8
Journal de pédiatrie et de puériculture (2010) 23, 254—261 ARTICLE ORIGINAL Psychomotricité et obésité chez l’adolescent Psychomotricity and obesity in the adolescent C. Delarue AJO ® Les Oiseaux/SSR pédiatrique-obésité, 169, avenue du Prado, 83110 Sanary-sur-Mer, France MOTS CLÉS Corps ; Psychomotricité ; Adolescent ; Obésité ; Image du corps ; Travail corporel Résumé Le corps de l’adolescent subit d’importantes transformations mais celui de l’adolescent obèse en cure d’amaigrissement est confronté à des bouleversements physiques et psychologiques massifs. En effet, la perte de poids provoque une perte de repère : au-delà de l’alimentation, c’est aussi les notions d’image de son corps, le corps dans l’espace, les possibi- lités motrices, le regard de l’autre sur soi. La rencontre avec ce corps est souvent complexe et évitée par l’adolescent. Comme il a fui son corps depuis souvent plusieurs années, il a souvent besoin d’une aide pour le rencontrer. Il s’agit d’appréhender le corps et l’image du passé, et du présent. L’amaigrissement est, pour la plupart des patients, assez rapide mais l’image que l’adolescent a de son corps évolue beaucoup plus doucement. C’est un travail à deux vitesses, celle de la perte de poids et celle qui permet d’habiter son corps. La psychomotricité vient comme une aide à cette rencontre. L’adolescent en demande de soutien va alors pouvoir se regarder en face. Un regard tiers facilite cette approche. Par des exercices de représenta- tions puis de travail corporel, l’adolescent va cheminer pour se réapproprier son corps, avec cette image en transformation permanente et l’attente d’une réconciliation avec ses sensations corporelles. © 2010 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. KEYWORDS Body; Psychomotricity; Adolescent; Obesity; Body image; Body therapy Summary The adolescent’s body undergoes significant transformations, but the dieting obese adolescent’s body is confronted with massive physical and psychological disruption. Weight loss causes a loss of reference points: beyond eating habits, this also encompasses notions of body image, spatial orientation of the body, motor skills, and the view of others. The encounter with this body is often complex and avoided by adolescents. Since they have been fleeing their body, often for several years, they often need help coming in contact with it. This means apprehending the body and its image from the past and the present. For most patients, dieting Adresse e-mail : [email protected]. 0987-7983/$ — see front matter © 2010 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.jpp.2010.06.003

Psychomotricité et obésité chez l’adolescent

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Psychomotricité et obésité chez l’adolescent

J

A

P

P

0d

ournal de pédiatrie et de puériculture (2010) 23, 254—261

RTICLE ORIGINAL

sychomotricité et obésité chez l’adolescent

sychomotricity and obesity in the adolescent

C. Delarue

AJO®Les Oiseaux/SSR pédiatrique-obésité, 169, avenue du Prado,83110 Sanary-sur-Mer, France

MOTS CLÉSCorps ;Psychomotricité ;Adolescent ;Obésité ;Image du corps ;Travail corporel

Résumé Le corps de l’adolescent subit d’importantes transformations mais celui del’adolescent obèse en cure d’amaigrissement est confronté à des bouleversements physiques etpsychologiques massifs. En effet, la perte de poids provoque une perte de repère : au-delà del’alimentation, c’est aussi les notions d’image de son corps, le corps dans l’espace, les possibi-lités motrices, le regard de l’autre sur soi. La rencontre avec ce corps est souvent complexe etévitée par l’adolescent. Comme il a fui son corps depuis souvent plusieurs années, il a souventbesoin d’une aide pour le rencontrer. Il s’agit d’appréhender le corps et l’image du passé, etdu présent. L’amaigrissement est, pour la plupart des patients, assez rapide mais l’image quel’adolescent a de son corps évolue beaucoup plus doucement. C’est un travail à deux vitesses,celle de la perte de poids et celle qui permet d’habiter son corps. La psychomotricité vientcomme une aide à cette rencontre. L’adolescent en demande de soutien va alors pouvoir seregarder en face. Un regard tiers facilite cette approche. Par des exercices de représenta-tions puis de travail corporel, l’adolescent va cheminer pour se réapproprier son corps, aveccette image en transformation permanente et l’attente d’une réconciliation avec ses sensationscorporelles.© 2010 Publie par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDSBody;Psychomotricity;

Summary The adolescent’s body undergoes significant transformations, but the dieting obeseadolescent’s body is confronted with massive physical and psychological disruption. Weight losscauses a loss of reference points: beyond eating habits, this also encompasses notions of body

Adolescent;Obesity;Body image;Body therapy

image, spatial orientation of the body, motor skills, and the view of others. The encounterwith this body is often complex and avoided by adolescents. Since they have been fleeing theirbody, often for several years, they often need help coming in contact with it. This meansapprehending the body and its image from the past and the present. For most patients, dieting

Adresse e-mail : [email protected].

987-7983/$ — see front matter © 2010 Publie par Elsevier Masson SAS.oi:10.1016/j.jpp.2010.06.003

Page 2: Psychomotricité et obésité chez l’adolescent

Psychomotricité et obésité chez l’adolescent 255

is relatively rapid, but the image adolescents have of their body evolves much more slowly. Thiswork is done at two speeds: the time it takes to lose weight and that necessary to inhabit one’sbody. Psychomotricity can be an aide in making this contact. Adolescents in need of support canthus look at themselves objectively. An outside view facilitates this approach. Through repre-sentation activities and then body therapy, adolescents can advance toward reclaiming theirbody, with their body image in constant transformation and the expectation of reconciliationwith their physical sensations.© 2010 Published by Elsevier Masson SAS.

••••

sq

vn

L

Ibuéf

TcpClnmp

pdpf

dgaOsnc

L

Introduction

Qu’est-ce qu’un corps ? Quelle en est sa forme ? Qu’est-ceque je vois de mon corps ? Qu’est-ce que je vois du corpsde l’autre ? Et l’autre, que voit-il de mon corps ? Ce queje vois dans mon miroir ? Pas forcément. . . Il est question del’image du corps, c’est l’un des sujets assez préoccupants del’adolescent en général et, plus particulièrement, lorsqu’ilest en cure d’amaigrissement.

Dans ce propos, nous verrons d’abord ce qu’est lapsychomotricité, quelle lecture cette discipline nous per-met d’avoir du corps en général mais aussi du corps del’adolescent « obèse ». Le cadre de travail de notre inter-vention sera expliqué pour une meilleure compréhensionde la pratique psychomotrice. Enfin, nous rapporterons uneenquête menée auprès d’un échantillon de patients ayantbénéficié lors de leur hospitalisation d’une prise en chargeen psychomotricité.

La psychomotricité en général

Le terme de « psychomotricité » a été instauré en Franceau début du xxe siècle. Ce concept met en évidence un lienconstant entre le psychisme et le corps. Ces deux entitéssont liées, de manière dynamique et ce, dès les premiersjours de vie. En effet, le corps, avec son capital biologiqueet génétique, est, dès la naissance, plongé dans un universrelationnel qui sera d’abord la relation mère—enfant. Puis,le bébé évolue, grandit pour s’ouvrir à d’autres relations.Vont alors se développer des échanges et des accordagesaffectifs entre le sujet et le monde.

Dans ce développement tant physique que psychique,nous pouvons repérer l’organisation psychomotrice qui sefonde sur plusieurs paramètres fonctionnant en synergie :• l’activité neuromotrice ;• les dimensions tonicoémotionelles, sensorimotrices et

affectives ;• la dimension cognitive.

Le psychomotricien intervient donc auprès de patientsayant un trouble du comportement, de la personnalité, dela relation à son corps, dans la gestion de ses émotions etde ses affects, une difficulté dans son développement psy-

chomoteur.

Notre grille de lecture va s’orienter vers six items quisont :• le tonus ;• l’espace-temps ;

Lmlm

la motricité—coordination ;le schéma corporel ;l’équilibre ;la latéralité.

Dans notre pratique auprès des patients obèses, nous fai-ons référence à deux notions supplémentaires importantesue sont l’image du corps et l’enveloppe corporelle.

Ce corps évolue pour arriver à l’adolescence, avec sou-ent à ce moment-là beaucoup de préoccupations. Obèse ouon, cette question de l’image de son corps se pose.

’image sociale du corps

l est intéressant de constater que la norme et la référence-eauté se modifient. « Selon les lieux et les époques, c’estn corps gras et plantureux, ou svelte et élancé, ou pluspais et musclé, ou encore chétif et maladif qui, pour laemme, est considéré comme beau » [1].

Actuellement, la norme de la minceur semble prôner.ous les médias véhiculent cette norme, ce stéréotype duorps mince qui envahit notre quotidien et qui forme notreensée, cette image veut s’imposer comme une référence.omme le dit Francoise Roudière [2] : « Maintenant, c’est

a minceur qui est censée témoigner de la vigueur, jeu-esse, vitalité. L’image idéale d’un corps mince et allongé,odèle culturel actuellement dominant, est d’autant plusrégnante qu’elle est véhiculée par les mass media ».

Il s’agirait donc pour rentrer dans le moule, de s’en rap-rocher le plus possible. Dès la préadolescence, la notion’image que l’on renvoie à l’autre va devenir inquiétudeour l’enfant, il semble que « l’obligation de minceur seasse surtout sentir à partir de la puberté » [1].

Chez les adolescents, ces notions de norme, d’identitée groupe sont un des points fondamentaux. En effet, leroupe « est un moyen pour eux, en se différenciant desdultes, d’intégrer une nouvelle forme de socialisation » [3].n se retrouve dans l’image de l’autre, de son corps et dea manière de vivre, d’être et de penser. Rentrer dans laorme va réconforter l’adolescent en plein bouleversementorporel et psychologique.

e corps de l’adolescent obèse

e patient obèse est une personne en difficulté psychiqueais aussi corporelle. Son corps lui fait souffrance. En effet,

’enfant grandit, il se construit souvent avec ce corps volu-ineux. Il est montré, jugé, critiqué par l’entourage, la

Page 3: Psychomotricité et obésité chez l’adolescent

2

saq

evPdlvovd

dsrle

allv

L

CcmetàtLsvp

ebp

cllap

Q

EmccLcs«a

dLidls

P

LsPpsePecaLicd

Q

Lat

act

nnanslcsitedrtCdi

dll

56

ociété, l’école, ses pairs. Il forge sa personnalité avec etutour de sa problématique ; autour de son poids et de ceue l’autre peut lui renvoyer de son image et de son corps.

En souffrance, il tente de se cacher du regard de l’autret de lui-même. Il peut se négliger physiquement, désin-estir son image et ainsi nier son corps et son surpoids.ar les vêtements d’abord, il essaye de disparaître derrièrees habits amples. Par son comportement, il se coupe dea relation à l’autre. Cela peut conduire à de l’agressivité,erbale ou physique, mais aussi au repli sur lui-même. Onbserve souvent une déscolarisation, un éloignement de laie sociale, amicale ou familiale ; reclus dans son monde,ans sa chambre.

La graisse sera alors une épaisseur supplémentaire, nonissociée de la peau. Le patient n’est plus, à ce stade deurcharge pondérale, à l’écoute de ses sensations corpo-elles. Il se renferme dans ce corps, où la peau, la graisse,’enveloppe corporelle vont jouer un rôle de protectionntre lui et le monde.

Il existe une particularité de l’obésité, sa singularitéussi, c’est « la place privilégiée accordée au corps ; c’estui qui occupe le devant de la scène » [4]. Et pourtant,’adolescent obèse veut et pense se cacher par ce qui seoit le plus : son corps.

e travail du centre AJO « Les Oiseaux »

ertains adolescents font le choix de venir en centre spé-ialisé pour maigrir. Il s’agit de faire une coupure avec sonilieu familial, ses habitudes alimentaires et de vie, pour

nvisager un autre mode de relation à l’autre et à la nourri-ure. Le centre AJO « Les Oiseaux » (SSR pédiatrie-obésité

Sanary-sur-Mer) recoit 100 jeunes, la psychomotricité arouvé sa place dans la prise en charge depuis neuf ans.es patients sont accueillis en hospitalisation complète, lacolarité se déroule sur place. Ils sont encadrés par un ser-ice éducatif et bénéficient d’un suivi médical, diététique,sychologique et psychomoteur.

Pour le suivi en psychomotricité, un bilan d’entrée estffectué deux à trois semaines après l’arrivée. Il a pourut d’évaluer le malaise corporel, l’investissement que leatient a de son corps, la représentation qu’il s’en fait.

Par la suite, le patient est recu selon sa demande : diffi-ultés avec son vécu corporel et l’image de son corps malgréa perte de poids mais également travail de relaxation. Poures plus jeunes enfants, un bilan psychomoteur complet peutmener, si nécessaire, à une prise en charge en rééducationsychomotrice quand un trouble ou un retard est décelé.

uand le corps se transforme

n maigrissant, l’adolescent obèse perd rapidement du poidsais il lui faut souvent plus de temps pour réinvestir son

orps, qu’il a depuis longtemps négligé et oublié. Ce pro-essus de réinvestissement est souvent long et douloureux.

’adolescent présente donc des difficultés à percevoir seshangements et ses transformations corporelles. Ce fait estouvent rapporté sous forme de plainte, où l’adolescent ditne pas se voir maigrir ». En fait, cette plainte va bienu-delà de cette souffrance exprimée et de ce manque

migds

C. Delarue

e bénéfices secondaires que le patient ne ressent pas.’adolescent s’attend en maigrissant à avoir une meilleuremage de lui et de son corps, espère se détacher du regarde l’autre et avoir un vécu corporel plus narcissisant. Mais,a déception peut être importante et tous ces bénéfices neont pas vécus.

ourquoi ?

’adolescent obèse débute son séjour en centre en ignorantouvent dans quelle réalité corporelle se trouve son corps.ar déni et/ou par défense, il se masque cette réalité. Il n’alus conscience depuis plus ou moins longtemps de ce qu’eston corps, dans sa forme et son volume. Il se « voile la face »n s’imaginant souvent moins gros ou en ne s’imaginant plus.arfois, la réalité corporelle est tellement difficile à voirt à assumer qu’un tiers, un regard soutenant et extérieuronstitue une aide dans cette démarche. Le patient obèsesouvent une représentation de son corps assez pauvre.

’investissement corporel est, pour la plupart des patients,nexistant. Nous travaillons donc sur les notions de schémaorporel, d’image de son corps, d’enveloppe corporelle ete tonus.

uelques notions théoriques

’image du corps a été abordée dans différents domaines,vec des avis et des optiques parfois divergents ; sa défini-ion a pu évoluer en fonction des recherches et des époques.

En psychomotricité, la notion d’image du corps renvoieu développement psychologique de l’enfant. Le schémaorporel sera un des éléments de constitution et de cons-ruction du développement psychomoteur de l’enfant.

Le schéma corporel a d’abord été décrit par Schilder,europsychiatre. Le schéma corporel, c’est « l’image deotre propre corps que nous formons dans notre esprit,utrement dit la facon dont notre corps nous apparaît àous-mêmes » [5]. Il la définit comme « l’image tridimen-ionnelle que chacun a de soi-même. Nous pouvons aussi’appeler ‘‘image du corps’’ » [5]. Schilder associe schémaorporel et image du corps. Cette notion d’image du corpse différencie de celle de Dolto et Barral, qu’ils appellentmage inconsciente du corps avec une composante analy-ique. Le rôle du mouvement et la mise en jeu du corpsn action sont également primordiaux dans la constitutione ce schéma corporel. Ainsi, la notion d’image du corpsenvoie aux dimensions physiologiques, libidinales et rela-ionnelles, un concept dynamique en perpétuelle évolution.omme le précise Bernard : « un processus continuel deifférenciation et d’intégration de toutes nos expériencesncorporées au cours de notre vie » [6].

La notion d’enveloppe corporelle vient trouver sa placeans notre pratique. La peau est l’organe qui va véhicu-er toutes les sensations, véritable limite corporelle entre’intérieur et l’extérieur du corps, entre le moi et le non-

oi. Le concept développé par Anzieu du Moi-peau nous

ntéresse tout particulièrement. « Par Moi-peau, nous dési-nons une figuration dont le Moi de l’enfant se sert au courses phases précoces de son développement pour se repré-enter lui-même comme Moi à partir de son expérience de la

Page 4: Psychomotricité et obésité chez l’adolescent

Psychomotricité et obésité chez l’adolescent 257

F7

mqds7ndv

Lqogénssl

qmC

Figure 1. Premier modelage de Laura, poids : 74,3 kg, perte de8,6 kg, trois mois de séjour.

surface du corps » [7]. Cette peau assure plusieurs fonctionsque sont la protection, la contenance et l’échange entrel’interne et l’externe.

Au centre, la pratique psychomotrice

Ce travail de l’image du corps débute après que le patienten a fait la demande. Il va pouvoir durer plusieurs mois,souvent jusqu’à la fin de son hospitalisation. La demande sefait la plupart du temps après deux à trois mois de séjour,quand la perte de poids est déjà conséquente.

Ce travail peut s’expliquer en trois temps différents etsuccessifs :• représentation du corps du patient ;• travail corporel, véritable écoute de ses sensations cor-

porelles ;• mise en jeu du corps en interaction avec l’espace et avec

l’autre.

« Le premier temps » consiste en une « représentation »du corps par deux supports : le modelage et le dessin.

« Le modelage » (avec un bloc de pâte à modeler) per-met au patient de représenter ce qu’il ressent de son corps,l’image qu’il s’en fait dans les trois dimensions. Nous pro-posons au patient de modeler son propre corps en entier.Cet exercice se fait les yeux fermés afin de porter une plusgrande attention à ce qu’on imagine de son corps plutôt qu’àce qu’on en voit. Cet exercice peut être répété au cours dusuivi deux, voire trois fois.

Les Fig. 1 et 2 sont les photos de modelages qu’unepatiente, Laura, a réalisés lors de son suivi en psychomo-tricité. Le premier (Fig. 1) a été fait en début de séjour,elle se trouvait au centre AJO « Les Oiseaux » depuis trois

ra

i

igure 2. Deuxième modelage de Laura six mois après ; perte de,3 kg supplémentaires, poids : 67 kg.

ois et avait perdu 8,6 kg. Dans le premier modelage, ceu’elle appelait « le ventre » prenait toute la place du hautu corps. Le buste était alors « qu’un énorme ventre ». Aprèsix mois de travail et une perte de poids supplémentaire de,3 kg, elle a effectué le second modelage (Fig. 2). Ce der-ier est beaucoup plus affiné et ses complexes au niveauu ventre sont maintenant représentés uniquement par unolume un peu plus important sur le bas du buste.

Les Fig. 3 et 4 sont des modelages réalisés par Vanessa.e premier (Fig. 3) a été effectué en début de suivi, aprèsuatre mois de séjour et une perte de poids de 8 kg. Enuvrant les yeux, après l’avoir fini, elle l’a appelé « leorille ». Le faciès est effectivement très marqué, elle agalement rajouté lors de la réalisation de son modelageombre de lanières de pâte à modeler sur le ventre, signe dea gêne importante de cette partie de son corps. Il semblaitelon elle, qu’il n’y en avait jamais assez pour représentere volume abdominal qu’elle ressentait.

Le second modelage de Vanessa (Fig. 4) a été fait aprèsuatre mois de suivi, sans aucune perte de poids supplé-entaire. Elle était en phase de stabilisation de son poids.ette seconde représentation de son corps est particuliè-

ement différente : plus fine, élancée, dynamique, sexuée,dolescente, dans une plus grande ouverture à l’autre.

Il est tout à fait étonnant de remarquer la dichotomiemportante qu’il existe entre la perte de poids obtenue et

Page 5: Psychomotricité et obésité chez l’adolescent

258 C. Delarue

F8

lpdscéel

eeaPuepqa

1sqc

emc

s

Fd

aNpd

te

s

lg

dld

lAr

igure 3. Premier modelage de Vanessa ; poids : 71 kg, perte dekg, quatre mois de séjour.

’évolution des modelages des patientes. Il semble que larise de conscience du corps ne soit pas liée directement ete manière linéaire à la perte de poids. Le patient réaliseouvent ses transformations corporelles après un travail spé-ifique, alors que la majeure partie de l’amaigrissement até obtenue. Ce fait se remarque davantage dans le secondxemple de Vanessa mais on peut le mettre en évidence dansa plupart des suivis.

« Le travail du dessin » est majeur dans la prise de consci-nce de la forme de son corps. C’est une véritable rencontrentre le patient et sa silhouette, où il va être invité à porterttention au corps imaginé, au corps vu et au corps ressenti.uis, nous travaillons sur la forme du corps réel actuel (aprèsne perte de poids) et du corps en début de séjour, pourffectuer une comparaison entre les deux silhouettes. Celaermettra au patient de mettre à distance cette sensationue son corps n’évolue pas, qu’il reste « comme avant »,ussi volumineux.

En pratique : sur une grande feuille de 1,8 m de haut surm de large, accrochée au mur, le patient est invité à des-

iner sa silhouette, grandeur réelle, tel qu’il pense être, telu’il s’imagine ; ce que le patient peut représenter de sonorps, de l’image qu’il en a (Fig. 5—trait continu).

Puis, le patient travaille devant le miroir. Les différencesntre ce qu’il voit dans le miroir de sa silhouette et son pre-

ier dessin (trait continu) sont modifiées par une seconde

ouleur sur la même feuille (trait pointillé gris du Fig. 5).Dans un troisième temps, nous proposons au patient de

entir le contour de son corps. Le patient est alors allongé

asds

igure 4. Deuxième modelage de Vanessa quatre mois après ; pase perte de poids, poids : 71 kg.

u sol, nous passons un bâton tout autour de son corps.ous appréhendons le travail de la sensation de son corps. Ileut, avec une troisième couleur, modifier son dessin (traitsiscontinus du Fig. 5).

Nous avons, sur la Fig. 6, mis côte à côte le premier et leroisième dessin des silhouettes, à savoir, le corps imaginén trait continu et le corps ressenti en traits discontinus.

Cet exercice des trois dessins se fait dans la mêmeéance, le même jour, sur la même feuille.

Nous continuons l’exercice sur une seconde feuille oùe psychomotricien dessine le contour du corps (Fig. 7, àauche) taille réelle, le patient se placant contre la feuille.

Nous terminons le travail avec la silhouette du corps enébut de séjour. Elle est faite avec la photographie prise à’arrivée dans l’établissement (Fig. 7, à droite). Ce dessine la silhouette n’est pas grandeur nature mais format A3.

Les phases de cet exercice font écho aux stades de déve-oppement psychomoteur de l’enfant définis par Jean dejuriaguerra, à savoir le corps vécu, le corps percu, le corpseprésenté [2].

Ces deux exercices de modelage et de dessin permettent

u patient d’avoir une première image de son corps, de sailhouette réelle. Le travail de la silhouette sert de pointe départ pour se faire une autre image de la forme deon corps. C’est une image extérieure à soi, sur une feuille
Page 6: Psychomotricité et obésité chez l’adolescent

Psychomotricité et obésité chez l’adolescent 259

Fr

dter des séries de contractions/décontractions musculaires.D’autres sont des méthodes passives, comme « le trainingautogène de Schulss », qui est, parmi d’autres pratiques,basé sur la médiation proprioceptive.

Figure 5. Trait continu : corps imaginé. Trait pointillé gris : corpsdans le miroir. Traits discontinus : corps ressenti.

de papier. Cela amène le patient à effectuer une prise dedistance avec son vécu corporel négatif, sa mésestime deson corps. Il se crée comme un squelette, une base de tra-vail, une structure qui aura besoin d’être « habillée » et« habitée ».

En effet, même si le patient voit des différences entre sil-houette actuelle et silhouette d’arrivée (Fig. 7), son ressentiest souvent tout autre. Il a des difficultés à se reconnaîtredans cette silhouette réelle.

Le second temps : le travail corporel

Le travail est, à ce stade de la prise de conscience du corps,une proposition à réinvestir son corps et son vécu corporel,à « habiller » le squelette nommé au-dessus.

Le travail corporel se fait sur l’ensemble du corps par,notamment la relaxation, une recherche du tonus et dela détente, technique appropriée pour réinvestir un corps

oublié. « C’est précisément dans la mesure où le corps setrouve être au premier chef intéressé et réinvesti pendantla crise pubertaire, que l’on peut penser qu’un abord dutype relaxation est particulièrement opportun » [4]. Dif-férentes techniques peuvent être choisies. Certaines sont

Fl

igure 6. Trait continu : corps imaginé. Traits discontinus : corpsessenti.

ites actives, telles que « Jacobson », où le patient va exécu-

igure 7. À gauche : silhouette réelle. À droite : silhouette à’arrivée.

Page 7: Psychomotricité et obésité chez l’adolescent

2

êssdlpd

trrAdotpc

esalpldpe

Pp

AsCevdac

assm(

pldéé

ie

p«ee

gt

dspv

eldss

lnctpcddrldmcp

sspddprncvlctspcdd

C

Ldn

di

60

Dans les différentes méthodes employées, le but peuttre de mettre l’accent sur les sensations externes quiont en lien avec l’enveloppe du corps ou sur les sen-ations internes. Nous pourrons utiliser des méthodes’enveloppements, de contacts au sol, de massages par’intermédiaire d’un outil tiers, comme un ballon ou un tissu,our favoriser les sensations de l’enveloppe corporelle etes contours du corps.

Pour les sensations internes, il s’agira des techniques,elles que : la respiration, les percussions osseuses, laelaxation coréenne avec microétirements, poussées ouotations des articulations mais aussi l’eutonie (Gerdalexander), pratique corporelle fondée sur l’observatione nos sensations. Nous prenons appui sur les structuressseuses, tendineuses et musculaires du patient. Tout ceravail s’entoure de verbalisation, il s’agit d’apporter auatient un lieu pour exprimer ses sensations et son vécuorporel.

« Le troisième temps » est celui du corps dans l’espace,n relation avec l’espace de l’autre, le regard de l’autre. Il’agit davantage d’un travail de groupe. Nous pourrons alorsmener le patient, qui a fait un premier travail sur lui, versa découverte de son propre corps, à sortir de son espaceropre et à se confronter à l’espace de l’autre, au corps de’autre. Des mises en jeu du corps, équilibre, découvertee son espace corporel, jeux de rôle : plusieurs situationseuvent lui être proposées avant de sortir de l’établissementt de retrouver une vie familiale et sociale.

ar ce travail, quels bénéfices le patienteut-il obtenir ?

près quelques années de pratique, il nous a paru intéres-ant d’essayer d’en évaluer la portée auprès de patients.’est pourquoi, au cours de l’année 2008/2009, nous avonsffectué une enquête auprès de 80 patients du centre sui-is en psychomotricité. L’objectif était d’estimer l’impacte ce travail dans l’histoire des patients jusqu’à huit ansprès leur sortie mais aussi l’influence que le patient pouvaitonstater sur son vécu corporel.

Sur notre échantillon, nous avons pu réaliser une enquêtevec contact téléphonique pour 31 personnes, toutes deexe féminin. Vingt pour cent des 31 patientes ont eu desuivis de courte durée (de deux à huit séances), 15 % deoyenne durée (de deux à trois mois), 65 % de longue durée

de quatre à huit mois).Lors de l’entretien téléphonique, nous proposions à la

atiente de décrire son corps, de parler de sa relation avece miroir, de son vécu du regard de l’autre, de l’histoiree son corps depuis la sortie du centre. Nous abordionsgalement le souvenir du travail en psychomotricité et lesventuels bénéfices que la patiente en avait retirés.

En fonction des réponses de nos patientes, nous avonsdentifié des différences permettant de regrouper le ressentixprimé.

Le vécu corporel est « bon » à « moyen » pour 65 % de nosatientes. Elles ont une image de leur corps « normale » àronde » pour 70 % d’entre elles. L’investissement du miroirst plus important après le séjour. Le regard de l’autrest également mieux vécu, 45 % ne ressentent plus aucune

pd

om

C. Delarue

êne face au regard de l’autre et 23 % une gêne rela-ive.

Quatre-vingt-dix pour cent des patientes ont pu identifieres bénéfices de ce suivi en psychomotricité lors de leuréjour et 80 % les qualifient d’« importants ». Elles ont ainsiu percevoir leur perte de poids et verbalisent un meilleurécu corporel.

Elles disent également avoir une meilleure image d’ellest de leur corps. Elles portent une plus grande attention àeur corps et cela se maintient le plus souvent à la sortieu centre, quelle que soit l’évolution pondérale. Elles nee négligent plus, comme elles pouvaient le faire avant leuréjour.

On peut en déduire que ce centrage sur le corps et sures sensations corporelles participe à la construction d’uneouvelle image. Les anciennes patientes semblent prendreonfiance en leurs sensations et ainsi prêtent moins atten-ion au regard de l’autre qui prenait souvent une placerédominante avant le séjour. On constate déjà, lors dee dernier, un investissement ou réinvestissement du refletans le miroir. Celui-ci se maintient après la sortie. Il serte référence, de point de repère, comme une image exté-ieure aux patientes, en face d’elles, parfois différente deeur ressenti, vers qui elles se tournent dans une dynamiquee réassurance. Quelle que soit l’évolution pondérale, leiroir semble très présent. C’est signe d’un investissement

orporel de leur image et donc d’un intérêt plus importantour leur corps.

Il est étonnant comme les notions de honte (avant leéjour) et d’acceptation (après le séjour) de son corpsoient très souvent évoquées lors des entretiens. Quelquesatientes sortaient du centre avec une meilleure image’elle et de leur corps mais gardaient une certaine déceptione ne pas maigrir davantage. Elles ont donc souhaité perdrelus de poids à leur sortie (par des régimes souvent trèsestrictifs). Une fois arrivées à un poids (un chiffre) conve-able et acceptable, elles se sont apercues que l’image dee corps dans le miroir ne leur correspondait pas. Le corpsu était trop mince et le vécu, qu’elles avaient de ce corps,es fragilisait. Elles se sentaient vulnérables. L’enveloppeorporelle n’était pas assez « épaisse » pour se sentir pro-égées dans leur intégrité et leur structure psychique. Ceont des jeunes filles qui ont repris du poids par la suite,our revenir souvent au poids qu’elles avaient à la sortie duentre, poids auquel elles s’étaient stabilisées, leur « poidse forme ». Elles ont fait l’expérience d’une réelle écoutee leurs corps et trouvé les limites de l’amaigrissement.

onclusion

e travail corporel auprès des patients obèses en cure’amaigrissement paraît donc être l’une des clés à ne paségliger pour un mieux-être corporel.

Ce travail part d’une souffrance qui amène une demandee prise en charge. Le travail n’est pas forcément linéaire,l peut passer, notamment pour des suivis de longue durée,

ar des oublis de rendez-vous, des doutes qui sont le signe’une difficulté à avancer dans cette rencontre de son corps.

L’expérience de la rencontre avec les adolescentesbèses, le travail mis en place depuis neuf ans en psycho-otricité et les témoignages recueillis nous amènent, plus

Page 8: Psychomotricité et obésité chez l’adolescent

[

[

[

[[[

P

[

[[10]Dropsy J. Le corps bien accordé. Epi; 1984.

Psychomotricité et obésité chez l’adolescent

que jamais, à poursuivre et approfondir ce travail corporelavec les patients.

Il nous semble indispensable qu’à un tel tournant deleur histoire et de l’histoire de leur corps, ces adolescentspuissent avoir une ouverture et une écoute sur ce qu’est leurcorps, sa souffrance, ses attentes et ses transformations.

On peut émettre l’hypothèse que cette découverte deson corps, de ses sensations et de ses transformations aide lepatient dans sa reconstruction corporelle, pour mieux faireface aux autres et à lui-même.

Conflit d’intérêt

L’auteur n’a pas transmis de conflit d’intérêt.

Références

[1] Apfeldorfer G. Traité de l’alimentation et du corps. Flammarion;1994.

[

[

261

2] Clanet C, Fourasté R, Sudres JL. Corps cultures et thérapies.Toulouse: Presses Universitaires du Mirail; 1993.

3] Potel C. Psychomotricité : entre théorie et pratique. Éditions,In Press 2008.

4] Bergés J, Bounes M. La relaxation thérapeutique chez l’enfant.Paris: Masson; 1996.

5] Schilder P. L’image du corps. Paris: Gallimard; 1986.6] Bernard M. Le corps. Seuil; 1995.7] Anzieu D. Le Moi-Peau. Dunod; 1985.

our en savoir plus

8] Bucher H. Psychomotricité, le plaisir d’être comme thérapie.Paris: Masson; 1994.

9] Sami-Ali. Corps réel, corps imaginaire. Dunod; 1998.

11]Barral W, Dolto F. C’est la parole qui fait vivre : une théoriecorporelle du langage. Gallimard; 1999.

12]Apfeldorfer G. Je mange donc je suis. Petite Bibliothèque Payot;2004.