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POURQUOI L'HOMME A-T-IL DEUX
BRAS ET DEUX JAMBES ?
Il a deux mains pour pouvoir écrire et se gratter
le nez en même temps. Il a deux mains, une pour
la caresse et l’autre pour tenir les rênes.
Il a deux pieds pour garder l’équilibre et courir et
sauter et faire des cabrioles. Il a deux pieds pour
pédaler à fond sur son vélo.
Deux bras deux jambes pour t’enlacer, te
bercer, t’apprendre à marcher, courir, sauter,
avancer, tenir debout, porter des bas nylon et
des belles chaussures, être plus grande que toi.
Si l’homme avait trois bras et trois jambes, il en
aurait en trop. Si l’homme n’avait qu’un bras et
qu’une jambe, il n’en aurait pas assez. Trois,
c’est trop pour s’habiller; c’est plus difficile pour
enfiler un vêtement et ça revient plus cher. Un
seul bras, une seule jambe, c’est moins onéreux.
Mais l’équilibre est plus incertain et le maintien
moins ferme et moins assuré. Il faut bien dire ce
qui est : être cul de jatte ou manchot ce n’est
pas rigolo et, avoir trois membres supérieurs et
inférieurs ce n’est pas beau.
Pour serrer l'enfant dans ses bras, tout en
caressant le bébé qui s'endort. Deux bras et deux
mains pour tenir la pomme que l'on épluche,
deux jambes pour courir et jouer au foot, pour
guider l'enfant qui commence à marcher, l'aider
à traverser, pour porter l'objet fragile, pour faire
un déménagement, pour tenir la bêche au jardin,
pour monter à l'échelle.
Sans bras ni jambe, l'homme serait au début de
la création : un poisson ?
La crainte est levée : tout a bien fonctionné,
le bébé a ses deux bras et ses deux jambes. Il
aurait pu en être autrement. Quelques
années plus tard, on me pose la question. Est-
ce un hasard, une chance, une volonté ?
Qu'en ai-je fait ? Consciemment,
inconsciemment ? Tous les jours, beaucoup
de choses ...et, sans jamais les casser. Est-ce
un hasard, une chance ?
L’homme a deux bras et deux jambes pour les
ouvrir, les fermer, les lever, les baisser. Pour
quelle gymnastique, physique, cérébrale,
intellectuelle ?
Comment embrasser si un bras vous manquait?
Que de taches inachevées lorsque qu'un bras
vous a lâché. Qu'il est difficile d'avancer lorsque
l'accident vous a privé de l'usage d'une jambe ou
d'un pied.
L'homme a deux bras pour tenir un enfant, pour
nager, faire la brasse, conduire une voiture, tenir
dans ses bras une femme pour danser, pour faire
plein de choses, quoique avec un bras une jeune
fille a gagné des médailles d'or aux jeux de
Sotchi. Deux jambes pour tenir debout : le
premier usage, marcher, courir, bêcher pour le
jardinier, faire du vélo etc...
Pourquoi l'homme a-t-il deux bras et deux
jambes ? se demande un homme tronc
autonome. Je peux rouler de ma natte ; par un
mouvement arrière, je me déplace vers la
douche, des contorsions me mènent vers la
cuisine, ma bouche commande les manettes. On
le voit aussi ramper, sautiller, embrasser, rire et
penser, aimer, lire, étudier, parler. Il transmet sa
sagesse et sa joie de vivre.
Pour embrasser les chênes, couper l’air comme
avec des ciseaux, sauter à la corde et avoir le
plaisir de jouer à cloche-pied.
Pourquoi le chat a-t-il neuf vies ?
Pourquoi le ciel est-il bleu, gris, rouge ou blanc ?
Pourquoi le vent souffle-t-il de l’ouest à Brest et
de l’est à Nice ?
Pourquoi les oiseaux chantent-ils alors que le
jour se lève ?
Pourquoi cette enfant a-t-elle peur de l’école ?
Pourquoi écrit-elle pourquoi, pourquoi,
pourquoi, pourquoi ?
L'être humain du 21 è siècle a besoin de ses
membres pour vivre indépendant. Des jambes
pour sa vie de tous les jours et des bras pour
protéger, aimer, amener à soi, travailler, tout en
sachant que ça ne suffit pas sans son cerveau.
PETITES OBSERVATIONS
La première journée de soleil après la pluie
Le chant du paon
Les bourgeons des hortensias
Les enfants sur la balançoire
La fleur de pissenlit offerte
Le tapis de boutons d'or
L'aubépine fleurie
La visite de ma voisine.
En cuisine
Le plan de travail vierge
Le jeu disparate des poêles
Le bruit brusque de batteur électrique
L’odeur du poivre fraîchement moulu
Les frissonnements du beurre fondu
La touche verte de la ciboulette
Le regard d'envie du convive.
Les pêchers sont en fleurs
Les violettes parsèment le devant de la maison
Le camélia rose fait ses fleurs, qui fanent trop
vite,
Entendu un pic-vert taper sur le tronc de l'arbre,
Le héron est allé se cacher dans les hautes
herbes du lac,
Au loin, le champ de colza fleuri éclaire le
paysage.
Les fleurs jaunes des pissenlits embellissent la
pelouse.
Ne pas oublier son jeton
Apprécié la serviabilité du personnel
Le caddy de la ménagère est bien rempli
Le choix est difficile
Apprendre à bien se nourrir
Respecter sa liste de courses
Choucroute ou cassoulet ?
Regarder les prix
Le stress de la jeune ménagère
Boycotter l'appareil scan
La caisse est ouverte
Le bonjour de la caissière
La file d'attente est longue
L’énervement bouillonne au troisième rang
Respecter la caisse réservée prioritaire
Vous la prenez du rayon
Vous la mettez dans le caddy
Vous la sortez du caddy
Vous la mettez sur le tapis roulant
Vous la sortez du tapis roulant
Vous la remettez dans le caddy
Vous la sortez du caddy
Vous la mettez dans votre panier
Vous la sortez du panier
Vous la rangez dans le placard
Vous la sortez du placard
Vous l'ouvrez
Vous la versez dans la casserole
Vous la reversez dans un saladier
Et là, vous entendez la famille dire : « on n'aime
pas les petits pois ».
Les volets clos
Remonté les volets fermés
Trouvé les bols salis
Un biberon de chocolat au lait pas terminé
Deux bols de café
Un verre de jus d’orange
Un bocal de confiture d’abricot entamé
Rangé les crêpes, la brioche et le pain
Epluchures de pommes pour le composteur
Déjeuner seule
Apparition du soleil
Lumière inondant la cuisine
Le papyrus dansant au vent
Les hellébores encore en pleine floraison
Les soucis à peine ouverts
Les primevères couvertes de rosée
Les jonquilles et narcisses épanouies
Le forsythia couvert de petites fleurs jaunes
Le bouleau au tronc couvert de lierre
Le camélia blanc avec ses fleurs rouillées
Le noisetier et ses chatons
Les belles feuilles des arums sauvages
Les arums ayant résisté à l’hiver
Le rouge-gorge picorant les miettes du petit
déjeuner
Le soleil a tourné
Longue table préparée
Nappe blanche bien repassée
Bouquet de camélias centre de table
Corbeille de pain tranché
Ramequin de beurre salé
Bouteilles d’eau plate
Bouteilles de vin chambré
Assiettes au liseré doré
Verres transparents sur pied
Couverts inox argentés
Serviettes en lin brodé
Les invités : repas partagé
Rideau tiré : volets fermés
A la bibliothèque
Le premier bonjour à la cantonade
Le petit coup d’œil alentour
Rencontre avec une amie
La recherche du bon livre
Les hésitations et le choix
Les bavardages des collégiens
Le petit tour du côté des CD
Recherche de la carte d’adhérente
Le passage à la table des prêts
Les livres bien serrés dans le sac
Dernier au revoir à la cantonade
Au concert
L’église, moderne, impersonnelle
Les musiciens, tous habillés de noir
Le premier concert de l’année
La première arrivée, je choisis ma place
Les premiers essais des concertistes
Les premiers violons prennent place
Les musiques de film.
La plage
Un voilier, coque blanche, voile rouge
Des sternes plongent
Un bateau de pêche rentre
Des goélands gourmands crient
Il doit y avoir du poisson
La mer monte
Une femme se baigne seule
Des enfants bâtissent un château
Dans un coin abrité, un homme lit
La mer monte
Les vagues arasent le château
Les enfants se décident à se baigner
Combinaisons, planches et bouées
L’ombre de la dune s'allonge
Je me déplace
Dernier bain de soleil
C'est la fin de l'été.
Clic-clac sourd des portes coupe-feu dans le
couloir,
Chuintement glissé des pas de l’infirmière,
Grincement de la porte de la chambre,
Ouverture ressort du store sur le matin blême
Bruit rond du moteur qui relève le lit
Froid de la main qui prend le pouls
Pincement sifflant du tensiomètre
Bip du thermomètre
Raclement du stylo sur la tablette au pied du lit
Tressautement du chariot du petit-déjeuner
Amertume du thé trop longtemps infusé
Eclatement de la biscotte sous la pression du
beurre congelé
Impuissance devant la cuillère à soupe pour
avaler le yaourt nature
Sonnerie de l’alarme qui retentit au loin
Course précipitée dans le couloir
Claquement des ordres froids et précis des
réanimateurs.
A la plage
Première délivrance de vêtements sans
importance
Premiers frissons sur la peau
Premiers chatouillis sous les pieds nus
Première vision de l’immensité de cette nature
Premiers cris d’enfants libres dans la joie
Premiers pas vers les caprices de cet élément
liquide et salé.
Première réticence à avancer plus loin
Premier effort surhumain
Premier bain de l’année
MON VOISIN
LE voisin. Très rapidement après notre arrivée
dans cette maison, nous avions posé un portail
pour éviter les sorties intempestives du chien,
mais ce portail se révéla bientôt plus utile à
limiter les débordements de curiosité du voisin.
Chaque matin, quand je refermais le portail
avant de partir au travail, j’apercevais sa
silhouette silencieuse dans l’entrebâillement de
la porte de son garage. C’était au mouvement
furtif de retrait pour mieux se dissimuler que je
percevais sa présence. Que faisait-il donc tous
les jours à me surveiller ? Que c’était
horripilant ! On laissa à nouveau la haie pousser
librement entre nos deux jardins. Puis on installa
en limite de propriété un tas de bois. Tout pour
empêcher son regard insistant et muet de nous
suivre pas à pas dans le jardin. L’hiver, il recyclait
ses anciens vêtements de l’armée de terre pour
mieux se camoufler et nous observer. Il avait une
marotte, une obsession : sa curiosité, et jouait
avec nos nerfs comme le chat avec la souris. Dès
qu’il apercevait le chien dans le jardin, il venait
se cacher derrière la haie pour l’agacer, usant de
divers cris d’animaux, jusqu’à ce qu’il aboie,
provoquant ainsi notre sortie dans le jardin pour
ramener le calme. Mon mari avait compris son
stratagème. Il conçut de le retourner contre lui.
Ce jour-là, le chasseur fut mon mari. Devant
utiliser un outil à couper le béton très bruyant, il
savait piquer la curiosité du voisin. Tout en
allumant l’engin, il surveillait l’apparition
inévitable du voisin et, dès qu’il l’aperçut
s’approcher, il arrêta aussitôt l’engin, le
dissimula rapidement et attendit. Le voisin
dépité, la curiosité piquée, ne pouvait voir la
cause de ce bruit. Le voisin reparti, mon mari
redémarra l’engin et l’arrêta aussitôt. La tête du
voisin apparût à nouveau au-dessus du tas de
bois, de plus en plus agacé de ne pas
comprendre ce qui se passait. La troisième fois,
mon mari alluma l’engin et se précipita aussitôt
derrière le tas de bois, surveillant l’apparition
inévitable du voisin. Mon mari surgit au même
moment, tel un diable hors de sa boite, et lui
cria un grand « bouh » en pleine face. Nous
étions revenus à la maternelle ! Le voisinage
glacial continua. De plus en plus de voisins se
plaignaient de la curiosité DU voisin. Ayant
recueilli le chien de sa fille, LE voisin le laissait
vagabonder partout et sous le prétexte de le
chercher, entrait dans toutes les propriétés
ouvertes, afin de satisfaire sa curiosité. Enfin, un
beau jour, le voisin sonna à notre portail, avec à
la main une petite annonce pour vendre sa
maison. Il demanda à mon mari de l’afficher sur
son lieu de travail. « Je sais où vous travaillez, j’ai
vu le macaron collé sur votre pare-brise » dit-il
sans ciller. Bien que glacé par cette dernière
phrase, mon mari s’empressa d’afficher
l’annonce sur le panneau ad hoc. Plus vite la
maison serait vendue, plus vite il partirait, et
nous et nos voisins retrouverions la quiétude. La
maison fut vendue et LE voisin partit dans les
Landes, là, où les pins sont nombreux et
pratiques pour se dissimuler tout en observant
ses voisins.
Monsieur Palud descend, tous les jours, les
escaliers de notre collectif à 6 h 30. Dans un état
d’éveil involontaire, je l’entends de son pas
pesant marteler de ses chaussures cirées à la
perfection, les marches en bois grinçantes.
Monsieur Palud n’a pas d’âge. Il n’a pas d’âge,
mais semble posséder beaucoup d’habitudes et
de principes. Tous les soirs, il est de retour à 19 h
30. Une serviette noire à la main, son manteau
sombre porté par tous les temps, il remonte
pesamment, sans laisser paraître une once de
réflexion sur la vie, sur le temps qui passe ni sur
quelque autre sujet que ce soit. Son entière
calvitie semble avoir permis de laisser se libérer
toutes ses pensées. Arrivé sur le palier, il sort de
sa poche un trousseau de clefs et s’enferme chez
lui. C’est fini ; monsieur Palud n’existe plus : pas
le moindre bruit ne sortira, par la suite, de chez
lui, pas de musique, pas de son de radio ou de
télévision, aucune discussion téléphonique, pas
le moindre murmure qui pourrait faire deviner
une quelconque existence dans ce logis.
Monsieur Palud n’existe plus. S’est-il emmuré ?
Son nom inscrit sur sa porte est la seule trace de
son existence. Lit-il ? Ecrit-il ou finit-il le travail
qu’il n’a pas eu le temps de terminer à son
bureau ? Ça doit-être cela. Il est sûrement
comptable ou il exerce un métier de ce genre car
il en a l’aspect. Comme le fait remarquer
Madame Joly : « L’exactitude et la ponctualité
semblent borner ses journées, » aime-t-elle à
répéter dès qu’elle le peut.
Mme Joly occupe, avec son mari, l’appartement
qui se situe entre le mien et celui de Monsieur
Palud. Elle se pose beaucoup de questions à son
sujet. Sur d’autres personnes également. Elle
adore rester balayer le palier pour voir les allers
et venues de la petite communauté que nous
formons dans ce bâtiment. « Vous le
connaissez ? Avez-vous déjà conversé avec lui ?
Que fait-il ? ». Je m’arrange toujours pour
répondre dans le flou aux questions de Madame
Joly et j’écourte au plus vite notre entretien car
je n’aime pas trop rester commérer. Je ne l’aime
pas trop. Néanmoins, dès que je peux bénéficier
de renseignements sur ce personnage, je ne
m’en prive pas. Monsieur Palud m’intrigue. Est-il
vraiment celui que j’imagine ? Qui est le
personnage qui est derrière la porte où il est
marqué M. Palud ? Tiens, justement, cette porte
est entrebâillée et laisse passer un rai de
lumière. Il est là et ne s’est pas enfermé à clef
comme il le fait d’ordinaire. Que se passe-t-il ?
Est-ce une force obscure ou tout simplement la
curiosité ? Je ne peux pas m’empêcher
d’avancer. Mes jambes me poussent lentement
et en silence vers ce faisceau de lumière. Mon
cœur commence à battre la chamade. Ma jambe
droite en suspend garde l’équilibre au ras de la
porte. Faut-il poursuivre cette investigation ou
faire demi-tour et rester torturé de questions ?
Les doigts de ma main droite ne s’en posent pas.
Ils se posent sur le battant de la porte et le
poussent sans aucune retenue. Ma jambe n’a
pas longtemps à réfléchir et pose simultanément
son pied à l’intérieur de l’appartement de
monsieur Palud. Au même instant une odeur
forte pénètre par surprise dans mes narines. Un
mélange de térébenthine, de peinture et de
vernis viennent s’entrechoquer dans mes
cloisons nasales et un dédale de toiles de
peintures s’offre à ma vue. Il me faut résister
pour ne pas perdre conscience devant une telle
surprise. Pas de doute, je suis chez un artiste
peintre.
« Monsieur Ménard entrez, n’ayez pas peur, il
n’y a aucune violence dans cet endroit. Avancez
et tranquillisez-vous en jetant un coup d’œil sur
ma passion. Ce ne sont que des vues de la vie de
tous les jours. La vie de notre société repose en
cet endroit caché de tous ». Alors, en bon voisin,
je me permets de rentrer dans son intimité.
Comment connait-il mon nom ?, me demandé-je
sous le coup de la surprise. Ebahi par cette
découverte, je traverse machinalement ce qui
correspond chez un locataire normal à la salle à
manger. Mais ici, pas de table ni de chaise pour
les invités et encore moins de buffet.
Monsieur P est assis sur un tabouret. Une
palette de peinture à la main, il barbouille une
toile de bleu. Toujours sous le choc, je
m’enfonce dans le couloir qui donne sur les
autres pièces. Là aussi sont accrochées au mur
des peintures de toutes sortes qui décrivent la
vie du quartier. Au carrefour des rues de la tour
d’Auvergne et de la rue Pasteur, un gendarme
chasse du pied un pigeon qui lui becquette le
soulier. La fleuriste réprimande une collégienne
qui vient en passant de renverser un pot de
chrysanthèmes. Une voiture passe au feu rouge.
Une mère tire avec force sur le bras de son fils
pour qu’il la suive. «Il s’agit de la vie quotidienne
dis-je en moi-même. Rien d’anormal. »
C’est tellement normal qu’au fond du couloir
apparaît Madame Joly. Elle vient de fermer la
porte de son appartement à clef. C’est le
mouvement de sa robe, de gauche à droite, qui
nous l’indique. Son cabas sous le bras, elle part
au marché. A sa gauche, une autre toile attire
mon attention. Un homme de petite taille entre
sa clef dans la serrure de sa porte. Son imper
semble mouillé. Il a plu sûrement sur le chemin
du retour de son travail. Il est pressé de se
sécher. J’ai horreur de rester mouillé. En effet
c’est moi qui ouvre la porte où est écrit : M.
Ménard.
Entre ces toiles (celles où M J et moi où nous
posons malgré nous) une troisième est installée.
Elle représente une porte fermée. Bien fermée
où rien ne transparaît, ni son, ni odeur. Seule
une étiquette la décore. Dessus il est noté M. P
‘’Artiste Peintre’’ Je n’avais jamais osé
m’approcher pour la lire en entier.
C'est drôle, ce matin, André, notre voisin n'est
pas encore passé pour la promenade du chien.
Que se passe-t-il ? Est-il malade ? Ce n'est
pourtant pas encore la date de sa cure annuelle.
Ah ! Le voilà. Il s'approche de notre haie,
toujours très attentif aux désirs du petit animal
qui se fait bien vieux. Il s'arrête souvent, surtout
devant les entrées de propriétés. Ainsi, il
rencontre ses voisins et s'inquiète de savoir si
tout va bien, si les légumes poussent, si la
pelouse n'a pas trop souffert cet hiver, s'il y a
suffisamment de bois coupé pour alimenter la
cheminée. Notre voisin est très curieux. A
chaque passage, il guette notre chat, qui selon
son humeur, nargue le chien qui est bien dépité,
ou s'en approche pour le saluer. André, retraité
depuis 20 ans déjà, est à la recherche de
compagnie. Il guette aussi le passage du facteur
pour optimiser ses chances de rencontres, pour
donner des nouvelles du quartier, et surtout
nous parler de ses soucis de construction qui ne
manquent pas. Car André est le champion des
procès : un enrobé mal fait, un toit qui fuit, un
mur qui n'est pas droit. Bien sûr, nous
compatissons, mais pas trop, car après tout c'est
peut-être son occupation favorite que de tout
remettre en question, de chercher le vice caché,
pour ensuite se plaindre de sa malchance.
J'étais petite. Deux maison plus loin que chez
moi habitait ma meilleure copine. J'allais souvent
chez elle. Ensemble nous étions braves. Le voisin
du rez-de-chaussée nous intriguait. Pourtant,
nous devions obligatoirement passer devant sa
porte, souvent close mais curieuse: était-ce sa
forme, sa couleur, la forme de la serrure, rien de
définissable, c'était simplement Sa porte. Nous
espérions ne pas le rencontrer, mais en silence
nous souhaitions le voir, le suivre, percer son
secret ... Les rares fois où nous l'avions entrevu, il
nous avait paru une petite masse brune, sans
forme, de sa casquette brune à ses chaussettes
brunes également. Il ne portait jamais de
souliers, il glissait sur le sol en silence. Sans
visage, sans regard, sans bras ni mains, il nous
terrorisait et nous attirait. Personne ne rentrait
chez lui, il ne parlait jamais à personne ; même à
l'épicerie, lieu de toutes les rencontres ; il ne se
rendait jamais à la boulangerie ni même au café.
Personne ne le connaissait, il était pourtant celui
dont on parlait le plus à voix basse. Comment
vivait-il ? La rumeur disait qu'il élevait des vers
de terre et s'en nourrissait. Il n'avait besoin de
rien d'autre ni de personne : il était sombre
comme la terre, comme la nuit, comme
l'angoisse qu'il projetait. Puis, j'ai déménagé.
Mais le voisin du rez-de-chaussée a figé mon
imaginaire écologique.
C’était un voisin discret, effacé et un rien
mystérieux. Sa chevelure très brune, devenue
gris poivré avec le temps, se prolongeait par une
barbe hirsute, qui néanmoins laissait deviner
deux petits yeux vifs, observateurs et curieux. De
sa bouche perdue dans sa barbe grisonnante
sortaient des paroles assourdies sur un ton
monocorde. Un bonnet bleu marine lui
permettait de lutter contre le vent, le froid et la
pluie qu’il redoutait énormément à cause de sa
santé fragile. Sortant des manches de son grand
manteau à carreaux gris clair et foncé, on
devinait des mains violacées, que son cœur
défaillant rendaient difficiles à réchauffer …
Je le croisais régulièrement avec Cacao, le bouc,
composteur, chargé de l’entretien des talus qui
bordent notre jardin, je le voyais monter et
descendre la côte devant chez nous, se
promener sur les chemins avoisinants, luttant
de sa haute stature , un peu dégingandée contre
le vent et le froid mordants du Plateau, et
tentant vainement de se réchauffer. Si l’envie lui
prenait, il s’arrêtait, je lui parlais d’Holy ma
chienne croisée border collie et beauceron, avec
laquelle il s’était lié d’amitié… Je lui racontais ses
déboires avec sa patte cassée, qui ne
l’empêchait pas de poursuivre, de façon effrénée
et très dangereuse, ses courses, sur trois pattes,
avec les tracteurs, camions et différents engins
agricoles qui passaient devant chez nous. Je
m’inquiétais pour la guérison de sa patte, de sa
broche, des plaques et des écrous que le
vétérinaire avait dû resserrer… Quand elle
revenait, de sa course intrépide, je l’attendais
avec un bâton pour lui donner une leçon mais,
sortant la tête de sa collerette démesurée, ses
yeux perçants semblaient me dire d’un air
jubilatoire quelque peu revanchard : « mais c’est
moi, le cadeau, vous pensez bien que je fais tout
pour être à la hauteur ! ». Poursuivant nos
échanges, il me faisait de grands discours,
montrant son érudition et sa culture, tout en
cachant subtilement son ennui et son isolement,
dans lesquels, successivement, séparation,
départ des enfants, mauvaises affaires, crises
agricoles et foncières, problèmes de santé,
inactivité, l’avaient plongé de façon perverse et
insidieuse.
Un voisin, je l'imagine de taille moyenne, avec
de la bonté se reflétant sur son visage, courtois,
aimant les choses simples de la vie, rendre
service en toute convivialité, parler de nos
enfants et petits-enfants, de leur avenir, de
livres, de jardinage, de bricolage, faire des
recherches généalogiques ensemble (avec
Madame) quelqu'un qui vous écoute, en bon
voisinage sans plus, en confiance, une main
tendue en cas de besoin, ce qui devient rare à
notre époque.
Plutôt grand, le teint gris, handicapé par la
maladie, un chien noir trottinant derrière lui, il
se promène, claudiquant légèrement. Rien
n'échappe cependant à son œil resté vif malgré
les ans. Un nouvel arrivant dans le quartier, une
nouvelle plantation dans un champ, sans
problème si vous le souhaitez, il saura vous
renseigner. Sur les chemins creux, comme sur le
bitume, il se promène inlassablement, du moins
chaque fois que le temps le permet, espérant
apercevoir une silhouette familière, et pouvoir
lier conversation pour éclairer ses mornes
journées d'hiver, lorsque la grisaille nous
envahit.
Régulièrement, nous lui proposions notre aide
pour l’entretien de ses haies de laurier palme qui
masquaient la maison et empêchaient la lumière
et la chaleur solaires de rentrer dans la demeure.
Par amour propre ou fierté, mal placés sans
doute, il déclinait toujours notre proposition.
Toutefois il s’obstinait, aux premiers rayons du
soleil, à ouvrir portes et fenêtres, pour aérer, et
ainsi tenter d’enlever l’humidité et réchauffer
l’air ambiant. Vivement le printemps et ses
journées ensoleillées pour qu’il puisse se
réchauffer (les mots maux laids à l’air) !
Paulette. Ma voisine est la mère de mon
meilleur ami. C’est aussi la cousine germaine de
mon père. Sa famille est arrivée en même temps
que la nôtre. Elle est calme, gentille, généreuse,
guère envahissante. Elle parle avec ma mère par-
dessus le mur qui sépare les deux maisons.
Pourquoi alors une certaine réserve, voire un
agacement certain à son égard ? C’est à cause de
son ménage. Pas de son couple, non ! Du
ménage quoi ! Le ménage commence dès son
réveil, qui devient aussi le nôtre. Elle ouvre
grand les volets en bois de sa chambre, le
claquant bien fort contre le mur. Elle en fait
autant dans les autres pièces, ce qui fait cinq
paires de volets lourdement plaqués. Ensuite,
elle s’arme de son chiffon à poussière et
époussette sans bruit. Mais presque aussitôt,
s’ensuit un concert d’éternuements violents,
bruyants, inépuisables. Ils ne cessent que
lorsque, chaussée de ses sabots de bois, elle
s’affaire à l’extérieur, où ses pas lourds
résonnent sur le ciment. Ainsi, toute la matinée,
les bruits du ménage de la voisine nous agacent
les oreilles. Nous savons que notre vengeance
sera possible à l’heure de sa sieste.
Ce matin, Jacques est déjà dans la rue. Par la
fenêtre, alors que les lampadaires s'éteignent, je
le vois faire des allers et retours. Il a dû encore
mal dormir. Mal rasé, son vieux chapeau de
feutre sur sa tête, il allume sa première cigarette
tout en promenant son chien. Il lui parle, à moins
qu'il ne parle seul. Je pense qu'il attend que
nous cherchions le journal pour causer un peu.
Veuf depuis un an, Jacques cherche de la
compagnie. Avant, il était très actif ; avec ses
copains, il faisait du vélo ; musicien, j'entendais
sa guitare quand les fenêtres étaient ouvertes ;
jardinier, il distribuait ses légumes au voisinage. Il
organisait aussi la fête des voisins. Vif et
sociable, Jacques avait toujours plein de projets.
Hier, pourtant, je l'ai vu bêcher son potager. Par-
dessus la haie je l'ai interpellé ; il a l'intention de
planter des pommes de terre. Je l'ai vu aussi
briquer son vélo. Jacques reprendrait il goût à la
vie ?
Se sentant admirée une étoile fila.
Se sentant espionnée, une étoile fila
Se sentant compromise, une étoile fila
Se sentant dévisagée, une étoile fila
QU’OUVRE CETTE CLE ?
C’est une clé en deux parties, noir et argent.
C’est une clé qui tient parfaitement dans la
main, se glisse aisément dans une poche. Elle est
précieuse. Il ne faut surtout pas l’égarer, au
risque de devenir folle. Il faut encore moins la
perdre, sinon on est perdu. C’est la clé de
l’indépendance, que dis-je, de l’aventure et de la
liberté. C’est la clé de ma voiture.
C'est la clef qui ouvre l'armoire bretonne.
La clef introuvable de la salle de réunion,
La clef de la boîte à musique, de la tirelire, du
cadenas. La clef pour démarrer ou verrouiller la
voiture.
Légèrement courbée, même un peu
tarabiscotée, elle s'accrochait aux lignes droites
parallèles qui semblaient la soutenir
élégamment. Un profond silence envahissait la
salle, quand, soudain, seule et cristalline une
note s'échappa, comme libérée, entraînant
toutes les autres dans une harmonie suave et
mystérieuse.
On se la posait depuis longtemps, tout le monde
cherchait, quelqu'un enfin craqua : « ok, on te la
donne». Alors, le chat majestueux, un brin
moqueur se décida à nous donner la clé de
l'énigme.
Oh, Une clé. Égarée, quelqu'un doit la chercher.
C'est une petite clé. La clé des secrets peut-être,
un tiroir, une boîte, avec des photos précieuses
inconnues de tous ou presque, des lettres, un
passé non oublié, une peine, un immense
chagrin enfoui, vulnérable, une illusion peut-
être, alors, que faire de cette clé ?
La clé des champs ouvre la porte vers des
randonnées mouvementées, sur les chemins
longeant les différentes cultures : orge, blé, maïs
ou colza. Randonnées à la campagne, sur des
sentiers encaissés longeant des ruisseaux, sur
des pierres patinées par des eaux claires, irisées
et nacrées. Randonnées à la montagne, partant
du fond des vallées encaissées vers d’abrupts
sentiers sur des pentes vertigineuses menant
aux sommets couverts de neiges éternelles.
Randonnées sur les sentiers côtiers permettant
d’admirer la mer dans tous ses états : tour à tour
coléreuse, déchaînée, enfin sereine, apaisée, à
peine ridée, parfois écumeuse, camaïeu de bleu,
tantôt violette, mauve, bleu marine, grise, verte,
turquoise, tantôt rouge carmin ou vermillon,
rose saumon, orange, ocre jaune, terre de
Sienne brûlée ou naturelle, au soleil couchant. La
clé des champs ouvre la porte vers l’aventure, le
monde entier, cinq continents. Mais elle ouvre
surtout le cœur des gens, convertis, unis par un
langage universel : la musique, apprise par cœur,
éclectique, dynamique. Si vous voulez y entrer,
écoutez tout simplement, tous en chœur, les
paroles de chants mélodieux. Et vous trouverez
la clef des chants.
Elle ouvre le paradis, un jardin secret, la porte de l'infini, la boite aux trésors, la clé éternellement égarée toujours retrouvée, et qui nous permet d'entrer. L’énigme.
Jour de rangement : décidée, j'ouvre les tiroirs
du bahut. L'un sert de dépôt de clés conservées
sans but. Certaines portent une étiquette.
Souvenirs, souvenirs ! Mon attention se porte
sur une petite clé rouillée. Quelle malle, quel
coffre ouvrait-elle ? Dans mon grenier, je fais des
essais sur de grandes valises de cuir
abandonnées. Sans succès. Puis je me souviens
de la grosse malle de bois munie de ferrures et
de sa serrure imposante servant au cadenas. Je
l'avais aménagée au début de notre mariage.
Cachées au regard des invités, les bouteilles et
les verres attendaient l'apéritif. Vingt ans après,
ma fille se l'approprie pour le même usage. D'où
venait-elle ? Me remonte à la mémoire le grenier
de ma maison natale. J'y ai passé de longues
heures à lire les livres et les vieilles revues. Cette
malle en était remplie. Je regrette seulement de
ne pas avoir interrogé mon entourage sur son
origine. Quand la clé rouillée était bien utile,
dans quel pays avait-elle voyagé ?
C’était une clé blanche et brillante comme
l’appartement tout neuf dont elle ouvrait la
porte. Premier appartement avec une belle vue
dégagée sur les toits parisiens. C’était la clé de
tous les possibles, vrais, imaginaires ou rêvés,
loin des parents enfin ! La clé des premières
amours aussi, des portes qui claquent, des cris
de rage. La clé du refuge douillet enfin, où l’on
pouvait rester enfermée tout le week-end,
roulée sous la couette, loin des promenades
dominicales obligatoires. Puis on rendit la clé. Le
temps de l’indépendance était terminé et le
temps des chaînes librement consenties était
venu. Avec deux clés cette fois.
DANS LE POT DE CONFITURE
Avec le petit « pop » de la bulle d'air ouvrant le
couvercle, s'échappe une senteur fragile
d'oranger. Puis, comme si un arbre tout entier
libérait ses fruits, cuits et conservés depuis
plusieurs mois, des arômes suaves envahissent
la pièce. Avec l'odeur du pain grillé, resurgit un
doux souvenir d'enfant. Pourtant, bien que
sensible à ses palettes de couleurs, au moelleux
de ses textures, à la variété de ses parfums, je
n'aime pas, du tout, manger de la confiture.
Pour ce petit déjeuner-là, je décidai de servir
cette confiture de mûres. A la fin de l'été, par un
samedi ensoleillé avec les enfants encore
présents, et quelques ustensiles, nous avons
organisé une cueillette des mûres dans les
champs bordant la maison entourés de talus
pour nous protéger mais aussi pour pouvoir
disposer de ronces pour les confitures. Il faisait
bon dans les champs, et dans la cuisine, avec
cette bonne odeur de ce début de cuisson.
Cette deuxième étape ou l'on récupère le jus est
magique, ce ruban coloré qui tombe en cascade
dans les pots.
Il y a la chaleur de l'été à l'ombre d'un chapeau
de paille,
Des épines dans le pouce et l'index,
Des pigments rouges,
De longues stations debout ou accroupi,
La patience des adultes, l'impatience des
enfants,
Le calme du jardin et de la campagne,
Des animaux dérangés dans leur cachette,
Les grosses marmites et les pesées précises :
fruits, sucre, eau,
Et surtout les odeurs qui envahissent la maison.
Goûter, lécher, tartiner, partager, souvenirs
magiques de mon enfance que je transmets à
mes petits-enfants. Sauront-ils prendre le relais ?
Dans le pot de confiture, il y a d’abord
l’anticipation de cette journée particulière où
nous allons « cueillir des mûres ». Pour certains,
moment de plaisir, pour d’autres, corvée à
laquelle on ne peut échapper. Chacun a son
seau; il faut tendre le bras en évitant les dents
acérées des ronces, les insectes volants et
araignées en nombre ; saisir le fruit, bien noir,
bien le choisir, sinon il ne se détache pas, ou il
bien s’écrase entre les doigts ; pire encore ! il
tombe au sol, il est perdu ! Petit à petit, les
seaux se remplissent, en entier ou seulement à
moitié. Les petits visages se couvrent de taches
violacées. Le jeu fait place à la cueillette. Il est
temps de rentrer. Tout le reste sera affaire des
parents : ranger, laver, cuire, mettre en pots.
Dans la confiture, il y a le souvenir vivace d’une
journée heureuse en famille.
Dans le pot de confiture, il y a le plaisir de faire
soi-même ses confitures. Le meilleur moment est
celui de la dégustation. Il y a ceux qui hésitent à
l'heure du petit déjeuner et présentent deux ou
trois parfums différents, et ceux qui comparent à
celle de l'année dernière. On l'emporte en
vacances, car rien n'égale le « fait maison ». Mes
parfums préférés sont la mûre, la framboise, la
fraise, l'abricot, la rhubarbe. Mais attention à la
confiture en pique-nique, ou sur la table du salon
de jardin : elle attire inévitablement les petites
indésirables comme les guêpes, les fourmis. Les
pots de confitures, on se les passe pour faire
goûter notre nouvelle recette, et en retour on
compare celle de nos amis. On la déguste sur les
tartines, dans les yaourts, sur les gâteaux.
Dans le pot de confiture, il y a des mûres bien
noires et juteuses qui collent aux mains, cueillies
dans les ronciers, des framboises, des cassis, du
sureau, avec lesquels on fait des gelées, ou bien
de la confiture avec tous les fruits mélangés. Il y
a de la gelée de pommes avec des pétales de
roses, tous ces parfums embaument la cuisine et
tous ces fruits mélangés à du sucre roux me
rappellent mon enfance et enchantent le palais.
Les guêpes sont toujours au rendez-vous ces
jours-là.
Dans le pot de confiture, il y a des fraises, du
sucre, la douceur du verger. Verger de pommiers
couverts de fleurs blanches épanouies, de fleurs
rosées. Rosée recouvrant de fines gouttelettes
étincelantes, l’herbe du jardin au lever du soleil.
Soleil resplendissant dans un ciel bleu sans
nuages. Nuages cotonneux se promenant au gré
du vent, emportant mon imagination.
Imagination nourrie par leurs diverses formes
provoquant l’inspiration. Inspiration et
expiration : une nouvelle journée commence. La
vie continue.
Dans le pot, il y a de la confiture à la rhubarbe,
presque noire, avec des écorces d’orange
confite. Le pot est rangé dans le grand bahut,
noir, lui aussi, juste à côté du grand pot en verre
de sucre en poudre. Le pot est si grand qu’on
utilise une grande cuillère spéciale qui
s’accroche au rebord. C’est la confiture que
Grand-mère prépare avec la rhubarbe qui
pousse à l’ombre au fond du jardin. J’ai
longtemps cru qu’il n’y avait qu’une sorte de
confiture, car c’était la seule que préparait
Grand-mère. D’abord elle faisait sécher les
écorces d’orange sur le fourneau bleu de la
cuisine. Cela sentait très bon. Puis après avoir
lavé, tranché en petits cubes les branches rouges
de la rhubarbe et ajouté le sucre, elle faisait
cuire le mélange longtemps, très longtemps. La
confiture était prête à être mise en pot quand
elle était presque noire. Je n’ai jamais pu
retrouver ce goût si particulier, surtout avec le
beurre salé que Grand-mère posait en premier
sur la tartine. Aucune amertume dans cette
confiture, rien que la douceur d’un moment
partagé et perdu.
Dans le pot de confiture, il y a les fruits gonflés
de soleil et de chaleur estivale, les mains agiles
du cueilleur qui ne craignent pas les griffures, les
mains expertes du cuisinier sachant savamment
doser le sucre, les fruits, évaluer le temps de
cuisson, l'œil vif de l'enfant gourmand que
l'odeur alléchante et la couleur attirante font
briller. Souvenirs d’enfance, passe-temps du
retraité, que d'émotions et d'authenticité dans
ce petit pot de verre posé sur l'étagère.
Le souvenir de l'endroit pour la cueillette des
mûres, aller chercher les pots de l'année
dernière, ne pas oublier de les laver. Il y a
surtout la cuisson. Trouver le moulin à légumes,
le vieux, celui à manivelle, et commencer à
rendre cette préparation mangeable en retirant
tous les grains en essayant de ne pas en mettre
sur la gazinière, bien peser la quantité et mettre
à poids égal le sucre.
Recommencer l'opération de cuisson, et surtout
savoir quand la goutte va rester sur la cuillère
pour évaluer la fin de la cuisson. Verser ce
liquide dans les pots et surtout ne pas se brûler
les doigts. Tour de magie: vite retourner tous ces
contenants. Et le lendemain ranger sur l'étagère
cette confiture qui viendra améliorer ma tartine
de pain ou le fromage blanc.
LA PREMIERE FOIS
La première fois que je l’ai vu, mon cœur a fait
un bond terrible. Une joie pure et intense m’a
envahie toute entière. Je l’ai aimé dans l’instant
et aussitôt j’ai su que ce serait pour la vie. Il
m’était offert par mes parents, pour mes dix ans
peut-être. Ce fut mon premier et unique chien. Il
reste présent en moi comme une part d’enfance
teintée d’une douloureuse tendresse.
Je venais d'avoir cinquante ans, et nous avons
fait le projet de partir en voyage avec mon
Comité d'Entreprise pour la première fois. Nous
avons choisi un séjour en Crête. C'était un séjour
au soleil, dans un hôtel près de la mer, entouré
d'orangers et de citronniers dont on cueillait les
fruits au passage. Quel plaisir de se promener
parmi les fleurs et plantes du jardin exotique.
Nous avions le soleil dès le petit déjeuner, des
tables entières de plats à notre disposition, et
des serveurs tout à notre service. Dans la
journée, c'était la découverte des petits villages,
le safari dans la montagne, la rencontre avec les
chèvres perchées en haut des arbres, les églises,
les plages, les sites archéologiques et les
dégustations des fruits, fromages, alcools. Parmi
les excursions sur les îles, celle de Santorin nous
a beaucoup marqués, si bien que quelques
années plus tard, nous y sommes retournés pour
une semaine entière, et avons retrouvé avec le
même émerveillement, la caldeira, les maisons
et églises bleues et blanches et le coucher de
soleil à la pointe de l'île.
La première fois que j'ai pris le train pour aller à
Quimper, je devais passer un concours des
jeunes fermières. J'étais très jeune, nous
circulions surtout en vélo. Je n'ai pas le souvenir
que ce fut difficile. Ce fut plus ardu de trouver le
"Paraclet" à Quimper, sans la moindre carte, à
pied dans les rues. Ce fut hasardeux, j'y parvins
mais j’étais perturbée par le concours. La
journée fut vraiment difficile.
La première fois que j’ai acheté quelque chose
avec mon argent de poche, je suis descendue
très vite dans la rue à Brest. Il y avait une
alimentation au-dessous de notre appartement.
Une chose me faisait vraiment envie. Ce n’était
ni les gâteaux ni les bonbons. J’ai acheté une
orange bien brillante. Elle m’avait coûté 0.3o
centimes je crois. De retour à la maison, je
montrais fièrement mon achat à ma mère. Elle
s’est fâchée. « Mais qu’est ce qui t’a pris
d’acheter cela ! ». Je n’ai toujours pas compris sa
colère. Au fond, peut-être ne s’était-elle pas elle-
même autorisée à une telle fantaisie. Pour
autant qu’acheter un fruit, un seul, passe pour
une folie...
On a sonné à la porte. « Qui est-ce ? »
demanda ma mère. « C’est le Père Noël ! »,
répondit une grosse voix. Point de Père Noël,
mais mon père. Un large sourire lui barrait le
visage et dans ses bras. Il portait un vélo bleu.
C’était Noël et c’était merveilleux. Dès le
lendemain, je fis des pieds et des mains pour
essayer mon vélo, mon premier vrai vélo. Avec
seulement deux roues, un grand, avec des
poignées pour les freins, une selle, des garde-
boue, etc. Devant mon insistance, mes deux
sœurs, plus âgées que moi, nous conduisirent,
mon vélo et moi, au parc de la Mairie où de
grandes allées bordées d’arbres permettaient
aux familles de se promener tranquillement le
dimanche. Je montais sur ma bicyclette. « Fais
attention ! Au début, nous te tiendrons puis
nous te lâcherons. Là, tu as des poignées pour
freiner, appuie dessus pour t’arrêter. » Je ne les
entendais pas. J’étais assis sur mon vélo prêt à
foncer sans me préoccuper de toutes ces
recommandations. « Appuie sur les pédales,
allez, vas-y ! ». Je l’ai fait. Le vélo a avancé, très
vite même. Trop vite, et au bout de l’allée, seul
sur mon engin, je ne savais plus quoi faire pour
m’arrêter. « Tes freins, appuie sur tes frein s! »
criaient mes sœurs. J’ai paniqué et me suis laissé
tomber sur le côté pour m’arrêter. C’était la
première fois que je faisais du vélo. Mais ce ne
fut pas la dernière fois que je freinais.
Je me souviens de la première fois où j'ai eu le
droit de circuler loin de chez moi en vélomoteur.
Mes frères me l'avaient prêté pour quelques
jours, pour aller chez une amie à Tréflévénez.
J'en étais fière, j'avais l'impression de voler de
mes propres ailes. Tout excitée, j'écoutais à peine
leurs conseils. Ma mère avait longtemps hésité à
me laisser partir, mais comme j'allais dans une
famille « bien », elle avait accepté. Au début,
cheveux au vent, j'avais un sentiment de liberté,
mais passé Landerneau d'où je n'avais jamais
bougé seule, j'étais un peu inquiète. Allais-je me
repérer ? Les routes de campagne
s'éternisaient, le moteur pétaradait et chauffait,
je pédalais dans les côtes. Enfin je vis la ferme.
Pour la première fois aussi, je découvrais une
autre vie familiale et une vraie complicité avec
une amie. Au retour, je n'avais plus 15 ans, j'avais
grandi.
Ma table est décorée en écru et vert anis, tout y
est : la fourchette à gauche, le couteau à droite,
sans oublier les verres adaptés à la boisson. Les
invités vont bientôt arriver, mais avant je dois le
préparer. J'ouvre la porte, il est là, me regarde,
dodu, resplendissant dans une belle peau.
Surtout le prendre délicatement. Où le poser ?
Sur la table ? Trop encombrée. Sur le plan de
travail, c'est plus sûr. Commencer l'opération, je
l’écarte, je plonge ma main à l’intérieur, après
un certain temps, ça y est, il est prêt. Mais il
temps d'aller se pomponner, se coiffer, les
invités viennent de sonner, Tout le monde
s'installe. Ils me regardent, devinent une
inquiétude de ma part. Et c'est avec
soulagement que je présente mon chapon que,
pour la première fois, je venais de farcir.
Le jour de Noël, ma première petite fille,
cadeau merveilleux, ma petite étoile, un vrai
conte de Noël ; et ses parents lui ont donné un
joli prénom qui brille. C’est ….
La nuit du 4 Août, ma seconde petite fille, toute
menue dans son berceau, moment magique. Ses
parents lui ont donné un prénom tout doux,
enlevez deux lettres à celui de sa grand’mère et
vous le trouverez. C’est …
Un beau dimanche de mars, mon petit-fils, un
bébé magnifique, inespéré, remplissant de joie,
sa sœur, ses parents et ses grands-parents. Et un
joli prénom, tout doux, qui commence par la
lettre M … C’est …
Portant un pull dont la vue m’était
singulièrement familière, réunion autour d’une
grande table, discussion au sujet de la profession
de foi, port de l’aube blanche ou non, invitation
à se joindre au groupe (d’enfer) , quel est le sens
du vêtement blanc ? Miséricorde. C’est mon
dernier mot …
Après avoir traversé la mer Méditerranée,
éblouissement en découvrant la « ville
blanche». Grande émotion, choc des cultures, à
la vue des femmes en costume traditionnel et
début d’un apprentissage de la vie sur un autre
continent. C’est …
La première fois que je suis allée en Maine et
Loire, à Liré, voir mon beau-père, quelle chaleur
humaine j'ai ressenti et quel accueil bienveillant,
pourtant il avait dit à mon futur mari, « une
parisienne ! », alors que lui était de Paris. Le
courant est vite passé entre nous deux, puis il n'y
avait que sa belle-fille qui comptait et plus tard
ses petites-filles. Quel courrier elles ont échangé
avec leur grand-père. Mon mari n'avait pas
imaginé cela.
Responsable de classe, je devais préparer un
voyage scolaire, direction Belle Isle en Mer. Le
proviseur de l'établissement me convoque dans
son bureau et me dit : "Mademoiselle, le
téléphone est à votre disposition, vous avez
certainement déjà répertorié la liste des hôtels
susceptibles de vous accueillir. Maintenant
téléphonez, et retenez celui qui offre les
prestations les plus intéressantes. Quelle ne fut
pas mon angoisse, je me mis à transpirer, j’étais
prise de panique. Le téléphone ne faisait pas à
l'époque partie de mon quotidien, il n'y en avait
pas à la maison. Je restai figée, complètement
inhibée, les mots me manquaient.
« Mademoiselle ressaisissez-vous, vous en êtes
capable ». Emue, tremblante, je décrochai.
Hésitante au départ ma voix s'est
progressivement placée. L’expérience ô combien
stressante, s’est soldée par un succès.
J’avais pris le bus de bonne heure avec Maman.
J’avais bien regardé l’itinéraire du bus, car
demain je serais seule. Arrivées à la Mairie, nous
avions remonté la place, tourné à droite derrière
l’Opéra, traversé la place du Palais, affronté les
pavés de la rue St Georges, contourné la piscine.
Dans le creux au bas de la rue Martenot se
trouvait le Lycée Anne de Bretagne. Une fois la
grille franchie, les élèves se hâtaient jusqu’à la
cour. A l’entrée, une grande femme toute de
noir vêtue nous accueillit. S’adressant à Maman,
elle demanda, en me regardant :
« Quel est son nom » ? « Sylviane H , répondit
Maman. La femme vêtue de noir consulta son
grand registre puis nous précisa :
« Mademoiselle H. Vous êtes inscrite en 6e B.
Dirigez-vous à droite et mettez-vous à la suite
dans le deuxième rang. Quant à vous, Madame,
vous restez ici, les parents n’ont pas le droit
d’accompagner les enfants ». La cour se
remplissait peu à peu. En ce début septembre,
la température était encore douce. Les élèves,
petites et grandes, étaient vêtues d’une blouse
bleue. Soudain, la porte du grand bâtiment beige
s’ouvrit. Une femme petite et ronde apparut en
haut de l’escalier qui menait à la cour. Elle
s’appuyait sur une canne. Elle aussi était vêtue
de noir. Des mots murmurés coururent de rang
en rang. Je n’entendis que la fin…. « trice ». La
sonnerie retentit. Puis Madame la Directrice
annonça d’une fois ferme : « Mesdemoiselles, il
est l’heure de rentrer, en ordre et en silence, s’il
vous plaît. Terminales A, avancez ». Les élèves
avançaient lentement une par une, classe après
classe, jusqu’à ce que ce fut le tour de la 6e B. Je
ne me sentais pas bien. Je me retournai une
dernière fois vers Maman qui me fit un signe
d’encouragement.
La première fois que J'ai pris l'avion en 1971 :
Paris / Montréal. Le voyage d'étude commence à
Orly. Pour le groupe, passage rapide à la douane,
passeport et valises qui s'amoncellent dans un
chariot qui disparaît bientôt tiré par un tracteur.
Le commandant de bord nous explique la durée
du vol, l'altitude de croisière avant de nous
souhaiter un bon voyage. Ai-je peur? Les
hôtesses nous distribuent des bonbons à sucer
pour le décollage, à vrai dire assez inutiles quand
les moteurs accélèrent. J'écoute avec attention
les consignes de sécurité, j'essaie de repérer les
issues de secours, le gilet sous le siège, les
masques qui tomberont du plafond. Mon cœur
se serre. Tout redevient calme; il faut rester
attaché sauf « urgence ». Bien que le vol sera
long, je sais que je ne bougerai pas, là j'ai la
trouille. Je regarde par le hublot, que du bleu. Je
ne parviens pas à lire. Puis, les hôtesses, gants
blanc, nous distribue les menus pour un vrai
repas, dans de vraies assiettes, avec de vrais
couverts gravés Air-France que je garde en
souvenir, entrée, plat, dessert, vin dans des
verres à pied, digne d'un Trois étoiles dans lequel
je ne suis jamais allée. Le vol est long, j'ai des
fourmis dans les jambes. Certains se promènent
dans le couloir, je ne bouge pas. Enfin, on
annonce l’arrivée, l'atterrissage est proche, tout
le monde se rassoit, plus de bruit. J'ai une boule
au ventre et je ne suis sans doute pas la seule.
Les pneus se posent à peine qu'un tonnerre
d'applaudissements éclate dans l'avion. Tout le
monde reste bien sagement assis, jusqu'à ce que
le commandant de bord vienne nous voir, nous
remercie, nous annonce la température
extérieur avant de nous souhaiter « bienvenue
au Canada ». Ouf.
Photo Sylviane
L. A N. D. E .R. N.E.A U
Sur la lande sous la lune, le renne a rendu Anne
à Edern - Ancrée dans la cour, la cane couve et
recouvre sa couvée, le cou en vrac.
Anne née à Landerneau, rue André Renard,
l'année de la lune en landau sur un radeau et
l'âne rude rua dare-dare.
L’eau de la rade a rendu le radeau de René né à
Landerneau.
René s'est rendu dans la dernière rue de
Landerneau près du radeau dans l'eau.
Le landau est là dans la lande drue.
Le renne a eu la dent dure.
Alan le rude renard râle sur son nanar de
renardeau, dans son landau , en rade sur un
anneau dans une rue de Landerneau.
Edern est dur et dru. Il est né à Landerneau près
de l’eau - A un an, un lad sur un âne l'a vu nu sur
la lande à la lueur de la lune. Dur Dur !
Un ver écru, nacré et cornu, crève dans un
verre d’eau ocre et rance. Evan, rêveur, enroué,
l’évacue vers la cane vorace d’Eva à l’œuvre
sur la ronce, où il recouvre la vue, dans la rue,
sur un créneau, sans rancœur.
Au bord de la rance la race de colvert au cou
recourbé couve, navré ,comme un cancre ,face à
la cène de la cure ancrée dans le verre du curé
de la Rance.
J’AIME
La nature au printemps
Le chant des oiseaux
La douceur du soir
Le rire de la jeunesse
La gaité de mes filles
Les gâteaux" fait maison"
Un certain tableau.
J’aime faire du bien, annoncer une bonne
nouvelle, cueillir les fleurs du jardin, les couleurs
chaudes, les ustensiles de cuisine, éveiller les
sens, les bonnes idées, laver le linge sale en
famille, limiter la casse, illustrer mes propos,
prendre la balle au rebond, rendre service, orner
la maison, être à l’unisson, récolter les légumes
du potager, avoir des invités à table, rire aux
éclats, exprimer mon ressenti, parler tout
doucement, aller bien, raconter de belles
histoires, taire un secret, aimer les membres de
ma famille, me griser de l’air vif de la montagne,
embarquer sur un kayak, rêver à tous les
possibles. Ceci étant écrit, nous savons tous que
rien n’est jamais tout blanc, rien n’est jamais
tout noir … et j’aime les poules et les œufs en
chocolat blanc, en chocolat noir, mais aussi en
chocolat au lait.
Me plonger dans un livre d'aventures
Regarder des émissions documentaires
Déguster des glaces en flânant l'été.
Traîner chez les bouquinistes, dans les librairies
Regarder les danses bretonnes, et folkloriques
Les voyages.
J’aime lire le matin, le midi, le soir, la nuit aussi.
J’aime le voyage immobile au bord du rêve.
J’aime le chant des oiseaux, quand j’ouvre les
volets.
J’aime préparer le petit déjeuner pendant que P.
se réveille doucement.
J’aime la première cuillère de muesli, la
deuxième aussi.
J’aime la sonnerie de Skype et voir apparaître le
visage de mon amie C. sur l’écran de
l’ordinateur.
J’aime rentrer dans la maison silencieuse.
J’aime regarder les photos jaunies qui s’effacent
doucement au fil des ans.
Me réveiller sans réveil, l’eau tiède de la douche,
faire des bouquets...
Déjeuner tranquillement, les bijoux en toc,
danser la valse, jardiner, semer, récolter …
Les couleurs chaudes, le silence du jardin, la
musique, la lecture, les taquineries de ma
petite-fille, faire des boules de neige.
La lumière, la verdure, la maison pleine, les jeux
d’enfants danser, cuisiner, nager, marcher …
Le mimosa et l’engoulevent.
La communication, ma maison, être en famille,
le café du matin, les fêtes de Noël, le bonheur
de se coucher dans un lit, être avec mes amies,
le chocolat, le jardin, la nature, la balancelle
sur la terrasse, l'été, la beauté de l'univers,
écouter des contes, chanter, le soleil, la mer,
l'art floral, les voyages, mes activités, ma
Bretagne, mettre le linge à sécher au soleil.
JE N’AIME PAS
Le froid de l'hiver
Les soirées trop longues
La solitude
La tristesse
La peur des jours
L’agressivité
Je n’aime pas faire mal : je n’aime pas haïr,
utiliser la force, manigancer, imiter, les larmes
de désespoir, intimider, exclure, les remords, les
magouilles, les avantages, les lauriers palmes, les
faux témoignages, arriver en retard, idolâtrer,
tuer le temps, ennuyer, répliquer méchamment,
les armes, les gravats, rire aux dépens de
quelqu’un quand c’est sans espoir, sauter les
étapes, la salade trop assaisonnée, entrer en
conflit, regarder les films d’horreur.
Je n’aime pas les troupeaux de randonneurs qui
se pressent sur les chemins côtiers,
Je n’aime pas les lettres recommandées,
Je n’aime pas voir P. boiter,
Je n’aime pas les poils blancs qui apparaissent
sur le museau de mon chien.
La guerre le verglas, les insultes au volant, les
discussions politiques, ceux qui chantent et qui
faussent.
Le mensonge, l'hypocrisie l'indifférence, nettoyer
les carreaux, ma voix enrouée, les fest-noz.
Parler, les principes éternels, les clés, les râleurs,
faire des listes.
La viande saignante, les films d’horreur, le style
Gothique, porter le chapeau, la buée sur mes
carreaux de lunettes.
La vulgarité, la pluie, le café et le manque de
franchise, le fait qu’on me commande alors que
j’ai passé l’âge.
Le temps qui passe, les séparations, les
enterrements, l’attente, être dépendante, les
dictatures, le populisme, choisir.
Les mots inutiles, les aliments acides.
QU’Y A-T-IL DANS CETTE VALISE ?
Je sais d'avance ce qu'elle contient ! Tout un
passé, presque une vie de travail, de recherches
sur les costumes de la commune, une
expérience, une motivation, des broderies, des
motifs, des livres des Lalaisse et autres, des
cahiers de réflexions. ...
Une petite valise peut contenir des bijoux, des
secrets, des dents de lait, une mèche de
cheveux. Une grande, des vêtements, des jouets,
des armes, des revues, des vieux livres, des
archives, des souvenirs d'enfance, des habits de
carnaval.
Pour faire le portrait d’un oiseau,
Une colombe bien sûr, à la manière de Jacques
Prévert.
Prendre d’abord une valise,
En carton mâché,
Petite, miniature, à nu,
Mais pleine d’idées,
La placer dans un arbre, arbre de vie
évidemment.
Choisir une belle branche, bien cachée entre des
rameaux bourgeonnants,
La poser délicatement.
Prendre ensuite un pinceau,
La recouvrir de deux couches de gesso,
La laisser sécher et quand elle est sèche,
Peindre le fond en écru, puis le recouvrir de
bruine à l’aide d’une brosse à dents,
Une bruine de fines gouttelettes de peinture à la
caséine.
Puis décalquer un motif, après avoir choisi un
oiseau, une colombe avec un brin de paille dans
le bec.
Aquarelle et choisir les couleurs pour l’oiseau.
Peindre d’abord les pattes et le bec avec un peu
d’orange cerné de terre d’ombre naturelle,
Peindre ensuite une à une les plumes, avec du
blanc ombré de gris fer,
Et l’oiseau s’envole emportant la petite valise,
Et la valise grandit, grandit, grandit,
Et vient se poser sur la table de la salle à manger,
Elle est fermée à clé, la chercher … Ouf, elle était
restée cachée au fond d’un tiroir du buffet,
Mais ça coince, un peu d’huile trois en un et la
clé tourne,
La valise s’ouvre,
Pleine de photos jaunies,
De papiers manuscrits,
De lettres désuètes,
De cartes postales surannées,
Partir avec la valise, pour un nouveau, voyage,
aux souvenirs. Certainement plein de surprises.
Les vêtements du costume breton de mes
grands-parents, le chapeau, la veste faite sur
mesure, le pantalon, le grand châle noir de ma
grand-mère, le châle clair de la jeune fille, le
tablier brodé et la jupe, les coiffes du dimanche
et de tous les jours.
La valise était cachée dans le fond du grenier.
Elle me semblait bien lourde à transporter. Seule
solution : découvrir ce qu'elle contenait.
Doucement, ma main entreprit de faire glisser le
système de la fermeture éclair. Un "switt" se fit
entendre jusqu'à l'ouverture totale. L’ouvrir,
découvrir ! Quoi donc à l’intérieur, une seconde
valise de même couleur. Il faut recommencer le
processus de l'ouverture et savoir ce que
contient cette deuxième valise. Déception. Une
troisième valise. Un rangement parfait
d'économie de place. Plus petite et toujours
aussi lourde. Il faut connaitre le contenu. Je
l'ouvre. Oh ! Ce que je cherchais depuis
longtemps était là caché. J’en avais même
acheté un autre, mais celui-là était toute ma
jeunesse, ma scolarité, celui qu'il fallait avoir,
pour chercher tous les mots de la langue
française. Mon dictionnaire.
Un papillon, une dent de lait, un violoncelle, un
parachute, un dentier, une cape, un sextant, un
ressort cassé, un cric, un bon point, un arc en
ciel.
Ma petite valise rouge attend posée au-dessus
de l'armoire, couverte de poussière. De temps en
temps je lui jette un œil désespéré. Non, pas de
voyage en vue. Alors je vois en rêve ce qui me
paraît un minimum pour tenir une semaine sur
une île déserte et alléger ma valise : un ou deux
livres, une flûte, un carnet et un crayon, une
brosse à dent, une tenue de rechange pratique,
un canif, du savon. Les bonnes chaussures, je les
aurai aux pieds.
C’est la valise de Pablo. 56 ans en 2014. Né à
Aveiro, Portugal. C’est un bel homme, qui a
traversé de bien laides années. Il quittait très
jeune son village natal pour s’installer en France.
Sur ses épaules pesaient deux peurs au moins.
Celle de la dictature et celle de l’enfer. Il m’a
avoué que personne ne riait pas non plus avec le
Bon Dieu à cette époque. Pablo n’était pas riche.
Alors, dans la valise, rien, et même sans doute
moins que rien. En France, il a appris un métier,
celui de boulanger. Il avoue avoir pour la
fabrication du pain la même patience, la même
délicatesse qu’à l’égard des enfants. Selon lui, les
deux sont faits de la même matière».
Que peut-on garder dans une si petite mallette,
une minuscule mallette… Une toute petite
mallette en carton qui ne ferme pas à clé ? On
ne peut y placer que des bricoles. Mais
attention, des bricoles de valeur : une photo, un
coquillage, un ticket de cinéma, une petite
pomme de pin... Toutes ces petites bricoles qui
forment la trame de la vie.
C’était une petite valise rouge. Je suppose que
Maman en avait choisi la couleur pour m’inciter
à jouer avec. En fait, je ne jouais jamais,
préférant m’allonger sur le lit avec un livre.
Maintenant que j’allais au lycée en centre-ville,
tout près de la bibliothèque, je pouvais y passer
presque chaque jour emprunter un nouveau
livre. Un jour, j’invitai une copine de classe à la
maison. Mireille repéra tout de suite la petite
valise rouge qui gisait abandonnée dans un coin
de la chambre. Elle s’en saisit et me demanda :
- Je peux l’ouvrir ?
- Bien sûr, lui répondis-je, levant à peine le nez
de mon livre. Puis j’entendis Mireille s’exclamer :
- Que c’est joli ! C’est ta Maman qui les a
cousus ?
- Oui, lui répondis-je- elle n’a eu qu’une poupée
dans sa vie. Alors elle aime m’en offrir et leur
coudre des vêtements. Mais moi, je n’aime pas
les poupées.
C’est en voyant le regard d’envie que Mireille
portait à cette collection de jupes, robes et
chemisiers que je compris le plaisir que Maman
devait ressentir en ouvrant la petite valise rouge
pour jouer à la poupée.
Une petite valise, plutôt une petite mallette,
garde les bijoux de ma grand-mère
Une petite valise renferme les trésors de couture
de ma petite fille
Une petite valise tapissée de tissu sert de
réserve aux gâteaux faits maison.
LE PRETRE MARIE
Magritte
Incognito. Comment reconnaître une pomme
verte d’une autre pomme verte dans cette
société où tout est calibré, programmé,
standardisé, pesé, sans droit à l’erreur, sans
originalité, sans fantaisie, même avec un
masque. Seules, les feuilles permettent de les
distinguer. Mais nous les vend-on avec les
feuilles ?
Pommes en goguette. C'était carnaval, pourquoi
ces magnifiques pommes vertes n'y
participeraient-elles pas? Que cachent-elles
derrière ce masque coloré. Souriantes,
interrogatives, que signifie leur clin d'œil devant
ce ciel nuageux ?
On avance masqué. Rien ne ressemble plus à
une pomme qu’une autre pomme, à une pomme
verte qu’une autre pomme verte. Pourquoi alors
ajouter à chacune un masque, le même masque
rose ? Toute la simplicité, le naturel de la
pomme disparaît derrière le masque. De
pomme, elle devient visage, oui, mais visage
sans regard, sans expression donc. La pomme
s’humanise par le masque, mais d’une humanité
désagréable, dangereuse même, calculatrice. Les
pommes sont deux, deux seulement, mais peut-
être le début d’une longue cohorte. Dans une
nature paisible, se mettent en marche les fruits
d’un monde déshumanisé.
Pas vu, pas pris. Pourquoi porter un masque ? -
Pour passer incognito. Je sais qu’il y a dans
l’assistance une personne qui mange les
pommes jusqu’au trognon.
Au bal masqué. Au bal masqué de la Corbeille à
fruits, deux pommes masquées entrèrent dans le
parc où le bal était organisé. Un beau
concombre en livrée dorée les accueillit dès leur
arrivée et avertit l’assemblée de l’arrivée du
Comte et de la Comtesse Granny. M. le Comte et
Mme la Comtesse allèrent sans hésiter saluer le
Duc Ananas du Duché de Martinique. « Ne
trouves-tu pas que son costume en rondelle est
assez original ? » demanda Geneviève Granny à
Edouard son mari. Ils se mélangèrent à la foule
pour danser. « Tiens tu n’as plus ton masque et
tu sembles pelée comme après un coup de
soleil. » remarqua Edouard. « J’allais te faire la
même réflexion mon cher. C’est un homme en
tablier et toque blanche qui s’en est occupé.
Arrêtez Edouard de me mordiller l’oreille, nous
n’avons plus vingt ans. Geneviève vous me
connaissez, ce n’est pas moi ! C’est un coutelas
que je n’ai jamais vu. De plus, je pense qu’il y a
un pépin dans cette histoire ou plutôt qu’il n’y
en plus, car je me sens vidé, les jambes coupées.
Pas toi ? ». La comtesse n’eut pas le temps de
répondre : elle se retrouva dans une valse
endiablée où se mélangeaient tous les convives
sur un parquet ciré et glissant. Le Vicomte de la
Banane, étourdi par ces pas à quatre temps,
glissa, et sur le sol s’étala. Dans sa chute, il
entraîna de jeunes clémentines « débutantes »
qui, bien sûr, participaient à leur premier bal.
Les Marquises ‘’Fraises Gariguettes’’ suivirent ce
dangereux élan effréné quand des Poires un peu
blettes vinrent s’écraser contre elles et les
poussèrent au fond d’un saladier rempli de sucre
et de kirsch.
Carnaval. Masquée, fais ce qui te plaît.
Inconnue, qui es-tu ? Tu me ressembles, vert
froid et rose tendre. Je roule sur le sable chaud
jusqu'à toi. Je te frôle. Je te parle à l'oreille. Nos
feuilles se dressent. Souris-tu ? Consens-tu ?
Restons tous deux sur la plage. Laissons la foule
bruyante s'éloigner».
MOMENT-COINCE-LETTRE- FRAPPE-
LUMIERE
«Attends, encore un petit moment, je coince!
Bon, allez, je prends les lettres, et, en frappant la
dernière sur la case, j’écris le mot lumière. Vingt
points. »
La lumière jaillit et vient frapper les vitres à ce
moment de la journée, les oiseaux restés coincés
dans l'obscurité, soudain s'éveillent et décrivent
dans le ciel de belles lettres dorées pour exprimer
leur gaîté.
Encore une lettre de réclamation au percepteur.
Ce n’est pas le bon moment, mais je suis
coincée, je dois m’y mettre. Même si je ne suis
pas une lumière, il saura que mes propos sont
frappés au coin du bon sens.
« Victor était coincé dans sa tranchée. Coincé
mais heureux. Enfin un moment de lumière dans
cette grisaille guerrière. Il profitait de cet instant
pour lire une lettre de Marie. Ce pli n’avait pas
été frappé par la censure des hautes autorités ».
DEJEUNER SUR L’HERBE
Manet
Insouciance. Ils sont arrivés ensemble en
barque. Après son bain, la femme est restée nue
mais pudique et rêveuse, indifférente au discours
de l'homme au turban. Son regard et celui de
son amant se rejoignent à l'infini. Un moment
de détente. Pas de philosophie.
Le dernier métro – « Il serait temps de vous
rhabiller ma douce Clarisse. Nous allons rater le
métro. »
- Mais, cher Charles, nous prendrons le prochain
et irons dîner directement au Moulin. Profitez-
donc des derniers rayons du couchant !
Qui regarde qui ? « Mais qu’ont-ils donc à me
regarder ainsi. N’ont-ils jamais vu Dame
Nature ?
« Ils vous envient ma belle Hélène, engoncés
qu’ils sont dans leurs habits mouillés à arpenter
les salles du musée » !
La proposition du peintre
« Vous êtes merveilleuse avec votre peau de
pêche et votre chevelure rousse, voudriez-vous
poser comme modèle pour mon prochain
tableau ? »
« Qu'en pensez-vous Monsieur ? »
« C'est à elle de prendre la décision. Demandez à
son amie si cela l'intéresse ? Elle est brune, mais
d'une grande beauté également ».
« Je veux bien faire un essai.
Surprenante balade. Un dimanche, dans le parc
du bord de l’Elorn, je flânais. Des voix s’élevaient
derrière un bosquet touffu de céanotes. Des
rires de jeunes femmes répondaient aux
remarques de voix graves masculines. Je ne
compris pas clairement le sujet de la
conversation. Mais il semblait s’agir d’un débat
ordinaire :
« Ce sandwich au rosbif te donnera des couleurs
aux joues, chère amie ».
« Ce vin te fait dire n’importe quoi, Edouard !
Fabienne, ne reste pas à l’écart, viens près de
nous. Tu es peu vêtue, notre présence te
réchauffera ».
« Chut, écoutez, j’entends quelqu’un approcher.
Il faut que je me rhabille ».
« Ta grâce et ta nudité ne peuvent choquer
personne. » Ceci entendu, je fis demi-tour. Je ne
voulais pas gêner.
Instant donné, un temps sacré. Femme
recroquevillée et voilée, corps exposé… Dans sa
nudité, Jambes entremêlées … Dans la proximité.
Visages sereins … Main tendue pour dialoguer ?
Tout respire la sérénité, la complicité. Est-ce le
message annoncé ?
MON JARDIN
Le printemps explose, jonquilles, narcisses
primevères pointent leurs éclatantes corolles le
long des allées qui traversent le sous-bois. Les
timides violettes ainsi que les perce-neige et les
crocus tapissent le sol endormi par l'hiver.
Blancs, roses, rouges, les camellias surgissent çà
et là, majestueux, éclatants sous le soleil encore
timide, tandis que les giroflées odorantes
surprennent le visiteur.
C’est le jardin qui m’a plus d’abord. Il enserrait
la maison étroitement, semblant la protéger. Les
massifs de bruyère rose s’étalaient sous les
bouleaux et les rhododendrons envahissaient la
terrasse de leurs grosses fleurs parme. A droite,
les peupliers d’Italie se balançaient doucement
sous la brise printanière. Quelques marches
grimpaient le long de la maison, rejoignant le
bois à l’arrière. Les anémones des bois en un
large tapis blanc laissaient déjà apparaître les
clochettes bleues des jacinthes. Nous serions
heureux ici. Etait-il besoin de visiter la maison
pour s’en convaincre ?
Les roses de Noël, violacées comme des
aubergines, éclosent les premières, humbles
hellébores, perdues dans le parterre hivernal,
tandis que quelques soucis aux pétales oranges
un peu anachroniques, jouent les prolongations
estivales. Suivent crocus, minuscules taches
jaunes, blanches ou violettes, accompagnés
d’une rivière de bleus muscaris. Puis mars voit
éclore les jacinthes au parfum capiteux, suivies
des jonquilles et des narcisses qui illuminent la
pelouse carrée de leur lumière étincelante,
jouxtant les branches de forsythias qui ne
demandent qu’à s’épanouir …Plus modestes , les
primevères sauvages , écrues ou rosées,
accompagnent les pâquerettes et les boutons
d’or sur une herbe moussue… Les rameaux nus
du marronnier se couvrent de bourgeons
duveteux qui n’attendent que les premières
chaleurs printanières pour éclater et recouvrir
l’arbre d’un manteau verdoyant ! Tandis que le
camélia blanc se marie avec les camélias rouges
ou roses coordonnés au pommier du Japon, tout
de rouge vêtu … Puis viendra avril avec les
tulipes aux coloris chatoyants …C’est mon vrai
jardin, à la campagne, nature, un brin fouillis
…C’est mon jardin des souvenirs : fruit des
échanges de graines et de boutures, avec les
voisins, les amis. Et finalement c’est aussi un
peu mon jardin secret.
Le jardin était minuscule. Un simple carré de
terre d’à peine un m², à l’abri des framboisiers.
Grand-mère avait cédé à nos suppliques et nous
pouvions enfin planter nos haricots levés dans
une coupelle d’inox emplie de coton humide.
Mais l’été est arrivé et le jardin fut oublié. Les
vacances sous la tente, c’était drôlement plus
intéressant.
QUE VOIT L’HOMME EN ARRIVANT
SUR LA LUNE ?
Après un long voyage dans son vaisseau, John
s’applique à faire le nécessaire pour alunir pour
la première fois de sa vie. Tout est parfait. Les
indicateurs sont tous au vert. C’est prêt, il peut
se poser. C’est en douceur que l’opération s’est
faite, il craignait le contraire. Il suffit maintenant
d’ouvrir la porte, de descendre les marches de
l’échelle qui s’est automatiquement déployée. Il
descend, commence à marcher d’un pas souple.
Son regard se déplace dans l’infini. Quel est cet
objet? C’est rond et ça fait tic-tac. John s’écrie «
mon réveil ! ». Le réveil sonne et John se réveille.
Une bille de verre turquoise, fausse goutte d'eau dans un univers couleur cendre.
Il voit une pierre noire, des cailloux, un arbre
rachitique, une immensité désertique où il ne
ferait pas bon de vivre, trop désolant.
Une boucle de ceinture égarée par le cosmonaute – un autocollant décroché de la navette – un emballage de chewing-gum. .
Une masse confuse ondulant à l'infini...
Un oreiller, une plume, une balançoire, un
arrosoir, une chaussure pointure 56, une carte
routière.
Une pancarte où l’on peut lire une inscription en
cyrillique : « я былa здесь первой » signé la
chienne Laïka.
La plaque commémorative avec les signatures
des trois membres de la mission Apollo 11 et de
celle du président des États-Unis, Richard Nixon.
Une statuette, des miroirs, des balles de golf.
Année 2548. Après un long voyage, le dernier
homme de la terre arrive sur la lune où il doit
retrouver sa compagne et de nouveau perpétuer
la race. A l'arrivée du module, déception,
personne. Il ajuste son casque, descend
péniblement l'échelle et, s'engageant
délicatement pour un premier pas, glisse sur une
peau de banane. Devant lui, une montagne de
déchets. Point de femme. Point d'avenir ?
QUE FAIT NOE DEUX JOURS AVANT
LE DELUGE ?
Que dois-tu faire Noé ? Sauver des millions
d’individus. De quoi ? Du déluge. Bref, il explique
qu’il va y avoir un déluge dans deux jours et que
l’Etre Suprême, Celui qui fait tourner les boules
du Loto, l’a choisi pour sauver une paire de
chaque espèce d’animaux qui peuplent la Terre.
« Je dois les embarquer sur une arche à
l’embarcadère de Roscoff et voguer jusqu’à la
délivrance. « Ecoute Noé, non seulement tu as
été jouer au Loto mais je pense que tu as bu
quelques apéros! Allez, va te coucher! ».
Il pleut, il pleut ! C'est le réchauffement
climatique, l'eau des fleuves déborde, les glaces
fondent, des tsunamis envahissent les côtes.
Sauve qui peut ! L’arche est prête, gros navire de
bois rassurant, mais Noé est inquiet. Il ne peut
accepter tous les vivants et il a déjà trié. Il donne
des ordres : pressez-vous ! Les couples d'animaux
défilent sur la passerelle et Noé vérifie. N'a-t-il
pas oublié une espèce ? Sont-ils jeunes et en
bonne santé ? Les deux sexes sont-ils présents ?
Des humains affolés s'agrippent aux cordes
d'amarrage. Noé se laisse attendrir. Il hisse à
bord quelques couples et enfants qu'il joint à sa
grande famille. Plus loin, des hommes
clairvoyants ont aussi fabriqué des bateaux et
amassé des provisions pour quarante jours au
moins. Noé ne sera pas seul responsable du
repeuplement de la planète Terre. Il est rassuré.
Noé avait déjà rassemblé sa famille dans l'arche
car un rêve l’avait prévenu du déluge. Et les
gouttes de pluie se faisaient plus serrées. Il
vérifie que tous les siens sont à l’abri. Y a-t il de
quoi se nourrir Personne ne croit à ce danger, on
le prend pour un illuminé ? Il s'affaire à
rassembler un couple de chaque espèce
d'animaux passe tout en revue et délégué à
chaque membre son travail et son rôle à
l’intérieur de cette immense maison Déjà la
pluie tambourine sur le toit. ?
Une masse confuse ondulant à l'infini.
Noé ne savait plus où donner de la tête. Il
n'avait plus beaucoup de temps, et il lui fallait
choisir deux animaux de chaque race, alors qu'il
les aimait tous. Fallait-il tirer à la courte paille, où
se fier à son instinct et choisir les plus beaux, les
plus forts, les plus rapides ? Et personne ne
pouvait l'aider ! Déjà, il sentait les prémices du
déluge : le ciel noircissait, la montagne grondait,
l'eau s'infiltrait et bientôt elle envahirait tout son
espace. Lui aussi devait tout quitter : sa famille,
sa terre, sa maison, ses arbres, ses fleurs. Tout
cela lui faisait peur, mais c'était tellement
excitant, et surtout, il allait survivre lui !
Noé lève les yeux au ciel : il est bleu, sans faille.
Qui pourrait croire que ce ciel-là lâcherait sous
peu toute son eau, engloutirait les continents,
noierait déserts et oasis. Pour combattre le feu,
il y a l’eau, mais que faire contre l’eau ?
Heureusement, l’arche est finie. Dix ans pour la
construire. Il a fallu penser à tout, ne pas mettre
les prédateurs trop près du gibier, penser aux
réserves de nourriture. Un vrai casse-tête. Je les
ferai rentrer en rang par deux. A l’époque du rut,
ce ne sera pas triste. Et où mettre les petits ?
« Tu es sûr que ta liste est complète « ?
demande Néo, le jeune fils de Noé. Alors, se dit
Noé : j’ai les poux, les hiboux, les matous, les
caribous, les nandous, les mérous. Mais trop
tard pour les tatous.
Noé marche de long en large sous la pluie. Il se
dit en lui-même :
« Tout est prêt. Le bateau. Les animaux. Les
vivres. Pourquoi alors suis-je si inquiet ?
Trop lourde est ma responsabilité.
Et si j’échouais, si le bateau faisait naufrage, si
les animaux mouraient, si les vivres manquaient?
Trop grande est ma charge.
Et si l’eau montait encore et encore, si nous
finissions tous noyés, sans espoir de nous
accrocher au moindre petit îlot ? Trop cruelle
serait notre perte.
Alors, Noé, n’abandonne pas. Tu prépares
l’avenir, tu es l’avenir. L’avenir se souviendra de
toi ».
Noé, tout énervé, en rentrant chez lui s’écrie
-‘’ Ecoute ça Valentine : Je suis allé au bar faire
mon
Loto hebdomadaire.
- Comme d’hab Noé et alors ?
- Et alors !
- Oui et alors ?
- Ecoute un peu ça : Au comptoir il y avait un
drôle de type. Il m’a dit un truc délirant. Il m’a
dit que le gros lot j’allais le gagner. C’était sûr !
- C’est bien ça, rétorqua Valentine sur un ton
circonspect.
- Je te jure ! Il m’a dit que le gros lot j’allais le
gagner, il me suffisait d’y mettre un peu de
peine.
-Un peu de peine, comment ça ? a répondu
Valentine.
-Un p’tit boulot sans lézard.
Il fallait construire une arche au moins trois
étages, pour mettre à l'abri sa famille et les
convaincre de le suivre avec des paroles justes,
véritables, rassurantes, dans un langage
animalier, Noé donne le pouvoir de
communiquer entre eux pour annoncer la
nouvelle à chaque espèce d'animaux de se
rassembler en couple, pour la survie de
l'humanité.
Tranquillement, Noé consulte la liste de tous les
animaux convoqués pour le départ.
Minutieusement, il vérifie les caissons étanches
de l'Arche. Lentement, il ouvre ses mails pour le
suivi de sa commande de cirés jaune chez
Cotten. Satisfait, il appelle sa femme : « et
maintenant, on se le prend, ce café » ?
Deux jours avant le déluge, Noé construit un
bateau fermé, en forme de coffre : suffisamment
large et long. On l’appela l'Arche de Noé pour y
loger sa femme et ses enfants, collatéraux, des
amis, d'autres personnes, des provisions, ses
animaux : un couple de chaque race afin de
pouvoir repeupler la terre après le déluge. Il y
aurait bien d'autres choses à dire, mais ce fut
une belle aventure, lorsqu'il s'échoua sur le
mont Ararat.
Malheureuse prédiction, que va faire Noé ? Il ne
veut surtout pas que tout disparaisse, alors il se
précipite pour rassembler les animaux de toutes
les espèces, les grands, les petits, les féroces, les
dociles. Ou loger tout ce monde agité et
soucieux de son avenir ? Noé décide de
construire une arche qui saura les protéger.
Comment convaincre de l'efficacité de cette
entreprise? Noé sait trouver les mots qui
apaisent et donnent confiance. La traversée sera
longue dit-il, mais l'espérance et le salut seront
au rendez-vous.
Noé appelle un couple de chaque espèce
animale, dans l’ordre alphabétique et leur dit :
- Abyssin, autruche, avancez-vous,
- Boa, brebis, ne vous battez pas,
- « Canard, caméléon, caracolez,
- « Dindon, demoiselle, descendez,
- « épervier, escargot, embarquez,
-« Faon, flamant rose, foncez,
- « gorille, gnou, garez-vous,
- « hirondeau, hérisson, hâtez-vous,
- « iguane, impala, infiltrez-vous,
-« jaguar, jaco, joignez-vous ,
- « Koala, kangourou, ok,
- « Mouton, morse, maniez-vous,
- « Nandou, narval, nommez-vous,
- « Opossum, ouistiti, organisez-vous,
- « Puce, poney, partez,
-« Quetzal, quiscale, quittez,
- « Renne, rainette, ne restez pas,
- « Tatou, tapir, taillez-vous,
- « Urubu, unau, usinez,
- « Varan, vautour, venez,
- « Wapiti, whippet, en wagon,
- « Xiphophore, xylocope …x ,
-« Yack, yorkshire, youyou…youpie
-« Zébu, zèbre, ne zigzaguez pas trop …
La liste était longue. Noé ferma les portes.
Noé se réveilla brusquement. Le niveau de l’eau
avait continué à monter pendant la nuit. La pluie
tombait sans arrêter depuis plus d’une semaine.
Il regarde Sarah, qui dormait tranquillement à
côté de lui. La promesse de l’enfant à venir était
déjà bien visible. Il fallait se hâter. Derrière la
maison, sur la colline, les animaux
commençaient à s’agiter. Bêlements,
meuglements, aboiements se mêlaient. Demain,
après-demain au plus tard tout devait être prêt
pour le grand départ, le saut dans l’inconnu.
Trouverait-il un abri, un refuge, où tout
recommencer ? Assez tergiversé, il lui fallait sans
tarder vérifier la solidité de la passerelle pour
accéder à l’Arche. Au loin, il aperçut une meute
de loups qui se rassemblait. N’allaient-ils pas
dévorer ses frêles agneaux, ses petits veaux, ses
poussins et canetons ?
Allons, l’heure était venue. Il était temps de
larguer les amarres. Il réveilla Sarah, l’aida à
s’habiller. Il sortit, ouvrit l’enclos. Les bêtes
s’avancèrent deux par deux pour franchir la
passerelle. Il aida Sarah chargée de victuailles à
franchir les quelques mètres qui la séparaient de
l’Arche, puis largua les amarres. Les loups
hurlèrent à la mort.
COMME
Perdu comme le pain
Sérieux comme une pendule
Rouge comme un baiser
Désarmant comme un silence
Vif comme une truite
Emouvant comme des haillons.
Triste comme la pluie
Dur comme la pierre, le fer.
Sérieux comme un devoir de maths
Rouge comme le soleil couchant
Désarmant comme le pardon
Vif comme un enfant espiègle
Émouvant comme un cantique breton
Perdu comme le chagrin.
Tendre comme un gros shamallow
Gai comme un enfant devant le sapin de Noël
Blanc comme l’écume de la mer démontée
Sucré come le baiser de mon petits-fils
Moelleux comme la fourrure d’Effy.
Sérieux comme la loi, comme un cyprès. Rouge comme la honte, comme une fessée. Désarmant comme le mensonge. Vif comme la colère, comme une gifle. Emouvant comme la vérité, comme des haillons. Perdu comme l'espoir, comme un trou. Sérieux comme un maître d’école Rouge comme une rose écarlate, dans un vase soliflore.
Désarmant comme les répliques de ma petite fille, le soir, entre son papa et sa maman. Vif comme un esprit éclairé. Émouvant comme un adieu définitif sans remerciement. Perdu comme le temps qui passe inexorablement.
Dur comme :
L’eau glacée.
Le travail.
Un mur obscur.
La glace.
Ce regard.
La mort.
Sérieux comme un pape
Rouge comme un coquelicot
Désarmant comme un sourire
Vif comme un enfant
Emouvant comme un récit, un film un regard
Perdu comme un adversaire.
Sérieux comme un policier
Rouge comme les graines d'une grenade
Désarmant comme un bébé qui pleure
Vif comme le poisson dans le bassin
Emouvant comme l'amour des ados
Perdu comme un enfant à la sortie de l’école.
Sérieux comme un lecteur Rouge comme des lèvres pulpeuses Désarmant comme un sourire d'enfant Vif comme un vol d'oiseau Emouvant comme un vieux couple Perdu comme un nourrisson qui a faim
Emouvant comme
La naissance.
La vérité.
Un adieu définitif.
Un amour d’adolescent.
Un vieux couple, main dans la main.
Des haillons.
Le regard de ma chienne.
LA SOIREE ETAIT DOUCE ET PAISIBLE « Dans la brume électrique ». James Lee Burke
La soirée était douce et paisible, l’air chargé de
parfums de fleurs et d'herbe fraîchement
coupée. il restait trois semaines jusqu'au
diplôme de fin d'études et tous nous avions le
sentiment d'être peints de grâce légère,
convaincus que le printemps était une
symphonie juste pour nous. La peur du
lendemain, une pulsion de crainte au creux des
reins, la confirmation du rire d'une fille sous
l’ombre des cerisiers pareil à une caresse venant
éclater contre le ciel...
La soirée était chaude et bien avancée, l'air
chargé des parfums de fleurs et d'herbe
fraîchement coupée. Il restait trois semaines
jusqu'au diplôme de fin d'études, et tous, nous
avions le sentiment d'être peints de mille
couleurs, convaincus que le printemps était une
palette créée uniquement pour nous, L'aube, la
promesse du lendemain, une pulsion d'excitation
au creux des reins, la confirmation du rire d'une
fille sous l'ombre des peupliers, pareil à une balle
venant éclater contre le mur était assurément ce
qui nous était le plus précieux.
La soirée était oppressante et imprégnait l'air
chargé de parfums de fleurs et d'herbe
franchement coupée. Il restait trois semaines
jusqu'au diplôme de fin d'études et nous avions
le sentiment d'être peints de ridicule,
assurément convaincus que le printemps était
une symphonie crée artificiellement pour nous
L’espoir, la certitude du lendemain , une pulsion
de chaleur au creux des reins , la confirmation
du sourire d'une fille sous l'ombre des saules
pleureurs pareil à une évidence venant éclater
contre le contre-jour était assurément ce qui
nous était prédestiné.
La soirée était calme et douce, l'air chargé de
parfums de fleurs et d'herbe fraîchement
coupée. Il restait trois semaines jusqu'au
diplôme de fin d'études, et tous, nous avions le
sentiment d'être peints de couleurs
fluorescentes convaincus que le printemps était
une étape créée spécialement pour nous.
L'espoir, la perspective du lendemain, une
pulsion de vie au creux des reins, la confirmation
du sourire d'une fille sous l'ombre des pins
parasols, pareil à une grenade venant éclater
contre le silence, était assurément ce qui nous
était destiné.
La soirée était claire et chaude, l’air chargé des
parfums de fleurs et d'herbe fraîchement
coupée. Il restait trois semaines jusqu'au
diplôme de fin d'études, et tous, nous avions le
sentiment d'être peints de rouge carmin,
convaincus que le printemps était une aubaine
créée de senteurs pour nous. L’ingénuité, la
conviction du lendemain, une pulsion de désir au
creux des reins, la confirmation du visage d'une
fille sous l'ombre des chênes, pareil à une
tomate venant d'éclater contre le tronc était
assurément ce qui nous était agréable.
La soirée était douce et exquise, l’air chargé des
parfums de fleurs et d’herbe fraîchement
coupée. Il restait trois semaines jusqu’au
diplôme de fin d’études, et tous, nous avions le
sentiment d’être peints de couleurs
nostalgiques, convaincus que le printemps était
une saison créée exclusivement pour nous.
L’angoisse, la peur du lendemain, une pulsion
d’appréhension au creux des reins, la
confirmation du sourire d’une fille sous l’ombre
des marronniers, pareil à une grive venant
éclater contre le carreau, c’était assurément ce
qui nous était perturbant.