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© L’Encéphale, Paris, 2011. Tous droits réservés. L’Encéphale (2011) Supplément 2, S155–S160 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep Quelles perspectives pour la remédiation cognitive dans la schizophrénie ? What perspectives for cognitive remediation in schizophrenia ? N. Correard* (a) , P. Mazzola-Pomietto (b) , S.-N. Elissalde (a) , N. Viglianese-Salmon (a) , E. Fakra (a) , J.-M. Azorin (a) (a) Pôle universitaire de psychiatrie, hôpital Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 09, France (b) Université d’Aix-Marseille, CNRS, UMR 6193, INCM, 31, chemin Joseph Aiguier, 13402 Marseille cedex 20, France Résumé La schizophrénie est associée à des déficits cognitifs variés qui affectent les capacités fonctionnelles des patients : relations sociales, insertion professionnelle, activités de la vie quotidienne. Les troubles cognitifs interviennent également dans le développement de certains types de symptômes cliniques (délires, hallucinations). Les traitements pharmacologiques ont une efficacité modeste sur les déficits cognitifs. Pour faire face à ces déficits, une prise en charge de type cognitif a vu le jour et différents programmes ont été développés. Des résultats prometteurs en termes d’amélioration des fonctionnements cognitif et psychosocial ont été obtenus. L’intérêt se porte actuellement sur la mise en évidence de nouveaux facteurs qui permettraient de potentialiser les effets de la remédiation cognitive sur le fonctionnement cognitif et psychosocial mais également sur les symptômes. Parmi les facteurs étudiés, la motivation intrinsèque est actuellement une cible de traitement en remédiation cognitive dans la mesure où elle est un médiateur de la relation entre fonctionnement cognitif et fonctionnement psychosocial dans la schizophrénie. © L’Encéphale, Paris, 2011. * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] MOTS CLÉS Schizophrénie ; Neurocognition ; Motivation intrinsèque ; Fonctionnement psychosocial ; Remédiation cognitive KEYWORDS Schizophrenia; Neurocognition; Intrinsic motivation; Psychosocial functioning; Cognitive remediation Summary Cognitive deficits are routinely evident in schizophrenia, and are of sufficient magnitude to influence functional outcomes in work, social functioning and illness management. Cognitive remediation is an evidenced-based non-pharmacological treatment for the neurocognitive deficits seen in schizophrenia. Narrowly defined, cognitive remediation is a set of cognitive drills or compensatory interventions designed to enhance cognitive functioning, but from the vantage of the psychiatric rehabilitation field, cognitive remediation is a therapy which engages the patient in learning activities that enhance the neurocognitive skills relevant to their chosen recovery goals. Cognitive remediation programs vary in the extent to which they reflect these narrow or broader perspectives but a meta- analytic study reports moderate range effect sizes on cognitive test performance, and daily functioning. Reciprocal interactions between baseline ability level, the type of instructional techniques used, and motivation provide some explanatory power for the heterogeneity in patient response to cognitive remediation. Recent studies indicate that intrinsic motivation mediates the relationship between neurocognition and functional outcomes. Results of these studies suggest that intrinsic motivation should be a viable treatment target in cognitive remediation intervention. In this perspective, NEAR (Neuropsychological Educational Approach to Remediation) program was created to enhance intrinsic motivation by employing more engaging and interesting software packages for cognitive practice, involving consumers in choosing the focus of training and having the NEAR leader serve as a coach to engage the consumers in active guidance of their own treatment program. © L’Encéphale, Paris, 2011.

Quelles perspectives pour la remédiation cognitive dans la schizophrénie ?

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L’Encéphale (2011) Supplément 2, S155–S160

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journa l homepage: www.el sev ier .com/locate/encep

Quelles perspectives pour la remédiation cognitive dans la schizophrénie ?What perspectives for cognitive remediation in schizophrenia ?

N. Correard*(a), P. Mazzola-Pomietto(b), S.-N. Elissalde(a), N. Viglianese-Salmon(a), E. Fakra(a), J.-M. Azorin(a)

(a) Pôle universitaire de psychiatrie, hôpital Sainte-Marguerite, 13274 Marseille cedex 09, France (b) Université d’Aix-Marseille, CNRS, UMR 6193, INCM, 31, chemin Joseph Aiguier, 13402 Marseille cedex 20, France

Résumé La schizophrénie est associée à des déficits cognitifs variés qui affectent les capacités fonctionnelles des patients : relations sociales, insertion professionnelle, activités de la vie quotidienne. Les troubles cognitifs interviennent également dans le développement de certains types de symptômes cliniques (délires, hallucinations). Les traitements pharmacologiques ont une efficacité modeste sur les déficits cognitifs. Pour faire face à ces déficits, une prise en charge de type cognitif a vu le jour et différents programmes ont été développés. Des résultats prometteurs en termes d’amélioration des fonctionnements cognitif et psychosocial ont été obtenus. L’intérêt se porte actuellement sur la mise en évidence de nouveaux facteurs qui permettraient de potentialiser les effets de la remédiation cognitive sur le fonctionnement cognitif et psychosocial mais également sur les symptômes. Parmi les facteurs étudiés, la motivation intrinsèque est actuellement une cible de traitement en remédiation cognitive dans la mesure où elle est un médiateur de la relation entre fonctionnement cognitif et fonctionnement psychosocial dans la schizophrénie.© L’Encéphale, Paris, 2011.

* Auteur correspondant.E-mail : [email protected]

MOTS CLÉSSchizophrénie ; Neurocognition ; Motivation intrinsèque ; Fonctionnement psychosocial ; Remédiation cognitive

KEYWORDSSchizophrenia; Neurocognition; Intrinsic motivation; Psychosocial functioning; Cognitive remediation

Summary Cognitive deficits are routinely evident in schizophrenia, and are of sufficient magnitude to influence functional outcomes in work, social functioning and illness management. Cognitive remediation is an evidenced-based non-pharmacological treatment for the neurocognitive deficits seen in schizophrenia. Narrowly defined, cognitive remediation is a set of cognitive drills or compensatory interventions designed to enhance cognitive functioning, but from the vantage of the psychiatric rehabilitation field, cognitive remediation is a therapy which engages the patient in learning activities that enhance the neurocognitive skills relevant to their chosen recovery goals. Cognitive remediation programs vary in the extent to which they reflect these narrow or broader perspectives but a meta-analytic study reports moderate range effect sizes on cognitive test performance, and daily functioning. Reciprocal interactions between baseline ability level, the type of instructional techniques used, and motivation provide some explanatory power for the heterogeneity in patient response to cognitive remediation. Recent studies indicate that intrinsic motivation mediates the relationship between neurocognition and functional outcomes. Results of these studies suggest that intrinsic motivation should be a viable treatment target in cognitive remediation intervention. In this perspective, NEAR (Neuropsychological Educational Approach to Remediation) program was created to enhance intrinsic motivation by employing more engaging and interesting software packages for cognitive practice, involving consumers in choosing the focus of training and having the NEAR leader serve as a coach to engage the consumers in active guidance of their own treatment program.© L’Encéphale, Paris, 2011.

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Introduction

Le faible fonctionnement social et professionnel, observé dans la schizophrénie, est à l’origine d’une diminution de la qualité de vie et limite significativement l’étendue du réta-blissement [35, 24]. Il est actuellement établi que les per-turbations cognitives affectent les capacités fonctionnelles des patients atteints de schizophrénie, c’est-à-dire l’acqui-sition de compétences dans les activités de la vie quoti-dienne (avec un impact sur la vie sociale et professionnelle) l’acquisition de compétences psycho-sociales (affirmation de soi, compétences en communication verbale et non ver-bale) et la résolution de problèmes interpersonnels [9, 10, 15, 19, 36, 41, 11, 49, 14]. De plus, elles semblent intervenir dans le développement de certains types de symptômes cli-niques tels que la désorganisation de la pensée, les idées délirantes, et les hallucinations [3, 17]. Sept domaines cogni-tifs déficitaires ont été identifiés dans la schizophrénie : Vitesse de traitement ; Attention vigilance ; Mémoire de tra-vail ; Apprentissage et mémoire verbale ; Apprentissage et mémoire visuelle ; Raisonnement et résolution de problème ; Cognition sociale [34]. Les traitements pharmacologiques semblent avoir une efficacité modeste sur les déficits cogni-tifs [43]. Ces données ont contribué, au cours des quarante dernières années, au développement d’une prise en charge de type cognitif qui fait actuellement partie intégrante du processus de réhabilitation psychosociale [29].

La remédiation cognitive dans la schizophrénie

La remédiation cognitive consiste à entraîner les fonctions cognitives altérées (mémoire, attention, fonctions exécuti-ves) mais aussi des fonctions plus complexes (telles que la théorie de l’esprit ou le monitoring de la source) sur les-quelles les médicaments et les psychothérapies exercent une influence modeste. Cependant, la prise en charge des déficits cognitifs doit être intégrative. La remédiation cognitive, ne vient pas se substituer aux traitements médi-camenteux ni à la psychothérapie, mais vient compléter leurs effets. Ses trois formes de traitement, semblent agir à des niveaux différents (Fig. 1).

En effet, la remédition cognitive cible des processus cognitifs qui ne peuvent être réduits à l’expression du dysfonctionnement neurochimique accessible aux neurolep-tiques ni aux contenus de pensées modifiés par la psychothé-rapie [7]. Cette démarche rééducative vise des améliorations complémentaires à celles observées en psychothérapie ou au cours de traitements pharmacologiques. L’utilisation de tel-les stratégies de remédiation cognitive a pour ambition de permettre aux patients d’améliorer leur autonomie, leurs capacités à interagir avec l’environnement, et à retrouver une vie sociale et professionnelle plus satisfaisante.

Les programmes de remédiation cognitive sont très hété-rogènes et différents sur plusieurs points. Actuellement deux approches principales sont distinguées [46]. La première, « orientée vers les processus », compte deux stratégies. La stratégie de restauration entraîne de manière intensive un ou

plusieurs processus déficitaires grâce à la réalisation de tâches soigneusement hiérarchisées dans le but de restaurer les connexions neuro-anatomiques liées aux fonctions cognitives entraînées [52, 18]. La stratégie de réorganisation consiste à enseigner des stratégies alternatives en s’appuyant sur les fonctions préservées. La seconde approche consiste en la mise en œuvre d’aides externes (agenda, systèmes d’alarmes, etc.) et l’aménagement de l’environnement du patient dans le but de compenser ses déficits cognitifs. Les programmes de remédiation cognitive diffèrent également par le matériel qu’ils utilisent (format papier, vidéo, interface informatisée et/ou jeux de rôle), la visée thérapeutique (cognitive, psy-chosociale et/ou symptomatique), le type d’application (en groupe, individuelle, assistée par ordinateur), le rythme (1 à 3 séances hebdomadaires) la durée des séances (de 15 à 60 minutes) et la durée du programme. Malgré cette hétéro-généité les praticiens s’accordent sur plusieurs points.

D’une part, la nécessité de réaliser un bilan neuropsy-chologique et clinique avant toute inclusion dans un pro-gramme de remédiation cognitive. Ce bilan, en caractérisant les possibilités du patient, permet d’adapter la remédia-tion cognitive et, dans le cadre plus général du projet de réinsertion sociale et professionnelle, d’établir un projet cohérent et réaliste pour chaque patient. Il permet égale-ment d’évaluer l’efficacité de la prise en charge si diffé-rentes mesures sont effectuées. Enfin, lors de la restitution du compte rendu de bilan, il permet aux patients de mieux appréhender leur maladie en établissant des liens entre déficits cognitifs, symptômes et fonctionnement psychoso-cial (visée psycho-éducative).

D’autre part, la remédiation cognitive doit être admi-nistrée le plus précocement possible dans le décours de la maladie. Chez les patients dont l’entrée dans la schizoph-rénie ne se manifeste pas par une crise brutale, elle est utilisable d’emblée, pour les autres, il est recommandé que leur état clinique soit stable.

Efficacité de la remédiation cognitive dans la schizophrénie

une méta-analyse conduite à partir de 26 études [21] montre que la remédiation cognitive améliore le fonction-nement cognitif global et, plus spécifiquement, dans

Figure 1 Les différents niveaux d’action des traitements de la schizophrénie (Demily et Franck, 2008).

Niveau clinique

Niveau cognitif

Niveau cérébral

Psychothérapie

Remédiation cognitive

Neuroleptiques

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6 domaines de la cognition : attention/vigilance ; vitesse de traitement ; mémoire de travail verbale ; apprentissage et mémoire verbale ; raisonnement ; résolution de pro-blème ; cognition sociale. Néanmoins, il ne semble pas qu’il y ait un lien entre le nombre d’heures d’entraînement et l’amplitude de l’amélioration du fonctionnement cogni-tif global : 15 heures d’entraînement permettraient d’atteindre l’amélioration maximale. Pour le domaine « apprentissage et mémoire verbale », les résultats mon-trent une hétérogénéité significative des effets de la remé-diation cognitive qui semble s’expliquer de deux façons. En effet, les résultats montrent que pour ce domaine, plus le nombre d’heures de remédiation cognitive est important, plus son effet est important et, d’autre part, que les stra-tégies de restauration sont plus efficaces que les stratégies de réorganisation. Par ailleurs, les travaux de recherche utilisant une approche longitudinale, qui se sont intéressés aux effets à long terme (période de 8 mois en moyenne) de la remédiation cognitive, ont montré un maintien de l’amé-lioration du fonctionnement cognitif global au follow-up [28, 13, 44, 8, 35, 53]. Les résultats de la méta-analyse montrent également que la remédiation cognitive a un effet relativement limité sur les symptômes comme en témoigne la faible taille d’effet (0,28) de la remédiation cognitive sur l’amélioration de la symptomatologie. Enfin, pour le fonctionnement psychosocial, la méta-analyse mon-tre deux choses. D’une part, que la remédiation cognitive améliore modérément le fonctionnement psychosocial. Elle semble favoriser l’obtention et le maintien d’emplois com-pétitifs [20, 48], l’augmentation de la qualité et de la satis-faction dans les relations interpersonnelles [13] et l’augmentation des habiletés de résolution de problèmes interpersonnels [42]. D’autre part, que les effets de la remédiation cognitive sur le fonctionnement psychosocial sont significativement variables d’une étude à l’autre. Deux résultats semblent rendre compte de cette variabilité. Premièrement, les programmes de remédiation cognitive associés à de la réhabilitation psychosociale sont plus effi-caces pour améliorer le fonctionnement psychosocial que la remédiation cognitive seule. Deuxièmement, les straté-gies de réorganisation ont montré une plus grande effica-cité que les stratégies de restauration dans la mesure où elle permettrait un meilleur transfert des acquis vers la vie quotidienne [54].

De plus en plus, les chercheurs s’intéressent aux fac-teurs qui permettraient de maximiser les effets de la remé-diation cognitive. Certains auteurs proposent de la conceptualiser comme une activité d’apprentissage au cours de laquelle les individus apprennent à être attentif, à résoudre des problèmes, à traiter l’information rapide-ment et à se souvenir mieux [26]. Il est actuellement reconnu que l’apprentissage résulte de l’interaction d’au moins trois facteurs : les capacités cognitives, les techni-ques d’instruction, la motivation [40].

Neurocognition, motivation intrinsèque et fonctionnement psychosocial

Vallerand et Till [45] définissent la motivation comme des forces internes ou externes qui engendrent l’initiation, la direction, l’intensité et la persistance du comportement. Deci et Ryan [5] dans leur théorie de l’autodétermination distinguent deux types de motivation. D’une part, la moti-vation intrinsèque qui conduit à pratiquer une activité pour le plaisir et la satisfaction que l’on en retire ou le senti-ment de compétence et d’autodétermination (i.e., besoin de se percevoir comme la cause principale de son compor-tement et de pouvoir choisir ses comportements) qu’elle procure. D’autre part, la motivation extrinsèque pousse l’individu à agir dans l’intention d’obtenir une conséquence qui se trouve en dehors de l’activité même (Exemple : recevoir une récompense, éviter de se sentir coupable, gagner l’approbation). Un grand nombre de travaux indi-quent que dans un environnement d’apprentissage donné, la motivation intrinsèque est corrélée à un meilleur appren-tissage qui est associé à un engagement plus important dans les activités d’apprentissage et une rétention plus lon-gue des acquis. Elle s’avère également associée à la créati-vité et à une bonne estime de soi [6].

Sans motivation, une personne devient apathique, pas-sive, inerte, insensible [27]. Dans la schizophrénie, il est observé un déficit motivationnel et notamment de motiva-tion intrinsèque, qui est présent à des degrés variables chez les patients. Ce déficit influence leur capacité à initier et maintenir des comportements d’apprentissage. Des études récentes ont montré que la motivation intrinsèque est un médiateur de la relation entre neurocognition et fonctionne-ment psychosocial dans la schizophrénie [4, 31, 1].

Ainsi, Nakagami et ses collaborateurs [32], ont obtenu plusieurs résultats dans une étude longitudinale portant sur 130 patients souffrant de schizophrénie ou de trouble schi-zoaffectif. Tout d’abord, ils montrent que la neurocognition est à l’origine d’une amélioration du fonctionnement psy-chosocial mais pas l’inverse, ce qui vient confirmer l’intérêt de développer et pratiquer la remédiation cognitive dans la schizophrénie. Ensuite, ils trouvent que le fonctionnement neurocognitif et le niveau de motivation intrinsèque, éva-lués avant l’insertion dans un programme de réhabilitation psychosociale, sont corrélés. Par contre, ils n’ont pas trouvé de corrélation significative entre le fonctionnement neuro-cognitif, évalué avant insertion dans le programme de réha-bilitation psychosociale, et l’amplitude de l’amélioration de

Figure 2 Modèle de l’apprentissage en interaction réciproque (Schunk et Zimmerman, 2008).

Instruction Motivation

Capacités cognitives

Apprentissage

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pour un individu donné et doit coïncider avec ses intérêts. La contextualisation, suggère que les exercices doivent être insérés dans un contexte en lien avec les pratiques de la vie quotidienne afin de faciliter le processus de trans-fert. Enfin, le choix sous-tend que l’apprenant doit avoir la possibilité de faire des choix au sein de l’activité d’appren-tissage (choix du niveau de difficulté, de la tâche d’appren-tissage…).

Le programme NEAR (Neuropsychological Educational Approach to Remediation) développé par Medalia et ses collaborateurs [24] a été conçu pour promouvoir la motiva-tion intrinsèque à l’aide des trois variables du contexte social. Les études ont montré que ce programme améliore : les capacités de résolution de problèmes [22], le fonction-nement professionnel [4] l’autonomie [23] et la symptoma-tologie [37, 2, 22] chez des patients hospitalisés souffrant de schizophrénie ou de troubles schizoaffectifs. La contex-tualisation, la personnalisation et l’opportunité de faire des choix semblent permettre aux patients souffrant de schizophrénie d’acquérir plus d’habiletés sociales, de déve-lopper une plus grande motivation intrinsèque dans la réa-lisation des exercices, de se sentir plus compétents, de faire preuve d’une meilleure ressource attentionnelle contrairement à un groupe de patients qui n’ont pas béné-ficié de ses techniques d’instruction [4].

Dans les pays francophones, de plus en plus de program-mes de remédiation cognitive cherchent également à déve-lopper la motivation intrinsèque en prenant en compte ces variables de contexte social. Notamment, le programme RECOS (Remédiation cognitive pour patients présentant une schizophrénie ou un trouble associé) qui a été déve-loppé en français par une équipe suisse [50]. Ce programme cible les déficits cognitifs spécifiques à chaque patient et les mets en lien avec la symptomatologie clinique et les répercutions fonctionnelles. Il débute par une phase d’éva-luation : cognitive (tests cognitifs standardisés), clinique (symptomatologie, estime de soi, plaintes cognitives sub-jectives, troubles du cours de la pensée, adaptation sociale) et fonctionnelle (analyse des difficultés quotidiennes). Ensuite, une séance de psycho-éducation est réalisée durant laquelle des objectifs individualisés sont définis. Le programme de remédiation cognitive en tant que tel est composé de cinq modules informatisés (raisonnement, mémoire verbale, mémoire et attention visuo-spatiale, mémoire de travail et l’attention sélective) dont un sixième, portant sur la mémoire de la source, est en cours de développement. Avant la mise en œuvre des exercices informatisés, des exercices de type papier-crayon sont d’abord préconisés pour permettre au patient et au théra-peute de développer des stratégies de résolution de pro-blèmes. Celles-ci sont ensuite mises en application par le patient durant des exercices informatisés. La motivation du patient est sollicitée par des informations psycho-édu-catives (pour une meilleure compréhension de l’intérêt de la remédiation cognitive) et les objectifs personnels, par une prise en charge individuelle et personnalisée, par le niveau croissant de difficulté des exercices (renforcement positif) et par des feedbacks automatisés.

la motivation intrinsèque sur une période de 12 mois. Ceci implique que la motivation intrinsèque est un processus dynamique qui peut évoluer indépendamment du fonction-nement neurocognitif et que les individus souffrant de schi-zophrénie peuvent améliorer leur motivation intrinsèque même s’ils ont un faible niveau de fonctionnement neuroco-gnitif. De plus, des niveaux plus élevés de motivation intrin-sèque (avant insertion dans le programme de réhabilitation psychosociale) sont corrélés à une amélioration plus impor-tante de la neurocognition au cours du temps. Ainsi, sur le plan clinique, la remédiation cognitive devrait également chercher à améliorer la motivation intrinsèque dans la mesure où il semblerait que l’amélioration de la motivation intrinsèque conduise à une amplitude de changement neuro-cognitif plus importante ce qui favoriserait un changement fonctionnel plus important.

En conséquence, la neurocognition et l’amotivation sont actuellement considérées comme des cibles privilégiées de traitement pour améliorer le fonctionnement [31].

Motivation intrinsèque et remédiation cognitive

Dans un contexte éducatif donné, trois variables de contexte social peuvent influencer la motivation intrinsèque pour apprendre : l’environnement général d’apprentissage, le contexte interpersonnel et les techniques d’instruction.

Le contexte interpersonnel et l’environnement général d’apprentissage font respectivement référence à la rela-tion entre apprenant et enseignant et à la nature du contexte dans lequel cette relation prend place [39]. Si les individus évoluent dans un contexte d’apprentissage où la surveillance est importante, où les buts à atteindre sont imposés, où une certaine pression est instaurée par la mise en compétition, l’utilisation de punitions, de dates limites et de commentaires autoritaires, il réduira l’autonomie, le sentiment d’autodétermination et la motivation [38]. Ce type de contexte induit également un comportement de passivité, un déclin de la persévérance dans les activités d’apprentissage [47]. À l’inverse, les contextes d’appren-tissage qui minimisent les renforçateurs externes, qui lais-sent plus de liberté et qui prennent en compte les possibilités de chaque apprenant, permettent de dévelop-per la motivation intrinsèque, un meilleur apprentissage et le bien être [47]. Dans le cadre de la remédiation cogni-tive, il est donc important de favoriser le développement d’un environnement de soutien à l’autonomie dans lequel les praticiens soutiennent, guident et contribuent à faire émerger le désir d’apprendre.

Les techniques d’instruction sont également détermi-nantes pour développer la motivation intrinsèque vis-à-vis de l’apprentissage. Ces techniques au nombre de trois (la personnalisation, la contextualisation et le choix) peuvent être utilisées au cours d’une activité d’apprentissage spé-cifique où bien dans le plan global de traitement. La per-sonnalisation préconise qu’une tâche ou un environnement d’apprentissage soit élaboré ou adapté spécifiquement

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Conclusion

La remédiation cognitive a montré son efficacité pour amé-liorer le fonctionnement cognitif des patients souffrant de schizophrénie. Mais la prise en charge des déficits cognitifs doit se faire dans le cadre d’un traitement intégratif alliant traitement pharmacologique, remédiation cognitive et psy-chothérapie. Quelques études longitudinales montrent que l’amélioration perdure sur une période de 8 mois environ. Le nombre limité de ces études pointe la nécessité de pour-suivre la recherche sur les effets à long terme de la remé-diation cognitive. La variété des méthodes utilisées dans ces programmes d’intervention laisse penser qu’il serait utile d’analyser de façon systématique les indications spé-cifiques de chaque composante en fonction de différents objectifs d’intervention. En effet, la meta-analyse de McGurk et al. [21] montre que le choix de la stratégie de remédiation et la durée du programme doit dépendre de l’objectif visé par la remédiation cognitive. Les effets plus modestes observés sur le fonctionnement psychosocial et la symptomatologie soulignent le besoin de continuer à conce-voir des programmes qui auront plus d’efficacité sur le fonctionnement psychosocial ou les symptômes, en prenant en compte d’autres facteurs qui permettraient de potenti-aliser les effets de la remédiation cognitive. La prise en compte de la motivation intrinsèque, qui est un médiateur de la relation entre la neurocognition et le fonctionnement psychosocial semble être une piste intéressante.

Déclarations d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts.

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