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1 CAPAVOCAT PROCEDURE CIVILE CORRECTION DU DST n°2 DU LUNDI 9 août 2010 SUJET n° 1 : COMMENTAIRE DE L’ARTICLE 49 DU CPC « Le juge de l’action est le juge de l’exception ». Tel est l’adage mis en œuvre à l’article 49 du Code de procédure civile. Disposition commune à la compétence d’attribution et la compétence matérielle (chapitre 3 du titre III relatif à la compétence, du livre premier relatif aux dispositions communes à toute les juridictions) elle prévoit que : « Toute juridiction saisie d’une demande de sa compétence connaît, même s’ils exigent l’interprétation d’un contrat, de tous les moyens de défense à l’exception de ceux qui soulèvent une question relevant de la compétence exclusive d’une autre juridiction ». Ce faisant, elle pose un principe d’extension de compétence et sa limite. Ce principe permet à la fois de simplifier et de rationaliser la procédure. Il simplifie la procédure car il permet aux parties de soumettre leur entier litige à la même juridiction plutôt qu’à plusieurs. Il rationalise ensuite la procédure car il permet au juge saisi de connaître de l’ensemble des demandes et défenses d’une même affaire, ce qui lui permet d’avoir une vision globale de celle-ci. On évite ainsi que des décisions incompatibles soient rendues sur des questions connexes. Parallèlement à ce phénomène de simplification et de rationalisation de la procédure, les juges sont, depuis le milieu du XX e siècle, de plus en plus spécialisés, que ce soit au sein même des juridictions que par la multiplication des juridictions à juge unique. Cette spécialisation est en toute logique accompagnée d’une exclusivité de la compétence de ces juges. Dès lors, les compétences exclusives se multipliant, le principe de l’extension de compétence trouve de moins en moins à s’appliquer. Est-ce à dire pour autant que la qualité de la justice est amoindrie par ce phénomène ? Rien n’est moins sûr. En effet, la spécialisation des juges répond à une nécessité de perfectionnement de leur compétence pour augmenter la qualité des décisions rendues. Tout est alors une question de mesure. Le principe de l’extension de compétence paraît nécessaire, tout comme la spécialisation des juges qui vient en limiter la portée. C’est pour répondre à cette exigence de qualité de la justice que l’article 49 CPC pose un principe d’extension de compétence (I), et une limite (II). I. Le principe de l’extension de compétence La mise en œuvre de l’article 49 du Code de procédure civile permet au juge de connaître des questions qui ne relèvent normalement pas de sa compétence (B), dès lors que la demande entre dans le champ de celle-ci (A). A. La compétence du juge au principal L’article 49 CPC s’applique lorsque la juridiction est « saisie d’une demande de sa compétence ». Les règles de compétence sont des règles de répartition des litiges entre les juges d’un système judiciaire. Cette répartition doit permettre à la fois de traiter efficacement les litiges et le plus rapidement possible. Pour cela, il existe des règles de compétence d’attribution, ou encore rationae materiae (art. 33 à 41 CPC), et des règles de compétence territoriale, ou encore rationae loci (art. 42 à 48 CPC). La demande principale, qui détermine l’objet du litige, détermine également la

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CAPAVOCAT PROCEDURE CIVILE

CORRECTION DU DST n°2 DU LUNDI 9 août 2010 SUJET n° 1 : COMMENTAIRE DE L’ARTICLE 49 DU CPC « Le juge de l’action est le juge de l’exception ». Tel est l’adage mis en œuvre à l’article 49 du Code de procédure civile. Disposition commune à la compétence d’attribution et la compétence matérielle (chapitre 3 du titre III relatif à la compétence, du livre premier relatif aux dispositions communes à toute les juridictions) elle prévoit que : « Toute juridiction saisie d’une demande de sa compétence connaît, même s’ils exigent l’interprétation d’un contrat, de tous les moyens de défense à l’exception de ceux qui soulèvent une question relevant de la compétence exclusive d’une autre juridiction ». Ce faisant, elle pose un principe d’extension de compétence et sa limite. Ce principe permet à la fois de simplifier et de rationaliser la procédure. Il simplifie la procédure car il permet aux parties de soumettre leur entier litige à la même juridiction plutôt qu’à plusieurs. Il rationalise ensuite la procédure car il permet au juge saisi de connaître de l’ensemble des demandes et défenses d’une même affaire, ce qui lui permet d’avoir une vision globale de celle-ci. On évite ainsi que des décisions incompatibles soient rendues sur des questions connexes. Parallèlement à ce phénomène de simplification et de rationalisation de la procédure, les juges sont, depuis le milieu du XXe siècle, de plus en plus spécialisés, que ce soit au sein même des juridictions que par la multiplication des juridictions à juge unique. Cette spécialisation est en toute logique accompagnée d’une exclusivité de la compétence de ces juges. Dès lors, les compétences exclusives se multipliant, le principe de l’extension de compétence trouve de moins en moins à s’appliquer. Est-ce à dire pour autant que la qualité de la justice est amoindrie par ce phénomène ? Rien n’est moins sûr. En effet, la spécialisation des juges répond à une nécessité de perfectionnement de leur compétence pour augmenter la qualité des décisions rendues. Tout est alors une question de mesure. Le principe de l’extension de compétence paraît nécessaire, tout comme la spécialisation des juges qui vient en limiter la portée. C’est pour répondre à cette exigence de qualité de la justice que l’article 49 CPC pose un principe d’extension de compétence (I), et une limite (II). I. Le principe de l’extension de compétence La mise en œuvre de l’article 49 du Code de procédure civile permet au juge de connaître des questions qui ne relèvent normalement pas de sa compétence (B), dès lors que la demande entre dans le champ de celle-ci (A). A. La compétence du juge au principal L’article 49 CPC s’applique lorsque la juridiction est « saisie d’une demande de sa compétence ». Les règles de compétence sont des règles de répartition des litiges entre les juges d’un système judiciaire. Cette répartition doit permettre à la fois de traiter efficacement les litiges et le plus rapidement possible. Pour cela, il existe des règles de compétence d’attribution, ou encore rationae materiae (art. 33 à 41 CPC), et des règles de compétence territoriale, ou encore rationae loci (art. 42 à 48 CPC). La demande principale, qui détermine l’objet du litige, détermine également la

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compétence du juge. Seulement, les questions soulevées ne s’arrêtent pas à une demande principale, à laquelle on oppose une défense au fond. Il peut également exister des demandes accessoires et des moyens de défense qui ne relèvent pas de la compétence du juge saisi de la demande principale. Faut-il alors que les parties saisissent le juge compétent pour trancher ces demandes accessoires ou ces moyens de défense ? Si tel était systématiquement le cas, la procédure s’en trouverait dans une majorité de litiges dramatiquement ralentie, en raison d’une multiplication des sursis à statuer. Cela donnerait ainsi aux parties une arme efficace pour ralentir la procédure. Par ailleurs, le litige s’en trouverait morcelé, ce qui ne permettrait pas au juge de rendre une décision éclairée, et ce qui risquerait de mettre le justiciable face à des décisions de justice incompatibles. C’est pour ces raisons que le « le juge de l’action est le juge de l’exception » aux termes de l’article 49 CPC. La compétence du juge saisi du principal est alors étendue à l’accessoire. B. L’extension de la compétence du juge à l’accessoire Le principe de l’extension légale de compétence est posé par l’article 49 CPC : le juge saisi de la demande principale « connaît, même s’ils exigent l’interprétation d’un contrat, de tous les moyens de défense ». Il est à noter que l’article 50 CPC en fait de même pour les incidents d’instance et l’article 51 CPC pour les demandes incidentes. Pour autant, dans le cadre de notre étude, nous nous contenterons d’étudier l’extension de compétence aux moyens de défense. Il s’agit des moyens de défense au fond, mais également des exceptions de procédure et des fins de non-recevoir. Par exemple, lorsqu’un créancier assigne une caution en paiement de la dette cautionnée, sa demande principale porte sur la mise en œuvre du cautionnement. C’est donc le juge du cautionnement qu’il saisira. Si la caution, défenderesse, soulève un moyen de défense au fond, invoquant une exception tenant au caractère tardif de la déclaration de créance à la procédure collective, le juge du cautionnement, juge de l’action, pourra également statuer sur le moyen de défense et être ainsi le juge de l’exception, alors que celle-ci relève normalement du juge rapporteur à la procédure collective (Com., 18 février 2003). Cela illustre clairement l’intérêt de soumettre au juge de l’action les moyens de défense soulevant des questions, qui, lorsqu’elles lui sont soumises, sont aussi appelées questions préalables. L’extension de compétence de l’article 49 CPC permet ainsi de simplifier et de rationaliser la procédure. Elle trouve une application naturelle devant la juridiction de droit commun (le tribunal de grande instance), puisque cette juridiction a virtuellement vocation à connaître de toutes les questions de droit privé, mais l’article 49 CPC, qui est une disposition commune à toutes les juridictions s’applique également aux juridictions d’exception. Par exemple, la Cour de cassation a retenu que saisi d'une action en paiement des loyers, le juge d'instance peut connaître des moyens pris de l'irrégularité de la délibération de l'assemblée de copropriétaires, lequel ne relève pas de la compétence exclusive du tribunal de grande instance (Civ. 2e, 5 février 1985). Ce faisant, cela permet d’atteindre l’objectif d’une bonne justice, car il faut que le juge soit éclairé le plus possible sur les éléments d’un litige pour prendre la bonne décision. Cela permet également d’atteindre l’objectif d’une bonne administration de la justice, car une seule juridiction traite le litige et les contentieux n’étant pas éclaté, la procédure sera à la fois moins coûteuse pour les parties, et plus rapide. Il apparaît alors que la bonne administration de la justice et la bonne justice passe par une extension de compétence dans certains cas. Toutefois, il ne faut pas que n’importe quelle juridiction puisse statuer sur n’importe quelle question. Il faut donc trouver un équilibre en fixant une limite au principe de l’extension de compétence.

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II. La limite de l’extension de compétence Le principe de l’extension de compétence poursuit le même objectif que la spécialisation des juges : l’efficacité de la justice. Pour assurer un équilibre, l’article 49 CPC prévoit ainsi une exception au principe : la compétence exclusive d’une autre juridiction (A). Toutefois, cette exception ne doit pas permettre les manouvres dilatoires des parties. La portée de l’exception doit être ainsi être limitée (B). A. Une exception au principe : la compétence exclusive d’une autre juridiction L’article 49 CPC autorise l'extension de la compétence aux moyens de défense « à l'exception de ceux qui soulèvent une question relevant de la compétence exclusive d'une autre juridiction ». La compétence exclusive se définit comme l’aptitude d’un juge à connaître exclusivement d’une question. Dès lors les moyens de défense relevant de la compétence exclusive d’un juge ne sauraient être examinés par un autre juge. Cela se justifie non seulement par la nature de cette compétence qui est d’ordre public, ne permettant ainsi aucune dérogation, mais également par l’objectif recherché par le législateur qui est l’amélioration de la qualité de la justice dans des matières dont on considère qu’une spécialisation des juges est nécessaire. Il ne saurait donc être question de soumettre ces litiges à d’autres juges que ceux qui se sont spécialisés pour les résoudre. La compétence exclusive apparaît donc comme une limite normale de l’extension de compétence. Lorsque le moyen de défense soulève « une question relevant de la compétence exclusive d'une autre juridiction », la question n’est plus dite préalable, mais préjudicielle. Le juge doit alors surseoir à statuer et poser la question au juge exclusivement compétent. Il devra désigner la juridiction selon lui compétente, s'il s'agit d'une juridiction civile (art. 96, al. 2 CPC) ou se contenter de renvoyer les parties « à mieux se pourvoir » si l'affaire relève de la compétence d'une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère (art. 96, al. 1er CPC). Dans les deux cas, il décidera de surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle ait été définitivement tranchée par la juridiction compétente (art. 378 s. CPC) On distingue plusieurs catégories de questions préjudicielles : elles peuvent être générales ou spéciales. Les questions préjudicielles sont dites générales lorsqu’elles relèvent de la compétence d’une juridiction administrative, pénale ou étrangère, autrement dit, lorsqu’elles ne relèvent pas de la compétence d’une juridiction civile. Les questions préjudicielles sont dites spéciales lorsqu’elles relèvent au contraire de la compétence exclusive d’une autre juridiction civile (ou encore celles dont l’objet est d’obtenir un avis de la Cour de cassation, mais cela reste facultatif). Les hypothèses de question préjudicielle sont donc nombreuses, et se multiplient avec l’augmentation des juridictions spéciales. Or, comme nous l’avons vu, le processus de la question préjudicielle retarde de manière importante l’issue du procès. De fait, il est nécessaire de le limiter. B. Une exception à la portée limitée L’exception prévue à l’article 49 CPC ne doit pas être pour les parties un moyen de retarder inutilement le déroulement du procès. L’exigence d’une bonne justice et d’une bonne administration de la justice nécessite alors de limiter la portée de l’exception de la question préjudicielle. D’une part, le juge ne doit soumettre au juge exclusivement la question préjudicielle que s’il l’estime sérieuse et si elle peut avoir une incidence sur la solution du litige. Ce principe de pertinence ne découle pas directement de l’article 49 CPC qui est silencieux sur ce point.

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Toutefois, il existe dans le Code de procédure civile un principe général de pertinence que l’on retrouve par exemple aux article 9 ou 145 CPC. Il appartient donc au juge d'apprécier s'il s'agit bien d'une question préjudicielle. En effet, le juge peut passer outre l'exception ou le moyen de défense qui sont opposés à la demande dont il est saisi s'il considère que la question n'est pas sérieuse ou n'est pas nécessaire à la solution du litige (Civ. 2e, 19 mai 1987 ; 19 avril 1988 ; 26 juin 1990). Encore faut-il qu'il motive sa décision sur ce point et qu'il ne la fonde pas finalement sur l'exception ou le moyen de défense estimé inopérant. De même ne peut-il pas passer outre la question préjudicielle en considérant que sa réponse est évidente ; en cela, il statue en effet sur une question qui ne relève pas de sa compétence (Civ. 2e, 24 octobre 1995). D’autre part, le juge n’aura l’obligation de surseoir à statuer que si une exception d’incompétence est valablement soulevée par l’une des parties. En effet, aux termes des articles 92 CPC (en matière d’incompétence d’attribution) et 93 CPC (en matière d’incompétence territoriale), le juge n’a jamais que la faculté de soulever son incompétence. De fait, si les parties ne soulèvent pas d’exception d’incompétence, le juge saisi de la demande principale pourrait trancher également la question qui relève de la compétence exclusive d’une autre juridiction. Cette limite à la portée de l’exception prévue à l’article 49 CPC se révèle d’autant plus importante que le XXe siècle a connu une forte inflation des compétences exclusives dans l’ordre judiciaire pour répondre au souci d’efficacité de la justice dans un contexte de complexification et de multiplication des litiges. La spécialisation des juges devait permettre de lutter contre une lenteur de la justice toujours plus importante et de plus en plus sanctionnée par la Cour européenne des droits de l'homme, au titre de l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, relatif au procès équitable. Toutefois, la multiplication des compétences exclusives, en multipliant les questions préjudicielles peut produire le résultat inverse, comme nous l’avons vu. Cet objectif ne saurait ainsi être atteint que si un équilibre est trouvé avec le principe de l’extension de la compétence prévue à l’article 49 CPC.

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SUJET N° 2 : Commentaire de l’arrêt rendu le 10 novembre 2009 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation Selon un adage latin, « res judicata pro veritate habetur » : la chose jugée est considérée comme la vérité. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une fiction : toutes les énonciations contenues dans un jugement ne correspondent pas à la vérité. L’existence de voies de recours le prouve ! En outre, la détermination de la chose jugée soulève souvent des difficultés, même si le Code civil tente de régler la question. Le présent arrêt est une illustration supplémentaire du contentieux récurrent en ce domaine. Un jugement de bornage devenu irrévocable du 17 novembre 2000 a fixé la limite de entre deux propriétés. L’un des voisins, M. Y., a ultérieurement fait édifier une clôture sans respecter la ligne divisoire. Sa voisine, Mme X., l'a alors assigné en démolition de cette clôture. Sans doute à titre reconventionnel, M. Y. revendique la propriété de l’une des parcelles. Par arrêt rendu le 5 mai 2008, la cour d'appel de Basse-Terre ordonne la démolition de la clôture sous astreinte et déclare la demande reconventionnelle irrecevable. Selon la Cour d’appel, l’action en revendication exercée par M. Y vise à remettre en cause un bornage définitif et heurte donc l’autorité de la chose jugée du jugement rendu le 17 novembre 2000. M. Y. se pourvoit en cassation, invitant la Haute juridiction à se prononcer sur le point de savoir si le jugement de bornage a autorité de la chose jugée concernant la propriété de la parcelle, rendant toute action en revendication irrecevable. La Cour de cassation casse l'arrêt d'appel pour violation de l'article 1351 du Code civil. Au visa de ce texte, la Cour de cassation précise dans un attendu de principe, désormais traditionnel que « l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement, qu'il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ». En l’espèce, la Haute juridiction a considéré que le jugement passé en force de chose jugée a seulement tranché la question du bornage, mais ne s’est pas prononcé sur la propriété de la parcelle. La Cour d’appel ne pouvait donc pas déclarer l’action en revendication irrecevable. Si l’attendu de principe contenu dans cet arrêt n’est guère isolé, il reste que cette solution soulève des interrogations vis-à-vis de la jurisprudence récente relative au principe de concentration des moyens. Autrement dit, le présent arrêt invite à aborder en premier lieu le rappel de la triple identité de l’article 1351 du Code civil (I), puis à envisager l’impact de la solution sur le principe de concentrations des demandes, celui apparaissant quelque peu écarté (II). I. La triple identité de l’article 1351 du Code civil rappelée Au visa de l’article 1351 du Code civil, la Cour de cassation rappelle la règle de la triple identité. Ce rappel conduit à envisager le rôle de cette règle qui consiste à éviter la multiplication des procédures (A). Mais cet attendu de principe est aussi une invitation à une mise en œuvre de ces critères (B).

A. Le rôle de la triple identité Dans l’arrêt rendu le 10 novembre 2009, la Cour de cassation reproduit dans un attendu de principe le contenu de l’article 1351 du Code civil (v. déjà Civ. 1re, 18 octobre 2006). Selon ce dernier texte, « L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du

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jugement. Il faut que la chose demandée soit la même; que la demande soit fondée sur la même cause; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ». Ce texte pose les critères d’irrecevabilité de la demande pour chose jugée, la chose jugée étant une fin de non recevoir susceptible d’être relevée d’office par le juge. L’autorité de la chose jugée peut se manifester de manières différentes. Dans sa forme la plus évidente, elle s’oppose à ce qu’un juge statue, en dehors d’une voie de recours, sur une demande qui a déjà fait l’objet d’une précédente décision de justice. La loi veut éviter que le même procès soit refait à l’infini par les mêmes parties. Cette première forme d’autorité de la chose jugée est donc celle prévue par l’article 1351 du Code civil. La doctrine parle parfois d’autorité négative de la chose jugée. En l’espèce, l’exception de chose jugée était opposée au voisin agissant en revendication de propriété, alors qu’un jugement définitif de bornage était déjà intervenu. Autrement dit, la question qui se posait était de savoir si ce jugement de bornage faisait obstacle à toute action relative au droit de propriété des parcelles concernées. Les enjeux d’une telle question sont évidents : soit on admet que le premier jugement n’a pas tranché la question de la propriété, et on permet à la personne qui agit de faire valoir ses droits ; soit on limite les possibilités de recours pour éviter l’encombrement des juridictions et pour garantir une certaine sécurité juridique. En l’espèce, la Cour de cassation est plus sensible à la première branche de l’alternative.

B. La mise en œuvre de la triple identité Au visa de l’article 1351 du Code civil, la Cour de cassation invite les juges du fond à mettre en œuvre la règle de la triple identité : identité des parties ; identité d’objet ; identité de cause. Concernant l’identité des parties, l’autorité de la chose jugée ne peut jouer que si sont présentes les mêmes parties, prises en la même qualité. En l’espèce, le jugement définitif de bornage puis l’action en revendication de propriété concernait les mêmes parties, peu importe que le défendeur dans le premier procès soit devenu demandeur au second procès. Concernant l’identité de cause, plusieurs conceptions sont possibles, mais le plus souvent, la doctrine considère qu’il s’agit des faits juridiquement qualifiés. Néanmoins, la jurisprudence récente a conduit à considérer que la cause se limite aux faits, étendant ainsi le domaine de la chose jugée. En l’espèce, il apparaît difficile de dire si les faits ont évolué entre les deux procès, faute de précision dans l’arrêt. Concernant l’identité d’objet, l’autorité de la chose jugée ne peut jouer que si dans les deux cas la prétention est la même. Pour une telle appréciation, la jurisprudence a tendance à faire référence à la finalité, à l’effet de l’action. En réalité, il faut apprécier à la fois la matérialité de ce qui est demandé et la nature du droit qui est revendiqué. En l’espèce, l’identité de l’objet fait défaut, conduisant au rejet de l’exception de chose jugée. En effet, la Cour de cassation relève que la demande en bornage sur lequel le jugement définitif avait statué tendait « exclusivement à la fixation de la ligne divisoire entre les fonds ». La finalité de cette demande n’était pas de déterminer le droit de propriété respectif des voisins, de sorte qu’une action en revendication ultérieure est possible. Autrement dit, l'action en revendication a un autre objet que l'action en fixation de bornes. A priori, la solution est critiquable pour au moins deux raisons. D’une part, on pourrait considérer que le jugement de bornage a nécessairement apprécié le droit de propriété respectif des voisins, empêchant toute revendication ultérieure. Néanmoins, une telle conception n’est pas conforme au droit des biens : celui qui perd au bornage peut très bien agir au pétitoire.

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D’autre part, d’un point de vue procédural, M. Y. n’aurait-il pas dû revendiquer dès l’instance relative au bornage son droit de propriété ? En considérant que M. Y. peut agir en revendication après un jugement définitif de bornage, la Cour de cassation assouplit nécessaire le principe de concentration des moyens. II. La concentration des demandes écartée En imposant le respect de la règle de la triple identité posée à l’article 1351 du Code civil, la Cour de cassation réduit la possibilité de soulever l’exception de chose jugée et facilite l’introduction d’une nouvelle action par les parties (A). Par conséquent, cette décision tend à écarter l’idée d’une concentration des demandes, de sorte que l’objet devient un critère déterminant de la chose jugée (B).

A. La possibilité pour le défendeur d’introduire une nouvelle action En considérant que « la décision passée en force de chose jugée […] n'avait pas eu à trancher la question de propriété de la parcelle et ne faisait pas obstacle à l'action en revendication », la Cour de cassation permet au défendeur à l’action en bornage d’introduire une nouvelle action. L'arrêt du 13 novembre 2009 doit être rapproché du célèbre arrêt Cesareo du 7 juillet 2006 qui a posé le principe selon lequel « il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ». Ce principe de concentration des moyens a été étendu au défendeur dans un arrêt remarqué de la troisième chambre civile du 13 février 2008 qui avait pu décider qu’ « il incombe au défendeur à une action en régularisation forcée d'une vente de présenter dès l'instance initiale l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à faire échec à la demande, de sorte que son action nouvelle en rescision de la vente pour lésion se heurte à l'autorité de la chose précédemment jugée ».. Ces solutions jurisprudentielles ont conduit à se demander si les plaideurs ont également l’obligation de concentrer leurs demandes. A la concentration des moyens, pourraient s’ajouter une concentration des demandes, ce que la Cour de cassation a semblé admettre dans un arrêt du 12 novembre 2008 rendu à propos des demandes reconventionnelles de la caution. Cependant, la jurisprudence récente, à l’image de l’arrêt commenté, écarte la concentration des demandes. La règle de la triple identité, spécialement, la règle de l’identité de l’objet permet d’écarter l’exception de chose jugée et fait obstacle à la concentration des demandes : si l’objet de la seconde demande est distinct de la première, on ne saurait reprocher au plaideur de ne pas avoir soulevé toutes les demandes lui permettant de faire valoir ses droits. L’arrêt du 10 novembre 2009 est à rapprocher d’un arrêt du 12 janvier 2010 où la troisième chambre civile de la Cour de cassation a considéré que « la nouvelle demande qui tend à la réparation de dommages constituant des éléments de préjudice non inclus dans la demande initiale, a un objet différent de celle ayant donné lieu à la précédente instance ». Dans ce dernier arrêt, comme dans l’arrêt commenté, c’est l’objet de la demande qui semble être le critère déterminant de l’exception de la chose jugée.

B. L’objet de la demande, critère déterminant de la chose jugée ? L’arrêt du 10 novembre 2009 n’est pas forcément incohérent avec la jurisprudence relative au principe de concentration des moyens. En effet, l’arrêt du 10 novembre 2009 rejoint la jurisprudence Cesareo dans la mise en œuvre de la règle contenue à l’article 1351 du Code civil. Ainsi, dans l’arrêt Cesareo, les deux actions en justice menées visaient à obtenir le paiement d’une somme d’argent sur un fondement juridique différent. Dans cette affaire, la Cour de cassation a considéré que le demandeur aurait dû soulever tous les moyens nécessaires au

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succès de sa prétention lors de la première procédure : l’exception de chose jugée est retenue en raison d’une identité d’objet. Dans l’arrêt du 10 novembre 2009, l’exception de chose jugée est écartée, précisément parce que l’objet des deux demandes est différent : le bornage n’a pas vocation à définir les droits de propriété respectifs des voisins. Cependant, l’arrêt Cesareo du 7 juillet 2006 a conduit à transformer quelque peu la règle de l’article 1351 du Code civil : la triple identité est devenue une double identité, puisque la cause tend à se fondre dans l’objet. En effet, dès lors que l’objet et les parties sont identiques, le principe de concentration des moyens fait obstacle à toute nouvelle action en justice sauf si les faits ont évolués. Ici, l’arrêt du 10 novembre 2009 se concilie mal avec cette jurisprudence puisqu’il rappelle la règle de la triple identité. L’article 1351 du Code civil est cité in extenso par la Cour de cassation, laissant penser que les trois conditions posées par ce texte doivent être vérifiées. Face de telles incertitudes, la jurisprudence devrait encore évoluer…

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SUJET n ° 3 : CAS PRATIQUE Les différents problèmes soulevés seront traités successivement. 1) La voie de recours : l’appel ou le contredit En l’espèce, le juge a rendu un premier jugement par lequel il a statué sur sa compétence, mais aussi sur une exception de procédure, sur une fin de non-recevoir et sur un moyen soulevant la nullité du contrat qu’il a déclaré irrecevable. Suivant l’article 80 CPC, lorsque le juge se prononce sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision ne peut être attaquée que par la voie du contredit. La question est alors de savoir si en statuant sur une exception de procédure, sur une fin de non-recevoir et en déclarant un moyen soulevant la nullité du contrat irrecevable, le juge a statué sur le fond du litige. En statuant sur une exception de procédure et sur une fin de non-recevoir, le juge n’a, a priori, pas statué sur le fond du litige. En effet, les exceptions de procédure (art. 74 s. CPC) et les fins de non-recevoir (art. 122 s. CPC) sont des moyens de défense qui se distinguent des défenses au fond (art. 71 CPC). Toutefois, lorsque le juge, en statuant sur une exception de procédure ou une fin de non-recevoir, met fin à l’instance, l’article 544 CPC prévoit que l’appel immédiat est possible. Il semble alors qu’il faille distinguer suivant que le juge a ou non mis fin à l’instance. Si le juge met fin à l’instance, seul l’appel est ouvert (Civ. 2e, 28 février 1996). Si le juge ne met pas fin à l’instance, seul le contredit est ouvert (Civ. 2e, 4 juillet 2007). En l’espèce, le juge a écarté l’exception de procédure et la fin de non-recevoir. De fait, il n’a pas mis fin à l’instance. L’appel immédiat ne semble donc pas ouvert. Il reste que le juge a également déclaré irrecevable le moyen tendant à déclarer le contrat nul. La question de la nullité du contrat relève, à n’en point douter, du fond du litige. Toutefois, on ne peut pas dire que le juge a statué sur le fond du litige puisqu’il a déclaré le moyen irrecevable. Dans une telle hypothèse, il semble que le juge n’a statué que sur sa compétence, au sens de l’article 80 CPC. C’est ce que retient la jurisprudence dans une hypothèse comparable (Civ. 2e, 14 mars 1979). En conclusion, seul la voie du contredit semble être ouverte. De plus, lorsqu’il existe un doute sur la voie de recours, il est préférable de former un contredit. En effet, l’article 91 CPC prévoit que lorsque la cour d’appel est saisie par la voie du contredit alors qu’elle devait l’être par la voie de l’appel, elle n’en demeure pas moins saisie. En revanche, l’inverse n’est pas vrai. Si la cour d’appel est saisie à tort par la voie de l’appel, elle déclare l’appel irrecevable (Civ. 1re, 18 janvier 1983). En l’espèce, il faut donc former un contredit. L’article 82 CPC prévoit que le contredit doit être formé dans les 15 jours à compter du prononcé de la décision. De plus, le contredit doit être motivé. L’auteur doit indiquer les raisons pour lesquelles il estime la juridiction saisie incompétente et la juridiction qu’il estime compétente. 2) La régularité de l’assignation En l’espèce, l’assignation mentionne le nom commercial de la requérante et non le nom statutaire. De fait, l’assignation est délivrée au nom d’une personne morale qui n’existe pas.

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Or, l’article 117 CPC prévoit que le défaut de capacité d’ester en justice est une irrégularité de fond affectant la validité de l’acte de procédure. Toutefois, le juge a déclaré l’assignation valable, faute de grief. Le juge a donc estimé que le vice était de forme et appliqué l’article 114 CPC. La question est alors de savoir si l'assignation délivrée par une société sous son nom commercial est entachée d’un vice de fond ou d’un vice de forme. On sait que la jurisprudence interprète restrictivement l’article 117 CPC, en estimant qu’il est limitatif (CM, 7 juillet 2006). Si le vice affecte l’instumentum de l’acte, il est de forme, s’il affecte le negotium, il est de fond. De fait, le vice de forme s’apprécie par rapport à l’acte alors que le vice de fond s’apprécie par rapport à l’auteur de l’acte. En l’espèce, l’auteur de l’acte est une société qui semble valablement constituée et avoir la capacité d’ester en justice. Le problème vient en réalité de l’acte lui-même qui indique par erreur le nom commercial de la société au lieu d’indiquer le nom statutaire. Dans une telle hypothèse, il faut estimer que le vice est de forme. C’est ce qu’a rappelé récemment la Cour de cassation (Civ. 2e, 11 décembre 2008). Par conséquent, l’assignation est affectée d’un vice de forme, de sorte que l’article 114 CPC est applicable. La décision du juge de rejeter l’exception de nullité pour vice de fond est donc justifiée. Par ailleurs, il ne semble pas que le défendeur ait soulevé la nullité pour vice de forme. Par conséquent, aucun grief n’a été invoqué. Or, le juge ne peut retenir d’office un grief non invoqué (Civ. 3e, 9 mars 2004). La décision du juge est donc inattaquable sur ce point. 3) La validité de la clause attributive de compétence En l’espèce, une clause attributive de compétence, insérée dans les conditions générales de vente, est opposée aux défendeurs. En vertu de l’article 48 CPC, une telle clause n’est valable que si elle est convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et si elle a été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui est elle est opposée. En l’espèce, les parties ont toutes contracté en qualité de commerçant. Cette condition est donc remplie. En revanche, on peut se demander si la clause a été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée. En effet, elle ne semble pas avoir été spécifiée directement dans le contrat, mais seulement dans les conditions générales de vente. Or, la jurisprudence exige que la partie à qui elle est opposée en a eu connaissance et l’a acceptée au moment de la formation du contrat (Com., 28 février 1983). Toutefois, il faut préciser qu’elle est également affichée sur le site Internet, dans les bureaux et les entrepôts de Mobiteck, régulièrement adressée aux commerçants avec lesquels elle est en relation d’affaire et reproduite sur toutes les factures. Dans ces circonstances, la solution n’est pas n’est pas certaine. D’une part, les juges du fond estiment que c’est au moment de la conclusion du contrat qu’il faut se placer pour apprécier l’acceptation de la partie à qui on oppose la clause attributive de juridiction. Elle n’est donc pas valable si elle figure dans des conditions générales de vente non paraphées au contrat, sur les factures (Paris, 27 mai 1987) ou tout autre document postérieurs à la conclusion du contrat (Paris, 11 mars 1987), même si elle figurait de manière très apparente (Bordeaux, 27 juin 1979). D’autre part, la Cour de cassation vient de décider dans une espèce similaire à la nôtre

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que la clause attributive de juridiction était valable (Civ. 1re, 17 février 2010). Notamment, la Cour de cassation s’appuie sur l’ancienneté des relations commerciales pour considérer que toutes les parties aux contrats avaient connaissance de la clause attributive de juridiction. Or, en l’espèce, les relations commerciales sont anciennes. Toutefois, la solution de la Cour de cassation pourrait également tenir au caractère international du contrat qui était en cause en l’espèce et au secteur d’activité particulier qui était la sécurité du trafic aérien. Notamment lorsque le contrat est international, on sait que la jurisprudence admet plus facilement la validité des clauses attributives de juridiction. Il est par conséquent difficile d’apporter une réponse certaine au cas d’espèce, mais on peut penser que la critique de la décision du juge sur ce point a quelque chance de succès devant la cour d’appel. 4) La recevabilité de l’action En l’espèce, l’assignation est dirigée contre un défendeur qui est décédé. Or, en vertu de l’article 32 CPC, la prétention émise contre une personne dépourvue du droit d’agir est irrecevable. Tel est le cas de la personne décédée. N’ayant plus de capacité de jouissance, la personne décédée est dépourvue de tous les droits, y compris le droit d’agir en justice. Toutefois, l’assignation est également dirigée contre un défendeur qui est en vie. La question est alors de savoir si l’irrecevabilité propre à l’un des défendeurs affecte l’assignation en son entier. Lorsqu’il existe une pluralité de parties à l’instance, l’article 324 CPC pose un principe de divisibilité de l’instance en prévoyant que les actes accomplis par ou contre l’un des cointéressés ne profitent ni ne nuisent aux autres. Par application de ce texte, la jurisprudence en déduit que seules les parties qui soulèvent une fin de non-recevoir pour défaut de qualité du demandeur bénéficient de l’irrecevabilité de l’action en justice (Civ. 3e, 22 juin 2005). Inversement, il faut en déduire que l’irrecevabilité de l’action tenant au défaut de capacité de jouissance de l’une des parties ne profite pas aux autres parties. La Cour de cassation applique la même solution en ce qui concerne les irrégularités de procédure. Elle a encore eu l’occasion de rappeler récemment que l’assignation délivrée au nom de deux personnes, l'une vivante, l'autre décédée, doit être considérée comme valablement délivrée au nom de la première (Civ. 2e, 25 février 2010). En l’espèce, il faut donc considérer que l’action dirigée contre le défendeur qui est vivant est recevable. 5) Le recevabilité du moyen soulevant l’exception de nullité du contrat En l’espèce, le juge déclare le moyen soulevant l’exception de nullité du contrat irrecevable au motif qu’il n’a pas été soulevé in limine litis. Ce faisant, le juge a considéré que le moyen était une exception de procédure devant être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir (art. 74 CPC). Or, le moyen ayant été soulevé après une fin de non-recevoir, le juge le déclare irrecevable. La question est alors de savoir si le moyen tendant à la nullité du contrat est une exception de procédure ou un moyen de défense au fond.

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L’article 71 CPC définit la défense au fond comme « tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire ». L’article 73 CPC définit l’exception de procédure comme « tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours ». En somme, la défense au fond porte sur le fond du litige, alors que l’exception de procédure porte sur la procédure uniquement. En l’espèce, le moyen tendant à la nullité du contrat, c’est-à-dire au rejet de la demande comme non justifiée, après examen au fond du droit. Il s’agissait donc d’un moyen de défense au fond et non d’une exception de procédure. Il semble ainsi que le juge ait été trompé par le vocabulaire identique pour désigner l’exception de nullité d’un acte de procédure et l’exception de nullité du contrat, objet du litige. Quoi qu’il en soit, c’est le régime de l’article 72 CPC qui était applicable et non le régime de l’article 74 CPC. La Cour de cassation a pu le rappeler récemment dans une hypothèse proche de la nôtre (Civ. 3e, 16 mars 2010). Ainsi, en l’espèce, le moyen tendant à la nullité du contrat était parfaitement recevable.

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SUJET PARIS V : Question n° 1 En l’espèce, l’assignation est dirigée contre un défendeur qui est décédé. Or, en vertu de l’article 32 CPC, la prétention émise contre une personne dépourvue du droit d’agir est irrecevable. Tel est le cas de la personne décédée. N’ayant plus de capacité de jouissance, la personne décédée est dépourvue de tous les droits, y compris le droit d’agir en justice. Toutefois, l’assignation est également dirigée contre un défendeur qui est en vie. La question est alors de savoir si l’irrecevabilité propre à l’un des défendeurs affecte l’assignation en son entier. Lorsqu’il existe une pluralité de parties à l’instance, l’article 324 CPC pose un principe de divisibilité de l’instance en prévoyant que les actes accomplis par ou contre l’un des cointéressés ne profitent ni ne nuisent aux autres. Par application de ce texte, la jurisprudence en déduit que seules les parties qui soulèvent une fin de non-recevoir pour défaut de qualité du demandeur bénéficient de l’irrecevabilité de l’action en justice (Civ. 3e, 22 juin 2005). Inversement, il faut en déduire que l’irrecevabilité de l’action tenant au défaut de capacité de jouissance de l’une des parties ne profite pas aux autres parties. La Cour de cassation applique la même solution en ce qui concerne les irrégularités de procédure. Elle a encore eu l’occasion de rappeler récemment que l’assignation délivrée au nom de deux personnes, l'une vivante, l'autre décédée, doit être considérée comme valablement délivrée au nom de la première (Civ. 2e, 25 février 2010). En l’espèce, il faut donc considérer que l’action dirigée contre le défendeur qui est vivant est recevable. Question n° 2 L’irrecevabilité d’une action en justice se soulève au moyen d’une fin de non-recevoir. Il s’agit d’un moyen de défense, défini à l’article 122 CPC : « Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ». La liste de l’article 122 CPC n’est pas limitative. Les parties peuvent convenir d’une fin de non-recevoir, notamment en insérant dans leur contrat une clause de conciliation (CM, 14 février 2003). Les fins de non-recevoir peuvent être soulevées en tout état de cause, même devant la cour d'appel pour la première fois (art. 123 CPC). Toutefois, si la fin de non-recevoir est soulevée tardivement, dans une intention dilatoire, le juge peut condamner le défendeur à des dommages-intérêts (art. 123 in fine CPC). Il n’est pas nécessaire d’invoquer un grief, ni une disposition expresse (art. 124 CPC). Enfin, les fins de non-recevoir peuvent être régularisées (art. 126 CPC), même devant la cour d'appel pourvu qu’une forclusion ne soit pas intervenue entre temps. Par exemple, si une société mère introduit une instance à la place de sa fille, sans pouvoir de celle-ci, sa demande est a priori irrecevable. Le défendeur pourrait alors soulever une fin de non-recevoir, mais la société fille pourra régulariser la procédure en faisant une intervention volontaire en reprenant à son compte la demande. Sur le plan procédural la fin de non-recevoir est déposée par voie de conclusions. Il n’y a pas de jugement sur le fond si le juge accueille la fin de non recevoir.

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Enfin, le juge doit relever les fins de non-recevoir lorsqu’elles ont un caractère d’ordre public et il peut les relever d’office lorsqu’elle est tirée du défaut d’intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée (art. 125 CPC). Question n° 3 La clause attributive de compétence territoriale est une clause par laquelle les parties à un contrat conviennent de la compétence territoriale du juge en cas de litige. Son régime est prévu à l’article 48 CPC. Cet article pose un principe de prohibition. Par exception, la clause attributive de compétence territoriale est valable à deux conditions. Premièrement, elles doivent être convenues entre des personnes ayant toute contracté en qualité de commerçant. Il ne suffit pas que les parties au contrat soient commerçantes, il faut encore qu’elles aient contracté en cette qualité. Deuxièmement, elles doivent être spécifiées de façon très apparente dans l’engagement de la personne à qui elles sont opposées. Faute de respecter ces deux conditions la clause est réputée non écrite. Ce sera par exemple le cas chaque fois qu’il s’agit d’un acte mixte. Précisons enfin qu’il a été jugé que la partie bénéficiaire de la clause peut y renoncer (Civ. 2e, 1er avril 1981). Question n° 4 En l’espèce, le défendeur souhaite soulever l’incompétence du juge saisi. Il convient alors de soulever une exception d’incompétence. On parle encore de déclinatoire de compétence. En effet, L’exception d’incompétence est le moyen de défense par lequel le plaideur qui estime que la juridiction saisie est incompétente demande à cette juridiction de se dessaisir. En principe, s’agissant d’un moyen de défense, elle est soulevée par le défendeur, mais le demandeur peut y recourir pour faire échec à une demande reconventionnelle du défendeur. Elle doit être soulevée simultanément avec les autres exceptions de procédure et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, c'est-à-dire in limine litis, même s'il s'agit d'une règle d'ordre public (art 74 CPC). Devant le tribunal de grande instance, l’exception d’incompétence doit être soulevée devant le juge de la mise en état lorsque l’affaire est renvoyée au circuit long (art. 771 CPC) ou devant le président lorsqu’elle est renvoyée au circuit court. Devant les autres juridictions, l’exception d’incompétence doit être soulevée devant le juge chargé de suivre la procédure. Lorsque la procédure est écrite, l’exception est présentée dans des conclusions écrites. Elle peut être présentée dans les mêmes conclusions que les défenses au fond, mais alors elle doit l’être en tête (Civ. 3e, 8 mars 1977). Par ailleurs, l'article 75 CPC exige deux conditions : le déclinatoire doit être motivé, c'est-à-dire qu’il faut expliquer les raisons de l’incompétence du juge saisi ; et il faut indiquer quelle est la juridiction compétente. S'il y a une option de compétence, selon la jurisprudence, il suffit d’indiquer une seule juridiction (Civ. 1re, 9 janvier 2007). Si ces deux conditions ne sont pas observées, l’article 75 CPC précise que l’exception d’incompétence est irrecevable.

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Question n° 5 Si la clause attributive de juridiction n’est pas valable, il faut appliquer les articles 42 et suivants du Code de procédure civile pour déterminer le juge compétent. En l’espèce, le litige est relatif à l’exécution d’un contrat. En matière contractuelle, l’article 46 CPC prévoit une option de compétence. Le demandeur peut saisir, à son choix, la juridiction du lieu où demeure le défendeur ou celle du lieu de la livraison effective de la chose, s’il s’agit d’un contrat de vente, ou du lieu de l’exécution de la prestation de service, s’il s’agit d’un contrat d’entreprise. En l’espèce, il s’agit d’un contrat de vente. Le demandeur pouvait dès lors saisir à son choix la juridiction du lieu du domicile du défendeur ou le lieu de la livraison effective. Bien que cela ne soit pas précisé, cette dernière a lieu a priori à Paris, lieu du commerce du défendeur. De fait, l’option de compétence est fictive pour le demandeur. Seul le Tribunal de commerce de Paris est compétent pour connaître du litige, si la clause attributive de compétence n’est pas valable. Question n° 6 En l’espèce, le défendeur entend soulever l’exception de nullité du contrat. Ce moyen tend à demander au juge de déclarer le contrat nul. De fait, il s’agit d’un moyen par lequel le défendeur tend à faire rejeter comme non justifiée la prétention de l’adversaire. Pour statuer sur cette exception de nullité, le juge devra examiner le fond du litige. Par conséquent, pour soulever l’exception de nullité du contrat, il faut le faire par un moyen de défense au fond (article 71 CPC). Question n° 7 En l’espèce, une clause attributive de compétence, insérée dans les conditions générales de vente, est opposée aux défendeurs. En vertu de l’article 48 CPC, une telle clause n’est valable que si elle est convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et si elle a été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui est elle est opposée. En l’espèce, les parties ont toutes contracté en qualité de commerçant. Cette condition est donc remplie. En revanche, on peut se demander si la clause a été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée. En effet, elle ne semble pas avoir été spécifiée directement dans le contrat, mais seulement dans les conditions générales de vente. Or, la jurisprudence exige que la partie à qui elle est opposée en a eu connaissance et l’a acceptée au moment de la formation du contrat (Com., 28 février 1983). Toutefois, il faut préciser qu’elle est également affichée sur le site Internet, dans les bureaux et les entrepôts de Mobiteck, régulièrement adressée aux commerçants avec lesquels elle est en relation d’affaire et reproduite sur toutes les factures. Dans ces circonstances, la solution n’est pas n’est pas certaine. D’une part, les juges du fond estiment que c’est au moment de la conclusion du contrat qu’il faut se placer pour apprécier l’acceptation de la partie à qui on oppose la clause attributive de juridiction. Elle n’est donc pas valable si elle figure dans des conditions générales de vente non paraphées au contrat,

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sur les factures (Paris, 27 mai 1987) ou tout autre document postérieurs à la conclusion du contrat (Paris, 11 mars 1987), même si elle figurait de manière très apparente (Bordeaux, 27 juin 1979). D’autre part, la Cour de cassation vient de décider dans une espèce similaire à la nôtre que la clause attributive de juridiction était valable (Civ. 1re, 17 février 2010). Notamment, la Cour de cassation s’appuie sur l’ancienneté des relations commerciales pour considérer que toutes les parties aux contrats avaient connaissance de la clause attributive de juridiction. Or, en l’espèce, les relations commerciales sont anciennes. Toutefois, la solution de la Cour de cassation pourrait également tenir au caractère international du contrat qui était en cause en l’espèce et au secteur d’activité particulier qui était la sécurité du trafic aérien. Notamment lorsque le contrat est international, on sait que la jurisprudence admet plus facilement la validité des clauses attributive de juridiction. Il est par conséquent difficile d’apporter une réponse certaine au cas d’espèce, mais on peut penser qu’une critique de la décision du juge sur ce point aurait quelque chance de succès devant la cour d’appel. Question n° 8 En l’espèce, le juge déclare le moyen soulevant l’exception de nullité du contrat irrecevable au motif qu’il n’a pas été soulevé in limine litis. Ce faisant, le juge a considéré que le moyen était une exception de procédure devant être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir (art. 74 CPC). Or, le moyen ayant été soulevé après une fin de non-recevoir, le juge le déclare irrecevable. Il semble alors que le juge ait considéré que le moyen par lequel l’exception de nullité du contrat était soulevée était une exception de procédure. Pourtant, comme nous l’avons vu, l’article 71 CPC définit la défense au fond comme « tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire ». L’article 73 CPC définit l’exception de procédure comme « tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours ». En somme, la défense au fond porte sur le fond du litige, alors que l’exception de procédure porte sur la procédure uniquement. En l’espèce, le moyen tendant à la nullité du contrat, c’est-à-dire au rejet de la demande comme non justifiée, après examen au fond du droit. Il s’agissait donc d’un moyen de défense au fond et non d’une exception de procédure. Il semble ainsi que le juge ait été trompé par le vocabulaire identique pour désigner l’exception de nullité d’un acte de procédure et l’exception de nullité du contrat, objet du litige. Quoi qu’il en soit, c’est le régime de l’article 72 CPC qui était applicable et non le régime de l’article 74 CPC. La Cour de cassation a pu le rappeler récemment dans une hypothèse proche de la nôtre (Civ. 3e, 16 mars 2010). Ainsi, en l’espèce, le moyen tendant à la nullité du contrat était parfaitement recevable et la décision du juge n’est pas fondée sur ce point.