papyrus dansant au vent

Les hellébores encore en pleine floraison

Les soucis à peine ouverts

Les primevères couvertes de rosée

Les jonquilles et narcisses épanouies

Le forsythia couvert de petites fleurs jaunes

Le bouleau au tronc couvert de lierre

Le camélia blanc avec ses fleurs rouillées

Le noisetier et ses chatons

Les belles feuilles des arums sauvages

Les arums ayant résisté à l’hiver

Le rouge-gorge picorant les miettes du petit

déjeuner

Le soleil a tourné

Longue table préparée

Nappe blanche bien repassée

Bouquet de camélias centre de table

Corbeille de pain tranché

Ramequin de beurre salé

Bouteilles d’eau plate

Bouteilles de vin chambré

Assiettes au liseré doré

Verres transparents sur pied

Couverts inox argentés

Serviettes en lin brodé

Les invités : repas partagé

Rideau tiré : volets fermés

A la bibliothèque

Le premier bonjour à la cantonade

Le petit coup d’œil alentour

Rencontre avec une amie

La recherche du bon livre

Les hésitations et le choix

Les bavardages des collégiens

Le petit tour du côté des CD

Recherche de la carte d’adhérente

Le passage à la table des prêts

Les livres bien serrés dans le sac

Dernier au revoir à la cantonade

Au concert

L’église, moderne, impersonnelle

Les musiciens, tous habillés de noir

Le premier concert de l’année

La première arrivée, je choisis ma place

Les premiers essais des concertistes

Les premiers violons prennent place

Les musiques de film.

La plage

Un voilier, coque blanche, voile rouge

Des sternes plongent

Un bateau de pêche rentre

Des goélands gourmands crient

Il doit y avoir du poisson

La mer monte

Une femme se baigne seule

Des enfants bâtissent un château

Dans un coin abrité, un homme lit

La mer monte

Les vagues arasent le château

Les enfants se décident à se baigner

Combinaisons, planches et bouées

L’ombre de la dune s'allonge

Je me déplace

Dernier bain de soleil

C'est la fin de l'été.

Clic-clac sourd des portes coupe-feu dans le

couloir,

Chuintement glissé des pas de l’infirmière,

Grincement de la porte de la chambre,

Ouverture ressort du store sur le matin blême

Bruit rond du moteur qui relève le lit

Froid de la main qui prend le pouls

Pincement sifflant du tensiomètre

Bip du thermomètre

Raclement du stylo sur la tablette au pied du lit

Tressautement du chariot du petit-déjeuner

Amertume du thé trop longtemps infusé

Eclatement de la biscotte sous la pression du

beurre congelé

Impuissance devant la cuillère à soupe pour

avaler le yaourt nature

Sonnerie de l’alarme qui retentit au loin

Course précipitée dans le couloir

Claquement des ordres froids et précis des

réanimateurs.

A la plage

Première délivrance de vêtements sans

importance

Premiers frissons sur la peau

Premiers chatouillis sous les pieds nus

Première vision de l’immensité de cette nature

Premiers cris d’enfants libres dans la joie

Premiers pas vers les caprices de cet élément

liquide et salé.

Première réticence à avancer plus loin

Premier effort surhumain

Premier bain de l’année

MON VOISIN

LE voisin. Très rapidement après notre arrivée

dans cette maison, nous avions posé un portail

pour éviter les sorties intempestives du chien,

mais ce portail se révéla bientôt plus utile à

limiter les débordements de curiosité du voisin.

Chaque matin, quand je refermais le portail

avant de partir au travail, j’apercevais sa

silhouette silencieuse dans l’entrebâillement de

la porte de son garage. C’était au mouvement

furtif de retrait pour mieux se dissimuler que je

percevais sa présence. Que faisait-il donc tous

les jours à me surveiller ? Que c’était

horripilant ! On laissa à nouveau la haie pousser

librement entre nos deux jardins. Puis on installa

en limite de propriété un tas de bois. Tout pour

empêcher son regard insistant et muet de nous

suivre pas à pas dans le jardin. L’hiver, il recyclait

ses anciens vêtements de l’armée de terre pour

mieux se camoufler et nous observer. Il avait une

marotte, une obsession : sa curiosité, et jouait

avec nos nerfs comme le chat avec la souris. Dès

qu’il apercevait le chien dans le jardin, il venait

se cacher derrière la haie pour l’agacer, usant de

divers cris d’animaux, jusqu’à ce qu’il aboie,

provoquant ainsi notre sortie dans le jardin pour

ramener le calme. Mon mari avait compris son

stratagème. Il conçut de le retourner contre lui.

Ce jour-là, le chasseur fut mon mari. Devant

utiliser un outil à couper le béton très bruyant, il

savait piquer la curiosité du voisin. Tout en

allumant l’engin, il surveillait l’apparition

inévitable du voisin et, dès qu’il l’aperçut

s’approcher, il arrêta aussitôt l’engin, le

dissimula rapidement et attendit. Le voisin

dépité, la curiosité piquée, ne pouvait voir la

cause de ce bruit. Le voisin reparti, mon mari

redémarra l’engin et l’arrêta aussitôt. La tête du

voisin apparût à nouveau au-dessus du tas de

bois, de plus en plus agacé de ne pas

comprendre ce qui se passait. La troisième fois,

mon mari alluma l’engin et se précipita aussitôt

derrière le tas de bois, surveillant l’apparition

inévitable du voisin. Mon mari surgit au même

moment, tel un diable hors de sa boite, et lui

cria un grand « bouh » en pleine face. Nous

étions revenus à la maternelle ! Le voisinage

glacial continua. De plus en plus de voisins se

plaignaient de la curiosité DU voisin. Ayant

recueilli le chien de sa fille, LE voisin le laissait

vagabonder partout et sous le prétexte de le

chercher, entrait dans toutes les propriétés

ouvertes, afin de satisfaire sa curiosité. Enfin, un

beau jour, le voisin sonna à notre portail, avec à

la main une petite annonce pour vendre sa

maison. Il demanda à mon mari de l’afficher sur

son lieu de travail. « Je sais où vous travaillez, j’ai

vu le macaron collé sur votre pare-brise » dit-il

sans ciller. Bien que glacé par cette dernière

phrase, mon mari s’empressa d’afficher

l’annonce sur le panneau ad hoc. Plus vite la

maison serait vendue, plus vite il partirait, et

nous et nos voisins retrouverions la quiétude. La

maison fut vendue et LE voisin partit dans les

Landes, là, où les pins sont nombreux et

pratiques pour se dissimuler tout en observant

ses voisins.

Monsieur Palud descend, tous les jours, les

escaliers de notre collectif à 6 h 30. Dans un état

d’éveil involontaire, je l’entends de son pas

pesant marteler de ses chaussures cirées à la

perfection, les marches en bois grinçantes.

Monsieur Palud n’a pas d’âge. Il n’a pas d’âge,

mais semble posséder beaucoup d’habitudes et

de principes. Tous les soirs, il est de retour à 19 h

30. Une serviette noire à la main, son manteau

sombre porté par tous les temps, il remonte

pesamment, sans laisser paraître une once de

réflexion sur la vie, sur le temps qui passe ni sur

quelque autre sujet que ce soit. Son entière

calvitie semble avoir permis de laisser se libérer

toutes ses pensées. Arrivé sur le palier, il sort de

sa poche un trousseau de clefs et s’enferme chez

lui. C’est fini ; monsieur Palud n’existe plus : pas

le moindre bruit ne sortira, par la suite, de chez

lui, pas de musique, pas de son de radio ou de

télévision, aucune discussion téléphonique, pas

le moindre murmure qui pourrait faire deviner

une quelconque existence dans ce logis.

Monsieur Palud n’existe plus. S’est-il emmuré ?

Son nom inscrit sur sa porte est la seule trace de

son existence. Lit-il ? Ecrit-il ou finit-il le travail

qu’il n’a pas eu le temps de terminer à son

bureau ? Ça doit-être cela. Il est sûrement

comptable ou il exerce un métier de ce genre car

il en a l’aspect. Comme le fait remarquer

Madame Joly : « L’exactitude et la ponctualité

semblent borner ses journées, » aime-t-elle à

répéter dès qu’elle le peut.

Mme Joly occupe, avec son mari, l’appartement

qui se situe entre le mien et celui de Monsieur

Palud. Elle se pose beaucoup de questions à son

sujet. Sur d’autres personnes également. Elle

adore rester balayer le palier pour voir les allers

et venues de la petite communauté que nous

formons dans ce bâtiment. « Vous le

connaissez ? Avez-vous déjà conversé avec lui ?

Que fait-il ? ». Je m’arrange toujours pour

répondre dans le flou aux questions de Madame

Joly et j’écourte au plus vite notre entretien car

je n’aime pas trop rester commérer. Je ne l’aime

pas trop. Néanmoins, dès que je peux bénéficier

de renseignements sur ce personnage, je ne

m’en prive pas. Monsieur Palud m’intrigue. Est-il

vraiment celui que j’imagine ? Qui est le

personnage qui est derrière la porte où il est

marqué M. Palud ? Tiens, justement, cette porte

est entrebâillée et laisse passer un rai de

lumière. Il est là et ne s’est pas enfermé à clef

comme il le fait d’ordinaire. Que se passe-t-il ?

Est-ce une force obscure ou tout simplement la

curiosité ? Je ne peux pas m’empêcher

d’avancer. Mes jambes me poussent lentement

et en silence vers ce faisceau de lumière. Mon

cœur commence à battre la chamade. Ma jambe

droite en suspend garde l’équilibre au ras de la

porte. Faut-il poursuivre cette investigation ou

faire demi-tour et rester torturé de questions ?

Les doigts de ma main droite ne s’en posent pas.

Ils se posent sur le battant de la porte et le

poussent sans aucune retenue. Ma jambe n’a

pas longtemps à réfléchir et pose simultanément

son pied à l’intérieur de l’appartement de

monsieur Palud. Au même instant une odeur

forte pénètre par surprise dans mes narines. Un

mélange de térébenthine, de peinture et de

vernis viennent s’entrechoquer dans mes

cloisons nasales et un dédale de toiles de

peintures s’offre à ma vue. Il me faut résister

pour ne pas perdre conscience devant une telle

surprise. Pas de doute, je suis chez un artiste

peintre.

« Monsieur Ménard entrez, n’ayez pas peur, il

n’y a aucune violence dans cet endroit. Avancez

et tranquillisez-vous en jetant un coup d’œil sur

ma passion. Ce ne sont que des vues de la vie de

tous les jours. La vie de notre société repose en

cet endroit caché de tous ». Alors, en bon voisin,

je me permets de rentrer dans son intimité.

Comment connait-il mon nom ?, me demandé-je

sous le coup de la surprise. Ebahi par cette

découverte, je traverse machinalement ce qui

correspond chez un locataire normal à la salle à

manger. Mais ici, pas de table ni de chaise pour

les invités et encore moins de buffet.

Monsieur P est assis sur un tabouret. Une

palette de peinture à la main, il barbouille une

toile de bleu. Toujours sous le choc, je

m’enfonce dans le couloir qui donne sur les

autres pièces. Là aussi sont accrochées au mur

des peintures de toutes sortes qui décrivent la

vie du quartier. Au carrefour des rues de la tour

d’Auvergne et de la rue Pasteur, un gendarme

chasse du pied un pigeon qui lui becquette le

soulier. La fleuriste réprimande une collégienne

qui vient en passant de renverser un pot de

chrysanthèmes. Une voiture passe au feu rouge.

Une mère tire avec force sur le bras de son fils

pour qu’il la suive. «Il s’agit de la vie quotidienne

dis-je en moi-même. Rien d’anormal. »

C’est tellement normal qu’au fond du couloir

apparaît Madame Joly. Elle vient de fermer la

porte de son appartement à clef. C’est le

mouvement de sa robe, de gauche à droite, qui

nous l’indique. Son cabas sous le bras, elle part

au marché. A sa gauche, une autre toile attire

mon attention. Un homme de petite taille entre

sa clef dans la serrure de sa porte. Son imper

semble mouillé. Il a plu sûrement sur le chemin

du retour de son travail. Il est pressé de se

sécher. J’ai horreur de rester mouillé. En effet

c’est moi qui ouvre la porte où est écrit : M.

Ménard.

Entre ces toiles (celles où M J et moi où nous

posons malgré nous) une troisième est installée.

Elle représente une porte fermée. Bien fermée

où rien ne transparaît, ni son, ni odeur. Seule

une étiquette la décore. Dessus il est noté M. P

‘’Artiste Peintre’’ Je n’avais jamais osé

m’approcher pour la lire en entier.

C'est drôle, ce matin, André, notre voisin n'est

pas encore passé pour la promenade du chien.

Que se passe-t-il ? Est-il malade ? Ce n'est

pourtant pas encore la date de sa cure annuelle.

Ah ! Le voilà. Il s'approche de notre haie,

toujours très attentif aux désirs du petit animal

qui se fait bien vieux. Il s'arrête souvent, surtout

devant les entrées de propriétés. Ainsi, il

rencontre ses voisins et s'inquiète de savoir si

tout va bien, si les légumes poussent, si la

pelouse n'a pas trop souffert cet hiver, s'il y a

suffisamment de bois coupé pour alimenter la

cheminée. Notre voisin est très curieux. A

chaque passage, il guette notre chat, qui selon

son humeur, nargue le chien qui est bien dépité,

ou s'en approche pour le saluer. André, retraité

depuis 20 ans déjà, est à la recherche de

compagnie. Il guette aussi le passage du facteur

pour optimiser ses chances de rencontres, pour

donner des nouvelles du quartier, et surtout

nous parler de ses soucis de construction qui ne

manquent pas. Car André est le champion des

procès : un enrobé mal fait, un toit qui fuit, un

mur qui n'est pas droit. Bien sûr, nous

compatissons, mais pas trop, car après tout c'est

peut-être son occupation favorite que de tout

remettre en question, de chercher le vice caché,

pour ensuite se plaindre de sa malchance.

J'étais petite. Deux maison plus loin que chez

moi habitait ma meilleure copine. J'allais souvent

chez elle. Ensemble nous étions braves. Le voisin

du rez-de-chaussée nous intriguait. Pourtant,

nous devions obligatoirement passer devant sa

porte, souvent close mais curieuse: était-ce sa

forme, sa couleur, la forme de la serrure, rien de

définissable, c'était simplement Sa porte. Nous

espérions ne pas le rencontrer, mais en silence

nous souhaitions le voir, le suivre, percer son

secret ... Les rares fois où nous l'avions entrevu, il

nous avait paru une petite masse brune, sans

forme, de sa casquette brune à ses chaussettes

brunes également. Il ne portait jamais de

souliers, il glissait sur le sol en silence. Sans

visage, sans regard, sans bras ni mains, il nous

terrorisait et nous attirait. Personne ne rentrait

chez lui, il ne parlait jamais à personne ; même à

l'épicerie, lieu de toutes les rencontres ; il ne se

rendait jamais à la boulangerie ni même au café.

Personne ne le connaissait, il était pourtant celui

dont on parlait le plus à voix basse. Comment

vivait-il ? La rumeur disait qu'il élevait des vers

de terre et s'en nourrissait. Il n'avait besoin de

rien d'autre ni de personne : il était sombre

comme la terre, comme la nuit, comme

l'angoisse qu'il projetait. Puis, j'ai déménagé.

Mais le voisin du rez-de-chaussée a figé mon

imaginaire écologique.

C’était un voisin discret, effacé et un rien

mystérieux. Sa chevelure très brune, devenue

gris poivré avec le temps, se prolongeait par une

barbe hirsute, qui néanmoins laissait deviner

deux petits yeux vifs, observateurs et curieux. De

sa bouche perdue dans sa barbe grisonnante

sortaient des paroles assourdies sur un ton

monocorde. Un bonnet bleu marine lui

permettait de lutter contre le vent, le froid et la

pluie qu’il redoutait énormément à cause de sa

santé fragile. Sortant des manches de son grand

manteau à carreaux gris clair et foncé, on

devinait des mains violacées, que son cœur

défaillant rendaient difficiles à réchauffer …

Je le croisais régulièrement avec Cacao, le bouc,

composteur, chargé de l’entretien des talus qui

bordent notre jardin, je le voyais monter et

descendre la côte devant chez nous, se

promener sur les chemins avoisinants, luttant

de sa haute stature , un peu dégingandée contre

le vent et le froid mordants du Plateau, et

tentant vainement de se réchauffer. Si l’envie lui

prenait, il s’arrêtait, je lui parlais d’Holy ma

chienne croisée border collie et beauceron, avec

laquelle il s’était lié d’amitié… Je lui racontais ses

déboires avec sa patte cassée, qui ne

l’empêchait pas de poursuivre, de façon effrénée

et très dangereuse, ses courses, sur trois pattes,

avec les tracteurs, camions et différents engins

agricoles qui passaient devant chez nous. Je

m’inquiétais pour la guérison de sa patte, de sa

broche, des plaques et des écrous que le

vétérinaire avait dû resserrer… Quand elle

revenait, de sa course intrépide, je l’attendais

avec un bâton pour lui donner une leçon mais,

sortant la tête de sa collerette démesurée, ses

yeux perçants semblaient me dire d’un air

jubilatoire quelque peu revanchard : « mais c’est

moi, le cadeau, vous pensez bien que je fais tout

pour être à la hauteur ! ». Poursuivant nos

échanges, il me faisait de grands discours,

montrant son érudition et sa culture, tout en

cachant subtilement son ennui et son isolement,

dans lesquels, successivement, séparation,

départ des enfants, mauvaises affaires, crises

agricoles et foncières, problèmes de santé,

inactivité, l’avaient plongé de façon perverse et

insidieuse.

Un voisin, je l'imagine de taille moyenne, avec

de la bonté se reflétant sur son visage, courtois,

aimant les choses simples de la vie, rendre

service en toute convivialité, parler de nos

enfants et petits-enfants, de leur avenir, de

livres, de jardinage, de bricolage, faire des

recherches généalogiques ensemble (avec

Madame) quelqu'un qui vous écoute, en bon

voisinage sans plus, en confiance, une main

tendue en cas de besoin, ce qui devient rare à

notre époque.

Plutôt grand, le teint gris, handicapé par la

maladie, un chien noir trottinant derrière lui, il

se promène, claudiquant légèrement. Rien

n'échappe cependant à son œil resté vif malgré

les ans. Un nouvel arrivant dans le quartier, une

nouvelle plantation dans un champ, sans

problème si vous le souhaitez, il saura vous

renseigner. Sur les chemins creux, comme sur le

bitume, il se promène inlassablement, du moins

chaque fois que le temps le permet, espérant

apercevoir une silhouette familière, et pouvoir

lier conversation pour éclairer ses mornes

journées d'hiver, lorsque la grisaille nous

envahit.

Régulièrement, nous lui proposions notre aide

pour l’entretien de ses haies de laurier palme qui

masquaient la maison et empêchaient la lumière

et la chaleur solaires de rentrer dans la demeure.

Par amour propre ou fierté, mal placés sans

doute, il déclinait toujours notre proposition.

Toutefois il s’obstinait, aux premiers rayons du

soleil, à ouvrir portes et fenêtres, pour aérer, et

ainsi tenter d’enlever l’humidité et réchauffer

l’air ambiant. Vivement le printemps et ses

journées ensoleillées pour qu’il puisse se

réchauffer (les mots maux laids à l’air) !

Paulette. Ma voisine est la mère de mon

meilleur ami. C’est aussi la cousine germaine de

mon père. Sa famille est arrivée en même temps

que la nôtre. Elle est calme, gentille, généreuse,

guère envahissante. Elle parle avec ma mère par-

dessus le mur qui sépare les deux maisons.

Pourquoi alors une certaine réserve, voire un

agacement certain à son égard ? C’est à cause de

son ménage. Pas de son couple, non ! Du

ménage quoi ! Le ménage commence dès son

réveil, qui devient aussi le nôtre. Elle ouvre

grand les volets en bois de sa chambre, le

claquant bien fort contre le mur. Elle en fait

autant dans les autres pièces, ce qui fait cinq

paires de volets lourdement plaqués. Ensuite,

elle s’arme de son chiffon à poussière et

époussette sans bruit. Mais presque aussitôt,

s’ensuit un concert d’éternuements violents,

bruyants, inépuisables. Ils ne cessent que

lorsque, chaussée de ses sabots de bois, elle

s’affaire à l’extérieur, où ses pas lourds

résonnent sur le ciment. Ainsi, toute la matinée,

les bruits du ménage de la voisine nous agacent

les oreilles. Nous savons que notre vengeance

sera possible à l’heure de sa sieste.

Ce matin, Jacques est déjà dans la rue. Par la

fenêtre, alors que les lampadaires s'éteignent, je

le vois faire des allers et retours. Il a dû encore

mal dormir. Mal rasé, son vieux chapeau de

feutre sur sa tête, il allume sa première cigarette

tout en promenant son chien. Il lui parle, à moins

qu'il ne parle seul. Je pense qu'il attend que

nous cherchions le journal pour causer un peu.

Veuf depuis un an, Jacques cherche de la

compagnie. Avant, il était très actif ; avec ses

copains, il faisait du vélo ; musicien, j'entendais

sa guitare quand les fenêtres étaient ouvertes ;

jardinier, il distribuait ses légumes au voisinage. Il

organisait aussi la fête des voisins. Vif et

sociable, Jacques avait toujours plein de projets.

Hier, pourtant, je l'ai vu bêcher son potager. Par-

dessus la haie je l'ai interpellé ; il a l'intention de

planter des pommes de terre. Je l'ai vu aussi

briquer son vélo. Jacques reprendrait il goût à la

vie ?

Se sentant admirée une étoile fila.

Se sentant espionnée, une étoile fila

Se sentant compromise, une étoile fila

Se sentant dévisagée, une étoile fila

QU’OUVRE CETTE CLE ?

C’est une clé en deux parties, noir et argent.

C’est une clé qui tient parfaitement dans la

main, se glisse aisément dans une poche. Elle est

précieuse. Il ne faut surtout pas l’égarer, au

risque de devenir folle. Il faut encore moins la

perdre, sinon on est perdu. C’est la clé de

l’indépendance, que dis-je, de l’aventure et de la

liberté. C’est la clé de ma voiture.

C'est la clef qui ouvre l'armoire bretonne.

La clef introuvable de la salle de réunion,

La clef de la boîte à musique, de la tirelire, du

cadenas. La clef pour démarrer ou verrouiller la

voiture.

Légèrement courbée, même un peu

tarabiscotée, elle s'accrochait aux lignes droites

parallèles qui semblaient la soutenir

élégamment. Un profond silence envahissait la

salle, quand, soudain, seule et cristalline une

note s'échappa, comme libérée, entraînant

toutes les autres dans une harmonie suave et

mystérieuse.

On se la posait depuis longtemps, tout le monde

cherchait, quelqu'un enfin craqua : « ok, on te la

donne». Alors, le chat majestueux, un brin

moqueur se décida à nous donner la clé de

l'énigme.

Oh, Une clé. Égarée, quelqu'un doit la chercher.

C'est une petite clé. La clé des secrets peut-être,

un tiroir, une boîte, avec des photos précieuses

inconnues de tous ou presque, des lettres, un

passé non oublié, une peine, un immense

chagrin enfoui, vulnérable, une illusion peut-

être, alors, que faire de cette clé ?

La clé des champs ouvre la porte vers des

randonnées mouvementées, sur les chemins

longeant les différentes cultures : orge, blé, maïs

ou colza. Randonnées à la campagne, sur des

sentiers encaissés longeant des ruisseaux, sur

des pierres patinées par des eaux claires, irisées

et nacrées. Randonnées à la montagne, partant

du fond des vallées encaissées vers d’abrupts

sentiers sur des pentes vertigineuses menant

aux sommets couverts de neiges éternelles.

Randonnées sur les sentiers côtiers permettant

d’admirer la mer dans tous ses états : tour à tour

coléreuse, déchaînée, enfin sereine, apaisée, à

peine ridée, parfois écumeuse, camaïeu de bleu,

tantôt violette, mauve, bleu marine, grise, verte,

turquoise, tantôt rouge carmin ou vermillon,

rose saumon, orange, ocre jaune, terre de

Sienne brûlée ou naturelle, au soleil couchant. La

clé des champs ouvre la porte vers l’aventure, le

monde entier, cinq continents. Mais elle ouvre

surtout le cœur des gens, convertis, unis par un

langage universel : la musique, apprise par cœur,

éclectique, dynamique. Si vous voulez y entrer,

écoutez tout simplement, tous en chœur, les

paroles de chants mélodieux. Et vous trouverez

la clef des chants.

Elle ouvre le paradis, un jardin secret, la porte de l'infini, la boite aux trésors, la clé éternellement égarée toujours retrouvée, et qui nous permet d'entrer. L’énigme.

Jour de rangement : décidée, j'ouvre les tiroirs

du bahut. L'un sert de dépôt de clés conservées

sans but. Certaines portent une étiquette.

Souvenirs, souvenirs ! Mon attention se porte

sur une petite clé rouillée. Quelle malle, quel

coffre ouvrait-elle ? Dans mon grenier, je fais des

essais sur de grandes valises de cuir

abandonnées. Sans succès. Puis je me souviens

de la grosse malle de bois munie de ferrures et

de sa serrure imposante servant au cadenas. Je

l'avais aménagée au début de notre mariage.

Cachées au regard des invités, les bouteilles et

les verres attendaient l'apéritif. Vingt ans après,

ma fille se l'approprie pour le même usage. D'où

venait-elle ? Me remonte à la mémoire le grenier

de ma maison natale. J'y ai passé de longues

heures à lire les livres et les vieilles revues. Cette

malle en était remplie. Je regrette seulement de

ne pas avoir interrogé mon entourage sur son

origine. Quand la clé rouillée était bien utile,

dans quel pays avait-elle voyagé ?

C’était une clé blanche et brillante comme

l’appartement tout neuf dont elle ouvrait la

porte. Premier appartement avec une belle vue

dégagée sur les toits parisiens. C’était la clé de

tous les possibles, vrais, imaginaires ou rêvés,

loin des parents enfin ! La clé des premières

amours aussi, des portes qui claquent, des cris

de rage. La clé du refuge douillet enfin, où l’on

pouvait rester enfermée tout le week-end,

roulée sous la couette, loin des promenades

dominicales obligatoires. Puis on rendit la clé. Le

temps de l’indépendance était terminé et le

temps des chaînes librement consenties était

venu. Avec deux clés cette fois.

DANS LE POT DE CONFITURE

Avec le petit « pop » de la bulle d'air ouvrant le

couvercle, s'échappe une senteur fragile

d'oranger. Puis, comme si un arbre tout entier

libérait ses fruits, cuits et conservés depuis

plusieurs mois, des arômes suaves envahissent

la pièce. Avec l'odeur du pain grillé, resurgit un

doux souvenir d'enfant. Pourtant, bien que

sensible à ses palettes de couleurs, au moelleux

de ses textures, à la variété de ses parfums, je

n'aime pas, du tout, manger de la confiture.

Pour ce petit déjeuner-là, je décidai de servir

cette confiture de mûres. A la fin de l'été, par un

samedi ensoleillé avec les enfants encore

présents, et quelques ustensiles, nous avons

organisé une cueillette des mûres dans les

champs bordant la maison entourés de talus

pour nous protéger mais aussi pour pouvoir

disposer de ronces pour les confitures. Il faisait

bon dans les champs, et dans la cuisine, avec

cette bonne odeur de ce début de cuisson.

Cette deuxième étape ou l'on récupère le jus est

magique, ce ruban coloré qui tombe en cascade

dans les pots.

Il y a la chaleur de l'été à l'ombre d'un chapeau

de paille,

Des épines dans le pouce et l'index,

Des pigments rouges,

De longues stations debout ou accroupi,

La patience des adultes, l'impatience des

enfants,

Le calme du jardin et de la campagne,

Des animaux dérangés dans leur cachette,

Les grosses marmites et les pesées précises :

fruits, sucre, eau,

Et surtout les odeurs qui envahissent la maison.

Goûter, lécher, tartiner, partager, souvenirs

magiques de mon enfance que je transmets à

mes petits-enfants. Sauront-ils prendre le relais ?

Dans le pot de confiture, il y a d’abord

l’anticipation de cette journée particulière où

nous allons « cueillir des mûres ». Pour certains,

moment de plaisir, pour d’autres, corvée à

laquelle on ne peut échapper. Chacun a son

seau; il faut tendre le bras en évitant les dents

acérées des ronces, les insectes volants et

araignées en nombre ; saisir le fruit, bien noir,

bien le choisir, sinon il ne se détache pas, ou il

bien s’écrase entre les doigts ; pire encore ! il

tombe au sol, il est perdu ! Petit à petit, les

seaux se remplissent, en entier ou seulement à

moitié. Les petits visages se couvrent de taches

violacées. Le jeu fait place à la cueillette. Il est

temps de rentrer. Tout le reste sera affaire des

parents : ranger, laver, cuire, mettre en pots.

Dans la confiture, il y a le souvenir vivace d’une

journée heureuse en famille.

Dans le pot de confiture, il y a le plaisir de faire

soi-même ses confitures. Le meilleur moment est

celui de la dégustation. Il y a ceux qui hésitent à

l'heure du petit déjeuner et présentent deux ou

trois parfums différents, et ceux qui comparent à

celle de l'année dernière. On l'emporte en

vacances, car rien n'égale le « fait maison ». Mes

parfums préférés sont la mûre, la framboise, la

fraise, l'abricot, la rhubarbe. Mais attention à la

confiture en pique-nique, ou sur la table du salon

de jardin : elle attire inévitablement les petites

indésirables comme les guêpes, les fourmis. Les

pots de confitures, on se les passe pour faire

goûter notre nouvelle recette, et en retour on

compare celle de nos amis. On la déguste sur les

tartines, dans les yaourts, sur les gâteaux.

Dans le pot de confiture, il y a des mûres bien

noires et juteuses qui collent aux mains, cueillies

dans les ronciers, des framboises, des cassis, du

sureau, avec lesquels on fait des gelées, ou bien

de la confiture avec tous les fruits mélangés. Il y

a de la gelée de pommes avec des pétales de

roses, tous ces parfums embaument la cuisine et

tous ces fruits mélangés à du sucre roux me

rappellent mon enfance et enchantent le palais.

Les guêpes sont toujours au rendez-vous ces

jours-là.

Dans le pot de confiture, il y a des fraises, du

sucre, la douceur du verger. Verger de pommiers

couverts de fleurs blanches épanouies, de fleurs

rosées. Rosée recouvrant de fines gouttelettes

étincelantes, l’herbe du jardin au lever du soleil.

Soleil resplendissant dans un ciel bleu sans

nuages. Nuages cotonneux se promenant au gré

du vent, emportant mon imagination.

Imagination nourrie par leurs diverses formes

provoquant l’inspiration. Inspiration et

expiration : une nouvelle journée commence. La

vie continue.

Dans le pot, il y a de la confiture à la rhubarbe,

presque noire, avec des écorces d’orange

confite. Le pot est rangé dans le grand bahut,

noir, lui aussi, juste à côté du grand pot en verre

de sucre en poudre. Le pot est si grand qu’on

utilise une grande cuillère spéciale qui

s’accroche au rebord. C’est la confiture que

Grand-mère prépare avec la rhubarbe qui

pousse à l’ombre au fond du jardin. J’ai

longtemps cru qu’il n’y avait qu’une sorte de

confiture, car c’était la seule que préparait

Grand-mère. D’abord elle faisait sécher les

écorces d’orange sur le fourneau bleu de la

cuisine. Cela sentait très bon. Puis après avoir

lavé, tranché en petits cubes les branches rouges

de la rhubarbe et ajouté le sucre, elle faisait

cuire le mélange longtemps, très longtemps. La

confiture était prête à être mise en pot quand

elle était presque noire. Je n’ai jamais pu

retrouver ce goût si particulier, surtout avec le

beurre salé que Grand-mère posait en premier

sur la tartine. Aucune amertume dans cette

confiture, rien que la douceur d’un moment

partagé et perdu.

Dans le pot de confiture, il y a les fruits gonflés

de soleil et de chaleur estivale, les mains agiles

du cueilleur qui ne craignent pas les griffures, les

mains expertes du cuisinier sachant savamment

doser le sucre, les fruits, évaluer le temps de

cuisson, l'œil vif de l'enfant gourmand que

l'odeur alléchante et la couleur attirante font

briller. Souvenirs d’enfance, passe-temps du

retraité, que d'émotions et d'authenticité dans

ce petit pot de verre posé sur l'étagère.

Le souvenir de l'endroit pour la cueillette des

mûres, aller chercher les pots de l'année

dernière, ne pas oublier de les laver. Il y a

surtout la cuisson. Trouver le moulin à légumes,

le vieux, celui à manivelle, et commencer à

rendre cette préparation mangeable en retirant

tous les grains en essayant de ne pas en mettre

sur la gazinière, bien peser la quantité et mettre

à poids égal le sucre.

Recommencer l'opération de cuisson, et surtout

savoir quand la goutte va rester sur la cuillère

pour évaluer la fin de la cuisson. Verser ce

liquide dans les pots et surtout ne pas se brûler

les doigts. Tour de magie: vite retourner tous ces

contenants. Et le lendemain ranger sur l'étagère

cette confiture qui viendra améliorer ma tartine

de pain ou le fromage blanc.

LA PREMIERE FOIS

La première fois que je l’ai vu, mon cœur a fait

un bond terrible. Une joie pure et intense m’a

envahie toute entière. Je l’ai aimé dans l’instant

et aussitôt j’ai su que ce serait pour la vie. Il

m’était offert par mes parents, pour mes dix ans

peut-être. Ce fut mon premier et unique chien. Il

reste présent en moi comme une part d’enfance

teintée d’une douloureuse tendresse.

Je venais d'avoir cinquante ans, et nous avons

fait le projet de partir en voyage avec mon

Comité d'Entreprise pour la première fois. Nous

avons choisi un séjour en Crête. C'était un séjour

au soleil, dans un hôtel près de la mer, entouré

d'orangers et de citronniers dont on cueillait les

fruits au passage. Quel plaisir de se promener

parmi les fleurs et plantes du jardin exotique.

Nous avions le soleil dès le petit déjeuner, des

tables entières de plats à notre disposition, et

des serveurs tout à notre service. Dans la

journée, c'était la découverte des petits villages,

le safari dans la montagne, la rencontre avec les

chèvres perchées en haut des arbres, les églises,

les plages, les sites archéologiques et les

dégustations des fruits, fromages, alcools. Parmi

les excursions sur les îles, celle de Santorin nous

a beaucoup marqués, si bien que quelques

années plus tard, nous y sommes retournés pour

une semaine entière, et avons retrouvé avec le

même émerveillement, la caldeira, les maisons

et églises bleues et blanches et le coucher de

soleil à la pointe de l'île.

La première fois que j'ai pris le train pour aller à

Quimper, je devais passer un concours des

jeunes fermières. J'étais très jeune, nous

circulions surtout en vélo. Je n'ai pas le souvenir

que ce fut difficile. Ce fut plus ardu de trouver le

"Paraclet" à Quimper, sans la moindre carte, à

pied dans les rues. Ce fut hasardeux, j'y parvins

mais j’étais perturbée par le concours. La

journée fut vraiment difficile.

La première fois que j’ai acheté quelque chose

avec mon argent de poche, je suis descendue

très vite dans la rue à Brest. Il y avait une

alimentation au-dessous de notre appartement.

Une chose me faisait vraiment envie. Ce n’était

ni les gâteaux ni les bonbons. J’ai acheté une

orange bien brillante. Elle m’avait coûté 0.3o

centimes je crois. De retour à la maison, je

montrais fièrement mon achat à ma mère. Elle

s’est fâchée. « Mais qu’est ce qui t’a pris

d’acheter cela ! ». Je n’ai toujours pas compris sa

colère. Au fond, peut-être ne s’était-elle pas elle-

même autorisée à une telle fantaisie. Pour

autant qu’acheter un fruit, un seul, passe pour

une folie...

On a sonné à la porte. « Qui est-ce ? »

demanda ma mère. « C’est le Père Noël ! »,

répondit une grosse voix. Point de Père Noël,

mais mon père. Un large sourire lui barrait le

visage et dans ses bras. Il portait un vélo bleu.

C’était Noël et c’était merveilleux. Dès le

lendemain, je fis des pieds et des mains pour

essayer mon vélo, mon premier vrai vélo. Avec

seulement deux roues, un grand, avec des

poignées pour les freins, une selle, des garde-

boue, etc. Devant mon insistance, mes deux

sœurs, plus âgées que moi, nous conduisirent,

mon vélo et moi, au parc de la Mairie où de

grandes allées bordées d’arbres permettaient

aux familles de se promener tranquillement le

dimanche. Je montais sur ma bicyclette. « Fais

attention ! Au début, nous te tiendrons puis

nous te lâcherons. Là, tu as des poignées pour

freiner, appuie dessus pour t’arrêter. » Je ne les

entendais pas. J’étais assis sur mon vélo prêt à

foncer sans me préoccuper de toutes ces

recommandations. « Appuie sur les pédales,

allez, vas-y ! ». Je l’ai fait. Le vélo a avancé, très

vite même. Trop vite, et au bout de l’allée, seul

sur mon engin, je ne savais plus quoi faire pour

m’arrêter. « Tes freins, appuie sur tes frein s! »

criaient mes sœurs. J’ai paniqué et me suis laissé

tomber sur le côté pour m’arrêter. C’était la

première fois que je faisais du vélo. Mais ce ne

fut pas la dernière fois que je freinais.

Je me souviens de la première fois où j'ai eu le

droit de circuler loin de chez moi en vélomoteur.

Mes frères me l'avaient prêté pour quelques

jours, pour aller chez une amie à Tréflévénez.

J'en étais fière, j'avais l'impression de voler de

mes propres ailes. Tout excitée, j'écoutais à peine

leurs conseils. Ma mère avait longtemps hésité à

me laisser partir, mais comme j'allais dans une

famille « bien », elle avait accepté. Au début,

cheveux au vent, j'avais un sentiment de liberté,

mais passé Landerneau d'où je n'avais jamais

bougé seule, j'étais un peu inquiète. Allais-je me

repérer ? Les routes de campagne

s'éternisaient, le moteur pétaradait et chauffait,

je pédalais dans les côtes. Enfin je vis la ferme.

Pour la première fois aussi, je découvrais une

autre vie familiale et une vraie complicité avec

une amie. Au retour, je n'avais plus 15 ans, j'avais

grandi.

Ma table est décorée en écru et vert anis, tout y

est : la fourchette à gauche, le couteau à droite,

sans oublier les verres adaptés à la boisson. Les

invités vont bientôt arriver, mais avant je dois le

préparer. J'ouvre la porte, il est là, me regarde,

dodu, resplendissant dans une belle peau.

Surtout le prendre délicatement. Où le poser ?

Sur la table ? Trop encombrée. Sur le plan de

travail, c'est plus sûr. Commencer l'opération, je

l’écarte, je plonge ma main à l’intérieur, après

un certain temps, ça y est, il est prêt. Mais il

temps d'aller se pomponner, se coiffer, les

invités viennent de sonner, Tout le monde

s'installe. Ils me regardent, devinent une

inquiétude de ma part. Et c'est avec

soulagement que je présente mon chapon que,

pour la première fois, je venais de farcir.

Le jour de Noël, ma première petite fille,

cadeau merveilleux, ma petite étoile, un vrai

conte de Noël ; et ses parents lui ont donné un

joli prénom qui brille. C’est ….

La nuit du 4 Août, ma seconde petite fille, toute

menue dans son berceau, moment magique. Ses

parents lui ont donné un prénom tout doux,

enlevez deux lettres à celui de sa grand’mère et

vous le trouverez. C’est …

Un beau dimanche de mars, mon petit-fils, un

bébé magnifique, inespéré, remplissant de joie,

sa sœur, ses parents et ses grands-parents. Et un

joli prénom, tout doux, qui commence par la

lettre M … C’est …

Portant un pull dont la vue m’était

singulièrement familière, réunion autour d’une

grande table, discussion au sujet de la profession

de foi, port de l’aube blanche ou non, invitation

à se joindre au groupe (d’enfer) , quel est le sens

du vêtement blanc ? Miséricorde. C’est mon

dernier mot …

Après avoir traversé la mer Méditerranée,

éblouissement en découvrant la « ville

blanche». Grande émotion, choc des cultures, à

la vue des femmes en costume traditionnel et

début d’un apprentissage de la vie sur un autre

continent. C’est …

La première fois que je suis allée en Maine et

Loire, à Liré, voir mon beau-père, quelle chaleur

humaine j'ai ressenti et quel accueil bienveillant,

pourtant il avait dit à mon futur mari, « une

parisienne ! », alors que lui était de Paris. Le

courant est vite passé entre nous deux, puis il n'y

avait que sa belle-fille qui comptait et plus tard

ses petites-filles. Quel courrier elles ont échangé

avec leur grand-père. Mon mari n'avait pas

imaginé cela.

Responsable de classe, je devais préparer un

voyage scolaire, direction Belle Isle en Mer. Le

proviseur de l'établissement me convoque dans

son bureau et me dit : "Mademoiselle, le

téléphone est à votre disposition, vous avez

certainement déjà répertorié la liste des hôtels

susceptibles de vous accueillir. Maintenant

téléphonez, et retenez celui qui offre les

prestations les plus intéressantes. Quelle ne fut

pas mon angoisse, je me mis à transpirer, j’étais

prise de panique. Le téléphone ne faisait pas à

l'époque partie de mon quotidien, il n'y en avait

pas à la maison. Je restai figée, complètement

inhibée, les mots me manquaient.

« Mademoiselle ressaisissez-vous, vous en êtes

capable ». Emue, tremblante, je décrochai.

Hésitante au départ ma voix s'est

progressivement placée. L’expérience ô combien

stressante, s’est soldée par un succès.

J’avais pris le bus de bonne heure avec Maman.

J’avais bien regardé l’itinéraire du bus, car

demain je serais seule. Arrivées à la Mairie, nous

avions remonté la place, tourné à droite derrière

l’Opéra, traversé la place du Palais, affronté les

pavés de la rue St Georges, contourné la piscine.

Dans le creux au bas de la rue Martenot se

trouvait le Lycée Anne de Bretagne. Une fois la

grille franchie, les élèves se hâtaient jusqu’à la

cour. A l’entrée, une grande femme toute de

noir vêtue nous accueillit. S’adressant à Maman,

elle demanda, en me regardant :

« Quel est son nom » ? « Sylviane H , répondit

Maman. La femme vêtue de noir consulta son

grand registre puis nous précisa :

« Mademoiselle H. Vous êtes inscrite en 6e B.

Dirigez-vous à droite et mettez-vous à la suite

dans le deuxième rang. Quant à vous, Madame,

vous restez ici, les parents n’ont pas le droit

d’accompagner les enfants ». La cour se

remplissait peu à peu. En ce début septembre,

la température était encore douce. Les élèves,

petites et grandes, étaient vêtues d’une blouse

bleue. Soudain, la porte du grand bâtiment beige

s’ouvrit. Une femme petite et ronde apparut en

haut de l’escalier qui menait à la cour. Elle

s’appuyait sur une canne. Elle aussi était vêtue

de noir. Des mots murmurés coururent de rang

en rang. Je n’entendis que la fin…. « trice ». La

sonnerie retentit. Puis Madame la Directrice

annonça d’une fois ferme : « Mesdemoiselles, il

est l’heure de rentrer, en ordre et en silence, s’il

vous plaît. Terminales A, avancez ». Les élèves

avançaient lentement une par une, classe après

classe, jusqu’à ce que ce fut le tour de la 6e B. Je

ne me sentais pas bien. Je me retournai une

dernière fois vers Maman qui me fit un signe

d’encouragement.

La première fois que J'ai pris l'avion en 1971 :

Paris / Montréal. Le voyage d'étude commence à

Orly. Pour le groupe, passage rapide à la douane,

passeport et valises qui s'amoncellent dans un

chariot qui disparaît bientôt tiré par un tracteur.

Le commandant de bord nous explique la durée

du vol, l'altitude de croisière avant de nous

souhaiter un bon voyage. Ai-je peur? Les

hôtesses nous distribuent des bonbons à sucer

pour le décollage, à vrai dire assez inutiles quand

les moteurs accélèrent. J'écoute avec attention

les consignes de sécurité, j'essaie de repérer les

issues de secours, le gilet sous le siège, les

masques qui tomberont du plafond. Mon cœur

se serre. Tout redevient calme; il faut rester

attaché sauf « urgence ». Bien que le vol sera

long, je sais que je ne bougerai pas, là j'ai la

trouille. Je regarde par le hublot, que du bleu. Je

ne parviens pas à lire. Puis, les hôtesses, gants

blanc, nous distribue les menus pour un vrai

repas, dans de vraies assiettes, avec de vrais

couverts gravés Air-France que je garde en

souvenir, entrée, plat, dessert, vin dans des

verres à pied, digne d'un Trois étoiles dans lequel

je ne suis jamais allée. Le vol est long, j'ai des

fourmis dans les jambes. Certains se promènent

dans le couloir, je ne bouge pas. Enfin, on

annonce l’arrivée, l'atterrissage est proche, tout

le monde se rassoit, plus de bruit. J'ai une boule

au ventre et je ne suis sans doute pas la seule.

Les pneus se posent à peine qu'un tonnerre

d'applaudissements éclate dans l'avion. Tout le

monde reste bien sagement assis, jusqu'à ce que

le commandant de bord vienne nous voir, nous

remercie, nous annonce la température

extérieur avant de nous souhaiter « bienvenue

au Canada ». Ouf.

Photo Sylviane

L. A N. D. E .R. N.E.A U

Sur la lande sous la lune, le renne a rendu Anne

à Edern - Ancrée dans la cour, la cane couve et

recouvre sa couvée, le cou en vrac.

Anne née à Landerneau, rue André Renard,

l'année de la lune en landau sur un radeau et

l'âne rude rua dare-dare.

L’eau de la rade a rendu le radeau de René né à

Landerneau.

René s'est rendu dans la dernière rue de

Landerneau près du radeau dans l'eau.

Le landau est là dans la lande drue.

Le renne a eu la dent dure.

Alan le rude renard râle sur son nanar de

renardeau, dans son landau , en rade sur un

anneau dans une rue de Landerneau.

Edern est dur et dru. Il est né à Landerneau près

de l’eau - A un an, un lad sur un âne l'a vu nu sur

la lande à la lueur de la lune. Dur Dur !

Un ver écru, nacré et cornu, crève dans un

verre d’eau ocre et rance. Evan, rêveur, enroué,

l’évacue vers la cane vorace d’Eva à l’œuvre

sur la ronce, où il recouvre la vue, dans la rue,

sur un créneau, sans rancœur.

Au bord de la rance la race de colvert au cou

recourbé couve, navré ,comme un cancre ,face à

la cène de la cure ancrée dans le verre du curé

de la Rance.

J’AIME

La nature au printemps

Le chant des oiseaux

La douceur du soir

Le rire de la jeunesse

La gaité de mes filles

Les gâteaux" fait maison"

Un certain tableau.

J’aime faire du bien, annoncer une bonne

nouvelle, cueillir les fleurs du jardin, les couleurs

chaudes, les ustensiles de cuisine, éveiller les

sens, les bonnes idées, laver le linge sale en

famille, limiter la casse, illustrer mes propos,

prendre la balle au rebond, rendre service, orner

la maison, être à l’unisson, récolter les légumes

du potager, avoir des invités à table, rire aux

éclats, exprimer mon ressenti, parler tout

doucement, aller bien, raconter de belles

histoires, taire un secret, aimer les membres de

ma famille, me griser de l’air vif de la montagne,

embarquer sur un kayak, rêver à tous les

possibles. Ceci étant écrit, nous savons tous que

rien n’est jamais tout blanc, rien n’est jamais

tout noir … et j’aime les poules et les œufs en

chocolat blanc, en chocolat noir, mais aussi en

chocolat au lait.

Me plonger dans un livre d'aventures

Regarder des émissions documentaires

Déguster des glaces en flânant l'été.

Traîner chez les bouquinistes, dans les librairies

Regarder les danses bretonnes, et folkloriques

Les voyages.

J’aime lire le matin, le midi, le soir, la nuit aussi.

J’aime le voyage immobile au bord du rêve.

J’aime le chant des oiseaux, quand j’ouvre les

volets.

J’aime préparer le petit déjeuner pendant que P.

se réveille doucement.

J’aime la première cuillère de muesli, la

deuxième aussi.

J’aime la sonnerie de Skype et voir apparaître le

visage de mon amie C. sur l’écran de

l’ordinateur.

J’aime rentrer dans la maison silencieuse.

J’aime regarder les photos jaunies qui s’effacent

doucement au fil des ans.

Me réveiller sans réveil, l’eau tiède de la douche,

faire des bouquets...

Déjeuner tranquillement, les bijoux en toc,

danser la valse, jardiner, semer, récolter …

Les couleurs chaudes, le silence du jardin, la

musique, la lecture, les taquineries de ma

petite-fille, faire des boules de neige.

La lumière, la verdure, la maison pleine, les jeux

d’enfants danser, cuisiner, nager, marcher …

Le mimosa et l’engoulevent.

La communication, ma maison, être en famille,

le café du matin, les fêtes de Noël, le bonheur

de se coucher dans un lit, être avec mes amies,

le chocolat, le jardin, la nature, la balancelle

sur la terrasse, l'été, la beauté de l'univers,

écouter des contes, chanter, le soleil, la mer,

l'art floral, les voyages, mes activités, ma

Bretagne, mettre le linge à sécher au soleil.

JE N’AIME PAS

Le froid de l'hiver

Les soirées trop longues

La solitude

La tristesse

La peur des jours

L’agressivité

Je n’aime pas faire mal : je n’aime pas haïr,

utiliser la force, manigancer, imiter, les larmes

de désespoir, intimider, exclure, les remords, les

magouilles, les avantages, les lauriers palmes, les

faux témoignages, arriver en retard, idolâtrer,

tuer le temps, ennuyer, répliquer méchamment,

les armes, les gravats, rire aux dépens de

quelqu’un quand c’est sans espoir, sauter les

étapes, la salade trop assaisonnée, entrer en

conflit, regarder les films d’horreur.

Je n’aime pas les troupeaux de randonneurs qui

se pressent sur les chemins côtiers,

Je n’aime pas les lettres recommandées,

Je n’aime pas voir P. boiter,

Je n’aime pas les poils blancs qui apparaissent

sur le museau de mon chien.

La guerre le verglas, les insultes au volant, les

discussions politiques, ceux qui chantent et qui

faussent.

Le mensonge, l'hypocrisie l'indifférence, nettoyer

les carreaux, ma voix enrouée, les fest-noz.

Parler, les principes éternels, les clés, les râleurs,

faire des listes.

La viande saignante, les films d’horreur, le style

Gothique, porter le chapeau, la buée sur mes

carreaux de lunettes.

La vulgarité, la pluie, le café et le manque de

franchise, le fait qu’on me commande alors que

j’ai passé l’âge.

Le temps qui passe, les séparations, les

enterrements, l’attente, être dépendante, les

dictatures, le populisme, choisir.

Les mots inutiles, les aliments acides.

QU’Y A-T-IL DANS CETTE VALISE ?

Je sais d'avance ce qu'elle contient ! Tout un

passé, presque une vie de travail, de recherches

sur les costumes de la commune, une

expérience, une motivation, des broderies, des

motifs, des livres des Lalaisse et autres, des

cahiers de réflexions. ...

Une petite valise peut contenir des bijoux, des

secrets, des dents de lait, une mèche de

cheveux. Une grande, des vêtements, des jouets,

des armes, des revues, des vieux livres, des

archives, des souvenirs d'enfance, des habits de

carnaval.

Pour faire le portrait d’un oiseau,

Une colombe bien sûr, à la manière de Jacques

Prévert.

Prendre d’abord une valise,

En carton mâché,

Petite, miniature, à nu,

Mais pleine d’idées,

La placer dans un arbre, arbre de vie

évidemment.

Choisir une belle branche, bien cachée entre des

rameaux bourgeonnants,

La poser délicatement.

Prendre ensuite un pinceau,

La recouvrir de deux couches de gesso,

La laisser sécher et quand elle est sèche,

Peindre le fond en écru, puis le recouvrir de

bruine à l’aide d’une brosse à dents,

Une bruine de fines gouttelettes de peinture à la

caséine.

Puis décalquer un motif, après avoir choisi un

oiseau, une colombe avec un brin de paille dans

le bec.

Aquarelle et choisir les couleurs pour l’oiseau.

Peindre d’abord les pattes et le bec avec un peu

d’orange cerné de terre d’ombre naturelle,

Peindre ensuite une à une les plumes, avec du

blanc ombré de gris fer,

Et l’oiseau s’envole emportant la petite valise,

Et la valise grandit, grandit, grandit,

Et vient se poser sur la table de la salle à manger,

Elle est fermée à clé, la chercher … Ouf, elle était

restée cachée au fond d’un tiroir du buffet,

Mais ça coince, un peu d’huile trois en un et la

clé tourne,

La valise s’ouvre,

Pleine de photos jaunies,

De papiers manuscrits,

De lettres désuètes,

De cartes postales surannées,

Partir avec la valise, pour un nouveau, voyage,

aux souvenirs. Certainement plein de surprises.

Les vêtements du costume breton de mes

grands-parents, le chapeau, la veste faite sur

mesure, le pantalon, le grand châle noir de ma

grand-mère, le châle clair de la jeune fille, le

tablier brodé et la jupe, les coiffes du dimanche

et de tous les jours.

La valise était cachée dans le fond du grenier.

Elle me semblait bien lourde à transporter. Seule

solution : découvrir ce qu'elle contenait.

Doucement, ma main entreprit de faire glisser le

système de la fermeture éclair. Un "switt" se fit

entendre jusqu'à l'ouverture totale. L’ouvrir,

découvrir ! Quoi donc à l’intérieur, une seconde

valise de même couleur. Il faut recommencer le

processus de l'ouverture et savoir ce que

contient cette deuxième valise. Déception. Une

troisième valise. Un rangement parfait

d'économie de place. Plus petite et toujours

aussi lourde. Il faut connaitre le contenu. Je

l'ouvre. Oh ! Ce que je cherchais depuis

longtemps était là caché. J’en avais même

acheté un autre, mais celui-là était toute ma

jeunesse, ma scolarité, celui qu'il fallait avoir,

pour chercher tous les mots de la langue

française. Mon dictionnaire.

Un papillon, une dent de lait, un violoncelle, un

parachute, un dentier, une cape, un sextant, un

ressort cassé, un cric, un bon point, un arc en

ciel.

Ma petite valise rouge attend posée au-dessus

de l'armoire, couverte de poussière. De temps en

temps je lui jette un œil désespéré. Non, pas de

voyage en vue. Alors je vois en rêve ce qui me

paraît un minimum pour tenir une semaine sur

une île déserte et alléger ma valise : un ou deux

livres, une flûte, un carnet et un crayon, une

brosse à dent, une tenue de rechange pratique,

un canif, du savon. Les bonnes chaussures, je les

aurai aux pieds.

C’est la valise de Pablo. 56 ans en 2014. Né à

Aveiro, Portugal. C’est un bel homme, qui a

traversé de bien laides années. Il quittait très

jeune son village natal pour s’installer en France.

Sur ses épaules pesaient deux peurs au moins.

Celle de la dictature et celle de l’enfer. Il m’a

avoué que personne ne riait pas non plus avec le

Bon Dieu à cette époque. Pablo n’était pas riche.

Alors, dans la valise, rien, et même sans doute

moins que rien. En France, il a appris un métier,

celui de boulanger. Il avoue avoir pour la

fabrication du pain la même patience, la même

délicatesse qu’à l’égard des enfants. Selon lui, les

deux sont faits de la même matière».

Que peut-on garder dans une si petite mallette,

une minuscule mallette… Une toute petite

mallette en carton qui ne ferme pas à clé ? On

ne peut y placer que des bricoles. Mais

attention, des bricoles de valeur : une photo, un

coquillage, un ticket de cinéma, une petite

pomme de pin... Toutes ces petites bricoles qui

forment la trame de la vie.

C’était une petite valise rouge. Je suppose que

Maman en avait choisi la couleur pour m’inciter

à jouer avec. En fait, je ne jouais jamais,

préférant m’allonger sur le lit avec un livre.

Maintenant que j’allais au lycée en centre-ville,

tout près de la bibliothèque, je pouvais y passer

presque chaque jour emprunter un nouveau

livre. Un jour, j’invitai une copine de classe à la

maison. Mireille repéra tout de suite la petite

valise rouge qui gisait abandonnée dans un coin

de la chambre. Elle s’en saisit et me demanda :

- Je peux l’ouvrir ?

- Bien sûr, lui répondis-je, levant à peine le nez

de mon livre. Puis j’entendis Mireille s’exclamer :

- Que c’est joli ! C’est ta Maman qui les a

cousus ?

- Oui, lui répondis-je- elle n’a eu qu’une poupée

dans sa vie. Alors elle aime m’en offrir et leur

coudre des vêtements. Mais moi, je n’aime pas

les poupées.

C’est en voyant le regard d’envie que Mireille

portait à cette collection de jupes, robes et

chemisiers que je compris le plaisir que Maman

devait ressentir en ouvrant la petite valise rouge

pour jouer à la poupée.

Une petite valise, plutôt une petite mallette,

garde les bijoux de ma grand-mère

Une petite valise renferme les trésors de couture

de ma petite fille

Une petite valise tapissée de tissu sert de

réserve aux gâteaux faits maison.

LE PRETRE MARIE

Magritte

Incognito. Comment reconnaître une pomme

verte d’une autre pomme verte dans cette

société où tout est calibré, programmé,

standardisé, pesé, sans droit à l’erreur, sans

originalité, sans fantaisie, même avec un

masque. Seules, les feuilles permettent de les

distinguer. Mais nous les vend-on avec les

feuilles ?

Pommes en goguette. C'était carnaval, pourquoi

ces magnifiques pommes vertes n'y

participeraient-elles pas? Que cachent-elles

derrière ce masque coloré. Souriantes,

interrogatives, que signifie leur clin d'œil devant

ce ciel nuageux ?

On avance masqué. Rien ne ressemble plus à

une pomme qu’une autre pomme, à une pomme

verte qu’une autre pomme verte. Pourquoi alors

ajouter à chacune un masque, le même masque

rose ? Toute la simplicité, le naturel de la

pomme disparaît derrière le masque. De

pomme, elle devient visage, oui, mais visage

sans regard, sans expression donc. La pomme

s’humanise par le masque, mais d’une humanité

désagréable, dangereuse même, calculatrice. Les

pommes sont deux, deux seulement, mais peut-

être le début d’une longue cohorte. Dans une

nature paisible, se mettent en marche les fruits

d’un monde déshumanisé.

Pas vu, pas pris. Pourquoi porter un masque ? -

Pour passer incognito. Je sais qu’il y a dans

l’assistance une personne qui mange les

pommes jusqu’au trognon.

Au bal masqué. Au bal masqué de la Corbeille à

fruits, deux pommes masquées entrèrent dans le

parc où le bal était organisé. Un beau

concombre en livrée dorée les accueillit dès leur

arrivée et avertit l’assemblée de l’arrivée du

Comte et de la Comtesse Granny. M. le Comte et

Mme la Comtesse allèrent sans hésiter saluer le

Duc Ananas du Duché de Martinique. « Ne

trouves-tu pas que son costume en rondelle est

assez original ? » demanda Geneviève Granny à

Edouard son mari. Ils se mélangèrent à la foule

pour danser. « Tiens tu n’as plus ton masque et

tu sembles pelée comme après un coup de

soleil. » remarqua Edouard. « J’allais te faire la

même réflexion mon cher. C’est un homme en

tablier et toque blanche qui s’en est occupé.

Arrêtez Edouard de me mordiller l’oreille, nous

n’avons plus vingt ans. Geneviève vous me

connaissez, ce n’est pas moi ! C’est un coutelas

que je n’ai jamais vu. De plus, je pense qu’il y a

un pépin dans cette histoire ou plutôt qu’il n’y

en plus, car je me sens vidé, les jambes coupées.

Pas toi ? ». La comtesse n’eut pas le temps de

répondre : elle se retrouva dans une valse

endiablée où se mélangeaient tous les convives

sur un parquet ciré et glissant. Le Vicomte de la

Banane, étourdi par ces pas à quatre temps,

glissa, et sur le sol s’étala. Dans sa chute, il

entraîna de jeunes clémentines « débutantes »

qui, bien sûr, participaient à leur premier bal.

Les Marquises ‘’Fraises Gariguettes’’ suivirent ce

dangereux élan effréné quand des Poires un peu

blettes vinrent s’écraser contre elles et les

poussèrent au fond d’un saladier rempli de sucre

et de kirsch.

Carnaval. Masquée, fais ce qui te plaît.

Inconnue, qui es-tu ? Tu me ressembles, vert

froid et rose tendre. Je roule sur le sable chaud

jusqu'à toi. Je te frôle. Je te parle à l'oreille. Nos

feuilles se dressent. Souris-tu ? Consens-tu ?

Restons tous deux sur la plage. Laissons la foule

bruyante s'éloigner».

MOMENT-COINCE-LETTRE- FRAPPE-

LUMIERE

«Attends, encore un petit moment, je coince!

Bon, allez, je prends les lettres, et, en frappant la

dernière sur la case, j’écris le mot lumière. Vingt

points. »

La lumière jaillit et vient frapper les vitres à ce

moment de la journée, les oiseaux restés coincés

dans l'obscurité, soudain s'éveillent et décrivent

dans le ciel de belles lettres dorées pour exprimer

leur gaîté.

Encore une lettre de réclamation au percepteur.

Ce n’est pas le bon moment, mais je suis

coincée, je dois m’y mettre. Même si je ne suis

pas une lumière, il saura que mes propos sont

frappés au coin du bon sens.

« Victor était coincé dans sa tranchée. Coincé

mais heureux. Enfin un moment de lumière dans

cette grisaille guerrière. Il profitait de cet instant

pour lire une lettre de Marie. Ce pli n’avait pas

été frappé par la censure des hautes autorités ».

DEJEUNER SUR L’HERBE

Manet

Insouciance. Ils sont arrivés ensemble en

barque. Après son bain, la femme est restée nue

mais pudique et rêveuse, indifférente au discours

de l'homme au turban. Son regard et celui de

son amant se rejoignent à l'infini. Un moment

de détente. Pas de philosophie.

Le dernier métro – « Il serait temps de vous

rhabiller ma douce Clarisse. Nous allons rater le

métro. »

- Mais, cher Charles, nous prendrons le prochain

et irons dîner directement au Moulin. Profitez-

donc des derniers rayons du couchant !

Qui regarde qui ? « Mais qu’ont-ils donc à me

regarder ainsi. N’ont-ils jamais vu Dame

Nature ?

« Ils vous envient ma belle Hélène, engoncés

qu’ils sont dans leurs habits mouillés à arpenter

les salles du musée » !

La proposition du peintre

« Vous êtes merveilleuse avec votre peau de

pêche et votre chevelure rousse, voudriez-vous

poser comme modèle pour mon prochain

tableau ? »

« Qu'en pensez-vous Monsieur ? »

« C'est à elle de prendre la décision. Demandez à

son amie si cela l'intéresse ? Elle est brune, mais

d'une grande beauté également ».

« Je veux bien faire un essai.

Surprenante balade. Un dimanche, dans le parc

du bord de l’Elorn, je flânais. Des voix s’élevaient

derrière un bosquet touffu de céanotes. Des

rires de jeunes femmes répondaient aux

remarques de voix graves masculines. Je ne

compris pas clairement le sujet de la

conversation. Mais il semblait s’agir d’un débat

ordinaire :

« Ce sandwich au rosbif te donnera des couleurs

aux joues, chère amie ».

« Ce vin te fait dire n’importe quoi, Edouard !

Fabienne, ne reste pas à l’écart, viens près de

nous. Tu es peu vêtue, notre présence te

réchauffera ».

« Chut, écoutez, j’entends quelqu’un approcher.

Il faut que je me rhabille ».

« Ta grâce et ta nudité ne peuvent choquer

personne. » Ceci entendu, je fis demi-tour. Je ne

voulais pas gêner.

Instant donné, un temps sacré. Femme

recroquevillée et voilée, corps exposé… Dans sa

nudité, Jambes entremêlées … Dans la proximité.

Visages sereins … Main tendue pour dialoguer ?

Tout respire la sérénité, la complicité. Est-ce le

message annoncé ?

MON JARDIN

Le printemps explose, jonquilles, narcisses

primevères pointent leurs éclatantes corolles le

long des allées qui traversent le sous-bois. Les

timides violettes ainsi que les perce-neige et les

crocus tapissent le sol endormi par l'hiver.

Blancs, roses, rouges, les camellias surgissent çà

et là, majestueux, éclatants sous le soleil encore

timide, tandis que les giroflées odorantes

surprennent le visiteur.

C’est le jardin qui m’a plus d’abord. Il enserrait

la maison étroitement, semblant la protéger. Les

massifs de bruyère rose s’étalaient sous les

bouleaux et les rhododendrons envahissaient la

terrasse de leurs grosses fleurs parme. A droite,

les peupliers d’Italie se balançaient doucement

sous la brise printanière. Quelques marches

grimpaient le long de la maison, rejoignant le

bois à l’arrière. Les anémones des bois en un

large tapis blanc laissaient déjà apparaître les

clochettes bleues des jacinthes. Nous serions

heureux ici. Etait-il besoin de visiter la maison

pour s’en convaincre ?

Les roses de Noël, violacées comme des

aubergines, éclosent les premières, humbles

hellébores, perdues dans le parterre hivernal,

tandis que quelques soucis aux pétales oranges

un peu anachroniques, jouent les prolongations

estivales. Suivent crocus, minuscules taches

jaunes, blanches ou violettes, accompagnés

d’une rivière de bleus muscaris. Puis mars voit

éclore les jacinthes au parfum capiteux, suivies

des jonquilles et des narcisses qui illuminent la

pelouse carrée de leur lumière étincelante,

jouxtant les branches de forsythias qui ne

demandent qu’à s’épanouir …Plus modestes , les

primevères sauvages , écrues ou rosées,

accompagnent les pâquerettes et les boutons

d’or sur une herbe moussue… Les rameaux nus

du marronnier se couvrent de bourgeons

duveteux qui n’attendent que les premières

chaleurs printanières pour éclater et recouvrir

l’arbre d’un manteau verdoyant ! Tandis que le

camélia blanc se marie avec les camélias rouges

ou roses coordonnés au pommier du Japon, tout

de rouge vêtu … Puis viendra avril avec les

tulipes aux coloris chatoyants …C’est mon vrai

jardin, à la campagne, nature, un brin fouillis

…C’est mon jardin des souvenirs : fruit des

échanges de graines et de boutures, avec les

voisins, les amis. Et finalement c’est aussi un

peu mon jardin secret.

Le jardin était minuscule. Un simple carré de

terre d’à peine un m², à l’abri des framboisiers.

Grand-mère avait cédé à nos suppliques et nous

pouvions enfin planter nos haricots levés dans

une coupelle d’inox emplie de coton humide.

Mais l’été est arrivé et le jardin fut oublié. Les

vacances sous la tente, c’était drôlement plus

intéressant.

QUE VOIT L’HOMME EN ARRIVANT

SUR LA LUNE ?

Après un long voyage dans son vaisseau, John

s’applique à faire le nécessaire pour alunir pour

la première fois de sa vie. Tout est parfait. Les

indicateurs sont tous au vert. C’est prêt, il peut

se poser. C’est en douceur que l’opération s’est

faite, il craignait le contraire. Il suffit maintenant

d’ouvrir la porte, de descendre les marches de

l’échelle qui s’est automatiquement déployée. Il

descend, commence à marcher d’un pas souple.

Son regard se déplace dans l’infini. Quel est cet

objet? C’est rond et ça fait tic-tac. John s’écrie «

mon réveil ! ». Le réveil sonne et John se réveille.

Une bille de verre turquoise, fausse goutte d'eau dans un univers couleur cendre.

Il voit une pierre noire, des cailloux, un arbre

rachitique, une immensité désertique où il ne

ferait pas bon de vivre, trop désolant.

Une boucle de ceinture égarée par le cosmonaute – un autocollant décroché de la navette – un emballage de chewing-gum. .

Une masse confuse ondulant à l'infini...

Un oreiller, une plume, une balançoire, un

arrosoir, une chaussure pointure 56, une carte

routière.

Une pancarte où l’on peut lire une inscription en

cyrillique : « я былa здесь первой » signé la

chienne Laïka.

La plaque commémorative avec les signatures

des trois membres de la mission Apollo 11 et de

celle du président des États-Unis, Richard Nixon.

Une statuette, des miroirs, des balles de golf.

Année 2548. Après un long voyage, le dernier

homme de la terre arrive sur la lune où il doit

retrouver sa compagne et de nouveau perpétuer

la race. A l'arrivée du module, déception,

personne. Il ajuste son casque, descend

péniblement l'échelle et, s'engageant

délicatement pour un premier pas, glisse sur une

peau de banane. Devant lui, une montagne de

déchets. Point de femme. Point d'avenir ?

QUE FAIT NOE DEUX JOURS AVANT

LE DELUGE ?

Que dois-tu faire Noé ? Sauver des millions

d’individus. De quoi ? Du déluge. Bref, il explique

qu’il va y avoir un déluge dans deux jours et que

l’Etre Suprême, Celui qui fait tourner les boules

du Loto, l’a choisi pour sauver une paire de

chaque espèce d’animaux qui peuplent la Terre.

« Je dois les embarquer sur une arche à

l’embarcadère de Roscoff et voguer jusqu’à la

délivrance. « Ecoute Noé, non seulement tu as

été jouer au Loto mais je pense que tu as bu

quelques apéros! Allez, va te coucher! ».

Il pleut, il pleut ! C'est le réchauffement

climatique, l'eau des fleuves déborde, les glaces

fondent, des tsunamis envahissent les côtes.

Sauve qui peut ! L’arche est prête, gros navire de

bois rassurant, mais Noé est inquiet. Il ne peut

accepter tous les vivants et il a déjà trié. Il donne

des ordres : pressez-vous ! Les couples d'animaux

défilent sur la passerelle et Noé vérifie. N'a-t-il

pas oublié une espèce ? Sont-ils jeunes et en

bonne santé ? Les deux sexes sont-ils présents ?

Des humains affolés s'agrippent aux cordes

d'amarrage. Noé se laisse attendrir. Il hisse à

bord quelques couples et enfants qu'il joint à sa

grande famille. Plus loin, des hommes

clairvoyants ont aussi fabriqué des bateaux et

amassé des provisions pour quarante jours au

moins. Noé ne sera pas seul responsable du

repeuplement de la planète Terre. Il est rassuré.

Noé avait déjà rassemblé sa famille dans l'arche

car un rêve l’avait prévenu du déluge. Et les

gouttes de pluie se faisaient plus serrées. Il

vérifie que tous les siens sont à l’abri. Y a-t il de

quoi se nourrir Personne ne croit à ce danger, on

le prend pour un illuminé ? Il s'affaire à

rassembler un couple de chaque espèce

d'animaux passe tout en revue et délégué à

chaque membre son travail et son rôle à

l’intérieur de cette immense maison Déjà la

pluie tambourine sur le toit. ?

Une masse confuse ondulant à l'infini.

Noé ne savait plus où donner de la tête. Il

n'avait plus beaucoup de temps, et il lui fallait

choisir deux animaux de chaque race, alors qu'il

les aimait tous. Fallait-il tirer à la courte paille, où

se fier à son instinct et choisir les plus beaux, les

plus forts, les plus rapides ? Et personne ne

pouvait l'aider ! Déjà, il sentait les prémices du

déluge : le ciel noircissait, la montagne grondait,

l'eau s'infiltrait et bientôt elle envahirait tout son

espace. Lui aussi devait tout quitter : sa famille,

sa terre, sa maison, ses arbres, ses fleurs. Tout

cela lui faisait peur, mais c'était tellement

excitant, et surtout, il allait survivre lui !

Noé lève les yeux au ciel : il est bleu, sans faille.

Qui pourrait croire que ce ciel-là lâcherait sous

peu toute son eau, engloutirait les continents,

noierait déserts et oasis. Pour combattre le feu,

il y a l’eau, mais que faire contre l’eau ?

Heureusement, l’arche est finie. Dix ans pour la

construire. Il a fallu penser à tout, ne pas mettre

les prédateurs trop près du gibier, penser aux

réserves de nourriture. Un vrai casse-tête. Je les

ferai rentrer en rang par deux. A l’époque du rut,

ce ne sera pas triste. Et où mettre les petits ?

« Tu es sûr que ta liste est complète « ?

demande Néo, le jeune fils de Noé. Alors, se dit

Noé : j’ai les poux, les hiboux, les matous, les

caribous, les nandous, les mérous. Mais trop

tard pour les tatous.

Noé marche de long en large sous la pluie. Il se

dit en lui-même :

« Tout est prêt. Le bateau. Les animaux. Les

vivres. Pourquoi alors suis-je si inquiet ?

Trop lourde est ma responsabilité.

Et si j’échouais, si le bateau faisait naufrage, si

les animaux mouraient, si les vivres manquaient?

Trop grande est ma charge.

Et si l’eau montait encore et encore, si nous

finissions tous noyés, sans espoir de nous

accrocher au moindre petit îlot ? Trop cruelle

serait notre perte.

Alors, Noé, n’abandonne pas. Tu prépares

l’avenir, tu es l’avenir. L’avenir se souviendra de

toi ».

Noé, tout énervé, en rentrant chez lui s’écrie

-‘’ Ecoute ça Valentine : Je suis allé au bar faire

mon

Loto hebdomadaire.

- Comme d’hab Noé et alors ?

- Et alors !

- Oui et alors ?

- Ecoute un peu ça : Au comptoir il y avait un

drôle de type. Il m’a dit un truc délirant. Il m’a

dit que le gros lot j’allais le gagner. C’était sûr !

- C’est bien ça, rétorqua Valentine sur un ton

circonspect.

- Je te jure ! Il m’a dit que le gros lot j’allais le

gagner, il me suffisait d’y mettre un peu de

peine.

-Un peu de peine, comment ça ? a répondu

Valentine.

-Un p’tit boulot sans lézard.

Il fallait construire une arche au moins trois

étages, pour mettre à l'abri sa famille et les

convaincre de le suivre avec des paroles justes,

véritables, rassurantes, dans un langage

animalier, Noé donne le pouvoir de

communiquer entre eux pour annoncer la

nouvelle à chaque espèce d'animaux de se

rassembler en couple, pour la survie de

l'humanité.

Tranquillement, Noé consulte la liste de tous les

animaux convoqués pour le départ.

Minutieusement, il vérifie les caissons étanches

de l'Arche. Lentement, il ouvre ses mails pour le

suivi de sa commande de cirés jaune chez

Cotten. Satisfait, il appelle sa femme : « et

maintenant, on se le prend, ce café » ?

Deux jours avant le déluge, Noé construit un

bateau fermé, en forme de coffre : suffisamment

large et long. On l’appela l'Arche de Noé pour y

loger sa femme et ses enfants, collatéraux, des

amis, d'autres personnes, des provisions, ses

animaux : un couple de chaque race afin de

pouvoir repeupler la terre après le déluge. Il y

aurait bien d'autres choses à dire, mais ce fut

une belle aventure, lorsqu'il s'échoua sur le

mont Ararat.

Malheureuse prédiction, que va faire Noé ? Il ne

veut surtout pas que tout disparaisse, alors il se

précipite pour rassembler les animaux de toutes

les espèces, les grands, les petits, les féroces, les

dociles. Ou loger tout ce monde agité et

soucieux de son avenir ? Noé décide de

construire une arche qui saura les protéger.

Comment convaincre de l'efficacité de cette

entreprise? Noé sait trouver les mots qui

apaisent et donnent confiance. La traversée sera

longue dit-il, mais l'espérance et le salut seront

au rendez-vous.

Noé appelle un couple de chaque espèce

animale, dans l’ordre alphabétique et leur dit :

- Abyssin, autruche, avancez-vous,

- Boa, brebis, ne vous battez pas,

- « Canard, caméléon, caracolez,

- « Dindon, demoiselle, descendez,

- « épervier, escargot, embarquez,

-« Faon, flamant rose, foncez,

- « gorille, gnou, garez-vous,

- « hirondeau, hérisson, hâtez-vous,

- « iguane, impala, infiltrez-vous,

-« jaguar, jaco, joignez-vous ,

- « Koala, kangourou, ok,

- « Mouton, morse, maniez-vous,

- « Nandou, narval, nommez-vous,

- « Opossum, ouistiti, organisez-vous,

- « Puce, poney, partez,

-« Quetzal, quiscale, quittez,

- « Renne, rainette, ne restez pas,

- « Tatou, tapir, taillez-vous,

- « Urubu, unau, usinez,

- « Varan, vautour, venez,

- « Wapiti, whippet, en wagon,

- « Xiphophore, xylocope …x ,

-« Yack, yorkshire, youyou…youpie

-« Zébu, zèbre, ne zigzaguez pas trop …

La liste était longue. Noé ferma les portes.

Noé se réveilla brusquement. Le niveau de l’eau

avait continué à monter pendant la nuit. La pluie

tombait sans arrêter depuis plus d’une semaine.

Il regarde Sarah, qui dormait tranquillement à

côté de lui. La promesse de l’enfant à venir était

déjà bien visible. Il fallait se hâter. Derrière la

maison, sur la colline, les animaux

commençaient à s’agiter. Bêlements,

meuglements, aboiements se mêlaient. Demain,

après-demain au plus tard tout devait être prêt

pour le grand départ, le saut dans l’inconnu.

Trouverait-il un abri, un refuge, où tout

recommencer ? Assez tergiversé, il lui fallait sans

tarder vérifier la solidité de la passerelle pour

accéder à l’Arche. Au loin, il aperçut une meute

de loups qui se rassemblait. N’allaient-ils pas

dévorer ses frêles agneaux, ses petits veaux, ses

poussins et canetons ?

Allons, l’heure était venue. Il était temps de

larguer les amarres. Il réveilla Sarah, l’aida à

s’habiller. Il sortit, ouvrit l’enclos. Les bêtes

s’avancèrent deux par deux pour franchir la

passerelle. Il aida Sarah chargée de victuailles à

franchir les quelques mètres qui la séparaient de

l’Arche, puis largua les amarres. Les loups

hurlèrent à la mort.

COMME

Perdu comme le pain

Sérieux comme une pendule

Rouge comme un baiser

Désarmant comme un silence

Vif comme une truite

Emouvant comme des haillons.

Triste comme la pluie

Dur comme la pierre, le fer.

Sérieux comme un devoir de maths

Rouge comme le soleil couchant

Désarmant comme le pardon

Vif comme un enfant espiègle

Émouvant comme un cantique breton

Perdu comme le chagrin.

Tendre comme un gros shamallow

Gai comme un enfant devant le sapin de Noël

Blanc comme l’écume de la mer démontée

Sucré come le baiser de mon petits-fils

Moelleux comme la fourrure d’Effy.

Sérieux comme la loi, comme un cyprès. Rouge comme la honte, comme une fessée. Désarmant comme le mensonge. Vif comme la colère, comme une gifle. Emouvant comme la vérité, comme des haillons. Perdu comme l'espoir, comme un trou. Sérieux comme un maître d’école Rouge comme une rose écarlate, dans un vase soliflore.

Désarmant comme les répliques de ma petite fille, le soir, entre son papa et sa maman. Vif comme un esprit éclairé. Émouvant comme un adieu définitif sans remerciement. Perdu comme le temps qui passe inexorablement.

Dur comme :

L’eau glacée.

Le travail.

Un mur obscur.

La glace.

Ce regard.

La mort.

Sérieux comme un pape

Rouge comme un coquelicot

Désarmant comme un sourire

Vif comme un enfant

Emouvant comme un récit, un film un regard

Perdu comme un adversaire.

Sérieux comme un policier

Rouge comme les graines d'une grenade

Désarmant comme un bébé qui pleure

Vif comme le poisson dans le bassin

Emouvant comme l'amour des ados

Perdu comme un enfant à la sortie de l’école.

Sérieux comme un lecteur Rouge comme des lèvres pulpeuses Désarmant comme un sourire d'enfant Vif comme un vol d'oiseau Emouvant comme un vieux couple Perdu comme un nourrisson qui a faim

Emouvant comme

La naissance.

La vérité.

Un adieu définitif.

Un amour d’adolescent.

Un vieux couple, main dans la main.

Des haillons.

Le regard de ma chienne.

LA SOIREE ETAIT DOUCE ET PAISIBLE « Dans la brume électrique ». James Lee Burke

La soirée était douce et paisible, l’air chargé de

parfums de fleurs et d'herbe fraîchement

coupée. il restait trois semaines jusqu'au

diplôme de fin d'études et tous nous avions le

sentiment d'être peints de grâce légère,

convaincus que le printemps était une

symphonie juste pour nous. La peur du

lendemain, une pulsion de crainte au creux des

reins, la confirmation du rire d'une fille sous

l’ombre des cerisiers pareil à une caresse venant

éclater contre le ciel...

La soirée était chaude et bien avancée, l'air

chargé des parfums de fleurs et d'herbe

fraîchement coupée. Il restait trois semaines

jusqu'au diplôme de fin d'études, et tous, nous

avions le sentiment d'être peints de mille

couleurs, convaincus que le printemps était une

palette créée uniquement pour nous, L'aube, la

promesse du lendemain, une pulsion d'excitation

au creux des reins, la confirmation du rire d'une

fille sous l'ombre des peupliers, pareil à une balle

venant éclater contre le mur était assurément ce

qui nous était le plus précieux.

La soirée était oppressante et imprégnait l'air

chargé de parfums de fleurs et d'herbe

franchement coupée. Il restait trois semaines

jusqu'au diplôme de fin d'études et nous avions

le sentiment d'être peints de ridicule,

assurément convaincus que le printemps était

une symphonie crée artificiellement pour nous

L’espoir, la certitude du lendemain , une pulsion

de chaleur au creux des reins , la confirmation

du sourire d'une fille sous l'ombre des saules

pleureurs pareil à une évidence venant éclater

contre le contre-jour était assurément ce qui

nous était prédestiné.

La soirée était calme et douce, l'air chargé de

parfums de fleurs et d'herbe fraîchement

coupée. Il restait trois semaines jusqu'au

diplôme de fin d'études, et tous, nous avions le

sentiment d'être peints de couleurs

fluorescentes convaincus que le printemps était

une étape créée spécialement pour nous.

L'espoir, la perspective du lendemain, une

pulsion de vie au creux des reins, la confirmation

du sourire d'une fille sous l'ombre des pins

parasols, pareil à une grenade venant éclater

contre le silence, était assurément ce qui nous

était destiné.

La soirée était claire et chaude, l’air chargé des

parfums de fleurs et d'herbe fraîchement

coupée. Il restait trois semaines jusqu'au

diplôme de fin d'études, et tous, nous avions le

sentiment d'être peints de rouge carmin,

convaincus que le printemps était une aubaine

créée de senteurs pour nous. L’ingénuité, la

conviction du lendemain, une pulsion de désir au

creux des reins, la confirmation du visage d'une

fille sous l'ombre des chênes, pareil à une

tomate venant d'éclater contre le tronc était

assurément ce qui nous était agréable.

La soirée était douce et exquise, l’air chargé des

parfums de fleurs et d’herbe fraîchement

coupée. Il restait trois semaines jusqu’au

diplôme de fin d’études, et tous, nous avions le

sentiment d’être peints de couleurs

nostalgiques, convaincus que le printemps était

une saison créée exclusivement pour nous.

L’angoisse, la peur du lendemain, une pulsion

d’appréhension au creux des reins, la

confirmation du sourire d’une fille sous l’ombre

des marronniers, pareil à une grive venant

éclater contre le carreau, c’était assurément ce

qui nous était perturbant.