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Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2014) 15, 232—238 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com FAITES LE POINT Prise en charge de la douleur chronique par la télémédecine : état des lieux et recommandations Management of chronic pain and telemedicine: Current situation and recommendations Alain Serrie Service de médecine de la douleur—médecine palliative, hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 10 75010 Paris, France Rec ¸u le 18 juillet 2014 ; rec ¸u sous la forme révisée le 23 juillet 2014 ; accepté le 30 juillet 2014 Disponible sur Internet le 26 septembre 2014 MOTS CLÉS Télémédecine ; Douleurs chroniques ; Accès aux soins ; Pluridisciplinarité ; Innovation Résumé La prise en charge de la douleur chronique à distance grâce aux outils de la télémé- decine permettrait de répondre à de multiples enjeux médicaux, sociétaux et économiques. La douleur touche près de 8,6 millions d’adultes en France, dont un tiers souffrirait de douleur sévère. Or, non traitée, la douleur chronique s’installe, devient de plus en plus difficile à gérer pour le patient qui voit ainsi sa qualité de vie diminuer. L’utilisation de la télémédecine pour- rait diminuer les délais de prise en charge au sein de structures spécialisées, diminuer la prise de traitements, diminuer les coûts pour les patients et les systèmes de santé, lutter contre les inégalités d’accès aux soins selon les zones géographiques. Ces arguments, en faveur de la télémédecine dans la prise en charge de la douleur chronique, sont soutenus par des données issues d’études internationales. Cependant, très peu intègrent des données franc ¸aises et très peu ont travaillé sur des données médico-économiques. Afin de pouvoir déployer efficacement les outils de télémédecine dans le domaine de la douleur, il s’agit maintenant de mettre en place des études rigoureuses sur les bénéfices de ces technologies par rapport aux groupes de patients ciblés et sur les économies potentielles par rapport aux investissements nécessaires. Ces données devront être utilisées pour définir un code clair de prise en charge de la télémé- decine par le système de santé, condition sine qua non pour un déploiement de cette nouvelle organisation de prise en charge de la douleur chronique. © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS. Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2014.08.001 1624-5687/© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

Prise en charge de la douleur chronique par la télémédecine : état des lieux et recommandations

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ouleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2014) 15, 232—238

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

AITES LE POINT

rise en charge de la douleur chronique para télémédecine : état des lieux etecommandations

anagement of chronic pain and telemedicine: Current situationnd recommendations

Alain Serrie

Service de médecine de la douleur—médecine palliative, hôpital Lariboisière, 2,rue Ambroise-Paré, 10 75010 Paris, France

Recu le 18 juillet 2014 ; recu sous la forme révisée le 23 juillet 2014 ; accepté le 30 juillet 2014Disponible sur Internet le 26 septembre 2014

MOTS CLÉSTélémédecine ;Douleurs chroniques ;Accès aux soins ;Pluridisciplinarité ;Innovation

Résumé La prise en charge de la douleur chronique à distance grâce aux outils de la télémé-decine permettrait de répondre à de multiples enjeux médicaux, sociétaux et économiques.La douleur touche près de 8,6 millions d’adultes en France, dont un tiers souffrirait de douleursévère. Or, non traitée, la douleur chronique s’installe, devient de plus en plus difficile à gérerpour le patient qui voit ainsi sa qualité de vie diminuer. L’utilisation de la télémédecine pour-rait diminuer les délais de prise en charge au sein de structures spécialisées, diminuer la prisede traitements, diminuer les coûts pour les patients et les systèmes de santé, lutter contreles inégalités d’accès aux soins selon les zones géographiques. Ces arguments, en faveur de latélémédecine dans la prise en charge de la douleur chronique, sont soutenus par des donnéesissues d’études internationales. Cependant, très peu intègrent des données francaises et trèspeu ont travaillé sur des données médico-économiques. Afin de pouvoir déployer efficacementles outils de télémédecine dans le domaine de la douleur, il s’agit maintenant de mettre enplace des études rigoureuses sur les bénéfices de ces technologies par rapport aux groupes depatients ciblés et sur les économies potentielles par rapport aux investissements nécessaires.Ces données devront être utilisées pour définir un code clair de prise en charge de la télémé-decine par le système de santé, condition sine qua non pour un déploiement de cette nouvelle

organisation de prise en charge de la douleur chronique.© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

Adresse e-mail : [email protected]

http://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2014.08.001624-5687/© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.

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Prise en charge de la douleur chronique par la télémédecine 233

KEYWORDSTelemedicine;Chronic pain;Access to care;Multidisciplinary;Innovation

Summary Remote management of chronic pain using telemedicine tools could address num-ber of medical, social and economic issues. Pain affects approximately 8.6 million adults inFrance, of whom one third suffer from severe pain. If left untreated, chronic pain settles andit becomes even more difficult for the patient to manage it, with the result that patient’squality of life disimproves. The use of telemedicine could shorten the time required to accessspecialized medical care, decrease the care consumption, reduce treatment costs for patientsand health care systems and help tackle access to care disparities, which exist between dif-ferent regions. These arguments in favor of telemedicine in the management of chronic painare supported by international survey outcomes. However, very few of them integrate Frenchdata or medico-economic assessments. In order to efficiently roll out telemedicine (tools) inpain management, rigorous studies must be set up to assess the benefits of telemedicine intargeted patient groups presenting with chronic pain and to evaluate potential cost reductionscompared to the required investments. The data should be used to define clear managementguidelines for the financing of telemedicine by the public health system, a prerequisite for thedeployment of this new chronic pain management organization.© 2014 Published by Elsevier Masson SAS.

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nprpamtde pionnière.

Abréviations

ARS agence régionale de santéBPCO broncho-pneumopathie chronique obstructiveDGOS direction générale de l’offre de soinsEHPAD établissements d’hébergement pour personnes

âgées dépendantesHAS Haute Autorité de santéHPST hôpital, patients, santé, territoiresNTIC nouvelles technologies de l’information et de la

communicationOCDE Organisation de coopération et développement

économiqueOMS Organisation mondiale de la santéPIB produit intérieur brutRCP réunion de concertation pluridisciplinaire

Introduction : essor de la télémédecine

L’usage des nouvelles technologies dans le domaine de lamédecine répond à de multiples enjeux économiques, socié-taux et organisationnels. Dans son rapport 2012, l’OMSqualifie les technologies de la santé comme : un outil essen-tiel au fonctionnement d’un système de santé. Au sein deces technologies rassemblées sous le terme de « e-santé » seretrouvent pêle-mêle le dossier médical partagé, les logi-ciels d’aide à la prescription, la carte vitale, le dossierpharmaceutique, les programmes d’éducation, le systèmed’information hospitalier, la télésanté et la télémédecine.

La télésanté désigne la transmission

d’informations santé en général sans acte

médical.dd

Composante de la télésanté, la télémédecine est, quant elle, la capacité à fournir des services de santé/soinsédicaux de facon interactive, en utilisant les nouvelles

echnologies de l’information et de la télécommunication.a télémédecine est une pratique médicale qui met en rap-ort entre eux par la voie des nouvelles technologies unatient avec un ou plusieurs professionnels de santé dontn professionnel médical ou bien plusieurs professionnels deanté entre eux, parmi lesquels figure au moins un profes-ionnel médical. Elle permet d’accélérer l’accès aux soins,e compenser l’inégale répartition des professionnels sur leerritoire national, de désengorger les hôpitaux, de partici-er à la maîtrise des dépenses de santé. Elle inclut :la téléconsultation, lorsqu’un professionnel de santédonne un avis médical à distance, exposé par un patientdemandeur ;la téléexpertise, où un radiologue, biologiste ou spécia-liste interprète à distance des examens complémentaires(biologie, imagerie. . .) ;la télésurveillance, où le déroulement d’actes médicauxtechniques ou des traitements subis par le patient àdomicile ou dans une structure de soins est surveillé àdistance ;la téléassistance qui permet la connexion possible entreplusieurs professionnels de santé pour échanger rapide-ment sur le problème d’un patient.

Ces nouvelles organisations permettent aux profession-els de santé d’établir un diagnostic, d’assurer pour unatient à risque un suivi préventif ou thérapeutique, deequérir un avis spécialisé, de préparer une décision théra-eutique, de prescrire des produits, des prestations ou desctes, ou encore de surveiller l’état des patients. Actuelle-ent, le domaine le plus en pointe dans l’intégration de ces

echnologies est la télécardiologie où la France fait figure

Les appareils implantés transmettent automatiquementes informations à heure fixe dans la journée —– apparitione troubles du rythme cardiaque, stimulations délivrées par

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’appareil, état de la pile, état des sondes —– sur un siteue peut consulter le médecin traitant. En cas de modi-cations particulières, le médecin peut être prévenu par-mail, SMS ou fax. La télésurveillance permet d’alléger leuivi en ne maintenant que les rendez-vous utiles, de libéreru temps de consultation pour les nouveaux patients implan-és et de limiter les déplacements et le temps d’attente poures patients.

Le livre blanc de la télécardiologie publié en juin 2008apporte les résultats de différentes études, [1] qui ontémontré une amélioration du suivi des patients, ainsi quees économies importantes avec la diminution des consul-ations, à la fois pour le système de santé et pour le patienttransport, temps. . .). Mais des outils simples comme deservices de délivrance de courts messages au patient sur sonéléphone mobile ont également démontré leur efficacitéans la prise en charge du diabète, de la BPCO (broncho-neumopathie chronique obstructive) et dans l’arrêt duabac [2].

n climat favorable à l’essor de laélémédecine

a télémédecine se déploie car les enjeux pour les systèmese santé sont stratégiques et multiples : économiques,émographiques et organisationnels. Les experts mettentn avant l’amélioration de la qualité des soins avec unuivi automatisé plus régulier, une rationalisation du tempsédical et une réduction du coût des soins avec moins de

ransport, une hospitalisation à domicile, et une rationali-ation des urgences.

La télémédecine incarne ainsi une réponse aux défis quie posent au système de soins. Les obstacles à sa misen place disparaissent progressivement, avec en France laréation d’un cadre juridique, ainsi qu’un cadre normatifnternational pour assurer l’interopérabilité. Les connais-ances et les résultats obtenus sont de plus en plusmportants. Au-delà de ces constats, la société est en forteppétence pour les NTIC fiables, ergonomiques et simples’utilisation. La France est considérée comme le 3e marchén Europe pour la télémédecine.

adre juridique et financement

’article 32 de la loi 13/08/2004 donne la définition de laélémédecine : « acte médical sous le contrôle et la respon-abilité d’un médecin en contact avec le patient par desoyens de communication appropriés ». Un pas supplémen-

aire est franchi avec la loi HSPT du 21 juillet 2009 (siteu ministère de la Santé dédié à la télémédecine). L’article8 reconnaît la télémédecine comme une pratique médi-ale à distance mobilisant des technologies de l’informationt de la communication, sans se substituer aux pratiquesédicales actuelles. Cette définition figure désormais dans

’article L6316-1 du Code de la santé publique.En 2014, la loi de financement de la sécurité

ociale a prévu d’expérimenter le financement d’actes deélémédecine dans neuf régions pilotes : l’Alsace, la Basse-

ormandie, la Bourgogne, le Centre, la Haute-Normandie,

e Languedoc-Roussillon, la Martinique, les Pays de la Loiret la Picardie (communication du ministère de la Santé du6 mai 2014). Ces expérimentations concerneront autant les

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A. Serrie

abinets libéraux ou les centres de santé (médecine de ville)ue les structures médico-sociales comme les maisons deetraite. Les patients pris en charge dans le cadre de cesxpérimentations bénéficieront de consultations à distancee médecins spécialistes. Pour financer cette mise en place,es ARS puiseront dans le budget alloué, soit 26 millions’euros en 2011, avec 14,4 millions pour cibler en priorité’imagerie, la santé des personnes détenues, les maladieshroniques, les soins en structure médico-sociale ou hos-italisation à domicile et 11,6 millions pour 13 ARS dans larise en charge de l’accident vasculaire cérébral.

mpacts attendus du déploiement de laélémédecine

a télémédecine constitue un facteur clé d’amélioration dea performance de notre système de santé.

Le patient voit ainsi sa prise en chargeadaptée, et les délais d’attentes raccourcis.

La fréquence et la durée des hospitalisations diminuent.es hospitalisations à domicile ou les prises en charge desatients au sein de structures médico-sociales augmententour un plus grand confort des patients et des coûts infé-ieurs. Les professionnels de santé ont des outils pour mieuxe coordonner entre le premier et le second recours, et neont plus isolés dans certaines zones. Les décisions théra-eutiques sont prises par des équipes pluridisciplinaires.

Les pouvoirs publics ont avec la télémédecine un levier’optimisation de l’organisation des soins pour les ARS, unutil de maintien de présence des dispositifs sanitaires deualité dans les zones sous-denses et un outil de préventione complication pour les patients de maladies chroniques.

éploiement actuel de la télémédecine enrance

a télémédecine a commencé à se déployer en France. En011, la direction générale de l’offre de soins (DGOS) duinistère de la Santé a établi un état des lieux des pro-

ets de télémédecine en France à travers un recensementes projets connus par les 26 ARS. Parmi ces projets, 114ont effectifs et opérationnels. Ces programmes s’inscriventans les priorités nationales de santé publique et parmi elleslus spécifiquement, le champ des maladies chroniques eta permanence des soins en imagerie.

À titre d’exemple, l’ARS Île-de-France a choisi de soute-ir 14 projets dont 3 concernent les personnes âgées résidantn EHPAD, fragiles, peu mobiles et difficilement transpor-ables. Ces projets —– Télégéria, TMG 91 et e-Vline —–ettent en relation une cinquantaine d’EHPAD et cinq éta-lissements de santé au plan régional avec des activitése téléconsultation et téléexpertise dans des spécialitésarticulièrement adaptées aux pathologies du grand âge

cardiologie, médecine vasculaire, neurologie, psychiatrie,ermatologie. . .).

Plusieurs expérimentations en France ont démontré lesains possibles de la mise en place de la télémédecine :

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Prise en charge de la douleur chronique par la télémédecine

• Diabeo : application smartphone pour le suivi des patientsdiabétiques ;

• Calydial : télésurveillance des patients en insuffisancerénale via un stylo communicant ;

• SCAD : suivi à domicile des patients en insuffisance car-diaque via un terminal à domicile ;

• OncoPL : visioconférence pluridisciplinaire sur le cancerentre médecins situés à distance.

Ces quatre expérimentations ont été réalisées sur unpetit nombre de patients, moins de 300 sauf pour OncoPL.Les gains identifiés sont nombreux et mesurables avec uneréduction de la mortalité, une meilleure qualité des soinset un meilleur accès aux soins, une plus grande coopérationdes professionnels et des gains de productivité, une réduc-tion du nombre d’hospitalisation, une baisse des durées deséjours, et la réduction des actes ou tests redondants, unemeilleure égalité régionale (communication de l’ARS Île-de-France, avril 2013).

Si la France se classe au 3e rang des pays de l’OCDE enmatière de dépenses de santé, en consacrant près de 12 % deson PIB (220 milliards d’euros), seul 0,05 % sont effectuéesau titre de la télémédecine [3].

Technologies et modèles d’organisation

Les briques technologiques de la télémédecine existentdéjà dans d’autres industries : défense, télécommunica-tions, divertissement [2]. La réalité augmentée, seriousgames, réseaux sociaux, nanotechnologies : toutes ces tech-nologies peuvent être transposées pour favoriser la prise encharge des maladies chroniques, y compris la douleur.

Plusieurs modèles existent pour la mise en place d’unréseau de télémédecine, le plus répandu implique desmécanismes « store and forward » et des technologies quifacilitent les contacts directs avec des spécialistes consul-tants ou des patients. Chaque modèle possède ses atoutset ses limitations. Depuis 2002, le projet ECHO (extensionfor community healthcare outcomes) mené par l’universitédu Nouveau-Mexique est l’un des exemples de l’utilisationde la télémédecine pour que des spécialistes donnent leuravis sur le traitement de maladies complexes et chro-nique, comme la douleur, sur des patients dans des zonesrurales [4]. Le médecin en charge du patient présente le caset l’équipe ECHO procure les recommandations thérapeu-tiques. Ce modèle a démontré son efficacité dans plusieursmaladies chroniques comme l’hépatite C. Autre modèle pos-sible : un médecin d’un site généraliste va s’adresser à uncentre spécialiste qui le conseille sur la prise en charge. Ouencore, le service de télémédecine s’adresse directementau patient qui est chez lui.

Télémédecine et douleurs : encore peu detravaux

La prise en charge de la douleur chronique est particu-lièrement adaptée à l’utilisation de la télémédecine. La

douleur est un véritable enjeu de santé publique, cri-tère de qualité et d’évolution d’un système de santé. Sicertaines maladies aiguës sont devenues chroniques avecles progrès de la médecine, elles entraînent quelquefois

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235

es douleurs rebelles, sources d’incapacités, de handicaps,’invalidité et d’altérations majeures de la qualité de vie5]. Les résultats de l’enquête STOPNET réalisée sur la popu-ation générale francaise en 2004 montrent que 31,7 % des4 497 personnes de plus de 18 ans interrogées ont des dou-eurs chroniques quotidiennes. Une catégorie particulière– âge moyen (50—64 ans), travail manuel et habitation enone rurale —– est particulièrement touchée par la douleurhronique avec des caractéristiques neuropathiques [6].

Une étude réalisée en 2012 sur 15 000 personnes en a,uant à elle, identifié 17 % (2614 personnes) indiquant avoirrésenté une douleur au cours du mois précédent, dont7 % d’entre elles une douleur sévère. Ces personnes sontajoritairement des femmes, plutôt âgées, souffrant de

roubles musculo-squelettiques, préférentiellement locali-és au niveau du rachis [7]. L’extension de ces chiffres àa population globale francaise souligne la prévalence trèsmportante de la douleur en France qui toucherait près de,6 millions de personnes adultes.

Une douleur est dite chronique dès lorsqu’elle est persistante ou récurrente (le plus

souvent au-delà de 6 mois), qu’elle répond malau traitement et qu’elle induit une

détérioration fonctionnelle et relationnelle [8].

Ces douleurs sont par exemple des lombalgies, des cépha-ées chroniques quotidiennes, des douleurs arthrosiques etusculo-squelettiques, des neuropathiques chroniques. . . Larise en charge de ces douleurs nécessite la collaboratione plusieurs spécialistes de disciplines différentes. Or unerande partie d’entre elles ne sont pas traitées à cause d’unerop grande distance avec un spécialiste de la douleur, oulors pour des raisons économiques, sociales. . .

Non traitée, la douleur chronique va grandir et diminuereu à peu la qualité de vie du patient. L’Association inter-ationale pour l’étude de la douleur préconise de ne pasttendre plus de 8 semaines avant la prise en charge de laouleur chronique, or en étudiant plus de 3000 patients trai-és, la Canadian Pain Society Wait Times Task Force a mis envidence un délai d’attente de plus de six mois [8].

Une synthèse de la HAS, publiée en avril 2009, sur larise en charge de la douleur chronique indique des délais’attente pour obtenir un rendez-vous dans une structurepécialisée de 3 à 4 mois [9].

L’utilisation de la télémédecine pourrait lever un cer-ain nombre des barrières dressées entre les patients etes professionnels de santé qui sont à même de prendre enharge ces douleurs chroniques. Et pourtant, elle reste trèseu envisagée, ce qui se reflète dans le nombre d’articlescientifiques associant télémédecine et douleurs.

Seuls 38 articles ont été publiés entre 2000 et 2013 sure thème de la douleur et la télémédecine, essentielle-ent dans deux revues : Pain et Journal of telemedecine

nd telecare. Les équipes de chercheurs à l’origine de cesublications sont majoritairement localisées en Amérique

u Nord, au Royaume-Uni, en Suède, aux Pays-Bas. En étu-iant plus précisément les articles publiés en 2011, McGearyt al. [8] ont identifié 14 164 références pour la téléméde-ine, 104 564 pour la douleur et en croisant les deux termes,
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cèdent depuis 1998 (1998—2000, 2002—2005, 2006—2010), à

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eulement 32 articles. Ce même type de recherche, en juin014, sur le site pubmed.gov, en croisant les termes « pain »t « telemedecine » affiche 131 articles entre 2010 et 2014,émontrant un intérêt croissant des professionnels de santéour ce thème. Cependant, tous ces articles, s’ils apportentes preuves de l’intérêt de la télémédecine dans le mana-ement de la douleur, sont encore souvent insuffisammentobustes et comportent peu de données francaises.

Une revue publiée en 2010 par une équipe du Centreour la recherche en douleur de l’université de Bath, auoyaume-Uni, dresse les différentes composantes de la télé-anté et leur utilité dans le management de la douleur [2].es développements en technologies de l’information ontortement augmenté l’accès aux informations concernant laouleur, mais sans garantie de qualité ou d’avoir des infor-ations récentes. Les téléphones et des approches basées

ur le web ont été utilisés comme support à la délivrance deédicaments. Les avancées des dispositifs électroniques en

ermes de stockages, de mobilité. . . ont profité à la mesuree la douleur, avec des dispositifs facilement utilisables pares patients et les professionnels de santé. Les donnéeseuvent être collectées en temps réel, avec moins de biaist d’erreurs.

Plusieurs expérimentations ont permis de rassembler unnsemble de données en faveur de la télémédecine pourérer la douleur chronique [8]. L’une d’entre elles a mon-ré la même efficacité de l’éducation du patient à gérer sarise en charge de la douleur qu’elle soit faite par une infir-ière en personne, par téléphone ou par des programmes

élévisés. D’autres que l’ajout de programmes Internet oumartphones en complément d’une prise en charge classiqueugmentait les résultats obtenus [8].

Par exemple, un programme appelé TIVR pour thera-eutic interactive voice response —– un outil basé sur leéléphone —– a été testé aux États-Unis lors d’une étudeandomisée sur 51 patients souffrant de douleur chroniqueusculo-squelettique afin d’examiner si l’utilisation de cet

util pouvait aider à réduire l’utilisation d’analgésiques et’opioïdes [10]. Le groupe de patients ayant inclus ce pro-ramme en plus des soins classiques a vu une diminutione l’utilisation des analgésiques opioïdes au bout de 4 et

mois, 21 % des patients ayant même arrêté leur traite-ent. Contrairement au groupe témoin qui avait quant à

ui augmenté cette utilisation.Une étude américaine publiée dans JAMA en 2010 menée

ur plus de 400 patients —– Indiana Cancer Pain and Depres-ion (INCPAD) —– a testé la mise en place d’une gestionentralisée de la prise en charge de la douleur et/ou dea dépression combinée avec de la télémédecine pour faci-iter la prise en charge de ces patients dans tout l’État [11].ne infirmière formée aux symptômes spécifiques et auxéponses thérapeutiques était chargée de suivre les patientsar téléphone (semaines 1, 4 et 12) et d’ajuster leur prise enharge si nécessaire. Un point était réalisé chaque semainevec un psychiatre spécialiste de la douleur. En plus dees rendez-vous programmés, un contact était établi avece patient si les données rentrées par le patient par télé-hone ou internet sur son niveau de dépression ou douleur,es effets secondaires, la non-observance du traitement. . .

éclenchaient une alerte. Les résultats de l’essai cliniquent montré une amélioration significative de la douleur ete la dépression, ceci sur une grande surface géographique

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A. Serrie

vec des patients urbains ou ruraux, en couplant des inter-ctions humaines et technologiques.

Toutes ces études produisent des arguments clairs enaveur de l’utilisation de la télémédecine dans la gestion dea douleur mais avec des limitations : pas d’analyse écono-ique, pas d’études randomisées. . . Une des seules étudesédico-économiques existantes est une étude canadienneubliée en 2009, randomisée, croisée sur 26 patients qui aomparé les consultations classiques versus la télémédecineour la prise en charge des douleurs chroniques [12]. Lesuteurs mettent en avant la non-adéquation entre la distri-ution de la population, et celle des centres de traitementsultidisciplinaires de la douleur (MPTF), ce qui rendraitarticulièrement pertinent la mise en place de la télémé-ecine. En effet, si 20 % de la population canadienne viventn zone rurale, seulement 2 % des MPTF sont localisés danses mêmes zones rurales. L’étude a été réalisée sur uneériode de 18 mois, où les patients ont inscrits leurs coûtsirects et indirects liés aux déplacements, ainsi que leurscores de douleur quotidiens et la satisfaction éprouvéear rapport à la consultation avec le médecin. Les critères’inclusion étaient une douleur chronique de plus de 6 mois,ans pathologie associée pouvant être corrigée et sans avoiresoin d’examens complémentaires physiques, et une dis-ance du centre supérieure à 100 km. Des modèles de coûtsnt été créés pour tenir compte des coûts directs, indi-ects, fixes et variables, ce qui a permis de réaliser desnalyses de rentabilité. Les coûts considérés rassemblentes trajets, la perte de productivité et les coûts médicauxirects. Résultats : les patients qui ont eu des consulta-ions sous format télémédecine sont plus satisfaits du formatue ceux des consultations classiques (56 % de très satis-aits versus 24 %) et ce pour un coût moindre (133 dollarsn coûts moyens versus 443 dollars). Cette étude peut êtrerise comme base pour déterminer les patients cibles et leseuils (volume annuel de patients, distance de déplacement,rix de l’essence. . .) intéressants pour mettre en place desrogrammes de télémédecine.

rise en charge de la douleur en France

es limitations d’activités professionnelles ou domestiquesu fait de la douleur sont importantes chez 6 % des personnese 25—64 ans, 15 % des 65—84 ans et 33 % des personnes de5 ans et plus [13].

Le soulagement de la douleur est reconnucomme un droit fondamental du malade depuisla loi du 4 mars 2002 et est inscrit, à ce titre,

dans le Code de la santé publique.

Son article L1110-5 précise : « Toute personne a le droite recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-cioit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise enompte et traitée » [14].

Des plans nationaux de lutte contre la douleur se suc-

’initiative des pouvoirs publics, afin de cibler des actions etes publics prioritaires. Le projet du 4e programme national013—2017 insistait sur la nécessité d’améliorer l’évaluation

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Prise en charge de la douleur chronique par la télémédecine

de la douleur et la prise en charge des patients en sensibili-sant les acteurs de premier recours : pharmaciens d’officine,médecins, infirmières et kinésithérapeutes libéraux et pro-fessionnels des urgences hospitalières. Il insistait égalementsur le fait de pouvoir garantir la prise en charge de la dou-leur que le patient soit à domicile ou en EHPAD. Enfin, ilcomptait faciliter la définition de la douleur par le patient.Ce 4e plan n’a pour l’instant pas été mis en place.

Les structures spécialisées prennent en charge les dou-leurs chroniques et sont toutes hébergées en établissementde santé et labellisées par les agences régionales de santé(ARS).

Deux niveaux de structures spécialisées douleur chro-nique (SDC) existent :• les consultations d’une part, qui assurent une prise en

charge pluriprofessionnelle, c’est-à-dire une prise encharge en équipe (médecin, infirmier, psychologue) ;

• les centres d’autre part, qui réalisent une prise en chargemédicale pluridisciplinaire, c’est-à-dire plusieurs méde-cins de différentes spécialités (neurologue, psychiatre,orthopédiste, etc.).

Bienfaits attendus de la prise en charge dela douleur par la télémédecine en France

Les bienfaits attendus de l’utilisation de la télémédecinepour la prise en charge de la douleur chronique sont ceuxdéjà mis en évidence dans les différentes études citées. Leraccourcissement des délais de consultation qui est actuelle-ment de 3 mois en moyenne est un des objectifs à atteindre.Ce délai est mal supporté par les patients qui n’ont pendantce laps de temps aucun contact avec les professionnels dela prise en charge de la douleur.

Les outils de la télémédecine permettent également desuivre les effets secondaires des patients, d’avoir des discus-sions en temps réel avec eux et de visu (via outils internet),de leur prodiguer des conseils, de suivre les effets béné-fiques des traitements et au besoin de les adapter sansattendre une nouvelle consultation. Les liens entre patientset médecins sont renforcés avec comme conséquence uneamélioration de la prise en charge et de la qualité de viedes patients.

Ces outils de télémédecine sont particulièrement adap-tés à la prise en charge des neuropathies, des fibromyalgieet des douleurs du dos. Ils peuvent également permettre unaccès aux protocoles plus rapide dans le cadre des essais cli-niques. Les RCP (réunion de concertation pluridisciplinaire)pourraient être également réalisées par télémédecine, cequi simplifierait la gestion des emplois du temps de chaqueprofessionnel et accélèreraient leur mise en place.

Une étude, en cours de publication (Faivre J.C. et al.),a analysé les attentes de la population francaise dans ledéveloppement de la télémédecine pour la prise en chargede la douleur. Grâce à un questionnaire envoyé par Inter-net auprès de 800 personnes représentant la populationgénérale francaise, l’équipe a montré que l’adhésion auconcept de la téléconsultation en général et appliquée à la

douleur reste faible, même si les personnes consultées iden-tifient bien les avantages (éviter les consultations médicalesinutiles en urgences, obtenir une orientation plus rapide surla conduite à tenir, impossibilité de se déplacer, besoin de

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oulagement rapide. . .). Néanmoins, cette adhésion est bienlus importante en cas de consultation programmée chezes patients douloureux chroniques et/ou de sexe mascu-in et/ou de plus de 50 ans. Un des freins à l’adhésion desersonnes est l’inquiétude face à la gestion de la confiden-ialité des données et face à la limitation liée aux erreursechniques.

onclusion : recommandations pour saise en place

i les bénéfices à retirer de l’usage de la télémédecineans la prise en charge de la douleur chronique ont déjàté démontrés par de nombreuses études, il manque néan-oins aujourd’hui des études claires sur les bénéfices de

es technologies par rapport aux patients ciblés pour affi-er le modèle et sur les économies réalisées au regard desnvestissements dans les technologies. Le déploiement dees technologies doit se faire en gardant comme objectife bénéfice attendu pour le patient et non pas le plaisir àévelopper la technologie.

Les limites de la diffusion de la télémédecine peuventtre multiples : le coût d’installation des technologies, lesocaux à dédier, le temps à libérer pour les spécialistes. . .

ais certains auteurs pointent également du doigt leanque de démonstrations claires et robustes des béné-ces de la télémédecine par rapport aux visites classiqueséalisées en face à face. Une étude publiée en 2010 a ana-ysé 7 essais cliniques ou plus de 800 patients avaient éténclus [15]. Ils concluent que même si ces études ont étéien menées, aucune ne montrait de bénéfices évidents dea télémédecine ni n’intégrait d’analyses économiques. Lesuteurs mettaient en avant le besoin de mener dans ceomaine des essais randomisés et d’évaluer les différentesechnologies.

Il est nécessaire de construire une étudepilote médico-économique en regardant lalocalisation géographique, les technologiesutilisées, les caractéristiques du système desanté où ces technologies sont utilisées et le

volume des patients.

Cette étude doit s’inscrire dans le cadre du Plan Douleur.es données devront être utilisées pour définir un code claire prise en charge de la télémédecine par le système deanté, condition sine qua non pour un déploiement de cetteouvelle organisation de prise en charge.

éclaration d’intérêts

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.

éférences

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