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Prise en charge des neuropathies périphériques par le praticien Andreas Steck Neurologische Klinik, Universitätsspital Basel CABINET Forum Med Suisse 2009;9(15–16):300–303 300 et thérapeutique de ces affections neurologiques [1]. Rappelons que les polyneuropathies se dis- tinguent par la symétrie des troubles neurolo- giques et leur prédominance distale. L’atteinte porte sur les divers types de fibres sensitives, mo- trices ou encore végétatives. Seront abordées dans cet article les polyneuropathies les plus fré- quentes en excluant le groupe important des neuropathies compressives par enclavement ou par compression radiculaire. Symptomatologie On distingue des symptômes sensitifs, comme les paresthésies, des symptômes douloureux ou des troubles de l’équilibre lors d’atteinte du sens pos- tural. Les paresthésies et les douleurs souvent à prédominance nocturne sont les plaintes les plus fréquentes. Une atteinte motrice fréquente est celle qui touche les releveurs du pied qui se tra- duit cliniquement par un steppage. Des crampes musculaires se rencontrent également dans les neuropathies motrices. Les symptômes neuro- végétatifs comprennent les malaises orthosta- tiques, les troubles mictionnels, les diarrhées et les éventuels troubles trophiques. Approche diagnostique en cas de suspicion de neuropathie En cas de suspicion de neuropathie, l’interro- gatoire et l’examen clinique comprennent les élé- ments suivants [2]: un interrogatoire de recherche étiologique (tab. 1 p ), un examen général (tab. 2 p ), un status pour objectiver la présence de signes de neuropathie (tab. 3 p ), un bilan biologique (tab. 4 p ). Neuropathies fréquentes La neuropathie du diabète Le diabète est souvent associé à une neuropathie et à une dysautonomie. Les différentes formes cliniques comprennent: Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article à la page 291 ou sur internet sous www.smf-cme.ch. Quintessence # Les polyneuropathies se distinguent par la symétrie des troubles neuro- logiques et leur prédominance distale. # En cas de suspicion de neuropathie, l’interrogatoire et l’examen clinique comprennent les éléments suivants: – un interrogatoire de recherche étiologique, – un examen général, – un status pour objectiver la présence de signes de neuropathie, – un bilan biologique. # Les causes fréquentes de neuropathies sont: le diabète, les carences en vita- mines (vitamine B12), l’alcool, les médicaments et l’insuffisance rénale. # Il est important que le médecin non spécialiste puisse, par un guide simple de dépistage et d’orientation, suspecter une pathologie du nerf périphérique et prendre les mesures de première intention. Summary Management of peripheral neuropathies by the family physician # Polyneuropathies are characterized by the symmetry of the neurological symptoms and their predominantly distal localization. # If a neuropathy is suspected the approach to the patient and clinical evaluation comprise the following: taking of a history to establish aetiology, physical examination, status evaluation to establish whether signs of neuropathy are objectively present, laboratory tests. # Frequent causes of neuropathies are diabetes, vitamin deficiencies (B12), alcohol, medication and renal failure. # It is important for the family physician to be equipped, through simple screen- ing tests and guidelines, to suspect a peripheral nerve pathology and administer primary care. Introduction L’objectif de ce travail est d’orienter le praticien sur les manifestations cliniques d’une polyneuro- pathie et de discuter de la démarche diagnostique

Prise en charge des neuropathies périphériques

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Page 1: Prise en charge des neuropathies périphériques

Prise en charge des neuropathies périphériquespar le praticienAndreas SteckNeurologische Klinik, Universitätsspital Basel

CAB INET Forum Med Suisse 2009;9(15–16):300–303 300

et thérapeutique de ces affections neurologiques[1]. Rappelons que les polyneuropathies se dis-tinguent par la symétrie des troubles neurolo-giques et leur prédominance distale. L’atteinteporte sur les divers types de fibres sensitives, mo-trices ou encore végétatives. Seront abordéesdans cet article les polyneuropathies les plus fré-quentes en excluant le groupe important desneuropathies compressives par enclavement oupar compression radiculaire.

Symptomatologie

On distingue des symptômes sensitifs, comme lesparesthésies, des symptômes douloureux ou destroubles de l’équilibre lors d’atteinte du sens pos-tural. Les paresthésies et les douleurs souvent àprédominance nocturne sont les plaintes les plusfréquentes. Une atteinte motrice fréquente estcelle qui touche les releveurs du pied qui se tra-duit cliniquement par un steppage. Des crampesmusculaires se rencontrent également dans lesneuropathies motrices. Les symptômes neuro-végétatifs comprennent les malaises orthosta-tiques, les troubles mictionnels, les diarrhées etles éventuels troubles trophiques.

Approche diagnostique en casde suspicion de neuropathie

En cas de suspicion de neuropathie, l’interro-gatoire et l’examen clinique comprennent les élé-ments suivants [2]:– un interrogatoire de recherche étiologique

(tab. 1 p),– un examen général (tab. 2 p),– un status pour objectiver la présence de signes

de neuropathie (tab. 3 p),– un bilan biologique (tab. 4 p).

Neuropathies fréquentes

La neuropathie du diabèteLe diabète est souvent associé à une neuropathieet à une dysautonomie. Les différentes formescliniques comprennent:

Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article à la page 291 ou sur internet sous www.smf-cme.ch.

Quintessence

Les polyneuropathies se distinguent par la symétrie des troubles neuro-logiques et leur prédominance distale.

En cas de suspicion de neuropathie, l’interrogatoire et l’examen cliniquecomprennent les éléments suivants:

– un interrogatoire de recherche étiologique,

– un examen général,

– un status pour objectiver la présence de signes de neuropathie,

– un bilan biologique.

Les causes fréquentes de neuropathies sont: le diabète, les carences en vita-mines (vitamine B12), l’alcool, les médicaments et l’insuffisance rénale.

Il est important que le médecin non spécialiste puisse, par un guide simplede dépistage et d’orientation, suspecter une pathologie du nerf périphérique etprendre les mesures de première intention.

SummaryManagement of peripheral neuropathiesby the family physician

Polyneuropathies are characterized by the symmetry of the neurologicalsymptoms and their predominantly distal localization.

If a neuropathy is suspected the approach to the patient and clinical evaluationcomprise the following:

– taking of a history to establish aetiology,

– physical examination,

– status evaluation to establish whether signs of neuropathy are objectivelypresent,

– laboratory tests.

Frequent causes of neuropathies are diabetes, vitamin deficiencies (B12),alcohol, medication and renal failure.

It is important for the family physician to be equipped, through simple screen-ing tests and guidelines, to suspect a peripheral nerve pathology and administerprimary care.

Introduction

L’objectif de ce travail est d’orienter le praticiensur les manifestations cliniques d’une polyneuro-pathie et de discuter de la démarche diagnostique

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évidence d’une atteinte précoce des fibres depetit calibre.

– une forme asymétrique, focale ou plurifocale.La neuropathie crânienne se manifeste parune atteinte des nerfs oculomoteurs III ouVI, rarement le nerf facial. La radiculoplexo-pathie lombosacrée (amyotrophie diabétique)présente un syndrome douloureux lombocru-ral à prédominance nocturne, puis une paré-sie amyotrophiante des muscles de la cuisseou de la jambe. L’évolution de ces formesaiguës est en général favorable.

RecommandationsDans la surveillance et le suivi d’une neuropathiediabétique, il est recommandé d’optimiser letraitement du diabète, de prévenir le risque d’ul-cération plantaire (éducation), de dépister uneneuropathie autonome (complications gastro-intestinales, troubles orthostatiques) et de traiterles douleurs neuropathiques. Ces douleurs par-fois intenses répondent mal aux antalgiques etaux analgésiques classiques. Les choix préféren-tiels proposés sont les antidépresseurs tricy-cliques et anticonvulsivants comme la gabapen-tine et la prégabaline. Récemment, la duloxetine,un inhibiteur de la recapture de la sérotonine-noradrénaline a reçu aux Etats-Unis l’approba-tion d’utilisation dans le traitement de la douleurde la neuropathie diabétique.

Les neuropathies carentiellesLa prévalence de la carence en vitamine B12 estestimée à 15% de la population de plus de 60 ans.Ces patients peuvent développer une neuropathiesensitive (peu ou pas de réflexes rotuliens et achil-léens), se plaignent de paresthésies des jambes,et sont parfois confus. Une étude récente [4] amontré leséléments importantssuivants: lacarenceen vitamine B12 est fréquente chez les personnesâgées; la NFS (numération formule sanguine)peutêtrenormaledans lescarencesenB12 etmêmela macrocytose peut être absente.

RecommandationsLa fréquence de la neuropathie périphérique de-vrait imposer le dosage de la vitamine B12 sériquechez les sujets âgés; le traitement peut être oralou intramusculaire (injections intramusculaires,mensuellement, entre 500 et 1000 mg, oralementà une dose entre 125 et 1000 mg/j).

La neuropathie alcooliqueLa neuropathie alcoolique est motrice et peut semanifester par des crampes distales, une amyo-trophie proximale des membres inférieurs oumême par une myopathie toxique chez les grandsconsommateurs, ou des symptômes sensitifs, àl’origine de fourmillements brûlures de la plantedes pieds. Elle est souvent associée à un syn-drome sympathique distal (dyshidrose) et à uneataxie cérébelleuse.

– une forme symétrique, distale, sensitivomo-trice [3]. Elle est souvent infraclinique, se ma-nifestant par des sensations de froid des piedsou de fourmillement, mais elle peut aussi êtredouloureuse. Il s’agit d’une neuropathie tou-chant les petites fibres. Si l’examen cliniquemontre en général peu d’anomalies, on peutrecourir à la méthode du QST (QuantitativeSensory Testing) qui est une méthode d’ex-ploration non invasive, permettant la mise en

Tableau 1. Un interrogatoire doit comprendre desquestions sur:

l’existence d’un diabète

la consommation d’alcool

une affection en cours

une maladie systémique

un cancer

la prise de médicaments

des antécédents familiaux

Tableau 2. Un examen général d’orientationétiologique d’une polyneuropathie doit rechercher:

une atteinte cutanée (lupus, cryoglobulinémie)

une atteinte articulaire (polyarthrite rhumatoide)

une sécheresse des muqueuses ou conjonctivale(Gougerot-Sjögren)

une hépatomégalie, des adénopathies(neuropathie contemporaines)

une artériopathie (palper les pouls périphériques)

des déformations squelettiques, pieds plats(neuropathie héréditaire)

Tableau 3. L’examen clinique, en complémentde l’examen général doit évaluer:

la force des membres distalement et proximalement

les réflexes ostéo-tendineux

la sensibilité au toucher, à la douleur et à la vibration

la marche

la position debout (Romberg)

les nerfs crâniens (selon la clinique)

Tableau 4. Un premier bilan biologique comprendselon l’âge et la situation clinique:

numération formule sanguine

glycémie, HbA1c, éventuellement hyperglycémieprovoquée (OGTT)

transaminases, électrolytes

électrophorèse des protéines (recherche d’une gamma-pathie monoclonale)

protéine C réactive, vitesse de sédimentation

créatininémie

vitamine B12

tests thyroïdiens

anticorps antinucléaires

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RecommandationsAssociée à une carence vitaminique ou nutrition-nelle, la neuropathie peut être améliorée parl’abstinence et par une nutrition adaptée.

Les neuropathies médicamenteusesLes médicaments toxiques pour le nerf périphé-rique sont très nombreux [2]. Il s’agit le plussouvent d’une polyneuropathie sensitive «dosedépendante» révélée par des paresthésies dis-tales des membres inférieurs survenant quelquesjours à quelques semaines après l’introductiondu médicament. L’évolution est en principe favo-rable après l’interruption du traitement.

RecommandationsLa survenue d’une neuropathie, relativementprévisible avec certains anticancéreux doit fairel’objet d’une information du patient et peut ame-ner à modifier le traitement.

Autres neuropathies métaboliquesLa neuropathie urémique est une complication del’insuffisance rénale chronique. Les manifesta-tions incluent des crampes musculaires, un syn-drome de jambes sans repos et une polyneuro-pathie à prédominance sensitive.

RecommandationsLa survenue d’une neuropathie peut correspondreà une aggravation de l’insuffisance rénale et ame-ner à modifier la prise en charge du patient.

Neuropathies héréditairesLa médecine moléculaire donne constammentde nouvelles informations quant aux anomaliesgénétiques [5].

RecommandationsLe repérage de signes évoquant une neuropathiedans un contexte familial doit amener à adresserle patient à un neurologue pour avis.

Conclusions

Il est important que le médecin non spécialistepuisse, par un guide simple de dépistage etd’orientation, suspecter une pathologie du nerfpériphérique et prendre les mesures de premièreintention. Il n’est pas nécessaire de demander unavis neurologique lorsque le diagnostic est poséde manière suffisamment explicite et qu’uneétiologie peut raisonnablement être avancée. Ilfaut en général que le médecin praticien adressele patient pour avis neurologique lorsque qu’ilexiste un doute diagnostique ou en particulier encas d’atteinte des paires crâniennes, de formeasymétrique (mononeuropathie multiple) ou deforme d’évolution rapide (diabète, syndrome deGuillain Barré, syndrome paranéoplasique, ma-ladie systémique ou intoxication).

Références1 Steck AJ, Hess K, Bogousslavsky J, Magistris MR, Hess CW,

éditeurs. Compendium de Neurologie. Bern: Huber; 2003.2 Haute autorité de Santé. Prise en charge diagnostique des

neuropathiespériphériques (polyneuropathiesetmononeuro-pathies multiples). Recommandations mai 2007. Rev Neurol.2008;164(Hors série 1):F37–F50.

3 Zochdone DW. Diabetic polyneuropathy: an update. Curr OpinNeurol. 2008;21(5):527–33.

4 Andrès E, Affenberger S, Vinzio S, et al. Food-cobalamin mal-absorption in elderly patients: clinical manifestations andtreatment. Am J Med. 2005;118:1154–9.

5 Szigeti K, Nelis E, Lupski JR. Molecular diagnostics of Charcot-Marie-Tooth disease and related peripheral neuropathies.Neuromolecular Med. 2006;8(1–2):243–54.

Correspondance:Prof. Andreas SteckNeuromuskuläres ZentrumNeurologische KlinikUniversitätsspitalCH-4031 [email protected]