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© Masson, Paris, 2004. Gastroenterol Clin Biol 2004;28:C73-C76 Frank ZERBIB Service d’Hépato-Gastroentérologie, Hôpital Saint-André, Bordeaux. RÉSUMÉ La dyspepsie induite par les AINS est fréquente, puisque 10 à 30 % des patients sous AINS ont des symptômes de dyspepsie qui motivent l’interruption du traitement dans 5 à 15 % des cas. Les AINS inhibiteurs sélectifs de COX-2 semblent mieux tolérés que les AINS non sélectifs. L’infection par Helicobacter pylori ne semble pas influencer la tolérance digestive des AINS. La recherche et le traitement de cette infection ne se justifient que chez les patients avec antécédents d’ulcère gastro-duodénal. Il n’existe pas de corrélation étroite entre la présence de symp- tômes de dyspepsie et l’existence de lésions muqueuses gastro- duodénales. Le recours à l’endoscopie digestive haute n’est donc pas systématique et sera proposé uniquement en cas de symptômes résistant au traitement empirique de première inten- tion ou en cas de signes faisant craindre une complication en particulier hémorragique. Le traitement de choix de la dyspep- sie induite par les AINS est représenté par les inhibiteurs de la pompe à protons. SUMMARY Treatment of NSAIDs related dyspepsia Frank ZERBIB (Gastroenterol Clin Biol 2004;28:C73-C76) NSAIDs-induced dyspepsia occurs in 10 to 30% of patients treated with NSAIDs, leading to discontinuation of treatment in 5 to 15%. Gastrointestinal tolerability of COX-2 selective inhibitors is better than for non-selective NSAIDs. Helicobacter pylori infection does not influence gastrointestinal tolerability of NSAIDs. Therefore, patients should not be tested and treated for H. pylori infection unless they have a history of peptic ulcer. Symptoms of NSAIDs-induced dyspepsia are poorly correlated with gastroduodenal mucosal damage. Therefore, upper gas- trointestinal endoscopy should be performed only if symptom relief is not achieved with the first line empirical treatment and/or if symptoms suggestive of complications, such as bleed- ing, develop. Proton pump inhibitors appear to be the treatment of choice for NSAIDs-induced dyspepsia. C73 Correspondance : F. ZERBIB, Service d’Hépato-Gastroentérologie, Hôpital Saint-André, 33075 Bordeaux Cedex. Tél. : 05 56 79 58 06, Fax : 05 56 79 47 81 E-mail : [email protected] ABRÉVIATIONS : H. pylori : Helicobacter pylori. COX-2 : cyclooxygénase-2. IPP : inhibiteurs de la pompe à protons. AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens. Anti-H 2 : antagonistes des récepteurs H 2 de l’histamine. Prise en charge de la dyspepsie chez les patients traités par AINS L es complications digestives, essentiellement gastro-duo- dénales (hémorragies et perforations), des anti-inflam- matoires non stéroïdiens (AINS) représentent un pro- blème de santé publique. Les données concernant la dyspepsie induite par ces traitements sont plus difficiles à analyser, car elles reposent sur des critères symptomatiques mal définis. Le rôle de l’infection par Helicobacter pylori (H. pylori) et l’intérêt potentiel des nouveaux AINS, inhibiteurs sélectifs de la cyclooxygénase-2 (COX-2) représentent les domaines qui ont fait l’objet des études les plus récentes. Symptômes digestifs au cours des traitements par AINS Généralités Comme pour les troubles fonctionnels digestifs, évaluer la prévalence des manifestations digestives au cours des traite- ments par AINS pose le problème de la définition de la “dys- pepsie”. Une méta-analyse rapporte que dans la littérature, 110 termes différents ont été utilisés pour décrire les symptômes digestifs “hauts” survenant sous AINS [1]. Le terme de dyspep- sie est donc mal défini et peut regrouper des manifestations en rapport avec des lésions organiques (ulcère, reflux gastro- œsophagien) ou non et ainsi engendrer des confusions dans l’analyse des résultats observés. Le terme de dyspepsie est par- fois utilisé avant l’endoscopie pour regrouper l’ensemble des symptômes digestifs survenant sous AINS. Dans d’autres cas, le terme de dyspepsie ne sera utilisé que chez les patients chez qui l’existence d’une lésion organique aura préalablement été éli- minée par une endoscopie. En l’absence de définition claire de la dyspepsie sous AINS, nous nous placerons dans cette revue, sauf précision contraire, dans le cadre plus général des patients qui ont des symptômes digestifs “hauts” sous AINS avant la réa- lisation d’une endoscopie. Le questionnaire SODA (Severity of Dyspepsia Assessment) a été récemment validé dans une population présentant des symptômes dyspeptiques sous AINS [2]. Ce questionnaire, ini- tialement validé dans une population de patients souffrant de dyspepsie non explorée (avant endoscopie), a été utilisé dans plusieurs études randomisées comparant le célécoxib à d’autres AINS non sélectifs. Au total, près de 4 000 patients ont été inclus dans ces études qui ont permis de confirmer la fiabilité, la sensibilité et la reproductibilité de ce questionnaire pour évaluer

Prise en charge de la dyspepsie chez les patients traités par AINS

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© Masson, Paris, 2004. Gastroenterol Clin Biol 2004;28:C73-C76

Frank ZERBIBService d’Hépato-Gastroentérologie, Hôpital Saint-André, Bordeaux.

RÉSUMÉLa dyspepsie induite par les AINS est fréquente, puisque 10 à30 % des patients sous AINS ont des symptômes de dyspepsiequi motivent l’interruption du traitement dans 5 à 15 % des cas.Les AINS inhibiteurs sélectifs de COX-2 semblent mieux tolérésque les AINS non sélectifs. L’infection par Helicobacter pylori nesemble pas influencer la tolérance digestive des AINS. Larecherche et le traitement de cette infection ne se justifient quechez les patients avec antécédents d’ulcère gastro-duodénal. Iln’existe pas de corrélation étroite entre la présence de symp-tômes de dyspepsie et l’existence de lésions muqueuses gastro-duodénales. Le recours à l’endoscopie digestive haute n’estdonc pas systématique et sera proposé uniquement en cas desymptômes résistant au traitement empirique de première inten-tion ou en cas de signes faisant craindre une complication enparticulier hémorragique. Le traitement de choix de la dyspep-sie induite par les AINS est représenté par les inhibiteurs de lapompe à protons.

SUMMARYTreatment of NSAIDs related dyspepsiaFrank ZERBIB

(Gastroenterol Clin Biol 2004;28:C73-C76)

NSAIDs-induced dyspepsia occurs in 10 to 30% of patientstreated with NSAIDs, leading to discontinuation of treatment in5 to 15%. Gastrointestinal tolerability of COX-2 selectiveinhibitors is better than for non-selective NSAIDs. Helicobacterpylori infection does not influence gastrointestinal tolerability ofNSAIDs. Therefore, patients should not be tested and treated forH. pylori infection unless they have a history of peptic ulcer.Symptoms of NSAIDs-induced dyspepsia are poorly correlatedwith gastroduodenal mucosal damage. Therefore, upper gas-trointestinal endoscopy should be performed only if symptomrelief is not achieved with the first line empirical treatmentand/or if symptoms suggestive of complications, such as bleed-ing, develop. Proton pump inhibitors appear to be the treatmentof choice for NSAIDs-induced dyspepsia.

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Correspondance : F. ZERBIB, Service d’Hépato-Gastroentérologie,Hôpital Saint-André, 33075 Bordeaux Cedex.Tél. : 05 56 79 58 06, Fax : 05 56 79 47 81E-mail : [email protected]

ABRÉVIATIONS :H. pylori : Helicobacter pylori.COX-2 : cyclooxygénase-2.IPP : inhibiteurs de la pompe à protons.AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens.Anti-H2 : antagonistes des récepteurs H2 de l’histamine.

Prise en charge de la dyspepsie chez les patients traités par AINS

Les complications digestives, essentiellement gastro-duo-dénales (hémorragies et perforations), des anti-inflam-matoires non stéroïdiens (AINS) représentent un pro-

blème de santé publique. Les données concernant la dyspepsieinduite par ces traitements sont plus difficiles à analyser, carelles reposent sur des critères symptomatiques mal définis. Lerôle de l’infection par Helicobacter pylori (H. pylori) et l’intérêtpotentiel des nouveaux AINS, inhibiteurs sélectifs de lacyclooxygénase-2 (COX-2) représentent les domaines qui ontfait l’objet des études les plus récentes.

Symptômes digestifs au cours des traitements par AINS

Généralités

Comme pour les troubles fonctionnels digestifs, évaluer laprévalence des manifestations digestives au cours des traite-ments par AINS pose le problème de la définition de la “dys-pepsie”. Une méta-analyse rapporte que dans la littérature,110 termes différents ont été utilisés pour décrire les symptômes

digestifs “hauts” survenant sous AINS [1]. Le terme de dyspep-sie est donc mal défini et peut regrouper des manifestations enrapport avec des lésions organiques (ulcère, reflux gastro-œsophagien) ou non et ainsi engendrer des confusions dansl’analyse des résultats observés. Le terme de dyspepsie est par-fois utilisé avant l’endoscopie pour regrouper l’ensemble dessymptômes digestifs survenant sous AINS. Dans d’autres cas, leterme de dyspepsie ne sera utilisé que chez les patients chez quil’existence d’une lésion organique aura préalablement été éli-minée par une endoscopie. En l’absence de définition claire dela dyspepsie sous AINS, nous nous placerons dans cette revue,sauf précision contraire, dans le cadre plus général des patientsqui ont des symptômes digestifs “hauts” sous AINS avant la réa-lisation d’une endoscopie.

Le questionnaire SODA (Severity of Dyspepsia Assessment)a été récemment validé dans une population présentant dessymptômes dyspeptiques sous AINS [2]. Ce questionnaire, ini-tialement validé dans une population de patients souffrant dedyspepsie non explorée (avant endoscopie), a été utilisé dansplusieurs études randomisées comparant le célécoxib à d’autresAINS non sélectifs. Au total, près de 4 000 patients ont étéinclus dans ces études qui ont permis de confirmer la fiabilité, lasensibilité et la reproductibilité de ce questionnaire pour évaluer

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les symptômes dyspeptiques dans cette population. L’utilisationde questionnaires validés devrait, à l’avenir, être systématiquepour évaluer la tolérance digestive des AINS sélectifs ou non.

AINS non sélectifs

Si la prévalence des troubles digestifs en général est proba-blement plus importante, on considère actuellement que 10 à30 % des patients sous AINS ont des symptômes digestifs quali-fiés de dyspeptiques et que 5 à 15 % interrompent leur traite-ment à cause de ces symptômes [3, 4]. De plus, ces symptômesjustifient fréquemment la co-prescription d’anti-sécrétoires gas-triques : ainsi, dans une population de patients âgés de plus de65 ans, la consommation de traitements anti-ulcéreux est de 10à 15 %, plus importante en cas de prise d’AINS [5].

La difficulté d’attribuer des symptômes dyspeptiques à laprise d’AINS est illustrée par les résultats de la méta-analyse deStraus et al. [1]. En utilisant une définition relativement restric-tive de la dyspepsie (termes signalant une douleur ou inconfortépigastrique), cette étude montre que les AINS augmententsignificativement le risque de dyspepsie de 36 %. Inversement,en utilisant des définitions moins strictes, incluant des manifesta-tions telles que le pyrosis, les nausées, les ballonnements, l’ano-rexie ou les vomissements, l’association avec la prise d’AINS neressortait pas de manière significative par rapport au placebo.

En dehors de la situation où les symptômes digestifs appa-raissent après prescription médicale d’AINS, il faut savoirrechercher la prise de ces traitements, souvent en automédica-tion, chez des patients présentant des manifestations dyspep-tiques. Ainsi, plusieurs études ont montré que dans la populationgénérale, les AINS sont responsables de manifestations dyspep-tiques [6-8], même si ces études sont parfois discordantes pource qui concerne les rôles respectifs de l’aspirine et des AINS [7].Dans l’étude de Moayyedi et al. incluant plus de 8 000 patients,les AINS ressortent comme un facteur étiologique indépendantde dyspepsie chez 4 % des patients [6].

Inhibiteurs sélectifs de COX-2

Plusieurs études contrôlées randomisées ont montré que lesAINS inhibiteurs sélectifs de COX-2, célécoxib et rofécoxib,avaient une moindre toxicité gastro-duodénale que les AINSnon sélectifs. L’avantage des AINS sélectifs porte principalementsur les lésions gastro-duodénales et leurs complications (ulcères,hémorragies digestives, perforations) [9-12].

La plupart des études font également état d’une meilleuretolérance digestive des AINS inhibiteurs sélectifs de COX-2 parrapport aux AINS non sélectifs, tant pour les manifestations dys-peptiques [11, 13-16] que pour les autres troubles digestifscomme la diarrhée [13, 16]. Dans l’étude de Emery et al., le tauxd’interruption du traitement pour effets indésirables digestifs était3 fois plus important sous diclofénac que sous célécoxib (16 vs6 %, p < 0,001) [9]. Toutefois, parmi les troubles digestifs rap-portés, seules les douleurs abdominales étaient significativementmoins fréquentes (11 vs 21 %, p < 0,05), la prévalence de la“dyspepsie” étant identique dans les deux groupes (respective-ment 10 et 13 %). Les définitions des différents syndromes n’étantpas précisées dans l’article publié, ce résultat illustre la difficultéd’interprétation des symptômes digestifs évalués dans ces études.

Symptômes digestifs et lésions muqueuses

Il n’existe pas de corrélation entre symptômes dyspeptiqueset lésions muqueuses. Des lésions érosives gastro-duodénalessont mises en évidence chez 40 % des patients asymptoma-

tiques, alors qu’inversement, 50 % des patients avec dyspepsieont une muqueuse normale en endoscopie [4]. Dans l’étude deSingh et al., 81 % des patients présentant une complicationgastro-intestinale sévère des AINS n’avaient eu aucun symp-tôme dyspeptique auparavant [3]. Les taux de complicationschez les patients symptomatiques et asymptomatiques étaientrespectivement de 2,7 % et 2 %. Une étude récente, menée chezdes patients dyspeptiques et des sujets sains, a confirmé quel’apparition des symptômes dyspeptiques sous aspirine étaitindépendante des lésions muqueuses [17]. L’évaluation parbarostat de la sensibilité gastrique à la distension a montré quel’aspirine élevait les seuils de sensibilité gastrique chez lespatients asymptomatiques, alors qu’elle était sans effet chez lessujets qui développaient des symptômes. Il n’y avait aucun effetde l’aspirine sur la vidange gastrique des solides [17].

Ces résultats, sous réserve qu’ils puissent être extrapolés auxAINS autres que l’aspirine, montrent que les symptômes de dys-pepsie ne sont pas dus aux lésions muqueuses, mais plutôt à desmodifications de la sensibilité viscérale. La présence d’une dys-pepsie ne peut donc être utilisée pour décider de la réalisationd’une endoscopie digestive haute.

Rôle de d’infection par Helicobacter pylori

Les relations complexes entre AINS et infection par H. pylo-ri ont fait l’objet de nombreuses controverses qui ne seront pasabordées dans ce chapitre. Ces controverses concernent essen-tiellement la physiopathologie des lésions muqueuses induitespar les AINS et l’impact de l’éradication d’H. pylori sur la cica-trisation des ulcères et l’apparition de complications ulcéreuses.

Les choses semblent plus claires en ce qui concerne le rôlede H. pylori dans la tolérance digestive des AINS. Plusieursétudes de prévalence, y compris les plus récentes, n’ont pas per-mis d’identifier l’infection par H. pylori, le plus souvent dia-gnostiquée par une sérologie, comme facteur de risque de mau-vaise tolérance digestive des AINS [18-20]. Jusqu’à présent,toutes ces études ont concerné les AINS non sélectifs. La tolé-rance digestive de l’aspirine prescrite aux doses de 80 à100 mg par jour pour la prévention du risque cardio-vasculaire,n’est pas non plus influencée par la séropositivité vis-à-vis deH. pylori [21].

Plusieurs études d’intervention ont été publiées, évaluant l’in-térêt de l’éradication de H. pylori pour améliorer la tolérancedigestive des AINS. Une étude multicentrique française, menéeen médecine générale, a évalué l’impact à court terme de l’éra-dication de H. pylori sur la tolérance digestive des AINS [22]. Àla deuxième semaine de traitement, la tolérance digestive étaitmoins bonne dans le groupe de patients ayant reçu le traitementd’éradication que dans le groupe placebo, essentiellement enraison des diarrhées induites par les antibiotiques. À 6 et12 semaines, la tolérance digestive des AINS était identiqueaprès traitement d’éradication et placebo chez les patientsH. pylori-positifs et chez les patients H. pylori-négatifs. Lesconclusions d’une autre étude française multicentrique sont simi-laires, bien que tous les patients de cette étude aient reçu en plusde l’oméprazole pendant toute la durée du traitement [23].Seuls les résultats de l’étude de Labenz sont discordants [24]. Lespatients infectés par H. pylori ont été traités par diclofenac pen-dant 5 semaines avec en début de traitement une randomisationattribuant du placebo, de l’oméprazole seul, un traitementd’éradication seul de 7 jours (oméprazole, amoxicilline, clary-thromycine), ou un traitement d’éradication puis de l’omépra-zole pendant toute la durée de traitement anti-inflammatoire. Laprévalence des symptômes dyspeptiques était significativement

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plus importante dans le groupe placebo (19,9 %) que dans tousles autres groupes traités (10 à 12 %). L’évaluation de l’intensitédes symptômes sur une échelle visuelle analogique démontraitune efficacité plus importante des protocoles d’éradication deH. pylori (seuls ou associés à l’oméprazole) par rapport à l’omé-prazole seul et au placebo. Il est intéressant de noter que danscette étude, la probabilité de développer des symptômes dys-peptiques sous AINS était deux fois plus importante en cas desymptômes digestifs présents avant le début du traitement (27,9vs 14,9 %).

Traitement de la dyspepsie au cours des traitements AINS

Les antagonistes des récepteurs H2 de l’histamine (anti-H2)

L’efficacité des anti-H2 pour soulager les symptômes dyspep-tiques liés aux AINS a été démontrée par plusieurs études [25,26]. Toutefois, dans une étude, il a été suggéré que les patientsavec polyarthrite rhumatoïde asymptomatiques sous AINS etanti-H2 avaient un risque significativement plus important dedévelopper des complications [3]. Cet effet paradoxal, qui n’acependant pas été retrouvé dans d’autres travaux, pourrait êtreexpliqué par le fait que ces traitements seraient efficaces pourobtenir le soulagement symptomatique, mais insuffisammentefficaces pour la cicatrisation d’éventuelles lésions ulcéreusesqui pourraient ainsi évoluer vers les complications.

Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP)

La supériorité de l’oméprazole sur la ranitidine [27] et lemisoprostol [28] pour le traitement de la dyspepsie associéeaux traitements par AINS a été démontré dans 2 études ran-domisées dont les objectifs principaux étaient d’évaluer la pré-vention des ulcères gastro-duodénaux. Une étude a montré quela qualité de vie des patients traités par AINS était meilleuresous oméprazole que sous misoprostol [29]. Au cours d’uneétude randomisée récente dont le critère principal portait sur laprévention des ulcères gastro-duodénaux, l’efficacité du lanso-prazole pour la prévention de la dyspepsie induite par lesAINS a également été démontrée : elle confirme la supérioritédu lansoprazole 15 mg et 30 mg sur le misoprostol 200 microget le placebo [30]. Les IPP ont l’avantage d’être plus efficacespour la prévention et la cicatrisation des ulcères gastro-duodé-naux et représentent donc probablement le traitement de choixdes manifestations dyspeptiques survenant sous AINS*.

Recommandations pratiques

Nous ne disposons, à ce jour, d’aucun texte d’experts ou deconsensus précisant la définition de la dyspepsie sous AINS etles règles de sa prise en charge.

En pratique, par analogie avec la dyspepsie fonctionnelle, ladyspepsie liée à la prise d’AINS peut être définie par la pré-sence de symptômes (douleurs ou inconfort) au niveau de larégion épigastrique. La présence de signes de dyspepsie devraitêtre recherchée systématiquement avant d’entreprendre un trai-tement par AINS. Si ces symptômes sont présents, les recom-

mandations concernant l’indication d’une endoscopie (prise encompte de l’âge, de symptômes d’alarme) devraient être appli-quées avant la mise en route du traitement.

La prévention des lésions ulcéreuses gastro-duodénalesinduites par les AINS est abordée dans un autre chapitre de cenuméro. Dans la seule perspective de la prévention des mani-festations dyspeptiques induites par les AINS, il est difficile dedéfinir une population de patients à risque susceptible de béné-ficier d’un traitement préventif. Néanmoins, le bon sens peutrecommander de prescrire systématiquement un traitement anti-sécrétoire gastrique, si possible un IPP, chez des patients ayantdéjà présenté de tels symptômes préalablement. De même, laprésence de symptômes avant le début du traitement semblepouvoir justifier la co-prescription d’anti-sécrétoires d’emblée.La prescription d’un AINS inhibiteur sélectif de COX-2 peut éga-lement se concevoir dans ces cas, bien que cette attitude n’aitpas été validée à ce jour.

D’après les données de la littérature, il ne semble pas indiquéde rechercher et éventuellement de traiter une infection parH. pylori avant de prescrire un traitement par AINS pour en amé-liorer la tolérance digestive. Toutefois, les études randomiséesdisponibles ne fournissent que des résultats à 6 ou 12 semaines.Si le patient a des antécédents personnels d’ulcère gastro-duo-dénal lié ou non à la prise d’AINS, une infection par H. pyloridoit recherchée, par test invasif (endoscopie) ou non invasif (testrespiratoire ou sérologie) et éventuellement traitée.

En cas d’apparition de symptômes dyspeptiques au coursd’un traitement par AINS, la réalisation d’une endoscopie diges-tive haute ne saurait être systématique en raison de l’absence decorrélation étroite entre symptômes et lésions muqueuses. Un trai-tement “empirique” par anti-sécrétoires gastriques, principale-ment par IPP à simple dose peut être proposé d’emblée. Il sembleraisonnable de ne proposer l’endoscopie qu’aux patients pré-sentant des symptômes résistant aux traitements symptomatiques,ou des symptômes pouvant faire craindre une complication : dys-phagie, méléna, hématémèse, anémie, etc. Au cours de l’endo-scopie, la recherche d’une infection par H. pylori sera systéma-tique en cas d’ulcère gastro-duodénal.

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* À ce jour, en France, aucun IPP ne possède d’indication relative à la dys-pepsie liée aux AINS.

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