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Le labora[olre en zone uup~c~te QUELLE BIOLOGIE POUR LES TROPIQUES ? Yves Buissona,Jean-LouisKoeckb L a medecine tropicale a-t-elle besoin de laboratoires ? Par definition autre, Iointaine et demunie, ne doit-elle passe contenter de ce qu'ajoutent les organisations caritatives internationales et les bonnes volontes individuelles aux maigres ressources locales ? Reponse absurde & une question aussi saugrenue que la formule revolution- naire ,, La Republique n'a pas besoin de savants ,,. Face & I'expansion ou & I'emergence des maladies infectieuses, les regions tropicales ont plus que toutes autres besoin des progres de la biologie, aussi bien pour la prise en charge individuelle des patients que pour la lutte contre les maladies endemiques et epidemiques : sans laboratoire, la sante publique d'un pays tropical est aveugle. Cette reflexion a pris naissance des les premiers temps de la biologie moderne, Iorsque Pasteur envoyait ses eleves creer des instituts de ,, microbie ,, aux quatre coins du monde. Parmi ces pionniers, nombreux sont ceux dont le nom reste attache & des decouvertes majeures dont I'impact sera mondial. [.'article de Philippe Buchy montre comment ces laboratoires, aujourd'hui organises en Reseau international des Instituts Pasteur, s'efforcent de repondre aux besoins des populations en zone tropicale. Gr&ce aux moyens actuels de communication, le fonctionnement en reseau permet d'ameliorer les performances des laboratoires & co0t egal. Christian Mathiot presente I'initiative de I'Organisation mondiale de la Sante invitant les structures du Nord et du Sud & se jumeler pour mieux detecter et donc mieux prevenir les emergences et les epidemies de maladies infectieuses. Pour autant, les techniques de haut niveau sont-elles vouees & rester I'apanage des pays industrialises ? Abusivement considere comme une panacee pendant plusieurs decen- nies, le transfert de technologie peut reussir Iorsqu'il est bien prepare et realise confor- mement & des objectifs clairement definis. C'est ce que montre I'experience rapportee par Berthe-Marie Njanpop-Lafourcade dans la surveillance des meningites bacteriennes aigues en Afrique de I'Ouest. a Institut de medecine tropicale du Service de Sant6 des Armies Le Pharo - B.P. 46 13998 Marseille Arrnees ybuisson@filnet,fr b Laboratoire de biologie clinique H6pital d'lnstruction des Armees Robert-Picque 351, route de Toulouse - B.P. 28 33998 Bordeaux Arrnees [email protected] © Elsevier SAS. Revue Frangaisedes Laboratoires,avri12005, N ° 372 1 9

Quelle biologie pour les tropiques ?

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Le l abo ra [o l r e en z o n e uup~c~te

QUELLE BIOLOGIE POUR LES TROPIQUES ?

Yves Buisson a, Jean-Louis Koeck b

L a medecine tropicale a-t-elle besoin de laboratoires ? Par definition autre, Iointaine et demunie, ne doit-elle passe contenter de ce qu'ajoutent les organisations

caritatives internationales et les bonnes volontes individuelles aux maigres ressources locales ? Reponse absurde & une question aussi saugrenue que la formule revolution- naire ,, La Republique n'a pas besoin de savants ,,. Face & I'expansion ou & I'emergence des maladies infectieuses, les regions tropicales ont plus que toutes autres besoin des progres de la biologie, aussi bien pour la prise en charge individuelle des patients que pour la lutte contre les maladies endemiques et epidemiques : sans laboratoire, la sante publique d'un pays tropical est aveugle.

Cette reflexion a pris naissance des les premiers temps de la biologie moderne, Iorsque Pasteur envoyait ses eleves creer des instituts de ,, microbie ,, aux quatre coins du monde. Parmi ces pionniers, nombreux sont ceux dont le nom reste attache & des decouvertes majeures dont I'impact sera mondial. [.'article de Philippe Buchy montre comment ces laboratoires, aujourd'hui organises en Reseau international des Instituts Pasteur, s'efforcent de repondre aux besoins des populations en zone tropicale. Gr&ce aux moyens actuels de communication, le fonctionnement en reseau permet d'ameliorer les performances des laboratoires & co0t egal. Christian Mathiot presente I'initiative de I'Organisation mondiale de la Sante invitant les structures du Nord et du Sud & se jumeler pour mieux detecter et donc mieux prevenir les emergences et les epidemies de maladies infectieuses. Pour autant, les techniques de haut niveau sont-elles vouees & rester I'apanage des pays industrialises ? Abusivement considere comme une panacee pendant plusieurs decen- nies, le transfert de technologie peut reussir Iorsqu'il est bien prepare et realise confor- mement & des objectifs clairement definis. C'est ce que montre I'experience rapportee par Berthe-Marie Njanpop-Lafourcade dans la surveillance des meningites bacteriennes aigues en Afrique de I'Ouest.

a Institut de medecine tropicale du Service de Sant6 des Armies Le Pharo - B.P. 46 13998 Marseille Arrnees ybuisson@filnet,fr

b Laboratoire de biologie clinique H6pital d'lnstruction des Armees Robert-Picque 351, route de Toulouse - B.P. 28 33998 Bordeaux Arrnees [email protected]

© Elsevier SAS.

Revue Frangaise des Laboratoires, avri12005, N ° 372 1 9

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Le laboratoire en zone tropicale

Souvent sollicite pour des zoonoses, le laboratoire tropical est aussi v6t6rinaire. Jean-Lou Marie propose des solutions pour surmonter les difficultes rencontrees dans la mise en oeuvre du diagnostic biologique de la rage en milieu tropical.

Preoccupation recurrente de tout laboratoire isole, I'acheminement d'6chantillons bio- Iogiques ou d'agents pathogenes en culture vers un laboratoire de reference reste une entreprise hasardeuse et parfois impossible. II etait necessaire de faire le point sur la reglementation du transport des ~, matieres infectieuses ,~. La mise & jour effectuee par Christophe Lecullier montre que les r~gles en vigueur ne devraient pas faire obstacle aux envois justifies.

On ne pouvait passer sous silence les laboratoires de premier niveau, couramment appeles laboratoires de brousse. Ce sont les plus sensibles, car ils fonctionnent au plus pros des populations rurales, mais ce sont aussi les plus defavorises. La r6flexion sur la mise en place de tels laboratoires est d'autant plus importante que les moyens sont comptes. Riche d'une experience au sein de I'association ,, Biologie Sans Frontieres ,,, Yves Gille livre ses observations personnelles et souligne la preponderance du facteur humain et de la motivation individuelle.

On ne part pas sous les tropiques sans preparation, surtout pour exercer des activit6s de biologiste. Une formation prealable permet d'eviter beaucoup d'erreurs et de deconvenues. I~ric Garnotel en presente un programme destine aux medecins appel6s

servir en zone tropicale.

La lecture de ces temoignages, provenant de plumes et de sensibilites differentes, permet de recentrer la problematique du laboratoire en zone tropicale autour de quelques parametres fondamentaux : la cooperation Nord-Sud, I'adaptation des techniques aux ressources et aux besoins reels, I'assurance qualite et la formation. La biologie sous les tropiques ne doit pas ~tre transposee a partir des pays industrialises au risque de commettre une grave erreur tant au plan scientifique que socio-6conomique. Elle doit etre repensee, ou mieux, reinvent6e, avec un souci d'efficience et de pragmatisme. Les fabricants d'automates et de reactifs de laboratoire doivent etre associes & cette reflexion et incites & developper des tests repondant aux criteres de conservation, d'utilisation et de coQt specifiques aux laboratoires des pays du Sud. Cette demarche vertueuse pourrait aussi faire reconsiderer I'exercice de la biologie medicale dans les pays du Nord avec un nouveau regard. La biologie tropicale etait pionni~re au temps de Pasteur ; elle pourrait aujourd'hui nous aider & relever nos propres defis.

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