Quels choix économiques face à la crise

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LE STRATGE

Exposs : Quentin Peel, Abderrahmane Hadj Nacer, Mouna Cherkaoui, Discutants : Mohamed Soual et Franoise Clottes Synthse : Adil El Mezouaghi

Quels choix conomiques face la crise ?

COLLECTIF STRATGIE

Enjeux nationaux dune crise globaleOmar Aloui

Banques : que deviennent les rgles prudentielles ?Hicham Benjama

La crise et la tentation protectionnisteAlfredo Valladao

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INTRO

Quels choixDes subprimes aux faillites de nombreux tablissements bancaires, la crise que connat lconomie mondiale na pas fini de marquer notre poque. Invitant rflchir non seulement sur ltendue de ses dgts, mais galement sur la gouvernance de lconomie mondiale, elle peut inciter les pouvoirs publics imaginer une autre faon de grer les questions conomiques et financires. La mondialisation des changes, ainsi que la libralisation financire, ont transpos les effets de la crise, commence aux Etats-Unis, puis dans la zone Euro et aux marchs asiatiques. Si ces effets sont apparus dans les places boursires, ils nont pas tard ensuite toucher lconomie relle. Si cette crise a eu de fcheuses rpercussions partout, elle a le mrite de regorger dopportunits, la principale tant doffrir des conomies comme la ntre de rflchir sur leur structure, leurs projets, leur avenir. La crise nous interroge, par ailleurs, non seulement sur des thmatiques conomiques, mais aussi et surtout sur des problmes politiques. La corruption, la concurrence, linformel, les trafics de tout genre, la redistribution et louverture rgionale, sont, en ralit, des sujets qui incombent aux politiques, et qui peuvent tre des facteurs aggravants ou, au contraire, des sorties potentielles de la crise conomique. Si cette crise conomique que connaissent des pays partenaires venait tre transfre au Maroc avec la mme intensit, elle revtirait trs vite un caractre social, avec toutes les rpercussions sur la scurit publique, la paix sociale, le bien-tre et la quitude des citoyens. Du coup, elle questionnerait ouvertement notre modle de dveloppement conomique et notre mode de gouvernance. Sur les aspects de la gestion de cette crise au Maroc, les dcideurs ont rejoint les investisseurs pour afficher un certain optimisme, au dbut du moins. Leur discours a progressivement migr vers plus dinterrogations, plus de prudence, et aujourdhui plus de pragmatisme. Ils admettent finalement que le Maroc sera touch par la crise mondiale. Les

conomiques face la crise ?Adil El Mezouaghi, Cesem-Hemquun ralentissement de la croissance ou une rcession conomique constate dans des pays partenaires peuvent engendrer un affaiblissement de la capacit dinvestissement des entreprises. La seconde tendance, qui se veut optimiste, espre que lconomie marocaine serve de base de repli des capitaux mens mal, ailleurs, par une mauvaise conjoncture. Une lecture avertie des IDE au Maroc montre que ceux-ci concernent particulirement le secteur du tourisme, ce qui en fait un secteur surveiller. Un affaiblissement du pouvoir dachat de touristes potentiels pourrait engendrer une baisse des frquentations. A tous ces impacts, sajoute le flux des transferts des MRE qui vivent dans les pays touchs par la crise. Les chiffres disponibles montrent que les volumes sont en lgre baisse. Limmobilier marocain se portait visiblement bien ces dernires annes. Lavenir de ce secteur reste cependant dans lexpectative dune politique de diversification de loffre et de son orientation vers la classe moyenne locale. Le Collectif Stratgie sintresse ces questions et ambitionne dapprhender la capacit de lconomie marocaine tenir compte de ce nouveau contexte international. Tout au long de lanne 2009, Il sera amen rflchir sur limpact de cette crise, sur les opportunits saisir, ou les risques grer, sur la gouvernance de notre conomie et son ancrage dans son environnement rgional et international.

Le Collectif Stratgie ambitionne, tout au long de lanne 2009, de rflchir sur limpact de cette crise, sur les opportunits saisir, ou les risques grermultiples accords de libre-change de ce pays et sa balance commerciale ternellement dficitaire indiquent que ses exportations sont menaces. Ses principaux marchs sont en difficult. Au niveau des IDE, deux visions antagonistes saffrontent quant limpact de cette crise sur leur volume. La premire tendance, pessimiste, indique clairement

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EXPOSS

Reconstruire quilibr ! ordreunQuentin PEELEditorialiste au Financial Times

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ette crise est sans aucun doute un moment dramatique, dont il est impossible de prdire les consquences. Mais je vais essayer quand mme de tirer quelques enseignements, et dexpliquer comment nous nous sommes retrouvs dans une situation extrmement complique.

Deux sonnettes dalarme !Mon collgue Martin Wolf a crit cette semaine : "Soyez les bienvenus en lanne 2009 ! Cest lanne o le destin de lconomie mondiale va tre dcid, peut-tre pour des gnrations. Il y a des personnes qui croient toujours que nous pourrons rtablir la croissance dsquilibre des annes prcdentes. Ils ont tort. Nous avons peine le choix entre une conomie mondiale mieux quilibre et la dsintgration. Cest un choix que nous ne pouvons pas remettre plus tard. Il faut le faire cette anne. Nous sommes saisis par une crise financire mondiale plus srieuse que toute autre depuis sept dcennies, cest--dire depuis les annes trente. Si nous sommes intelligents, il est possible que la rcession dure deux ou trois ans. Mais si nous poursuivons une politique fausse, qui emprunte la route du protectionnisme, comme dans les annes 30, cela pourrait facilement devenir une dpression de dix ans." Nowiel Ranbin, un conomiste amricain n en Turquie, disait il y a quelques mois que ctait un choix entre une rcession symbolise par la lettre V (on touche le fond et on remonte rapidement) et une rcession sous forme de U devant durer 2 ou 3 ans. Mais maintenant il parle dun choix entre le U et la lettre L - une rcession de type japonais qui stale sur dix ans !

Crise mondiale ou crise dun systme ?Il y a un an, il y avait des gens qui croyaient que ctait un problme exclusivement amricain, ou plutt anglo-saxon. On parlait de "dcouplage", on disait que les conomies

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Reconstruire un ordre quilibr !mergentes, comme la Chine, pourraient compenser le ralentissement amricain. LEurope aussi pourrait chapper la crise, racontait-on ! On voit maintenant que ce nest pas vrai. Lconomie chinoise a ralenti, passant dune croissance de 12% par an 5% et peut-tre moins. Pour un pays avec une population norme et une attente encore plus grande, cest dramatique. Dans la zone Euro, la rcession est arrive pour de bon. Les exportateurs de ptrole sont frapps eux aussi - surtout la Russie, mais aussi les pays du Golfe. La perte de demandes aux Etats-Unis et en Europe a un effet mondial. Les prix des produits minraux, y compris le ptrole et le gaz, sont tombs dramatiquement des hauts niveaux o ils avaient t pousss par la spculation, au commencement de lanne dernire. Cest une crise mondiale ! Mais comment sommes-nous arrivs cette situation critique et pourquoi la sortie est-elle si difficile prdire ? Est-ce une crise du capitalisme amricain ? Ou seulement une crise cyclique plus srieuse que dhabitude ? Prenons un peu de recul, pour regarder les changements dramatiques qui ont eu lieu en mme temps. transports en bateaux, du fer, et de la rfrigration Plus tard, dautres rvolutions se sont produites : le march unique en Europe et la chute le dficit norme des Etats-Unis de lautre. Lacclration de ce dsquilibre pendant la dernire dcennie a rendu la situation non viable (unsustainable imbalances).

Le chmage en Europe aura des rpercussions sur les migrants. Certains vont probablement vouloir revenir chez eux.de lempire sovitique. On croyait que ctait la fin de lhistoire et le triomphe de la dmocratie librale, style amricain. Cette concidence, de louverture de la Chine, la chute de lURSS, de larrive dInternet et de lacclration de la migration travers les frontires, avec une libration du commerce grce aux ngociations de lUruguay round, ctait la rvolution internationale ! Au moment du triomphe de lOccident, a commenc un mouvement fondamental du pouvoir conomique de lOuest vers lEst. Derrire ces grands changements gopolitiques, il y avait une explosion de lutilisation de capitaux financiers - Financial assets. En 1980, le total des capitaux financiers tait peu prs de 109% du PIB global. En 1995, il reprsentait 218%, et en 2005, il arrivait 316%. Du total des $ 140 trillions, les Etats-Unis, lEurope et le Japon possdaient 80 %. Mais pendant les annes 90, a commenc un autre phnomne - global imbalancement - le dsquilibre mondial, entre le surplus commercial de la Chine, du Japon, de lAllemagne et des pays exportateurs de ptrole dun ct, et

Mme crise que dans le pass, moins le cavalierNous napprenons rien de lhistoire. Cest lconomiste J.K.Galbraight qui a dit : "Il peut y avoir peu de champs deffort humain o lhistoire compte si peu, comme cest le cas dans le monde des finances. Lexprience du pass est renvoye comme le refuge de ceux qui nont pas la perspicacit dapprcier les merveilles incroyables du prsent". Il aurait pu parler de notre crise de 2008. Nos prdcesseurs nont jamais entendu parler de Hedge funds derivatives, structured assets, ou subprime mortgages, mais larrive de cette crise et ses causes, ont t semblables celles de toutes les crises financires depuis la deuxime guerre mondiale. Une longue priode de prosprit apparente qui finit par une acclration rapide des prix immobiliers et des prix des actions de Bourse ; une priode de croissance continue, mais graduelle, qui conduit la recherche de profits levs, par exemple dans les marchs mergents, lacclration des dficits commerciaux et de limportation des capitaux. Selon les tudes de Carmen Reinhardt et Kenneth Rogdy, qui ont rpertori 18 crises bancaires depuis la seconde guerre mondiale, il y a eu aussi une accumulation de dettes publiques, un ralentissement du taux de croissance et, souvent, une priode de drgulation financire. Pensons aux annes 1970, quand les ptrodollars - un autre dsquili-

Connexions historiquesCommenons par la fin des annes 70, avec larrive de Deng Xiao Ping la tte du gouvernement chinois. Cest louverture de lconomie chinoise qui a commenc, mme si nous ne nous en sommes pas rendu compte tout de suite. Simultanment, il y a eu la rvolution des transports, avec larrive de containers et supertankers, et ensuite larrive dInternet... Ctait le commencement de la deuxime priode de la globalisation. La premire date de la fin du XIXme sicle, avec larrive du tlgraphe, des

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bre- arrivaient sur les marchs de capitaux et faisaient baisser les taux dintrt. Les banques avaient beaucoup dargent et cherchaient partout de meilleurs rendements : elles ont trouv les marchs mergents dAmrique latine et dEurope de lEst. Mais tout a explos quand le gouvernement mexicain a suspendu son service des dettes en 1982. Nuance ! Dans le pass, chaque crise, il y a toujours eu la cavalerie qui galopait au secours. Ctait la cavalerie amricaine. Cette fois, la crise a commenc aux Etats-Unis. O est la cavalerie ? Elle est prise dans la crise! Cest un moment curieux. La crise est venue en mme temps trs vite et trs lentement ! Cela me rappelle le coyote qui poursuit le gocoucou (Bipbip, the roadrunner) dans ces dessins anims de la Warner Bros : il arrive la falaise et continue courir trs vite, mais il ny a plus alors que le vide en dessous. Avec la faillite de Lehmans brothers, on a vu les connexions mondiales de tout le march financier. Le gel de crdits est rapidement devenu global.

Quand la Chine se grippe Au mois de juillet en Russie, un bon mot de Vladimir Poutine a entran une chute de la Bourse et, tout de suite, on a vu comment les oligarques taient endetts vis--vis du monde extrieur. Au mois de septembre, jai rencontr le directeur dune socit sidrurgique russe : elle ne travaillait plus que trois jours par semaine, cause de la perte de demande de la Chine. Et tout coup, nous nous rendons compte que les Chinois produisent un surplus dacier de 120 millions de tonnes par an, un surplus qui excde la production totale du Japon, deuxime producteur mondial. Tant que la Chine croissait de 12%

par an, il ny avait pas de problme. Mais un taux de croissance de 5%, il y a trs vite eu un surplus. A un certain moment lanne dernire, il semblait que les sovereign wealth funds de la Chine, du Golfe, mme de Russie, pourraient nous aider. Mais maintenant ils ont trop de problmes chez eux. On croyait que lEurope -lEuro-zone - pourrait chapper aux pires consquences. Mais le chmage crot en Allemagne. Pour toute la zone Euro, le chmage au mois de novembre a augment de 7,7% 7,8% - contre un taux de 7,2% il y a un an. La vente dautomobiles en Allemagne - de Mercedes, Porsche et BMWest tombe de 21% pendant lanne dernire. Aux Etats-Unis, les derniers chiffres du chmage sont choquants: 524 000 emplois ont t perdus au mois de dcembre 2008, plus que dans tout autre mois depuis 1945. "Tous les secteurs commencent baisser en mme temps". En Europe de lEst, il y a de grands problmes, surtout dans les nouveaux pays membres de lUnion europenne, comme la Roumanie, o les consommateurs comme les socits, ont emprunt en euros. Dans la zone Euro, la spculation immobilire en Espagne et en Irlande y a, en premier lieu, prcipit la crise. Quelle est la diffrence entre Irlande et Islande ? Une lettre et six mois ! Maintenant le problme est peut-tre plus srieux en Grce. Que va-t-il arriver si ce pays ne peut plus payer ses dettes publiques ? Il ny a

pas de systme de sauvetage fiscal dans la zone Euro. Il faut le crer. Et pour vous, les marchs mergents? Le chmage en Europe aura des rsultats sur les migrants marocains. Ils ne vont plus pouvoir envoyer dargent. Certains vont probablement vouloir revenir chez eux. Le tourisme est une dpense de choix. On va prendre les vacances chez soi, surtout les Britanniques, qui ont vu la Livre Sterling baisser de 30% contre lEuro.

Quest-ce que lon peut faire au niveau mondial ?1) Persuader les pays en surplus - la Chine, le Japon, lAllemagne, les pays du Golfe - daugmenter la demande chez eux. Les Etats-Unis ne peuvent plus supporter la croissance mondiale avec leurs dficits normes. Cest de la folie ! 2) Coordonner le sauvetage de lconomie mondiale avec un G14, au moins avec la Chine, lInde, le Brsil. Le G7 ou G8 ne sont plus adquats. Le G20 est trop difficile coordonner ! 3) La crise est aussi une occasion den profiter pour construire un ordre dquilibre, et pas de dsquilibre ! Pascal Lamy, directeur gnral de lOMC, a rv dun grand accord : en mme temps un accord sur Doha, le post-Kyoto, la rforme de lONU et la rforme des institutions de BrettonWoods. Pourquoi pas ?

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Envisagerune solidarit

rgionale !

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our commencer, je voudrais rendre hommage un des auteurs auxquels je ne peux que donner raison aujourdhui ; cest Roubini. Il fait partie des rares conomistes avoir prdit la crise actuelle, bien quil soit difficile de faire des prvisions en conomie. A posteriori, on arrive toujours avoir de belles explications. A priori, il est plus difficile de se prononcer. Ce qui est impressionnant au jour daujourdhui cest labsence de propositions !

LAsie ragit face cette crise comme une seule entit. La Chine vient de dclarer ne pas vouloir soutenir le dollar amricain ad vitam aeternam sans contrepartie.

Entre nostalgie et conscience rgionaleA lchelle du monde, comme celles des continents, on se contente de retours vers le pass. On parle alors de New Deal. Ce que propose par exemple le Prsident Obama, cest le rve de pouvoir rappliquer les solutions des annes 1930, bases sur les grands projets dinfrastructure et de construction. Or, aujourdhui, le potentiel de dveloppement de ce secteur aux Etats-Unis est minime. Tout est construit !

Ceux qui ont ragi de la meilleure faon, ce sont les Japonais et les Chinois. Les Japonais ont conu un fonds de 100 millions deuros, non pour relancer leurs conomies mais plutt pour leur environnement rgional. Sans faire de discours, ils sont alls participer davantage dans des conomies avec lesquelles existait une interdpendance. Les Chinois, de leur ct, ont mont un fonds de 500 millions de dollars amricains. Ils nont pas utilis ce montant pour relancer la croissance interne. Ils ont dit quil servirait la croissance rgionale. Tout semble indiquer que lAsie ragit face cette crise comme une seule entit. La Chine vient dailleurs de dclarer quelle navait pas lintention de soutenir le dollar amricain ad vitam aeternam sans contrepartie. Ce nest pas une menace, mais a y ressemble. Que serait donc le dollar sous la pression chinoise ? De lautre ct du monde, lAmrique latine, dans un style moins ordonn, a laiss entrevoir une capacit la solidarit rgionale. Aprs de srieuses rencontres entre Argentins et Brsiliens, on a montr un attache-

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ment certain une solution rgionale de la crise actuelle. Concernant lAmrique du Nord, on sattend un effet Obama, si tant est quil y en ait un. Son Congrs le suivra-t-il ? Leffet Obama, cest un retour vers le New Deal, centr autour des questions locales. Il ny a pas encore de pense mondiale l-dedans.

Les Etats du Sud ont intrt intgrer une logique de dveloppement durable, et des industries utiles aux Etats du Nordeffets de la croissance. Tout ce que lon constate aujourdhui, cest le passage du capitalisme marchand au capitalisme financier, en passant par le capitalisme industriel, pour arriver aujourdhui au capitalisme du chaos. Tant que les plus puissants de ce monde nauront pas trouv une sortie de crise qui leur soit favorable, il ne faut sattendre aucune rforme. Cela explique certainement la raction asiatique face cette crise. Alors que les grands de ce monde soccupent trouver une issue, les Asiatiques agissent de faon solidaire. La globalisation, ayant montr ses limites, on est entr dans une nouvelle phase de rgionalisme. un temps pens un New Deal galement. Toutefois, de srieuses tudes indiquent que mme en doublant le nombre de TGV, et en reconstruisant tous les HLM, on ne gommera pas les effets de cette crise. Il faut donc trouver un rservoir de croissance. Il se trouve justement en Mditerrane et au-del en Afrique sub-saharienne. Il ne sagit surtout pas de "taper dans la poche du contribuable europen pour remplir celle du citoyen maghrbin". Il sagit de trouver une nouvelle configuration dans laquelle un nouvel quilibre international serait pleinement ralis. Les conditions runir pour arriver cet quilibre seraient dabord un changement gographique, un changement dquilibre social et un changement des modles de dveloppement. Dans ce registre de changement du modle de dveloppement, les Etats du Sud ont intrt intgrer une logique de dveloppement durable, en ce sens quils devraient dvelopper des

La rforme, quand a arrange les grands !De leur ct, les institutions internationales FMI et Banque mondiale restent encore lcart. Et quand le directeur gnral de lOMC sexprime, cest pour dire "Je rve !". Or, lOMC est aujourdhui le reflet des gosmes nationaux. LOMC est donc tout sauf la globalisation : cest la gestion commune des protectionnismes nationaux. Ne nous leurrons pas ! A lOMC, on passe des barrires tarifaires aux barrires non tarifaires et ensuite aux barrires cologiques, etc. Cest un instrument de protection des plus puissants. En ralit, on ne veut pas rformer les institutions de Bretton-Woods. On ne veut pas non plus rformer la Banque des rglements internationaux. Cela indique, au fond, que les grands pays ne sont pas prts. Ils nont pas mesur les

Cest paradoxalement une chance pour la MditerraneQuen est-il alors de notre rgion, la Mditerrane ? Cest le centre du monde, car cest le centre des problmes ! Pour ce qui est de lEurope, on a

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Envisager une solidarit rgionale !industries utiles aux Etats du Nord, et mme de constituer des leviers de dveloppement au Sud. La rvolution cologique est donc une opportunit saisir ds le dpart. Ne parlons pas de dlocalisation, mais de multi-localisation de ce type dindustrie. Nous avons donc penser ensemble de nouvelles formes dindustrie, et non la rparation des anciennes. Nous avons galement penser ensemble les nouvelles routes du monde. La Mditerrane se retrouve nouveau au centre du monde. Si les Chinois sinstallent en Algrie, au Maroc et ailleurs, cest surtout pour se rapprocher des marchs europens, et se retrouver au centre du monde justement. Lexemple de Tanger Med est un cas intressant. Il intresse les Chinois au premier plan. Cest plus une opportunit pour eux que pour les Marocains eux-mmes. En ralit, lEurope a aujourdhui besoin dun centre de dgroupage, limage de Duba ou de Rotterdam, qui nexiste pas dans le Sud. Ces changements ne sont hlas possibles quen crant des relations de solidarit avec le Nord, relations qui nexistent pas. si un Algrien payait la retraite dun Franais, du moment que le travail se trouve en Algrie. Cela suppose une volution politique pour laquelle nous ne sommes pas prts. Lintelligentsia europenne nest pas prte. Dans le Sud, nous faisons face une mmoire du Nord qui est arrogante. Notre mmoire dans

La solidarit ou le chaos !Les rapports Nord-Sud, tels quils sont, me font penser au no-colonialisme. A chaque fois que les conomies du Nord se trouvaient mal, on se retrouvait tous dans le sud, avec le mme tramway pour doper ces conomies en panne. A aucun moment, on na observ de montage de ces wagons dans le Sud. On est parfaitement dans une conomie dchange ingale. Cela me rappelle un rapport de la CIA selon lequel lIran deviendrait un pays frquentable, et que "larc de crise", cest le reste du monde musulman. Dans larc de crise, on retrouve le Maroc et lAlgrie, mais aussi la Somalie. Cela veut dire que le chaos nest pas loin. Une des faons de grer le chaos, cest la recolonisation, comme en Somalie. Les actes de piratage que ces ctes ont connus ont souvent t expliqus par la situation du pays, ses problmes politiques, et son impasse socio-conomique. Aujourdhui, cest la solution militaire qui est envisage, avec lintervention du G7 soutenue par quelques Etats du G20. En conclusion, soit nous aurons, dans lensemble Eurafrique, une perception les uns des autres qui diffre de celle que nous vivons, pour concevoir lavenir ensemble. Soit la situation annonce de chaos engendrera de nouveau une guerre, ou dans le moindre des cas, la dsignation de lautre comme bouc missaire, celui qui est responsable de cette crise qui nen est qu ses dbuts. La Mditerrane, mme si elle porte en elle tous les problmes, est la solution cette crise. Le Maghreb est manifestement appel jouer un rle important dans cette nouvelle configuration rgionale.

Soit nous aurons, en Eurafrique, une perception les uns des autres qui diffre de l'actuelle, pour concevoir lavenir ensemble, soit la situation annonce de chaos engendrera de nouveau une guerrele Sud est, quant elle, blesse. La rencontre dune mmoire arrogante et dune mmoire blesse est difficile. Lislamophobie, qui a pris la place de larabophobie, est un nouveau phnomne inquitant. Elle ne permet pas la rflexion sur des sujets concernant les changements des frontires. Lide, selon laquelle nous faisons partie dun mme espace au sein de la Mditerrane avec une solidarit rgionale, ne passe toujours pas. Louverture de lEurope lEst est le rsultat dune conviction dun partage de la mme culture. La difficult de louverture vers le Sud, mme si les intrts sont vidents et la complmentarit flagrante, ne trouve pas dautres explications mes yeux.

Des volutions ncessaires, mais douloureusesCes relations ncessitent deux types de rvolution. Une, gographique, pour faire en sorte que la frontire sud de lEurope soit le Sahel. Cet largissement sentend conomiquement et non politiquement avec un objectif clair : dplaons les activits et non les facteurs de production (ressources humaines et matires premires). Cela pourrait nous conduire une troisime rvolution, celle conduisant une solidarit rgionale des comptes sociaux. Je ne serais pas choqu

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Impact incertain incertitudeet

problmatique !montrent que dans des pays tiers galement (Chine, Inde et Brsil), la croissance connat un ralentissement. La confiance du monde des affaires baisse aussi. Les prix du ptrole, des mtaux, des matires premires agricoles sont en baisse continue et le chmage continue toujours de grimper. Face cette crise, des plans de relance ambitieux ont vu le jour aux Etats-Unis et en Europe. Ce sont des plans denvergure, et leur montant est important. LEurope a demand ses Etats membres dy consacrer 1,5 % de leur PIB. Donc, la marge de manuvre des Etats est diffrente chaque fois. Baisse des taxes, soutien aux entreprises, promotion de linvestissement, le panel des actions entreprises reste tout de mme classique. Par ailleurs, le plan amricain de relance contient les lments suivants : Doublement de la production de lnergie renouvelable Rnovation des btiments publics Reconstruction de routes, de ponts et dcoles Mise jour et informatisation du systme de sant Construction dcoles, de labora-

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aisons avant tout un travail dexplication de cette crise. Cest dabord une crise financire qui stend lconomie relle au sein de la plupart des pays de lOCDE. Un rapport de cette institution portant sur la situation conomique, mais galement sur des prvisions pour 2009 et 2010 indique quune rcession est prvoir pour 2009 et une relance pour 2010. Les taux de chmage sont eux prvus la hausse, particulirement dans la zone de lUnion europenne.

Les chiffres de lOCDE et les craintes du MarocTout a commenc quand les Bourses ont enregistr des chutes importantes. Ensuite, le nombre de permis dhabiter indicateur de ltat de limmobilier - a chut entre 2007 et 2008, dans beaucoup de pays, notamment aux Etats-Unis et en Espagne. Les ventes de voiture ont galement baiss de faon significative. Ces chiffres indiquent quil y a rcession au sein de lOCDE, mais dautres

toires, et de bibliothques du XXIme sicle Rduction dimpts pour 95% des contribuables amricains Ces explications des manifestations de la crise dans les pays de lOCDE peuvent justifier quelques craintes et proccupations pour le Maroc, compte tenu des liens conomiques quil entretient avec certaines conomies de lOCDE.

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Impact incertain et incertitude problmatique !Le moral des entrepreneurs potentiellement affectLes liens importants que le Maroc entretient avec ces pays de lOCDE font quil y a dj un impact de cette crise sur le Maroc. Sur les donnes de janvier novembre 2008, les recettes des MRE, qui avaient connu une hausse constante depuis 2003, viennent de connatre une sensible baisse. Pour les recettes au titre des IDE et des prts privs trangers, il y a galement une baisse. Les donnes concernant les importations et les exportations, celles concernant les manufacturier, Une diminution des effectifs dans les branches industries du textile et du cuir, et dans celle des industries alimentaires, Une hausse des effectifs dans les diffrents secteurs couverts par lenqute, Une hausse de la production du secteur minier Une baisse de la production du secteur de lnergie. Un premier constat : les secteurs qui emploient le plus de salaris se dclarent plutt la baisse, et en proie des pertes demplois. cest de savoir avec quelle ampleur nous serons touchs ! Ces effets se manifesteraient comme suit : Baisse des transferts des MRE Baisse des IDE Baisse des exportations Baisse de la croissance Hausse du chmage Accroissement de la pauvret et difficults maintenir les progrs raliss pour la poursuite des objectifs du millnaire Ces effets risquent dtre accentus du fait de quelques fragilits de notre conomie. Nos exportations sont concentres sur lEurope, rgion aujourdhui touche de plein fouet par la crise. Du fait de limportance du tourisme, de limportance des IDE et de celle des transferts de MRE, notre conomie se trouve davantage expose des retombes de cette crise mondiale.

Observateurs et acteurs de lconomie sont convaincus que les effets de la crise arriveront bel et bien. Le tout, cest de savoir avec quelle ampleur nous serons touchs !

Que disent les tudes au Maroc sur limpact de la crise ?En ces temps difficiles pour notre conomie, subsiste une question relative lexistence dtudes pouvant nous clairer sur limpact de cette crise. Dans les tudes explores, trois thmatiques primordiales cerner :

recettes des voyages, le textile et le cuir, connaissent une baisse aussi. Le prix du phosphate, quant lui, a baiss pour rebondir. Mais quen pensent les entrepreneurs ? Une tude du HCP a sond leur moral pour le 4me trimestre 2008. Leur pronostic rvl par cette tude fait tat de : Une quasi-stagnation de lactivit du BTP, Une quasi-stagnation du secteur

Les effets de la crise sont bel et bien l

Pascal Lamy a dclar que cette crise allait "avoir un impact profond et prolong sur les pays en dveloppement". Dailleurs, pour ce qui est du Maroc, une revue de presse avertie nous a rvl que tous les observateurs et acteurs de lconomie nationale sont convaincus que les effets de la crise arriveront bel et bien. Le tout,

Impact des chocs externes sur la croissance marocaine Impact dune baisse des exportations sur lconomie Impact dune baisse des exportations sur la dynamique de lemploi En 2005, Mustapha Ziki, professeur lUniversit de Marrakech, sest intress, par une approche conomtrique dite des SVAR, la contribution des chocs internes et externes sur les fluctuations macroconomiques

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pour le Maroc. Il en est rsult que les chocs externes pouvant affecter lconomie marocaine taient : les chocs et contrechocs ptroliers, lvolution des termes de lchange, la tendance de la croissance mondiale, la turbulence du systme financier international, et les crises politiques internationales. Chiffres intressants qui ressortent de cette tude : 80% des fluctuations du PIB rel sont expliques par les chocs domestiques pour seulement 20% expliques par des chocs externes ; et une augmentation du PIB rel chez nos partenaires de 1% entranerait une augmentation du PIB rel au Maroc de 0,6%. On pourrait en dduire quinversement, une baisse du PIB rel en Europe par exemple pourrait engendrer une baisse du PIB domestique. Dautres tudes sont venues dmontrer limportance des exportations dans lconomie marocaine. Lune dentre elles rvle que louverture commerciale par la promotion des exportations a un impact positif important sur la cration demplois.

loi de finances 2009, et tout un travail de suivi. Sur les politiques industrielles, Najib Harabi a list quelques facteurs ayant un effet positif sur la croissance conomique : Les politiques du gouvernement qui visent amliorer la quantit et la qualit des infrastructures, des transports, la scurit, et laccs au crdit, Les stratgies centres sur la diversification des marchs surtout lexport, La taille des entreprises, La localisation,

est lgitime de sinterroger sur leur prise en compte ou non du contexte international. La loi de finances 2009 a programm une augmentation de 24,3% de linvestissement par rapport 2008, par un appui aux nouvelles stratgies sectorielles dans lagriculture, lnergie, lindustrie et les nouvelles technologies de linformation. Malgr la hausse de la TVA, elle contient quelques mesures pour augmenter le pouvoir dachat (hausse des salaires des fonctionnaires, des allocations familiales, baisse de lIR). En conclusion, il y a une rcession importante dans nos pays partenaires, qui attendent un approfondissement de la crise en 2009. Quel impact leurs plans de relance programms auront-ils ? Et quel impact la situation chez eux aura-t-elle sur le Maroc ? Grosso modo, limpact sur le Maroc dpendra de lampleur de la crise dans ces pays, et de la rapidit ou non de leur sortie de cette crise. Limpact sur le Maroc peut galement tre attnu par des dveloppements internes ou par des circonstances climatologiques favorables et par les politiques adoptes dans le pass et actuellement. En ralit, limpact net est incertain, et cette incertitude est elle-mme problmatique. Les objectifs conomiques et sociaux du Maroc restent au mme niveau dambition. Il devient plus difficile de les raliser dans le contexte actuel. Cela ncessite alors un suivi rgulier de limpact de la crise dans les pays partenaires, un effort plus important dans les rformes entames, un plan de relance et surtout une rflexion sur laprs-crise.

Faut-il repenser nos choix conomiques ?Cette crise appelle-t-elle une remise en question des choix conomiques du Maroc ? Les objectifs conomiques fondamentaux ne changent pas : le Maroc aspire plus de croissance conomique, crer des emplois, lutter contre la pauvret, amliorer sa politique dducation, ses infrastructures, son environnement, et son urbanisation. Cependant, cela devient difficile raliser. Mais une fois cette crise constate, que peut-on faire ? Des politiques industrielles mettre en place, des mesures budgtaires en marge de la

Une demande forte et prvisible pour lentreprise. Il a, loppos, dress une liste de facteurs ayant un impact ngatif sur la croissance des entreprises : La structure du march et la concurrence Lge : les entreprises les plus jeunes ont le taux de croissance le plus lev, Le manque daccs aux travailleurs qualifis, Le manque de terrains industriels et la localisation en dehors des grands centres urbains, Les politiques fiscales et politiques de change, La corruption. Quant aux rponses budgtaires, il

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DISCUTANTS

Amliorer la gouvernancesurtout

L

a Banque Mondiale, par ses instances centrales et depuis ses bureaux de Rabat, suit de trs prs lvolution de cette crise et ses retombes ventuelles sur le Maroc. Il ny a pas dinstance ou dinstitution qui ait les comptences, la capacit, et la responsabilit de faire face comme avec une baguette magique - cette crise. Derrire ce phnomne, il y a une ampleur gopolitique notable. Quentin Peel nous a donn une ncessaire perspective historique longue. Abderrahmane Nacer nous a dress une inquitante dimension gopolitique rgionale de cette crise conomique et de ses sorties potentielles. Mouna Cherkaoui a recentr sur le Maroc la lecture de cette crise, par un suivi chiffr trs fin de la conjoncture. Elle y dresse les prmices des effets de cette crise sur lconomie relle.

tidien dune grande catgorie de la population. Pour eux, la crise signifie laugmentation des prix des denres alimentaires et des sources dnergie. Il y dj une vulnrabilisation de certai-

conomiques. Il y a tout juste un an, nous tions trs loin de pouvoir imaginer ce qui se passe aujourdhui. Imaginer la nationalisation dune banque en Grande-Bretagne ou mesurer lampleur des montants servant aux plans de sauvegarde, aurait t inconcevable dans un pass rcent.

Face lincertitude de la crise, amliorons la gouvernanceCe quil faut surtout constater avec une dose de modestie, cest lnorme incertitude du moment. Ni de ncessaires modlisations conomiques, ni de srieuses projections et valuations dimpacts ne nous mettent suffisamment en garde contre une crise dune telle ampleur. Une crise o il est difficile de construire des enseignements sur ce quil convient de faire sur le plan global, de trouver des quilibres nouveaux en termes gopolitiques de faon mieux rpondre aux dfis du moment. Si par exemple les institutions de Bretton-Woods sont invites se rformer, la question mrite surtout un angle de supervision de la finance internationale. Finalement, ce sont des questions relatives la gouvernance conomique,

Et les pauvres dans tout a ?Je regrette que le terme de pauvret nait pas t prononc. Derrire des situations de crise conomique, il y a des ralits humaines complexes, et des impacts contrasts sur le quo-

nes catgories tombes dans lextrme pauvret. Ces populations seront davantage touches par le chmage, et par les priorits budgtaires donnes dautres proccupations. Dans ce contexte-l, les pauvres souffrent manifestement plus que les riches. Leur dpendance lemploi est plus grande, leur filet de scurit est moins bien tabli, et leur marge de manuvre est plus rduite. Cette crise appelle dautres remarques. Elle est dun srieux extrme, sans rapport avec ce qui a t mesur par le pass. Elle risque encore dengendrer une cascade dimpacts financiers et

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politique et financire du monde quil convient de se poser, pour aboutir un nouveau systme. Par ailleurs, dautres srieuses interrogations subsistent notamment sur notre mode de consommation, notre mode de partage, notre mode dexploitation de lenvironnement, etc. Cest une double proccupation stratgique long terme, avec une ncessaire adaptation aux contraintes quotidiennes lies lincertitude. Bon lve, poursuivez ! En ce qui concerne le Maroc, jaimerais souligner quel point la situation est extraordinaire par rapport au reste du monde. Ce nest ni un incident, ni un hasard, si au niveau bancaire et financier, il ny a eu aucun impact, mais il faut sattendre des effets sur lconomie relle. Do lintrt de se focaliser sur lamlioration des outils de gouvernance et lenvironnement des affaires. Les politiques menes au Maroc ces dernires annes ont concouru la bonne sant de lconomie marocaine. Sa capacit de rsilience peut tre dmontre plus dun niveau. Cette rsilience est intimement lie des aspects de bonne gouvernance, la bonne gestion des ressources humaines et leur employabilit, et la productivit des entreprises. Elle sera faite de lamlioration du climat dinvestissement, toujours aspirant devenir un levier de cration dentreprise. Lconomie marocaine fait galement face dautres dfis, notamment ceux de favoriser les ajustements ncessaires lexportabilit et dencadrer lagriculture dont lenjeu social et conomique est considrable. Par ailleurs, la rforme de la justice, avec sa branche de droit commercial, aura un rle sur le dveloppement conomique. Enfin, le volet social, mriterait un cadre juridique bien tabli et une politique de scurit sociale plus efficace.

Mettre

en place de nouveaux

leviersen particulier ceux dpendant de la demande extrieure. De la mme faon, une attention particulire devrait tre porte aux transferts de nos concitoyens rsidant ltranger ou aux investissements directs trangers.

E

n marge de cette crise, chaque fois que jentends parler de "plan de relance", jai envie dy substituer lexpression "plan de rsistance". Cest de cela quil sagit pour le Maroc. Le Maroc semble labri des effets directs de cette crise, en particulier pour ce qui concerne la dprciation dactifs, compte tenu de labsence dactifs toxiques. Sans doute faut-il y

Situation des agrgats conomiquesAvant de prsenter les lments de

voir un effet prventif du contrle des changes. Mais le Maroc ne vit pas en autarcie et, peu ou prou, certains secteurs sont touchs par la crise,

ce qui pourrait constituer un plan de rsistance, passons rapidement en revue ce qui caractrise la situation conomique et en particulier

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Mettre en place de nouveaux leviersles agrgats macroconomiques. Lon relve dabord une tendance la dconnexion du PIB par rapport aux revenus agricoles. Le PIB non agricole, indpendant des alas climatiques, est en constante progression ces dernires annes. Cest essentiellement d une volution lente des structures de production. Le Maroc migre progressivement des secteurs traditionnels (agriculture, industrie et administration), vers des secteurs technologiques (en particulier les tlcoms dont la part dans le PIB est passe en moins de 10 ans de 1,9% 6,3%), des services (60% de la valeur ajoute en 2007 contre 54%, 10 ans plus tt, du btiment et du tourisme. Des nuances sont apporter tout de mme pour certains secteurs, comme le tourisme, globalement en progression, mais dont la branche htels/restaurants est reste stable. Nos comptes courants ont t en quasi-quilibre ces dernires annes, mme si un lger dficit est constat la suite du renchrissement de certains produits alimentaires et des produits nergtiques, en particulier durant le premier semestre de 2008. Par ailleurs, la Caisse de compensation appelle quelques interrogations, vu son poids dans les dpenses publiques (4,5% du PIB en 2008) qui ne permet pas de tirer profit des bonnes recettes fiscales. En 5 ans, cellesci ont fait un bond de 5% du dent tre nuancs, compte tenu de son mode dvaluation, en particulier en ce qui concerne les taux dactivit et demploi dans le monde rural. Il continue cependant frapper durement les jeunes et les femmes en milieu urbain. Par ailleurs, une vigilance accrue est ncessaire sur lextension de la carte de la pauvret.

Des rformes structurelles indispensablesEn dpit de cette embellie macroconomique, des rformes structurelles ncessitant des moyens consquents sont ncessaires. Elles concernent des secteurs vitaux comme lagriculture (Plan vert prs de 50 milliards de dirhams), lnergie et en particulier la production nergtique, ainsi que la prservation des bassins deau. Elles concernent galement le cadre de vie avec le transport urbain, lassainissement et le traitement des dchets solides. Ce panorama rapide dlimite le cadre des hypothses sur lesquelles reposent les mesures du plan de rsistance que nous esquissons ici. Dordre montaire, budgtaire et institutionnel, elles concernent : la rserve montaire : le soutien lactivit passe par le crdit, notamment en faveur des PME/PMI. La banque centrale a dj rduit cette rserve de 15% 12%, injectant 9 milliards de dirhams. Une baisse supplmentaire et opportune serait la bienvenue pour injecter les liquidits ncessaires utiles aussi bien au maintien de taux bas que pour une distribution pas trop restrictive. la (re)mise en place dune prime de transfert : les transferts MRE constituent ces dernires annes une source de devises et dalimentation de lpargne apprciable (prs de 57

Explosion du crdit, tassement de lpargneEn ralit, ce sont la consommation et linvestissement qui tirent la croissance vers le haut. Sur la consommation intrieure, le levier du crdit a jou un rle extrmement important. Faut-il sen rjouir ou sen inquiter, lorsquon sait que la progression du stock de crdit, qui annuellement tait traditionnellement de 3 4 milliards de dirhams, a atteint prs de 100 milliards de dirhams pour la seule anne 2007, dopant ainsi la fois la consommation et linvestissement ? La tendance qui sobserve par ailleurs concerne lvolution de lpargne par rapport linvestissement. Lpargne, mme dope par les transferts des MRE, est en train de connatre un tassement, alors que linvestissement volue la hausse. Mais ces deux agrgats sont aujourdhui des niveaux exceptionnels, dpassant les 30% du PIB.

Bonifier les transferts par un taux de change appropri motiverait encore plus le maintien de ce flot indispensable lquilibre de la balance des paiementsPIB. Sur les dpenses publiques (25% du PIB), on continue de privilgier la paix sociale au dtriment de lefficacit, compte tenu du poids excessif de la composante "salaires" dans ces dpenses. Llment le plus positif concerne le poids de la dette, en recul par rapport au PIB. Nos avoirs ltranger connaissent un bon niveau. Cela nous conduit constater quau niveau des marges de manuvre en matire de finances publiques, le gouvernement dispose dune latitude pour agir. Ce qui pose problme en revanche, cest le dficit commercial qui se creuse mois aprs mois. La facture nergtique y a t pour beaucoup. Quant au chmage, en dpit dune volution positive, ses chiffres deman-

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milliards de dirhams en 2007). Il serait utile de restaurer ce qui sapparentait, il y a quelque temps, une prime de transfert. Bonifier les transferts par un taux de change appropri constituerait une motivation supplmentaire pour le maintien de ce flot indispensable lquilibre de la balance des paiements lengagement massif, concert et intgr des investissements publics prvus (132 milliards de dirhams). Le volontarisme des pouvoirs publics en matire dinvestissements publics est apprciable. Le soutien lactivit par ce biais, ainsi que les investissements prvus par les tablissements publics, constitue un moteur irremplaable de soutien lactivit par ces temps de frilosit ambiante. La mise en place dune unit interministrielle de pilotage pourrait tre utile pour augmenter les effets multiplicateurs de ces investissements, notamment en matire dimpact sur la croissance et la promotion de lemploi. le financement de la PME et le soutien de lexport : la Loi de finances 2009 a dj prvu un fonds de soutien lexport dot de 500 millions de dirhams. Une structure adapte (autour de lassociation de promotion des exportations), runissant professionnels et pouvoirs publics, doit tre mise rapidement en place pour cibler, concentrer les actions de promotion et de soutien. un programme massif pour le logement. A cet effet, la mobilisation de lpargne populaire et le cadre de son emploi en faveur de ce programme seraient envisager. Il est impratif de soutenir aussi bien loffre, par une mobilisation du foncier ncessaire, que la demande, par un systme daide cibl et appropri. une rforme de la Caisse de compensation : la Loi de finances 2009 a prvu, titre exprimental, un systme daide directe et cible, notamment pour lutter contre la dperdition scolaire. La baisse des prix internationaux de certains produits agricoles et des hydrocar-

bures ne doit pas renvoyer la rforme indispensable aux calendes grecques. Au contraire, lexplication et la concertation sont ncessaires pour mener bien cette rforme difficile mais indispensable pour lquit et lefficacit. Noublions pas que lgalit que permet la Caisse de compensation est souvent prjudiciable lquit. une restructuration des participations publiques : contrairement une certaine perception, le secteur public (entreprises et tablissements publics, EEP) demeure important et constitue un levier efficace daccompagnement

en distinguant clairement ses rles de stratge, de prescripteur de normes, de contrleur et dactionnaire. Pour ce faire, il faudrait envisager des structures diffrentes pour remplir chacun de ces rles. Il est probablement temps de crer des holdings appropris, en vue de regrouper les participations de lEtat par affinits ou complmentarits des activits exerces. Ces entits permettraient didentifier clairement la proprit du capital, damliorer la qualit des reportings et de renforcer le rle des conseils dadministration dans les dlibrations des grandes dcisions

Il faut des holdings appropris pour regrouper les participations de lEtat par affinits ou complmentarits

des politiques publiques, en matire de dveloppement conomique et social. En 2007, les EEP ont investi prs de 50 milliards de dirhams, totalis un total bilan de plus de 600 milliards et disposent de plus de 185 milliards de fonds propres. Ils mobilisent prs de 30 milliards de capacit dautofinancement. Les participations croises entre lOCP et la BCP sont un exemple mditer, mais il faut aller plus loin en grant le portefeuille de lEtat autrement. Il est probablement temps de rflchir sur les modalits dvolues lEtat en matire de gestion de ses participations,

de stratgie et de gestion. Cette volution bien pense et bien mene crerait un environnement qui permettrait ces EEP de dployer les stratgies adquates en vue de constituer un puissant levier daccompagnement conomique et social, mais aussi pour constituer un environnement propice une plus grande cration de valeur, o les participations croises et louverture de capital au priv seraient lisibles et productives, rpondraient des impratifs stratgiques et constitueraient un matelas dajustement conomique et financier.

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Ils ont dit Karim TaziPas de sortie de crise en solitairela situation de non-retour quest en train de connatre notre environnement. En ralit, nous vivons une crise civilisationnelle. En admettant ce constat, il est illusoire de penser une sortie de crise en solitaire pour le Maroc. chaotique". On en est la 18me crise financire depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Nous sommes donc inscrits dans un processus sismique et non dans une configuration de crise o il sagirait dun vnement exceptionnel. Si crise il y a, cest la faillite de toute une pense conomique. Il ne sagit pas simplement de lcole de Chicago, mais de lconomie vue comme processus de modlisation que nous sommes censs laborer. Lconomie capitaliste est directement rattrape par lconomie relle. Cette crise mondiale peut tre une opportunit pour le Maroc de faire de la "destruction cratrice", condition

Michel Perald

Que le Maroc fasse de la destruction cratriceIl est aujourdhui plus confortable dtre anthropologue quconomiste. A travers les diffrents discours tenus, napparat pas une logique de crise mais plutt une "logique

Il y a plusieurs lectures possibles de cette crise. Une premire, par lanalyse des indices conomiques et des explications chiffres. Une seconde qui prend en compte le fait que cette crise est une crise de valeurs. En se plaant au niveau des valeurs, il est possible de lier plusieurs crises entre elles. Il est possible de lier la crise financire avec ses retombes dvastatrices, la crise conomique avec ses normes ingalits, et la crise cologique avec

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quil profite de la complexit de son conomie et de sa socit pour penser un autre modle de dveloppement. Il faut surtout quil vite le fameux effet Tchernobyl, qui consistait dire en France que malgr lexplosion nuclaire de 1986, la France ne serait pas du tout affecte. Or cette crise internationale ressemble fort Tchernobyl. Lopportunit dont je parlais pour le Maroc vaut aussi pour le reste de lAfrique. Cependant, elle ne doit pas tre dans limitation. Elle nous incite linnovation technologique et linnovation par captage des comptences. Et sil y a un domaine auquel le Maroc doit sintresser cest lenvironnement et lcologie avec une logique productive et transnationale. Un des derniers enseignements de cette crise, cest quelle est venue aggraver les monstrueuses ingalits qui caractrisent nos socits.

Mohamed Ali Ghannam

Laudace de choisir des secteurs du futurEntre le court terme et le moyen terme, le secteur des amnagements et des grands projets structurants, il y a trois remarques formuler. La premire concerne des aspects de la crise qui appellent le Maroc la vigilance. La seconde, cest que le Maroc sest engag depuis 2000 dans des grands projets structurants avec de lourds investissements. La crise actuelle nous incite utiliser les leviers classiques montaires et budgtaires, mais nous pousse surtout rallouer nos ressources vers des investissements plus cibls. Il sagit de consolider nos acquis et de valoriser les projets raliss. En termes de sortie de crise, il faut faire de cette crise une vraie opportunit. Ayons laudace de nous placer sur les secteurs du futur : lenvironnement, leau et le dveloppement durable.

Driss Khrouz

Profitons-en pour dpasser nos fragilitsLa fonction dun conomiste nest pas de prdire lavenir, mais dexpliquer les vnements en faisant ventuellement des hypothses sur de possibles anticipations. La crise actuelle nest que le reflet de lpuisement dun modle qui subit galement une crise de confiance dans son systme financier. Cette crise est le moment dune mutation, avec quelques victimes, et des changements de cap ncessaires, de faon essuyer les retombes de lconomie spculative. Ce nest ni une crise du capitalisme, ni une crise dun paradigme, cest lpuisement dun mode de fonctionnement caractris par une drgulation excessive. Par rapport au Maroc, il nexiste pas aujourdhui de crise financire, dabord parce que le systme

bancaire na jamais jou le jeu dune conomie financire transparente. Cest une conomie o 200 familles marocaines bouclent le secteur. Par ailleurs, notre conomie est essentiellement une conomie de rente. Autre exemple de dysfonctionnement. On estime 30% la proportion de logements neufs qui ne demandent ni tre lous, ni tre vendus. En matire de rgles du march (offres, demandes, investissements) cela cre des dsordres. Si nous chappons la crise financire, la crise conomique arrive bel et bien. Commerce international, revenus des MRE, tourisme, il y aura forcment un effet. Cependant, rjouissons-nous que, sur le plan des quilibres macroconomiques, le Maroc soit plutt dans une bonne situation. Lautre avantage de cette crise pour le Maroc, cest quelle offre une opportunit pour pointer du doigt les fragilits structurelles que sont les ingalits, le secteur informel, la prcarit du secteur agricole, et le [no-patrimonialisme] de notre conomie.

Larbi Jadi

Pour un plan de relance et des actions ciblesSi le Maroc na pas encore t directement touch par cette crise internationale, cest que notre conomie est en marge de lconomie mondiale. Nous ne sommes pas

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Ils ont dit...Il faut aller au-del des prescriptions pour aboutir une rflexion sur le mode de raisonnement li cette crise. Elle recle en elle-mme de relles opportunits saisir. Cest la faon de traiter la crise qui est changer. Llment humain sera valoriser lissue de cette crise. Alors que tous les indicateurs sont au vert au Maroc, la pauvret et la prcarit voluent et progressent. Sans remise en question de notre modle de dveloppement et de son insertion dans lconomie mondiale, nous risquons de ne pas tirer profit de cette crise.

suffisamment insrs. Llment endogne important citer, cest que notre conomie, dans sa structure propre, nest pas encore suffisamment ancre autour des industries technologiques. Nous dpendons trop du textile et de lagro-alimentaire. Parmi les pays mergents, le Maroc se particularise par son taux dinvestissement public qui atteint 30% du PIB. Mais cest le pays o le lien entre investissement et cration demploi est le plus faible. Si les chiffres du chmage ne refltent pas tout fait cette tendance, cest quil y a un dcouragement de la population en ge de travailler. Autre indice rvlateur, cest la cration dentreprise. Mme avec un taux de croissance avoisinant les 6%, nous narrivons toujours pas crer des entreprises un rythme soutenable, avec une taille comptitive, et des orientations lexport qui soient capables de nous insrer dans lconomie mondiale. Du point de vue des acteurs, beaucoup de chefs dentreprise abandonnent lindustrie pour sorienter vers limmobilier et le foncier. Voil donc quelques paradoxes de lconomie marocaine quil faut regarder avec attention. Au niveau de la rgulation, il faut absolument sortir les instru-

ments bancaires et montaires de leur logique anti-inflationniste pour les amener un rle catalyseur de la croissance et de lemploi. Si lon doit choisir entre un plan de relance ou des actions cibles, je dirai les deux. Combinons un plan global de relance de notre conomie et des politiques sectorielles visant des secteurs en pril ou fragiles comme limmobilier, lautomobile, le textile, etc.

Mohamed Horani

Investir la finance islamique

Mouhcine AyoucheRevisiter notre modle de dveloppement

Les officiels doivent avoir un langage de vrit envers les Marocains, notamment les chefs dentreprise. Nos entreprises risquent de ne pas tre suffisamment averties des vrais impacts dune crise internationale qui progresse. Au mme moment, le secteur de loffshoring, par exemple, bnficie dinvestissements majeurs appelant des recrutements massifs. Nous faisons face un dilemme : devons-nous persister dans cette tendance, ou attendre les effets de

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la crise ? Par ailleurs, on ne cesse dvoquer lapport des MRE. Il y a des ressources endognes qui ne sont pas assez exploites : il y a au Maroc quelque 1,4 million de microentrepreneurs, avec une pargne mensuelle moyenne de 500 dirhams. Avec un taux de bancarisation de 25 30%, nous avons de la rserve. Le secteur de la micro-finance est manifestement dvelopper. Enfin, la finance islamique est un secteur potentiellement porteur de liquidits. Ayons juste la lucidit de linvestir.

Francis Ghils

Le Maghreb, un rservoir de croissance

Jordi Vaquer

Un travail pdagogique vis--vis de lEuropeDu point de vue de lEurope, nous avons quelques interrogations sur les pays du Maghreb en marge de cette crise. Avec le modle europen de dveloppement, nous peinons avoir une forte croissance. Notre dmographie stagne. Et sur le plan des amnagements et des infrastructures, il ny a presque plus de marge de manuvre. On a aujourdhui besoin de trouver dautres filires de croissance. Ctait le cas de la pninsule ibrique la fin des annes 1980, de lEurope de lEst aprs la chute du mur de Berlin. Les pays du Maghreb nont-ils pas vocation tre cette nouvelle filire de croissance pour lEurope, indpendamment de lislamophobie ambiante qui rgne en Europe ? Quand il sagit dconomie

Fouad Ammor

Repenser le rle de lEtatJe voudrais revenir un peu au pass, en remmorant la suppression par ladministration Clinton de la Glass Steagall Act. A partir de l, le systme bancaire amricain, jouissant dune confiance excessive, sest permis quelques drives. Sil y a une origine de cette crise chercher, celle-l peut en tre une. Au Maroc, la crise financire, telle quelle est vcue ailleurs, ne peut pas avoir lieu. Notre systme bancaire est verrouill. Crise de rgulation ou crise de systme, au Maroc comme ailleurs, elle a le mrite de remettre en question des vrits admises en conomie, renverses par la ralit. Elle remet en selle des principes conomiques mis de ct, surtout concernant le rle de lEtat.

30 ou 40 % du PIB du Maroc est hors chiffre, en ce sens que le secteur informel continue dtre trs important. Sur un aspect plus stratgique et rgional, il est primordial de rflchir de faon collective lavenir conomique du Maghreb. En Europe, du fait du pass colonial, de la peur de lislam et du terrorisme, on sinterdit de penser le Maghreb comme rservoir de croissance. Cest galement le cas de la vision de la Turquie par lUnion europenne. Le Maghreb ne fait pas non plus leffort daller expliquer quil est une rgion relativement importante. En 2030, le Maghreb sera le deuxime fournisseur de gaz de lEurope, derrire la Russie et avant la Norvge. Les ressources nergtiques ont toujours t structurantes pour les relations internationales. Si le gaz est un levier pour la rgion, on peut inclure lnergie solaire, si elle est correctement explore et investie.

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RACTIONS

Ils ont ditet donc dintrts partags, cela compte assez peu. En conclusion, le Maroc, relativement en bonne forme, limage du Maghreb, a tout intrt faire un effort de pdagogie lgard de lEurope, lui expliquant quil a le potentiel dtre cette filire de croissance dj cite, dans une configuration qui soit mutuellement profitable. Par la dmarche du statut avanc du Maroc auprs de lUE, il y a vidence que lUE souhaite vivement, en tout cas au niveau conomique, aller vers ce type de relations privilgies. statistiques, il y a urgence rflchir sur les caractristiques de cette crise. Elle est globalise et ses effets sont directs du fait des interconnexions entre les conomies. Elle nous interroge surtout sur la doctrine qui va merger lavenir pour rgler certains problmes comme la mobilit excessive des flux financiers. En effet, tant que continueront exister des paradis fiscaux, des crises semblables sont prvoir. On peut par ailleurs lgitimement sinterroger sur la soutenabilit de la croissance conomique et lquilibre des ressources naturelles, cologiques et humaines. Sur le Maroc, quelques paradoxes nous interpellent. Par exemple, 1/3 seulement des entreprises paient des impts ; 2/3 des impts sur les socits sont pays

Azzedine AkesbiAssainir la fiscalit pour sattaquer au social

Rachid Seffar

Les filiales des multinationales trinquentEn rponse aux points de vue selon lesquels la crise mondiale naura pas dimpact majeur sur le Maroc, jaimerais citer un exemple concret. De nombreuses multinationales sont prsentes dans notre conomie. La plupart dentre elles ont adopt des budgets de crise pour 2009 avec toutes les restrictions que cela engendre. Quand les maisons mres sont dans des politiques financires et budgtaires daustrit et de rduction des investissements, leurs filiales au Maroc les suivent forcment. Par ailleurs, le Maroc a toujours besoin dinfrastructures et dhabitat. Il y a une norme

On ne peut pas aujourdhui contester la gravit de cette crise. Quand des Bourses mondiales perdent 25% ou plus, et quand lconomie amricaine perd deux millions demplois, la crise est grave. Au-del de ces aspects

par quelque 200 entreprises. Cela ne permet pas danalyser les finances publiques de faon pragmatique, et de sattaquer aux problmes sociaux du pays.

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marge de progression en termes dinvestissements dans ces secteurs. Ce sont des moyens endognes de continuer alimenter notre croissance. Des investissements publics massifs seraient les bienvenus pour rapidement donner confiance notre conomie.

Nouzha GuessousLducation, dabordEn tant quacteur associatif, la finalit de lconomie me signifie lamlioration du bien-tre humain et social. Limpact de cette crise est important au niveau social. Elle constitue mme une menace pour la paix sociale et la scurit publique dans notre pays, du fait de ses effets sur les populations les plus vulnrables. Cette crise nous replonge nouveau face lternel challenge de la rforme de lducation. Si nous ne repensons pas notre politique dducation, nous ne saurons pas viter dventuels drapages pouvant rsulter des retombes sociales et culturelles de la crise conomique.

Hind Taarji

Un nouveau mode de gouvernance

Youssef Fassi FihriRecycler linformelNous sommes en situation de crise et il y a obligatoirement des changements entreprendre. Comme dans une entreprise, il faut des leaders pour les conduire. Ces changements doivent aussi rencontrer ladhsion afin den concrtiser les mesures. Le Rapport Attali me semble un exemple dinitiative intressante envisager pour le Maroc : il serait judicieux de runir des experts autour des questions lies cette crise, afin de proposer aux politiques des mesures entreprendre et des initiatives promouvoir. Grosso modo, recycler linformel et faire contribuer les collectivits locales seraient des propositions concrtiser pour tonifier notre conomie.

Cette crise mondiale est une nouvelle illustration de lchec dune pense. Sans une rupture relle, il est difficile den envisager une sortie. Cette rupture doit surtout entrainer un nouveau mode de gouvernance mondiale. Un changement des institutions internationales est un pralable incontournable la sortie de crise.

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Ils ont dit investissement. Par ailleurs, on doit se confronter des questionnements fondamentaux sur notre socit et nos choix. Ce nest pas en rponse cette crise que lon doit se proccuper des problmes dducation, de la gouvernance, de la corruption, etc. Ce sont des questionnements fondamentaux que lon doit se poser en permanence. Cette crise est certainement loccasion den dnouer certains pour aboutir un vrai changement. Ce changement passera, sur le court terme, par des politiques montaires et bancaires diffrentes de celles conduites. Sur le long terme, il y a de bonnes opportunits pour notre conomie, condition de concevoir une sortie de crise dans un cadre rgional multilatral (Afrique et Mditerrane). quelques niches permettant des champs daction formidables. Elle appelle galement des questions sur notre gouvernance politique. Elle nous met en demeure de rflchir durgence ces problmatiques. Notre projet rformiste est en train de se noyer dans un consensus mou. Ce type de crise nous fait dcouvrir en ralit la "faillite" de notre dbat politique. De l, le dbat reste ouvert sur des formes alternatives de gouvernance conomique : banque islamique, rejet de la consommation, formes locales de solidarit, dinvestissement, de consommation et de gestion conomique.

Mohamed Tozy El-Hassan BenabderrazikChangement montaire et issue collective

Faillites politiques comblerCette crise rvle au Maroc une certaine difficult apprhender les chiffres. On est trs vite amen sinterroger sur la place du HCP et la validit de ses statistiques par exemple ! La crise rvle aussi

Cette crise appelle une grande prudence pour le Maroc. Il sagit dobserver comment une bulle immobilire, associe des crdits NINJA (No Income, No Job, No Asset) packags dans des ABS et revendus des investisseurs dans des conomies financires off-shore, aboutit un systme port par ces actifs, seffondre et cre une dfiance gnrale. Aprs cela, leffet sur lconomie relle : face une situation dincertitude, les agents conomiques ont tendance limiter leur consommation et leur

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Cinq pistes sortirpour s'enEvaluer les fondamentaux de lconomie marocaine et ses rapports lconomie mondiale Beaucoup dacteurs rclament des chiffres transparents, sincres et fiables. Dautres aspirent une valuation des impacts des accords de libre-change. Une mise en ordre des statistiques conomiques, des prvisions et des tudes dimpact simpose pour offrir aux entrepreneurs une bonne lecture de la conjoncture. on annonce leur hausse. Dun ct, on exonre les crales de droits de douane, de lautre le prix du pain ne bouge pas. La concertation sur les choix conomiques faire en ces temps de crise ne peut se limiter aux seuls membres du gouvernement, Tirer profit de la stabilit macroconomique et envisager une rallocation des ressources Dettes publiques en baisse, dficit contenu, inflation maitrise, entreprises publiques rentables, les chiffres prsents par nos officiels sadressent un satisfecit total sur ltat des finances publiques. Cependant, la loi de finances 2009 ne semble pas avoir rpondu aux dfis ternels des disparits et des carts. Les investissements qui y sont avancs ne sorientent pas vers une rallocation des ressources. On y prte plus attention aux secteurs en difficult quaux hommes et femmes en difficult ! Agir dans le cadre dune plus grande concertation La fabrique de la dcision conomique au Maroc nous chappe parfois. Tantt on annonce une baisse des prix des hydrocarbures pour se mettre en conformit avec linternational, tantt

RECOMMANDATIONS

A quelle rgion, appartenons-nous conomiquement ? Au Maghreb? A la rgion MENA ? A celle du Protocole dAgadir ? A lAfrique ? A la Mditerrane ? Ou devons-nous tre plus proches de lEurope ? Afficher une adhsion rgionale engage doit

la seule classe politique, ou encore quand cest fait - aux patrons et aux syndicats. Que les dcideurs souvrent aussi aux observateurs indpendants, autonomes et dsintresss, que peuvent tre des centres de recherche, des think tanks, ou des universitaires. En outre, entre des stratgies sectorielles ou un plan global de relance, un juste quilibre est trouver. Envisager une sortie de crise solidaire et non solitaire Au dbut des discussions sur la crise conomique et ses impacts sur notre pays, sest tenue une session ordinaire du FMA. Accolades, sourires et discours de solidarit, toute la panoplie du "systme rgional arabe" y tait ! Manifestations dclamatoires ou rels engagements ? En tout cas, rien de concret nen est sorti !

donner lieu des solidarits, pour envisager une sortie collective et des voies communes emprunter. Intgrer les secteurs du futur dans le dveloppement conomique Lagriculture, lindustrie et les services sont des secteurs classiques de lconomie. Faut-il y ajouter un autre secteur du dveloppement durable ? Ou plutt les inscrire dans le dveloppement durable ? La Green Economy ne peut se substituer ces leviers classiques du dveloppement. Elle constitue pour eux une opportunit et un dfi. Lopportunit dun renouvellement et de sa prennisation, et le dfi de prserver la plante et dpouser certaines valeurs. Sur ce crneau, lONE, lONA et la CDG sont dj sur le coup avec des investissements dj raliss, ou en cours, et des fonds disponibles

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Enjeux nationauxde laPar Omar Aloui Economiste - consultant

crise globaleFace la crise financire, le Maroc est au moins expos leffet domino sur le commerce mondial et la croissance globale. Il ne peut faire lconomie dune rflexion prospective sur les enjeux nationaux. Cela passe par une lecture critique des rajustements actuels et la proposition dune voie alternative, quitte rinterroger le mode de gouvernance actuel.Avant de dcrire la diversit des expositions selon les grandes rgions conomiques, une synthse rapide des faits et des thories en prsence se justifie : ces arguments serviront de cadrage une rflexion prospective sur les enjeux nationaux court et moyen terme, enjeux ports par les changements anticips du capitalisme global, sur lesquels un gros travail de recherche savre ncessaire2.

L

a crise du capitalisme global soulve toute une srie dinterrogations sur son origine et ses impacts. La presse quotidienne est l pour rendre compte des proccupations sectorielles quelle engendre et des incertitudes lourdes quelle fait peser sur certains projets, loccasion de la dvaluation du rouble, dun communiqu de Nissan, de lannonce dun plan de relance protectionniste en Europe ou des mauvaises performances des placements boursiers des fonds souverains partenaires, du Fonds Hassan II ou de la CDG.

Des faits et des thoriesLconomie mondiale va faire du surplace en 2009, situation indite depuis la fin de la deuxime guerre mondiale, rsultat de la rcession dans les pays industrialiss et de la chute prononce de la croissance dans les pays mergents et en voie de dveloppement3. Nous disposons aujourdhui de plusieurs analyses des raisons profondes de cette crise, que nous ramenons quatre thses principales : celle des dsquilibres macro, celle de lcole de la rgulation qui insiste sur le dcalage entre salaires et profits, celle des cycles Kondratieff qui associe la crise un retournement inhrent au fonctionnement du capitalisme et celle des excs de la finance. La thse des dficits macroconomiques attribue la crise la combinaison insoutenable entre dficits commerciaux dans certains pays et excdents commerciaux dans dautres. Selon les auteurs, les politiques responsables de ces

Nous disposons aujourdhui de plusieurs analyses des raisons profondes de cette crise, que nous ramenons quatre thses principales

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dsquilibres varient. Roubini4, dans un article de vulgarisation assimilant ces dsquilibres un crime, ne dnombre pas moins de dix auteurs possibles, depuis les

cette croissance sest accompagne dune monte parallle des ingalits, sous leffet conjoint des rformes internes des conomies et de la mondialisation commerciale. Certains y voient la source profonde de la crise : les ingalits internes aux pays dvelopps, notamment aux tats-Unis, auraient entran un dficit de consommation qui aurait lui-mme motiv le dveloppement sans prcdent de lendettement priv, dont les innovations de la sphre financire auraient permis de faire un objet de spculation8. I. Wallerstein9, suivant la thorie des cycles Kondratieff et des cycles hgmoniques, analyse la crise comme lachvement de la phase B (descendante du cycle Kondratieff), dans laquelle la recherche du profit se dplace vers les activits financires et spculatives. Les activits productives pour rester profitables se dplacent vers des zones faible cots de transaction, vers des zones faible cot salarial. La thse des excs de la financiarisation attribue la crise au dveloppement phnomnal dune industrie financire qui a systmatiquement sous-valu les risques et rationalis, laide de modles mathmatiques, la viabilit des bulles spculatives. A ce propos, il est intressant de suivre le dbat entre conomistes libraux - au sens europen du terme - qui porte sur les bienfaits de la libralisation financire intgrale. Pour plusieurs analystes libraux, largument classique en faveur de la drgulation financire (amlioration de lallocation du capital et des incitations des managers) ne ferait plus le poids devant le caractre rcurrent des crises financires10. Nous verrons dans cet article quen terme de scnarios de sortie de crise, les diverses thses en prsence sont plus convergentes quon ne pourrait

le croire a priori. Ceci tant, ce qui a prdomin dans un premier temps, ce sont les grandes diffrences dexposition et de raction face la crise entre pays du Nord, pays mergents et pays en dveloppement.

Diversit des expositions et des ractionsLes pays capitalistes avancs (comme on disait dans les annes 70) font face lclatement dune bulle spculative finance par un accroissement sans prcdent de lendettement, notamment aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Espagne et dans certains pays scandinaves. Dans ces pays, lenjeu de la gestion de la crise consiste pallier, grce lintervention publique, les consquences de la chute de la demande (substituer

drapages de la FED sous Greenspan (Paul Krugman5), jusqu largument de lexcs dpargne (saving glut) des pays mergents, cher Ben Bernanke6, en passant par les raisons lies aux manipulations des taux de change (chres aux partisans dun nouveau Bretton Woods, dont Folkerts-Landau en particulier) ou les facteurs dmographiques lis au vieillissement rapide des populations europenne et asiatique (R. Cooper), crant un fort besoin dpargne. La thse de lcole franaise de la rgulation attribue la crise celle du modle de rgulation salariale dveloppe dans le cadre de la globalisation et de ses consquences sur le partage salaires-profits7 qui aurait t compens par le recours au surendettement. Le Conseil danalyse stratgique crit ce propos que

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Enjeux nationaux de la crise globalelendettement de lEtat celui du priv). Le principal souci est dviter la dflation et ses consquences (debt deflation), autrement dit cette spirale, dcrite par Irving Fisher ds 1933, dans laquelle la baisse des prix (dflation), en augmentant la valeur relle du stock de dettes, finit par entraner une nouvelle baisse des prix dans un cercle dpressif autoentretenu. Certains grands pays mergents ont construit, grce une croissance tire par la demande des pays avancs, une base daccumulation interne (comme on disait dans les annes 70), autrement dit un bon niveau dpargne et une classe moyenne reprsentant un large march intrieur en biens et services. Lenjeu de la crise pour ce groupe de pays, essentiellement asiatiques, consiste russir la transition vers un modle premires sont les principaux canaux de transmission de la crise vers les pays en voie de dveloppement. En ce sens, notre situation ressemble celle de certains pays dAmrique Latine, peut-tre de la situation mexicaine, en moins grave, car lUnion europenne est moins touche que les Etats-Unis. Dans ce groupe de pays, les enjeux sociaux sont, en labsence de protection sociale et de base daccumulation interne, probablement les enjeux dominants. De manire gnrale, les analyses dimpact disponibles ont mis en vidence le couplage entre pays du Nord et pays du Sud, lexistence denjeux communs selon les rgions conomiques, mais galement la grande dispersion des mcanismes de transmission selon le modle dinsertion la globalisation de chacun des pays concerns. mditerranen du travail, dattraction des IDE et dexportations de produits courte dure de vie (tourisme, agro, confection). Ces revenus externes ont t accueillis par un ensemble de rformes internes librales qui ont favoris une croissance des activits dimportation et dintermdiation. La politique conomique poursuivie, sous les effets conjugus de la libralisation des changes et de la survaluation du dirham, a rduit la production marocaine de biens changeables, au profit des secteurs des services destins satisfaire la demande gnre par les diverses sources de revenus transfrs. Ce mode dintgration du Maroc lconomie globale va dterminer en grande partie les effets de la crise sur les quilibres macroconomiques et les performances sectorielles. De ce point de vue, le Maroc apparat comme un modle dintgration mixte, combinant une intgration commerciale de type classique avec une intgration largie aux mouvements des facteurs de production (implantation des entreprises trangres et mobilit de la main duvre). La situation marocaine est caractrise par la coexistence de plusieurs canaux de transmission des effets de la crise europenne, chacun ayant son rythme et sa logique de propagation.

La conjoncture interne, qui peut contribuer diluer certaines manifestations de la crise, ne saurait justifier une attitude optimiste base sur un refus de voir certaines ralitsde croissance moins dpendant des marchs extrieurs. Les projets dinstallation de grands groupes automobiles amricains en Chine tmoignent bien de ce revirement dans la gographie de la demande mondiale. Le Maroc fait partie du groupe de pays peu affects directement par la crise du systme financier international et affects par les effets dominos sur le commerce mondial et la croissance globale. Les impacts ngatifs sur les dbouchs, laccs au financement externe11 les IDE12, le march du travail et les prix des matires

Situation au MarocAu cours des dix dernires annes, lconomie marocaine a entam un dcollage aux yeux de la plupart des observateurs, grce la combinaison dun environnement favorable et de rformes internes. Lconomie a t soutenue par un moteur externe qui a favoris un mouvement important de transferts de capitaux et de revenus (migration, IDE, services). Le bon fonctionnement du moteur externe tient la proximit avec lUE, qui confre des avantages, relativement bien exploits en matire dinsertion dans le march euro-

Mme si lavion continue son vol13, on ne peut nier que lun des moteurs (celui de la demande externe) soit en mauvais tat. La bonne tenue du deuxime moteur (en raison de la conjoncture climatique) a entretenu lillusion dune exception marocaine face la crise. Cet effet daubaine

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de la conjoncture interne, qui peut contribuer diluer certaines manifestations de la crise, ne saurait justifier une attitude optimiste base sur un refus de voir certaines ralits, dont les suivantes : Les pannes du moteur externe concernent des secteurs ayant largement contribu lamlioration des moyens dexistence des populations proltarises, notamment lmigration vers lEspagne14 et lemploi dans les filires du btiment. Elles affectent directement la viabilit des grands projets dits structurants, largement btis sur les facilits de financement offertes par les diverses formes de partenariat public-priv (tourisme, grandes infrastructures, ples industriels). Ces pannes se concrtisent par une demande forte de remonte de cash adresse aux filiales des multinationales installes au Maroc, prjudiciable pour lactivit conomique domestique. Elles rduisent les sources de captage des revenus extrieurs de lconomie marocaine, que ce soit par les exportations, les transferts des migrs, les IDE ou les diverses formes daides ou de dons. De manire plus gnrale, le caractre exogne des chocs ne simplifie pas la tche des responsables de la politique conomique marocaine, qui doivent galement faire face aux sources internes dinstabilit. La gestion de cette conjoncture difficile passe par des arbitrages sur lutilisation des rserves accumules au cours des dernires annes par la Trsorerie du royaume, en devises notamment. Jusqu prsent, le gouvernement semble avoir cd deux demandes.

Le Maroc opte pour un modle d'intgration mixte lconomie globale, combinant une intgration commerciale avec une autre largie aux mouvements des facteurs de production. Cela va dterminer les effets de la crise sur les quilibres macroconomiques et les performances sectoriellesLa premire priorit affiche est celle de la scurisation, voire de lacclration du programme des grands projets structurants (zones industrielles adosses TMSA, Technopolis, Fs Shore). Le deuxime engagement concerne lappui certains secteurs exportateurs sous forme de subventions plus ou moins transparentes (quipementiers, confection). Ces orientations constituent une manifestation claire du poids des lobbies dans la fabrication de la dcision conomique au Maroc. Elles sont la consquence

de cette dfaillance chronique de la gouvernance marocaine faire jouer au Parlement son rle constitutionnel dorganisation dun dbat conomique srieux, clarifiant les postures, dgageant des orientations et des compromis politiques, qui constituent autant de garde-fous devant laction des rseaux dinfluence constitus en lobbies. A ce titre, labsence de contre-argumentation face aux incantations et au wishfull thinking de certains milieux du consulting et des mdias, qui tentent de maintenir un discours conomique rendu obsolte par la simple observation

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Enjeux nationaux de la crise globaledes vnements, est proccupante15. Or, une analyse lucide des contraintes, au sens arithmtique du terme, aboutit rapidement la reconnaissance des difficults quil y a rpondre simultanment aux demandes des grands projets structurants, aux mesures de compensation sectorielle et poursuivre les stratgies sectorielles engages grands frais dtude auprs des grandes botes de consulting. Ceci est confirm par les difficults de bouclage des financements des stratgies industrielle (Emergence) et agricole (Maroc vert), une slectivit accrue dans les grands programmes dinvestissement hrits de la priode heureuse de la dlocalisation, une rorientation des fonds vers des projets de proximit mis en uvre dans le cadre de la dcentralisation, une aide la cration demplois de reconversion pour les jeunes actifs menacs16, et une politique macroconomique favorable la r-industrialisation base sur une rduction des prix relatifs des biens et services non changeables. Une dvaluation de 20 30%17, une simplification de la fiscalit nergtique, une libralisation accrue dans les services, une rforme non slective du foncier agricole et urbain, la leve des monopoles corporatistes et une gestion intelligente des migrations peuvent faire partie dun paquet offensif de rtablissement de cette comptitivit des secteurs productifs et dune rallocation des capitaux engorgs des secteurs saturs dans les services et limmobilier, vers les secteurs meilleur potentiel dans lindustrie destine au march intrieur, notamment. investissement. Pour les partisans de la thorie des cycles, la sortie passe par la destruction cratrice et linnovation. Pour les conomistes les plus prudents, il sagit de corriger les excs du capitalisme financier, sans prtendre toucher directement au reste. Des dbats en cours, on peut tirer un certain nombre de conclusions sur le profil du nouveau capitalisme en cours de construction dans les pays du Nord, et sur ses implications sur le modle dinsertion dans la globalisation du Maroc.

Le modle marocain dinsertion la globalisation ne peut plus apparatre, comme il est vendu aujourdhui par ses concepteurs comme the one best way.qui constituent un avant-got de ce qui risque darriver dautres projets "stratgiques" (Rawaj, Vision 2012, Tourisme 2020, Energie, Eau). Si on admet le diagnostic reprsent par limage de lavion qui continue de voler par effet dinertie et qui risque de chuter cause des pannes rptes dun des moteurs ou des deux, alors il devient ncessaire de repenser la politique conjoncturelle face la crise. Il y a lieu de la centrer sur un objectif majeur, qui en absence de protection sociale et de base daccumulation ne peut tre que lobjectif de la protection des moyens dexistence des populations, donc de lemploi. Cette politique alternative court terme reposerait sur quatre piliers complmentaires :

Profil de la sortie de criseLa croissance mondiale a t largement tire par les dficits amricains, soutenant des niveaux de dpenses insoutenables. Il semble acquis de ce point de vue que la sortie de la crise passera par un rquilibrage autour de dficits externes soutenables. Cette dimension de la sortie de crise est celle quon inscrit en gnral sous le titre coordination internationale des politiques macroconomiques. La recherche de nouvelles sources de croissance occupe une place notoire dans les plans de relance adopts par la plupart les grands pays du Nord, notamment autour des technologies dites conomes. Ce faisant, ces politiques rejoignent les conclusions des thoriciens des cycles, qui conditionnent les sorties des crises par le dveloppement des innovations technologiques et lapparition de nouveaux modes de consommation et de centres hgmoniques. Les pressions protectionnistes vont saccentuer dans un grand nombre de pays du Nord comme consquence, dune part, de la volont de rcuprer les "fruits" des plans de relance18 et, dautre part, de la posture dune certaine droite et dune certaine gauche favorables toutes les deux

Enjeux moyen termeLa sortie de crise passe par la correction des dsquilibres son origine et par une restructuration du capitalisme en profondeur. Les propositions de rforme vont bien entendu varier selon les analyses des causes de la crise. Pour les partisans de lcole franaise de la rgulation, il sagit de corriger le partage salaires/profits. Pour les analystes amricains, il sagit de rtablir un meilleur quilibre entre pargne et

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un nouveau partage salaires/profits dans leur pays, impensable sans un retour un minimum de protection19.

Du marketing territorial au dveloppement territorialSi on admet les contours dessins cidessus du nouveau capitalisme, alors le modle marocain dinsertion la globalisation ne peut plus apparatre, comme il est vendu aujourdhui par ses concepteurs comme the one best way. En priode de renouvellement des technologies et des modes de consommation et de transformation de la gographie de la production et de la consommation, tout miser sur un bon marketing territorial, en vue dattirer les leaders mondiaux, comporte le risque majeur de nattirer que des projets dpasss ou des projets du pass. Les projets low cost dans le secteur automobile et de haut standing rsidentiel sont-ils des moteurs pour la croissance de demain dans le bassin mditerranen ? La crise nous oblige repenser le modle de dveloppement et rechercher des voies moins risques. Ceci nous renvoie la recherche dune stratgie dancrage territorial du capitalisme, comme alternative au modle actuel dinsertion. Ce choix dcoule des connaissances accumules travers les tudes et recherches menes sur les processus de dveloppement, au cours des deux dernires dcennies, par tout un ensemble dcoles de pense dites non conventionnelles ou htrodoxes. Ces tudes ont mis en vidence le fait que derrire la plupart des russites conomiques, on trouvait une mobilisation dacteurs publics et privs lis un territoire et engags dans un processus de coopration. Ce constat a t confort par les thoriciens de la croissance endogne qui dcrivent le dveloppement comme tant avant tout un processus dapprentissage et dacquisition de connaissances par les agents conomiques, qui sont les seuls facteurs de production dont lusage ne rduit pas le stock, par opposition aux facteurs de production, physique et financier, limits par dfinition dans leur disponibilit et usage. Toutes les formes de connaissance, de la science fondamentale la connaissance tacite acquise par les praticiens, ont cette proprit. Ce potentiel de croissance bas sur la connaissance et son partage, ne peut se concevoir en dehors de la mobilisation de lhistoire, des institutions et la gographie. Nous devons aux thoriciens de la "nouvelle gographie conomique", lanalyse de la contribution de la "proximit" dans la diffusion de ces "connaissances" et "aptitudes" et au-del dans la maximisation des "externalits positives" (thorie dite des effets dagglomration). De ce point de vue, la gographie va devenir stratgique, car les connaissances ne se diffusent pas sans frictions entre les acteurs conomiques, car des parts importantes de la connaissance sont tacites et incorpores dans les routines professionnelles, qui se transmettent mieux dans la proximit. Travailler cet ancrage, cela veut dire travailler plus avec les investisseurs ayant une attache avec le territoire et moins avec les acteurs nomades. Cela veut dire aussi travailler autant sur les institutions et la gouvernance que sur les infrastructures et les cots des facteurs d