Protection Des Jds Par Le Droit D-Auteur

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    1/524 R E V U E L A M Y D R O I T D E L I M M A T R I E L A O T - S E P T E M B R E 2 0 1 0 N 0 6 3 Informatique IMdias I Communication

    (1)TGI, Paris, 3ech., 4esect., 6 mai 2010, n 09/01554. (2) TGI Bordeaux, rf., 17 dc. 2007, n 07/02557. (3)TGI Paris, 3ech., 4esect., 6 mai 2010, prcit. (4)TGI Paris, 3ech., 4esect.,6 mai 2010, prcit.

    Par FrankVALENTIN

    Avocat au Barreau

    de Paris

    Cabinet de Gaulle

    Fleurance & Associs

    Par Xavier PRS

    Avocat au Barreau

    de Paris

    Cabinet de Gaulle

    Fleurance & Associs

    2065RLD

    I

    La protection des jeuxde socit par le droit dauteur lheure de la libralisation des jeux de paris sur internet et du dveloppement des consolesde jeux en ligne multifonctions, lanalyse dune dcision rcente du Tribunal de grande instancede Paris le 6 mai 2010(1), rappelant quun jeu de plateau peut donner prise au droitdauteur, autorise un tour dhorizon des principes de protection par la proprit artistiquede ces jeux de socit qui, bien que suranns, nen sont pas moins dignes.Le caractre artisanal et parfois simpliste des jeux de socit par rapport la jeune gnration des jeux vido les loigne un peu de lactualit, y compris juridique. Pourtant, leur mritedoit demeurer indiffrent.

    TGI Paris, 3ech., 4esect., 6 mai 2010, n 09/01554

    L

    e litige lorigine de cette dcision concernele jeu Jungle Speed , cr par les auteurs

    Thomas Vuarchex et Pierric Yakovenko (alias Tom & Yako ), dit et distribu par la socitAsmode ditions.

    Aprs avoir dcouvert lexistence dun jeu quasi identiquecommercialis sous le nom Jungle Jam , les auteurs, ainsique lditeur volontairement intervenu linstance, ont agi encontrefaon en utilisant classiquement les outils procduraux leur disposition en matire de droit dauteur. Ils ont ainsidabord agi en rfr puis au fond, aprs avoir fait procder une saisie-contrefaon dans un magasin de jouets et unconstat dhuissier sur internet (2).Saisi au fond, le Tribunal sest prononc, tout dabord, sur le

    caractre protgeable du jeu Jungle Speed avant de dter-miner lexistence dune contrefaon. Il a en loccurrence dcidque le jeu de socit Jungle Speed constitue effectivementune cration de forme originale bnciant par consquentde la protection au titre du droit dauteur. Selon le Tribunal, le jeu Jungle Speed rsulte dun effort cratif de ThomasVuarchex et Pierric Yakovenko et que ceux-ci sont bien fonds

    se prvaloir de droits de proprit intellectuelle(3).Ceci pos, les juges parisiens se sont logiquement pronon-

    cs sur lexistence dune contrefaon. Pour ce faire, ils ont faitapplication du principe gnral du droit dauteur selon lequella contrefaon sapprcie en fonction des ressemblances et

    non des dissemblances. La rgle signie que la contrefaonexiste en dpit des ventuelles diffrences ds lors que les

    ressemblances portent sur un ou plusieurs lments caract-ristiques. Le Tribunal de grande instance de Paris a considren lespce que les lments caractristiques du jeu JungleSpeed sont prsents dans le jeu Jungle Jam pour en conclurelogiquement quil y a lieu dadmettre que le jeu Jungle Jamest une contrefaon du jeu Jungle Speed(4).

    La dcision pourrait donc tre assez classique. En ra-lit, derrire cette apparente banalit se cache une dcisionvritablement originale en ce quelle reconnat, enn et sansambigut, que les jeux de socit sont protgeables au titredu droit dauteur comme toute autre cration de lesprit (I).Tel ntait pas ncessairement le cas jusqu prsent (II).

    I. LE PARADOXE DES JEUX DE SOCITOU LABSENCE DE PROTECTION PAR LE DROITDAUTEUR MALGR LEUR APTITUDE UNE PLURALIT DE PROTECTION

    Les jeux de socit sont au cur dun paradoxe : souventtraits avec mpris ou condescendance, ils nen jouent pasmoins un rle essentiel. Sur le plan pdagogique, social etpsychologique, ils occupent une place importante dans ledveloppement et la construction de la personnalit, sp-cialement de lenfant. conomiquement, ils reprsentent

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    2/5Informatique IMdias I Communication N 0 6 3 A O T - S E P T E M B R E 2 0 1 0 R E V U E L A M Y D R O I T D E L I M M A T R I E L 25

    CRATIONS IMMATRIELLESACTUALITS

    CLAIRAGE

    >

    (5)Lensemble du seul march franais des jeux et jouets (hors jeux vido) reprsentait en 2009 2,95 milliards deuros (). Le Monopoly sest par exemple vendu plus de 250 millions dexemplaires dans le monde depuis 1935 sous plus de 200 ditions diff rentesselon ().(6)TGI Paris, 3ech., 4esect., 6 mai 2010, prcit. (7)Prcit. (8)Voir toutefois Gautier P.-Y., Proprit littrair e et artistique, PUF, 5ed., 2004, spc. n 75 ; Bruguire J.-M.,, Droit et jeux : le doublejeu, Dalloz, 2000, n 30. (9)Voir toutefois, Cass. com., 27 avr. 1989, n 86-42566 (protection du Rubiks cube ) ; contra, Cass. 1reciv., 6 oct. 1981, Bull. civ. I, n 273 ; la Cour ayant considrquun contrat de licence sur un jeu tlvis, non protgeable, tait dpourvu de cause. (10)CA Amiens, 9 juill. 1984 cit par Edelman B., inLa protection des jeux tlviss, D. 1999, p. 417.

    ces derniers. Aussi ne peut-on quinviter les auteurs ou leursayants droit tre les plus prcis et exhaustifs possible quantaux lments dont ils souhaitent se mnager la preuve. Et lonverra en loccurrence limportance de la distinction entre le

    jeu et sescomposantes dans la dcision du Tribunal degrande instance de Paris du 6 mai 2010.

    Auparavant, il convient de noter que malgr leur aptitude mettre en jeu lensemble des rgles de la proprit intellec-tuelle, spcialement le droit dauteur, les jeux de socit sontlargement ignors par ce mme droit dauteur.

    B. Indiffrence du droit dauteur la protectiondes jeux de socit

    Cette indiffrence existe dans la doctrine, la loi, la juris-prudence et parmi les services scaux.

    1/ Discrtion de la doctrine

    Ainsi la doctrine sur les jeux de socit est-elle relative-ment discrte alors quelle est beaucoup plus abondante surles jeux tlviss, vido ou, plus rcemment, sur les jeux deparis en ligne (8).

    2/ Silence de la loi

    Le Code de la proprit intellectuelle ne fait de sonct nulle rfrence aux jeux de socit. La loi sur le droitdauteur les ignore superbement : larticle L. 112-2 duCode de la proprit intellectuelle qui cite pourtant titredexemple prs dune quinzaine duvres protgeables parle droit dauteur ne comporte strictement aucune mention

    des jeux de socit.

    3/ Hsitations de la jurisprudence

    Cette ignorance des jeux de socit existe enn et sur-tout en jurisprudence. Plus que dune ignorance, cest dunvritable ostracisme dont il sagit (9). Les juges ont en effet,pendant trs longtemps et jusqu trs rcemment, t trsrticents reconnatre aux jeux de socit le statut duvrede lesprit pouvant ce titre accder la protection par ledroit dauteur. La jurisprudence a longtemps oscill entre deuxtendances, conduisant toutes deux un refus de protectionau titre du droit dauteur.

    Un premier courant jurisprudentiel refusait ainsi la protec-tion des jeux de socit raison de labsence doriginalit dela rgle de jeu. Celle-ci tait en effet assimile quasi systma-tiquement une ide, ce titre insusceptible dtre protge.Ainsi a-t-il t jug par la Cour dappel dAmiens que le faitde composer un portrait avec des parties de visage de plusieurs

    personnages pour en faire un jeu na pas doriginalit par

    elle-mme, quelle procde de la technique du portrait-robot,

    qui est dans le domaine public et quil est banal de penser

    lutiliser comme un jeu(10).

    une part non ngligeable du march des jeux et jouets (5).Juridiquement, les jeux de socit sont largement ignors (B)alors quils relvent pourtant de lensemble des rgles de laproprit intellectuelle (A).

    A. Pluralit de protection des jeux de socit

    Le litige ayant donn lieu la dcision du Tribunal degrande instance de Paris du 6 mai 2010 tait limit la seulequestion du droit dauteur.

    Les jeux de socit sont toutefois susceptibles dtre pro-tgs, au-del du droit dauteur, plusieurs titres, et ce surle seul terrain du droit de la proprit intellectuelle : (i) parle droit des marques (protection du nom sous lequel ils sont commercialiss),(ii) par le droit des dessins et modles (protection de leurapparence, de leur aspect extrieur), et mme (iii) par le droitdes brevets (protection de linnovation technique mise au point pour loccasion, parexemple un buzzer).

    Ces diffrentes protections peuvent au demeurant tremises en uvre de manire cumulative et confrer ainsiaux titulaires des droits un large ventail dactions dans ledouble but de les faire respecter et de les valoriser. Limit audroit dauteur, le litige ne portait pas sur la marque JungleSpeed , alors mme que celle-ci est lobjet de plusieurs dptsde marque appartenant aux auteurs du jeu.

    Au titre du droit dauteur, la protection sera dautant plusefciente que les auteurs ou leurs ayants droit auront priscertaines prcautions en amont, ds le stade de la cration,an de sassurer de la date certaine permettant de faire valoirefcacement leurs droits. Cest ce que navaient du reste pas

    manqu de faire les auteurs du jeu Jungle Speed qui avaientdpos deux enveloppes Soleau, dabord, le 7 octobre 1991puis, le 21 juin 1996.

    La premire contenait une rgle du jeu Jungle Speed/Os Moelle, des exemples de symboles reprsenter sur les cartes,

    et un tableau de jeu , tandis que dans la seconde gurait la prsence dun dpt dune marque semi-gurative Jungle

    Speed reprsentant le motif gurant sur le dos de chacune des

    cartes jouer, la ction insrant le jeu dans le contexte de la

    jungle, la description dun totem en bois pouvant tre dcor

    et les symboles reprsents sur les cartes(6).Le mode de preuve de lenveloppe Soleau nest pas exclusif ;

    il est nanmoins efcace. Aprs lnonc du contenu des enve-loppes ouvertes devant huissier de justice, le Tribunal de grandeinstance de Paris relve en lespce que les auteurs justientgalement avoir prsent leur jeu des salons en 1996, 1997 et

    1998, ce qui constitue un autre mode de preuve avant deconclure que ces lments permettent de retenir que le jeu avecses composantes actuelles existe depuis 1996(7).

    Cette prcision est importante en pratique. Car elle montreque lintrt de lenveloppe Soleau est de rapporter la preuvede ses droits une date prcise mais galement le contenu de

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    LA P R O T ECT I O N DES J EU X DE SO C I T P A R LE DR O I T D A U T EU R

    (11)TGI Paris, 16 sept. 1986, Expertises 1987, n 93, p. 106. (12)Voir spc. sur ce point, Edelman B., La protection des jeux tlviss, prcit, p. 417. (13)C. propr. intell., art. L. 112-2 : Lesdispositions du prsent code protgent les droits des auteurs sur toutes les uvres de lesprit, quels quen soient le genre, la forme dexpression, le mrite ou la destination. (14)T. corr. Nanterre,29 juin 1984, Coreland c/ Sega, Expertises 1984, n 67, p. 301 ; RIDA, 1985, n 124, p. 171. (15)Cass. ass. pln., 7 mars 1986 (deux espces, arrt Defender), D. 1986, note Edelman B.,p. 405 ; JCP 1986, II, 14713, note Mousseron, Teyssier B. et Vivant M., Bulletin 1986, AP, n 4, p. 6. (16)Voir spc. Cass. ass. pln., 7 mars 1986 (deux espces, arrtAtari), prcite ; gal., Cass.,crim., 21 juin 2000 (Mortal Kombat), n 99-85154. (17)Voir en ce sens, Gautier P.-Y., prcit, spc. n 75. (18)QE 11 dc. 2007 et Rp. min., A.N., 27 mai 2008, p. 4476.

    dune dmarche intellectuelle particulirement originale oude la clbre affaire Atari loccasion de laquelle la Courdappel avait galement considr quaucune originalit delexpression de nature confrer au jeu un caractre esthtique

    digne des proccupations du lgislateur ne peut tre releve enlespce avant dtre censure juste titre par la Cour decassation runie loccasion de ces deux derniers arrts enassemble plnire (15).

    Les deux dernires jurisprudences cites ne concernent doncpas les jeux de socit mais les jeux dits lectroniques. Or, cestprcisment la faveur de lmergence et de lvolution de jeuxvido dans les annes 1980 que la jurisprudence sur les jeux desocit a volu de manire toutefois relativement rcente, ainsiquon le verra, plaant ainsi dans lintervalle les jeux de socitsous un nouveau paradoxe : tandis que les juges avaient tendance refuser aux jeux de socit la protection par le droit dauteur

    pour les raisons prcites, ceux-ci recon-naissaient dans le mme temps, aprsles dcisions de lassemble plnire de1986, la protection aux jeux vido (16).Ainsi et alors que les jeux de socitdans un environnement analogique nedonnaient pas prise au droit dauteur(ou alors et seulement avec une extrmeparcimonie), ils accdaient la protectiondans un environnement numrique, parun simple changement de support (parexemple, lors de ladaptation du jeu desocit sous forme de jeu vido (17)).

    4/ Embarrasde ladministration scale

    Cette situation paradoxale tait source de confusion. telpoint quun parlementaire na pas hsit dernirement, dansle cadre de la procdure des rponses ministrielles, attirerlattention de Mme la ministre de lEconomie, des Finances etde lEmploi sur la situation scale des auteurs de jeux de sociten ces termes : Le mtier dauteur de jeux de socit disposede peu de visibilit dans notre pays contrairement celle dont il

    bncie dans dautres pays europens. Les personnes exerant

    cette profession rencontrent des difcults faire valoir auprs

    des services scaux leur qualit dauteur part entire(18).Cette situation a toutefois volu, de sorte que le paradoxedans lequel les jeux de socit taient enferms est en passede disparatre.

    II. LA FIN DUN PARADOXE OU LA PROTECTIONDES JEUX DE SOCIT PAR LAPPLICATIONNORMALE DES RGLES DU DROIT DAUTEUR

    Dans sa dcision du 6 mai 2010, le Tribunal de grandeinstance de Paris considre sans ambigut que les jeux de

    Le Tribunal de grande instance de Paris a galementconsidr que dans son exploit introductif dinstance, WalterL. revendique des droits dauteur sur la rgle de jeu par lui

    dpose la Socit des gens de lettres ; quil expose que cette

    rgle consiste essentiellement chercher les mots manquantsdans un texte en remplaant chaque tiret par une lettre. Mais at-

    tendu que cette ide ne faisant que sinspirer de nombreux jeux

    antrieurs, apparat totalement dpourvue doriginalit(11).Ce premier courant jurisprudentiel sexplique par la dif-

    cult quil y a parfois distinguer lide (non protgeable) de laforme (protgeable ds lors quelle est originale) et le souci de la jurispru-dence de ne pas confrer un monopole dexploitation sur ungenre (le jeu de socit) en confrant une protection trop large la rgle du jeu, laquelle est de lessence mme du jeu (12).

    Le second courant jurisprudentiel est exempt de ces consi-drations gnrales, par ailleurs bien lgitimes. Le refus de pro-tection tait alors tout simplement fondsur un certain mpris lgard des jeuxde socit, certaines dcisions tant allesjusqu considrer quils ne mritaientpas protection par le droit dauteur, et cemalgr la rgle dindiffrence au mriteexpressment pose larticle L. 112-2 duCode de la proprit intellectuelle (13).

    Les exemples en la matire ont traitpour la plupart aux jeux vido, mais ilsillustrent en ralit lextrme rticencedes juges protger les jeux, quel quesoit leur support (analogique ou numrique),

    jusquau revirement opr par la Courde cassation en 1986 du moins pour lesseuls jeux vido.

    Ainsi par exemple, le Tribunal correctionnel de Nanterrestait-il rig en arbitre des beaux-arts en considrant que ce qui est dnomm par les parties civiles pingouin oucratures hostiles ou encore monstres est constitu de

    lignes gomtriques qui dessinent des silhouettes de schmas

    que lon veut bien qualier danimaux, mais qui ne prsen-

    tent pas de caractre particulirement original surtout si on

    les compare aux personnages fortement typs tels que ceux

    de Donald, Daisy, Minnie, Dingo et autre Mickey du monde

    ferique de Walt Disney qui sont eux aussi sur le march desjeux lectroniques(14).

    Il est de mme de la Cour dappel qui avait considr quele jeu vido Defender est constitu par un cran sur lequeldlent des images et par un socle quip de commandes, que

    cet assemblage met une srie de sons et dimages se dplaant

    au gr des interventions du joueur sur les commandes, que

    le seul fait que les gures mobiles simulent un avion stylis,

    un vaisseau lunaire, une soucoupe volante et que le dcor des

    montagnes survoles soit reprsent par un trac en dents de

    scie ne procde pas, notre poque, dune imagination ou

    Tandis que les jugesavaient tendance refuser aux jeux

    de socit la protectionpar le droit dauteur pour

    les raisons prcites,ceux-ci reconnaissaientdans le mme temps,

    aprs les dcisionsde lassemble plnirede 1986, la protection

    aux jeux vido.

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    CRATIONS IMMATRIELLESACTUALITS

    CLAIRAGE

    >

    (19)TGI Paris, 3ech., 4esect., 6 mai 2010, n 09/01554. (20)TGI Paris, 3ech., 4esect., 6 mai 2010, prcit. (21)Prcit. (22)Prcit. (23)C. propr. intell., art. L. 112-4 : Le titre dune uvrede lesprit, ds lors quil prsente un caractre original, est protg comme luvre ell e-mme. Nul ne peut, mme si luvre nest plus protge dans les termes des articles L. 123-1 L. 123-3,

    utiliser ce titre pour individualiser une uvre du mme genre, dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion.

    scnario dune uvre audiovisuelle, rsulte dun effort intel-lectuel portant lempreinte de la personnalit de ses auteurs.Les juges nont pas os aller aussi loin. On peut le regretter.

    De la mme manire quil est notre sens regrettable que

    le Tribunal ait considr que loriginalit ntait pas en soi unecondition sufsante pour dterminer le caractre protgeableou non du jeu, mais quil convenait galement de vrierlexistence de jeux antrieurs semblables. Dans leur dcision,les juges observent en effet que cet effort cratif ne peut trednitivement tabli que si aucun jeu semblable na t connu

    antrieurement la cration du jeu Jungle Speed(22). Cetteprcision nous semble aussi inutile quambigu car elle laisseaccroire que loriginalit nest pas la condition diacritique quisert distinguer les crations protgeables des autres crationset que cette notion se confondrait avec la nouveaut. Ces deuxnotions sont pourtant distinctes : lune (loriginalit) est relative ;lautre (la nouveaut) est plus objective. Cest du reste la raisonpour laquelle loriginalit est rserve au droit dauteur alorsque la nouveaut est utilise en droit de la proprit indus-trielle. En pratique, la distinction est toutefois malaise, ainsique le montre la dcision commente.

    B. Le jeu de socit :une uvre protgeable comme les autres

    Sous cette double rserve, la mthode choisie par le Tribu-nal dans sa dcision du 6 mai 2010 pour apprcier le caractreprotgeable du jeu mrite dtre approuve et souligne ence que les juges ont pris soin de dcomposer le jeu dans sesdiffrents lments constitutifs an de se prononcer la fois

    sur la protection du jeu dans son ensemble ainsi que surchacun de ses lments.

    Par cette mthode de dcomposition qui consiste analyserle jeu dans son ensemble mais galement dans ses diffrentslments constitutifs, le Tribunal reconnat ainsi juste titreque le droit dauteur peut sappliquer tout ou partie du jeu.Les crations graphiques (par exemple, les cartes, le plateau et les gurines)seront ainsi protges comme toute autre cration artistique ;les textes (dont spcialement la rgle du jeu) comme toute autre crationlittraire ; les titres comme ceux dsignant une uvre et dontla protection est spcialement amnage larticle L. 112-4du Code de la proprit intellectuelle (23); bref pour chacun

    de ces lments sous la seule condition de lexistence dunecration de forme originale. Et loriginalit du jeu, pris dansson ensemble, pourra se dduire de lassemblage dlmentsconnus ou non, dordre banal ou non. Il est toutefois certainque plus les lments pris isolment seront susceptibles dedonner en tant que tels prise au droit dauteur, plus lensembleaura de chances de bncier de cette protection.

    Cette dcision nest pas totalement nouvelle. Elle sins-crit, mais avec clart, dans un mouvement jurisprudentielde fond qui sest dvelopp depuis ces dernires annes etqui nhsite plus reconnatre loriginalit du jeu de socit,comme nimporte quel autre jeu (vido ou tlvis) et plus gnra-

    socit mritent protection au titre du droit dauteur ds lorsquil sagit dune cration de forme originale, en applicationdes conditions lgales issues du Code de la proprit intellec-tuelle (19)(A). Cette dcision est donc a priori sans grande

    surprise. Or cest prcisment le classicisme de son raison-nement qui lui confre tout son intrt en ce quelle attesteque les jeux de socit sont (enn !) traits comme nimportequelle autre cration de lesprit (B).

    A. La protection par le droit dauteurdu jeu de socit Jungle Speed

    Pour apprcier le caractre protgeable du jeu JungleSpeed , le Tribunal de grande instance de Paris a choisiune dmarche progressive. Ainsi a-t-il pris soin dabord dedcomposer le jeu dans ses diffrents lments constitutifspour ensuite apprcier loriginalit du jeu, non plus dans sesdiffrentes composantes, mais dans son ensemble.

    cet gard, il observe que le jeu Jungle Speed secompose (i) de cartes distribuer, (ii) dun totem en bois,(iii) dune ction rdige en prambule de la rgle du jeu etexploitant le thme exotique de la jungle et de la tribu, et enn(iv) dune rgle du jeu dont le but est pour les joueurs de sedbarrasser avec la plus grande clrit de toutes leurs cartes.

    Il retient que certains lments du jeu sont protgeables(notamment les cartes jouer) et que dautres ne le sont pas ( le totem enbois). Au terme de lanalyse spare de chacun des lmentsconstitutifs du jeu en cause, le Tribunal apprcie le jeu danssa globalit pour noter que cet ensemble constitu par cescartes jouer de sortes diffrentes et aux motifs varis, ce totem

    en bois sculpt, ce rattachement arbitraire lunivers de lajungle et de la tribu par le nom du jeu, les motifs et les formes

    adopts, rsulte dun effort cratif certain(20).Avant de revenir sur la mthode choisie par le Tribunal et

    le rsultat auquel elle la conduit en lespce, prcisons quelembarras du juge lgard de la protection du jeu de socitet spcialement de la rgle du jeu est encore perceptible danscette dcision. Le Tribunal vite en effet de se prononcer ou-vertement sur loriginalit de la rgle du jeu Jungle Speed .Alors quil nhsite pas se prononcer expressment sur lecaractre protgeable des cartes jouer (protection par le droit dauteur)ou du totem en bois (refus de protection), il vite en revanche de

    trancher explicitement cette question pour la rgle du jeu. Ilse contente en effet dobserver que la rgle du jeu raconteen prambule une histoire de jungle et de tribu an de pr-

    senter le jeu et dexpliciter son titre car si le mot Speed peut

    se comprendre facilement pour un jeu fond sur la vitesse des

    joueurs, le mot Jungle est totalement arbitraire(21). notre sens, les juges parisiens auraient pu faire montre

    de plus daudace et reconnatre expressment loriginalit dela rgle du jeu Jungle Speed dans sa version rdige. Car enloccurrence, celle-ci fait lobjet dun dveloppement narratifsufsamment prcis et original pour permettre au Tribunal deretenir que la rgle en cause, linstar dun synopsis ou du

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    LA P R O T ECT I O N DES J EU X DE SO C I T P A R LE DR O I T D A U T EU R

    mthode choisie ; ensuite par son rsultat. Loriginalit de ladcision rside donc et cest un autre paradoxe prcismentdans sa banalit : un jeu de socit est une uvre comme lesautres, ni plus, mais ni moins.

    La dcision du Tribunal de grande instance de Paris du6 mai 2010 a t frappe dappel. Les jeux de socit devraientdonc rester sous la lumire tamise de lactualit pourencore quelques mois.

    (24)TGI Paris, 4 mars 2009 ( Puissance 4 ), n 06/16550 ; voir gal. par ex., TGI Paris, 3ech., 19 juin 2001 ; Cass., com., 8 juill. 2003, n 01/13293 ; CA, Paris, 4 juin 2004, n 2000/02766 ;pour des cartes jouer, TGI Paris, 3ech., 25 juin 2008, n 06/02467.

    lement comme nimporte quelle autre uvre de lesprit. Ainsiavait-t-il t jug par le mme Tribunal autrement compos,quelques mois avant la dcision prcite, le 4 mars 2009,qu en application des articles L. 112-2 et suivants, un jeu

    est une uvre de lesprit susceptible dtre protge(24).On ne saurait mieux dire.

    La dcision des juges parisiens mrite donc globalementdtre doublement salue dabord par la simplicit de la

    LArt et le Droit

    6 octobre 2010

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    Facult de Droit, Sciences conomiques et Gestion

    de lUniversit de Rouen3, avenue Pasteur

    76186 Rouen Cedex

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    Ce colloque est ralis sous la direction de M. Stphane Pessina-Dassonville

    Matre de confrences en droit priv

    Contacts :MmeEvelyne Soulez de Pierrefeu

    [email protected]