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© Masson, Paris, 2004 REV. PNEUMOL. CLIN., 2004, 60, 5-3S37-3S42 RÉSUMÉ Les résultats de la chirurgie seule ou associée à un traitement adjuvant, chimio- et/ou radiothérapie dans la prise en charge des can- cers bronchiques non à petites cellules (CBNPC) stade III résécables sont décevants, avec des taux de survie à 5 ans généralement infé- rieurs à 20 % et de nombreuses récidives locales et à distance. Ils ont justifié de nombreuses études de phase II qui ont montré la faisa- bilité de la chimiothérapie et de la chimioradiothérapie néo-adjuvante avec des taux de réponses élevés et une toxicité acceptable. Les trois études de phase III de chimiothérapie d’induction ont abouti à des résultats contradictoires, deux d’entre elles ne portaient que sur de faibles effectifs et présentaient des biais méthodologiques. Quant à la chimioradiothérapie préopératoire, il n’existe pas actuellement d’essai de phase III publié, les études de phase II récentes privilégient un mode concomitant avec irradiation bifractionnée. Les nou- veaux agents de thérapeutique ciblée n’ont pour l’instant pas d’indication dans ce domaine. Dans le cas particulier des tumeurs résé- cables de l’apex envahissant la paroi, dites de Pancoast, la chimioradiothérapie néo-adjuvante suivie d’une résection chirurgicale est devenu le traitement recommandé. La place de la chimiothérapie, de la radiothérapie et même de la chirurgie dans le traitement des CBNPC stade III résécables reste à définir et l’inclusion des patients dans des essais cliniques randomisés est conseillée. Mots-clés : Cancer bronchique non à petites cellules. Stade III. Chimiothérapie. Radiothérapie. Néo-adjuvant. Tumeur de Pancoast. Traitement d’induction. SUMMARY Which treatments should be proposed in resecable stage III cancers? The results of surgery alone or associated with an adjuvant treatment, chemo- and/or radio-therapy, in the management of stage III resecable non-small cell lung cancer (NSCLC), are disappointing; with survival rates at 5 years generally lesser than 20% and many local and distant relapses. They justified the development of phase II trials that showed the feasibility of the chemotherapy and neo-adju- vant chemo-radiotherapy with high rates of response and acceptable toxicity. The three phase III studies with induction chemotherapy gave contradicting results; two of them were on small cohorts and presented methodological biases. Regarding pre-surgery chemo-radio- therapy, there is presently no published phase II trial and a recent phase II trial was in favour of a concomitant mode with bifractioned irradiation. The new targeted therapeutic agents do not yet have an indication in this field. In the particular case of resecable tumours of the apex invading the wall, so-called Pancoast, neo-adjuvant chemoradiotherapy followed by surgical resection has become the treat- ment of choice. The place of chemotherapy, radiotherapy and even surgery in the treatment of resecable stage III NSCLC remains to be defined and the inclusion of patients in randomised clinical trials is recommended. Key-words: Non-small cell lung cancer. Stage III. Chemotherapy. Radiotherapy. Neo-adjuvant. Pancoast tumor. Induction therapy. Quel traitement préopératoire pour les stades III résécables ? Y. THIBOUT (1),A. CORTOT (1), O. CHAPET (1), F. MORNEX (1), B. MILLERON (2) (1) Département d’Oncologie-Radiothérapie, EA 643, Centre Hospitalier Lyon Sud, 69310 Pierre-Bénite Cedex. (2) UF d’Oncologie Pulmonaire, Cancer Est, Hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris. L a prise en charge optimale des cancers bron- chiques non à petites cellules (CBNPC) locale- ment avancés (stade III) reste controversée, alors même qu’ils représentent environ 30 % des CBNPC et qu’ils sont souvent résécables. Les séries historiques montrent que la chirurgie seule donne des résultats déce- vants, tant en termes de rechute (70 % des récidives sont à distance de la localisation primitive) qu’en termes de survie (en général inférieure à 20 % à 5 ans). Les études évaluant l’apport d’une chimiothérapie ou d’une radio- thérapie adjuvante n’ont pas permis d’en démontrer le bénéfice. Ce contexte a justifié les essais d’une approche néo-adjuvante, déjà utilisée dans d’autres cancers. Correspondance : [email protected]

Quel traitement préopératoire pour les stades III résécables ?

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Page 1: Quel traitement préopératoire pour les stades III résécables ?

© Masson, Paris, 2004 REV. PNEUMOL. CLIN., 2004, 60, 5-3S37-3S42

RÉSUMÉ

Les résultats de la chirurgie seule ou associée à un traitement adjuvant, chimio- et/ou radiothérapie dans la prise en charge des can-cers bronchiques non à petites cellules (CBNPC) stade III résécables sont décevants, avec des taux de survie à 5 ans généralement infé-rieurs à 20 % et de nombreuses récidives locales et à distance. Ils ont justifié de nombreuses études de phase II qui ont montré la faisa-bilité de la chimiothérapie et de la chimioradiothérapie néo-adjuvante avec des taux de réponses élevés et une toxicité acceptable. Lestrois études de phase III de chimiothérapie d’induction ont abouti à des résultats contradictoires, deux d’entre elles ne portaient que surde faibles effectifs et présentaient des biais méthodologiques. Quant à la chimioradiothérapie préopératoire, il n’existe pas actuellementd’essai de phase III publié, les études de phase II récentes privilégient un mode concomitant avec irradiation bifractionnée. Les nou-veaux agents de thérapeutique ciblée n’ont pour l’instant pas d’indication dans ce domaine. Dans le cas particulier des tumeurs résé-cables de l’apex envahissant la paroi, dites de Pancoast, la chimioradiothérapie néo-adjuvante suivie d’une résection chirurgicale estdevenu le traitement recommandé. La place de la chimiothérapie, de la radiothérapie et même de la chirurgie dans le traitement desCBNPC stade III résécables reste à définir et l’inclusion des patients dans des essais cliniques randomisés est conseillée.

Mots-clés : Cancer bronchique non à petites cellules. Stade III. Chimiothérapie. Radiothérapie. Néo-adjuvant. Tumeur de Pancoast. Traitement d’induction.

SUMMARY

Which treatments should be proposed in resecable stage III cancers?

The results of surgery alone or associated with an adjuvant treatment, chemo- and/or radio-therapy, in the management of stage IIIresecable non-small cell lung cancer (NSCLC), are disappointing; with survival rates at 5 years generally lesser than 20% and manylocal and distant relapses. They justified the development of phase II trials that showed the feasibility of the chemotherapy and neo-adju-vant chemo-radiotherapy with high rates of response and acceptable toxicity. The three phase III studies with induction chemotherapygave contradicting results; two of them were on small cohorts and presented methodological biases. Regarding pre-surgery chemo-radio-therapy, there is presently no published phase II trial and a recent phase II trial was in favour of a concomitant mode with bifractionedirradiation. The new targeted therapeutic agents do not yet have an indication in this field. In the particular case of resecable tumours ofthe apex invading the wall, so-called Pancoast, neo-adjuvant chemoradiotherapy followed by surgical resection has become the treat-ment of choice. The place of chemotherapy, radiotherapy and even surgery in the treatment of resecable stage III NSCLC remains to bedefined and the inclusion of patients in randomised clinical trials is recommended.

Key-words: Non-small cell lung cancer. Stage III. Chemotherapy. Radiotherapy. Neo-adjuvant. Pancoast tumor. Induction therapy.

Quel traitement préopératoire pour les stades IIIrésécables ?

Y. THIBOUT (1), A. CORTOT (1), O. CHAPET (1), F. MORNEX (1), B. MILLERON (2)

(1) Département d’Oncologie-Radiothérapie, EA 643, Centre Hospitalier Lyon Sud, 69310 Pierre-Bénite Cedex.(2) UF d’Oncologie Pulmonaire, Cancer Est, Hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris.

La prise en charge optimale des cancers bron-chiques non à petites cellules (CBNPC) locale-ment avancés (stade III) reste controversée, alors

même qu’ils représentent environ 30 % des CBNPC etqu’ils sont souvent résécables. Les séries historiques

montrent que la chirurgie seule donne des résultats déce-vants, tant en termes de rechute (70 % des récidives sontà distance de la localisation primitive) qu’en termes desurvie (en général inférieure à 20 % à 5 ans). Les étudesévaluant l’apport d’une chimiothérapie ou d’une radio-thérapie adjuvante n’ont pas permis d’en démontrer lebénéfice. Ce contexte a justifié les essais d’une approchenéo-adjuvante, déjà utilisée dans d’autres cancers. Correspondance : [email protected]

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DÉFINITION

Les CBNPC de stade III présentent la difficulté de sesituer entre deux “standards” : les stades I et II que l’onopère et le stade IV que l’on n’opère pas, sauf exception.La résécabilité est définie par le chirurgien thoracique :c’est la possibilité d’obtenir une exérèse complète de latumeur dans un but curatif. Certains cancers de stade IIIAsont résécables : les T3N1 et les T1-3N2 en dehors des“bulky N2” des Anglo-Saxons correspondant à des adé-nopathies médiastinales homolatérales supérieures à2 cm, en rupture capsulaire, fixées ou de localisation mul-tiple. Quelques cancers de stade IIIB le sont égalementpar des équipes entraînées : certains T4NO-1. Nous neparlerons ici que des cancers résécables dès le diagnosticet non des cancers non-, mais potentiellement résécablesaprès traitement d’induction. Ainsi, de quel traitementnéo-adjuvant le patient peut-il bénéficier sans compro-mettre la chirurgie curative pourtant réalisable d’emblée ?

CHIMIOTHÉRAPIE NÉO-ADJUVANTE

Ses avantages théoriques sur la chimiothérapie adju-vante sont nombreux : traitement précoce des micromé-tastases, patient en meilleur état général qu’en postopé-ratoire, vascularisation tumorale intacte permettant unemeilleure biodisponibilité, réduction tumorale préopéra-toire facilitant une résection complète.

De nombreuses études de phase II ont été réaliséesdans ce sens depuis la fin des années 80 (tableau I).Malgré leur grande hétérogénéité, elles ont prouvé la fai-sabilité de la chimiothérapie préopératoire avec unefaible toxicité, un taux de réponse élevé entre 50 et 70 %,sans compromettre la chirurgie ultérieure. Certaines ontmême suggéré une amélioration de la survie par rapportà la chirurgie seule.

Les trois principales études de phase III, comparantla chirurgie à la chimiothérapie néo-adjuvante pluschirurgie, ont abouti à des résultats contradictoires(tableau II). Roth et Rosell [2, 3] ont interrompu préco-cement les inclusions devant les données de l’analyseintermédiaire montrant une amélioration significative dela survie dans le bras chimiothérapie puis chirurgie.Dans l’étude de Roth, le taux de réponse n’était que de35 %, mais la médiane de survie était significativementsupérieure dans le groupe chimiothérapie (21 mois vs14 mois dans le groupe contrôle, p = 0,048) avec un tauxde survie à 5 ans de 36 % vs 15 %. Dans l’étude deRosell, le taux de réponse était de 60 %, le groupe chi-miothérapie avait une survie médiane de 22 mois contre10 mois dans le groupe contrôle (p = 0,005) avec un tauxde survie à 5 ans respectivement de 17 % et 0 %.Malheureusement, de nombreuses critiques méthodolo-giques rendent délicate l’interprétation de ces 2 études“positives” : des effectifs faibles (60 patients chacune),l’inclusion à l’époque de cancers T3N0 actuellementclassés stade IIB, mais aussi des biais dans la répartitiondes facteurs pronostiques défavorables handicapant le

Tableau I. — Chimiothérapie néo-adjuvante dans les CBNPC stade III: études de phase II*.

Références Stade Réponses (%) Médiane de survie (mois)

Spain, Semin Oncol, 1988 IIIA-IIIB 73 19

Vokes, Chest, 1989 IIIA-IIIB 48 8

Martini, Ann Thorac Surg, 1993 N2 77 19

Goldberg, Semin Surg Oncol, 1993 IIIA-N2 64 19

Pujol, Chest, 1994 IIIA-IIIB 70 10

Elias, Am J Clin Oncol, 1994 IIIA 39 18

Carreta, Eur J Cardiothorac Surg, 1994 IIIA-IIIB 87 –

Sugarbaker, J Thorac Cardiovasc Surg, 1995 IIIA-N2 – 21

Ciriaco, Eur J Cardiothorac Surg, 1995 IIIA-IIIB 84 –

* D’après B. Milleron et al. [1].

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QUEL TRAITEMENT PRÉOPÉRATOIRE POUR LES STADES III RÉSÉCABLES ? 3S39

bras contrôle (stades IIIB et IV postopératoires plusnombreux dans le groupe chirurgie dans l’étude de Roth,mutation de K-ras et cellules aneuploïdes plus fré-quentes dans le groupe chirurgie pour l’étude de Rosell).Enfin, l’absence de survivant à 5 ans dans le bras contrôlede Rosell est surprenante.

L’étude française de Depierre [4] incluait des cancersde stade IB, II et IIIA. Le taux de réponse à la chimio-thérapie néo-adjuvante était de 64 %. L’augmentation dela survie médiane dans le bras chimiothérapie n’était passignificative (37 mois vs 26 mois dans le bras contrôle,p = 0,15). Les taux de survie à 4 ans était respectivementde 44 % et de 35 % tous stades confondus. L’analyse desous-groupe révélait que le risque relatif de décès n’étaitsignificativement diminué que dans les stades I et II. Cesrésultats “négatifs” pour les cancers stade III sont proba-blement liés à un manque de puissance (l’absence destratification par stade à l’inclusion ne permet qu’uneétude de sous-groupe rétrospective) et à un excès detoxicité non significatif de la chimiothérapie dans lesous-groupe IIIA-N2.

Enfin, dans une étude rétrospective multicentriqueportant sur 700 patients N2, il ressortait de l’analysemultivariée la valeur très significative de la chimiothéra-pie préopératoire comme facteur pronostique (taux desurvie à 5 ans de 18 % si chimiothérapie néo-adjuvantecontre 5 % dans le cas inverse), avec le stade tumoral etl’importance de l’envahissement N2 [5]. Ce dernierpoint, qui correspond en partie à la notion de “bulky N2”décrite plus haut, mérite d’être précisée. Deux sous-groupes étaient définis : le groupe “minimal N2” (mN2)correspondait à une atteinte N2 découverte lors de la chi-rurgie et qui n’avait pas été objectivée par le bilan radio-logique préopératoire, le groupe “clinical N2” (cN2) ras-semblait les atteintes N2 découvertes dès le bilanpréopératoire. Dans cette étude, la survie à 5 ans dugroupe mN2 était de 29 % (atteinte ganglionnaireunique : 34 % ; multiple : 11 %) contre 7 % dans le

groupe cN2 (unique : 8 % ; multiple : 3 %) (p < 0,0001),ce qui confirme la pertinence de cette sous-classificationmN2/cN2.

Malgré leurs limites, ces études ont contribué à unelarge utilisation de la chimiothérapie d’induction. Dansce contexte, quelles molécules utiliser ? Les étudespubliées dans les années 80-90 utilisaient le plus sou-vent des trithérapies qui ont été progressivement aban-données. Il en ressort néanmoins que la chimiothérapiedoit comporter un sel de platine, même s’il n’existe pasde consensus sur la dose à proposer. Dans plusieursessais de phase II, les “nouvelles molécules”, comme lagemcitabine ou les taxanes, potentiellement moinstoxiques, ont été utilisées. Dans trois essais récents dephase II, l’association néo-adjuvante de cisplatine et degemcitabine dans les stades IIIA et IIIB a obtenu destaux de réponse encourageants, supérieurs à 60 %(tableau III).

CHIMIORADIOTHÉRAPIE NÉO-ADJUVANTE

L’avantage théorique de cette association est d’obte-nir un contrôle local précoce de la maladie par la radio-thérapie, afin de diminuer le nombre de récidives loco-régionales et d’augmenter le taux de résection complète,tout en prévenant les rechutes à distance grâce à lachimiothérapie. Cependant, les risques sont d’augmenterla toxicité iatrogène et la morbi-mortalité postopératoireen accroissant la difficulté du geste chirurgical.

Là encore les études de phase II disponibles dans lalittérature sont nombreuses (tableau IV). Leur interpré-tation est délicate, car elles associent le plus souvent descancers de stade IIIA résécables d’emblée avec des can-cers de stade IIIB souvent non-résécables lors du dia-gnostic, sans dissocier les résultats. Elles ont montré lafaisabilité de la chimioradiothérapie d’induction, au prix

Tableau II. — Chimiothérapie néo-adjuvante dans les CBNPC stade III : études de phase III.

Auteur n ( CT-S vs S) Chimiothérapie MS (CT-S vs S) en mois Survie à 5 ans (CT-S vs S) en %

Rosell et al. [2] 30 vs 30 MIP 22 vs 10 17 vs 0

Roth et al. [3] 28 vs 32 CEP 21 vs 14 36 vs 15

Depierre et al. [4] 92 vs 75 MIP 16 vs 12* 30 vs 22*

* Différence non-significative ; n = nombre de patients par bras ; CT-S = bras chimiothérapie néo-adjuvante, puis chirurgie ; S = braschirurgie ; MS = médiane de survie ; MIP = mitomycine-ifosfamide-cisplatine ; CEP = cyclophosphamide-étoposide-cisplatine.

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d’une augmentation acceptable de la toxicité, notam-ment hématologique, par rapport aux séries de chimio-thérapie d’induction seule. Elles ont également suggéréune amélioration de la survie par rapport à la chirurgieseule.

Il n’existe qu’une seule étude de phase III, présentéepar Fleck à l’ASCO 1993, mais encore non publiée à cejour. Elle comparait un bras expérimental de 2 cyclesnéo-adjuvants de 5-FU cisplatine 100 mg/m2 associés à30 Gy en 15 fractions avec un bras chimiothérapie néo-adjuvante de 3 cycles de mitomycine, vinblastine, cis-platine 100 mg/m2. Dans le groupe chimioradiothérapie,les taux de réponse objective et de résection complèteétaient meilleurs que dans le groupe chimiothérapie (res-pectivement 67 % vs 44 % p = 0,02 et 52 % vs 31 % p =0,03). Il n’y avait malheureusement pas de données surla survie à long terme.

Enfin, l’analyse intermédiaire d’un essai randomiséallemand comparant la chimioradiothérapie avec la chi-miothérapie en situation néo-adjuvante a montré dans lesdeux bras une baisse de la qualité de vie en cours de trai-tement, mais sans différence significative entre ces deuxgroupes [6].

Parmi les différentes modalités possibles, c’est lachimioradiothérapie concomitante avec irradiationbifractionnée qui a été privilégiée dans les étudesrécentes. En effet, ses résultats de phase II (de 63 % à73 % de réponse avec des médianes de survie de 15 à25 mois) sont meilleurs que ceux du mode séquentiel etl’épargne des tissus sains ainsi que la délivrance de ladose totale sur un temps plus court sont deux avantagesde l’irradiation bifractionnée sur l’irradiation monofrac-tionnée. Ainsi, dans l’étude de Choi, regroupant42 patients IIIA-N2, la chirurgie était précédée de

Tableau III. — Chimiothérapie néo-adjuvante par cisplatine-gemcitabine dans les CBNPC stade III : études de phase II*.

Référence n (IIIA/IIIB) Chimiothérapie Taux de réponse (%)

Crino, Proc ASCO, 1999 11/31 G 1 000 mg/m2 et C 100 mg/m2 62

Yang, Proc ASCO, 1999 12/15 G 1 000 mg/m2 et C 90 mg/m2 63

Van Kooten, Invest New Drugs, 2002 12/7 G 1 250 mg/m2 et C 100 mg/m2 63

n = nombre de patients ; G = gemcitabine ; C = cisplatin.* D’après Rinaldi M et Crino L, Induction chemotherapy with gemcitabine and cisplatin in stage III non-small cell lung cancer, LungCancer 2001;34:S25-S30.

Tableau IV. — Chimioradiothérapie néo-adjuvante dans les CBNPC stade III : études de phase II*.

Référence Stade Réponses (%) Médiane de survie (mois) Survie à 2 ans (%)

Faber, Ann Thorac Surg, 1989 IIIA/IIIB 48 20 45

Strauss, J Clin Oncol, 1992 IIIA 51 16 24

Rusch, J Thorac Cardiovasc Surg, 1993 IIIA/IIIB – 17 40

Deutsch, Cancer, 1994 IIIA 64 15 45

Weiden, Chest, 1994 IIIA/IIIB 56 13 25

Choi, J Clin Oncol, 1997 IIIA 73 25 66

Eberhardt, J Clin Oncol, 1998 IIIA/IIIB 64 19 40

Thomas, J Clin Oncol, 1999 IIIA/IIIB 69 20 40

* D’après B. Milleron et al. [1].

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2 cycles de cisplatine, vinblastine et 5FU et d’une irra-diation de 42 Gy en 2 fractions quotidiennes de 1,5 Gy.La réduction tumorale après traitement d’induction étaitde 67 % et 37 % des patients étaient encore en vie à5 ans. L’essai d’Eberhardt sur 94 patients IIIA-IIIB éva-luait un traitement d’induction associant 3 cycles de cis-platine et étoposide et une irradiation bifractionnée à ladose de 45 Gy. Une résection complète était obtenuedans 55 % des cas, avec alors une survie à 4 ans de 46 %.Enfin, Thomas a obtenu un taux de résection complètede 63 % et un taux de réduction tumorale supérieure à90 % de 50 %, avec 56 % de survie à 3 ans en cas d’asso-ciation de ces deux critères. Le traitement néo-adjuvantévalué chez 44 patients IIIA-IIIB comprenait 2 cyclesd’ifosfamide, carboplatine et vindésine suivis d’une irra-diation bifractionnée à la dose de 45Gy associée à3 cycles de carboplatine et vindésine.

Dans le prolongement de ces études de phase IIencourageantes, l’IFCT a initié récemment une étudefrançaise multicentrique de phase II randomisée (IFCT2001-01), afin de déterminer la faisabilité de trois moda-lités de traitement préopératoire des CBNPC IIIA-N2 :le bras A correspond à 3 cycles de chimiothérapie parcisplatine et gemcitabine, les bras B et C associent demanière concomitante une irradiation monofractionnéede 46Gy avec une chimiothérapie par cisplatine et vino-relbine (bras B) ou carboplatine et paclitaxel (bras C). Lebut de cette étude, dont les inclusions se poursuivent, estde sélectionner les schémas optimaux pour une étude dephase III en fonction des résultats obtenus en terme defaisabilité et de toxicité.

THÉRAPEUTIQUE CIBLÉE

Il n’y a, actuellement, aucune indication pour lesnouveaux agents antitumoraux, tels que le gefitinib(Iressa®) ou les agents antiangiogéniques, dans la priseen charge préopératoire des cancers stade III résécables.

TUMEUR DE PANCOAST

Elle correspond à un cas particulier de cancer bron-chique stade III. Sa définition actuelle est une tumeur del’apex envahissant les structures pariétales apicales(1re côte, plexus brachial, chaîne sympathique cervicale,vaisseaux sous-claviers). La présence d’un syndromeclinique de Pancoast-Tobias n’est plus nécessaire [7].

Depuis l’étude de Shaw parue en 1961, l’approcheclassique des tumeurs de Pancoast résécables était laradiothérapie néo-adjuvante suivie d’une résection.Cependant, une étude de phase II récente a obtenu demeilleurs résultats avec une approche associant radio etchimiothérapie néo-adjuvantes concomitantes (2 cyclesde cisplatine 50 mg/m2 étoposide avec irradiation de45 Gy, résection, puis 2 nouveaux cycles adjuvants decisplatine, étoposide). 92 % des patients opérés ontbénéficié d’une résection complète, avec un taux de sur-vie à 2 ans de 70 % (55 % pour l’ensemble des patients)[8]. La chimioradiothérapie néo-adjuvante est actuelle-ment recommandée comme le traitement standard destumeurs de Pancoast résécables chez des patients en bonétat général [7].

EN CONCLUSION

De nombreux arguments dans la littérature plaidenten faveur du bénéfice du traitement d’induction dans laprise en charge des CBNPC de stade III résécables.Cependant, des preuves indiscutables manquent encoreet les recommandations récentes restent prudentes(Recommandations de l’ASCO 2004) ou conseillentd’inclure ces patients dans des essais cliniques [9], d’au-tant que les modalités du traitement préopératoire restentà préciser : chimio ou radiochimiothérapie ? Avecquelles molécules ? Quel type d’irradiation ?

De plus, certains auteurs, notamment anglo-saxons,rappellent que la chirurgie elle-même n’a pas encore faitla preuve de son intérêt en termes de survie. Une étuderétrospective récente sur 107 patients a ainsi montré desrésultats équivalents avec chimiothérapie d’induction,puis chirurgie et avec chimioradiothérapie concomitantesans chirurgie [10]. Il reste donc, pour ce type detumeurs comme pour d’autres, de nombreuses questionsqui justifient les essais cliniques en cours ou à venir, etqui rendront passionnantes les années futures et les nou-velles connaissances qui les accompagneront [11].

RÉFÉRENCES

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3S42 Y. THIBOUT et COLL.

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