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Problèmes et résultats de la recherche saussurienne Author(s): Peter Wunderli Source: Cahiers Ferdinand de Saussure, No. 36 (1982), pp. 119-137 Published by: Librairie Droz Stable URL: http://www.jstor.org/stable/27758250 . Accessed: 14/06/2014 07:03 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Librairie Droz is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Ferdinand de Saussure. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.126.118 on Sat, 14 Jun 2014 07:03:46 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Problèmes et résultats de la recherche saussurienne

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Problèmes et résultats de la recherche saussurienneAuthor(s): Peter WunderliSource: Cahiers Ferdinand de Saussure, No. 36 (1982), pp. 119-137Published by: Librairie DrozStable URL: http://www.jstor.org/stable/27758250 .

Accessed: 14/06/2014 07:03

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Peter Wunderli

PROBL?MES ET R?SULTATS DE LA RECHERCHE SAUSSURIENNE 1

o. Presque tout le monde le dit, le r?p?te, le propage sans se rendre

compte des cons?quences et des implications : Ferdinand de Saussure est le

?p?re de la linguistique moderne?. S'il n'y avait que les Suisses ? perp?tuer ce titre de gloire, on pourrait se demander si ce n'est pas un certain chauvi

nisme patriotique qui les y pousse. La linguistique moderne n'est-elle pas un

ensemble de courants tellement divergents, parfois m?me contradictoires

qu'il semble impossible de lui attribuer un seul p?re ? Mais loin de l? : on

rrouve le m?me jugement dans la bouche de nombreux ?trangers. Ce titre

d'honneur contiendrait-il alors au moins une part de v?rit?? Saussure

aurait-il jou? dans le pass? ou jouerait-il m?me actuellement un r?le d?cisif

dans la pratique linguistique?

o.i. En ce qui concerne l'histoire de la linguistique, nous croyons d?s

maintenant pouvoir r?pondre par oui. Rappelons tout d'abord que la gloire de Saussure elle-m?me esr double. De son vivant, il ?tait connu comme

indo-europ?aniste brillant, on l'admirait comme auteur du fameux M?moire

de 1878/79. Cette ?tude (un travail d'?tudiant!) peut ?tre consid?r?e comme le premier essai de phonologie diachronique r?trospective qui mon

tre sous un jour tout ? fait inattendu le syst?me vocalique de l'indo-euro

p?en primitif. L'?cho de ce travail, malgr? certaines r?serves de la part des

n?ogrammairiens, fut tel que lors de la soutenance de th?se en 1880, on

demanda ? Saussure si l'auteur du fameux M?moire ?tait son parent ! Cette

gloire accompagna Saussure pendant toute sa vie ? et un certain nombre

d'?tudes r?centes montre qu'on vient de la red?couvrir2.

'Texte remani? d'une communication faite ? l'Universit? de Neuch?tel le 7 mars 1983. 2 Cf. p.ex. C. Vallini, Problemi di metodo in Ferdinand de Saussure indoeuropeista, SSL 9, 1969, 1-85 ;

Manfred Mayrhofer, Nach hundert Jahren. Ferdinand de Saussures Fr?hwerk und seine Rezeption durch die heutige Indogermanistik, Heidelberg 1981 ; etc.

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D'autre part, si nous parlons aujourd'hui de la gloire de Saussure, c'est celle qui remonte au Cours de linguistique g?n?rale ? laquelle nous pensons - une gloire posthume, puisque l' uvre ne fut publi?e qu'apr?s la mort de Saussure par ses coll?gues et ?disciples?. Cette gloire ne s'imposa que tr?s lentement et ? des dates diff?rentes selon les pays. Au d?but, la pens?e saussurienne ne trouva de terrain fertile presque uniquement qu'en Suisse

? mais peut-?tre ?tait-ce sa chance. L'Ecole genevoise (Bally, Sechehaye, Frei) d?ploya une propagande tr?s intense, et elle fut bient?t rejointe par les Ecoles de Prague et de Copenhague. Des chercheurs d'orientations fort diverses commencent alors ? se rallier ? Saussure. Pourquoi ? Tout d'abord, le Cours r?unissait en lui toute sorte de traditions : linguistique syst?mati que, id?aliste, schleicherienne, n?ogrammairienne, wundtienne ; g?ographie linguistique, phon?tique et comparatisme; etc. Il constitue un tr?sor qui permettait presque ? tout le monde d'y trouver de quoi satisfaire ses propres app?tits. Mais il y a plus. Apr?s la premi?re guerre mondiale le sentiment

qu'on avait besoin d'un nouveau paradigme linguistique semble avoir ?t? tr?s r?pandu. Mais o? le prendre dans une Europe d?chir?e de haines et de nationalisme? L'hypoth?se que dans une telle situation, l' uvre d'un

Suisse, du repr?sentant d'un pays neutre offrait une solution id?ale me

semble ?tre assez vraisemblable. Ainsi il y a aussi des raisons ? politiques ?

qui ont contribu? au succ?s de l'ouvrage.

0.2. Il semble donc hors de doute que le Cours a jou? un r?le de tout

premier ordre. Mais si, dans ce sens, le titre ?p?re de la linguistique moderne? para?t justifi?, cela implique-t-il que Saussure ait cr?? pour ainsi dire ex nihilo les th?or?mes que nous rattachons aujourd'hui ? son nom ? C'est sans aucun doute sous l'effet du Cours qu'on commence dans une

large mesure ? consid?rer la langue comme un syst?me, comme un ins trument de communication, qu'on distingue entre synchronie et

diachronie, entre syst?me et emploi du syst?me, etc. Mais n'oublions pas que pour tous ces sujets, pour tous ces th?or?mes, Saussure a des pr?cur seurs, il ne les a pas ?invent?s?. Une reconstruction rationnelle de la situa tion de la linguistique autour de 1900 nous montre que ses sujets ?taient

pour ainsi dire ?dans l'air?. Le m?rite du Cours est surtout d'avoir r?uni ces ?l?ments dispers?s dans une premi?re synth?se, originale et brillante. C'est

justement ce caract?re synth?tique de l' uvre qui en a garanti le succ?s ; c'est gr?ce ? lui que certaines vues (aujourd'hui lieux communs des sciences humaines !) se sont impos?es : on a commenc? ? faire une distinction entre

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synchronie et diachronie en litt?rature et en p?dagogie ; les ethnologues se sont habitu?s ? parler de syst?me et emploi du syst?me ; et puis, le mod?le de communication a ?t? repris un peu partout ; etc. C'est, dans une large mesure, au Cours que la linguistique doit son r?le de discipline-pilote parmi les sciences humaines apr?s 1950.

0. 3. Toutes nos r?flexions, jusqu'ici, concernent l'importance r?trospec tive du Cours; mais n'y a-t-il pas aussi une importance actuelle ou prospec tive, ne continue-t-il pas ? jouer un r?le-cl?? J'ose d?s maintenant r?pondre par oui, et j'essaierai de justifier ce jugement. C'est m?me, je le dis d'embl?e, surtout ce deuxi?me aspect qui compte pour moi. Certains se contentent de se tourner vers le pass?, de le scruter et de l'analyser (p. ex. en vue des

pr?curseurs), et ils obtiennent, certes, souvent des r?sultats int?ressants. Mais il ne faut pas s'arr?ter l?; ces activit?s ne peuvent se justifier qu'au moment o? elles nous permettent d'orienter notre propos pratique et nous

aident ? ma?triser l'avenir. Le Cours n'est pas un pur fait historique : d'abord, sa gloire a surv?cu,

ensuite il continue ? nourrir les controverses ; Saussure reste donc au centre de la discussion. J'essaierai de montrer que ces controverses sont en partie conditionn?es par les donn?es sp?cifiques de la gen?se de ce que j'appellerai la Vulgate, la version courante de cette uvre, et qu'en partie elles reposent sur des interpr?tations insuffisantes ou erron?es de ce texte.

1. R?sumons l'essentiel de la gen?se du Cours. Apr?s la mort de Saussure le 22 f?vrier 1913, Bally et Sechehaye ?taient convaincus que les r?flexions du ma?tre sur la linguistique g?n?rale m?ritaient d'?tre rendues accessibles ? un public plus large. On d?cida de publier une refonte des trois cours ? et on se heurta tout de suite ? de graves probl?mes.

1.1. Les trois cours profess?s en 1907, 1908/09 et 1910/11 n'?taient

pas destin?s ? la publication. Il existe bien un projet des ann?es '90 pour un tel livre ; dans sa fameuse lettre ? Antoine Meillet du 4 janvier 1894, Saussure parle de ?la n?cessit? de la r?forme, et de montrer (...) quelle esp?ce d'objet est la langue en g?n?ral?, et il d?clare, plut?t ennuy? ou

d?go?t? par le sujet, que ?cela finira malgr? moi par un livre...?3. Au moment o? Saussure donne ses cours de linguistique g?n?rale, il semble avoir compl?tement abandonn? cette id?e: dans des entretiens avec ses

3 Cf. E. Bcnveniste, CFS 21, 1964, 89-130, part. 95.

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?l?ves Riedlinger et Gautier en 1909 et 1911 respectivement4, il d?clare

que les probl?mes de linguistique g?n?rale l'ont surtout pr?occup? avant

1900. Du livre, il n'existe que quelques notes dispers?es et fort rudimentai res. Cela explique dans une large mesure le fait que dans les sources du Cours on trouve pas mal de formulations contradictoires ou approximatives, et en outre une terminologie souvent incertaine. C'est pourquoi la connaissance de la gen?se de l' uvre, des intentions de l'auteur et de sa situation socio

culturelle sont essentielles pour ?valuer de fa?on ad?quate le texte.

1.2. Le deuxi?me probl?me, c'est que ceux qu'on appelle commun? ment les disciples de Saussure, Bally et Sechehaye, ne le sont pas au sens

strict du terme. Tous deux ont re?u leur formation universitaire surtout en

Allemagne. Rentr?s ? Gen?ve, ils ont entretenu des contacts r?guliers avec

Saussure ? mais ils ?taient alors d?j? engag?s dans l'enseignement et ne purent suivre aucun des cours de linguistique g?n?rale profess?s par Saussure.

1.3. En d?cidant d'?diter le Cours, Bally et Sechehaye esp?raient trouver

des notes d?taill?es dans les papiers personnels de Saussure. Leur espoir fut rudemment d??u : ? part quelques fragments isol?s, il ne restait rien. C'est

que Saussure faisait normalement ses cours ? l'aide de notes tr?s sommaires ;

pour les d?tails, il improvisait, et m?me admirablement. En outre, il semble

qu'il ait d?truit la plupart de ces notes apr?s s'en ?tre servi. Voulait-il

pr?venir toute publication (posthume) de ses r?flexions ? Nous ne le savons

pas. Il importe peu que les ?diteurs aient fait tort aux intentions de Saussure ou non, leur probl?me ?tait de savoir comment r?aliser un projet de recons

truction aussi ambitieux.

1.4. Il ne leur restait qu'une solution : recourir aux notes des ?tudiants. Ils ont p?niblement rassembl? ce qu'ils purent trouver : Pour le ier cours les notes de Riedlinger et de Caille, pour le 2e cours celles de Riedlinger, Gautier et Bouchardy, pour le 3e cours celles de D?gallier, Mme A.

Sechehaye et Joseph. Dans ce corpus de qualit? fort in?gale, les cahiers de

Riedlinger et D?gallier ?taient de loin les meilleurs ; c'est surtout eux qui ont rendu possible l'?laboration du texte de la Vulgate. Mais h?las, ce n'?tait pas la base id?ale. Nous connaissons aujourd'hui une autre source : les notes qu'Emile Constantin a prises des 2e et 3e cours. D'une qualit? nettement sup?rieure ? tout le reste, on sait qu'elles n'ont reparu qu'en

4 Cf. R. Godel, Les sources manuscrites du Cours de linguistique g?n?rale de F. de Saussure, Gen?ve ^969, 29-30.

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1957, lors de la soutenance de la th?se de Robert Godel sur Les sources

manuscrites, o? Constantin remit ce tr?sor cach?.

La r?alisation du projet semblait donc ?tre garantie - mais presque

exclusivement sur la base de notes d'?tudiants ! Et c'est bien l? le probl?me !

Si je pense ? mes propres notes d'?tudiant, si je feuillette ce qui reste des cours que j'ai suivis, des frissons me parcourent le dos : que de lacunes, de

distorsions, de contresens ! Admettons que les ?tudiants de Saussure ?taient

plus consciencieux et plus intelligents que d'autres ; il reste que les ?diteurs ont d? travailler sur une base assez chancelante.

2. C'est la charpente du 3 e cours qui leur a servi de squelette pour la

Vulgate, sans qu'ils n?gligent les autres sources accessibles. Sechehaye a

proc?d? ? leur collation compl?te, ce qui a permis aux ?diteurs de se p?n? trer de la pens?e saussurienne, de la reconstruire au moins approximative

ment et d'?liminer les discr?pances flagrantes. En m?me temps, ce travail de

Sysiphe les a oblig?s ? ne suivre le mod?le du 3 e cours que dans ses grandes

lignes : pour les d?tails, ils ont refait le texte presque enti?rement. En outre, on a proc?d? ? une reformulation tr?s pouss?e des sources, de sorte qu'? maint endroit n'est conserv?e que la terminologie, tandis que le reste est

paraphras? de fa?on plus ou moins serr?e. Il est facile de montrer que de

nombreux passages de la Vulgate radicalisent ou affaiblissent, selon le cas, la source directe ; certaines s?quences ou r?flexions sont retranch?es, mais il

existe aussi des adjonctions ; et il ne faut pas oublier tous les passages o?

une formulation ouverte ? plusieurs interpr?tations est radicalement ? d?s

ambigu?s?e? par les ?diteurs. La Vulgate, en fin de compte, n'est ni une

uvre de Saussure ni une image fid?le de ses cours, c'est une interpr?tation de la pens?e saussurienne par Bally et Sechehaye

- une interpr?tation sans

apparat philologique d'ailleurs. Ce qui fait particuli?rement probl?me, c'est

que dans les discussions ult?rieures les deux ?diteurs ont toujours d?fendu ce texte comme une sorte d'Ecriture sainte: pour eux, la Vulgate ?tait le

Saussure authentique.

3. Aujourd'hui, nous savons qu'il n'en est rien, et ceci surtout gr?ce aux travaux de Godel sur les sources manuscrites et de Engler (?dition

critique du CLG). Cette derni?re pr?sente les mat?riaux sur 6 colonnes. La

premi?re colonne donne le texte de la Vulgate d'apr?s l'?dition originale, avec les modifications des ?ditions ult?rieures. J'insiste sur ce poinr parce

qu'il est assez r?pandu (et m?me Gerold Hilty a pu s'y tromper5) de pren

'Cf. P. Wunderli, Saussure-Studien, Tubingen 1981, 10, n. 48.

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dre cette colonne pour Tune des sources (et naturellement la meilleure!). La 6e colonne est r?serv?e aux (rares) notes personnelles de Saussure, la 5e aux cahiers Constantin ; les colonnes 2 ? 4 contiennent les notes d'?tudiants

qui ?taient ? la dispostion de Bally et de Sechehaye dans l'ordre suivant :

Riedlinger I ? Caille pour le ier cours, Riedlinger II ? Gautier ? Bouchardy

pour le 2e cours, D?gaillier - Mme A. Sechehaye

- Joseph pour le 3e cours.

L'instrument de travail que Engler a mis ? notre disposition nous permet maintenant de mieux saisir la pens?e authentique de Saussure. Une ex?g?se

herm?neutique serr?e ainsi qu'une confrontation de ses r?sultats avec la

Vulgate rendent aussi possible d'?valuer de fa?on critique les nombreuses et

longues pol?miques qui ont accompagn? la marche triomphale du Cours.

J'essaierai d'?tayer ces affirmations ? l'aide d'un certain nombre d'exemples.

3.1. Une des grandes innnovations du Cours, c'est la distinction ente

synchronie et diachronie. La synchronie est caract?ris?e, pour Saussure, par un syst?me linguistique fonctionnant pendant un laps de temps limit?, tandis que la diachronie suit l'?volution de ce syst?me et de ses ?l?ments ? travers le temps. Or cette dichotomie a mainte fois ?t? critiqu?e d?s la

parution du Cours, et la pol?mique continue. Parmi ceux qui ont pris part au d?bat, on pourrait citer un grand nombre de noms importants : Jaberg, Schuchardt, Jakobson, Trubetzkoy, Wartburg, Malmberg, Hockett, Cose

riu, Chomsky, etc.,6, sans parler de Bally et Sechehaye en tant que d?fen seurs de la position saussurienne. Les critiques peuvent se r?unir sous deux

chefs : pour les uns, cette distinction est trop radicale, pour les autres, elle est tout ? fait surperflue. Dans les deux cas, l'argument est plus ou moins

le m?me: la r?alit?, l'objet langue lui-m?me contredirait une opposition aussi radicale.

Or les textes o? Saussure insiste sur le caract?re radical de cette dichoto mie sont nombreux. Ne nous dit-il pas que ?la classification (...) de la

linguistique en synchronique et diachronique est n?cessaire, est hors de notre choix, nous est impos?e par la nature des choses? ?7 N'affirme-t-il pas

qu'?il faut s?parer en deux la linguistique? parce que ?il y a une dualit? irr?m?diable cr??e par la nature m?me des choses quand il s'agit de valeurs ??8 Mais on ne saurait citer ces passages sans renvoyer en m?me

6 Cf. Wunderli, ibid. 121 ss., 157-59, 175-79- - En outre K. Jaberg, Sprachwissenschaftliche Forschungen und

Erlebnisse, I. Paris/Z?rich/Leipzig 1937, 123-36; H. Schuchardt, Lbl. 38, 1917, 1-19 ; R. Jakobson, Prinzipien der historischen Phonologie: TCLP 4, 1931, 247-67, surtout 265-67, et Remarques sur l'?volution phonologique du russe..., Prague 1929, 13-14 ; etc.

7 CLG/E 1343 : II R 76. 8 CLG/E 1357 : D 229.

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temps ? d'autres o? Saussure insiste sur le fait qu'il existe en m?me temps une certaine (inter-)d?pendance entre les deux domaines: d'apr?s lui, ?la meilleure mani?re de faire voir ? la fois la d?pendance et l'ind?pendance o? est le fait synchronique par rapport au fait diachronique, c'est peut-?tre

d'appeler le fait synchronique une projection de l'autre?, car ?la projection n'est pas ind?pendante de l'objet; elle en d?pend directement?9. Cette

argumentation permet finalement d'arriver ? des affirmations au premier abord surprenantes dans sa bouche; pour lui, la langue est un devenir

permanent. ?Nous posons (...) le principe de la transformation incessante

des langues comme absolu?,10 nous dit-il, et ?ce qui est absolu, c'est le

principe du mouvement de la langue dans le temps? n. Et il rench?rir : ?Le cas d'un idiome qui se trouverai en ?rat d'immobilit? et de repos ne se

pr?senre pas? 12. Les cons?quences de ces r?flexions m?nent loin : elles con

duisent Saussure ? la conclusion que le ph?nom?ne langue est un ph?no m?ne puremenr historique: ?Tout dans la langue est histoire?, et: ?(...) tout ce qui semble organique dans la langue est en r?alit? contingent et

compl?tement accidentel?13.

Arriv? ? ce point de nos r?flexions, il nous faut nous demander s'il n'y a pas une contradiction flagrante entre les premiers et les derniers passages

que nous venons de citer. Nous ne le pensons pas. Quand Saussure affirme

que tout dans la langue est historique, qu'elle est un devenir permanent, il

parle de la langue en tant qu'objet ; quand il postule une distinction radicale entre synchronie et diachronie, il se rapporte ? la linguistique en tant que science de cet objet. Puisque ?le ph?nom?ne synchronique est conditionn?

par le ph?nom?ne diachronique? l4, puisque, en derni?re analyse, ils ne sont

qu'un, il peut arriver ? la conclusion finale que ?les forces statiques [c'est ?-dire : se rapportant ? un ?tat de langue] et diachroniques de la langue sont

non seulement dans un contact et un rapport perp?ruels, mais en conflit?,

que ?leur jeu r?ciproque les unit de trop pr?s pour que la th?orie n'ait pas ? les opposer? 15. La fameuse dichotomie n'est donc pas fond?e in re, il s'agit d'une opposition purement m?thodique (et m?thodologique).

9CLG/E 1453-1454 : D 254 10CLG/E 3284 (fasc. 4)

= N 1.2 (p. 5). UCLG/E 2205 : N 23.1 [3334] P- 7

12CLG/E 3284 (fasc. 4) = N 1.2 (p. 5).

UCLG/E 3283 (fasc. 4) = N 1.1 (p. 15)

14CLG/E 1626 (p. 221) : II C 49. 15CLG/E 1336 (p. 180) : II R 60.

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Tous les d?bats, toutes les longues pol?miques que nous avons men

tionn?s ?taient donc superflus, car ils n'ont fait que r?p?ter ce qui se trou

vait bien dans Saussure. Faut-il critiquer ceux qui ont particip? ? cette

discussion ? Je crois que non, car la plupart de ces contributions pr?c?dent la publication de l'?dition critique. Leurs auteurs se fondaient donc sur la

Vulgate, o? les ?diteurs n'ont pas seulement tendance ? privil?gier les passa

ges qui exigent une distinction radicale entre les domaines synchronique et

diachronique, mais masquent aussi presque compl?tement l'opposition entre objet et th?orie.

3.2. Toute une s?rie de d?bats d?pendent plus ou moins directement de

ce premier sujet. Je n'en citerai que quelques-uns. Un premier reproche, r?p?t? mainte fois par Jakobson, Trubetzkoy et

toute l'Ecole de Prague, est celui de m?conna?tre compl?tement les possibi lit?s d'une diachronie structurale16. Avouons d?s maintenant que Saussure

insiste en g?n?ral sur le caract?re isol? des faits ?volutifs17. Mais on trouve

dans le 3e cours un passage qui postule aussi de fa?on tr?s nette une vue

structurale des faits diachroniques : dans le cadre de sa fameuse comparaison entre langue et ?conomie politique, Saussure souligne que dans les deux

domaines ?on a d? distinguer le syst?me de valeurs pris en soi, et syst?me de valeurs pris selon le temps ? 18. Malheureusement les ?diteurs ont harmo

nis? ce texte r?v?lateur avec la masse des textes parlant des faits ?volutifs

isol?s. Et pourtant il reste des exemples de diachronie structurale dans la

Vulgate : ce sont les fameux ? rectangles ?volutifs ? du type f?t ?

f?ti > f?t ?

f?t19. Il ne s'agit certes que de microsyst?mes qui sont analys?s de cette

fa?on, mais le point de vue n'en est pas moins de diachronie structurale.

L'Ecole de Prague aurait d? s'en apercevoir, ou aurait-elle ?t? abus?e par le

fait que Saussure refuse tout d?terminisme et toute t?l?ologie dans le

domaine diachronique?20 N'oublions pas que pour les ?Pragois? ces deux

aspects constituent justement les traits caract?ristiques de toute diachronie

structurale.

3.3. Un autre reproche ? l'adresse de Saussure, li? plus ou moins directe ment au premier, est celui de privil?gier de fa?on exag?r?e le domaine

16 Pour Jakobson, p.ex., cf. loc.cit. note 6 ci-dessus. 17 Cf. p.ex. CLG/E 1447, 1449 : D 234; 1401-1402 : III C 343. 18 CLG/E 1323 : D 228. 19 CLG/E 1395-1396 : III C 341-342; 1392 : III C 341. 20 CLG/E 1401-1402 : III C 343 ; 1447, 1449 : D 234.

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synchronique. Cette critique, avanc?e par Schuchardt d?s la parution du

Cours21, a ?t? r?p?t?e mainte fois depuis et est devenue une sorte de lieu commun. Il est pourtant facile de montrer qu'elle manque de tout fonde ment. Prenons tout d'abord l'aspect quantitatif : dans la Vulgate, la partie proprement synchronique occupe 90 pages, la partie diachronique 115

pages. Comment parler alors d'une pr?f?rence exag?r?e pour le synchroni que? En deuxi?me lieu, dans la lettre ? Antoine Meillet d?j? cit?e, Saussure

souligne que s'occuper des probl?mes g?n?raux ?vient g?ter mon plaisir historique, quoique je n'aie pas de plus cher v u que de n'avoir pas ?

m'occuper de la langue en g?n?ral?22. Mais il y a plus. Pour Saussure, la perspective synchronique concerne ? ?

la fois les sujets parlants et le linguiste? tandis que ?la perspective (...)

diachronique ne concerne que le linguiste?23. Et il pr?cise au sujet de la

synchronie que ?cette perspective (...) du linguiste a pour ?talon la perspec tive des sujets parlants, et [qu']il n'y a pas d'autre m?thode que de se

demander quelle est l'impression des sujets parlants ? 24. C'est surtout cette

derni?re remarque qui nous aide ? r?soudre un paradoxe apparent ; la prio rit? de la synchronie est affirm?e pour la conscience des sujets parlants

? et

ceci est d'une grande modernit?. Or cette conscience est une sorte de filtre, voire une approche ?m?thodique?

? elle n'a rien ? faire avec l'objet langue en tant que tel, avec la langue qui se transmet de g?n?ration en g?n?ration. En guise de conclusion provisoire, nous pouvons donc retenir que la langue en tant qu'objet est bien un devenir permanent, mais qu'au niveau op?ra toire de son saisissement, c'est l'aspect synchronique qui s'impose

? pour le

sujet parlant de fa?on absolue, pour le linguiste en tout cas du point de vue

strat?gique.

3.4. Une troisi?me critique qui d?pend de la dichotomie initiale, con cerne la notion ?'?tat de langue. Coseriu, Gauger et d'autres ont insist? sur

le fait qu'objectivement un ?tat de langue n'est pas saisissable, qu'il s'agit l? d'un ph?nom?ne fuyant et rebelle ? toute d?finition 25. A leurs r?serves, on peut r?pondre par une seule question : Saussure a-t-il jamais d?fendu une

telle conception de l'?tat de langue? A-t-il jamais affirm? qu'il s'agissait l?

21 Cf. Wunderli, Saussure-Studien, 175 ss. 22 Cf. Benveniste, CFS 21, 1964, 95.

23CLG/E 1496-1497 : III C 371-372. 24 CLG/E 1503 : II R 85. 25 Cf. p.ex. E. Coseriu, Sincronia, diacronia e historia. El problema del cambio lingmstico, Montevideo 1958.

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128 Cahiers Ferdinand de Saussure 36 (1982)

d'une r?alit? objective? Ces pr?cis?ment le contraire que nous trouvons

dans le Cours et ses sources. Dans une note personnelle, nous lisons, p.ex.,

qu'?il n'y a que des ?tats de langue qui sont perp?tuellement la transition entre l'?tat de la veille et celui du lendemain?26, et dans le 3e cours, Saussure affirme qu'?il y a une part de convention ind?niable ? accepter en

parlant d'un ?tat. Les limites (...) [d'jun ?tat seront forc?ment impr?cises?, et il conclut : ?Nous ne disons donc pas qu'un ?tat est dix ans ou cinquante ans, (...) mais un espace de temps pendant lequel aucune modification grave n'a chang? la langue?27. Variable, fuyante au niveau de l'objet, la notion ?'?tat de langue est donc de nature purement heuristique : nous avons ? faire ? une construction m?thodique, ? une proc?dure de d?couverte dont l'intro duction constitue une innovation de toute premi?re importance. Mais encore une fois, le caract?re essentiel de la langue, celui d'?tre un devenir

permanent, n'est pas mis en cause.

3.3. Venons-en ? une premi?re conclusion. Toutes les critiques qui tournent autour de l'opposition synchronie/diachronie sont dans un certain sens injustifi?es, car elles postulent des modifications pour lesquelles elles sont devanc?es par les sources du Cours m?me. Ainsi ces critiques passent ? c?t? du probl?me essentiel qui est celui de l'accentuation de tel ou tel aspect ? et dans ce domaine-l? il y aurait pas mal de choses ? dire.

Mais pour le moment, il nous importe de retenir que la linguistique saussurienne repose sur les trois axiomes que voici :

i? Au niveau de l'objet, la langue n'est rien qu'un devenir permanent. 20 Au premier m?ta-niveau (celui de l'analyse linguistique), la synchro

nie prime la diachronie en tant que strat?gie de recherche et parce qu'elle seule se refl?te dans la conscience linguistique des locuteurs.

30 Au deuxi?me m?ta-niveau (celui de la r?flexion m?thodologique), la

synchronie et la diachronie sont ?quivalentes en tant qu'approches m?thodi

ques.

Ce qu'on peut reprocher aux critiques de la pens?e saussurienne, c'est ? outre une information souvent insuffisante ? d'avoir continuellement confondu ces trois plans.

4. Un autre sujet central qui a provoqu? un grand nombre de discus sions est la dichotomie langue/parole ; comme dans le premier cas, il existe

26CLG/E 3285 (fasc. 4) = N 1.3 (p. 6).

27 CLG/E 1673, 1675 ' E> 259-260.

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Page 12: Problèmes et résultats de la recherche saussurienne

P. Wunderli : La recherche saussurienne 129

un certain nombre de probl?mes annexes qui sont reli?s de fa?on plus ou

moins directe au probl?me fondamental.

4.1. Pour Saussure, la langue est un inventaire virtuel d'outils linguisti

ques, de nature passive et r?sidant dans la collectivit? (caract?re social) ; la

parole par contre serait active et individuelle, elle repr?senterait l'usage con

cret du code dans une situation donn?e28. Or cette dichotomie a ?t? mise en question par de nombreux chercheurs. Pour Schuchardt, p. ex., elle est

trop radicale, voire superflue, car il n'existerait qu'une seule forme de mani

festation linguistique ; en outre Saussure commettrait une erreur de principe en partant des faits sociaux au lieu des faits individuels29. Pour Coseriu,

l'opposition entre langue et parole est surd?finie: les traits virtuel {formel)/ concret {mat?riel) et individuel/social donneraient lieu ? quatre cat?gories et

non seulement ? deux : seraient possibles les combinaisons virtuel ? social, virtuel ? individuel, concret ? social et concret ? individuel, correspondant aux

cat?gories Sprachgebilde, Sprechakt, Sprachwerk et Sprechhandlung de Karl Buhler30.

Occupons-nous tout d'abord du premier reproche de Schuchardt, celui

d'un radicalisme exag?r?, d'une dichotomisation non justifi?e par l'objet m?me. Encore une fois, il faut insister sur le fait que Saussure ne pr?tend jamais que cette distinction est fond?e in re\ comme dans le cas de la

premi?re dichotomie, une seule r?alit? constitue deux objets de la linguisti

que. ?S'il est vrai?, dit-il, ?que les deux objets, langue et parole, se suppo sent l'un l'autre, en revanche, ils sont si peu semblables de nature, qu'ils

appellent n?cessairement chacun leur th?orie s?par?e?31. Et naturellement, c'est sur le terme de th?orie que j'aimerais insister. Dans un autre passage, Saussure souligne, au sujet de cette dichotomie, qu'il s'agit d'une ?d?fini

tion de choses (ou d'apparences) ?32 ? et l?, c'est surtout le dernier terme

qui compte. Pour Saussure, le ph?nom?ne linguistique est donc homog?ne en tant que tel, mais il conna?t deux formes d'existence ou de manifestation

qui exigent chacune un traitement sp?cifique. Nous avons donc de nouveau

? faire ? une opposition purement m?thodique et m?thodologique !

28 Cf. p.ex. CLG/E 244, 255 : D 178. 29 Cf. Schuchardt, Lbl. 38, 1917, 3"4 30 Cf. E. Coseriu, Sistema, norma y habla, in: Teoria del lenguaje y ling??tica general, Madrid '1967, 11 -113,

part. 43 ss. 31 CLG/E 342 : D 209. 32 CLG/E 248 : D 178.

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Page 13: Problèmes et résultats de la recherche saussurienne

i30 Cahiers Ferdinand de Saussure 36 (1982)

4.2. Le reproche de Coseriu (surd?finition de la dichotomie) para?t au

premier abord difficile ? infirmer: dans la Vulgate il n'est normalement

question que de la langue et de la parole, donc de deux des quatre cat?gories

possibles. Mais en scrutant les sources, on constate que la conception de Saussure est bien plus nuanc?e.

Prenons tout d'abord le caract?re purement social de la langue, rude ment critiqu? par Schuchardt pour qui le point de d?part ne saurait ?tre

ailleurs que chez l'individu. Or Saussure semble bien savoir qu'il existe l? une diff?rence fonci?re, car dans le 2e cours il essaie de distinguer (de fa?on

?ph?m?re, il faut l'avouer) entre une langue individuelle et une langue sociale, il affirme qu'il ?faut faire la distinction entre langage (= langue consid?r?e dans l'individu), (...) er langue qui est une chose ?minemment

sociale, [car] aucun fait n'existe linguistiquement qu'au moment o? il est

devenu le fait de tout le monde... ?33. Bien qu'il abandonne cette acception du terme langage dans le 3

e cours, il nous y fournit une pr?cision int?res

sante quant ? cette distinction : ?Chaque individu, dit-il, a en lui ce produit social qu'est la langue. [La] langue est le tr?sor d?pos? dans notre cerveau,

complet dans la masse, plus ou moins complet dans chaque individu ?34. La

langue individuelle, le langage (dans le sens du 2e cours) n'est donc rien

d'aurre que ce que nous appelons aujourd'hui l'idiolecte. Mais si la langue existe, quoique incompl?te, dans chaque individu, peut-on alors affirmer son caract?re exclusivement social ? Cette contradiction n'est qu'apparente. Elle dispara?t d?s que nous distinguons entre Xinstitution de la langue et le tr?sor de la langue

? ou, si l'on veut, entre ses aspects qualitatif et quantita

tif. Les affirmations cat?goriques portent toujours sur l'aspect qualitatif: avant d'entrer dans le syst?me, une unit? doit ?tre consacr?e par la commu

naut?. Cette cons?cration (qualitative) n'implique cependant pas que toute

unit? linguistique fasse partie du tr?sor de chacun des membres de la com

munaut? ; les d?p?ts individuels ne sont jamais qu'un choix dans la totalit? des unit?s accept?es par la soci?t?.

Ce ph?nom?ne de choix et de diff?renciation ? l'int?rieur d'une commu naut? linguistique ou d'une langue n'est d'ailleurs pas limit? aux ph?nom? nes idiolectaux. Saussure a l'intuition tr?s s?re et tr?s pr?cise qu'il existe aussi des variations (synchroniques) d'une port?e plus large, qu'il y a des

sous-syst?mes et des normes diff?renci?es. Tout d'abord il faut mentionner la diff?renciation intralinguistique dans l'espace, ?la pluralit? des formes de

33 CLG/E 155 : II R 5. 34 CLG/E 235, 238, 240 : D 6.

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Page 14: Problèmes et résultats de la recherche saussurienne

P. Wunderli: La recherche saussurienne

langue (...) d'un district ? un autre? qui est, pour Saussure ?le premier fait

qui s'impose (...) au linguiste?35. Cette variation g?ographique peut se

transmuer en variation sociale, car ? la localisation n'est pas toujours net

te ? 36. Finalement, il existe encore des diff?rences de style, car ? la langue de

beaucoup de pays est double (...) [par] la superposition d'une langue litt?

raire ? la langue naturelle de m?me source? 37. Ces intuitions correspondent de fa?on surprenante aux variations diatopiques, diastratiques et diaphasi ques de Coseriu38. Qualitativement, elles sont consacr?es par la commu

naut?; quantitativement, elles constituent un choix dans l'inventaire des

possibilit?s offertes par la langue totale, le diasyst?me. Idiolectes et normes diff?renci?es, voil? qui semble cadrer fort mal avec

l'image re?ue de Saussure. Mais il y a plus. Il y a quelques ann?es, Klaus

Heger a introduit une nouvelle notion dans la linguistique qu'il appelle S -parole et par laquelle il d?signe la somme des actes de parole r?alis?s

pendant un certain laps de temps39. Ici encore, cette cat?gorie est pr?figur?e chez Saussure quand il se demande: ?Dans [la] foule, de quelle mani?re

est-elle pr?sente??, et r?pond sans h?sitation: ?Somme de ce que ces gens se disent?40. Il existe donc aussi un aspect social de la parole qu'on pourrait facilement rapprocher du Sprachwerk de Karl B?hler.

Je crois que nous pouvons affirmer maintenant que la dichotomie entre

langue et parole n'est pas aussi nette qu'on l'a toujours pr?tendue : nous

avons rep?r? d?j? trois cat?gories interm?diaires.

4.3. Mais poursuivons encore un peu cette analyse riche en surprises. Schuchardt, Guillaume, Coseriu, Chomsky41 et d'autres ont toujours repro ch? ? Saussure d'avoir une vue purement statique de la synchronie (et par l? de la langue). Rien n'est plus erron?. Bien s?r, il emploie le terme de

statique pour les ph?nom?nes synchroniques ? mais dans le sens (peu usuel)

d"un adjectif se rapportant ? l'?tat de langue', et non dans celui de 'non

dynamique' 42. Il est facile de d?montrer la justesse de cette vue. Rappelons tout d'abord que la parole est un ph?nom?ne qui se r?alise ? l'int?rieur d'une

35CLG/E 2847, 2848 : N 23.1 (p. 2). 36CLG/E 2900 : III C 33. 37CLG/E 2909 : III C 75. 38 Cf. E. Coseriu, Einfuhrung in die strukturelle Betrachtung des Wortschatzes, Tubingen 2i973, 32 ss. 39 Cf. K. Heger, Monem, Wort und Satz, Tubingen 1971, 13 ss. 40 CLG/E 355 : D 209. 41 Cf. Wunderli, Saussure-Studien, 50 ss. 42 Cf. p.ex. CLG/E 1386 : D 236.

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132 Cahiers Ferdinand de Saussure 36 (1982)

synchronie ?

et, on l'a souvent r?p?t?, Saussure reconna?t la n?cessit? d'une

linguistique de la parole bien qu'il ne l'aborde pas lui-m?me43. Or la parole est un acte, et un acte est par d?finition dynamique: ?... par la parole on

d?signe l'acte de l'individu r?alisant sa facult? au moyen de la convention

sociale qui est la langue?44. Et il pr?cise: ?Est (...) de la Parole: (...) tout ce qui est combinaison. ? Tout ce qui est Volont??45. Comment pr?tendre avec Guillaume que la parole saussurienne est un pur produit46, donc quel que chose de statique? Et Saussure n'affirme-t-il pas que ?le rudiment de tout changement dans la langue est dans la parole??47 Comment quelque chose d'adynamique pourrait-il ?tre responsable des faits ?volutifs, de ce

devenir permanent qu'est la langue? Certes, la langue prise par elle-m?me n'est pas dynamique, elle est dynamis?e par l'interaction permanente entre

parole et langue. Et la parole en tant que ph?nom?ne linguistique ne l'est aussi qu'indirectement, car elle d?pend de ce grand moteur psychologique qu'est pour Saussure la facult? de langage4*. A l'encontre de la comp?tence

chomskyenne, Saussure s?pare tr?s nettement le syst?me, l'inventaire des

outils, et la facult? de cr?er, d'employer et de modifier un tel syst?me ? et

ce n'est peut-?tre pas le moindre avantage de sa conception. Mais ce qui compte ici, c'est de pouvoir affirmer que la synchronie saussurienne est loin d'?tre quelque chose d'adynamique.

On peut l'?tablir jusque dans la conception saussurienne de la syntaxe49. Malgr? ce que Schuchardt, Coseriu, Chomsky et d'autres ont pr?tendu50, la

syntaxe n'appartient pas uniquement ? la parole, elle a son fondement dans la langue sous forme de ?types de syntagmes construits sur des formes

r?guli?res?51, donc sous forme de r?gles. Ces r?gles (statiques) sont dyna mis?es dans l'actualisation : ? nous parlons uniquement par syntagmes, et le m?canisme probable est que nous avons ces types de syntagmes dans la t?te, et qu'au moment de les employer, nous faisons intervenir le groupe d'asso ciations ? 52. Le statut de la syntaxe ne diff?re donc en rien de celui des autres

43 Cf. CLG 36 ss. (CLG/E 321 ss.) et 197, n. 1. 44 CLG/E 160 : II R 6. 45 CLG/E 246 : N 22.1 [3331] p. 1. 46 Cf. Wunderli, Saussure-Studien, 243-244. 47 CLG/E 1641 : D 249. 48 Cf. Wunderli, Saussure-Studien, 50-74 49 Cf. Wunderli, Saussure-Studien, 75"92 50 Cf. Wunderli, Saussure-Studien, 75-77 51 CLG 173 (CLG/E 2018). 52 CLG/E 2070 : II R 93

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P. Wunderli : La recherche saussurienne 133

domaines :' les mod?les, les patrons appartiennent ? la langue, les r?alisations concr?tes (phrases) ? la parole, et tous les deux sont en interd?pendance

dynamique.

4.4. Venons-en ? une conclusion interm?diaire. Le reproche d'une

approche non suffisamment diff?renci?e du ph?nom?ne linguistique avanc?

par Coseriu nous semble ?tre injustifi?. Pour les quatre cat?gories de B?hler, on trouve dans l' uvre du grand Genevois des correspondances plus ou

moins exactes. Les couples Sprachwerkflangue et Sprechhandlung/parole sont

hors discussion. Du Sprachwerk on pourrait rapprocher la S-parole, de la

cat?gorie du Sprachakt l'inventaire des patrons syntaxiques et interaction nels. Et n'oublions pas que les notions d'idiolecte, de sous-syst?me et de norme sont aussi pr?figur?es chez Saussure. Mais ne soyons pas injuste ?

l'?gard des critiques. Il est bien vrai que dans le Cours la pr?occupation de la langue et de la parole domine de fa?on presque absolue, et ce sont d'ail

leurs les seuls secteurs pour lesquels Saussure ait propos? de nouveaux ter mes. En outre, les ?diteurs ont ?limin? de fa?on plus ou moins syst?matique presque tous les passages dans lesquels il est question des cat?gories interm?

diaires. Cette insistance sur les p?les extr?mes d'un champ de ph?nom?nes tr?s vari? peut sans aucun doute se justifier d'un point de vue didactique - car n'oublions pas que l'innovation saussurienne est justement d'avoir saisi avec pr?cision des positions antipodales ; dans la discussion scientifique en revanche, cette mani?re de proc?der a provoqu? une s?rie de malentendus et a fait beaucoup de tort ? une pens?e de loin plus diff?renci?e qu'on ne

pourrait le croire d'apr?s les apparences.

4.5. Avant de conclure, deux remarques encore. Le probl?me de l'arbi

traire du signe a fait couler des flots d'encre (et fourni ? Rudolf Engler un

beau sujet de th?se53). Contrairement aux cas pr?c?dents, cette discussion

?tait sans fondement aucun, car la Vulgate est absolument claire et nette sur ce point : arbitraire ne veut pas dire que les correspondances entre signifi? et signifiant sont fortuites et ? la merci du tout le monde, mais tout

simplement qu'elles sont immotiv?es. Et Saussure ne pr?tend nulle part que le lien entre les deux parties du signe institutionalis? ne soit pas n?cessaire, tout au contraire: le caract?re obligatoire et conventionnel corrige le

manque de motivation et garantit par l? la continuit? du signe. Les deux

"Cf. R. Engler, Th?orie et critique d'un principe saussurien: l'arbitraire du signe: CFS 19, 1962, 5-66; id.,

Compl?ments ? l'arbitraire: CFS 21, 1964, 25-32.

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i34 Cahiers Ferdinand de Saussure 36 (1982)

principes (arbitraire et conventionnel) sont donc en relation d'interd?pen dance. ? Un deuxi?me aspect de l'arbitraire qu'Amacker appelle Y arbitraire

radical, est curieusement pass? sous silence, et ceci quoiqu'il soit lourd de

cons?quences54. Pour Saussure, la langue n'est pas une nomenclature, mais un syst?me de valeurs, ce qui ne signifie rien d'autre que les cat?gories r?f?rentielles ne sont pas pr?figur?es, mais se constituent seulement dans

l'interaction entre mode ext?rieur et langue. Saussure illustre ce ph?nom?ne ? l'aide d'exemples bien connus telles les oppositions entre angl. mutton/

sheep ? fr. mouton, ail. lieblteuer? fr. cher, etc.55. Il a donc une intuition s?re

de ce que Weisgerber appellera plus tard ?l'image linguistique du monde?, du relativisme linguistique de Whorf, de la forme du contenu dans la

terminologie de Hjelmslev. Un autre probl?me tr?s d?battu est celui de la lin?arit? des ph?nom?nes

linguistiques56. Pour Jakobson et Lepschy, Saussure postulerait ce ph?no m?ne dans le Cours uniquement pour les phon?mes, d'apr?s Godel et De

Mauro, c'est aux mon?mes qu'il attribuerait cette caract?ristique, et d'apr?s Martinet, le principe serait valable pour les deux domaines. Une analyse serr?e a montr? qu'en principe Martinet a raison, mais il faut nuancer cette

affirmation : dans le Cours, Saussure parle en premier lieu des mon?mes (sans

pourtant n?gliger les phon?mes), tandis que dans les ?tudes sur les ana

grammes, ce sont les phon?mes qui l'int?ressent de mani?re exclusive. Or ce principe est radicalement mis en question par Jakobson qui croit pouvoir d?montrer qu'il est sans fondement. Partant de son analyse des phon?mes en traits distinctifs, il affirme qu'il n'y a aucune impossibilit? de r?aliser

plusieurs de ces unit?s ? la fois, que leur simultan?it? est m?me constitutive des unit?s plus complexes ; un /p/ n'exige-t-il pas la superposition des traits

'occlusif, 'oral', 'sourd', 'bilabial' ? Dans un certain sens Jakobson a raison, mais il commet une erreur fonci?re, car il met en corr?lation deux plans hi?rarchiques diff?rents: celui du phon?me et celui de ses constituants directs. Saussure par contre mentionne des unit?s d'un seul et m?me niveau: phon?me et phon?me, mon?me et mon?me. De fait, ces unit?s, dans la r?alisation concr?te, ne peuvent ?tre dispos?es que de mani?re suc

cessive. On peut m?me ?largir ce principe ? toutes les figures lin?aires et ? tous les signes: lexies, syntagmes, phrases sont, dans la cha?ne parl?e, toujours dispos?s de fa?on lin?aire entre eux, et il en va de m?me pour le

54 Cf. R. Amacker, Linguistique saussurienne, Gen?ve/Paris 1975, part. 79 ss.

"Cf. CLG 160-161 ; CLG/E 1878 ss. 56 Cf. ? ce sujet et pour ce qui suit, Wunderli, Saussure-Studien, 93 ss.

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P. Wunderli : La recherche saussurienne 135

domaine suprasegmental : sch?mas accentuels, inton?mes, emphas?mes, affect?mes, etc. sont toujours dispos?s successivement57'. Il en va tout diff? remment quand on met en corr?lation des niveaux hi?rarchiques diff?rents :

patron lexical et mon?mes dans le cadre d'une lexie sont simultan?s, patron

syntaxique et lexies dans le cadre d'un syntagme le sont aussi, et naturelle ment ceci est ?galement valable pour la phrase, qui se constitue par la

r?alisation simultan?e d'un patron syntaxique et des syntagmes constitutifs. Et n'oublions pas que le domaine suprasegmental ob?it aux m?mes lois: sch?mas accentuels et inton?mes, inton?mes et phras?mes, phras?mes et

affect?mes, etc. se superposent dans la cha?ne parl?e, bien que les unit?s du

m?me rang restent toujours successives. Enfin on peut ?tendre ce principe m?me ? l'interaction des deux domaines majeurs, le segmentai et le supra

segmental. Ces r?flexions nous ont ?loign? de Saussure et du Cours ? mais c'est

toujours Saussure, les controverses autour de sa pens?e qui nous ont fourni le point de d?part.

5. On pourrait allonger cette liste des points controvers?s du Cours, car

la source est presque in?puisable. Mais nous nous en tenons l? pour con

clure.

5.1. Partons de la fameuse phrase finale de la Vulgate d'apr?s laquelle ?la linguistique a pour unique et v?ritable objet la langue envisag?e en

elle-m?me et pour elle-m?me? 58. Cette phrase ne se trouve pas, comme on

sait, dans les sources, et pourtant nous croyons que les ?diteurs y ont

parfaitement caract?ris? la conception saussurienne de la linguistique. Il

s'agit l? d'une d?finition tr?s personnelle, tr?s sp?cifique du domaine de cette science : elle ne doit s'occuper que des signes qui ont un caract?re de

valeur et qui forment un syst?me ?

que ce soit du point de vue synchroni que ou historique. Saussure exclut par elle un grand nombre de domaines annexes et les renvoie ? d'autres disciplines. Ceci est tout d'abord valable ? chose fort curieuse ?

pour les phon?mes et les syllabes qui ?n'ont de valeur qu'en phonologie?; ?la suite de sons... n'est plus que la mati?re

d'une ?tude physiologique? 59. Il en va de m?me pour les parties du signe, car ?l'entit? linguistique n'existe que par l'association du signifiant et du

57 Cf. Wunderli, Franzosische Intonationsforschung, Tubingen 1978, part. 885-95; id., Saussure und die Ana

gramme, Tubingen 1972, 92-95. 58 CLG 324. 59CLG 144 et CLG/E 1693 : III C 287-288.

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136 Cahiers Ferdinand de Saussure 36 (1982)

signifi?...; d?s qu'on ne retient qu'un de ces ?l?ments, elle s'?vanouit?. Saussure proc?de de m?me pour les donn?es panchroniques, qui pr?cis?ment parce qu'elles le sont, ne peuvent jamais ?tre des valeurs, car ?c'est juste ment ce qui marquera ce qui est linguistique et ce qui ne l'est pas, c'est-? dire qui peut ?tre consid?r? panchroniquement ?60. N'appartiennent pas non plus ? la linguistique proprement dite les disciplines que Saussure classe sous l'en-t?te de la linguistique externe, ? savoir celles qui s'occupent des relations entre la langue d'une part, l'ethnologie, l'histoire politique, les institutions socio-culturelles (?glise, ?cole, litt?rature, etc.), la g?ographie, l'?conomie, la technique, etc. d'autre part61. Finalement, il a tendance

m?me ? exclure la linguistique de la parole, ? laquelle ? on peut ? la rigueur conserver le nom de linguistique... Mais il ne faudra pas la confondre avec

la linguistique proprement dite, celle dont la langue est l'unique objet?62. Nous avons l? une acception extr?mement ?troite du terme 'linguisti

que' ? mais puisqu'il s'agit d'un terme technique et par l? d?finissable, elle

n'est pas ill?gitime.

5.2. Malgr? cette d?finition restrictive de la linguistique, la conception saussurienne est ouverte ? tous les ?gards : Saussure n'emploie le terme que dans le sens que nous venons de d?gager, mais il ne niera jamais l'int?r?t, voire la n?cessit? de tous les aspects et de toutes les disciplines qui, au

premier abord, sont rel?gu?s en marge avec d?sinvolture. Or c'est par ce

proc?d? que Saussure sauvegarde la flexibilit? de sa conception et c'est pour cette raison qu'aujourd'hui m?me elle est loin d'?tre d?pass?e : elle n'est pas un objet de pure analyse historique, comme le pr?tendent certains (p. ex.

Gauger), elle constitue un ?l?ment dynamique dans le d?veloppement actuel et futur de notre discipline. De fait, la linguistique en tant que science des syst?mes de signes est subordonn?e ? la s?miologie et celle-ci (y

compris la linguistique) participe elle-m?me de la psychologie et de la

sociologie63. A c?t? de la linguistique proprement dite, les disciplines modernes de la s?miotique, de la psycholinguistique et de la sociolinguisti que sont donc pr?figur?es. Mais il y a beaucoup plus. Le fait que Saussure reconnaisse le besoin d'une linguistique de la parole nous ouvre des perspec tives sur la th?orie des actes de langage et sur la pragmatique. La question

60CLG/E 1590 : II R 62. 61 Cf. CLG/E 389-391 : II R 45, et surtout CLG 39-40. 62 CLG 39-40. 63 Cf. Wunderli, Saussure-Studien, 167-68.

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Page 20: Problèmes et résultats de la recherche saussurienne

P. Wunderli : La recherche saussurienne 137

de l'arbitraire radical et, partant, du domaine r?f?rentiel, nous permet d'in

t?grer les pr?occupations de la grammaire g?n?rative et surtout de la s?man

tique g?n?rative, ainsi que de la grammaire des cas. Et la notion de linguis

tique externe sert finalement de cadre ? toute sorte d'activit?s interdiscipli naires, comme Pethnolinguistique et d'autres.

La linguistique au sens saussurien, la science du syst?me, n'est donc pas

quelque chose d'absolu qui pourrait pr?tendre ? une existence ind?pen dante. Tout au contraire : la langue est une hypostase de la pratique sociale ? un produit social du point de vue historique, un fait social du point de vue synchronique. La langue ?tant port?e, utilis?e et modifi?e par l'homme et par la soci?t?, la linguistique (dans le sens large du terme) s'av?re donc

?tre une science humaine en corr?lation et en interaction avec toutes les autres sciences humaines. Telle est pour nous, et de fa?on presque para doxale, l'importance particuli?re du mod?le saussurien64.

Romanisches Seminar

Universitatstrasse 1

D-4 Di?sseldorf 1

64 Je remercie M. Pierre Berrut d'avoir revu cette ?tude du point de vue stylistique.

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