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Rev Francoph Psycho-Oncologie (2004) Numéro 3 : 151-155 © Springer 2004 DOI 10.1007/s10332-004-0023-5 Quelques livres pour enfants et leurs parents Some books for children and their parents N. Bendrihen Nicolas Bendrihen () Psychologue clinicien Unité de psycho-oncologie Institut Gustave Roussy - F-94805 Villejuif Cedex, France Tél. : 33 (0)1 42 11 46 30 - Fax : 33 (0)1 42 11 52 10 E-mail : [email protected] Il existe de nombreux livres pour enfants traitant de la ques- tion de la mort, plus rares cependant sont ceux qui abordent la maladie d’un des parents, et encore plus directement du cancer quand il touche une famille. Dans la sélection qui suit, nous avons donc au maximum privilégié notre sujet (l’arrivée du cancer chez un des parents et le vécu d’un tel événement côté enfant), mais sans pour autant tenir à l’écart des ouvrages traitant d’une autre affection, ou même traitant de la disparition du parent malade et du difficile temps du deuil qui le suit. Puisque, à notre sens, la littérature, qu’elle soit enfantine ou non, permet de mettre au jour un question- nement latent, mais aussi de transmettre une expérience et une manière de la traverser, il nous a semblé important de faire figurer dans cette revue des ouvrages connexes au sujet défini. Dans le vif de notre sujet figure le livre de Sophie Leblanc (1999), Un dragon dans le cœur. L’auteur, elle-même atteinte d’un can- cer du sein, a écrit ce livre directement en pensant à sa fille. C’est dire la volonté didac- tique d’un tel ouvrage dans son texte et ses illustrations, à la fois sur le cancer lui-même (mécanisme des bonnes et mau- vaises cellules, principe d’action de la chimiothérapie…), mais aussi sur le versant psychologique du vécu de la mala- die chez la petite héroïne, Laura. Plusieurs thèmes sont là balayés : la colère contre les bouleversements créés par la maladie, le sentiment de culpabilité que peut éprouver l’enfant (s’incluant comme cause de la maladie, et même en refusant d’aller voir sa mère à l’hôpital), l’angoisse qui accompagne désormais l’enfant dans la nouvelle situation. Ces sentiments sont ici incarnés par un monstre, support de l’angoisse et des pensées négatives de l’enfant. Quand les cauchemars deviendront trop envahissants (au cours d’un séjour prolongé de la maman à l’hôpital pour le traitement de complications), la grand-mère de Laura lui offrira ce que son propre grand-père lui avait offert à son âge : un petit ange en bois pour veiller sur son sommeil et éloigner le plus possible les cauchemars. L’ange produit l’effet attendu en matérialisant la lignée familiale (le grand-père de sa grand- mère) au moment où la crainte de la cassure du lien phy- sique entre Laura et sa mère est maximale. Ainsi armée, Laura peut venir à bout d’un cauchemar particulièrement violent, qui fait place à un dragon enjoignant à la petite fille de profiter dorénavant de chaque instant avec sa maman, dans l’incertitude que laisse le cancer à chaque malade. Véri- table épreuve traversée avec courage par Laura, celle-ci reçoit maintenant les félicitations du dragon : « Tu sais, dans chaque gros cauchemar se cache un dragon magique, comme moi, qui t’aidera toujours à grandir. » Ce livre peut-être lu par des enfants de 8 ans, mais son texte assez long le rend certainement difficile pour les enfants plus jeunes. Une lecture accompagnée des parents sera, quel que soit l’âge, profitable, du fait de la multiplicité des thèmes abordés et des discussions qui peuvent en naître. De plus, même si la thématique de l’ange peut être empreinte pour certains de religiosité, elle aide à construire quelque chose pour ne pas rester impuissant face au malheur qui frappe. Cela sera d’ailleurs un peu le fil rouge de notre revue de la littérature pour enfants : quelle solution chacun invente pour traverser une expérience aussi éprouvante que la mala- die ou l’absence d’un des parents ? On reprochera cependant la volonté d’exhaustivité de l’auteur qui nuit à la dynamique de l’histoire, la volonté de faire figurer tous les aspects psychologiques, toutes les réac- tions chez la petite Laura, dilue un peu le vécu individuel particulier. LIVRES & VIDÉOS Dossier : « Parent malade : l’enfant et la vérité »

Quelques livres pour enfants et leurs parents

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Rev Francoph Psycho-Oncologie (2004) Numéro 3 : 151-155© Springer 2004DOI 10.1007/s10332-004-0023-5

Quelques livres pour enfants et leurs parents

Some books for children and their parents

N. Bendrihen

Nicolas Bendrihen (�)Psychologue clinicienUnité de psycho-oncologieInstitut Gustave Roussy - F-94805 Villejuif Cedex, FranceTél. : 33 (0)1 42 11 46 30 - Fax : 33 (0)1 42 11 52 10E-mail : [email protected]

Il existe de nombreux livres pour enfants traitant de la ques-tion de la mort, plus rares cependant sont ceux qui abordentla maladie d’un des parents, et encore plus directement ducancer quand il touche une famille. Dans la sélection quisuit, nous avons donc au maximum privilégié notre sujet(l’arrivée du cancer chez un des parents et le vécu d’un telévénement côté enfant), mais sans pour autant tenir à l’écartdes ouvrages traitant d’une autre affection, ou même traitantde la disparition du parent malade et du difficile temps dudeuil qui le suit. Puisque, à notre sens, la littérature, qu’ellesoit enfantine ou non, permet de mettre au jour un question-nement latent, mais aussi de transmettre une expérience etune manière de la traverser, il nous a semblé important defaire figurer dans cette revue des ouvrages connexes au sujetdéfini.

Dans le vif de notre sujet figure le livrede Sophie Leblanc (1999), Un dragon dans lecœur. L’auteur, elle-même atteinte d’un can-cer du sein, a écrit ce livre directement enpensant à sa fille. C’est dire la volonté didac-

tique d’un tel ouvrage dans son texte et ses illustrations, à lafois sur le cancer lui-même (mécanisme des bonnes et mau-vaises cellules, principe d’action de la chimiothérapie…),mais aussi sur le versant psychologique du vécu de la mala-die chez la petite héroïne, Laura. Plusieurs thèmes sont làbalayés : la colère contre les bouleversements créés par lamaladie, le sentiment de culpabilité que peut éprouver l’enfant (s’incluant comme cause de la maladie, et même enrefusant d’aller voir sa mère à l’hôpital), l’angoisse qui

accompagne désormais l’enfant dans la nouvelle situation.Ces sentiments sont ici incarnés par un monstre, support del’angoisse et des pensées négatives de l’enfant. Quand lescauchemars deviendront trop envahissants (au cours d’unséjour prolongé de la maman à l’hôpital pour le traitementde complications), la grand-mère de Laura lui offrira ce queson propre grand-père lui avait offert à son âge : un petitange en bois pour veiller sur son sommeil et éloigner le pluspossible les cauchemars. L’ange produit l’effet attendu enmatérialisant la lignée familiale (le grand-père de sa grand-mère) au moment où la crainte de la cassure du lien phy-sique entre Laura et sa mère est maximale. Ainsi armée,Laura peut venir à bout d’un cauchemar particulièrementviolent, qui fait place à un dragon enjoignant à la petite fillede profiter dorénavant de chaque instant avec sa maman,dans l’incertitude que laisse le cancer à chaque malade. Véri-table épreuve traversée avec courage par Laura, celle-cireçoit maintenant les félicitations du dragon : « Tu sais, danschaque gros cauchemar se cache un dragon magique, commemoi, qui t’aidera toujours à grandir. »

Ce livre peut-être lu par des enfants de 8 ans, mais sontexte assez long le rend certainement difficile pour lesenfants plus jeunes. Une lecture accompagnée des parentssera, quel que soit l’âge, profitable, du fait de la multiplicitédes thèmes abordés et des discussions qui peuvent en naître.De plus, même si la thématique de l’ange peut être empreintepour certains de religiosité, elle aide à construire quelquechose pour ne pas rester impuissant face au malheur quifrappe. Cela sera d’ailleurs un peu le fil rouge de notre revuede la littérature pour enfants : quelle solution chacun inventepour traverser une expérience aussi éprouvante que la mala-die ou l’absence d’un des parents ?

On reprochera cependant la volonté d’exhaustivité del’auteur qui nuit à la dynamique de l’histoire, la volonté defaire figurer tous les aspects psychologiques, toutes les réac-tions chez la petite Laura, dilue un peu le vécu individuelparticulier.

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Aussi utile aux parents qu’accessible auxenfants, Anatole l’a dit ! de Katrine Leverve(2004), avec la collaboration de Nicole Landry-Dattée et de Marie-France Delaigue-Cosset, aborde l’arrivée du cancer dans unefamille. On en trouvera un compte-rendu

détaillé par Marie-Frédérique Bacqué dans ce même numérode la Revue francophone de psycho-oncologie.

Pas spécifiquement destiné aux enfants, mais visant directe-ment à une meilleure communication entre parents maladeset enfants, toujours par Nicole Landry-Dattée et Marie-France Delaigue-Cosset (à paraître en janvier 2005), L’enfantface au cancer d’un parent 1 offre, par le biais de vignettes cli-niques précises, une multitude de pistes de réflexion auxparents qui voudraient parler à leurs enfants de la maladie,mais qui redoutent les effets d’une telle annonce. Les auteursinvitent à voir plus loin : derrière les symptômes et les modi-fications de comportements que présentent les enfants, maisaussi derrière les idées préconçues incitant à taire la véritéaux enfants sous le prétexte de les protéger. Les nombreusessituations décrites montrent que l’enfant acquiert, qu’on luien parle ou non, un savoir sur l’événement. Sans explicationdes parents, ce savoir reste cependant lourd de fantasmes etde craintes plus ou moins rationnels. Utile également auxprofessionnels, cet ouvrage nous fait pénétrer au cœur de larelation thérapeutique tantôt avec l’enfant, tantôt avec leparent, mais aussi à l’intérieur des groupes de parole animésdepuis dix ans par les auteurs à l’Institut Gustave Roussy.

Retour à la littérature enfantine. Dans Lesecret de Micha, Valérie Zenatti (2002) nousmontre, du côté de l’école, que les règles de vieédictées avant la tempête de la maladie restentvalables pendant la traversée de cette épreuve.Micha arrive en cours d’année à Nice et se rendimmédiatement antipathique au reste de la

classe par son agressivité et sa mauvaise humeur. Plus encore,la maîtresse qui faisait jusque-là régner l’ordre dans la classepermet à Micha de s’asseoir entre les deux héroïnes du roman,l’autorise à garder sa casquette en classe malgré son interdic-tion… Nous apprenons au milieu du roman le secret de Micha :sa maman est « très gravement malade ». Néanmoins, com-ment l’aider ? Les deux héroïnes jouent alors en classe unepetite saynète de leur invention, plus à destination de la maî-tresse que de la classe, pour faire valoir que les règles sontimportantes et sont les mêmes pour tous dans l’école. Messagebien reçu par la maîtresse, qui pourra alors dire en privé àMicha cette parole qui va lui permettre de reprendre sa placedans l’école : « Tu es un élève de CM1 comme les autres, tu n’espas que le petit garçon d’une mère malade. » Ce roman est toutà fait intéressant pour des enfants à partir de 8 ans, car il per-

met de mettre des limites au malheur en le circonscrivant :toute la vie, le monde ne s’écroulent pas avec la maladie del’autre, d’autres repères tiennent bon, tout n’est pas chamboulé.Cela est également important pour les parents qui, pris dans latourmente de la maladie, laisseraient le champ libre aux reven-dications et aux exigences des enfants, au prétexte qu’ils souf-frent eux aussi. Tout en tenant bien sûr compte des circons-tances inhabituelles, il est nécessaire de montrer que ce quiétait enseigné comme important avant la maladie l’est toutautant pendant. Cela permet certainement pacification et réas-surance chez l’enfant, car si la maladie à elle seule changetoutes les règles, alors le monde n’a plus de sens.

Le voyage de Luna de Diane Barbara(2002) nous fait, lui, rentrer dans les tour-ments d’une petite fille qui se rend compte decertains troubles du comportement chez samaman, et à qui va être révélée l’affectiongénétique dont sont vict imes quelquesmembres de la famille. Ce n’est pas le cancer,

donc, mais ce petit livre pose avec une certaine justesse l’ambivalence des sentiments face à une maman qui devienttellement différente. Un point particulier aux maladies géné-tiques réside bien sûr dans la question de la transmission :ce point n’est pas éludé dans le récit et permet au papa de lapetite Luna de lui rappeler que si, peut-être, sa maman atransmis cette maladie, elle lui a également transmis beau-coup de bonnes choses, ce qui réconcilie Luna avec samaman. À la fin du livre, on trouve un lexique explicatif desdifférents termes techniques utilisés dans le texte. Notonségalement que la préface pointe la distinction entre parler àl’enfant (lui délivrer une information) et parler avec l’enfant(dialogue). Ce livre peut-être lu à partir de 7-8 ans.

Pour les lecteurs un peu plus âgés (à partirde 11 ans), Un kilo d’oranges de Roselyne Morel(1989) est un émouvant et très juste roman surle cancer qui frappe la maman d’une adoles-cente de 13 ans. L’auteur nous fait vivre à traversles yeux de l’enfant les événements qui vont dudiagnostic fait en urgence, au milieu des

vacances, au traitement de la maladie, puis à l’échec de cestraitements et aux derniers moments de vie de la mère. Leroman se poursuit avec le temps du deuil en pointant bien lesdifficultés de ce deuil également pour le parent restant, tempsqui n’est pas le même que celui de l’adolescente (notammentquant à l’arrivée d’une nouvelle amie du père). Un kilod’oranges raconte la difficulté de vivre la maladie de l’autre, etplus encore son absence ; les oranges, ce sont les dernièresparoles de la mère à la fille, ultime recommandation (« N’ou-blie pas d’acheter des oranges ») que l’adolescente entend ducôté de la vie. C’est le long et laborieux chemin entre le mal-heur qui frappe dès les premières pages (« C’était donc ça undestin. Une chose qu’on n’avait pas choisie et qu’il vous fallaitaccepter » page 17) à l’assomption d’un tel événement : « Cetteséparation, c’était ma vie, et je devais l’accepter », page 93.

1 Ce livre à paraître en janvier 2005 aux éditions Vuibert a été précédemmentpublié sous le titre « Hôpital Silence, Parent malade : l’enfant et la vérité » parles éditions Calmann-Lévy (ouvrage épuisé).

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Nous regrettons seulement le passage sur la volonté desmalades, censée toute-puissante sur la guérison (chapitre III,au cours de la radiothérapie de la mère), qui vient renforcerl’impératif courant de bon-moral-pour-guérir, si épuisant etculpabilisant pour les patients.

Trois romans à partir de 11 ans qui, s’ils diffèrent quant au cadre de l’action, se ras-semblent sur l’effort désespéré accompli pourfaire quelque chose contre le malheur quifrappe. Le pèlerinage de Chimayo de Marc Talbert (1997) met en scène un jeune garçonqui va entreprendre, malgré l’interdiction de

ses parents, une longue marche de 22 kilomètres un vendredisaint jusqu’au lieu sacré de Chimayo, afin de rapporter de lapoussière sacrée à sa grand-mère atteinte d’un cancer.

La traque de Gary Paulsen (1997) racontecomment la traditionnelle chasse au cerfrituelle (effectuée seul cette année par John,13 ans, car son grand-père a un cancer)devient la traque d’une biche pendant plus dedouze heures : « Si je parviens à la suivre et àla toucher sans la tuer, j’aurais réussi à trom-

per la mort. » (page 82) à entendre comme grand-père nemourra pas. Enfin La grange d’Avi (1997) campe troisenfants reprenant le projet de construction d’une grangedans l’Oregon au XIXe siècle, projet brutalement interrompupar un accident vasculaire du père le laissant paralysé etaphasique. Ben, 9 ans, le héros du roman, formule l’espoirque, en menant à bien la construction de la grange, son pèrepourrait sortir de son aphasie.

Ces trois livres sont intéressants dans leur message : enréaction à la détresse éprouvée par la maladie du proche,les trois héros lancent comme un défi à la réalité quimenace de les écraser, un exploit fou pour repousser lamort. Si ces exploits n’ont aucun effet sur la progression dela maladie et la mort (purs réels), ils transforment profon-dément les sujets auteurs des prouesses et ceux auxquelselles s’adressent. « Tu me manqueras, Eloy. Et je te manque-rai. Mais ce que tu as accompli aujourd’hui m’aidera àmieux prendre congé. À mieux mourir », dit la grand-mèreau héros dans Le Pèlerinage de Chimayo. « J’emporterai cesouvenir dans ma tombe », dit le grand-père de John quandil raconte la traque de la biche. Enfin le père de Ben meurtquand ce dernier lui annonce fièrement la fin de laconstruction de la grange, preuve non qu’on pouvaitrepousser la mort, mais que, malgré l’aphasie, le papa deBen entendait son fils.

Il y a quelques longueurs dans les trois romans (lesscènes agricoles dans La Traque…), mais les jeunes lec-teurs trouveront certainement matière à réflexion dansces ouvrages tant les auteurs rendent proches l’ambiva-lence des sentiments face à celui qui devient malade, ladifficulté à s’occuper de lui (La Grange), l’espoir mêlé decrainte…

Nous ne recommanderons pas Tu rentresà la maison de Claude Carré (2002) à dejeunes lecteurs. Cet album décrit le cheminsolitaire du retour à la maison après l’écoled’une petite fille… et l’on apprend page 41,soit en fin d’ouvrage, que sa mère est à l’hô-pital depuis une semaine pour une interven-

tion, mais devrait rentrer bientôt. Aucune trace d’un père,littéralement : plus qu’absent, il n’est pas même nommé danstout l’album. C’est au final assez angoissant pour un enfant,et pas du tout didactique.

Quelques ouvrages maintenant qui abordent plus direc-tement la question de la mort.

Jojo la Mache d’Olivier Douzou (1993)s’adresse aux plus petits. Le thème est traité ori-ginalement : une très vieille vache perd une nuitses cornes, l’autre nuit ses tâches, puis saqueue… Le morcellement est donc au premierplan, mais la dernière page réunit dans le cielnocturne tout ce qui était anciennement Jojo : sa

queue est devenue une étoile filante, les cornes sont un crois-sant de lune, ses taches noires des nuages… Un bel album.

Et puis après, on sera mort d’ÉlisabethBrami (2000) présente, là aussi à destinationdes plus jeunes, sur chaque double-page, le des-tin d’une pomme qui se ride, d’une fleur quiperd peu à peu ses pétales, l’oiseau, le chat quine sent plus les caresses, le lapin « comme lepetit lapin qui frissonnait des moustaches et

qu’on n’a pas su guérir de sa terrible maladie »… la page degauche est celle de la vie, celle de droite du processus dumourir, reprenant le titre : et puis après. La dernière pagefigure une femme couchée, les yeux fermés. Un fil rouge etblanc court en bas de chaque page depuis la couverture. Ilest coupé après le texte « Un jour on finira de vivre, et puisaprès on sera mort », et part s’enrouler dans le ciel. « Etaprès ? Ça, personne ne le sait. » Fil de la vie, mais aussi fil dusavoir, interrompu, le livre laisse le lecteur libre de construiresa réponse sur la question de l’après.

Le Loup rouge de Friedrich Karl Waechter(1998) permet au jeune lecteur de voir toute lavie du chien-loup, dans les événements mar-quants, défiler sereinement au moment où il vaquitter la vie. C’est un album pudique et sobre,portant un regard plein de sagesse sur la viequi se termine.

L’excellent Véra veut la vérité de Léa etNancy Huston (1992) met en scène la jeune Véra,6 ans, qui, à l’occasion d’une « rencontre » avecune feuille morte au bois de Vincennes, com-mence à se poser des questions sur ce drôle demot : mort. « J’ai laissé tomber la feuille, maispas la question : elle me tracassait encore un peu,

de temps en temps. » Le « C’est la vie ! » des adultes la convainc

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peu, « Ah ! Je vous dis, les parents sont nuls commedictionnaires ! » Plein d’humour et de justesse, ce roman faitétat de toutes les confrontations et du cheminement intellec-tuel de l’enfant face à la mort (comme question, mais aussicomme réalité). Peut-être lu dès 8 ans.

Nous voudrions émettre quelques réserves concernant Unmarronnier sous les étoiles de Thierry Lenain (1998) qui estpourtant présent dans un certain nombre de bibliographies ausujet de la mort. Ce roman raconte chez le jeune Jules la pertede son grand-père, l’enfouissement de sa douleur (« un troudans le cœur, dans lequel les gens se noyaient dès qu’ils mou-raient ») et le retour de cette douleur de nombreuses annéesplus tard quand, devenu infirmier de nuit, il s’occupe d’unejeune accidentée qui vient de perdre ses parents. Au-delà de laconception d’une vie avant la vie et après la mort, le question-nement de Jules sur la décomposition des corps et ses « expéri-mentations » nous semble trop violent et troublant pour dejeunes lecteurs.

Quelques ouvrages enfin qui traitent du comment vivreaprès la perte d’un proche.

Nous sortons un instant de la littératureenfantine avec le livre de Daniel Oppenheim,Parents en deuil, le temps reprend son cours(2002). Il s’agit de l’analyse détaillée des dixséances d’un groupe de parole pour parentsayant perdu un enfant d’un cancer. Si, bien sûr,c’est ici l’enfant absent qui est au cœur des

paroles des parents, cet ouvrage montre avec force combien,entre autres questions, la vérité à dire à l’enfant, sa compré-hension de la maladie et de la mort ont été et restent desquestions fondamentales pour les parents. La maladie etl’épreuve du deuil « mettent à nu » la parentalité, et le lenttravail de parole dans les séances transmet au lecteur lesefforts faits pour survivre à l’autre.

Moi et Rien de Kitty Crowther (2000) a choiside personnaliser l’absence. La jeune Lila, qui aperdu sa maman, est accompagnée depuis par unpersonnage à la présence discrète, presque impal-pable, Rien. Rien aide la petite Lila dans sa solitude,dans l’écart qui se creuse avec son père, avant de

disparaître à son tour, lui prodiguant un ultime conseil : « Planteles graines. » Là, Lila se sent « moins que Rien ». L’arrivée duprintemps fera germer les fleurs que sa mère aimait et revenirRien sous forme de petite figurine sculptée par la maman de Lilaavant de mourir. C’est un beau et touchant récit, destiné auxjeunes enfants.

De silences et de glaces de Julia Billet (2002)s’adresse, lui, aux adolescents et raconte la dou-leur de la jeune Sarah, dont le grand frère vientde mourir, et à qui ses parents interdisent, deuxmois après le décès, de parler de ce frère. « C’estfini maintenant, nous n’en parlerons plus.Prends-le comme une interdiction formelle. »

Dès lors, cette douleur qui doit se taire s’installe sous forme

de glace dans le corps de la jeune Sarah, la figeant et l’isolantdu reste du monde. Seul un séjour chez une grand-mère per-mettra de commencer à faire fondre la glace « là-bas, on seraconte mon frère », d’affronter sa culpabilité (pourquoi luiet pas moi ?). Une rencontre amoureuse fera fondre les der-nières glaces. C’est un roman sur la nécessité des paroles,pour que celui qu’on a perdu ne soit pas mort dans notremémoire.

Une très belle nouvelle de Philippe Besson,Voir l’Amérique (2004) dans le recueil Bonnesvacances ! vient conclure notre revue d’ou-vrages. Un adolescent de 15 ans effectue,quelques jours après la mort de sa mère, unetraversée des États-Unis avec son père, sur laroute 66. Traversée d’une épreuve côte à côte,

l’arrivée devant le Pacifique permettra aux deux protago-nistes « d’affronter septembre qui ne va plus tarder, d’ad-mettre l’absence définitive de ma mère, sa femme ». « J’aper-çois que mon visage a changé, il n’est plus celui d’un enfant. »

RéférencesAvi (1997) La grange. Pocket Junior, ParisBarbara D, Mansot F (illustrations) (2002) Le voyage de Luna, avec une pré-

face de Sandrine Kiberlain. Actes Sud Junior, collection Les histoires dela vie, Arles

Besson P (2004) Voir l’Amérique. In: Bonnes vacances ! Gallimard Jeunesse,collection Scripto, Paris

Billet J (2002) De silences et de glaces. L’École des Loisirs, collectionMédium, Paris

Brami E, Schamp T (2000) Et puis après on sera mort... Seuil Jeunesse, ParisCarré C, Fortier N (illustrations) (2002) Tu rentres à la maison. Actes Sud

Junior, Les Albums Tendresse, ArlesCrowther K (2000) Moi et Rien. L’École des Loisirs, Coll. Pastel, ParisDouzou O (1993) Jojo la Mache. Éditions du Rouergue, Rodez, 1993Huston N, Hutson L, Glasauer W (illustrations) (1992) L’École des Loisirs,

Collection Mouche, ParisLandry-Dattée N, Delaigue-Cosset MF (à paraître en janvier 2005) L’enfant

face au cancer d’un parent. Éditions Vuibert, Coll. Espace Éthique, ParisLeblanc S (1999) Un dragon dans le cœur, MNH, Actuel, BelgiqueLenain T (1998) Un marronnier sous les étoiles. Syros, Les Mini Syros, ParisLeverve K, Cloup J (illustrations) (2004) Anatole l’a dit !, Éditions K’Noë, Le

Kremlin-Bicêtre Morel R (illustrations de Gilbert Raffin) (1989) Un kilo d’oranges. Le Livre

de Poche Jeunesse, Hachette Littérature, ParisOppenheim D (2002) Parents en deuil, le temps reprend son cours. Éditions

Eres, Ramonville-Saint-AgnePaulsen G (1997) La traque, Pocket Junior, ParisTalbert M (1997) Le pèlerinage de Chimayo. Le livre de Poche, Hachette Jeu-

nesse, ParisWaechter FK (1998) Le Loup rouge. L’École des Loisirs, ParisZenatti V, Mets A (illustrations) (2002) Le secret de Micha. L’École des Loi-

sirs, collection Mouche, Paris

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