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Quels critères de remplissage vasculaire au cours de l’AC/FA ? Stephan Ehrmann 1, 2, 3 , Karim Lakhal 4 , Thierry Boulain 5 1. Service de réanimation médicale, Groupement hospitalier Albert Chenevier-Henri Mondor. Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, Créteil. 2. Service de réanimation médicale polyvalente, hôpital Bretonneau, CHU de Tours. 3. Biomécanique cellulaire et respiratoire. Unité INSERM UMR 955. Institut Mondor de Recherche Biomédicale, Créteil. 4. Service de réanimation, département d’anesthésie réanimation A, Hôpital Lapeyronie, CHU de Montpellier. 5. Service de réanimation polyvalente, Centre Hospitalier Régional d’Orléans. Etendue du problème : Epidémiologie : La prévalence de la fibrillation auriculaire (FA) en réanimation est variable en fonction de la population de patients recrutés et de la prévalence du facteur de risque bien établi que constitue la période post-opératoire de chirurgie cardiaque et thoracique. On peut estimer que dans une réanimation avec un recrutement polyvalent, environ 5-10% des patients présentent une fibrillation auriculaire à l’admission et 5-10% développent cette arythmie au cours de leur séjour en réanimation (1-3). Au lit du patient : FA de novo : A côté des facteurs de risques métaboliques (K + , Mg 2+ ) et cardiaques (chirurgie, ischémie), la stimulation beta- adrénergique (endogène et exogène) joue un rôle important dans la survenue d’arythmies en réanimation (4). Ainsi, l’hypovolémie constitue en elle-même un facteur de risque de FA en raison de la stimulation adrénergique qu’elle entraine. Devant une FA de novo, après exclusion des facteurs métaboliques et cardiaques, la suspicion d’hypovolémie absolue ou relative est donc forte pour le clinicien. Cette forte probabilité (dite « pré-test », c’est-à-dire avant toute mesure d’indicateur de prédiction de la réponse au remplissage) peut être considérée comme suffisante pour tenter une épreuve de remplissage vasculaire rapide (RV), le retour à un rythme sinusal constituant alors, indépendamment de l’évolution du débit cardiaque ou de la pression artérielle, le meilleur critère d’efficacité du remplissage. FA ancienne : Ce mode de raisonnement ne s’applique pas aux patients atteints de FA chronique. Il faut donc faire appel aux indices de prédiction de la réponse au remplissage de façon analogue à la démarche appliquée chez le patient en rythme sinusal. Nous allons succinctement évoquer les difficultés physiologiques auxquelles le clinicien est confronté pour la mesure de ces indices chez le patient arythmique. Au cours de la FA, par définition, l’arythmie cardiaque est source de durées de diastoles variables d’un cycle à l’autre. Cette variabilité des durées d’intervalles RR de l’électrocardiogramme induisent des conditions hémodynamiques globales différentes pour chaque cycle cardiaque : en effet, en diastole, au cours du temps, la pression artérielle systémique diminue (diminution de la post-charge cardiaque), les cardiomyocytes reconstituent leurs réserves énergétiques et calciques (augmentation de l’inotropisme) et le remplissage ventriculaire tend à étirer les fibres myocardiques (augmentation de la précharge) (5). Chaque battement cardiaque s’opère donc dans des conditions de précharge, d’inotropisme et de post-charge variable ce qui rend très difficile l’appréciation de l’hémodynamique globale, c’est-à-dire en moyenne sur quelques cycles cardiaques successifs. Cette limite s’applique à toutes les variables hémodynamiques qu’il s’agisse de mesures de pressions vasculaires invasives, de techniques de thermodilution ou échographiques. Afin de s’affranchir de cette variabilité hémodynamique le clinicien est contraint de calculer la moyenne sur un temps long de chaque indice mesuré, les systèmes automatisés de calcul d’indice de prédiction de la réponse au remplissage, conçus pour le patient en rythme sinusal ne peuvent pas être utilisés. Prédiction de la réponse au remplissage : Critère de réponse au remplissage : la moindre précision de la mesure du débit cardiaque chez le patient arythmique rend plus difficile la mesure objective des effets hémodynamiques d’un RV. Ainsi, alors qu’une augmentation de 10% du débit cardiaque mesuré par thermodilution transpulmonaire est suffisante pour affirmer qu’une augmentation réelle de débit cardiaque a eu lieu, cette augmentation doit être de plus de 15% chez le patient arythmique (6,7). Ainsi, chez le patient arythmique une augmentation de débit cardiaque de 4 à 4,5 L/min, possiblement cliniquement bénéfique ne pourra être strictement attribuée au RV en raison de l’imprécision de la mesure. Dans une étude clinique, le patient sera classé comme non répondeur. En pratique courante il risque de ne pas bénéficier d’un deuxième remplissage qui aurait peut-être fait passer le débit cardiaque à 5 L/min. Indices statiques de prédiction de la réponse au remplissage : la mesure de la pression veineuse centrale ou de la pression artérielle pulmonaire d’occlusion est séduisante chez le patient arythmique, car il est simple d’obtenir une valeur moyenne sur plusieurs cycles cardiaque à l’aide de la majorité des systèmes de monitorage. Néanmoins, comme chez le patient sinusal, le pouvoir discriminant entre patient répondeurs et non répondeurs est très faible pour ces indices. Seules des valeurs extrêmes permettent de prédire la réponse au RV et la plupart des patients, après une réanimation initiale, se situent dans la « zone grise », non discriminante des indices (8). Cette limite s’applique également aux indices statiques échographiques (volumes et surfaces ventriculaires, flux mitral) avec, en plus, la difficulté du calcul d’une valeur moyenne sur de nombreux cycles cardiaques (9).

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Quels critères de remplissage vasculaire au cours de l’AC/FA ?

Stephan Ehrmann1, 2, 3, Karim Lakhal4, Thierry Boulain5

1. Service de réanimation médicale, Groupement hospitalier Albert Chenevier-Henri Mondor. Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, Créteil. 2. Service de

réanimation médicale polyvalente, hôpital Bretonneau, CHU de Tours. 3. Biomécanique cellulaire et respiratoire. Unité INSERM UMR 955. Institut Mondor de

Recherche Biomédicale, Créteil. 4. Service de réanimation, département d’anesthésie réanimation A, Hôpital Lapeyronie, CHU de Montpellier. 5. Service de

réanimation polyvalente, Centre Hospitalier Régional d’Orléans.

Etendue du problème :

Epidémiologie :

La prévalence de la fibrillation auriculaire (FA) en réanimation est variable en fonction de la population de patients recrutés et de la

prévalence du facteur de risque bien établi que constitue la période post-opératoire de chirurgie cardiaque et thoracique. On peut

estimer que dans une réanimation avec un recrutement polyvalent, environ 5-10% des patients présentent une fibrillation

auriculaire à l’admission et 5-10% développent cette arythmie au cours de leur séjour en réanimation (1-3).

Au lit du patient :

FA de novo : A côté des facteurs de risques métaboliques (K+, Mg

2+) et cardiaques (chirurgie, ischémie), la stimulation beta-

adrénergique (endogène et exogène) joue un rôle important dans la survenue d’arythmies en réanimation (4). Ainsi, l’hypovolémie

constitue en elle-même un facteur de risque de FA en raison de la stimulation adrénergique qu’elle entraine. Devant une FA de

novo, après exclusion des facteurs métaboliques et cardiaques, la suspicion d’hypovolémie absolue ou relative est donc forte pour

le clinicien. Cette forte probabilité (dite « pré-test », c’est-à-dire avant toute mesure d’indicateur de prédiction de la réponse au

remplissage) peut être considérée comme suffisante pour tenter une épreuve de remplissage vasculaire rapide (RV), le retour à un

rythme sinusal constituant alors, indépendamment de l’évolution du débit cardiaque ou de la pression artérielle, le meilleur critère

d’efficacité du remplissage.

FA ancienne : Ce mode de raisonnement ne s’applique pas aux patients atteints de FA chronique. Il faut donc faire appel aux indices

de prédiction de la réponse au remplissage de façon analogue à la démarche appliquée chez le patient en rythme sinusal. Nous

allons succinctement évoquer les difficultés physiologiques auxquelles le clinicien est confronté pour la mesure de ces indices chez

le patient arythmique. Au cours de la FA, par définition, l’arythmie cardiaque est source de durées de diastoles variables d’un cycle à

l’autre. Cette variabilité des durées d’intervalles RR de l’électrocardiogramme induisent des conditions hémodynamiques globales

différentes pour chaque cycle cardiaque : en effet, en diastole, au cours du temps, la pression artérielle systémique diminue

(diminution de la post-charge cardiaque), les cardiomyocytes reconstituent leurs réserves énergétiques et calciques (augmentation

de l’inotropisme) et le remplissage ventriculaire tend à étirer les fibres myocardiques (augmentation de la précharge) (5). Chaque

battement cardiaque s’opère donc dans des conditions de précharge, d’inotropisme et de post-charge variable ce qui rend très

difficile l’appréciation de l’hémodynamique globale, c’est-à-dire en moyenne sur quelques cycles cardiaques successifs. Cette limite

s’applique à toutes les variables hémodynamiques qu’il s’agisse de mesures de pressions vasculaires invasives, de techniques de

thermodilution ou échographiques. Afin de s’affranchir de cette variabilité hémodynamique le clinicien est contraint de calculer la

moyenne sur un temps long de chaque indice mesuré, les systèmes automatisés de calcul d’indice de prédiction de la réponse au

remplissage, conçus pour le patient en rythme sinusal ne peuvent pas être utilisés.

Prédiction de la réponse au remplissage :

Critère de réponse au remplissage : la moindre précision de la mesure du débit cardiaque chez le patient arythmique rend plus

difficile la mesure objective des effets hémodynamiques d’un RV. Ainsi, alors qu’une augmentation de 10% du débit cardiaque

mesuré par thermodilution transpulmonaire est suffisante pour affirmer qu’une augmentation réelle de débit cardiaque a eu lieu,

cette augmentation doit être de plus de 15% chez le patient arythmique (6,7). Ainsi, chez le patient arythmique une augmentation

de débit cardiaque de 4 à 4,5 L/min, possiblement cliniquement bénéfique ne pourra être strictement attribuée au RV en raison de

l’imprécision de la mesure. Dans une étude clinique, le patient sera classé comme non répondeur. En pratique courante il risque de

ne pas bénéficier d’un deuxième remplissage qui aurait peut-être fait passer le débit cardiaque à 5 L/min.

Indices statiques de prédiction de la réponse au remplissage : la mesure de la pression veineuse centrale ou de la pression artérielle

pulmonaire d’occlusion est séduisante chez le patient arythmique, car il est simple d’obtenir une valeur moyenne sur plusieurs

cycles cardiaque à l’aide de la majorité des systèmes de monitorage. Néanmoins, comme chez le patient sinusal, le pouvoir

discriminant entre patient répondeurs et non répondeurs est très faible pour ces indices. Seules des valeurs extrêmes permettent

de prédire la réponse au RV et la plupart des patients, après une réanimation initiale, se situent dans la « zone grise », non

discriminante des indices (8). Cette limite s’applique également aux indices statiques échographiques (volumes et surfaces

ventriculaires, flux mitral) avec, en plus, la difficulté du calcul d’une valeur moyenne sur de nombreux cycles cardiaques (9).

Indices dynamiques de la réponse au remplissage :

Variations respiratoires du volume d’éjection systolique et substituts : Le rationnel physiologique de ces indices dérivés des

interactions cardio-pulmonaires dépasse le cadre de cette mise au point. Les nombreuses limites mises en évidence pour ces indices

chez les patients en rythme sinusal sont applicables aux patients arythmiques. Ainsi, les variations respiratoires de pression pulsée

(« Delta PP »), d’intégrale temps-vitesse du flux aortique, de volume d’éjection systolique (liste non exhaustive) sont d’un intérêt

limité à nul, chez le patient de réanimation avec un volume courant inférieur à 8 ml/Kg (10), une fréquence respiratoire élevée (11),

une défaillance ventriculaire droite (12), une activité respiratoire spontanée (13), un syndrome de détresse respiratoire aiguë (14).

En l’absence de ces limites, il est nécessaire, chez le patient arythmique, de calculer la moyenne de l’indice sur un très grand

nombre de cycles respiratoires (afin de d’affranchir, de façon théorique, des variations de volume d’éjection systolique non

respiratoires). La performance d’un tel indice moyen n’a pas été évaluée chez l’arythmique et les systèmes de monitorage incluant

un calcule automatisé d’indices dynamiques ne font la moyenne que sur 3 à 4 cycles respiratoires.

Epreuve de lever de jambes passif : L’auto-transfusion que constitue le lever de jambes passif, permet de simuler, de façon

réversible, les effets d’un RV. Il est ainsi possible, en mesurant la variation du volume d’éjection systolique (ou l’un de ses substituts)

au cours d’une manœuvre de lever de jambes, de se faire une idée sur la variation du volume d’éjection systolique que l’on

observera après remplissage. Cette approche a été appliquée avec succès dans plusieurs études cliniques incluant en partie des

patients arythmiques (15). Néanmoins, compte tenu de la variabilité du volume d’éjection systolique et de ses substituts chez le

patient arythmique, il est à nouveau nécessaire de calculer une moyenne sur plusieurs cycles cardiaques avant et pendant le lever

de jambes. De plus le faible nombre de patients arythmiques inclus dans ces études appelle à la prudence.

Perspectives :

Un premier progrès notable serait la détection de l’arythmie par les systèmes de monitorage utilisés en réanimation et l’adaptation

automatique des périodes de mesures sur lesquelles les indices de prédiction de la réponse au remplissage sont calculés. Ainsi le

calcul du Delta PP moyen sur plusieurs minutes pourrait être facilement évalué chez le patient arythmique dans les limites de cet

indice. De même le calcul automatique de la pression pulsée moyenne sur plusieurs minutes au repos puis jambes levées

permettrait une utilisation plus simple de cet indice.

Au-delà, la modélisation de l’interaction entre l’arythmie et la variabilité hémodynamique (précharge, inotropisme et postcharge)

pourrait constituer une voie de recherche séduisante pour la prédiction de la réponse au remplissage chez le patient arythmique

(16).

Références bibliographiques : 1. Annane D, Sébille V, Duboc D, Le Heuzey J-Y, Sadoul N, Bouvier E, et al. Incidence and prognosis of sustained arrhythmias in critically ill

patients. Am. J. Respir. Crit. Care Med. 2008 juill 1;178(1):20-25. 2. Arora S, Lang I, Nayyar V, Stachowski E, Ross DL. Atrial fibrillation in a tertiary care multidisciplinary intensive care unit--incidence and risk

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dependence on contractility, preload, and afterload. Heart. 1999 nov;82(5):575-80. 6. Ostergaard M, Nilsson LB, Nilsson JC, Rasmussen JP, Berthelsen PG. Precision of bolus thermodilution cardiac output measurements in

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leg raising-induced change in pulse pressure to predict fluid responsiveness. Intensive Care Med. 2010 juin;36(6):940-948. 8. Osman D, Ridel C, Ray P, Monnet X, Anguel N, Richard C, et al. Cardiac filling pressures are not appropriate to predict hemodynamic response

to volume challenge. Crit Care Med. 2007 janv;35(1):64-8. 9. Lamia B, Ochagavia A, Monnet X, Chemla D, Richard C, Teboul J-L. Echocardiographic prediction of volume responsiveness in critically ill

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Intensive Care Med. 2005 avr;31(4):517-23. 11. De Backer D, Taccone FS, Holsten R, Ibrahimi F, Vincent J-L. Influence of respiratory rate on stroke volume variation in mechanically ventilated

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pressure variation is detected by Doppler echocardiographic evaluation of the right ventricle. Crit. Care Med. 2009 sept;37(9):2570-2575. 13. Heenen S, De Backer D, Vincent J-L. How can the response to volume expansion in patients with spontaneous respiratory movements be

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responsiveness in adults: systematic review and meta-analysis of clinical studies. Intensive Care Med. 2010 sept;36(9):1475-1483. 16. Popovic ZB, Yamada H, Mowrey KA, Zhang Y, Wallick DW, Grimm RA, et al. Frank-Starling mechanism contributes modestly to ventricular

performance during atrial fibrillation. Heart Rhythm. 2004 oct;1(4):482-9.