Quand La Chine Investit en France

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  • Quand la Chine investit

    en FranceE N Q U T E E T P O R T R A I T S

    Brigitte Dyan - Hubert Testard

    Agence franaisepour les investissements

    internationaux

  • ENQUTE ET PORTRAITS

    AGENCE FRANAISE POUR LES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX

    QUAND LA CHINE INVESTIT EN FRANCE

    BRIGITTE DYAN - HUBERT TESTARD

  • REMERCIEMENTS

    Les auteurs remercient Jean-Pierre Raffarin, Christian Sautter, Nhay Phan, ainsi que lensemble des personnalits rencontres pour leur disponibilit et la qualit de leur contribution cet ouvrage. Ils remercient David Appia et Serge Boscher de leur confiance et de leur soutien, Sylvie Montout et Fatia Bouteiller pour leur expertise, Julie Cannesan, Sverine de Carvalho et toute lquipe communication de lAFII et Pascal Gondrand pour leur appui permanent et leurs conseils.

    Pour leur connaissance approfondie des problmatiques rgionales, leurs tmoi-gnages et leurs introductions, ils remercient galement les agences de dveloppe-ment rencontres : Paris le-de-France, InvestinLyon, Nord-Invest, Bordeaux-In-vest, Provence-Promotion et Moselle-Dveloppement. Singapour, ils remercient Anne Garrigue de ses conseils et Ccile Sassus pour sa contribution au travail den-qute. Ils remercient EY pour avoir bien voulu mettre leur disposition sa base de donnes Europe.

    Ils remercient enfin les entreprises rencontres, qui ont bien voulu ouvrir leurs portes et apporter leur concours, et se sont montres disponibles pour toutes les demandes de prcisions.

  • SOMMAIRE

    PRFACE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

    INTRODUCTION

    DOUZE ANS DE MONTE EN PUISSANCE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

    CHAPITRE 1

    LA FRANCE GARDE SA PLACE DANS LA COMPTITION EUROPENNE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

    CHAPITRE 2

    GROUPE CHEMCHINA-BLUESTAR, ADISSEO ET BSI La confiance, cl de vote dune politique dacquisitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

    CHAPITRE 3

    LISA AIRPLANES Une start-up sur la piste de dcollage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

    CHAPITRE 4

    HUAWEI Quand la Chine vend de la high-tech la France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

    CHAPITRE 5

    SOMAB La longue marche de la machine-outil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64

    CHAPITRE 6

    WEICHAI - MOTEURS BAUDOUIN Une rencontre entre motoristes, de Cassis Weifang . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70

    CHAPITRE 7

    DANS LES VIGNOBLES DU BORDELAIS Un accs direct au march chinois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

    CHAPITRE 8

    QUELQUES PISTES DAMLIORATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88

    ANNEXE 1 Les investissements chinois autour du monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112ANNEXE 2 Rappel mthodologique sur les statistiques dinvestissement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127ANNEXE 3 Les chiffres dvolution des investissements chinois ltranger. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130ANNEXE 4 Liste des 30 premiers investisseurs chinois non bancaires dans le monde . . . . . 132ANNEXE 5 Liste des personnalits rencontres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133ANNEXE 6 Carte de la rpartition gographique des projets

    dinvestissement chinois et hongkongais en France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136

  • 6

  • PRFACE

    Le prsident de la Rpublique et le gouvernement franais viennent dadresser un double message aux investisseurs trangers, lors de la runion rcente du Conseil stratgique de lAttractivit, les assurant quils sont les bienvenus en France, un pays dans lequel les rformes se poursuivent au service de la comptitivit.

    Nul doute, au moment o la France et la Chine clbrent le cinquantime anniversaire de leurs relations diplomatiques, que les investisseurs chinois sauront saisir les opportunits quoffrent les territoires franais pour prendre pied au cur du march europen, et rebondir, depuis leur base franaise, vers le Proche et le Moyen-Orient et vers lAfrique.

    Le prsent ouvrage, dont lAgence franaise pour les investissements internationaux a pris linitiative, analyse les caractristiques et les enjeux de limplantation de ces entreprises chinoises en France. Une srie de portraits apporte un clairage sur les investisseurs, leurs salaris et leurs reprsentants en France.

    Lensemble dessine une dynamique et des perspectives trs prometteuses pour lavenir, car linternationalisation des entreprises chinoises nen est qu ses dbuts.

    LEurope est lune des principales destinations de ces investissements. Dans cet espace conomique ouvert, la France dispose datouts importants qui la placent dans le trio de tte des pays daccueil au sein de lUnion europenne.

    Lenqute retrace dans ce livre fait tomber une srie de prjugs qui subsistent parfois, de part et dautre. Elle met en lumire une contribution globale des investisseurs chinois lconomie et lemploi en France positive, mme si elle reste modeste ce jour.

    7

  • 8Elle montre, notamment, que les investisseurs chinois sont respectueux des normes sociales et environnementales franaises, autant que de loutil de travail, et des savoir-faire. La plupart partage une mme vision de long terme, et la capacit de faire face dventuelles difficults conjoncturelles.

    Plusieurs portraits illustrent limportance du facteur humain, et de la confiance noue entre les dirigeants chinois et les cadres franais chargs de diriger leurs filiales, gage essentiel de succs.

    Les grandes alliances entre groupes franais et chinois sont une caractristique qui na pas vritablement dquivalent dans dautres pays europens. Lentre de Dongfeng au capital de PSA confirme cette tendance, qui sobserve dans lnergie ou laronautique, et gagnera peut-tre demain lenvironnement et la ville durable.

    Les atouts de la France dans la mode, laronautique, la sant ou lagro-alimentaire sont en phase avec le redploiement de lconomie chinoise vers son march intrieur et vers la consommation. Sa base technologique et ses savoir-faire dans les procds de production sont lorigine de nombreux investissements chinois.

    Lenqute souligne, enfin, la part qui revient au contexte socio-culturel dans lequel ces investisseurs sinsrent. Ladaptation interculturelle passe, en particulier, par des modles de management, par la bonne insertion de la socit qui investit, comme de ses expatris, dans la commune dimplantation ou de rsidence.

    Ce livre constitue un prcieux outil de travail pour tous ceux, investisseurs, agences de dveloppement, collectivits locales ou cabinets de conseil qui contribuent au dveloppement de la prsence chinoise en France.

    nos amis entrepreneurs chinois, nous voulons raffirmer : Vous tes les bienvenus en France!

    Ramon Fernandez, Directeur gnral du TrsorDavid Appia, Prsident de lAFII

    PRFACE

  • INTRODUCTION

    Douze ans de monte en puissance

    Mondialisez-vous, Zou chq,, le slogan date de la fin des annes quatre-vingt-dix, au moment o la Chine rejoint lOrganisa-tion mondiale du commerce. Cette stratgie dinternationalisation tait une nouvelle tape de la politique de rforme et douverture1 lance par Deng Xiaoping au dbut des annes quatre-vingt, qui a initi la premire grande vague dinvestissements internationaux en Chine et le lancement des zones conomiques spciales.

    Officiellement intgre au dixime plan quinquennal chinois (2001-2005), conforte dans le onzime plan en 2006 avec une formulation encore plus volontariste : Faites un pas de plus dans la mondialisa-tion 2, la nouvelle politique est alors soutenue par diverses mesures dencouragement qui sadressent aux entreprises dtat. Mais aussi, fait nouveau, aux entreprises prives.

    La stratgie de mondialisation sest rapidement concrtise. En douze ans, de 2000 2012, la Chine est devenue le troisime investisseur mondial. Les exportations chinoises ont t multiplies par huit, la Chine tant le premier exportateur mondial avec une part de march de 11,4%. Le niveau des investissements trangers du pays a pour sa part

    1. Gig kifng,

    2. jn y b Zu chq,

    9

  • t multipli pratiquement par 100, passant de 0,9Md$ en lan 2000 87,8Md$ en 20123.

    UN POTENTIEL DINVESTISSEMENTS ENCORE TRS IMPORTANT

    La Chine est encore loin du point dquilibre dans sa dynamique dinvestissement international. Pour linstant, le stock dinvestissements chinois ltranger reste relativement modeste. environ 530Md$ fin 2012, il reprsente seulement 6% du PIB du pays, soit lquivalent de lInde, qui est pourtant trois fois plus pauvre. En comparaison, les pays les plus actifs au plan de linvestissement international, comme la France ou la Grande-Bretagne, ont un stock dinvestissements quiva-lent respectivement 57% et 75% de leur PIB. Les tats-Unis sont 32%, le Japon 18%, lAllemagne 45%.

    Le potentiel chinois reste donc trs important. Le Rhodium Group4 estime cette rserve possible dinvestissements chinois de 100 200Md$ par an jusquen 2020. A Capital prvoit galement que les flux dinvestissements chinois ltranger ne tarderont pas dpasser les flux entrants, faisant de la Chine un exportateur net dinvestissements au cours des prochaines annes. Lanne 2013 confirme cette tendance, avec un flux sortant dinvestissements qui progresse de plus de 20%, soit trois fois le rythme daugmentation des flux entrants.

    UN DISPOSITIF DACCOMPAGNEMENT POLITIQUE ET FINANCIER EXCEPTIONNEL

    Pour accompagner les investissements, les dirigeants chinois sim-pliquent directement grande chelle. Ils se dplacent de plus en plus travers le monde avec une cohorte de grands groupes et prsident la

    3. Selon les donnes du ministre chinois du Commerce (MOFCOM).

    4. Voir Annexe 2 concernant les sources statistiques.

    INTRODUCTION

    10

  • signature de nombreux accords. Un changement de ton depuis la fin des annes quatre-vingt-dix: jusque-l, les investissements ltranger taient autoriss au cas par cas par les administrations chinoises, qui incluent en particulier le ministre du Commerce, la Commission nationale pour la rforme et le dveloppement et la Banque centrale. Dsormais, ces orga-nismes appuient au contraire leffort dimplantation internationale des entreprises chinoises, avec des vagues successives de simplification5 des procdures dautorisation, mme si celles-ci nont pas totalement disparu en raison du maintien dun contrle troit sur les oprations de change.

    Le gouvernement sappuie par ailleurs sur trois leviers financiers ma-jeurs qui constituent, pris collectivement, un dispositif sans quivalent dans le monde.

    La China Eximbank est charge de financer les exportations, les projets dinfrastructure et les investissements ltranger. Elle distri-bue par ailleurs les prts concessionnels qui font lessentiel de laide au dveloppement chinoise. Ses encours de prts ltranger slevaient 165Md$ fin 20126. Ses interventions sont loin de se limiter aux pays en dveloppement : parmi les dix plus importantes oprations cites dans le rapport annuel de lEximbank pour 2012 figure le rachat du distributeur de cinma AMC Entertainment Holdings aux tats-Unis par le groupe Wanda pour un montant total de 2,6Md$.

    La China Development Bank finance en priorit le dveloppement des infrastructures lintrieur du territoire chinois. Elle a cependant dvelopp, dans le cadre de la politique de mondialisation voulue par le gouvernement, des activits de financement linternational qui ont pris encore plus dampleur que celles de lEximbank puisque ses encours de crdit en dollars atteignaient 224Md$ fin 20127. La CDB a la particularit

    5. Le troisime plenum du 18e congrs du Parti communiste chinois de novembre 2013 a donn lieu de nouvelles annonces de simplification.

    6. Rapport annuel 2012 de lEximbank, page 15.

    7. Rapport annuel 2012 de la CDB, page 53.

    INTRODUCTION

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  • daccorder des enveloppes de crdit de long terme aux grands groupes chinois, sur lesquelles ces derniers peuvent faire appel en fonction des projets dinvestissement quils concrtisent. Des enveloppes similaires peuvent aussi tre accordes des gouvernements ou des collectivits lo-cales trangres pour financer les infrastructures. Cest par exemple ce que le prsident de la CDB, Chen Yuan, avait propos Arnold Schwarzeneg-ger lors dune de ses visites en Chine comme gouverneur de Californie, pour financer le projet de train grande vitesse californien.

    Par ailleurs, la China Investment Corporation, fonds souverain chinois cr en 2007, dtient un portefeuille dactifs financiers valu 575Md$ fin 2012, comportant une part minoritaire dactifs strat-giques ltranger. Selon lHeritage Foundation8, la CIC a ralis 46 investissements stratgiques de plus de 100millions de dollars dans le monde depuis sa cration, majoritairement aux tats-Unis et en Eu-rope. La SAFE, State Administration of Foreign Exchange, consacre galement une petite partie des rserves de change chinoises des place-ments de portefeuille ltranger. Elle dispose de participations trs mi-noritaires (1 2%) dans nombre de grandes entreprises internationales.

    DES ENTREPRISES PUBLIQUES, MAIS AUSSI BEAUCOUP DE GROUPES PRIVS

    Les investisseurs chinois ont la particularit dtre en premier lieu des entreprises dtat. Actuellement, les vingt premiers investisseurs chinois ltranger sont tous publics, et plus de 80% des grandes acquisitions ltranger ont t ralises par des entreprises publiques en 2011 et 20129..

    Pourtant, les entreprises prives sont de plus en plus nombreuses sinternationaliser, avec des montants dinvestissements sans doute moins importants. Plus de 16000 entreprises chinoises avaient investi

    8. Voir Annexe 2 concernant les sources statistiques.

    9. Selon lHeritage Foundation. Le MOFCOM estime pour sa part que les entreprises publiques ne reprsentent plus que 60 % des capitaux investis en 2012 par les socits non financires.

    INTRODUCTION

    12

  • ltranger fin 2012 dans 179 pays10. Les entreprises dtat ne reprsen-tent plus quenviron 10% de ce total aujourdhui.

    LES OBJECTIFS DE CETTE STRATGIE DINVESTISSEMENT

    Dans une phase initiale, les entreprises chinoises poursuivaient deux objectifs majeurs: en premier lieu, accder aux ressources nergtiques et minires dans les pays en dveloppement et quelques pays dvelop-ps riches en ressources (Australie, Canada) ; ensuite, dvelopper des rseaux commerciaux et des services associs pour accompagner lex-pansion rapide des exportations chinoises, en particulier sur les grands marchs des pays dvelopps.

    ces deux objectifs principaux sajoutent dsormais dautres ap-proches qui prennent une part croissante dans les stratgies dinvestis-sement:

    moderniser les procds de production en Chine pour mieux rsis-ter la concurrence locale et internationale. Ceci passe par des ac-quisitions cibles de socits dtentrices de technologies avances;

    acqurir des marques rputes, pour amliorer le prestige (et les marges) de la socit chinoise, ltranger comme sur le march intrieur;

    implanter des centres de recherche-dveloppement dans les pays dvelopps pour tirer parti de la main-duvre qualifie et des clus-ters technologiques disponibles;

    crer des bases productives hors de Chine, soit dans les pays pauvres pour bnficier de cots de main-duvre attractifs, soit dans les pays riches pour accrotre les parts de march.

    10. Selon le MOFCOM.

    INTRODUCTION

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  • UN DPLOIEMENT PROGRESSIF SUR TOUS LES CONTINENTS

    Une tude intressante de lEconomist Intelligence Unit11 souligne que laccs aux ressources naturelles reste une vise majeure en termes de capitaux investis (il reprsente 61 % des acquisitions de plus de 100millions de dollars), mais quil devient minoritaire en nombre din-vestissements (33% en 2012). Elle souligne que, dans la priode 2005-2012, la part des pays dvelopps dans lensemble des investissements chinois a fortement augment, passant de 16% 53%. Elle voque aussi le caractre encore opportuniste des investisseurs chinois, qui les conduit pntrer de nouveaux marchs de faon soudaine, avec une perception parfois insuffisante des risques. Les surprises pro-viennent aussi bien des pays en dveloppement que des pays dvelop-ps, o les contraintes politiques, sociales et environnementales sont parfois insuffisamment perues.

    UNE OUVERTURE DE NOMBREUX SECTEURS DACTIVIT

    Limportance des socits de holding, qui mnent un tiers des opra-tions dinvestissement, fausse la vision des secteurs cibls. Si lon met de ct cette catgorie particulire, les cinq secteurs qui dominent linves-tissement chinois ltranger sont la finance, lnergie et les mines, le commerce et la distribution, les transports et lindustrie. Linvestisse-ment industriel runit un nombre important dentreprises (5620) et porte principalement sur lautomobile, les tlcommunications, linfor-matique et lectronique, la chimie, les quipements mcaniques et lec-triques, les mtaux et le textile.

    Jusquici, les investissements immobiliers chinois taient rests mar-ginaux, contrairement ceux dautres pays asiatiques comme le Japon ou Singapour. Mais trs rcemment, la dynamique dinvestissements

    11. China Going Global nvestment ndex , E, 2013.. China Going Global nvestment ndex , E, 2013.

    INTRODUCTION

    14

  • dans le secteur immobilier a commenc prendre de lampleur. Quant linvestissement dans les services non financiers, il est encore faible mais commence se dvelopper.

    LA RPARTITION MONDIALE EST FAVORABLE AUX PAYS DVELOPPS

    Il est difficile de dire prcisment o vont les investissements chinois dans le monde. Les statistiques officielles placent lAsie loin au premier rang, mais ne portent que sur la premire destination des investisse-ments12.

    Pour avoir une vue plus raliste, il est ncessaire de sappuyer sur les estimations faites par des sources prives. Nous retiendrons ici celles de lHeritage Foundation, qui recense tous les investissements chinois suprieurs 100millions de dollars annoncs dans la presse internatio-nale. Sans tre exhaustif, ce recensement permet de capter les initiatives les plus importantes, didentifier les acteurs et les cibles, et davoir une approximation raisonnable des montants investis par zone.

    Le bilan de lHeritage Foundation13 fait apparatre une rpartition gographique trs diffrente:

    LAmrique du Nord et lEurope sont les deux rgions prioritaires, avec respectivement 20,1% et 18,1% des montants investis.

    LAsie ne vient quen troisime position avec 16,3% du total. lintrieur du continent asiatique, les pays dvelopps dAsie de lEst (Japon, Core) et lAsie du Sud (Inde, Pakistan) ne consti-tuent que des cibles mineures avec respectivement 1,9 et 2,2% des montants investis. LAsie centrale fait un peu mieux (3,4%) grce ses ressources nergtiques, et cest clairement lAsean qui focalise

    12. Voir Annexe 2 sur la mthodologie de comptabilisation des investissements ltranger.

    13. Ce bilan porte sur la priode 2005 fin 2013. l recense 542 investissements pour un montant total de 471 Md$ ( comparer au stock historique global de 530 Md$ du MOFCOM).

    INTRODUCTION

    15

  • lattention, avec 9% du total, la premire cible tant un pays dve-lopp, Singapour.

    Viennent ensuite trois rgions dimportance comparable, qui re-cueillent chacune environ entre 12 et 14 % des investissements chinois. Ce sont lOcanie (en fait essentiellement lAustralie), lAfrique et lAmrique latine et centrale14.

    Dernire rgion par ordre dimportance, le Moyen-Orient, qui nat-tire que 4,4% des investissements chinois, principalement par un effet de raret: les Chinois ont t des investisseurs tardifs dans une zone o lappropriation nationale des ressources est aujourdhui trs dveloppe.

    Pourquoi cette rpartition inattendue ? Elle tient aux deux grands motifs historiques de linvestissement chinois. Il vise dabord laccs aux matires premires et lnergie, mais les entreprises chinoises trouvent cet accs aussi bien dans les pays dvelopps quen dveloppement (le partage se fait pratiquement 50/50). Il vise par ailleurs laccs aux marchs et laccompagnement des exportations qui conduit privil-gier les grands marchs des pays dvelopps (lire lAnnexe 1).

    En dynamique, le match Europe-Amrique du Nord a t long-temps favorable lEurope. Celle-ci offre des perspectives plus varies et sa politique douverture est constante. Aux tats-Unis, les investis-seurs chinois se sont heurts des rticences politiques fortes dans plu-sieurs secteurs (nergie, tlcommunications) qui ont frein le rythme dinvestissement. Mais la tendance est en train de sinverser avec, au cours des deux dernires annes, des investissements majeurs au Cana-da comme aux tats-Unis. Le retour dune croissance soutenue, leffet daubaine du gaz de schiste sur la filire nergtique devraient soutenir ce mouvement dans les annes venir. Dans le groupe des pays dve-lopps, lAustralie est aujourdhui de loin le premier pays daccueil des

    14. 14,5 % pour lAfrique, 13,9 % pour lAmrique latine et 12,3 % pour lOcanie.

    INTRODUCTION

    16

  • investissements chinois, grce son potentiel nergtique et minier et sa politique globalement ouverte.

    La stratgie vis--vis des pays en dveloppement nest pas homo-gne. Les autorits chinoises ont bti assez tt une stratgie dinfluence en Afrique et dans la pninsule indochinoise. Linvestissement tait une composante dun partenariat plus large incluant infrastructures, aide au dveloppement, migration de travailleurs chinois, acquisitions fon-cires. Larrive en Amrique latine, voire dans certains pays de lAsean, est plus rcente et moins structure, avec un potentiel de diversification et de dveloppement important dans les prochaines annes.

    LA NCESSIT DAJUSTEMENTS DANS TOUS LES PAYS DU MONDE

    Les investisseurs chinois ne sont pas perus comme des investisseurs ordinaires. Quels que soient leur culture et leur dveloppement cono-mique, tous les pays ragissent face lnorme potentiel dexportations de capitaux de la Chine, et la rapidit du mouvement dinternationa-lisation qui na pas de prcdent historique. Le poids des entreprises dtat dans le processus est galement un phnomne unique, expli-quant parfois lcart dans la pratique des affaires qui subsiste entre la Chine et les pays dvelopps, ainsi que les rticences politiques dans certains pays.

    Lexportation de travailleurs chinois en grand nombre dans les pays en dveloppement est aussi une situation unique dans le paysage mon-dial actuel: en 2012, le nombre de salaris des entreprises chinoises ltranger atteignait prs dun million et demi de personnes, dont 48% seulement de nationalit trangre15.

    Tous ces lments ncessitent un processus dajustement rciproque: du ct des pays daccueil, il est important de faire tomber les prjugs

    15. Selon le rapport du MOFCOM sur les investissements chinois ltranger de 2012.

    INTRODUCTION

    17

  • INTRODUCTION

    18

    lorsquils existent. Du ct des entreprises chinoises, un effort est nces-saire pour se conformer aux usages locaux, et plus profondment pour devenir internationaux. Ces problmes se sont poss partout dans le monde des degrs divers: notre bref tour du monde des investisse-ments chinois (en Annexe 1) tmoigne que lajustement sest fait soit par le haut en trouvant des solutions ngocies et en modifiant les stra-tgies de groupes, soit par le bas travers une srie de blocages.

    Ce qui frappe, cest la rapidit avec laquelle les entreprises et le gou-vernement chinois ont commenc sadapter lenjeu majeur que constitue linsertion harmonieuse , pour reprendre un vocabulaire chinois, de la Chine dans le monde. Les investisseurs chinois nanti-cipent pas ncessairement. Ils foncent, sans toujours mesurer prcis-ment les risques ni les ractions possibles. Mais lorsquils rencontrent un vritable obstacle, ils sont capables de changer de stratgie rapide-ment et de faon dcisive. Il appartient a contrario aux pays daccueil, dont la France fait partie en bonne place, de dvelopper une capacit danticipation, daccompagnement et de ngociation. Cest cette prpa-ration qui permet de garantir, chaque fois quun problme se pose, une sortie par le haut qui est clairement dans lintrt de tous.

  • 19

    CHAPITRE 1

    La France garde sa place dans la comptition

    europenne

    Nous voulons attirer plus dinvestissements chinois en France parce que nous voulons un rquilibrage. Il y a beaucoup dinvestissements franais en Chine et nous navons rien craindre des investissements chinois en France la condition quils soient favorables lemploi et lactivit. Ce mes-sage, adress par Franois Hollande aux membres du China Entrepre-neurs Club en visite en France en juin 2013, a reu un cho trs positif auprs des entreprises chinoises1. Il y a beaucoup dactivit de M&A en ce moment, et de plus en plus de banques daffaires chinoises cherchent des cibles, indique Qinghua Xu-Pionchon, probablement la meilleure experte des fusions-acquisitions franco-chinoises en tant que respon-sable des China Business Services pour lEurope chez EY. Nous avons trait prs de 80 dossiers de socits chinoises. La monte en puissance des investissements chinois date de 2009 et la tendance est nette, renchrit Hubert Bazin de DS Avocats, qui a lui-mme une longue exprience de la Chine o il rside depuis plus de dix ans.

    Le mouvement est lanc: la France tient sa place dans une comp-tition europenne toujours vive pour recueillir la vague montante des investissements chinois. Beaucoup reste faire pour sapprocher du

    1. Voir encadr en page 91.

  • CHAPITRE 1

    20

    rquilibrage souhait par le prsident de la Rpublique. Fin 2013, environ 240 investisseurs chinois avaient fait le choix de la France, o ils reprsentent prs de 10000 emplois. Avec les 70 filiales dentre-prises originaires de Hong Kong, ce sont au total 16000 salaris qui travaillent pour des entreprises de Chine ou Hong Kong2. On est en-core loin dune invasion les entreprises japonaises par comparaison ont plus de 80000 salaris en France mais les chiffres deviennent significatifs et ils augmentent assez rapidement, avec une trentaine dimplantations par an au cours des dernires annes. La Chine fait un score comparable celui de voisins europens comme la Suisse ou lAu-triche, loin derrire lAllemagne ou les tats-Unis, mais nous faisons le pari que le mouvement va samplifier, dclare le prsident de lAFII, David Appia3.

    LATOUT DES GRANDES ALLIANCES STRATGIQUES

    Notre pays se distingue dabord en Europe par la capacit de ses grandes entreprises nouer des alliances stratgiques avec des groupes chinois. Trois exemples viennent immdiatement lesprit : la prise de participation de 30% du fonds souverain CIC au capital de GDF-Suez Exploration, le projet dOPA sur le Club Mditerrane men conjointement par ses cadres, le groupe Fosun et le fonds dinvestis-sement Ardian, enfin la prise de participation de Dongfeng au capital de PSA. Une de ces trois alliances nest pas encore totalement fina-lise. Mais la France figure dj fin 2013 au second rang des inves-tissements chinois en Europe derrire la Grande-Bretagne et devant lAllemagne, selon le classement de lHeritage Foundation. Le stock

    2. Ces chiffres portent sur lensemble des implantations. Le bilan AF, qui couvre uniquement les emplois crs ou prservs, est de 229 implantations et 11 000 emplois pour la Chine et Hong Kong.

    3. Entretien du 21 novembre 2013.

  • CHAPITRE 1

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    dinvestissements chinois en France est estim 9,2Md$4, constitu pour un tiers par linvestissement de CIC5. Ce dernier rpond une logique principalement financire, mais aussi une volont de co-in-vestissement en pays tiers.

    Lalliance entre Dongfeng et PSA concerne, pour la premire fois dans lautomobile, deux des grands de lindustrie europenne et de lindustrie chinoise, dans un schma qui nest pas celui dune prise de contrle, et qui rappelle certains gards laventure Renault-Nissan il y a quinze ans.

    Le projet Fosun-Club Med est fond sur un nouveau modle conomique. Lorsque le partenaire chinois investit au niveau de la maison mre franaise, il a un intrt la faire russir, explique Andr Loesekrug-Pietri, fon-dateur du fonds dinvestissement ACapital bas Hong Kong, et lun des artisans de la future alliance. Dans le cas du Club Med, lobjectif est bien sr douvrir des clubs en Chine, mais il est aussi de faire venir des Chinois dans les 70 clubs du monde entier, un norme levier de russite pour le voyagiste. Si Fosun navait investi quen Chine, il naurait eu aucun intrt crer des rseaux de commercialisation pour le reste du monde. Or aujourdhui, dans les clubs des Maldives par exemple, on est 40% doccu-pation par des Chinois, prcise Andr Loesekrug-Pietri.

    Les grands partenariats industriels traditionnels sont aussi des occa-sions dinvestissements importants : le leader chinois du nuclaire, CGNPG, a ainsi investi en France en 2011 pour se rapprocher de ses partenaires EDF et Areva, et prparer avec eux la ralisation de quatre centrales nuclaires EPR de troisime gnration en Grande-Bretagne. Dans laronautique, la COMAC, constructeur du futur avion de ligne C919, un appareil de plus de 100 places, sest installe

    4. l est estim 18,4 Md$ pour la Grande-Bretagne et 5,6 Md$ pour lAllemagne.5. Le CC a pris pour 3,4 Md$ une participation de 30 % au capital de GDF-Suez Exploration & Produc-tion, et de 10 % dans le train 1 (ligne de production) de lusine de liqufaction Atlantic LNG Trinit et Tobago.

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    en France pour mieux travailler avec ses fournisseurs franais, notam-ment Safran. AVIC est galement en France pour travailler avec Euro-copter la ralisation dun nouvel hlicoptre civil de sept tonnes, le C175, pour lequel deux lignes dassemblage coexistent en France et en Chine.

    Les grands groupes franais et chinois se connaissent : des organi-sations comme le Comit France Chine du MEDEF ou le Comit dchanges franco-chinois de la CCI de Paris contribuent tisser une toile de relations informelles. Pendant 35ans nous avons travaill sur les investissements franais en Chine, mais au cours des dernires annes, nous avons dvelopp de plus en plus de cooprations sur linternationalisation des entreprises chinoises, indique Sybille Dubois Fontaine Turner, une talentueuse avocate actuellement directrice gnrale du Comit France Chine, et trs active, grce sa remarquable matrise du mandarin, dans le dialogue conomique franco-chinois Paris.

    Acteur central de ce rapprochement, Jean-Pascal Tricoire, prsident du Comit France Chine et du groupe Schneider Electric, parle lui-mme couramment chinois. Il a pris linitiative dorganiser des ren-contres CEO depuis 2009. Le comit travaille avec diffrents clubs dentrepreneurs: le Yabuli Forum et le China Entrepreneurs Club qui rassemblent des entrepreneurs privs, ou encore le centre de formation de la SASAC, State-Owned Assets Supervision and Administration Commission, qui runit autour de la formation les dirigeants et cadres haut potentiel des entreprises dtat.

    Au plan financier, les partenariats portent galement sur le finan-cement des PME : la Caisse des dpts et consignations et la China Development Bank ont cr en 2012 un fonds commun de 150M gr par Cathay Capital PE, charg dinvestir dans les PME franaises et chinoises fort potentiel de croissance.

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    LART DE VIVRE LA FRANAISE : UN POTENTIEL NORME EXPLOITER

    Limage de la France en Chine est dabord celle de lart de vivre. Mode, luxe, tourisme, gastronomie, sont autant de vecteurs puissants de la prsence franaise en Chine, o nos grandes marques occupent souvent les premires places en termes de notorit et de part de mar-ch. Nos instituts de formation multiplient pour la clientle chinoise les MBA ou executive MBA consacrs la gestion des marques. Les touristes chinois sont de plus en plus nombreux en France (1,1million en 2012, en progression de 12%) et se prcipitent aux Galeries Lafayette, au Printemps, aux Champs-lyses pour acheter nos produits.

    Et pourtant, les entreprises chinoises sont encore peu prsentes en France dans ces domaines. Les groupes de Hong Kong ont plusieurs longueurs davance, comme les Japonais ou les Corens. Ils ont de belles rfrences dans lhtellerie de luxe Paris avec le Shangri La en bord de Seine, dans lancien htel particulier du Centre franais du commerce extrieur, le Peninsula avenue Klber qui ouvrira prochainement, ou encore le Mandarin Oriental rue Saint-Honor. Ils ont aussi rachet des marques franaises: Marionnaud, Sonia Rykiel, ST Dupont, Agatha, Robert Clergerie, et restent lafft des opportunits dans le luxe et le prt--porter haut de gamme.

    Du ct de la Chine continentale, les compagnies ariennes (Air China, China Eastern, China Southern) sont toutes prsentes en France pour accompagner le dveloppement des affaires et du tourisme. Hainan Airlines a pris une participation hauteur de 48% au capital dAigle Azur, qui concerne prs dun millier de salaris. La compagnie a ainsi annonc louverture prochaine dune liaison Paris-Pkin trois fois par semaine.

    Dans lhtellerie haut de gamme et limmobilier, pour le moment, cest surtout le march londonien qui suscite des projets chinois de

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    grande ampleur6. Les grands acteurs chinois, hors Hong Kong, nont pas encore denseigne de prestige Paris. Les seules rfrences en rgion pa-risienne sont lhtel Huatian Chinagora dAlfortville, rachet et rnov par le groupe chinois, et lhtel du Parc au Trocadro, proprit dune filiale du groupe ptrolier CNPC. Globalement, les acteurs chinois ne se dveloppent dans limmobilier linternational que depuis quelques annes. La vague est rcente, mais elle progresse rapidement et il faut sattendre des dveloppements majeurs. La France y aura sa part: le march immobilier franais est assez attractif tant pour les valorisations (Londres devient excessivement cher) que pour les rendements, avec une limite pour le moment : la difficult intresser les investisseurs chinois dautres destinations que la rgion parisienne.

    Malgr leur amour pour les marques de prestige, les investisseurs chinois restent encore discrets, sauf pour racheter des chteaux dans le Bordelais o la vague dacquisitions chinoises dure depuis trois ans et concerne prs de quatre-vingts domaines.

    Le secteur de la mode et du luxe, lui, a commenc faire des rap-prochements: Herms sest lanc dans laventure de la cration dune marque chinoise, Shang Xia, pour intgrer ses produits de luxe larti-sanat dart haut de gamme fait en Chine. Aprs un lancement remarqu en Chine, la premire boutique parisienne a ouvert rue de Svres Paris en septembre 2013. En sens inverse, la marque de mode shanghaienne, Icicle Fashion, a ralis sa premire implantation trangre Paris en 2012, sous forme dun bureau de cration avenue Poincar. Le groupe chinois IT Limited installe la marque rock et trendy Izzue aux Gale-ries Lafayette, avec lambition davoir terme une centaine de points de

    6. En 2013, le groupe Wanda annonce un investissement de 700 M pour la ralisation dappartements et dun htel de luxe au centre de Londres. Gingko Tree nvestment, filiale de la State Administration of Foreign Exchange, est rput avoir investi plus d1 Md$ dans trois projets immobiliers en Grande-Bretagne. China Greenland a annonc la ralisation de deux tours dans le quartier daffaires de Canary Wharf pour 1,2 Md.

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    vente en France. Le groupe de haute joaillerie Shenzhen TTF (Today, Tomorrow, For Ever) installe en 2013 son sige europen et un centre de design au cur de Paris, rue de la Paix, et choisit un Franais, Jean Boggio, comme directeur de cration.

    Le leader du cachemire franais, ric Bompard, a nou une alliance avec le groupe Erdos, numro un du cachemire de Mongolie int-rieure. Du ct du stylisme, Cacharel a embauch deux jeunes crateurs chinois, Liu Ling et Sun Dawei, qui font dsormais partie des dfils de mode parisiens.

    Cet engouement pour lart de vivre franais nen est qu ses dbuts: Lvolution de la demande intrieure en Chine va dterminer les acqui-sitions extrieures. Il y aura plus de demandes de produits de qualit par les classes moyennes, souligne Stphane Baller, directeur du dveloppe-ment dEY. Andr Loesekrug-Pietri, le fondateur de ACapital, indique une autre motivation : Les investisseurs chinois voudront racheter des grandes marques, pas forcment parce quils les adorent, mais parce que cest la seule faon de monter en gamme et de sauver des marges quand les cots augmentent.

    LATTRAIT DUN GRAND MARCH TRS BIEN RELI LEUROPE

    La France intresse galement les investisseurs chinois tout simple-ment parce quelle est le premier ou le second march dEurope dans de nombreux secteurs, avec une position gographique favorable. Paris et la France, cest dabord le march de lEuroland, 350millions de consom-mateurs haut niveau de vie. Ensuite, la possibilit daller voir ses clients europens et de revenir dans la journe, soit par lavion soit par le train, grce un rseau de transport trs performant, souligne Christian Saut-ter, prsident de Paris Dveloppement.

    La prsence commerciale forte de grands groupes comme Haier et Hisense dans llectronique grand public, Lenovo dans linforma-

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    tique, ou les rseaux de distribution implants par diffrentes soci-ts dans les biens de consommation ou les quipements industriels, rpondent cette logique de dveloppement de march en Europe. Lenovo et Haier ont par ailleurs fait le choix de la France pour limplantation de leur sige europen, ce qui constitue une marque de confiance importante.

    Limplantation commerciale prend parfois les allures dune vague temporaire : une dizaine de socits chinoises se sont implantes en France en 2009-2010 pour accompagner le dveloppement extrme-ment rapide du march europen de lnergie solaire7. Les implan-tations chinoises ont t parfois de courte dure et suivies de fermetures suite leffondrement du march, li la baisse des subventions publiques, ce qui a conduit la faillite de certains installateurs, rappelle Sabine Enjalbert, directrice gnrale de lAgence de dveloppement de lle-de-France. Les socits les plus rsilientes restent cependant confiantes sur le potentiel moyen terme du march, compte tenu des objectifs trs ambitieux du mix nergtique europen lhorizon 2020 et 2030.

    LA TECHNOLOGIE FRANAISE, OUTIL DE RECONQUTE DU MARCH CHINOIS

    Un autre lment important, voire essentiel, des investissements chinois en France et en Europe est li au march chinois. Sur ce point, le comportement des investisseurs chinois diffre assez fondamentale-ment de leurs comptiteurs japonais ou corens. Devenu le second, voire parfois le premier march mondial, avec un rythme de dveloppe-ment beaucoup plus rapide que celui des pays occidentaux, ce march reste lvidence la cible stratgique prioritaire des entreprises chinoises.

    Or, celles-ci sont confrontes une concurrence locale exacerbe et la prsence souvent forte dentreprises internationales, qui ont pntr le

    7. l sagit notamment de Eoplly New Energy, Fire Energy, Jinko Solar, Samil Power, Senergy Corp, Sky Solar, Sungrow Power, psolar

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    march depuis, parfois, plusieurs dcennies grce la politique douver-ture dcide au dbut des annes quatre-vingt par Deng Xiaoping et qui disposent en gnral dune avance technologique sensible.

    Ds lors, investir en Europe est un moyen sr dacqurir des tech-nologies et des savoir-faire qui permettent la mise niveau ncessaire des procds de production en Chine. On peut estimer que la moiti au moins des investissements chinois en France en termes demplois est lie cet enjeu. La presse franaise8 rappelait rcemment les trois axes du futur partenariat PSA-Dongfeng dans lautomobile: dvelop-per ensemble une gamme de voitures destines au march chinois et lAsie du Sud-Est, crer un centre de R&D Wuhan afin de dvelopper une plateforme low cost, pour PSA comme pour la marque Fengshen de Dongfeng, et collaborer pour les achats.

    Dans la chimie, les deux acquisitions de Chemchina en 2006 et 2007 (le rachat dAdisseo et de la Division silicones de Rhodia) visaient faire figurer le groupe chinois dans le trio de tte mondial pour ces activits. Dans la mcanique et la machine-outil, on peut citer les acquisitions successives de Moteurs Baudouin par Weichai Power, de la Somab, fabricant de machines-outils commandes numriques, par le groupe Spark, la reprise des activits ptrochimiques et nuclaires de Manoir Industries par Yantai Haitai, la cession dune usine de machines agri-coles de Mc Cormick Saint-Dizier au chinois Sinomach, ou la vente du tunnelier lyonnais NFM au groupe Northern Heavy Industries.

    Dans ce domaine, pourtant, cest lAllemagne qui vient au premier plan des acquisitions chinoises. Il y a normment de cessions en Alle-magne en ce moment, cest le march le plus actif en M&A, et il y a une profondeur doffre, avec des socits qui ont la bonne taille , souligne Stphane Baller dEY. Les acquisitions en Allemagne ont la particu-larit de toucher ce que la presse allemande appelle les champions

    8. Peugeot Citron la veille dune rvolution , article du Figaro, 15 fvrier 2014.

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    cachs, ces fleurons industriels de taille moyenne qui font la rputation technologique du pays, comme Putzmeister, Schwing, Kion ou encore Waldrich Coburg9.

    Lambition de reconqurir le march chinois ne veut pas dire pour autant abandon des ambitions en Europe: il nest en gnral pas ques-tion de fermer des usines europennes pour en ouvrir en Chine contrai-rement aux craintes parfois exprimes dans les mdias. Par ailleurs, les entreprises chinoises savent que les savoir-faire et les technologies re-posent dabord sur les ressources humaines de haut niveau disponibles en Europe. Reste la question des priorits dinvestissement qui peut susciter des tensions.

    AGROALIMENTAIRE : LATOUT DE LA QUALIT FRANAISE

    Autre secteur important dans la relation franco-chinoise, lagroali-mentaire, avec une trentaine dimplantations recenses par lAFII. Ce chiffrage est loin dinclure la totalit des acquisitions de chteaux dans le Bordelais, qui sapproche de quatre-vingts actuellement.

    Certains investissements historiques, comme la reprise de la coop-rative de tomates provenales Le Cabanon par Chalkis en 2004, taient fonds sur un modle conomique conduisant importer la majeure partie des produits de Chine pour les transformer et les distribuer en Europe. Le nouveau modle expriment par Biostime avec la coopra-tive dIsigny Sainte-Mre et par Synutra avec son partenaire Sodiaal en Bretagne est inverse: il sagit de sappuyer sur la rputation de qualit et de scurit de la France pour produire et exporter de la poudre de lait vers le march chinois. Ce nouveau modle est particulirement attrac-tif pour notre pays: il sest traduit par la construction de la premire usine green field chinoise sur le territoire franais dans le cas de Synutra,

    9. Voir le panorama des investissements chinois dans le monde en Annexe 1.

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    et par un doublement de la capacit de production de la cooprative dIsigny. Le projet de Synutra, cest la rencontre entre lexcellence franaise et le besoin du march chinois. Chaque anne, il y a 17millions de bbs en Chine. Avec la libralisation de la politique de lenfant unique, a va augmenter encore. On parle de 900000 tonnes de capacits de production pour lusine en Bretagne, soit 10% du march chinois, ce qui est consid-rable, souligne Nhay Phan, le directeur gnral de la Bank of China, qui a suivi de prs ce projet.

    Dautres investissements se profilent dans lunivers des coopratives agricoles. Les Chinois rvent de racheter une cooprative agricole franaise car ils ne savent pas comment grer des milliers de petits adhrents, indique ric Dezetter dEY. Des projets se ngocient galement dans le secteur de labattage de viande, et plus gnralement partout o la question de la scurit alimentaire est devenue vitale. L encore, la France nest pas seule en Europe, mais elle a une longueur davance sur ses voisins.

    POUR LES BANQUES CHINOISES, UN LIEN IMPORTANT AVEC LAFRIQUE

    Avoir une porte ouverte sur lAfrique francophone est lun des facteurs de renforcement de la prsence de la Banque industrielle et commerciale de Chine (ICBC) Paris. Elle est prsente Londres et au Luxembourg mais elle dveloppe aussi sa prsence en France pour tre auprs des touristes et des entrepreneurs chinois, et accompagner des investisseurs chinois en Afrique, prcise Christian Sautter.

    Nhay Phan accorde une importance particulire cette proximit gographique et culturelle du continent africain avec la France. Cet homme discret, par ailleurs prsident de lAssociation des entreprises chinoises en France et lun des premiers personnages de sa commu-naut, souligne limportance de cet aspect dans son activit bancaire: Comme nous navons pas encore une forte prsence en Afrique, nous cou-vrons 27 28 pays dAfrique, essentiellement les pays francophones, partir

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    de Paris. LAfrique fait peu prs un quart de lactivit de la succursale parisienne. LEximbank, depuis Paris, suit galement lAfrique fran-cophone o elle dveloppe une activit importante. Le choix de cette base franaise tient trois facteurs principaux: la langue, les facilits de transport et les questions de scurit pour certains pays.

    LES HAUTES TECHNOLOGIES, UN FILON ENCORE DVELOPPER

    Pour diffrentes raisons, lapptit dinvestissement chinois en Europe a trouv, dans certains domaines, plus dchos dans dautres pays euro-pens quen France.

    LAFII dnombre treize centres de R&D implants par des entre-prises chinoises en France depuis 2007, mais ils restent de dimension relativement modeste. Les implantations dans le secteur du logiciel ou de linstrumentation scientifique font ple figure par comparaison avec le Royaume-Uni et lAllemagne10. La prsence chinoise dans nos prin-cipaux ples de comptitivit reste modeste et les vertus de notre crdit dimpt recherche ne semblent pas suffisamment connues des inves-tisseurs chinois. Un exemple rcent montre pourtant que la situation volue: aprs avoir rachet Echosens, start-up franaise spcialise dans le diagnostic des maladies du foie, le groupe pharmaceutique de Mon-golie intrieure, Furui, a dcid dimplanter en France son centre de recherche-dveloppement.

    Lun des enjeux principaux porte sur les tlcommunications. Huawei et ZTE sont deux leaders mondiaux qui ont la particularit davoir, dans le monde entier, une croissance endogne fonde sur le dveloppement des forces de vente et la monte en puissance des activi-ts de R&D. Ils reprsentent aujourdhui en France un effectif conjoint

    10. Selon la base de donnes dEY, les implantations dans les logiciels sont au nombre de deux en France, quatre en Allemagne et quatorze au Royaume-ni. Dans le mme ordre des pays, et pour lins-trumentation scientifique, les chiffres dimplantation se situent deux, cinq et quatre.

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    de quelques 800 salaris, auxquels sajoutent les emplois gnrs par la sous-traitance. Huawei anticipe une progression de 60% de ses effectifs franais et europens11 dans un horizon de 3-4 ans et prvoit un double-ment de ses quipes de R&D, faisant des tlcommunications un axe central de la high-tech chinoise en Europe et en France.

    Les difficults lies aux exigences de cyber-scurit, soulignes en 2011 dans le rapport dinformation du snateur Jean-Marie Bockel, ont claire-ment constitu un frein au dveloppement des deux groupes chinois. Pour-tant, elles ne sont pas sans solution, et la dmarche ngocie engage avec les autorits publiques comptentes permet desprer une sortie par le haut.

    LES INFRASTRUCTURES, TOUJOURS CHASSE GARDE NATIONALE

    Si la France a un programme de cession dactifs de ltat qui peut pr-senter certaines opportunits pour les entreprises chinoises, elle na pas fait, comme la Grande-Bretagne, le choix de confier linvestissement priv et international une large partie de son programme dinfrastruc-tures. Le programme britannique est trs ambitieux 375Md dici 2030 et fait massivement appel aux investisseurs chinois: centrales nuclaires de troisime gnration (en partenariat avec les entreprises franaises), trains grande vitesse vers le nord, nergies renouvelables, infrastructures portuaires et aroportuaires. Lors de sa rcente visite en Chine, David Cameron dclarait: Je nai pas de difficults avec le fait que la Chine investisse dans lnergie nuclaire britannique, ou quelle ait des parts de laroport de Heathrow, ou de Thames Water, ou de laroport de Manchester. Je pense que cest un signe positif de notre puissance cono-mique que dtre ouverts et daccueillir les investissements chinois.12

    11. Huawei emploie actuellement un effectif europen de 7 500 salaris, avec lobjectif de passer 12 000 salaris lhorizon 2017. ZTE est plus discret sur ses perspectives de dveloppement en Europe, o le groupe emploierait actuellement 2 200 salaris dans 24 pays.

    12. Kiran Stacey, David Cameron calls for China investment in Ks HS2, Financial Times, 2 dcembre 2013.

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    Le choix britannique na pas de vritable quivalent en Europe, sauf en Europe du Sud o des pays comme le Portugal et la Grce ont pro-cd des cessions dactifs publics dans le cadre de leurs programmes de redressement conomique ngocis avec lUnion europenne. Il offre, incontestablement, une visibilit particulire au Royaume-Uni vis--vis des investisseurs chinois.

    noter toutefois, en France, au plan des infrastructures portuaires, la prise de participation en 2013 de China Merchant Holdings, hauteur de 49% et pour la somme de 400M, au capital de Terminal Link, filiale de CMA-CGM, qui gre quinze terminaux conteneurs dans huit pays.

    UNE CONCENTRATION DES INVESTISSEMENTS TRS FORTE SUR TROIS RGIONS

    Lle-de-France accueille elle seule prs de 60% des implantations chinoises et reprsente 70% des emplois. Viennent ensuite en nombre dimplantations lAquitaine et Rhne-Alpes, toutes les autres rgions ayant moins de dix implantations chinoises. Du point de vue des em-plois, les deux rgions qui, hormis lle-de-France, dpassent un millier demplois sont Rhne-Alpes et Provence-Alpes-Cte dAzur. Dans la plupart des rgions, un ou deux investisseurs chinois seulement ont une forte visibilit : ZTE en Poitou-Charentes, Spark en Auvergne, Kingswood et Beijing Capital dans le Centre, Sinomach en Cham-pagne-Ardenne, Jiaxing Haoneng Packing en Nord-Pas-de-Calais

    Lle-de-France sest organise pour mieux prospecter les investisseurs chinois et dispose dune quipe de prospection chinoise de trois per-sonnes base Shanghai. Pour Sabine Enjalbert, directrice gnrale de lARD le-de-France, lun des enjeux franciliens est de convaincre, aprs une premire implantation commerciale, de raliser linvestissement suivant en France et dans la rgion. Par la suite, quand il y a dj une histoire, les

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    socits asiatiques ont une certaine fidlit au territoire o elles se sont bien implantes. Les premires annes, cest au contraire trs mouvant. Le recul est encore insuffisant avec les investisseurs chinois. Il y a une courbe dexp-rience acqurir, mais sur le long terme, on peut tre optimiste.

    En Rhne-Alpes, la stratgie rgionale mise sur lexpertise et les ples de comptitivit. Le directeur excutif de lAderly, Jacques de Chilly, la dcrit ainsi : Nous avons embauch des salaris qui sont des experts de leur secteur, et nous nous appuyons sur les bureaux de lAFII pour rep-rer et cibler des projets dinvestissement qui ont un lien prexistant avec le territoire. Nous pouvons faire valoir une ressource locale ou un fournisseur pour justifier un choix dimplantation dans la rgion. voquant le cas de Bluestar, il prcise que cest lentreprise qui sest rapproche direc-tement de Rhodia: Mais nous nous sommes mobiliss pour assurer son intgration dans le contexte industriel local. Jouant la synergie, le patron de Bluestar est devenu le prsident du ple de comptitivit Techtera.

    Dans les Bouches-du-Rhne, ric Semerdjian, directeur du dve-loppement de Provence Promotion, souligne limportance des grands projets structurants pour attirer les investisseurs, et notamment celle du projet ITER, le racteur thermonuclaire exprimental interna-tional, le plus grand projet de recherche mondial, situ Cadarache: Nous avons cr une structure rgionalise, le Welcome Office for Inter-national Companies, de faon ancrer sur notre territoire les grandes entreprises internationales associes au projet ITER. La Chine, qui est lun des partenaires majeurs dITER, devrait voir ses entreprises en bnficier.

    Plusieurs initiatives visent par ailleurs crer des centres daccueil pour les entreprises chinoises, avec des facilits logistiques et des cots dimplantation attractifs. Cest le cas de Beijing Capital Group prs de laroport de Chteauroux, du projet Terra Lorraine en Moselle, du ra-chat de facilits logistiques au Port du Havre par Eurasia Group, socit de lentrepreneur franco-chinois Hsueh Sheng Wang. Ces initiatives se

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    situent encore un stade initial de dveloppement mais mobilisent for-tement les collectivits locales concernes.

    DES SOLUTIONS INNOVANTES TROUVER

    Globalement, la France reste donc en bonne place dans la comp-tition europenne pour attirer les investissements chinois. Lavantage allemand dans le domaine des biens dquipement devrait sestomper au rythme du recentrage de lconomie chinoise vers la consommation intrieure et vers une conomie de services: les services ont pour la pre-mire fois dpass lindustrie en proportion du PIB chinois lan dernier. Les grands partenariats franco-chinois dans lnergie, les transports, lagroalimentaire ou le dveloppement urbain durable sont porteurs dinvestissements croiss pour lavenir.

    Mais rien ne va de soi, les prjugs sont tenaces de part et dautre, laccueil des investissements chinois ncessite une volont douverture constante et des solutions parfois innovantes. Aprs avoir dress dans les prochains chapitres de ce livre les portraits dinvestissements repr-sentatifs de la diversit de la prsence chinoise en France, le dernier chapitre reviendra sur les enjeux et les solutions quappelle une bonne insertion des investissements chinois dans notre pays.

    CHAPITRE 1

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    CHAPITRE 2

    GROUPE CHEMCHINA-BLUESTAR, ADISSEO ET BSI

    La confiance, cl de vote dune politique dacquisitions

    Chemchina, numro 1 chinois de la chimie, a construit son dveloppe-ment sur plus de cent acquisitions en Chine et linternational. De 2006 2012, sa socit phare, Bluestar, a rachet avec succs les entreprises franaises Adisseo et Bluestar Silicones International, laustralien Qenos et le norvgien Elkem. Avec 24 Md de CA et 140 000 employs, ce groupe dtat est aujourdhui entr au classement Forbes des 500 plus grandes entreprises mondiales. Radiographie dune mthode ba-se sur les bons choix stratgiques et une forte relation de confiance avec les dirigeants.

    Comme toute une gnration de grands patrons chinois, qui ont merg au cours des annes quatre-vingt, Ren Jianxin a sa lgende. Lhomme qui a cr Chemchina et Bluestar en Chine a connu la Rvo-lution culturelle: il travaillait alors comme fermier dans la province du Gansu, dans le comt du Dunhuang. Cette vie la dure, explique-t-il simplement, lui a appris poursuivre ses objectifs avec persvrance1.

    1. McKinsey Quaterly, 2008.

  • CHAPITRE 2

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    En 1984, Ren Jianxin emprunte un peu d'argent son employeur pour fonder avec sept collgues la China Bluestar Chemical Cleaning. Il avait lu que le tartre dans les bouilloires occasionnait le gaspillage de huit millions de tonnes de charbon chaque anne, et s'tait sou-venu alors d'une tude qui dormait dans les tiroirs de l'Institut d'tudes chimiques du ministre sur un agent chimique susceptible de rsoudre ce problme.

    Le succs de cette entreprise, bien au-del des thires, s'tendit au nettoyage de toutes sortes de tuyauteries jusqu'aux pipelines. Bluestar sut gagner tout le march chinois dans son activit. Les dix annes suivantes, l'entreprise racheta 107 entreprises d'tat chinoises dans le secteur de la chimie, acqurant 30000 employs pour 15millions de renminbi (yuan). La fusion de toutes ces entreprises donna naissance en 2004 au groupe Chemchina, dont Ren Jianxin devint le prsident.

    Cette vaste exprience de reprises d'entreprises souvent en difficult financire importante a t dcisive pour la suite de la carrire de Ren Jianxin. Interrog par le magazine de McKinsey en 2008, il attribue ses succs l'international cette trs large exprience d'acquisitions en Chine. Mieux: il livre le rcit de ce qu'il prsente comme un chec riche d'enseignement: le rachat en 1990 d'un institut scientifique qui buta sur un conflit majeur, avec le personnel comme avec le gouverne-ment chinois, lorsqu'il voulut licencier le dirigeant qui ne lui donnait pas satisfaction. Ds lors, Ren Jianxin prta une attention particulire aux dirigeants des entreprises rachetes. La relation de confiance, per-sonnelle et professionnelle, devient une cl des dcisions de rachat.

    LES LIENS HUMAINS ET MULTICULTURELS AVANT TOUT

    La personnalit des dirigeants franais a t lun des facteurs le plus important depuis le dbut,estime par exemple Robert Lu, prsident de Bluestar.Quand nous avons rflchi cette acquisition ltranger, nous

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    navons pas regard que le bilan. Nous avons pass beaucoup de temps dis-cuter avec le management franais sur la faon dont nous pourrions dve-lopper le business en Chine et en Europe. Les dirigeants dAdisseo et de BSI partagent avec nous beaucoup de valeurs et une vision stratgique. Robert Lu est lun des hommes cls du dveloppement de Bluestar linterna-tional. Il a t bien form pour cela: ds 1995, la socit chinoise la envoy ltranger, avec dautres cadres. En sept ans aux tats-Unis, Robert Lu apprend comprendre les Amricains, leurs personnalits, leurs rflexions, la culture, le management, etc. J'ai rflchi la faon dont les Chinois pouvaient travailler avec des Occidentaux, comment russir faire du business ensemble avec les mmes objectifs.

    Grard Deman, le prsident du conseil dadministration dAdisseo, est lun des premiers dirigeants occidentaux rencontrer la direction de Blu-estar qui devait racheter lentreprise quelques annes plus tard. Ce qui m'a frapp, raconte-t-il, c'est qu'ils mettent toutes les conditions ds le dpart pour que les relations soient bonnes. On dit souvent que l'on est ami avec les Chinois ds le dbut, ce qui nest pas tout fait vrai, mais en revanche, ils mettent en place toutes les conditions pour que l'on devienne amis. Ce qui se produira cinq ans plus tard lorsque lon aura construit ensemble.

    En rencontrant pour la premire fois en 2004 Robert Lu, venu lui proposer un partenariat pour lancer en Chine une usine de mthionine, Grard Deman dcouvre une entreprise qui vend 97% de sa produc-tion en Chine continentale. Ils n'avaient alors aucune exprience de gestion d'une entreprise dans un monde comptitif.

    LA DIFFICILE MONTE EN PUISSANCE TECHNOLOGIQUE DE BLUESTAR

    Trs clairement, Ren Jianxin avait alors la vision des besoins dac-qurir un meilleur niveau technologique en Chine, y compris pour des industries cls. La mthionine avait t identifie comme une acti-vit stratgique ds le dbut des annes quatre-vingt par le ministre des

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    Industries chimiques, car cet aliment assure la productivit et la qualit des levages de poulets, une base de lalimentation en Chine. Ds cette poque, raconte Robert Lu, aujourdhui prsident de Bluestar, le gouverne-ment chargea une socit de Tianjin de dvelopper ce produit.

    Dans les annes quatre-vingt-dix, l'ide tait de crer une usine Tianjin en partenariat avec la Division animale de Rhne-Poulenc, qui est devenue par la suite Adisseo, poursuit Robert Lu. Mais la mthionine s'est rvle un produit trs complexe fabriquer sur le plan industriel. La Chine cette poque-l n'avait pas le niveau ncessaire en ingnieurs, technolo-gie, construction, production, etc. En attendant d'amliorer les conditions en Chine, nous tions toujours intresss par la mthionine et persuads que c'tait un excellent produit.

    En 2004, Adisseo vient de se sparer de Rhne-Poulenc sous la forme dun LBO, avec comme principal actionnaire un fonds de pension. Ren Jianxin et Robert Lu vont alors proposer Grard Deman, directeur dAdisseo, de crer une usine en Chine en joint-venture. Cette premire rencontre va augurer dune srie dautres qui vont tisser une confiance forte entre les trois hommes, une relation qui sera dcisive pour la suite des vnements. Ingnieur chimiste de formation, Grard Deman connat parfaitement le sujet de la mthionine, quil suit depuis la Division ani-male de Rhne-Poulenc quil dirigeait. Il incarne la capacit technique et managriale idale recherche par le groupe pour lancer enfin la produc-tion de mthionine en Chine.

    On dit que pour russir, il faut des ides, des mthodes et une ambiance, rapporte Grard Deman. Les Chinois sont trs forts pour crer cette am-biance. Ds le dpart, il y avait une trs grande confiance dans la capacit du management grer. Pour moi aussi, c'tait important. On ne peut pas affronter des situations difficiles s'il n'y a pas la confiance avec certains inter-locuteurs cls2.

    2. Lexpression avoir confiance, tre laise a en chinois une signification forte. l se compose de deux caractres, (fng), (xn), qui peuvent se traduire par dposer son cur .

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    Latmosphre est cre dans des dners trs dtendus. Tout le monde se lve, va trinquer avec tout le monde. Chacun montre beaucoup d'atten-tion aux autres, c'est vraiment un moment propice. En dehors des problmes d'alcool, a me va trs bien, plaisante Grard Deman, qui ny voit quun inconvnient ventuel: les points de dsaccord napparaissent pas spon-tanment, donc il faut vraiment les dtecter pour prparer les dcisions et les sujets.

    En 2005, linvestisseur principal dAdisseo semble vouloir se retirer. Grard Deman rend alors visite aux dirigeants de Bluestar et Chem-china pour leur proposer, bien au-del du joint-venture envisag, dac-qurir lentreprise franaise. Avantage: crer ensemble une plate-forme mondiale de business de la mthionine, tout en maintenant le projet de dvelopper lusine prvue en Chine.

    Les choses sont alles trs vite, on a prsent en juillet, sign en octobre et nous avons clos le deal en janvier 2006, rsume Grard Deman. Adisseo est alors dans une situation financire prcaire, et de son ct, le groupe chinois est clairement motiv: Nous avons estim qu'il y avait l un trs bon business avec un fort potentiel stratgique, rsume Robert Lu.

    Sylvain Lidzborski tait lpoque cadre et reprsentant CGC du personnel dAdisseo. Il se souvient des sentiments mitigs du personnel au moment du rachat: Il y a eu la fois un soulagement et une inqui-tude. Un soulagement d'tre repris par des industriels, alors que nous avions pour actionnaire un groupe financier avec une forte pression pour cracher des rsultats. Mais une inquitude aussi, celle de se voir abandonns une fois le savoir-faire transfr et les nouvelles usines implantes en Chine.

    Rien de tout cela ne sest produit. En France, aprs le rachat, la confiance est totale dans le dirigeant franais. Quatre personnes sont envoyes de Chine pour rester au sige, plus dans un esprit de formation que de gouvernance, dans les fonctions finance, commerciale, industrielle et au comit de direction. Celui-ci est redevenu aujourdhui 100% fran-

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    ais. Les expatris chinois sont repartis sans tre remplacs. Nous avons joui d'une totale autonomie pour prendre les dcisions ncessaires, souligne Grard Deman. En 2007-2008, nous avons fait une restructuration impor-tante avec l'arrt de la production de la vitamine E en France.

    Cette opration ne devait rien larrive du nouvel actionnaire chinois, trs prudent, au contraire, sur cette opration. Mene sans licenciements secs, la suppression de 100 postes permettra de redresser les rsultats de lentreprise. Ds 2008, le groupe devient trs rentable, et cette situation demeure. Aujourdhui, Adisseo est lentreprise la plus profitable du groupe Bluestar.

    UN TRANSFERT COMPLIQU SUR LE PLAN DU MANAGEMENT ET DE LA SCURIT ENVIRONNEMENTALE

    Paralllement, se lance la construction dune unit de mthionine en Chine, sur le parc industriel de Nanjing. Cette unit, finance hauteur de 400M par Adisseo, a dmarr sa production fin 2013, destination du march asiatique principalement. Une quarantaine dingnieurs et de techniciens sont envoys de France, 350 personnes sont embauches. La maison mre a particip, mais Adisseo assure lessentiel de cette opration. Prsidant directement le comit de di-rection de ce projet, filiale 100% du groupe, Grard Deman avait dj une certaine exprience de la Chine, dcouverte en 1996 comme responsable de la zone Asie-Pacifique de lactivit silicones de Rhne-Poulenc.

    Il est convaincu de la ncessit de crer cette usine en zone dollar pour servir le march chinois, trs demandeur de mthionine. Louver-ture de lusine chinoise sera pourtant mouvemente. Les diffrences de vision, de management, dapproche de la technique sont importantes. Srs de leur capacit ragir, les ingnieurs chinois sous-estiment par-

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    fois la prvention des risques environnementaux. Les Franais de leur ct ne transigent pas sur le sujet. Grard Deman y gagne le surnom de never give up, une exigence quil faut faire passer dans le respect de l'ambiance, nuance le principal intress. Il sen flicite aujourdhui dautant plus que les normes environnementales en Chine ont progress trs rapidement. Aujourd'hui, Nanjing, les normes de ladministration sur lenvironnement sont quivalentes ce quelles sont en Europe, estime Grard Deman. Cela va jusqu' la fermeture de certains sites. Je dirais que c'est en train de basculer. Le changement est en cours.

    Loin davoir confisqu la production, comme les premires ractions des salaris le craignaient, la production en Chine permettra de mieux couvrir le march chinois, le premier mondial, alors que lInde est elle aussi en pleine croissance. Nous n'arrivons pas produire en Europe ce dont on a besoin, avec les trois sites actuels, Roches-Roussillon, Com-mentry dans l'Allier, et Burgos en Espagne, commente Grard Deman. Le dmarrage de l'usine en Chine sera progressif et ne devrait pas affecter l'activit des sites europens. Le march chinois se dveloppe au rythme d'en-viron 40 50000 tonnes par an, et la capacit de lusine de Nanjing sera de 70000 tonnes dans une premire tape et 140000 dans une seconde. Soit peine 1% du march mondial.

    Aujourdhui, Adisseo est une entreprise profitable de 1 700 per-sonnes, dont 1000 salaris en France et 120 personnes en Espagne. Ce sont 500 postes de plus quen 2006. Adisseo reprsente 20 25% du chiffre daffaires de Bluestar.

    DEUXIME RACHAT EN FRANCE, MME MTHODE : BLUESTAR SILICONES INTERNATIONAL

    Le succs de ce premier rachat encourage alors Chemchina regar-der dun il favorable la proposition de Rhodia de racheter son activi-t Silicones. Cest Olivier de Clermont-Tonnerre, lpoque membre

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    du comit excutif de Rhodia, aujourdhui directeur gnral adjoint de Bluestar en charge de la stratgie du groupe, qui est en premire ligne: Le groupe Rhodia avait travers une priode trs difficile d'un point de vue financier en 2002-2003, raconte-t-il. Nous avions donc une liste d'activits candidates au dsinvestissement, et parmi celles-ci, les silicones qui faisaient partie de la division dont j'avais la responsabilit l'poque. On s'est dit que trouver un co-investisseur chinois nous permet-trait d'aider au financement et capturer la forte croissance des silicones.

    Une ngociation sengage en 2004-2005 avec Bluestar, au dpart pour un joint-venture. Mais en 2006, Bluestar, qui trouve ce rapproche-ment complexe mettre en uvre, propose Rhodia de reprendre la totalit de lactivit Silicones. Le 1erfvrier 2007, lactivit est transfre de Rhodia Bluestar et la socit franaise prend le nom de Bluestar Silicones International, BSI. Pour lactivit transfre, le projet apparat comme trs positif. Les premires solutions envisages impliquaient la revente de grands concurrents trs implants en Europe, lallemand Wacker, les amricains Dow Corning ou General Electrics. Tous ont des centres de recherche, des usines, et le rachat de Rhodia Silicones aurait impliqu des restructurations lourdes, puisquil y aurait eu des doublons en termes de R&D et de production. Ces perspectives inqui-taient le management et les salaris.

    Lide dun repreneur chinois est donc plutt bien accueillie en in-terne, malgr les rticences lgard dune socit dtat. L aussi, la crainte est relle que le projet soit uniquement de transfrer en Chine les activits de production avec une main-duvre moins coteuse. Les salaris finissent pourtant par se convaincre que le projet ne comporte aucune rduction de postes prvue.

    La suite a montr, raconte Olivier de Clermont-Tonnerre, que Bluestar tait intress ce dveloppement international, et trs fier de ses centres de recherche et ses usines en Europe. Il y avait l'ide, bien

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    sr, d'accder une technologie comptitive pour investir en Chine et accompagner la croissance acclre de la zone Asie, mais il y avait aussi la volont de poursuivre le dveloppement international partir des bases historiques europennes.

    Dune situation extrmement difficile chez Rhodia o les moyens manquent pour investir sur le dveloppement, BSI est pass une int-gration russie dans un groupe qui poursuit une vision industrielle moyen/long terme. Ntant pas cot en Bourse, lactionnaire na pas lobsession des rapports danalyse ou du cours de laction et considre comme dernier recours les restructurations ou suppressions demploi. Le groupe demande des rsultats, mais reste soucieux de sa responsa-bilit sociale, selon Olivier de Clermont-Tonnerre. Une proccupation dont Ren Jianxin faisait tat pour son groupe ds 2008.

    Aujourdhui, mme si Bluestar Silicones International na pas encore dgag les rsultats financiers attendus, dans un contexte conomique difficile pour lindustrie des silicones, le dveloppement en Europe se poursuit. BSI a eu le soutien ncessaire pour dvelopper des produits haute valeur ajoute et amliorer sa comptitivit. Paralllement, ont t transfres en Chine les technologies amont des silicones qui dmarreront en 2014 dans lancienne unit chinoise, devenue un peu obsolte. BSI a ainsi positionn deux activits amont de bon niveau, lune en Chine et lautre en Europe. L'exprience a t trs positive, nous considrons que le management fonctionne trs bien en France, conclut Robert Lu avec satisfaction.

    UNE VRAIE INTGRATION STRATGIQUE DES DIRIGEANTS OCCIDENTAUX

    En 2008, Bluestar a ouvert son capital une prise de participation de 20% de Blackstone, les autres 80% tant dtenus par Chemchina.

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    Ds lors, raconte Robert Lu, nous avons tabli ce Board international de dix membres, deux sont de Blackstone, quatre viennent de Chemchina ou Bluestar, plusieurs sont dexcellents managers internationaux comme Grard Deman, Olivier de Clermont-Tonnerre, mais aussi un membre venu de Elkem, et un autre de Qenos, notre socit australienne. Ils sont au Board, mais aussi au Comit stratgique qui prend des dcisions cls. Ils ont t impliqus dans plusieurs dcisions trs importantes. L encore, le facteur humain devient un alli : Ren Jianxin a pris conscience de latout stratgique que reprsentait pour son groupe lexprience inter-nationale des dirigeants occidentaux de son groupe.

    Ds 2006, Bluestar avait acquis Qenos, le premier fabricant austra-lien de polythylne. Puis en 2011, cest le rachat pour 2Md$ du nor-vgien Elkem, le leader mondial du silicium, matire premire de toute lactivit Silicones. Devenu lun des acteurs les mieux intgrs sur le silicium, Bluestar a renforc sa comptitivit. Elkem transfre aussi sa technologie en Chine o les usines de production de silicium ntaient pas forcment niveau sur le plan technologique.

    Adisseo a toujours produit des rsultats trs positifs. Par exemple, les rsultats ont progress de faon trs encourageante entre 2006 et 2008, et la rentabilit sest beaucoup amliore. Pour BSI, le business est trs comptitif, mais nous sommes confiants sur un redressement dans les deux annes qui viennent. Aprs ces huit ans dexprience, conclut Robert Lu, nous sommes satisfaits de la plupart des points. Le dveloppement conomique en Europe est un challenge, nous en sommes conscients.

    Et le dirigeant chinois de porter sur la France un regard trs positif: Je pense que la France a des atouts trs nombreux, et si le gouvernement joue d'une faon habile pour mettre en place les bonnes politiques, cela peut donner de trs bons rsultats. Si la France russit s'ouvrir un peu vers l'extrieur, pas seulement aux pays dvelopps, mais l'ensemble du monde et aux pays mergents, elle pourra dvelopper son conomie. La

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    France a tant de personnel haute valeur ajoute, des techniciens, des oprateurs trs qualifis, des ingnieurs, des entrepreneurs, que cela doit lui permettre de russir.

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    CHAPITRE 3

    LISA AIRPLANESUne start-up sur la piste

    de dcollage Avec un avion de luxe hors concours, Lisa Airplanes est une start-up trs recherche Chambry par les investisseurs chinois qui se dis-putent ses faveurs. Un peu trop mme au got de son fondateur, Erick Herzberger, qui cherche assurer le bon dcollage pour lAkoya, sa perle de laviation.

    LAkoya est un avion tonnant: son design lui donne demble des allures de joujou de luxe, une lgance qui la fait accepter immdiate-ment, sur simple photo, au Yacht Monaco Show, un salon pourtant trs slectif.

    Capable de se poser sur terre, sur leau et sur la neige, lAkoya, qui porte le nom dune perle du Japon, est une belle russite marketing pour Lisa Airplanes et son fondateur, Erick Herzberger. Laronautique est un monde trs masculin, avec des noms comme Eagle ou Aircraft. Lide tait de fminiser lappareil, en optant pour un nom fminin pour la socit et pour lavion. De plus, le mot Akoya est facile prononcer dans toutes les langues, raconte Erick Herzberger. Lisa nest pas le nom dune femme que je connais, mais il est joli, court et facile. Il nous diffrencie. Pour mettre en uvre cette fminit de lavion, nous avons embauch des jeunes femmes qui ont beau-coup particip au design et au charme de lappareil.

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    Form chez Valeo, lingnieur a gard une donne en tte: ce sont les femmes qui prennent la dcision dachat dun avion de tourisme. Cet avion-l, en particulier, leur lance un clin dil. Il cote 300000, peu prs le double du plus cher de la vingtaine davions deux places du march, qui cotent 80000 150000. Il a cependant des perfor-mances suprieures, car aucun de ces modles ne se pose la fois sur leau, la terre et la neige.

    Chambry, dans la zone industrielle o est installe Lisa Airplanes, les bureaux dtudes tournent plein et les visiteurs chinois se succ-dent sur la terrasse, face aux monts alpins. quelques kilomtres de larodrome de Challes-les-Eaux, qui clbre son centenaire, la ville d-crte en 2013 Ville au service des montagnes apporte un environ-nement trs positif lactivit de construction davion priv. Quand jarrive Chambry, je respire mieux, lair et la lumire sont meilleurs. Yao Zhang, qui sexprime ainsi, a pourtant vcu toute sa vie en ville. Ce jeune Pkinois de 30ans est devenu le conseiller dErick Herzberger pour le dveloppement de Lisa Airplanes. Les deux hommes ont bien des choses en commun par del la diffrence dge et la distance cultu-relle. Si le Franais, autrefois fan de planeurs, a gard sa passion intacte, Yao, lui, se souvient encore des heures de son enfance passes souder des modles sovitiques daromodlisme. Il rvait den faire son mtier, sans avoir jamais vol en avion de tourisme. Un voyage Paris organis par son lyce lui fait dcouvrir Paris 16ans. La diffrence culturelle limpressionne profondment. Il choisit alors dtudier les sciences so-ciales, ce qui le conduira en master Sciences Po, rue Saint-Guillaume Paris, puis lcole pratique des hautes tudes, lEHESS.

    Matrisant parfaitement le franais, Yao Zhang a cr une activit de consultant tout en terminant ses tudes. Son projet: rapprocher les PME chinoises et franaises et uvrer pour le futur, la technologie et lenvironnement tout ensemble.

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    En juillet 2012, il dcouvre par la presse la mise en redressement judi-ciaire dun petit constructeur davions privs. Il sait bien sr que ce sec-teur est devenu un must pour les investisseurs chinois. Il dcouvre aussi lAkoya et son pass de passionn lui revient en tte. Il se rend sur place et fait la connaissance dErick Herzberger.

    De son ct, celui-ci traverse une priode difficile. Le fonds dinvestis-sement franais qui le soutenait vient de jeter lponge, ce quil dcouvre en rentrant des tats-Unis o lAkoya a fait un succs et enregistr une vingtaine de commandes au salon de laviation EAA Airventure de Os-hkosh, Wisconsin, lun des salons les plus rputs de sa catgorie.

    Lentreprise est mise en redressement judiciaire. Oshkosh, Erick He-rzberger a bien entendu remarqu la forte prsence de visiteurs chinois en qute dentreprises racheter. Il nignore pas que Piper, Cessna ou Cirrus, clbres marques amricaines, sont lies aux financements chinois. Erick Herzberger a aussi remarqu un phnomne heureux et inexpliqu : Tout le monde trouve que lAkoya est joli. Mais les Chinois, eux, en sont fans! Un effet de ce design si fminin? Une vision de laviation prive de lavenir, la fois de loisir et daffaires, qui permet de se rendre partout, un mode de dplacement quasiment universel (long et court trajet, atter-rissage sur terre, mer et neige) trs porteur pour les hommes daffaires de Chine continentale. Ou qui le deviendra de plus en plus, ds lors que lespace arien sera accessible plus librement.

    Cest Yao Zhang qui lui fera connatre Tiri Maha. Cet homme daf-faires jeune, devenu millionnaire dans lactivit minire au Sichuan, est lui aussi tomb amoureux de laronautique, qui le fait rver. Issu dune minorit, ayant bti sa fortune avec ses mains, Tiri Maha constitue un dossier pour le rachat de Lisa Airplanes.

    la barre du tribunal de commerce, sont dposes sept offres dont les trois plus srieuses manent toutes les trois de Chinois. la surprise gnrale, ces trois socits ont lutt par tous les moyens pour lemporter la barre du tribunal. Ils essaient de se torpiller les uns les autres, selon

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    lexpression de matre Saint-Pierre, ladministrateur judiciaire. Des inter-mdiaires reprsentant des groupes de Chine et de Hong Kong se prsen-tent Chambry. Aucun de ces groupes nest spcialis dans laviation, mais ils ne se privent pas de calomnier leur concurrent, quils prsentent comme venant dune province supposment recule qui nest autre que le Sichuan! De quoi brouiller les pistes face un tribunal qui ne connat pas du tout le monde chinois. Maha Tiri est finalement choisi, en grande partie parce que les fondateurs de Lisa Airplanes expriment leur prf-rence pour cet investisseur, affaire de confiance et de rapport dhomme homme.

    Pour autant, les concurrents ne lchent pas: aprs le jugement rendu le 5fvrier, ils font appel, en soulevant toutes les objections juridiques possibles: Ces artifices nous ont finalement pos de gros problmes, car ils ont jet un doute sur lissue du jugement, regrette Erick Herzberger. Des journalistes en ont parl, la presse chinoise aussi, de fausses informations ont circul, disant que notre repreneur ntait pas sr demporter laffaire... Vu de Chine, o lon ne connat pas les lois franaises, leffet a t dsastreux.

    Fin juillet 2013, le jugement est confirm. Des retards ont t pris dans le dveloppement prvu, sans relation avec des problmes techniques, ni avec le march. La phase de certification et de production, qui durera au total un an et demi, a pris du retard. Lavion dj construit est une pr-srie, qui ncessite encore quelques mises au point pour lancer la production en quantit. Lavion est parfaitement au point, plaide Erick Herzberger. Nous avons eu des commandes, mais nous avons retard la li-vraison. Notre premier client est un Russe, il attend depuis cinq ans. Fidles pour le moment, tant que lAkoya reste seul dans sa catgorie, mais pour combien de temps? Dbut 2014, les dernires tudes ont enfin pu tre relances: un nouvel actionnaire chinois lui aussi a inject des fonds dans Lisa Airplanes.

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    LAVIATION PRIVE, UN NOUVEAU MARCH SOUVRE

    EN CHINE CONTINENTALE

    Actuellement, lespace arien chinois est entirement contrl par les mili-taires. La trs forte demande des Chinois de voyager dans leurs pays entrane ainsi de nombreux retards dans le ciel, car seuls quelques couloirs ariens ont t concds laviation civile pour le trafic commercial. Seule une dcision politique sous la pression conomique pourra vraiment changer la donne.

    Le concept FUA (Flexible use of airspace) se met peu peu en place. Il consiste autoriser le trafic civil traverser une zone dentranement mili-taire non active. Cette coordination civile-militaire est appele se dvelopper sur tout le pays. Utilis en Europe depuis 10-15 ans, ce systme fonctionne efficacement.

    En basses altitudes (en dessous de 3 000 m), lespace arien, lui aussi sous contrle militaire, est rest ferm aux activits civiles jusqu une date trs rcente.

    En novembre 2010, le Conseil dtat a lanc les travaux pour louverture de cet espace arien laviation gnrale.

    Plusieurs zones pilotes ont t cres en 2013 pour valider le concept op-rationnel.

    Mais louverture sur tout le territoire est prvue seulement en 2020.

    La transition semble lente se mettre en place : dune part, les militaires ne veulent pas abandonner leurs prrogatives. Laviation civile chinoise rfl-chit imposer des systmes de surveillance dans tous les appareils, calculant la position GPS relaye un rseau de stations au sol il est prvu den instal-ler 300 en Chine elles-mmes relies une salle de contrle. Par ailleurs, lindustrie aronautique chinoise nest pas prte. Avic sest bien lanc dans des programmes dhlicoptres et avions de tourisme mais si lespace arien tait ouvert demain, ce sont surtout les industriels trangers qui en profite-raient. Afin de dvelopper leur savoir-faire, les industriels chinois se sont donc lancs dans lacquisition de socits trangres. Enfin, linfrastructure nest pas encore en place. Outre le concept oprationnel qui nest pas encore bien dfini par laviation civile chinoise, il faut aussi ouvrir de nouveaux arodromes et former de nouveaux personnels.

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    CHAPITRE 4

    HUAWEI Quand la Chine vend

    de la high-tech la France

    Le succs commercial du puissant groupe de Shenzhen, devenu lun des leaders mondiaux des tlcoms et des mobiles, a cristallis bien des suspicions. Aprs diverses expriences parfois infructueuses, Huawei a appris ngocier avec les gouvernements europens. En France, o la concurrence avec Alcatel-Lucent a jou comme un frein, le constructeur chinois sapprte ainsi annoncer un vaste plan dinvestissements.

    Les visites de Ren Zhengfei Paris sont toujours un petit vnement pour la presse conomique franaise. Les chos, LSA, et toute sorte de mdias font tour de rle le portrait de cet homme de 68ans, fondateur et patron de Huawei. Un parcours exceptionnel au regard de lEurope daujourdhui: les parents de Monsieur Ren, il le rappelle volontiers, taient professeurs et peu fortuns, mal aims du Parti communiste chinois puisque proches du Kuo Mintang. Aprs un bref parcours dans larme, de retour la vie civile, le jeune Ren, ingnieur diplm Chongqing, dcouvre ds 1987 la Silicon Valley et la high-tech.

    En 1988, il cre Huawei Shenzhen, une zone conomique spciale cre par la Chine populaire, proximit de Hong Kong, pour expri-menter la politique douverture aux investissements trangers.

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    En 1997, lentreprise dcide de miser sa croissance sur le terrain in-ternational.

    En 2010, Huawei devient n2 mondial des tlcoms derrire le sudois Ericsson. En 2012, le voici troisime vendeur mondial de smartphones.

    Une russite aussi exemplaire, dans un domaine o lon sest longtemps plu considrer les Chinois comme des copieurs, ne pouvait que susciter les pires soupons, quils soient sincres ou dguisent une concurrence commerciale. La firme de Shenzhen a appris ses dpens que la com-munication avec la presse et le monde politique tait un passage oblig, y compris dans les pays les plus libraux en matire conomique.

    La premire accusation inlassablement rpte, toujours dmentie par Huawei, est la suppose poursuite des liens avec larme, et par l, avec le rgime chinois. Huawei nest pourtant pas une entreprise dtat. Elle se revendique mme loccasion comme une entreprise prive, ce quelle nest pas tout fait.

    Huawei bnficie d'un statut compltement part, n vers 1998 d'un dispositif particulier et phmre de la zone conomique de Shen-zhen: c'est une cooprative ouvrire, lie un syndicat, dont seuls les membres peuvent possder des parts. Ren Zhengfei lui-mme n'en pos-sderait que 1,4 %. Le prsident du conseil d'administration de la filiale franaise, Franois Quentin, compare ce statut celui d'Essilor ses (lointains) dbuts. Huawei est une cooprative industrielle, un statut original n Shenzhen en 1988, et disparu assez rapidement: la socit est dtenue par un syndicat, et les membres du syndicat ont des droits sur les actions. Ce n'est pas un droit de proprit, mais un droit de vote : l'assemble gnrale lit au prorata du nombre d'actions une sorte de parlement qui lit le conseil de surveillance qui lui-mme choisit ou coopte les membres du directoire.

    Ce statut trs particulier a au moins deux consquences visibles: 1- La firme a mis en place un systme de direction tournante : trois membres du comit de direction occupent alternativement le poste de

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    directeur excutif de lentreprise. Cette rotation est prsente comme lincarnation et la garantie dun pouvoir consensuel dans le groupe. 2- Huawei ne peut pas tre cot en Bourse. Le groupe chappe aux fourches caudines des marchs financiers, nayant pas le besoin de se financer par ce moyen.

    Voici deux lments qui suffiraient en soi dconcerter des pays attachs lorthodoxie financire, et alimenter les rumeurs de cordon ombilical avec le rgime de Pkin. De son ct, Huawei affirme que ses process internationaux sont une garantie de transparence, notamment la certification des comptes par KPMG-US.

    En 2012-2013, au moment o elle est monte sur le podium des entreprises mondiales les plus puissantes de son secteur, Huawei a d faire face des attaques de grande ampleur menes dans tout le monde anglo-saxon et en France. Des attaques non pas commerciales, mais politiques.

    Les tats-Unis, les premiers, ont accus le constructeur chinois de fournir du matriel facilitant lespionnage pour le gouvernement chinois. Une commission denqute du Congrs publie le 8 octobre 2012 un rapport accusant Huawei et ZTE de menace la scurit am-ricaine et propose de bloquer les activits commerciales de ces deux const