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HÉMORRAGIES DIGESTIVES Que doit-on faire pour prévenir les hémorragies par rupture de varices œsophagiennes ? Quand et comment évaluer le risque d’une première hémorragie digestive ? R. DE FRANCHIS Gastroentérologie, Département de Médecine Interne, Université de Milan, Via Pace, 9, 20122 Milan, Italie. TABLE DES MATIE ` RES DIAGNOSTIC D’HYPERTENSION PORTALE ET D’HYPERTENSION PORTALE CLINIQUEMENT SIGNIFICATIVE ÉVALUATION DES MALADES POUR IDENTIFIER L’HYPERTENSION PORTALE CLINIQUEMENT SIGNIFICATIVE ÉTAPES DE L’ÉVALUATION DES MALADES AVEC HYPERTENSION PORTALE Quelle est la prévalence des varices oesogastriques au cours de la cirrhose ? Est-il possible d’identifier des malades porteurs de varices avant de faire une endoscopie ? Quelle est l’incidence de « nouvelles » varices et le taux d’augmentation de taille de petites varices ? Quel est le risque d’une première hémorragie digestive ? RECOMMANDATIONS COURANTES ET DÉFIS POUR LE FUTUR CONTENTS When and how to evaluate the risk of a first variceal bleeding? R. DE FRANCHIS (Gastroenterol Clin Biol 2004;28:B203-B207) DIAGNOSIS OF PORTAL HYPERTENSION AND CLINICALLY SIGNIFICANT PORTAL HYPERTENSION EVALUATION OF PATIENTS TO IDENTIFY CLINICALLY SIGNIFICANT PORTAL HYPERTENSION EVALUATION STEPS FOR PATIENTS WITH PORTAL HYPERTENSION What is the prevalence of esogastric varices during cirrho- sis? Can patients with varices be identified before endoscopy? What is the incidence of “de novo” varices and the growth rate of small varices? What is the risk of a first variceal hemorrhage? CURRENT RECOMMENDATIONS AND CHALLENGES FOR THE FUTURE L’ hypertension portale joue un rôle crucial dans la transition de la phase pré-clinique à la phase clinique de la cirrhose. Elle est un des facteurs qui contribuent au développement de l’ascite et de l’encéphalopathie hépatique et une cause directe de l’hémorragie variqueuse et de la mort suivant l’hémorragie. L’augmentation de la pression portale entraîne le développe- ment d’une circulation collatérale, dont les varices œsogastriques sont la partie la plus importante du point de vue clinique : elles tendent à grossir en parallèle avec l’augmentation de la pression portale, et se rompent quand la tension de la paroi variqueuse dépasse un niveau critique. Le saignement des varices œsogas- triques est la complication la plus grave de la cirrhose, et est la cause de mort d’environ un tiers des malades cirrhotiques. Toute décision concernant le diagnostic, le contrôle et la surveillance des malades avec hypertension portale doit être fondée sur la connaissance de l’histoire naturelle de cette condition. Malheureusement, il y a relativement peu de données solides sur ce sujet. Diagnostic d’hypertension portale et d’hypertension portale cliniquement significative La pression portale ne peut être mesurée que par des méthodes invasives. La technique employée le plus souvent se fonde sur le cathétérisme d’une veine hépatique par voie fémorale ou jugulaire. En calculant la différence entre la pression veineuse hépatique à cathéter bloqué et la pression veineuse hépatique libre, on peut obtenir le gradient de pression sus- hépatique qui est une mesure indirecte mais assez précise de la pression portale. La limite supérieure normale du gradient sus-hépatique est 5 mmHg [1]. Toute valeur au delà de cette limite signe l’existence d’une hypertension portale. On parle d’hypertension portale cliniquement significative quand le niveau de pression portale est tel que le malade risque de développer des complications : à ce moment là le malade devrait recevoir des traitements prophylactiques. Plusieurs études longitudinales [2-4] et transversales [5-11] ont prouvé que les varices ne se forment, ni ne saignent si le gradient sus-hépatique est au dessous de la valeur seuil de 10-12 mmHg. Par conséquent, la définition suivante de l’hypertension portale cliniquement signifi- cative a été donnée lors d’un récent atelier de consensus international [12] : « l’hypertension portale cliniquement signifi- cative est définie par une augmentation du gradient sus- hépatique au dessus d’une valeur seuil d’environ 10 mmHg. La présence de varices oesogastriques, d’hémorragie variqueuse et/ou d’ascite indique la présence d’une hypertension portale cliniquement significative ». Par conséquent, la stratégie d’iden- tifier et surveiller les malades avec hypertension portale devrait être concentrée surtout sur les malades avec hypertension portale cliniquement significative. Évaluation des malades pour identifier l’hypertension portale cliniquement significative Idéalement, l’hypertension portale devrait être évaluée par la mesure réelle de la pression. La mesure du gradient sus- hépatique est une méthode sûre et reproductible. Lorsque la © Masson, Paris, 2004. Gastroenterol Clin Biol 2004;28:B203-B207 B203

Quand et comment évaluer le risque d’une première hémorragie digestive ?

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HÉMORRAGIES DIGESTIVESQue doit-on faire pour prévenir les hémorragies

par rupture de varices œsophagiennes ?

Quand et comment évaluer le risque d’une première hémorragie digestive ?

R. DE FRANCHIS

Gastroentérologie, Département de Médecine Interne, Université de Milan, Via Pace, 9, 20122 Milan, Italie.

TABLE DES MATIERESDIAGNOSTIC D’HYPERTENSION PORTALE ETD’HYPERTENSION PORTALE CLINIQUEMENTSIGNIFICATIVE

ÉVALUATION DES MALADES POUR IDENTIFIERL’HYPERTENSION PORTALE CLINIQUEMENTSIGNIFICATIVE

ÉTAPES DE L’ÉVALUATION DES MALADES AVECHYPERTENSION PORTALE

• Quelle est la prévalence des varices oesogastriques aucours de la cirrhose ?

• Est-il possible d’identifier des malades porteurs de varicesavant de faire une endoscopie ?

• Quelle est l’incidence de « nouvelles » varices et le tauxd’augmentation de taille de petites varices ?

• Quel est le risque d’une première hémorragie digestive ?

RECOMMANDATIONS COURANTES ET DÉFIS POUR LEFUTUR

CONTENTSWhen and how to evaluate the risk of a first varicealbleeding?R. DE FRANCHIS

(Gastroenterol Clin Biol 2004;28:B203-B207)

DIAGNOSIS OF PORTAL HYPERTENSION ANDCLINICALLY SIGNIFICANT PORTAL HYPERTENSIONEVALUATION OF PATIENTS TO IDENTIFY CLINICALLYSIGNIFICANT PORTAL HYPERTENSIONEVALUATION STEPS FOR PATIENTS WITH PORTALHYPERTENSION

• What is the prevalence of esogastric varices during cirrho-sis?

• Can patients with varices be identified before endoscopy?• What is the incidence of “de novo” varices and the growth

rate of small varices?• What is the risk of a first variceal hemorrhage?

CURRENT RECOMMENDATIONS AND CHALLENGES FORTHE FUTURE

L’ hypertension portale joue un rôle crucial dans latransition de la phase pré-clinique à la phase cliniquede la cirrhose. Elle est un des facteurs qui contribuent

au développement de l’ascite et de l’encéphalopathie hépatiqueet une cause directe de l’hémorragie variqueuse et de la mortsuivant l’hémorragie.

L’augmentation de la pression portale entraîne le développe-ment d’une circulation collatérale, dont les varices œsogastriquessont la partie la plus importante du point de vue clinique : ellestendent à grossir en parallèle avec l’augmentation de la pressionportale, et se rompent quand la tension de la paroi variqueusedépasse un niveau critique. Le saignement des varices œsogas-triques est la complication la plus grave de la cirrhose, et est lacause de mort d’environ un tiers des malades cirrhotiques.

Toute décision concernant le diagnostic, le contrôle et lasurveillance des malades avec hypertension portale doit êtrefondée sur la connaissance de l’histoire naturelle de cettecondition. Malheureusement, il y a relativement peu de donnéessolides sur ce sujet.

Diagnostic d’hypertension portaleet d’hypertension portale cliniquementsignificative

La pression portale ne peut être mesurée que par desméthodes invasives. La technique employée le plus souvent sefonde sur le cathétérisme d’une veine hépatique par voiefémorale ou jugulaire. En calculant la différence entre la pressionveineuse hépatique à cathéter bloqué et la pression veineusehépatique libre, on peut obtenir le gradient de pression sus-

hépatique qui est une mesure indirecte mais assez précise de lapression portale. La limite supérieure normale du gradientsus-hépatique est 5 mmHg [1]. Toute valeur au delà de cettelimite signe l’existence d’une hypertension portale. On parled’hypertension portale cliniquement significative quand le niveaude pression portale est tel que le malade risque de développerdes complications : à ce moment là le malade devrait recevoirdes traitements prophylactiques. Plusieurs études longitudinales[2-4] et transversales [5-11] ont prouvé que les varices ne seforment, ni ne saignent si le gradient sus-hépatique est audessous de la valeur seuil de 10-12 mmHg. Par conséquent, ladéfinition suivante de l’hypertension portale cliniquement signifi-cative a été donnée lors d’un récent atelier de consensusinternational [12] : « l’hypertension portale cliniquement signifi-cative est définie par une augmentation du gradient sus-hépatique au dessus d’une valeur seuil d’environ 10 mmHg. Laprésence de varices oesogastriques, d’hémorragie variqueuseet/ou d’ascite indique la présence d’une hypertension portalecliniquement significative ». Par conséquent, la stratégie d’iden-tifier et surveiller les malades avec hypertension portale devraitêtre concentrée surtout sur les malades avec hypertension portalecliniquement significative.

Évaluation des malades pour identifierl’hypertension portale cliniquementsignificative

Idéalement, l’hypertension portale devrait être évaluée par lamesure réelle de la pression. La mesure du gradient sus-hépatique est une méthode sûre et reproductible. Lorsque la

© Masson, Paris, 2004. Gastroenterol Clin Biol 2004;28:B203-B207

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technique est employée correctement, le coefficient de variationde la méthode est 2,6 ± 2,6 % [3]. Toutefois, à présent, la mesuredu gradient sus-hépatique ne peut pas se faire d’une façonroutinière, et donc il faut employer des méthodes alternatives.

L’examen endoscopique complet de l’œsophage, de l’esto-mac et du duodénum, qui est bien plus disponible que la mesuredu gradient sus-hépatique, est une méthode appropriée, puisquela taille des varices est clairement reliée au risque hémorragique[13]. Avec cet examen, on peut atteindre un bon degré deconcordance entre observateurs pour l’évaluation de la taille desvarices [13, 14], ainsi qu’une bonne précision pour le diagnosticde cirrhose [15]. De plus, l’endoscopie permet d’identifierd’autres lésions potentiellement hémorragiques liées à l’hyper-tension portale, telles la gastropathie congestive et les ectasiesvasculaires antrales.

Étapes de l’évaluation des maladesavec hypertension portale

Pour décider quand et comment évaluer le risque d’unepremière hémorragie digestive chez le malade cirrhotique, il fautd’abord répondre aux questions suivantes :

1) Quelle est la prévalence des varices œsogastriques aucours de la cirrhose ?

2) Est-il possible d’identifier les malades avec varicesoesogastriques avant de faire une endoscopie ?

3) Quels sont l’incidence de « nouvelles » varices et le tauxd’augmentation de taille des petites varices ?

4) Quel est le risque d’une première hémorragie digestive ?

Quelle est la prévalence des varicesœsogastriques au cours de la cirrhose ?

Des études longitudinales [16] ont montré que tous lesmalades cirrhotiques sont condamnés à former des varicesœsophagiennes tôt ou tard. Après s’être formées, les varicestendent à grossir [17] et à saigner, le risque de saigner étant lié àleur taille [13, 18]. Pourtant, à un temps précis, une proportionvariable d’une population de malades cirrhotiques n’aura pas devarices. Par conséquent, la fréquence des varices oesogastriquesau cours de la cirrhose est très différente dans les séries publiées.Dans une compilation de la littérature assez ancienne [19](figure 1) la prévalence des varices variait entre 24 % et 80 %,avec une moyenne de 58,7 %. Toutefois, il est aujourd’huirecommandé de faire un examen endoscopique complet del’œsophage, de l’estomac et du duodénum à tous les malades

cirrhotiques au moment du diagnostic de cirrhose [12, 20, 21].Néanmoins, si l’on suivait cette recommandation, on feraitbeaucoup d’endoscopies inutiles. Il est donc souhaitable depouvoir prévoir la présence des varices par des moyens noninvasifs, et de limiter l’exécution de l’endoscopie aux maladesayant une haute probabilité d’avoir les varices.

Est-il possible d’identifierles malades porteurs de varicesavant de faire une endoscopie ?

La possibilité d’identifier les malades avec un haut risqued’avoir des varices œsophagiennes, à qui l’endoscopie devraitêtre réservée, a reçu récemment assez d’attention. Pagliaro et al.[22] ont observé que la présence d’un nombre de plaquettesinférieur à 140 000/mm3 et un diamètre portal à l’échographieabdominale de plus de 13 mm sont les meilleurs indicateurs de laprésence de varices. Dans d’autres séries, la présence d’ascite[23, 24], d’une splénomégalie [12, 25], d’une hypo albuminé-mie [26], d’angiomes stellaires [27], de taux bas de cholinesté-rase [27] ou de plaquettes [23, 26, 28-31] ont été proposéscomme indicateurs de la présence de varices oesophagiennes.Une étude récente par Schepis et al. [32] a proposé un modèlepronostique de la présence de varices oesophagiennes basé sur3 variables : un taux de prothrombine inférieur à 70 %, undiamètre de la veine porte de plus de 13 mm à l’échographieabdominale et un taux de plaquettes inférieur à 100 000 parmm3. Avec ce modèle, les malades pourraient être stratifiés enclasses de risque où la probabilité d’avoir varices varie entre 10et 90 %. Malheureusement, quand ce modèle a été appliqué àune série indépendante de malades [33], il a échoué àreproduire les résultats attendus : dans la classe de risque la plushaute la prévalence de varices observée était 58,6 % pour uneprévalence attendue de 91,7 % ; au contraire, dans la classe derisque la plus basse, la prévalence de varices observée était34,4 % contre une prévalence attendue de 9,7 % (figure 2). Laconclusion à tirer de ces données est que, bien que la prévalencede varices soit approximativement reliée au degré d’insuffisancehépatique et à d’autres paramètres cliniques ou d’examenscomplémentaires, il n’y a pas un modèle pronostique assez précispour nous permettre de sélectionner les malades ayant un hautrisque d’avoir des varices œsophagiennes à qui réserver l’endos-copie. Par conséquent, la recommandation que tous les malades

Fig. 1 − Prévalence de varices œsophagiennes chez 3 122 malades cirrhoti-ques.

Prevalence of esophageal varices in 3122 cirrhosis patients.

Fig. 2 − Vérification indépendante du modèle de Schepis pour l’identifica-tion de la présence de varices chez les malades cirrhotiques

Independent verification of the Schepis model for identifying thepresence of varices in cirrhoic patients.

R. de Franchis

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cirrhotiques doivent faire une endoscopie haute au moment dudiagnostic de cirrhose est encore actuelle.

Quels sont l’incidence de « nouvelles »varices et le taux d’augmentationde taille des petites varices ?

La connaissance des taux de développement et de croissancedes varices aurait des conséquences importantes, puisqu’ellepourrait aider à établir les intervalles optimaux entre lesendoscopies de surveillance, qui ont pour but d’identifier lesvarices à risque de saigner avant qu’elles ne saignent et ainsipouvoir commencer un traitement prophylactique. Des intervallestrop courts augmenteraient sans nécessité le travail des unitésd’endoscopie, tandis que des intervalles trop longs augmente-raient le risque de saignement des malades entre deux endosco-pies de surveillance. Pour ce qui concerne le développement de« nouvelles » varices, la plupart des études publiées a trouvé destaux annuels de 8 % à 12 % [16, 22, 34, 35], mais il y a desexceptions (figure 3). Il semble que le degré d’insuffisancehépatique [36, 37] et la durée de la cirrhose [36] sont liés audéveloppement de nouvelles varices. Dans l’étude de Calès et al.[36], où la majorité des malades étaient de classe B et C deChild-Pugh [38], l’incidence de varices était 23 % à un an et 50 %à deux ans. Au contraire, dans l’étude par Primignani et al. [37],où 94 % des malades étaient de Classe A de Child-Pugh,l’incidence des varices était 5 % à 2 ans. Cependant, Merli et al.[35] n’ont pu identifier aucun facteur pronostique du développe-ment de nouvelles varices.

La majorité des varices que l’on découvre pour la premièrefois sont de taille petite. Dans les études de Pagliaro et al. [22]Primignani et al. [37] et Merli et al. [35] où les endoscopies desurveillance se faisaient à intervalles annuels, la proportion demalades avec varices de taille moyenne ou grande à la premièredécouverte était 4 % à six ans, 2,7 % à 5 ans et 7 % à 3 ansrespectivement.

Pour ce qui concerne l’augmentation de la taille des varices,les taux trouvés dans les études publiés varient beaucoup(figure 4), étant 25 % à six ans selon Pagliaro et al. [22], 45 % à3 ans selon Zoli et al. [39], 70 % et 30 % à deux ansrespectivement dans deux études par Calès et al. [36, 40] et 15 %à 16 mois dans une étude par Merkel et al. [41]. Plusieurs auteursont même décrit des phénomènes de régression [19]. Cettegrande variabilité de résultats est probablement liée à desdifférences entre les populations étudiées et aux différentsintervalles entre les endoscopies de surveillance adoptés dans lesétudes. Les facteurs pronostiques de l’augmentation de la tailledes varices identifiés sont la classe de Child-Pugh au début desétudes [35, 36], l’aggravation de la fonction hépatique au coursdes années [36, 39], l’étiologie alcoolique de la cirrhose [35] et

la présence des signes rouges sur les varices [35]. Dans deuxséries [35, 36], l’incidence de saignement était significativementplus haute chez les malades avec de petites varices que chez ceuxsans varices au début de l’étude.

Comment peut-on utiliser les informations qui dérivent desétudes qui précèdent pour décider les intervalles optimaux entreles endoscopies de surveillance ? Il faut d’abord que l’on décidequel niveau de risque c’est-à-dire quelle proportion de maladessaignant avant de commencer un traitement prophylactique, onest préparé à accepter. Si l’on place ce niveau à 10 %, lesmalades qui n’ont pas de varices à la première endoscopiepeuvent être surveillés par endoscopie tous les trois ans. En effet,soit le taux de développement de varices de grande taille, soit letaux de saignement sont au dessous du seuil de 10 % pour cesmalades [22, 35, 36].

Pour les malades avec des petites varices à la premièreendoscopie, la question est beaucoup plus compliquée, puisque,dans les différents études, les taux d’augmentation de taille desvarices varient entre 6 % [22] et 70 % [36] à 2 ans, et ceux desaignement entre 4 % à 16 mois [41] et 24 % à 2 ans [36]. Il estclair qu’on a besoin de plus d’information sur ce sujet. Pour lemoment, il parait raisonnable de maintenir l’intervalle recom-mandé de 1-2 ans [12], en adoptant l’intervalle le plus court pourles malades porteurs d’une cirrhose alcoolique [35, 36], avecune insuffisance hépatique plus grave [22, 35, 36] et avec dessignes endoscopiques de risque [12, 35].

Quel est le risqued’une première hémorragie digestive ?

Le risque de saignement des varices œsogastriques estvariable (figure 5). Dans une méta-analyse récente des groupesplacebo des études de prophylaxie primaire de l’hémorragievariqueuse, le taux moyen pondéré de saignement était 24 % àdeux ans [18]. Le risque de saignement est variable selon la tailledes varices. Dans la même méta-analyse, l’incidence de saigne-ment était 7 % chez les malades avec de petites varices, et 30 %chez ceux avec des varices de taille moyenne ou grande. A causede cette variabilité, l’identification des malades ayant le risque desaigner le plus fort serait utile pour sélectionner les candidatspour les traitements prophylactiques. Ce sujet a reçu beaucoupd’attention [13, 42-46], et plusieurs modèles pronostiques de lapremière hémorragie variqueuse ont été développés. Quelques-uns de ces modèles se basent sur des paramètres endoscopiques[44, 45], d’autres sur une combinaison de paramètres endosco-piques et cliniques comme l’étiologie alcoolique de la cirrhose[42] ou bien sur une combinaison de paramètres endoscopiques,biochimiques et d’échographie Doppler [43], et d’autres encorese basent sur l’échographie endoscopique à haute résolution[46]. Le modèle employé le plus souvent est peut-être celuidéveloppé par le North Italian Endoscopic Club (NIEC), qui

Fig. 3 − Développement de « nouvelles » varices œsophagiennes chez lemalade cirrhotique.

Development of “new” esophageal varices in cirrotic patients.

Fig. 4 − Augmentation de la taille des varices œsophagiennes chez lemalade cirrhotique.

Increasing size of esophageal varices in cirrhotic patients.

Evaluer le risque d’une première hémorragie digestive

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stratifie les malades selon la probabilité de saigner à un an [13](tableau I). Le modèle se base sur 3 variables pronostiquesindépendantes du saignement : le degré d’insuffisance hépatiqueselon la classe de Child-Pugh, la taille des varices et la présencede signes rouges sur les varices. Le modèle NIEC a été validéprospectivement avec des séries indépendantes comprenant plusde 1 000 malades [13, 47-49]. Le problème principal avec tousles modèles pronostiques est qu’ils peuvent identifier comme àhaut risque seulement une proportion relativement limité desmalades destinés à saigner. Par exemple, dans l’étude NIEC[13], seulement 38 % des malades qui finalement saignèrentavaient été classés comme à haut risque (figure 6).

Par conséquence, la recommandation courante est de traiteren prophylaxie primaire tous les malades ayant des varicesoesophagiennes de taille moyenne ou grande.

Recommandations couranteset défis pour le futur

Sur la base des données disponibles, les recommandationscourantes [12] sont donc les suivantes :

• Tous les malades cirrhotiques doivent avoir une endoscopiehaute au moment où l’on fait le diagnostic de cirrhose.

• Les malades qui n’ont pas de varices au moment de lapremière endoscopie peuvent répéter l’examen à intervalles de 3ans.

• Ceux qui ont des petites varices au moment de la premièreendoscopie doivent répéter l’examen à intervalles de 1-2 ans ;l’intervalle doit être de 1 an chez les malades porteurs d’unecirrhose alcoolique, avec une insuffisance hépatique grave ouavec des signes endoscopiques de risque.

• Tous les malades avec des varices de taille moyenne ougrande doivent être traités en prophylaxie de la premièrehémorragie variqueuse.

Ces recommandations ont été récemment défiées par uneétude par Spiegel et al. [50] qui a évalué le rapportcoût/efficacité de différentes stratégies de traitement des maladesporteurs de varices oesophagiennes par une analyse de décisionutilisant le modèle de Markov. L’étude a montré que la stratégie laplus efficace et économique serait de traiter avec des beta-bloquants tous les malades cirrhotiques, sans faire aucuneendoscopie préliminaire de sélection. Cette étude théoriquedevra être vérifiée en pratique avant que l’on puisse accepter sesconclusions.

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Fig. 5 − Incidence de saignement variqueux dans les groupes placebo desétudes contrôlées de prophylaxie primaire avec beta-bloqueurs.

Effect of variceal bleeding in placebo groups in controlledbeta-blocker primary prevention studies

Tableau I. − Probabilité estimée en pour cent de saigner à un an en fonctionde toutes les combinaisons possibles des trois variables dumodèle pronostique NIEC.

Estimated risk of bleeding at one year as a function ofpossible combinations of the three NIEC prognostic modelvariables.

Classe de Child A B C

Taille des varices F1 F2 F3 F1 F2 F3 F1 F2 F3

Signes rouges

Absents 6 10 15 10 16 26 20 30 42

Légers 8 12 19 15 23 33 28 38 54

Modérés 12 16 24 20 30 42 36 48 64

Sévères 16 23 34 28 40 52 44 60 76

NIEC, N Engl J Med 1988;319;983-9.

Fig. 6 − Distribution des hémorragies variqueuses entre les classes de risquedu modèle pronostique N.I.E.C.

Variceal bleeding by risk class in the NIEC prognostic model.

R. de Franchis

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Evaluer le risque d’une première hémorragie digestive

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