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Le Praticien en anesthésie réanimation (2009) 13, 305—308 VIE PROFESSIONNELLE Prévention des erreurs dans un système de soins Errors prevention in a health care system Christophe Baillard EA 3409, unité de surveillance continue, service d’anesthésie-réanimation, CHU Avicenne, 125, route de Stalingrad, 93009 Bobigny, France Disponible sur Internet le 21 aoˆ ut 2009 MOTS CLÉS Erreurs médicales ; Organisation du travail ; Médecine factuelle ; Évaluation des pratiques professionnelles Résumé Les systèmes de soins peuvent conduire à des erreurs actives ou latentes. La dégra- dation du système de soins conduit à une majoration des erreurs latentes (d’organisation) qui font le lit des erreurs actives (d’exécution). La recherche des erreurs doit être systématisée et obligatoire. La pratique médicale doit s’appuyer sur l’utilisation des données actualisées de la connaissance médicale qui se heurte à la difficulté à extraire la bonne information. L’évaluation des pratiques professionnelles contribue à la diffusion des recommandations de bonne pratique clinique basées sur l’analyse systématique des données scientifiques disponibles. © 2009 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. KEYWORDS Medical errors; Health care organization; Evidence-based medicine; Assessment of professional practices Summary Health care systems are prone to induce active or latent errors. Health care systems deterioration leads to an increase in the incidence of latent (management) errors that induce active (performing) errors. Errors must be systematically and obligatorily retrieved. Medical practice is supported by the best use of validated medical knowledge despite difficulty in finding appropriate information. Health care assessment contributes to the application of good clinical practices based on systematic review of available scientific evidences. © 2009 Published by Elsevier Masson SAS. Adresse e-mail : [email protected]. 1279-7960/$ — see front matter © 2009 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.pratan.2009.07.015

Prévention des erreurs dans un système de soins

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Le Praticien en anesthésie réanimation (2009) 13, 305—308

VIE PROFESSIONNELLE

Prévention des erreurs dans un système de soins

Errors prevention in a health care system

Christophe Baillard

EA 3409, unité de surveillance continue, service d’anesthésie-réanimation, CHU Avicenne,125, route de Stalingrad, 93009 Bobigny, France

Disponible sur Internet le 21 aout 2009

MOTS CLÉSErreurs médicales ;Organisation dutravail ;Médecine factuelle ;Évaluation despratiquesprofessionnelles

Résumé Les systèmes de soins peuvent conduire à des erreurs actives ou latentes. La dégra-dation du système de soins conduit à une majoration des erreurs latentes (d’organisation) quifont le lit des erreurs actives (d’exécution). La recherche des erreurs doit être systématisée etobligatoire. La pratique médicale doit s’appuyer sur l’utilisation des données actualisées de laconnaissance médicale qui se heurte à la difficulté à extraire la bonne information. L’évaluationdes pratiques professionnelles contribue à la diffusion des recommandations de bonne pratiqueclinique basées sur l’analyse systématique des données scientifiques disponibles.© 2009 Publie par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDS Summary Health care systems are prone to induce active or latent errors. Health care systems

Medical errors;Health careorganization;

deterioration leads to an increase in the incidence of latent (management) errors that induceactive (performing) errors. Errors must be systematically and obligatorily retrieved. Medicalpractice is supported by the best use of validated medical knowledge despite difficulty in finding

Evidence-basedmedicine;Assessment ofprofessional practices

appropriate information. Healthpractices based on systematic re© 2009 Published by Elsevier Ma

Adresse e-mail : [email protected].

1279-7960/$ — see front matter © 2009 Publie par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.pratan.2009.07.015

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ntroduction

u’est-ce qu’une mauvaise prescription ?

a prescription médicale est l’aboutissement d’un pro-essus qui s’inscrit dans le paradigme de la « médecineondée sur des preuves », (evidence-based medicine [EBM])1]. Si on considère une mauvaise prescription commen acte médical qui n’atteint pas l’objectif poursuivi, oneut l’assimiler à une erreur. Il convient d’analyser lesifférents constituants du processus ayant mené à la mau-aise prescription afin d’éviter sa répétition. L’évaluationes pratiques aide le prescripteur à rester, au besoinprès la mise en place de mesures correctives, dans lestandards de prescription définis par les référentiels pro-essionnels.

u’est-ce qu’une mauvaise habitude ?

ans un système en perpétuelle évolution, les habitudesnt vocation à desservir la qualité de la prescription à plusu moins brève échéance. Plus de la moitié des traite-ents prescrits par un médecin n’apparaissaient pas dans

e contenu de sa formation initiale qui requiert donc uneise à jour permanente. L’article 11 du Code de déontologieédicale rappelle : « Tout médecin doit entretenir et perfec-

ionner ses connaissances ; il doit prendre toutes dispositionsécessaires pour participer à des actions de formation conti-ue. Tout médecin participe à l’évaluation des pratiquesrofessionnelles. »

rreur de prescription

’analyse des causes et des mécanismes des erreursumaines a fait l’objet de nombreux ouvrages. Celui deeason, professeur de psychologie, est remarquable par salarté. Voici quelques extraits [2] :

« Quand on examine la contribution humaine aux catas-trophes dans les systèmes, il est important de distinguerdeux genres d’erreurs : les erreurs actives, dont leseffets se font ressentir presque immédiatement, etles erreurs latentes, dont les conséquences néfastespeuvent rester longtemps en sommeil dans le systèmeet ne se manifester qu’en se combinant avec d’autresfacteurs pour mettre en brèche les défenses du sys-tème. En général, les erreurs actives sont associées àl’activité des opérateurs qui sont « en première ligne »sur un système complexe : les pilotes, les contrôleurs dela navigation aérienne, les équipes de salle de contrôle,etc. Les erreurs latentes, en revanche, ont plutôt ten-dance à se développer à partir de l’activité de ceux quisont éloignés de l’interface de contrôle direct, à la foisdans le temps et l’espace : les concepteurs, les déci-deurs de haut niveau, les ouvriers qui construisent lessystèmes, les directeurs et le personnel de maintenance.

L’erreur active est facilement identifiée, par contre leserreurs latentes qui sont le plus souvent d’ordre orga-nisationnel sont plus subtiles, plus complexes et moinscompréhensibles : elles sont aussi plus dangereuses carplus difficiles à détecter et donc à corriger ». Ainsi « Les

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catastrophes sont rarement produites par une uniquegaffe fondamentale ».

Le décret de 1994 qui rend obligatoire la consulta-ion d’anesthésie et la visite préopératoire, le passageystématique des patients en salle de surveillance postin-erventionnelle (SSPI), la qualification du personnel au blocpératoire (IADE) et en SSPI (formation spécifique), ont lar-ement contribué à réduire la mortalité liée à l’anesthésie.n 20 ans, la mortalité attribuable en tout ou partie à’anesthésie a reculé d’un facteur 10 mais reste encoreistante des systèmes les plus sécurisés comme ceux de’aéronautique [3].

Toute dégradation du système de soin conduitinexorablement à la surexpression des erreurslatentes qui font le lit des erreurs actives avec

les conséquences dramatiques que l’on connaît.

« On parle de ‘‘ faute ’’ devant la constatation d’un échece planification, d’organisation. On parle de ‘‘ raté ou lap-us ’’ devant un échec d’exécution. Il existe ici un niveauognitif fondamentalement différent » à l’instar des respon-abilités.

acteurs favorisant les erreurs latentes

our qu’une erreur de prescription grave survienne dansn système complexe comme l’organisation des soins, ilaut qu’un certain nombre de verrous « sautent ». Ces ver-ous sont à ce point considérés comme très sûrs que leuréfaillance semble improbable au praticien en bout de lahaîne de soin, qui peut être amené à relâcher son atten-ion.

Un accident dramatique survenu récemment et dont lesournaux se sont fait l’écho, illustre malheureusement tropien cette situation : une infirmière délivre une solutione chlorure de magnésium mortelle à un enfant. L’enquêteévèle qu’elle a confondu cette solution avec du solutélucosé destiné à réhydrater l’enfant. La présentation deseux solutions est en apparence très proche. Le chloruree magnésium n’est habituellement jamais stocké avec leoluté glucosé. Le chlorure de magnésium n’est habituelle-ent pas disponible dans le service où travaille l’infirmière.

e chlorure de magnésium n’a jamais fait l’objet d’uneommande du service. Le chlorure de magnésium a donc étéivré, réceptionné, stocké et délivré par erreur. Les erreursatentes sont représentées ici par une négligence observéechaque étape de la chaîne. L’accident n’est pas le résultate la seule erreur d’administration mais aussi d’une succes-ion d’erreurs latentes. L’accident est donc la conséquencee plusieurs failles dans l’organisation du système de soins.

Dans les systèmes complexes, la multiplicitédes interventions et intervenants peut conduire

à la dilution des responsabilités.

Par ailleurs, en tant que simple maillon d’une chaîne deoins, il est facile de se convaincre qu’une erreur sera récu-érée par les chaînons suivants. Cette erreur d’appréciation

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Prévention des erreurs dans un système de soins

du risque peut être à l’origine d’une conduite négligente,résultante d’une balance vigilance/risque défavorable.

La tracabilité des actes réalisés dans une chaîne deproduction permet de responsabiliser chaque acteur enidentifiant chaque acte comme élément constitutif essen-tiel du système. Par ailleurs, la position des acteurs dansla chaîne de soins doit être suffisamment mobile pour per-mettre à tout à chacun d’appréhender les conséquencesd’une attitude négligente au niveau de chaque maillon. Enanesthésie, chaque médecin devrait alternativement occu-per les postes d’activités reconnues comme essentiellesen pré-, per- et postopératoire. Pourtant, on constateencore trop souvent une dichotomisation, parfois organi-sée et planifiée entre ce qui relève de la préparation etde la réalisation d’une activité interventionnelle réaliséesous anesthésie et de la prise en charge postintervention-nelle. Dans ces conditions, le praticien qui ne participe pasaux soins postopératoires n’est pas informé des conséquen-ces éventuelles de ces actes, qu’elles soient bénéfiques oudélétères. Le retour d’expérience, pierre angulaire de lapratique médicale, devient totalement inopérant. Le prati-cien devient également imperméable aux critiques émanantde sources qu’il considère non légitimes car ne participantpas à son activité. Ces conditions d’organisation du travailréunissent tous les éléments propices à la surexpression deserreurs latentes.

Contrairement aux actions non délibérées, décrites plushaut, la mauvaise prescription est une erreur délibérée dansle sens où le prescripteur est convaincu de bien faire. Cen’est pas une erreur d’exécution, mais plutôt une erreurde planification ce qui revient là aussi à une faute au senspsychologique du terme. Il existe une incohérence entre lesintentions préalables et les conséquences attendues. Dansle paradigme de l’EBM, la prescription ou décision médi-cale est issue de l’espace de recouvrement des donnéesde la recherche, de l’expérience clinique et des préfé-rences du patient : l’utilisation consciente, explicite etjudicieuse des meilleures données actuelles de la rechercheclinique dans la prise en charge personnalisée de chaquepatient.

Les données de la recherche sont désormais largementdiffusées et accessibles.

Le problème réside beaucoup plus dans ladifficulté à extraire la bonne information

nécessaire à la pratique médicale, c’est-à-direune donnée non seulement scientifiquement

valide mais aussi actualisée.

Le processus l’EBM, selon le modèle classique, comprendla formulation d’une question à partir d’un cas concret,la recherche d’une réponse dans la littérature médicale,l’analyse critique de cette littérature afin de trouver lameilleure réponse possible et son niveau de preuve etenfin l’application des résultats à la prise en charge du casconcret. Les obstacles qui se présentent au clinicien sont

nombreux et le plus souvent incontournables. On peut rete-nir le manque de temps et/ou de disponibilité et l’absencede formation méthodologique. Ce dernier point est capitaldans la mesure où cette démarche revient à l’élaborationde recommandations à partir de la littérature nécessitant

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ne méthodologie très stricte afin d’en assurer la validité.ans le cas contraire, le danger repose sur une mauvaise

nterprétation de la littérature conduisant à une pratiqueéviante. C’est ce risque que cherche à éviter le concepte l’EBM.

La mise en place d’un enseignement formalisé à la lec-ure critique d’article (LCA) dans les études médicales estrès récente et ne s’est pas fait sans difficulté puisqueette idée remonte aux années 1980 [4]. En France, ilura fallu attendre 2002 pour que cette question soitemise à l’ordre du jour avec la mise en place de’épreuve classante nationale (ECN). Muni d’un esprit scien-ifique critique, les étudiants ont désormais la capacité’appréhender précocement le concept EBM. Ce conceptonforte aussi les enseignants à fonder leurs enseignementsur les données médicales scientifiquement les mieux éta-lies.

Bien que l’on puisse s’attendre à ce que les plus jeunesoient mieux préparés, la pratique de l’EBM classiqueemeure difficile à envisager dans sa démarche globale.n réalité, le recours aux sources d’EBM secondaires estécessaire. Il s’agit d’utiliser des sources de documentséjà triés et analysés comme la Cochrane Library, certainsournaux comme l’EBM Journal, ou encore les rubriquespratiques » des journaux spécialisés. S’inscrivent aussi etajoritairement dans ce cadre les formations continues,

nseignements européens, congrès, enseignement post-niversitaire etc. Évidemment, tout repose sur la confiancettribuée à ses sources. Enfin, l’établissement de réfé-entiels professionnels est certainement la source d’EBMecondaire la plus élaborée sur lesquels le professionnelon seulement peut, mais doit adosser sa pratique. À cetgard, notre discipline n’est pas en reste avec plus de0 référentiels mis à la disposition des praticiens. Desfforts sont actuellement consentis pour améliorer leuriffusion et, comme on le verra plus loin, leur applica-ion.

étection des erreurs

a recherche des erreurs est une mesure salvatrice indispen-able. Nous prenons connaissance de nos erreurs lorsqu’ilxiste un écart entre l’effet produit par l’action et l’effetttendu. Encore faut-il que l’effet intervienne dans lehamp d’observation de l’opérateur. Par exemple, unerreur peranesthésique ayant un retentissement post-pératoire (ischémie myocardique favorisée par une nonransfusion par exemple) ne sera percue par l’opérateurue si son champ d’activité recouvre le postopératoire.a plupart des erreurs étant latentes et ne s’exprimantheureusement) pas, elles ne sont pas détectables sponta-ément.

Finalement, c’est une tierce personne qui leplus fréquemment découvre l’erreur.

En particulier, l’analyse des incidents intervenant danses systèmes complexes comme le nôtre montre que lesauvais diagnostics conduisant à la mauvaise prescription

e sont corrigés que par un « esprit neuf », c’est-à-dire ungent extérieur comme si l’acteur était dans l’incapacité

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e modifier son hypothèse initiale. Cette notion est fonda-entale puisqu’elle justifie d’appeler une aide extérieureevant un incident même si on pense pouvoir a priori y faireace.

Ces différents éléments conduisent à la notion que laecherche des erreurs doit être formalisée, systématique etbligatoire : décret du 3 octobre 1995 relatif à la sécuritées patients anesthésiés prévoyant une vérification du site’anesthésie avant utilisation sur un patient par exemple. Il’agit ici d’une fonction de contrainte (élément bloquant laoursuite du processus interventionnel) vécue parfois diffi-ilement.

Si la contrainte est parfois nécessaire, il n’en demeureas moins qu’il est préférable de s’approprier les instru-ents permettant d’améliorer sa pratique. L’évaluationes pratiques professionnelles (EPP) représente un desutils les plus élaborés dans ce domaine. Jusqu’à récem-ent, les efforts des professionnels étaient concentrés sur

’édition de recommandations alors que leur application’était peu, voire pas évaluée. L’accent est maintenantis sur la nécessité d’évaluer les pratiques profession-

elles au regard des recommandations existantes. Ennesthésie-réanimation, chaque thème de recommanda-ions fait désormais l’objet d’un référentiel d’EPP qui estonstruit dans la continuité de la rédaction des recomman-ations et mis à la disposition des professionnels. Chaqueraticien et/ou chaque équipe peut ainsi tester l’adéquation

ntre sa pratique et le référentiel, en repérer les écartst juger des corrections utiles à apporter. D’autres évalua-ions seront encore nécessaires pour juger de l’efficacitées corrections apportées et s’assurer de l’absence deérives.

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C. Baillard

onclusion

es mauvaises prescriptions doivent être appréhendées enonction de leur nature délibérée ou non. Les actions nonélibérées sont favorisées par une exécution routinièreans un contexte familier alors qu’intervient une capturettentionnelle autre que l’action en cours. Elles sont enénérale facilement détectables lorsque les conséquencese font immédiatement ressentir. La prévention est diffi-ile. Elle repose, entre autres, sur le respect des conditions’exercice, le refus de travailler dans un système dégradécontrainte), l’éviction de tout facteur favorisant la capturettentionnelle et de tout produit inutilement disponible à’opérateur. Les actions délibérées quant à elles relèvent’une intention inappropriée ou inadéquate. C’est certai-ement ici que le couple référentiel—EPP prend toute sonmportance.

éférences

1] Evidence-Based Medicine Working Group. Evidence-based medi-cine. A new approach to teaching the practice of medicine.JAMA 1992;268:2420—5.

2] Reason J. L’erreur humaine. Presses Universitaires de France ;1993.

3] Lienhart A, Auroy Y, Péquignot F, et al. Survey of anesthesia-related mortality in France. Anesthesiology 2006;105:1087—97.

4] Goulard, F. Évaluation de la mise en place de l’enseignementde la lecture critique d’article dans les facultés de médecine etopportunité de son intégration aux épreuves classantes natio-nales. In: Fagniez, PL. Rapport de mission au ministre déléguéà l’Enseignement supérieur et à la recherche, 2007.