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7/21/2019 Quelques Remarques Sur La Réception d’Un Pseudépigraphe ; Les Oracles Chaldaïques http://slidepdf.com/reader/full/quelques-remarques-sur-la-reception-dun-pseudepigraphe-les-oracles-chaldaiques 1/18 Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.  Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected]  Article  « Quelques remarques sur la réception d’un pseudépigraphe : les Oracles Chaldaïques  »  Serge Cazelais Laval théologique et philosophique , vol. 61, n° 2, 2005, p. 273-289.  Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :  URI: http://id.erudit.org/iderudit/011818ar DOI: 10.7202/011818ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 6 janvier 2016 05:27

Quelques Remarques Sur La Réception d’Un Pseudépigraphe ; Les Oracles Chaldaïques

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Quelques Remarques Sur La Réception d’Un Pseudépigraphe ; Les Oracles Chaldaïques

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    Quelques remarques sur la rception dun pseudpigraphe: les Oracles Chaldaques Serge CazelaisLaval thologique et philosophique, vol. 61, n 2, 2005, p. 273-289.

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  • Laval thologique et philosophique, 61, 2 (juin 2005) : 273-289

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    QUELQUES REMARQUES SUR LA RCEPTION DUN PSEUDPIGRAPHE : LES ORACLES CHALDAQUES

    Serge Cazelais Facult de thologie et de sciences religieuses

    Universit Laval, Qubec

    RSUM : Cet article propose une hypothse au sujet des Oracles Chaldaques en les abordant sous langle de lhistoire de leur rception. Lobjectif de lA. est de replacer lorigine de ces oracles dans le contexte immdiat de la spiritualit noplatonicienne. Lhypothse propose est illustre par quelques vers de Proclus qui nous sont rapports par son disciple Marinus dans son trait Proclus ou sur le bonheur ainsi que par quelques tmoignages littraires sur la conception de la prire chez les noplatoniciens. Larticle se termine sur un exemple de rcep-tion moderne des Oracles Chaldaques.

    ABSTRACT : This paper proposes a hypothesis on the Chaldean Oracles by an approach under the angle of the history of their reception. The objective of the A. is to replace the origin of these oracles in the immediate context of Neoplatonicians spirituality. The hypothesis suggested is illustrated by some verses of Proclus which are brought back to us by his disciple Marinus in his Proclus or on happiness as well as by some literary testimonies on the conception of prayer among Neoplatonicians. The paper finishes on a modern example of reception of the Chaldean Oracles.

    ______________________

    INTRODUCTION : LA VALEUR HISTORIQUE DUNE UVRE

    objectif de cet essai est de tenter de suivre une partie de lhistoire de la rcep-tion des Oracles Chaldaques1 dans la littrature philosophique et religieuse

    impriale. La thorie de la rception de H.R. Jauss nous semble un bon point de rf-rence afin dapporter quelques lments de rponses sur ces questions. Ce dernier a

    1. Les deux ditions les plus rcentes des Oracles Chaldaques sont : Oracles Chaldaques, texte tabli et traduit par douard DES PLACES, Paris, Les Belles Lettres, 1971 ; ainsi que The Chaldean Oracles, Text, Translation and Commentary by Ruth MAJERCIK, Leiden, Brill, 1989. En plus des articles que nous citons dans les notes de cet article, louvrage de base demeure celui de Hans LEWY, Chaldaean Oracles and Theurgy, nouvelle dition par Michel TARDIEU, Paris, tudes Augustiniennes, 1978. Nous y trouvons reproduit en appendice larticle dE.R. DODDS, New Light on the Chaldaean Oracles , The Harvard Theological Review, 54 (1961), p. 263-273. Sy trouve aussi une contribution de Pierre HADOT, Bilan et perspectives sur les Oracles Chaldaques , p. 703-720.

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    en effet bien mis en vidence quun texte existe non seulement du fait de son auteur ou de son milieu de production mais aussi par sa rception. Il soutient en effet que ce qui donne de la valeur et un rang une uvre littraire nest pas uniquement li aux circonstances de sa production, ni la place quelle occupe dans lvolution dun genre. Il faut aussi tenir compte de leffet produit par une uvre, de linfluence quelle a exerce sur la pense de ses lecteurs, de mme que de la valeur que lui a reconnue la postrit2. Cest sous langle de la rception que nous voulons aborder les Oracles Chaldaques et la pense de Jauss devrait nous aider mieux interprter la faon dont les noplatoniciens en parlent. Le Proclus ou sur le bonheur, une uvre de Marinus (6e sicle), nous fournira un premier exemple de la faon dont les Oracles ont t reus. Ce texte est en fait un discours pidictique sur la vie du philosophe Proclus compos peu aprs sa mort3. Nous examinerons galement, plus brivement, la conception de la prire chez les philosophes noplatoniciens afin de montrer les mutations que cette pratique a subies durant la priode de rception des Oracles. Notre objectif sera alors de dcouvrir ce qui distingue des penseurs comme Porphyre, Jamblique et Proclus et de comprendre pourquoi Jamblique et Proclus taient plus disposs tre sensibles aux Oracles Chaldaques et pouvaient tre plus ports les considrer comme une source dinspiration valable pour la philosophie et la spiri-tualit. Nous terminerons cet article sur une note moderne en montrant comment la rception des Oracles Chaldaques stend jusquau monde de la spiritualit contem-poraine.

    Il faut dentre de jeu tre bien clair : nous ne voulons pas proposer ici une re-constitution de la doctrine primitive et originelle des Oracles. Nous ne voulons pas non plus proposer une conjecture sur la forme littraire quils avaient pu avoir lori-gine. Ces deux questions sont importantes et suscitent toujours des discussions pas-sionnes. Nous navons pas lintention de les aborder dans cet article. Nous ntudie-rons pas non plus lhistoire de linterprtation des Oracles par des noplatoniciens comme Damascius ou Psellus qui les citent clairement ou encore de ceux qui, comme Marius Victorinus, ne les citent jamais mais sont prsums les avoir assimils leur philosophie et leur thologie. Cette question fait prsentement lobjet de travaux de notre part et cest justement ltude de lAdversus Arium de Marius Victorinus qui nous a mis sur la piste des Oracles Chaldaques. Ainsi que nous venons de lcrire, nous voulons plutt prsenter une rflexion sur une partie de lhistoire de la trans-mission et de la rception de ces Oracles dans le cadre des mutations quont subies les coles philosophiques et les mouvements religieux lpoque impriale. Nous serons ainsi en mesure de constater ce que sont devenus ces Oracles sous la plume des noplatoniciens et de mieux saisir la valeur que ceux-ci ont accorde cette uvre. Nous esprons ainsi apporter un certain clairage au chapitre de lhistoire de

    2. H.R. JAUSS, Pour une esthtique de la rception, traduit de lallemand par C. Maillard, Paris, Gallimard, 1978.

    3. Sur laspect rhtorique de luvre de Marinus, voir lintroduction du volume suivant : MARINUS, Proclus ou sur le bonheur, texte tabli, traduit et annot par Henri Dominique Saffrey et Alain Philippe Segonds, avec la collaboration de Concetta Luna, Paris, Les Belles Lettres, 2001, p. XLI-C.

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    la littrature ainsi qu lhistoire des ides philosophiques et religieuses de lAntiquit tardive.

    I. LES ORACLES CHALDAQUES, UN PSEUDPIGRAPHE

    Dans le cadre de cet article, nous ne cherchons donc ni dterminer le lieu exact dorigine des Oracles Chaldaques, ni cerner lidentit relle ou la personnalit historique de leur ou de leurs auteurs. Notre but est plutt dtudier leur rception par les noplatoniciens. Il nous semble cet gard particulirement clairant daborder ltude de ces Oracles sous langle de la pseudpigraphie, cest--dire sous langle dun texte crit sous un faux nom . Un pseudpigraphe est en effet une uvre attribue une personne qui, historiquement, ne la pas crite. Ce qui importe, cest que le ou les lecteurs de luvre la reoivent en tant que telle et acceptent cette attribution. Ladage voulant quon ne prte quaux riches trouve ici une application concrte au sens o de nombreux pseudpigraphes ont circul sous le nom dauteurs clbres, ou encore ont t attribus des autorits reconnues. Cette pratique a t fort courante autant dans le judasme alexandrin (la littrature sapientielle attribue Salomon comme le Livre de la Sagesse de Salomon, ou encore la Lettre dAriste), et jusque dans le judasme mdival (Zohar). Elle a exist aussi dans le christianisme ancien (par exemple le Pseudo-Denys), de mme que tout au long du Moyen ge. Elle fut aussi fort rpandue dans la philosophie lpoque impriale alors que circu-laient de nombreuses uvres attribues des noms plus prestigieux les uns que les autres. De nombreux pseudpigraphes ont eu une influence considrable sur les philosophies hellnistiques et sur la littrature chrtienne, notamment ceux que lon attribue Orphe et Herms Trismgiste. Les motivations de lauteur dun pseu-dpigraphe peuvent tre nombreuses. Il ne se propose pas de produire un faux docu-ment, mais plutt par exemple dhonorer un grand nom en lui attribuant la paternit dune uvre quil juge digne de lui. Il faut aussi noter que cette attribution nest pas exclusivement du ressort de lauteur de luvre, mais peut aussi provenir du milieu de rception de luvre elle-mme4. Dans le cas prcis des Oracles Chaldaques, il faut de toute faon dabord constater que, malgr une attribution juge errone au plan historique, leur autorit philosophique et religieuse sest impose entre le troi-sime et le sixime sicle de notre re5.

    Chercher dcouvrir lidentit vritable du ou des auteurs dune telle uvre peut certes nous en rvler beaucoup sur leurs intentions, et ouvrir par le fait mme de

    4. Une autre question importante et complmentaire notre sujet, mais qui ne peut toutefois pas trouver place dans cet article, est celle des titres des uvres et de leur attribution un auteur ou une communaut. Citons deux bons articles sur la question. Dabord un premier sur les titres des textes de Nag Hammadi par Jean-Daniel DUBOIS, Les titres du codex I (Jung) de Nag Hammadi , dans Michel TARDIEU, d., La for-mation des canons scripturaires, Paris, Cerf, 1993, p. 219-235. Le second, tir du mme volume : Alain LE BOULLUEC, De lusage des titres notestamentaires chez Clment dAlexandrie , p. 191-202.

    5. Pierre Hadot qualifie justement les Oracles Chaldaques de recueil apocryphe dans le sens o nous em-ployons le mot pseudpigraphe . Pierre HADOT, La fin du paganisme , dans Henri-Charles PUECH, dir., Histoire des religions, t. II, Paris, Gallimard (coll. Encyclopdie de la Pliade ), 1972, p. 96. Article reproduit dans Pierre HADOT, tudes de philosophie ancienne, Paris, Les Belles Lettres, 1998, p. 341-374.

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    nouvelles pistes de recherches aux philologues et aux historiens. Mais le plus sou-vent, la question reste insoluble ou du moins difficilement tranchable. Les conjectures senfilent la chane en ne laissant place qu des discussions hypothtiques et, selon nous, condamnes le demeurer. Que lon ne se mprenne toutefois pas sur notre position. Nous ne remettons pas en cause limportance que peut avoir dans certains cas une telle enqute, notamment pour ce qui est de lhistoire de la langue, des styles. Cependant, mme dans le cas o lattribution un auteur changerait notre point de vue sur lvolution des ides, il ne faudrait pas considrer que cette solution rend vaine la question pose ici, qui est de savoir comment ces uvres ont t considres par ceux qui les ont faites leurs au fil des sicles.

    Les Oracles Chaldaques sont juste titre lun des ensembles pseudpigraphi-ques les plus mystrieux qui aient circul dans lEmpire romain et pour lesquels nous avons des tmoignages littraires. Certains croient que ces Oracles avaient dj commenc circuler discrtement lcole de Plotin au milieu du 3e sicle et quils auraient t pour Porphyre une source dinspiration importante. Tel nest pas notre point de vue6. Ces Oracles sont voqus, mais non pas cits, dans le De Mysteriis du philosophe Jamblique (245-330). Ils sont largement utiliss par Proclus et demeure-ront une source philosophique importante jusqu Damascius ( aprs 538), le dernier diadoque de lcole noplatonicienne dAthnes. Mais plus encore, ces Oracles Chal-daques ont t aussi tenus en haute estime jusqu lpoque byzantine, notamment par Michel Psellus (1018-1082) qui en rassembla une partie importante et qui les commenta. Notons aussi le nom de Georges Gmiste Plthon (1360-1452) qui les runit en une collection, les commenta et les attribua des disciples de Zoroastre7. Il nous semble pertinent de prciser que ce que lon dsigne par le nom dOracles

    6. Au sujet de la connaissance des Oracles quaurait eue Plotin, voir larticle de John DILLON, Plotinus and the Chaldaean Oracles , dans Stephen GERSH et Charles KANNENGIESSER, d., Platonism in Late Antiq-uity, University of Notre Dame Press, 1992 p. 131-140. Certaines tudes, notamment Pierre HADOT, Por-phyre et Victorinus, Paris, tudes Augustiniennes, 1968, ainsi que rcemment Mario ZAMBON, Porphyre et le moyen platonisme, Paris, Vrin, 2003, voient en Porphyre le premier tmoin des Oracles. Pour notre part, bien quAugustin dans la Cit de Dieu, X, xxvii voque le fait que Porphyre sinspire de matres chal-dens , nous doutons quil puisse sagir dun tmoignage prouvant quil ait connu le corpus des Oracles Chaldaques (celui dont tmoignent Proclus et Damascius) lorsquil rdigea le De regressu animae. Il serait trop long et hors propos dans le cadre de cet article dexposer toutes les raisons qui nous incitent le croire. Limitons-nous pour le moment simplement renvoyer aux pages 176-211 de louvrage de Carine VAN LIEFFERINGE, La thurgie. Des Oracles Chaldaques Proclus, Lige, Centre international dtude de la religion grecque antique (coll. Kernos , supplment 9), 1999.

    7. La connaissance des Oracles par Plthon dpend entirement de Psellus. Il faut ajouter ces tmoignages un manuscrit arabe conserv Istanbul. Une partie du manuscrit est compose dextraits de Plthon. La recension grecque de Plthon ainsi que le manuscrit arabe ont t rcemment publis dans : . . Oracles Chal-daques. Recension de Georges Gmiste Plthon, dition critique avec introduction, traduction et commen-taire par Brigitte TAMBRUN-KRASKER, suivie de La recension arabe des , par Michel TAR-DIEU, Athens, The Academy of Athens ; Paris, Vrin ; Bruxelles, ditions Ousia (coll. Corpus philoso-phorum Medii Aevi. Philosophi Byzantini , 7), 1995. Signalons enfin que des fragments jusque-l incon-nus, trouvs en marge dun manuscrit parisien dAristote ont t publis par H.D. Saffrey. Ce manuscrit semble, la lumire de ltude de ses gloses et de ses nombreuses scholies, tre la copie dun manuscrit du 5e sicle ayant appartenu un noplatonicien. H.D. SAFFREY, Nouveaux oracles chaldaques dans les scholies du Paris Gr. 1853 , Revue de Philologie, 43 (1969), p. 59-72. Cet article est reproduit dans Re-cherches sur le noplatonisme aprs Plotin, Paris, Vrin, 1990, p. 81-94.

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    Chaldaques est en fait une collection de sentences rdiges en hexamtres que les noplatoniciens considrrent avoir t communiques par les dieux et notamment par lme divinise du philosophe Platon8. Ces Oracles sont devenus si importants pour les noplatoniciens que Pierre Hadot nhsite pas soutenir que, de Jamblique Damascius, ceux-ci ont t toutes fins pratiques considrs comme une criture sacre , une criture quil fallait accorder avec le texte de Platon9. la suite de M.P. Nilson, Henri Dominique Saffrey parle pour sa part de Bible noplatoni-cienne10. Ce qucrivait leur sujet ce mme Saffrey, il y a maintenant plus de 20 ans, est donc toujours ce que constate le chercheur qui aborde leur tude :

    Ce que nous ignorons toujours leur sujet est un handicap insurmontable. Par dfinition, des oracles sont des rponses rvles par un dieu aux questions qui lui sont poses par ses dvots. Or, dans le cas des Oracles Chaldaques, nous ignorons les questions poses, nous ignorons lidentit du ou des dieux interrogs, nous ignorons si les oracles taient de courtes ou de longues pices de vers, nous ignorons si la collection de ces oracles avait reu un ordre qui en traduisait la signification profonde. Ces informations indispensables pour une claire valuation de leur nature et de leur importance sont pour nous irrmdia-blement perdues11.

    Nous ajoutons ces remarques de H.D. Saffrey quil est, notre avis, loin dtre acquis que tous les fragments recueillis par les diteurs modernes et attribus aux Oracles Chaldaques le soient de faon assure. En effet, nous ne connaissons plus que des fragments et des tmoignages de ces oracles, transmis sous forme de citations et dallusions introduites par diverses formules dont nous verrons des exemples, et qui sont contenues pour la majorit dans certaines uvres des noplatoniciens post-plotiniens ou encore, dans une moindre mesure, dans des uvres de polmique chr-tienne. Michel Tardieu souligne lui aussi quel point il est difficile pour les cher-cheurs de mettre le doigt sur lorigine de ces hexamtres considrs avoir t inspirs par les dieux12. Les anciens eux-mmes ne les ont jamais dsigns spcifiquement sous le vocable d oracle (), mais les ont dsigns surtout sous le nom de , mot pluriel qui signifie discours ou bien paroles . Lorsquil est em-ploy au pluriel, ce mot peut encore avoir plus spcifiquement le sens d enseigne-ments . ces significations on peut ajouter une connotation sacre dinspiration oraculaire, autant en rfrence des oracles paens quaux oracles des prophtes

    8. Luc BRISSON, La place des Oracles Chaldaques dans la Thologie platonicienne , dans A.P. SEGONDS et C. STEEL, d., avec lassistance de C. LUNA et A.F. METTRAUX, Proclus et la thologie platonicienne, actes du Colloque international de Louvain (13-16 mai 1998) en lhonneur de H.D. Saffrey et L.G. Weste-rink, Leuven, Leuven University Press ; Paris, Les Belles Lettres, 2000, p. 109.

    9. Pierre HADOT, La fin du paganisme , p. 96. 10. H.D. SAFFREY, Les noplatoniciens et les Oracles Chaldaques , Revue des tudes Augustiniennes, 27

    (1981), p. 209. Article reproduit dans Recherches sur le noplatonisme aprs Plotin, p. 63-79. 11. Ibid., p. 209-210. 12. M. Tardieu crit que les notions de sources, de milieu et dinfluence restent, il est vrai, des concepts flous

    et trs difficiles manier quand il sagit de littratures parvenues jusqu nous ltat de fragments et travers des interprtations . Les travaux de Tardieu cherchent situer ce milieu dorigine dans le mme cercle qui a vu natre la gnose valentinienne, sans toutefois supposer une ncessaire influence de lun sur lautre. Michel TARDIEU, La gnose valentinienne et les Oracles Chaldaques , dans Bentley LAYTON, d., The Rediscovery of Gnosticism, vol. 1, The School of Valentinus, Leiden, Brill, p. 196.

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    bibliques dans la Septante13. Il faut de plus bien comprendre lpithte chalda-ques : elle ne fait pas rfrence laire de provenance de ces censs parvenir dOrient ou du moins transmettre une doctrine orientale, mais doit plutt sinterprter au sens de magiques, de divinatoires ou dastrologiques14. En effet, dans le monde grco-romain imprial, le mot chalden servait dsigner un mage ou un astrologue15. Nous reviendrons sur cette question dans un instant. Il faut dabord noter que la forme de ce corpus, son titre exact et sa signification restent des plus incertains. Dans la monographie quil a consacre la thurgie, des Oracles jusqu Proclus, Carine Van Liefferinge formule ainsi cette question.

    En ce qui concerne le titre, il est probable quil nest apparu que tardivement, au XIe sicle de notre re, sous la plume de Michel Psellos, qui lon doit un commentaire de ces Oracles. En effet, jusqualors, ces textes sont voqus par les Anciens et dans la Souda sous lappellation de ou . Cette appellation sexplique dailleurs ai-sment par le fait quils se prsentent comme des oracles qui sont, non des rponses caractre priv, comme le sont les , mais la rvlation dun enseignement prove-nant de la divinit, comme le sont gnralement les . Si Psellos choisit de les dsi-gner par les termes , cest sans doute que, dans son esprit, ils rpondent une volont marque de la part des rdacteurs de les rattacher des rvlations faites des peuples sacrs et des traditions ancestrales et orientales en accord avec le got du temps16.

    Cela dit, et dans le cadre dun examen de questions relatives la rception, on peut noter quun auteur comme Proclus recevait fort probablement ces Oracles comme tant dorigine orientale ainsi quen fait foi son attribution de quelques vers, les fragments 67 et 68 dans ldition des Oracles Chaldaques ddouard des Places, la thologie des Assyriens17. Ajoutons quune tradition scolaire rapporte que cest un certain Julien le Thurge, fils de Julien le Chalden, qui est cens avoir t en contact avec les dieux au cours du deuxime sicle de notre re et avoir reu ces paroles par voie mdiumnique et les avoir mises par crit. La Souda au 10e sicle rsume cette tradition dans deux notices intitules . Ces deux notices se lisent comme suit :

    13. Le Patristic Greek Lexicon de G.W. LAMPE le signale explicitement. 14. Voir ce quen dit Luc BRISSON, La place des Oracles Chaldaques dans la Thologie platonicienne ,

    p. 110, note 3, notamment sur le fait quen latin, chaldaeus peut signifier charlatan , devin (Oxford Latin Dictionary), ou encore astrologue . Voir toutefois H.D. SAFFREY, Les noplatoniciens et les Oracles Chaldaques , p. 220-225.

    15. Le titre de luvre de Georges Plthon au 15e sicle : Logia magiques des mages de Zoroastre montre que ce dernier avait reu ces Oracles comme des paroles magiques. Nous avons aussi not avec beaucoup dintrt que laspect merveilleux entourant les Oracles se fait sentir aussi chez Plthon alors que ce dernier les attribue aux mages de Zoroastre .

    16. Carine VAN LIEFFERINGE, La thurgie, p. 15-16. 17. PROCLUS, Commentaire sur le Time III, 50, 20-24 (p. 80-81), traduction et notes par A.J. FESTUGIRE,

    Paris, Vrin, 1967 : Et au vrai la thologie des ASSYRIENS livre les mmes doctrines, qui lui ont t rvles den haut. Chez eux aussi en effet le Dmiurge est dit crer le Monde de feu, deau, de terre, dther (= air) qui nourrit tout et le Crateur est dit fabriquer le Monde en tant que louvrant de ses propres mains . Pour une explication de la signification dAssyrien en tant ququivalent de Chalden, voir Hans LEWY, Chaldaean Oracles and Theurgy, p. 444.

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    No 433. Julien, Chalden, philosophe, pre du Julien surnomm thurge. Il a crit un ou-vrage Sur les dmons en quatre livres. Pour les hommes, il y a une amulette correspondant chaque partie du corps, comme par exemple les amulettes tlsiurgiques Chaldaques. No 434. Julien, fils du prcdent, a vcu sous le rgne de lempereur Marc Aurle. Il a crit lui aussi des Theourgica, des Telestica, des Logia en vers, et tous les autres secrets de cette science. Cest celui-l qui, dit-on, un jour que les Romains mouraient de soif, subitement fit produire des nuages, se lever une tempte, tomber une pluie violente avec des coups de tonnerre accompagns dclairs ; et cela Julien laccomplit par le moyen dun certain savoir. Dautres disent que cest Arnouphis, le philosophe gyptien, qui a opr ce miracle18.

    Avec H.D. Saffrey, il faut remarquer que bien peu dans cette notice relve de lhistoire. Il sagit dun lot de traditions parses, transmises et reues dans la Souda. La notice 433 commence ainsi : , , , . Nous comprenons le mot au sens de mage et nous traduirions ainsi : Julien, mage, philosophe, pre du Julien nomm thurge . La tradition que rapporte la Souda distinguerait la magie de la thurgie. Le pre aurait t mage ; le fils, thurge. Mais le tout demeure assez confus. Lallusion aux amulettes tlsiurgiques chaldaques (ou magiques), les -, vient donner du poids cette prsomption de confusion, de mme que lanec-dote de la notice 434 sur le miracle de la pluie et dArnoubis lgyptien. Cest la notice 434 que nous apprenons que cest Julien nomm thurge, fils du Chalden, qui crivit des , lesquels sont fort probablement nos Oracles Chaldaques, ou du moins une partie de ceux-ci.

    On sentend gnralement pour dire que le contenu des Oracles Chaldaques tait divis en deux parties : une premire qui constituait une sorte dinterprtation so-trique de la philosophie de Platon, surtout du Time, et une seconde qui consistait en la rvlation de techniques thurgiques19. Prcisons que la thurgie dont on parle ici est un ensemble de techniques rituelles rvles par les dieux. H.D. Saffrey la dfinit comme un mouvement de philosophie religieuse20 tirant son origine mythique ou historique des deux Julien. Ces techniques fournissaient chaque individu qui les utilisait des outils afin de faire intervenir un ou des dieux en sa faveur. tant alors devenu propice, le dieu rvle ensuite au thurge des moyens devant permettre son me de se librer de la matire.

    18. Suidae Lexicon (pars II, -) I, 433 et 434, Ada ADLER, d., Stuttgart, Verlag B.G. Teubner, 1967. La tra-duction franaise que nous reproduisons est celle de H.D. SAFFREY, Les noplatoniciens et les Oracles Chaldaques , p. 210-211, qui les commente. Saffrey conclut que bien peu dans cette notice est digne de crdit historique. Le mme auteur en discute aussi dans La thurgie comme phnomne culturel chez les noplatoniciens (IVe-Ve sicles) , Koinnia, 8 (1984), p. 161-171. Article reproduit dans Recherches sur le noplatonisme aprs Plotin, p. 51-61. Voir aussi ce sujet Hans LEWY, Chaldaean Oracles and Theurgy, p. 3-5.

    19. Il est bon de noter que le mot est absent des fragments des Oracles qui nous sont parvenus. Seul le substantif y apparat dans le fragment 153 (DES PLACES, Oracles Chaldaques) qui nous est transmis par Jean Lydus qui lintroduit ainsi : (De mensibus II, 10, 19, R. WUENSCH, d., Leipzig, 1898). Dautre part, pour un expos exhaustif et clair sur la thurgie, nous renvoyons louvrage de Carine VAN LIEFFERINGE, La thurgie.

    20. H.D. SAFFREY, La thurgie comme phnomne culturel chez les noplatoniciens (IVe-Ve sicles) , p. 161.

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    Si nous reprenons lexemple dun pseudpigraphe, il nous semble que ce qui donne autorit ce texte aux yeux dun lecteur qui le reoit, cest justement le fait dtre transmis sous lautorit dun nom prestigieux auquel on accorde un rang lev. Or, justement les Oracles Chaldaques ont t transmis et reus par les noplatoni-ciens sous lautorit indiscutable et simultane des dieux, de Platon et des tholo-giens chaldens ou Assyriens . Puisque les Oracles ne nous sont connus que par des citations, lhistoire de leur origine, ainsi que de leur forme littraire et leur signi-fication originelle nous sont, dans le dtail, inaccessibles dans ltat actuel de notre documentation. Nous pouvons cependant dire beaucoup de choses du climat religieux qui a favoris leur rception et de leffet quils ont produit sur les noplatoniciens et constater le changement radical qua subi leur spiritualit au contact des Oracles. En dautres mots, compte tenu de ltat de notre documentation, toute recherche actuelle sur les Oracles Chaldaques doit prendre en compte leurs lecteurs anciens, en loc-currence, ceux qui nous les ont transmis.

    En terminant cette section, nous voulons dire un mot de cette ide de rvlation sous-jacente la rception des Oracles Chaldaques. H.D. Saffrey a identifi trois causes principales qui ont contribu au succs des Oracles Chaldaques auprs des noplatoniciens21. Tout dabord, leur contenu platonicien qui a sans aucun doute jou ici un rle de premier plan, ensuite leur forme oraculaire. Mais nous voulons insister sur la troisime cause quidentifie Saffrey, savoir le besoin dune rvlation. On croyait en effet que lme humaine incarne stait dgrade et que, pour arriver son salut, elle avait imprativement besoin du secours des dieux. Devant la monte du christianisme qui simposait dsormais comme la nouvelle religion de lEmpire et qui proposait une voie de salut accessible tous, la spiritualit noplatonicienne a sans doute senti le besoin de prsenter sous une forme populaire et accessible une rvlation propre au paganisme, et en quelque sorte exclusive lui. Ce besoin dexclusivit tire ses racines du fond religieux imprial. Ne pourrait-on pas voir dans le fait quon voulait offrir aux dvots paens une religion rvle et exclusive pouvant rivaliser avec le christianisme qui triomphait alors dans lEmpire un lment favo-risant la rception des Oracles ? Pierre Hadot explique bien que la thologie paenne reconnat lexistence de sources de rvlation. Pour les philosophes de lpoque impriale, la vrit ne peut tre que rvle. Plus encore, P. Hadot dit aussi que pour ces philosophes, faire de la thologie consiste en une pratique de lexgse de textes rvls ou tout au moins inspirs. Preuve en est que pour un penseur comme Proclus, lessentiel de son activit littraire consiste justement commenter la fois Platon et les Oracles Chaldaques et mme chercher harmoniser leurs doctrines22. P. Hadot

    21. Ibid., p. 163-166. 22. MARINUS prte justement ces paroles son matre Proclus : Si jtais le matre, de tous les livres des

    Anciens, je ne laisserais en circulation que les Oracles ( ) et le Time, et je priverais les hommes de ce temps de tous les autres, car parmi ceux qui les lisent au hasard et sans les examiner fond, il en est qui en prouvent du dommage (Proclus ou sur le bonheur 38, 16-20). La traduction est de H.D. Saffrey et A.P. Segonds.

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    rsume sa pense en disant que nous sommes en prsence dun mode de pense essentiellement exgtique23 .

    II. PHILOSOPHIE ET VIE RELIGIEUSE, BERCEAUX DES ORACLES CHALDAQUES

    Depuis Jamblique, une partie importante de la philosophie noplatonicienne con-siste vivre selon le mode de la thurgie et des rvlations des dieux. Pour Jam-blique, lautorit des Chaldens ne fait aucun doute et il les considre sur un pied dgalit avec Platon et Herms24. Dans un ouvrage connu sous le nom de De Myste-riis25, Jamblique en appelle lautorit suprieure des prophtes chaldens26 lors-quil veut expliquer Porphyre que la mantique ne tire pas son origine dun genre de nature trompeur et polymorphe qui se cacherait sous la forme des dieux, des dmons ou des mes des dfunts, mais plutt des dieux vrais. Dans le mme ouvrage, Jam-blique soutient que lart hiratique, tout en clbrant chacun des tres divins selon leur rang, mne en bout de compte la clbration de lUn et avec Lui de la multi-tude des essences et des principes ( )27. Ce que nous voulons souligner est laccueil favorable que rserve Jamblique la clbration des dieux et aux traditions trangres orientales.

    Un autre parmi les tmoins les plus importants des Oracles Chaldaques est le philosophe Proclus (412-485). Ce dernier fut un admirateur inconditionnel des Ora-cles. Il les considre ni plus ni moins que comme une authentique rvlation divine. Proclus cite de nombreuses sentences oculaires en les dsignant par le qualificatif de . Quand il cite les Oracles, il se rfre aux dieux . Il dsignera souvent les auteurs de ces crits comme tant les experts en choses divines ( ), les tlestes , cest--dire ceux qui soccupent des initiations, les tholo-

    23. Ce changement a pu trs bien tre apport par lexigence universaliste et les vises centralisatrices du culte imprial qui a profondment modifi lunivers religieux traditionnel et son esprit de tolrance. Voir ce sujet lexcellent expos de P. HADOT, La fin du paganisme , p. 82. Sur limportance des rvlations dans le noplatonisme de Jamblique Damascius, voir H.D. SAFFREY, Quelques aspects de la spiritualit des philosophes noplatoniciens de Jamblique Proclus et Damascius , Revue des Sciences philosophi-ques et thologiques, 68 (1984), p. 169-182. Article reproduit dans Recherches sur le noplatonisme aprs Plotin, p. 213-226.

    24. H.D. SAFFREY, Quelques aspects de la spiritualit des philosophes noplatoniciens , p. 172-174. JAM-BLIQUE, De Mysteriis I, 1-2, texte tabli et traduit par . DES PLACES, Paris, Les Belles Lettres, 1966. Dans ces chapitres, Jamblique voque lautorit des sages de la Chalde ( ), des prophtes gyptiens et de lopinion ancestrale des Assyriens quil place aux cts dHerms, de Platon et de Pytha-gore.

    25. Sur le vritable titre de cet uvre : H.D. SAFFREY, Abamon, pseudonyme de Jamblique , Philomathes. Studies and Essays in the Humanities in memory of Philip Merlan, The Hague, 1971, p. 227-239. Article reproduit dans Recherches sur le noplatonisme aprs Plotin, p. 95-107. Pour un plan de cet ouvrage : H.D. SAFFREY, Analyse de la Rponse de Jamblique Porphyre, connue sous le nom de De Mysteriis , Revue des Sciences philosophiques et thologiques, 84 (2000), p. 489-511.

    26. JAMBLIQUE, De Mysteriis III, 31 (176, 2), Jamblique dit : Je te rapporterai l-dessus le propos que jai entendu jadis, quand des prophtes chaldens me le tenaient . Voir la discussion de cet extrait la page 15 de lintroduction cette dition.

    27. JAMBLIQUE, De Mysteriis V, 21-22 (228, 13-231, 17).

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    giens et les barbares28 . Cette dernire expression peut se comprendre comme dsignant des thologiens orientaux non grecs. deux reprises il introduit un vers ou une doctrine chaldaque en prcisant que cest tout comme si ctait Platon qui les proclamait : et 29 . Marinus voque la trs grande pit de son matre Proclus dans un trait intitul Proclus ou sur le bonheur. Celui-ci observait scrupu-leusement les rites et les pratiques de purifications, notamment, prcise-t-il, les orphi-ques et les chaldaques30. Il observait les ftes et les jours fastes et nfastes en suivant les divers calendriers des Romains, des Phyrgiens, des gyptiens, des Arabes, des Grecs et de tous les peuples. Marinus dit de son matre quil affirmait que le philo-sophe doit tre universellement lhirophante du monde entier31 . Il bnficiait, toujours selon Marinus, de nombreux rves prophtiques, dextases et de contacts directs avec les dieux. Marinus rapporte aussi, avec dtails, comment son matre pouvait converser librement avec les dieux et les desses. Aprs stre soumis des rites de purification, il bnficia notamment dune apparition lumineuse de la desse Hcate, qui est une desse importante des Oracles Chaldaques32. La suite du texte de Marinus est des plus intressantes et mrite quon sy attarde. Ce dernier rapporte que Proclus sadonnait la mantique et quil profrait des oracles sur sa propre destine et quil se voyait lui-mme en songe. Il reut mme en vision la rvlation quil faisait partie de la chane dHerms. H.D. Saffrey et A.P. Segonds traduisent ainsi ce passage.

    Il essaya lactivit mantique du trpied et il lui arriva de profrer des oracles sur sa des-tine. En effet, dans sa quarantime anne, il se vit, dans un songe, dire les vers que voil : L o, au-dessus du ciel, voltige une lumire immortelle Jaillissant dans un fracas de tonnerre de la classe fontanire Et alors quil entrait dans sa quarante-deuxime anne, il se vit dire en criant ces vers-ci : Mon me, exhalant une force de feu, est arrive au but ; Et dployant son intellect, elle slance tourbillonnant de flammes Vers lther et fait ternellement vrombir les cercles toils. Outre cela, il avait vu clairement dans une vision quil appartenait la chane dHerms,

    28. Un inventaire et un index des occurrences de ces expressions dans la Thologie platonicienne de Proclus se trouvent dans larticle suivant : Luc BRISSON, La place des Oracles Chaldaques dans la Thologie platonicienne , p. 120. Pour un inventaire des formules chez les noplatoniciens, voir Hans LEWY, Chal-daean Oracles and Theurgy, p. 443-447.

    29. PROCLUS, Thol. Plat., III, 27 et IV, 12. Sur ces deux occurrences, voir Luc BRISSON, La place des Oracles Chaldaques dans la Thologie platonicienne , p. 120, note 25.

    30. MARINUS, Proclus ou sur le bonheur 18, 28-29. Voir aussi la note 3 qui se trouve la page 127 du mme volume.

    31. Ibid., 19, 7-30. 32. Ibid., 28, 15-19. Nous disons que Hcate est une desse importante des Oracles parce quelle est celle dont

    le nom revient le plus souvent dans nos fragments (fr. 32 ; fr. 35 ; fr. 50 ; fr. 52 ; fr. 221, en ajoutant aussi le contexte du fr. 51, d. DES PLACES). Sur Hcate, voir la monographie suivante : Sarah ILES JOHNSTON, HEKATE SOTEIRA, Atlanta, Scholar Press, 1989.

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    et il acquit un jour la conviction, sur la foi dun songe, quil avait en lui lme du pythago-ricien Nicomaque33. Le vocabulaire grec des vers des lignes 26-27 nest pas sans rappeler celui des

    Oracles Chaldaques, ainsi que le signalent les notes de H.D. Saffrey et A.P. Segonds (p. 158, n. 22 de la p. 33 et n. 1-2 de la p. 34) la suite de H. Lewy (Chaldaean Oracles and Theurgy, p. 328, n. 58). Il vaut la peine de reproduire ici ces lignes.

    Comme le notent Lewy, Saffrey et Segonds, il faut supposer que ,

    qui est sans aucun doute une allusion au Phdre 247c3, est employ ici selon son usage mdioplatonicien et est synonyme de . Ces auteurs renvoient au fr. 18 (. des Places) des Oracles, auquel nous pouvons ajouter un passage de Jamblique, le De Mysteriis V, 20 (228, 2-6). Ce dernier texte voque ceux qui sunis-sent aux dieux de la thurgie dune manire hypercosmique et qui sont unis aux dieux par une force hypercosmique. Les diteurs de Marinus notent aussi la prsence dans ces vers du mot qui est galement prsent dans un fragment des Oracles dattribution incertaine pour . des Places (fr. 213), mais accept comme chaldaque par H. Lewy (Chaldaean Oracles and Theurgy, p. 172, n. 403). Saffrey et Segonds signalent ensuite la prsence du verbe . Ils notent, la suite de Theiler, que les composs de sont frquents dans la littrature qui sinspire des Ora-cles et nous notons quil se trouve justement dans le fr. 90. Cette prsence dun voca-bulaire commun aux Oracles dans des vers attribus Proclus nous incite formuler lhypothse suivante. Serait-il possible que, sous les nombreuses appellations quuti-lise Proclus pour citer des vers oculaires, se cachent des sentences qui lui seraient propres ? la suite notamment des apparitions et des rvlations prives que lui attri-bue Marinus, ne serait-il pas possible que Proclus ait lui-mme propos des Oracles, cest--dire en fait des que le texte attribue simplement aux dieux ( )34 et que ses disciples et successeurs ont converti en Oracles Chaldaques ? Que ces appa-ritions dentits divines soient relles ou non ninfirme en rien lhypothse. Dans le cadre dune approche sous langle de la rception, seul importe le fait que Marinus a tenu ces thophanies et ces songes pour authentiques et que les successeurs de Pro-clus lAcadmie ont reu ces comme tant sacrs . Il nous suffit ensuite de prendre note que Proclus racontait lui-mme, au dire de Marinus, quil tait tmoin de ce genre de manifestation et notre hypothse prend alors une forme concrte. Si elle tait exploite fond, une telle hypothse serait susceptible de nous en apprendre un peu plus sur la vie spirituelle des noplatoniciens, sur leur notion de proprit intel-lectuelle, de mme que sur lorigine et la transmission des Oracles Chaldaques. On peut galement se demander sil ne serait pas possible que Proclus cite des sentences en vers dorigine autre que chaldaque, notamment lorsquil les introduit par la for-mule : ? Une tude sous cet angle de lensemble du dossier des Ora-cles Chaldaques attest par Proclus de manire directe ou indirecte (les attes-

    33. MARINUS, Proclus ou sur le bonheur 28, 24-35. 34. Voir la note 28.

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    ts par Psellus, rappelons-le, sont tirs en grande partie de Proclus) nous rvlerait peut-tre un ct mconnu de la spiritualit de Proclus et pourrait peut-tre mieux faire comprendre les mutations du noplatonisme et davantage mesurer limportance des Oracles Chaldaques. Nous posons alors cette question : les Oracles Chaldaques ne pourraient-ils pas tre, ni plus ni moins, quune collection vivante qui se serait en-richie au fil de la tradition depuis Jamblique jusqu Proclus qui en est le tmoin his-torique le plus probant, celui chez qui ces sont le plus abondamment attests si lon tient compte du fait que Psellus a puis chez lui la majeure partie de ses con-naissances des . Nous sommes toutefois conscient que, dans ltat actuel de notre rflexion, il ne nous est pas possible daller plus loin pour dmontrer la validit dune telle hypothse. Il nous manque une tude des contextes dans lesquels les sont cits et qui pourrait rpondre aux nombreuses questions laisses ouvertes par le dcs subit de Hans Lewy. Une autre question demanderait un nouvel examen et cest celle du tmoignage dAugustin dans la Cit de Dieu au sujet du De regressu animae35. Mme si lexamen dtaill de lensemble de ce dossier dpasse largement le cadre de cet article, nous croyons quil vaut la peine de formuler ces hypothses et den tenir compte dans la suite de notre recherche.

    III. DOCTRINE DE SALUT ET CONCEPTIONS SUR LA PRIRE DANS LA SPIRITUALIT NOPLATONICIENNE :

    DE PORPHYRE JAMBLIQUE ET PROCLUS

    Il nous reste maintenant prsenter quelques tmoignages littraires qui illus-treront nos propos au sujet de linnovation spirituelle qui sinstalle chez les noplato-niciens au moment o les Oracles Chaldaques deviennent pour ces philosophes une importante source dinspiration. Nous serons ainsi en mesure de montrer dans quelles conditions furent reus ces et ce quils ont pu apporter comme nouveaut. Quelques remarques sur les conceptions de la pratique de la prire du sage chez Por-phyre, Jamblique et Proclus permettront dappuyer nos propos. Il ne sagit pas de pro-duire une analyse exhaustive de prires noplatoniciennes, ni de procder une ana-lyse de la thorie de la prire chez ces auteurs. Il sagit simplement de montrer que leur conception de la prire peut en partie expliquer leur rception des . Por-phyre soutenait que la pratique de la vie philosophique permettait daccder la divi-

    35. Outre louvrage posthume de Hans LEWY, Chaldaean Oracles and Theurgy, qui demeure essentiel et qui est encore la plus importante tude de dtails sur les Oracles, la seule autre monographie qui leur fut con-sacre est ldition de Ruth MAJERCIK, The Chaldean Oracles. Sur la question des extraits du De regres-sus, outre les pages rcentes de C. VAN LIEFFERINGE, La thurgie, p. 176-211, louvrage le plus important demeure celui de John J. OMEARA, Porphyrys Philosophy from Oracles in Augustine, Paris, tudes Au-gustiniennes, 1959. Il faut ajouter ce dossier la note critique assez svre de Pierre HADOT, Citations de Porphyre chez Augustin. propos dun ouvrage rcent , Revue des tudes Augustiniennes, 6 (1960), p. 205-244, ainsi que la rponse dOMeara qui suit la note de P. Hadot aux p. 245-247. Louvrage de P. COURCELLE, Les lettres grecques en Occident. De Macrobe Cassiodore, Paris, E. de Boccard, 1943, demeure un bon point de rfrence pour tudier linfluence de Porphyre sur les auteurs latins de lAntiquit tardive ainsi que de P. HADOT, Porphyre et Victorinus.

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    nit, source de salut pour lme36. Par contre, Jamblique recourait la thurgie pour entrer en communication avec les dieux et accomplir le rite qui lui serait salutaire. Proclus pense plutt que la pratique de la prire est une faon de manifester que les dieux lui ont accord leur grce en faisant de lui un maillon de transmission du platonisme, un fidle exgte du texte et des doctrines thologiques que les dieux lui ont rvls.

    IV. LA PRIRE DU SAGE

    1. Porphyre

    Les conceptions de la sagesse et de la vertu sont de premire importance pour les noplatoniciens. Selon eux, en effet, seul le sage sait convenablement prier. Porphyre, qui nous a laiss de belles pages sur les avantages de la contemplation et des vertus, prcise quil sagit l des seules voies pratiques menant la sagesse. Le sage est celui qui pratique la matrise de soi et dveloppe les vertus qui le rendent digne de lunion avec Dieu. Selon une maxime pythagoricienne qui lui est chre : Toute conqute dun bien doit tre prcde de peine37 . Luvre de Porphyre tmoigne de la place prpondrante que commenait prendre lintrieur du cercle philosophique pla-tonicien une certaine forme de pratique rituelle et des questions que cette innovation suscite. Dans sa Lettre Anbon, il se permet de douter que les dieux qui exigent lobservance de rites de purification, qui imposent des pratiques vgtariennes tout en exigeant des sacrifices danimaux et qui se laissent commander par les humains puis-sent tre bnfiques pour ceux qui les invoquent38. Il observe nouveau ce genre de pratiques la fin de sa vie, avec tristesse, selon nous, dans sa Lettre Marcella. son avis, de telles pratiques feraient obstacle la sagesse et la vie philosophique et ne pourraient tre salutaires que pour lme du vulgaire, cest--dire celle du non-philosophe, ou pour la partie infrieure de lme39. Jamblique critiquera cette doctrine porphyrienne. Il a t trs prs de Porphyre, mais a rompu avec lui en attirant sa

    36. Afin de mieux comprendre la position qua prise Porphyre, il faudrait tre absolument certain de la chro-nologie de ses uvres. Il sagit dun sujet fort dlicat pour lequel il ny a pas encore de consensus. Nous connaissons de lui un trait intitul La philosophie des Oracles, une uvre qui ne cite aucun oracle chaldaque. Voir ce sujet les remarques dE.R. DODDS, New Light on the Chaldaean Oracles . Faut-il placer le De regressu anima avant sa priode plotinienne ou aprs ? La seule chose qui est notre avis certaine est la place de la Lettre Marcella la fin de sa vie, ainsi que la Lettre Anebon aprs sa priode plotinienne. La question du De regressu mriterait un nouvel examen. Voir les pages de Carine VAN LIEF-FERINGE, La thurgie, p. 176-211. Ses remarques sur le trait De labstinence de Porphyre mritent une lecture attentive.

    37. PORPHYRE, Lettre Marcella, 7 (109, 7-8), texte tabli et traduit par . DES PLACES avec un appendice de A.P. Segonds, Paris, Les Belles Lettres, 1982.

    38. PORPHYRE, Lettre Anbon, dans EUSBE DE CSARE, Prparation vanglique, V, 10, 1-10, introduc-tion, traduction et annotation par Odile ZINK, texte par douard DES PLACES, Paris, Cerf (coll. Sources Chrtiennes , 262), 1979.

    39. Voir aussi ce quen dit H.D. SAFFREY dans son article Les noplatoniciens et les Oracles Chaldaques , p. 215. Saffrey sappuie sur linterprtation augustinienne du De regressus animae. Pour C. VAN LIEFFE-RINGE, La thurgie, il est mme possible que ce soit ce conflit qui rvla Porphyre les Oracles Chal-daques travers les rponses de Jamblique ses questions.

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    suite la quasi-totalit des disciples de son ancien ami. Il est aussi probable que cette rupture ait t lie la question de lintroduction de techniques utilises en plus de la pratique des vertus pour sattirer la faveur des dieux. Il nest pas impossible non plus que nos deux philosophes aient eu une conception diffrente de la sagesse40. Dans les textes qui nous sont parvenus de lui, Porphyre propose lide que seul le sage est prtre, que seul il est estim de Dieu et que lui seul sait prier convenablement, alors que linsens profane la divinit mme lorsquil prie41. tant donn, dira Porphyre, que les adeptes de rituels extrieurs ne placent pas la pratique des vertus et la matrise de soi au cur de leur doctrine spirituelle et de leur pratique philosophique, il faut en conclure quen aucun cas ceux qui pensent et agissent ainsi ne peuvent se rclamer de la sagesse et la faveur du divin. Leurs prires seraient donc vaines et inoprantes42. Daprs Porphyre, ce nest pas au moyen de lobservation et de la pratique conti-nuelle de supplications, de rituels et de sacrifices quon devient praticien de la science de Dieu, mais en pratiquant par ses uvres la pit envers Dieu43 . Cette vision sera fortement critique par Jamblique et Proclus qui, tout en admettant ses qualits, constate quelle nest accessible qu un nombre restreint dindividus. La voie que ces deux derniers proposeront se voudra plus accessible. H.D. Saffrey fait remarquer que la voie de salut propose par les thurges est nourrie par la pit personnelle quotidienne dindividus qui apprennent reconnatre la prsence en chacun deux de symboles ou de caractres divins. Cet auteur ajoute que lensei-gnement des Oracles Chaldaques mettait la porte de chacun un outil pour re-monter en quelque sorte jusqu son origine divine44 .

    2. Jamblique

    Dans son introduction aux Oracles Chaldaques, Ruth Majercik rsume bien la doctrine de salut qui sy dgage la lumire des commentaires noplatoniciens. Le salut chalden, remarque-t-elle, implique que lme se purifie par lapplication de techniques thurgiques45. Le salut expos dans le De Mysteriis de Jamblique consiste effectivement en une remonte de lme vers les lieux clestes et seffectue par lop-ration de rites thurgiques. Les dieux qui staient rvls aux prophtes chaldens (les , ainsi que Jamblique dsigne les auteurs de ces paroles) avaient expos les moyens de les invoquer pour quils se manifestent dans une tho-

    40. Les circonstances exactes de la rupture entre Porphyre et Jamblique la fin de la vie de Porphyre nous sont en grande partie inconnues. On lira cependant avec profit larticle de H.D. SAFFREY, Pourquoi Porphyre a-t-il dit Plotin ? , dans Porphyre. La vie de Plotin, t. II, Paris, Vrin (coll. Histoire des doctrines de lAntiquit classique , 16), 1992, p. 31-64.

    41. PORPHYRE, Lettre Marcella, 16 (115-116). 42. Ibid., 18 (116). Quelques exemples : il reprend notamment une maxime pythagoricienne en 19 (117, 14-16)

    qui affirme quil faut prendre soin du vritable temple : le intrieur ; en 21 (118, 9-14), il soutient que le domicile des dieux est lme qui pratique le bien ; en 23 (119, 10-23), il soutient que la divinit prfre aux sacrifices et aux libations la puret du cur.

    43. Ibid., 17 (116, 1-4). 44. H.D. SAFFREY, Quelques aspects de la spiritualit des philosophes noplatoniciens de Jamblique Pro-

    clus et Damascius , p. 172. 45. Ruth MAJERCIK, The Chaldean Oracles, p. 21.

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    phanie lumineuse. Une fois quils se sont manifests, ces dieux transmettent au thurge un nouveau rituel servant lever son me et guider celle-ci en vue du salut. H.D. Saffrey remarque avec justesse que ces rites sont transmis par les dieux eux-mmes et doivent tre respects la lettre afin de pouvoir faire apparatre de nouveau le dieu qui transmettra alors une toute nouvelle srie de rites individualiss et destins en quelque sorte faire lever lme de chaque thurge. Les dieux sont donc inconnaissables dans leur nature, mais connaissables par lapplication de ces rites46. Le salut est le fruit la fois dun effort, celui dappliquer le rituel, et le fruit de linitiative du dieu qui se rvle et qui rvle chacun la voie de son salut. Jamblique soutient que la pratique de la prire est associe aux rites. Elle peut ou bien prcder ceux-ci, ou les accompagner, ou encore se dire la fin par manire de conclusion. Cette amiti , selon le mot de Jamblique, avec les dieux procure donc au thurge trois avantages. La prire rapproche du divin : elle y introduit et fait faire sa connais-sance et mne lillumination. La prire noue ensuite avec le divin et fait agir le thurge en communion avec le divin. Le point culminant de la prire est lunion avec les dieux47. Nous retenons de ces explications de Jamblique quune place importante est accorde chez lui lide de rvlation prive (connaissance, illumination) et de prsence et de communaut avec les dieux. La prire assiste le thurge qui devient alors apte recevoir cette communion avec les dieux qui assistent alors lhumain dans son processus de purification.

    3. Proclus

    Proclus soutient que le sage est celui qui sait sattirer la faveur des dieux et qui leur adresse le culte qui leur est adapt. Lacquisition de la vertu se fait dune part par lobservance stricte du rituel prescrit, dautre part en modelant sa conduite selon la volont des dieux. Proclus avait compris de sa mditation des que lme humaine se trouve dans un tel tat de dgradation quil lui est impossible dentrepren-dre quoi que ce soit pour sa libration sans le secours divin. Puisque les dieux se sont rvls, il suffit de suivre leurs directives et dappliquer la technique approprie. Pro-clus dcrit ses multiples dmarches intermdiaires : il accomplit des rites, il chante des hymnes, il prononce des formules incantatoires servant sattirer la bonne grce des dieux afin de les inviter se manifester au moyen dune thophanie. Il utilise la prire pour demander aux dieux dagir sur son me et de conduire son esprit. Dans la ligne de pense de Jamblique, il suppose que tous les tres sont des rejetons des dieux48 . Ds lors, le culte, la prire deviennent des outils pour prendre connaissance que tous les tres et sont sortis des dieux et nen sont pas sortis49 . Proclus exprime dans sa prire quil est un maillon important dans la rception du platonisme (en plus dtre un maillon de la chane dHerms, ainsi que nous lavons vu plus haut) qui lui

    46. ce sujet, on lira avec profit larticle de H.D. SAFFREY, Quelques aspects de la spiritualit des philoso-phes noplatoniciens de Jamblique Proclus et Damascius .

    47. JAMBLIQUE, De Mysteriis, V, 26 (237, 8-240, 10). 48. PROCLUS, Commentaire sur le Time II, 209, 10-15 (p. 30), traduction et notes par A.J. FESTUGIRE. 49. Ibid., II, 209, 25-30 (p. 30-31), traduction et notes par A.J. FESTUGIRE.

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    apparat comme une rvlation50. Il invoque les dieux et leur demande de lui venir en aide dans sa tche dexposer et dexpliquer le texte de Platon. Dans son Commentaire sur le Parmnide, il invoque ainsi les dieux.

    Je prie tous les dieux et toutes les desses de guider mon esprit vers le sujet que je me propose et, aprs avoir allum en moi la brillante lumire de la vrit, de dployer mon intelligence pour atteindre la science mme des tres, douvrir les portes de mon me pour quelle puisse accueillir la doctrine divinement inspire de Platon51.

    Les dieux sont pour lui les guides par excellence. La rvlation des dieux travers les ne peut que conduire la comprhension exacte du texte de Platon. On conclura que la pratique de la vertu chez Proclus consiste suivre la voie montre par les dieux. Proclus se considre comme celui qui reoit des rvlations. Sa prire se poursuit et il demande toutes les classes divines de mettre en lui une disposition parfaite participer la doctrine tout poptique et mystique de Platon . Le culte rendu aux dieux devient alors la rception et la transmission dune thologie teneur scientifique qui remplace le culte matriel. Il termine en effet sa prire en prsentant la raison de la venue de Syrianus, son matre, chez les humains. Cette venue remplace les statues de culte, les crmonies sacres et lensemble du culte. Syrianus devient lui-mme un transmetteur de rvlation auquel Proclus siden-tifie et sassocie en mme temps quaux dieux. Comment ne pas alors penser que Pro-clus ait pu recevoir et transmettre de nouveaux ? Dans cette optique, il est peut-tre inexact de parler de nouveaut, car les rvlations ne servent qu expliquer et faire comprendre le texte divinement inspir de Platon . Il ne faudrait pas alors voir en Proclus un faussaire crant de nouveaux Oracles. Nous avons bien vu plus haut quil introduit des vers par toutes sortes de formules et quil les attribue aux dieux , aux barbares ou aux thologiens . Mais il nous faudra revenir sur une telle hypothse qui ncessiterait des explications qui dpassent les limites de cet article.

    REMARQUES FINALES : UNE RCEPTION CONTEMPORAINE

    DES ORACLES CHALDAQUES

    Les Oracles Chaldaques continuent tre lus avec enthousiasme par certains groupes dsotristes et doccultistes contemporains. Nous avons mme dcouvert une mise en garde informant les thurges et les mages contemporains des diffrences de traduction et dinterprtation entre ldition de Westcott et celle de Majercik. Une nouvelle prsentation dune dition du 18e sicle des Oracles vient galement de voir le jour. Il sagit en fait dune dition revue et amliore qui comporte une concor-dance ldition de Ruth Majercik, de mme quavec celle ddouard des Places,

    50. Andr MOTTE, Discours thologique et prire dinvocation. Proclus hritier et interprte de Platon , dans Proclus et la thologie platonicienne, p. 91-108.

    51. PROCLUS, Commentaire sur le Parmnide, I, col. 617, cit selon H.D. SAFFREY, Quelques aspects de la spiritualit des philosophes noplatoniciens de Jamblique Proclus et Damascius , p. 171.

  • QUELQUES REMARQUES SUR LA RCEPTION DUN PSEUDPIGRAPHE

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    publie dans la Collection des Universits de France52 . Aussi tonnant que cela paraisse, les Oracles circulent en des milieux sotristes et occultistes contemporains dans des ditions populaires et des rditions dditions anciennes. Ils sont traduits et reproduits avec ou sans apparat critique pour noter les variantes des manuscrits. On laisse parfois entendre que loriginal est en latin et on ne donne de linformation ni sur le contexte dans lesquels ils nous sont parvenus, ni sur leur mode de transmis-sion53. Pour un texte qui, justement, ne nous est connu que par des citations, cet tat de choses nest pas sans heurter le philologue. Il ouvre cependant une piste, inconnue et fort prometteuse pour le chercheur en sciences des religions ! Les Oracles Chalda-ques redeviennent nouveau, depuis la fin du 19e sicle jusqu aujourdhui, une nouvelle uvre littraire vivante, ouverte de nouvelles rceptions.

    52. Oracles and Mysteries. The Chaldean Oracles, Guilford, The Prometheus Book, 2001. Cette dition quel-que peu trange nous a t signale par quelquun qui nen possdait quune photocopie laquelle manquait la page titre. Nous en avons trouv la rfrence sur Internet. Cette dition comporte lancienne traduction de Taylor (1758-1835), ainsi quune concordance aux ditions de Ruth MAJERCIK, The Chal-dean Oracles, et ddouard DES PLACES, Oracles Chaldaques.

    53. Nous pensons ldition suivante que nous avons vue dans une librairie dsotrisme Toronto : The Chal-daean Oracles as set down by Julianus, translated by Thomas Stanley, with Preface by Wynn W. WESTCOTT, Gilette, New Jersey, Heptangle Books, 1989. la lumire de notre recherche, cette version modernise la langue de lancienne traduction de Stanley qui tait parue Amsterdam en 1662 et qui tait en fait une traduction des fragments recueillis par G. Plthon. De plus, elle reprend la prface de Westcott publie Londres en 1895, accompagne dun texte latin que lon prtend tre loriginal. Ce texte latin ac-compagnait la traduction de Stanley et date du 17e sicle. Signalons encore celle qui est parfois cite dans la littrature sotriste : G.R.S. MEAD, The Chaldean Oracles (2 vol.), England, Theosophical Publishing Society London (coll. Echoes from the Gnosis , VIII and IX), 1908. Un libraire sotriste dOttawa nous a signal que ce volume est aussi dit par Holmes Publishing Group LLC et vendu en format de poche.