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1 Quels secteurs pour quelle croissance économique au Sénégal ? Mouhamadou Bamba DIOP 1 DPEE Résumé Ce travail est une tentative de compréhension des facteurs explicatifs du retard économique du Sénégal. Le modèle économique jusque là utilisé n’a pas privilégié les secteurs les plus productifs capables de générer de la croissance économique et de créer des emplois. Le diagnostic de la productivité et l’analyse de la transformation structurelle ainsi que du degré de sophistication des exportations ont permis de proposer un nouveau modèle économique bâti autour de l’horticulture, du tourisme, des industries chimiques, des télécommunications et des services de la finance. Toutefois, sa réussite dépend des politiques d’accompagnement notamment la consolidation du cadre macroéconomique, la réforme du marché du travail, l’érection d’institutions appropriées capables de faciliter l’accumulation du capital, la refonte du système éducatif et enfin l’approfondissement du marché financier. Mots clés : Productivité, transformation structurelle, espace-produit, croissance économique, développement économique. JEL Classification : O10, O11, O4. 1 Direction de la Prévision et des Etudes Economiques (DPEE), Ministère de l’Economie et des Finances, Sénégal. Email : [email protected] . Je remercie Messieurs Aliou Faye et Souleymane Diallo du Centre d’Etudes de Politiques pour le Développement (CEPOD) pour les échanges féconds sur les questions de développement. Un grand merci à tous mes collègues de la DPEE qui ont lu cet article.

Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

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Page 1: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

1

Quels secteurs pour quelle croissance

économique au Sénégal ?

Mouhamadou Bamba DIOP1

DPEE

Résumé

Ce travail est une tentative de compréhension des facteurs explicatifs du retard

économique du Sénégal. Le modèle économique jusque là utilisé n’a pas privilégié les

secteurs les plus productifs capables de générer de la croissance économique et de créer

des emplois. Le diagnostic de la productivité et l’analyse de la transformation

structurelle ainsi que du degré de sophistication des exportations ont permis de

proposer un nouveau modèle économique bâti autour de l’horticulture, du tourisme,

des industries chimiques, des télécommunications et des services de la finance.

Toutefois, sa réussite dépend des politiques d’accompagnement notamment la

consolidation du cadre macroéconomique, la réforme du marché du travail, l’érection

d’institutions appropriées capables de faciliter l’accumulation du capital, la refonte du

système éducatif et enfin l’approfondissement du marché financier.

Mots clés : Productivité, transformation structurelle, espace-produit, croissance économique,

développement économique.

JEL Classification : O10, O11, O4.

1 Direction de la Prévision et des Etudes Economiques (DPEE), Ministère de l’Economie et des Finances,

Sénégal. Email : [email protected]. Je remercie Messieurs Aliou Faye et Souleymane Diallo du Centre

d’Etudes de Politiques pour le Développement (CEPOD) pour les échanges féconds sur les questions de

développement. Un grand merci à tous mes collègues de la DPEE qui ont lu cet article.

Page 2: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

2

Introduction

Plus de cinquante années après les indépendances, le Sénégal fait toujours face à de

nombreux défis dont notamment celui de l’éradication de la pauvreté. Durant cette

période, les taux moyens de croissance du PIB réel et du PIB réel par tête ont été faibles

et sont évalués respectivement à 2.72% et à -0.12%. Le PIB par habitant qui était de 615$

en 1960 (en dollar constant de 2000) est retombé à 560$ en 2010. La performance de

l’économie sénégalaise mesurée à l’aune du niveau de vie de la population reste de loin

insuffisante comparée aux potentialités réelles du pays et à celui des autres pays ayant

été au même niveau de développement que le Sénégal en 1960. La Tunisie et le

Botswana l’illustrent bien. Ces pays ont pu améliorer significativement les conditions

de vie de leurs populations grâce à une croissance économique rapide et continue. Cette

faible performance interpelle les pouvoirs publics qui ont des objectifs ultimes

d’améliorer le niveau de vie et le bien être social de la population. Quelles que soient les

politiques du passé et de l’avenir, il n’en demeure pas que ces objectifs ne seront

réalisés sans une croissance économique soutenue et durable. Pour toutes ces raisons, la

compréhension de la croissance, de ses mécanismes, de ses déterminants et de ses

sources est à inscrire au centre de l’action des concepteurs des politiques économiques.

Etant donné que la croissance n’est ni une fatalité ni tributaire des ressources naturelles

dont est doté un pays mais dépend principalement des politiques et des choix faits par

le pays, de la volonté et de la détermination des citoyens et la littérature économique

dans sa tentative de compréhension de cette situation a émis plusieurs concepts

notamment l’économie duale et le surplus de chômage de Lewis, le capital humain de

Schultz, la théorie des stades de développement et le décollage et le rattrapage de

Gerschenkron et Rostow et le structuralisme de Seer, Prebish et Hirschmann.

L’importance d’apporter une réponse à cette question cruciale ne réside pas

uniquement dans la compréhension du passé, mais également dans l’identification des

pistes qui lui permettraient de rattraper le retard et de hisser le pays au même niveau

de développement que ses semblables.

Le reste de l’article est organisé comme suit. Après avoir examiné les sources de la

croissance économique et les limites du modèle économique actuel dans la section 1,

l’analyse du degré de sophistication et de la diversification du panier de biens exportés

Page 3: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

3

est réservée dans la section 2. Les sections 3 et 4 traitent de l’identification des secteurs

constitutifs du nouveau modèle économique. Les politiques d’accompagnement et la

conclusion bouclent l’étude.

1. Diagnostic de la croissance et les limites du modèle économique actuel

1.1. Diagnostic de la croissance

La croissance économique est un phénomène de long terme qui s’appuie sur des

politiques structurelles dont les effets n’apparaissent généralement qu’après plusieurs

années. Pour comprendre un tel phénomène, il s’agit d’aller à sa source. L’analyse de

l’évolution du revenu des pays économiquement similaires au Sénégal dans les années

60 montre que la mise en place de réformes structurelles permet d’atteindre des

objectifs de progrès économique indéniable. Des pays comme la Corée du Sud ont

opéré des changements radicaux à partir de 1970 qui ont permis d’avoir 20 fois le PIB

per capita d’un pays comme le Sénégal en 2010.

Figure n°1: GDP per Capita, in 2011 EKS$

Source : The Conference Board Total Economy Database

Si la Corée du Sud et le Botswana ont réalisé d’énormes progrès sociaux entre 1960 et

2010, c’est surtout grâce à de forts taux de croissance économique qui leur ont permis

d’améliorer considérablement les conditions de vie de leur population. D’ailleurs, ils

figurent parmi les 13 économies recensées par la Commission sur la croissance et le

développement des Nations unies ayant réalisé une croissance économique moyenne de

Page 4: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

4

7% durant un quart de siècle. Pour comprendre pourquoi l’économie sénégalaise n’a

pas réalisé une telle prouesse, il faut identifier les facteurs explicatifs de la croissance de

l’économie sénégalaise. La méthodologie de la comptabilité de croissance permet, à cet

effet, d’analyser la croissance de la production à long terme. Elle représente une

technique qui décompose la croissance de la production au cours d’une certaine période

selon la contribution du capital, du travail et de la productivité globale des facteurs

(PGF). Cette décomposition de la croissance entre 1980 et 2010 permet de constater une

évolution heurtée de la PGF avec une légère amélioration en fin de période. Toutefois,

sa progression demeure très faible pour rendre la croissance économique soutenue.

Figure n°2: Taux de croissance économique, 1960-2010

Source : The Conference Board Total Economy Database

L’analyse des contributions de chacun des termes entrant dans le processus de

production du Sénégal et de la Corée du Sud monte nettement que la croissance

économique soutenue de la Corée du Sud est largement portée par la PGF: sur une

croissance économique moyenne de 5,6% entre 1990 et 2009, la productivité globale des

facteurs y a contribué à hauteur de 3,16% contrairement au Sénégal où la PGF a

contribué négativement à la croissance économique.

Plus globalement, les pays asiatiques qui ont enregistré de fortes performances

économiques l’ont eu grâce aux efforts déployés en matière de progrès technique et

Page 5: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

5

d’accumulation du capital. Autrement dit, la « transpiration » et « l’inspiration » ont été

à l’origine de leur progrès économique.

Figure n°3 : Evolution de la PGF

Source : Calcul de l’auteur

Aussi, ces résultats ne sont-ils pas étrangers aux arguments théoriques avancés par

Acemoglu, Aghion et Zilibotti (2006). Ces derniers ont montré que les économies

éloignées de la frontière technologique doivent miser plus sur les institutions capables

de faciliter l’accumulation du capital et l’imitation. Les leçons tirées de ces travaux

inspirés par Gerschenkron (1962) montrent également que les différences de revenu par

tête et de la productivité observées d’un pays à l’autre, sont largement expliquées par

l’adoption d’institutions appropriées. Ces institutions conditionnent par exemple le

travail capable d’engendrer le progrès technique. Plus précisément, l’éducation et la

recherche sont facteurs de croissance dans tous les pays quel que soit leur niveau de

développement technologique. Pour les pays proches de la frontière technologique,

l’innovation est le moteur de la croissance alors que dans les pays moins développés

technologiquement, les institutions appropriées doivent privilégier l’adoption de

nouvelles technologies introduites auparavant dans les pays plus avancés et leur

Page 6: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

6

adaptation aux situations géographiques et économiques locales, permettant ainsi

d’atteindre un niveau plus élevé de la productivité des facteurs.

Figure n°4: Contribution des facteurs à la croissance entre 1990-2009

Source : The Conference Board Total Economy Database et calcul de l’auteur

Ces développements donnent une explication du retard accusé par le Sénégal. En effet,

si ce dernier n’a pas pu emprunter le même sentier de croissance que ses semblables, la

raison est à chercher dans la faiblesse de la productivité du travail. L’identification de

cette cause permet d’apporter une réponse à cette question cruciale et de mettre en

œuvre les réformes pour combler ce retard. Selon Jones et Hall (1999), si certains pays

produisent plus que d’autres c’est précisément parce qu’ils investissent beaucoup plus

dans l’infrastructure sociale à travers les institutions et la politique économique.

Page 7: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

7

Figure n°5: Contribution des facteurs à la croissance entre 1995-2006

Source : The Conference Board Total Economy Database et calcul de l’auteur

1.2. Les limites du modèle actuel de croissance sénégalais et les contraintes à la

croissance économique

1.2.1. Les limites du modèle actuel de croissance sénégalais

La nature erratique de la croissance économique au Sénégal est davantage expliquée

par les limites de son modèle économique que par les difficultés émanant du contexte

international. Des travaux récents ont prouvé que l’essentiel des sources de fluctuations

économique du Sénégal avait une origine interne (Diop et Fame (2007)). De plus, en

raison d’une croissance économique trop axée sur les services, l’économie sénégalaise

fabrique de plusieurs années d’une part du déficit courant imputable au fait que les

services sont faiblement exportables, et d’autre part de l’inflation importée issue de la

combinaison d’une productivité agricole trop molle et d’une forte demande de produits

alimentaires. Cette faible productivité, qui entraine une absorption très lente de la main

d’œuvre excédentaire dans les zones rurales, génère une hausse des inégalités de

revenus et perpétue les déficits publics. L’Etat, en tentant de compenser la hausse des

inégalités de revenus, crée un modèle de l’assistanat.

Page 8: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

8

Du côté du financement de l’économie, depuis la fin des avances statutaires de la

BCEAO, le système financier domestique consacre de plus en plus de ressources au

financement du déficit public de sorte que le financement des investissements lourds

est en partie contraint par la disponibilité de l’épargne extérieure. En effet, le schéma

actuel du marché de la dette publique risque de créer des «Lazy Banks» et accentuer les

effets d’éviction sur l’investissement privé.

En somme, la présence de déséquilibres macroéconomiques occasionne une trajectoire

de croissance marquée par des mouvements pendulaires de type « stop and go». Dans

l’avenir, l’un des éléments décisifs de la vigueur de l’économie sénégalaise sera la

dynamique démographique ; il pourrait rehausser son potentiel de croissance en

transformant en dividende la fenêtre d’opportunités démographiques qui se dessine

entre 1995 et 2055.

1.2.2. Les contraintes à la croissance et les limites du modèle économique actuel

1.2.2.1. Coût élevé de la main d’œuvre

Le marché du travail au Sénégal est fortement marqué par un coût élevé de la main

d’œuvre. Selon une étude de la Banque mondiale portant sur l’évaluation du climat des

investissements en 2006, la rémunération mensuelle moyenne est de 281,9 dollars dans le

secteur manufacturier et de 431,5 dollars US dans les services. Ces taux sont élevés

comparativement aux pays concurrents comme la Chine, l’Inde, la Tanzanie, le Kenya.

Plus dommageable à la compétitivité des entreprises, les salaires des ouvriers non

qualifiés sont particulièrement élevés et constituent un des facteurs majeurs qui

contribuent à accroître les coûts de production. Dès lors, un marché du travail plus

efficace peut découler d’une plus grande formation des travailleurs et la construction du

pacte social apaisé bâti dans le cadre de l’existence de conventions collectives et d'accord

globaux négociés entre le patronat et les syndicats.

L’analyse de l’évolution des salaires laisse apparaître de fortes hausses qui sont

supérieures à celles des prix. Les salaires au Sénégal ont progressé de 3,9% en moyenne

entre 1980 et 2009 avec de grandes disparités entre les secteurs. Plus spécifiquement, sur

la période 1995-2009, les salaires ont augmenté de 5,4% contre une progression de 2,6%

des prix à la consommation. De plus, il est établi un décrochage entre la productivité du

travail et l’évolution des salaires. En d’autres termes, le rythme d’évolution des salaires

au Sénégal ne reflète pas la productivité du travail et est entrain même de réduire les

Page 9: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

9

gains de productivité de l’ère post dévaluation. En définitive, le diagnostic met en

évidence que le Sénégal a enregistré des gains de productivité du travail modestes

notamment sur la période post-dévaluation qui sont consumés en partie par la hausse

des salaires.

1.2.2.2. Cadre réglementaire et institutionnel peu incitatif

Les activités économiques sont entravées par un cadre institutionnel et réglementaire

insuffisamment incitatif malgré les efforts réalisés avec l’instauration du Conseil

présidentiel sur l’investissement (CPI). Les différents classements du Doing business

laissent entrevoir des difficultés majeures en matière d’environnement des affaires

(154ième sur 183 pays, Doing business 2012). Parmi les contraintes majeures entravant le

développement du secteur privé, il faut citer la protection des investisseurs, le transfert

de propriété, l’accès à l’électricité, la fiscalité et l’exécution des contrats.

1.2.2.3. Déficit d’infrastructures

Avec ses 14825 km en 2009 contre 109515 km pour le Ghana, 19371 km pour la Tunisie et

104983 km pour la Corée du sud, le réseau routier du Sénégal assure l’essentiel des

déplacements intérieurs de personnes et des marchandises. La faiblesse du réseau routier

est due à une absence de politique d’extension, des investissements peu élevés ou trop

axés dans la capitale et l’état et la qualité des routes (28% des routes sont en bon ou

moyen état). Cette situation limite le développement de l’agriculture et accentue la faible

productivité en milieu rural.

Avec les difficultés de mobilité urbaine et la pollution, d’autres options sont à envisager

notamment le chemin de fer qui joue un rôle marginal dans les transports au Sénégal. Le

réseau ferré sénégalais, long de 906 km en 2000, est peu développé par rapport à celui du

Ghana (953 km), de la Tunisie (2260 km), de la Corée du Sud (3123 km) et de la Malaisie

(1622 km). Depuis la fin du monopole public, les chemins de fer se sont fortement

dégradés et n’assurent que le fret vers le Mali. Le paradoxe au Sénégal revient à vouloir

se développer dans un pays plat sans recourir au chemin de fer.

Au titre des infrastructures énergétiques, il faut dire que la décennie 2000 a été achevée

par la lancinante question des délestages. Le déficit énergétique est devenu une

contrainte majeure pour la croissance économique et le développement du secteur privé

(voir Doing Business 2012). Les estimations évaluent les pertes, en termes de croissance

économique, imputables aux délestages à 1,4%. Avec la persistance des problèmes de

fourniture d'électricité, les entreprises ont recours à l’achat de groupes électrogènes et

enregistrent des manques à gagner importants. Le Plan Takkal, plan de restructuration et

Page 10: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

10

de relance du secteur de l’énergie, qui fait l’objet d’un large soutien des partenaires

techniques et financiers, a permis de réduire considérablement les délestages mais la

question du coût de l’électricité n’est pas entièrement réglée.

1.2.2.4. Marché financier peu profond

Les marchés de capitaux tiennent une place importante dans le financement des activités

d’une économie. Ils contribuent à la croissance économique par le canal de l’innovation

technologique et l’accumulation de capital. Un système financier bien développé peut

mobiliser l’épargne et l’orienter vers des investissements rentables à grande échelle, tout

en offrant aux épargnants une liquidité élevée.

Au Sénégal, le financement relativement faible des entreprises locales par le système

bancaire constitue une entrave majeure pour le développement de l’initiative privée et de

promotion de la croissance économique. Le climat des affaires est également caractérisé

par le financement des projets des entreprises sur fonds propres. En effet, seulement 64%

des entreprises sénégalaises ont accès au crédit et la distribution des crédits bancaires est

plus orientée vers les grandes entreprises qui disposent d’une plus grande visibilité ou

évoluant dans les sous-secteurs « commerce, bars, restaurants », les activités de rente ou

celles qui sont de nationalité étrangère. Ces constats découlent de la faiblesse de

l’approfondissement du marché financier sénégalais. En effet, le ratio de la masse

monétaire au sens large au PIB est passé de 34,1 % en 2004 à 39,2 % en 2011 alors que le

ratio du crédit intérieur au secteur privé au PIB affiche une évolution similaire, passant

de 22,7% en 2006 à 25,9% en 20102. Au même moment, les pays à revenu intermédiaires3

d’Afrique au Sud du Sahara dont le Sénégal fait partie ont vu leur ratio de la masse

monétaire au sens large au PIB passer de 57,6% en 2004 à 69,2% en 2011. Pour ce qui est

du marché boursier régional, il a connu une croissance modérée au cours de ces dernières

années et sa taille demeure modeste. Sa capitalisation en pourcentage du PIB4 est passée

de 24% en 2006 à 31% en 2010 et la liquidité5 est restée très faible par rapport à d'autres

2 Ratio du crédit intérieur au secteur privé au PIB : le Botswana (18,4% en 2006, 23,4% en 2010) ; Ile Maurice (74,2% en

2006, 87,8% en 2010) ; Cap-Vert (44,8% en 2004, 62,5% en 2010) ; le Ghana (11,1% en 2006, 15,2% en 2011).

3 Masse monétaire au sens large au PIB: le Botswana (41,8% en 2004, 41,6% en 2011) ; Ile Maurice (90,2% en 2004,

102,8% en 2011) ; Cap-Vert (76,2% en 2004, 69,0% en 2011) ; le Ghana (20,4% en 2004, 32,6% en 2011) ; Afrique

subsaharienne (37,1% en 2004, 47,4% en 2011).

4 Ghana: 15,8% en 2006 à 10,9% en 2010 ; Ile Maurice : 55,3% en 2006, 66,9% en 2010; Botswana : 35,1% en 2006, 27,4% en

2010.

5 La liquidité du marché boursier régional peut être mesurée comme valeur des actions négociées en proportion du

PIB.

Page 11: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

11

bourses d’Afrique subsaharienne. Le marché des titres publics a été, par contre, un

segment très dynamique du secteur financier depuis la suppression des avances

statutaires de la BCEAO. En 2011, les émissions annuelles de titres publics du Sénégal

constituaient près de 6,1% du PIB et 32,4% des recettes fiscales. En 2012, il est prévu un

volume d’émissions d’un montant total de 518 milliards FCFA soit 7,2 % du PIB et 36,7%

des recettes fiscales. Elles ont progressé tant en termes nominaux qu’en pourcentage du

PIB et des recettes fiscales respectivement de 55,2%, 46,1%, 42,1% entre 2009 et 2012.

Toutefois, les emprunts publics restent dominés par les titres de court terme.

1.2.2.5. Un régime de taux de change générant une faible croissance

La crise de la dette souveraine en Zone euro a fait naître dans les pays de l’UEMOA toute

sorte de rumeur et de spéculation. Toutefois la plupart des analystes s’accordent à dire

que les pays de l’UEMOA, ont plus à craindre, dans un avenir proche, de la récession qui

sévit en Europe que d’un changement de parité du FCFA. L’analyse du mésalignement

du taux de change effectif réel (TCER) du Sénégal indique que la période 1995-2005 a été

marquée par une sous-évaluation, avec une tendance forte vers la surévaluation. A partir

de 2005, le Sénégal a enregistré une surévaluation du TCER, estimée à 2% en 2006, 9% en

2007 et de 17% en 2008. Cette situation reflète bien la détérioration accentuée notée au

niveau de certains fondamentaux du Sénégal notamment le solde commercial du

Sénégal. Dans un autre registre, la détermination de la durée moyenne de passage dans

les régimes (sous-évaluation, sur-évaluation) indique qu’au Sénégal, les périodes de

sous-évaluation durent en moyenne 6,8 années contre 12 années pour les périodes de

surévaluation. Il découle de ce constat que la période de surévaluation constatée depuis

2006 risque de durer si elle n’est pas interrompue par la mise en place de politique de

compétitivité efficace.

Cette situation de sur-évaluation est une entrave au développement des exportations du

Sénégal et par ricochet à la croissance économique. Rodrik (2008) a, dans une récente

étude, montré que les pays, qui ont maintenu une monnaie sous-évaluée, ont été à

l’origine d’une forte croissance grâce aux avantages qu’elle procure pour l’expansion du

tissu industriel. L’idée de l’adoption d’un régime de change intermédiaire est de plus en

plus avancée par des économistes sénégalais (Diop et Fall (2011)) pour promouvoir une

croissance économique tirée par les exportations et la réduction de la pauvreté.

Au total, la nature erratique de la croissance économique au Sénégal est davantage

expliquée par les limites de son modèle économique actuel que par les difficultés

émanant du contexte international. Des travaux récents ont prouvé que l’essentiel des

Page 12: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

12

sources de fluctuations économiques du Sénégal avait une origine interne (Diop et Fame

(2007)). De plus, en raison d’une croissance économique trop axée sur les services,

l’économie sénégalaise enregistre, d’une part, un déficit structurel du compte courant

imputable au fait que les services sont faiblement exportables, et d’autre part une

inflation importée issue de la combinaison d’une productivité agricole trop molle et

d’une forte demande de produits alimentaires. Cette faible productivité, qui entraîne une

absorption très lente de la main d’œuvre excédentaire dans les zones rurales, génère une

hausse des inégalités de revenus et perpétue les déficits publics. L’Etat, en tentant de

compenser la hausse des inégalités de revenus, accentue le modèle de l’assistanat.

Du côté du financement de l’économie, depuis la fin des avances statutaires de la

BCEAO, le système financier domestique consacre de plus en plus de ressources au

financement du déficit public de sorte que le financement des investissements lourds

privés est en partie contraint. En effet, le schéma actuel du marché de la dette publique

risque de créer des «Lazy Banks» et accentuer les effets d’éviction sur l’investissement

privé.

2. Diagnostic de la productivité du travail au Sénégal

Le succès économique d’une Nation dépend largement de l’amélioration soutenue de la

productivité. Les gains de productivité contribuent également à l’élévation du niveau

de vie des populations et à la participation au processus vertueux de l'accumulation du

capital et de la croissance économique. C’est pourquoi, la compréhension de sa

décomposition constitue un élément d’analyse extrêmement important.

2.1. Décomposition de la productivité

La productivité au Sénégal entre 1980 et 2009 indique que la période post-dévaluation a

été beaucoup plus productive, laissant entrevoir que les réformes issues du changement

de parité ont eu quelques effets positifs notamment dans le secteur tertiaire. Par contre,

le secteur primaire n’a pas eu le même succès et a même enregistré une contribution

négative à la productivité. Toutefois, cette tendance baissière s’est nettement atténuée

durant la période 1995-2009.

Tableau n°1: Contribution sectorielle à la productivité

Primaire Secondaire Tertiaire Total

1980-2009 -3,1% 4,6% 11,3% 12,8%

1980-1994 -2,5% 1,2% -4,8% -6,2%

1995-2009 -1,8% 3,0% 16,4% 17,6% Source : Calcul de l’auteur

Page 13: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

13

Figure n°6: Evolution et décomposition de la productivité

Source : Calcul de l’auteur

Pour disposer d’une analyse plus fine, la productivité est scindée en trois composantes

qui reflètent son dynamisme. Ainsi, on a :

( ) ( ) ( ) ( )1

0 1 0 0 1 0 1 0 1 00 0

1Ti i i i i i i i i i

iT T

dySSRE WSPGE DSRE y s s s y y s s y y

y y = + + = − + − + − − ∑

( )0 1 00

1i i i

iT

SSRE y s sy

= − ∑

( )0 1 00

1i i i

iT

WSPGE s y yy

= − ∑

( )( )1 0 1 00

1i i i i

iT

DSRE s s y yy

= − − ∑

0 : roductivité totale à la date 0Ty p

1 : roductivité totale à la date 1Ty p

1 : roductivité du secteur i à la date 1iy p

0 : roductivité du secteur i à la date 0iy p

1 : du secteur i dans la population active occupée à la date 1is poids

Page 14: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

14

0 : du secteur i dans la population active occupée à la date 0is poids 1 1 0T T Tdy y y= −

Le terme SRRE (“Static Structural Reallocation Effect”) mesure les évolutions de la

productivité associées à une réallocation de l’emploi des secteurs les moins productifs

vers les plus productifs alors que la seconde composante dénommée “Within-Wector

Productivity Growth Effect (WSPGE)” quantifie de combien la variation globale de la

productivité pourrait être expliquée par la variation de la productivité interne d’un

secteur. Le dernier terme dénommé “Dynamic Structural Reallocation Effect (DSTE)”,

permet de réconcilier l’évolution globale avec les deux précédents termes (SSRE et

WSPGE).

Au Sénégal, entre 1980 et 2009, une réallocation de l’emploi s’est opérée du secteur

primaire vers le secteur tertiaire plus productif. Sur une progression de 12,8%, la

composante SSRE contribue pour l’essentiel. Toutefois, cette tendance s’est atténuée à la

faveur de l’amélioration de la productivité interne des secteurs.

Tableau n°2: Décomposition sectorielle de la productivité entre 1980-2009

Primaire Secondaire Tertiaire Total

SSRE -5,1% -1,5% 51,6% 45,1%

WSPGE 2,6% 6,6% -21,5% -12,4%

DSRE -0,6% -0,5% -18,8% -19,9%

Productivité (1980-2009) -3,1% 4,6% 11,3% 12,8%

Source : Calcul de l’auteur

Au niveau sectoriel, le tertiaire a plus profité du surplus de travailleurs du secteur

primaire qui a connu une baisse de la productivité entre 1980-2009. L’analyse fine de la

décomposition de la productivité révèle également que le sous-secteur des

télécommunications a le plus contribué à la hausse de la productivité au Sénégal suivi

de la construction et du sous-secteur de la finance et des activités immobilières. Cette

situation n’est pas nouvelle dans l’histoire économique des nations. En effet, il faut dire

que la disparité dans les niveaux de productivité du travail entre les secteurs

traditionnels et modernes constitue une réalité fondamentale des pays pauvres.

Page 15: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

15

Figure n°7: Composantes de la productivité au Sénégal

Source : Calcul de l’auteur

La littérature économique a prouvé que la mobilité du travail des secteurs les moins

productif vers les plus productifs est le moteur du développement et les pays qui sont

parvenus à s’extirper des affres de la pauvreté sont ceux qui ont su diversifier leur

économie à partir du socle agricole. La mobilité des ressources et du facteur travail de

l’agriculture vers les activités les plus modernes a permis d’augmenter la productivité

globale et le revenu des populations concernées. La vitesse avec laquelle cette

transformation structurelle s’effectue est le facteur discrimant entre les économies qui

réussissent et celles qui restent en marge du progrès.

Le schéma théorique à la Lewis d’une économie duale s’inscrit dans cette lancée et,

récemment, les travaux de Rodrik et Mc Millan (2011) ont révélé que le sous-

développement rime avec forte disparité sectorielle en matière de productivité. Ils ont, à

ce sens, établi une relation négative entre le niveau de productivité et la dispersion de

productivité. Dès lors, le rapport entre le secteur le plus productif et celui le moins

productif est de 10 pour les Etats-Unis, 12.6 pour le Japon, 37.1 pour la Corée du Sud,

40.8 pour la Chine, 27.3 pour le Brésil, 131.1 pour l’Argentine, 234.1 pour le Sénégal,

31.4 pour le Ghana, 5.5 pour l’ile Maurice, 3282.7 pour le Nigeria, 136 pour le Malawi.

De plus, la dualité de l’économie et les progrès économiques enregistrés par cette

dernière entretiennent une relation sous forme de U. En effet, l’écart de productivité

Page 16: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

16

entre les activités rurales et modernes se creuse au début de la croissance avant de

s’amoindrir au fur et à mesure que l’économie progresse.

Figure n°8: Contribution des sous-secteurs à la productivité

Source : Calcul de l’auteur

Une explication économique à ce phénomène réside dans le fait que les pays pauvres

ont peu d’activités industrielles et, même si le secteur agricole affiche une productivité

faible, son écart avec les autres activités demeure modeste. Toutefois, avec les efforts de

modernité, cet écart se creuse et laisse apparaitre une économie duale. Les

investigations empiriques ont montré que cette courbe quadratique qui décrit la dualité

d’une économique indique l’existence d’un niveau retournement de la poductivité par

travailleur estimé à 9000$ PPP au bout duquel la dualité de l’économie commence à

s’estomper. Actuellement, la productivité par travailleur au Sénégal est estimée autour

de 4402$, 4926$ pour le Nigeria, 3280$ pour le Ghana, 35381$ pour Maurice, 35760$

pour l’Afrque du Sud, 9518$ pour la Chine, 7700$ pour l’Inde et 70235$ pour les Etats-

Unis. Ce qui veut dire qu’il reste des efforts à accomplir au Sénégal pour niveler la

disparité en matière de productivité entre les différents secteurs productifs.

D’autre part, Rodrik et Mc Millan (2011) ont montré que depuis les années 90, la

transformation structurelle n’a pas été effective en Afrique et en Amérique latine. Cela a

atténué la croissance économique dans ces continents contrairement à l’Asie qui a su

mettre en œuvre les changements structurels nécessaires au renforcement de la

productivité. Cette différence découle du modèle de transformation structurelle. En

Asie, le schéma classique de migration des travailleurs du secteur le moins productif

Page 17: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

17

vers le plus productif a prévalu tandis qu’en Afrique et en Amérique latine, c’est plutôt

le schéma inverse qui a été enregistré.

Tableau n°3: Comparaison de productivité

Sector

Average Sectoral Labor

Productivity

Maximun Sectoral Labor Productivity

Minimum Sectoral Labor Productivity

Country

Labor Productivity

Country

Labor Productivity

Agriculture, Hunting, Forestry and

Fishing 17 530 USA 65 306 MWI 521

Mining and Quarrying 154 648 NLD 930 958 ETH 3 652 Manufacturing 38 503 USA 114 566 ETH 2 401 Public Utilities (Electricity, Gas, and

Water) 146 218 HKG 407 628 MWI 6 345

Construction 24 462 VEN 154 672 MWI 2 124 Wholesale and Retail Trade, Hotels

and Restaurants 22 635 HKG 60 868 GHA 1 507

Transport, Storage and

Communications 46 421 USA 101 302 GHA 6 671

Finance, Insurance, Real Estate and

Business Services 62 184 SEN 297 533 KOR 9 301

Community, Social, Personal and Government Services

20 534 TWN 53 355 NGA 264

Economy‐‐‐‐wide 27 746 USA 70 235 MWI 1 354

Source: Rodrik et McMillan (2011)

Par ailleurs, le Sénégal est considéré, entre 1990 et 2005 comme l’économie qui a su

développer la productivité la plus élevée au monde dans le sous-secteur de « la

Finance, de l’assurance, des activités immobilières et les services auxentreprises » (voir

le tableau n°3 extrait de Rodrik et Mc Millan (2011)).

2.2. Indice de transformation structurelle

Pour mesurer les transformations structurelles nécessaires pour asseoir les progrès en

matière de productivité, la littérature recommande l’utilisation de l’indice de

transformation structurelle. Cet indice permet d’expliquer l’évolution de la

productivité du travail dans une économie par les changements internes aux secteurs et

par le refoulement de la main d’œuvre des secteurs les moins productifs vers les plus

productifs. Ce processus améliore ainsi la productivité à l’échelle de l’économie. Cette

décomposition est formulée comme suit:

, , , ,t i t k i t i t i ti i

Y y yθ θ−∆ = ∆ + ∆∑ ∑

Page 18: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

18

, et t i tY y désignent respectivement la productivité globale de l’économie et celle du

secteur i, ,i tθ la part du travail dans le secteur i.

Le premier terme est une moyenne pondérée de la variation des productivités

sectorielles. Il est appelé la composante « within » de la croissance de la productivité. Le

second terme désigne la “transformation structurelle”. Il mesure les effets de

réallocation à travers les secteurs.

Figure n°9: Indice de transformation structurelle

Source: Calcul de l’auteur

Le Sénégal, au cours des trois dernières décennies, a connu une évolution timide de la

transformation structurelle si l’on se référe au graphique n°9. En effet, si la productivité

du travail a presque stagné entre 1980 et 2009, l’explication est à chercher dans la

progression modeste de l’indice de transformation structurelle qui a enregistré une

évolution moyenne de 1% sur la période (figure n°9).

Ce timide changement s’est traduit par la faible mobilité des travailleurs du secteur

primaire en particulier l’agriculture vers d’autres secteurs plus productifs et explique le

poids encoreprépondérant de l’emploi agricole. Le secteur primaire absorbe 60% de la

main d’œuvre au Sénegal ; cette proportion n’a que très peu évolué depuis 1980 (66% en

1980 et 51% en 2009). Compte de tenu de cette lente transformation structurelle, le

travail se déplace dans la « mauvaise direction » notamment vers le milieu informel

(principalement le commerce) alors que les secteurs les plus productifs au Sénégal

Page 19: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

19

comme les services financiers et les activités immobilières ne sont pas intensifs en main

d’oeuvre.

Figure n°10: Décomposition de la productivité moyenne

Source: Calcul de l’auteur

De même, la contribution sectorielle à la transformation structurelle a été portée par le

secteur tertiaire et tous les autres secteurs ont affiché une contribution négative

traduisant ainsi une migration des travailleurs des secteurs plus productifs vers les

moins productifs. Cette « mauvaise direction » empruntée par la force de travail

explique en grande partie la faiblesse de la productivité globale de l’économie qui a

évolué en moyenne de 1% (voir le tableau n°3).

Tableau n°4: Contribution sectorielle à la transformation structurelle

Secteur primaire

Secteur secondaire Secteur tertiaire Total

1980-2009 -0,2% -0,1% 1,3% 1,0%

1980-1994 -0,2% -0,1% 1,3% 1,1%

1995-2009 -0,2% -0,1% 1,2% 1,0%

Source: Calcul de l’auteur

Les difficultés rencontrées par les secteurs primaire et secondaire en matière de

productivité du travail se sont manifestées à travers la migration des travailleurs de ces

secteurs vers d’autres de moins en moins productifs et notamment le secteur informel.

La baisse du poids de l’emploi dans le secteur primaire n’a pas été très significative

pour entrainer les changements structurels nécessaires d’où la relation négative entre la

Page 20: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

20

productivité sectorielle et la variation de la part de l’emploi (figures n°11 et 12). Les

économies asiatiques qui ont opéré ces changements structurels ont inversé la tendance

productivité sectorielle et variation de la part de l’emploi. Ce qui s’est traduit par une

importante baisse de l’emploi dans le secteur agricole.

Figure n°11: Corrélation entre productivité sectorielle et variation de la part de l’emploi (1980-2009)

Source: Calcul de l’auteur

Les sous-secteurs « services financiers », « fabrication de verre, poterie » (cimenterie)

ont su expérimenter des niveaux de productivité élevés et une création d’emploi aussi

bien sur la période 1980-2009 que sur 1995-20066. Par contre, les activités immobilières,

la fabrication de machines, les télécommunications et les industries chimiques ont

enregistré des niveaux élevés de productivité mais avec une destruction d’emploi. Ces

activités sont, en effet, plus intensives en capital. Le cas du raffinage de pétrole présente

une certaine originalité. Si on considère la période 1980-2009, ces industries présentent

de hauts niveaux de productivité accompagnés par une baisse de l’emploi

contrairement à la période 1995-2006 où l’emploi a été dynamique dans ce sous-secteur.

En d’autres termes, si les transformations structurelles sont opérationnelles, ces

6 Période où le Sénégal a démarré une trajectoire de croissance soutenue interrompue peu après les chocs

internes et externes.

Page 21: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

21

industries constitueraient d’importantes potentialités en matière de création de richesse

et des niches d’emplois.

Figure n°12: Corrélation entre productivité sectorielle et variation de la part de l’emploi (1995-2006)

Source: Calcul de l’auteur

Par ailleurs, lorsque le lien est effectué entre le rythme d’évolution de la productivité et

son niveau, il est possible d’identifier six (06) sous-secteurs porteurs:

• Fabrication de produits à base de tabac ;

• Raffinage pétrole, cokéfaction ;

• Fabrication de produits en caoutchouc ;

• Fabrication de machines ;

• Services financiers et Activités immobilières ;

• Postes et télécommunications.

Tableau n°5: Sous-secteurs affichant des taux de croissance élevés de productivité entre 1995-2009

Sous-secteur

Evolution

moyenne de la

productivité

Niveau

moyen de la

productivité

Transformation et conservation de viande, poisson -1,0% 8 939 773

Fabrication de produits à base de tabac 13,6% 18 054 436

Fabrication de papier, carton 9,5% 10 886 531

Raffinage pétrole, cokéfaction 71,3% 30 059 403

Page 22: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

22

Fabrication de produits chimiques 0,7% 10 895 355

Fabrication de produits en caoutchouc 28,9% 13 034 260

Fabrications de verre, poterie et matériaux de construction 6,7% 8 894 363

Fabrication de machines 42,4% 22 785 438

Construction de matériels de transports 16,6% 693 896

Postes et télécommunications 16,8% 28 232 684

Services financiers -1,1% 24 110 670

Activités immobilières 9,7% 304 285 707

Source : Comptes nationaux et calcul de l’auteur

Aujourd'hui, si le Sénégal veut réduire l'écart de revenu avec certains pays tels la

Tunisie, la Corée du Sud et le Botswana, il est indispensable de miser sur des secteurs

très productives en se dotant des capacités techniques et sociales nécessaires à son

développement économique. A cet effet, la transformation de l'économie doit débuter

par des avancées techniques, qui entraînent une accélération de l'augmentation de la

productivité de l'agriculture (de subsistance et industrielle), accompagnée de

l'expansion des transports et d'une transformation fondamentale de l'organisation de la

production et des liens entre le capital et le travail car les économies qui ont vu la part

de l'agriculture dans l'emploi total diminuer régulièrement et finir par se stabiliser à un

très bas niveau l’ont obtenue par l’intermédiaire de réformes profondes.

Des travaux récents ont identifié trois facteurs essentiels qui agissent sur la

transformation structurelle. Il s’agit de la présence d’avantages comparatifs révélés

dans le secteur agricole, de la sous-évaluation de la monnaie et de la flexible du marché

du travail. Les économies ayant une part importante des ressources naturelles dans les

exportations éprouvent beaucoup de difficultés à procéder aux changements structurels

capables de booster la productivité. Les investigations ont également mis en relief les

effets bénéfiques d’une monnaie sous-évaluée. Rodrik (2008) a prouvé que les pays qui

ont maintenu une monnaie sous-évaluée ont été à l’origine d’une forte croissance grâce

aux avantages qu’elle procure pour l’expansion du tissu industriel. Enfin, le troisième

facteur pro-productivité réside dans la flexibilité du marché du travail car une

transformation structurelle rapide est facilitée par la mobilité des travailleurs. Des

facteurs institutionnels (bonne gouvernance) jouent également un rôle significatif dans

ce processus de changement structurel.

Page 23: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

23

A la lumière de ces développements, il faut indiquer que les efforts exigés pour

accélérer au Sénégal la transformation structurelle afin d’absorber les demandeurs

d’emploi doivent porter dans le moyen terme sur les réformes autour de la flexibilité du

marché du travail et dans le long terme sur une modification du choix du régime de

change (régime de change intermédiaire, voir Diop et Fall (2011)). En réalité, l’analyse

de la distribution des variations de salaires par secteur a montré la présence d’une

certaine rigidité (Diop et Sène (2012)) et est estimée à plus de 26%. Les sous-secteurs les

moins flexibles sont «Textile», «Papier-Carton-Edition-Imprimerie», «Autres Industries

mécaniques», «BTP Construction» et «Industries alimentaires». Concernant le

mésalignement du taux de change réel au Sénégal, la plupart des études réalisées dans

ce sens (Diop et Niang (2010)) indique l’existence d’une surévaluation estimée à plus de

6% ces dernières années.

3. Secteurs porteurs d’une future croissance économique

Ces dernières années, le Sénégal a enregistré une forte évolution de ses exportations

portées par des produits comme le pétrole raffiné (16% des exportations totales), l’acide

phosphorique (11%), les mollusques (6%), le poisson frais (4%), l’huile d’arachide (4%),

etc. La décomposition de la croissance des exportations du Sénégal entre les périodes

1995-1997 et 2005-2007 a montré que sur une progression de 62% la marge extensive

portée par les nouvelles lignes d’exportations a contribué à hauteur de 30% alors que

celle de la base exportatrice (marge intensive) est de 32% (Cottet et al. (2012)). Selon les

travaux de Cottet et al. (2012), le Sénégal se distingue en matière de croissance de ses

exportations par la répartition relativement homogène des marges et constitue l’unique

pays de la zone Franc à être parvenu à créer de nouveaux secteurs d’exportations

susceptibles de se maintenir dans la base exportatrice sur le moyen terme. Plus

spécifiquement, les nouveaux produits exportés ont contribué à la croissance des

exportations à hauteur de 40% tandis que les produits phares de la base traditionnelle

d’exportation et les produits qui émergeaient à peine dans les exportations sénégalaises

en 1995-1997 ont contribué respectivement dans la croissance des exportations à

hauteur de 19% et de 12%. Même avec cette situation assez reluisante, les exportations

du Sénégal n’ont véritablement porté la croissance durant ces dernières décennies. Ce

constat prouve la difficulté des pays pauvres à tirer leur épingle du jeu notamment ceux

Page 24: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

24

qui ont opté pour la diversification basée sur les ressources naturelles et qui n’ont pas

procéder à la transformation des matières premières. Les décideurs politiques se sont

souvent fiers aux prescriptions usuelles de la théorie conventionnelle du commerce

international qui voudrait que les pays exportent les biens qui utilisent des facteurs où

ils sont relativement bien dotés ignorant ainsi les conditions initiales des pays. Face à

cette difficulté, de récents développements de la théorie économique notamment ceux

de Hausmann et al. (2007) ont réintégré les conditions initiales des pays exportateurs et

indiqué que la spécialisation peut être façonnée par des éléments idiosyncratiques.

Mieux, ils ont établi une relation positive entre la croissance future d’un pays et le

niveau de sophistication de son panier de biens exportés.

Dès lors, la capacité d’une nation à produire de nouveaux biens dépend fortement de la

possibilité de redéployer les facteurs de production déjà existants (« capabilities ») pour

en faire. Ces aptitudes peuvent être du capital physique ou humain, du cadre

institutionnel ou légal. Elles indiquent la capacité d’un pays à produire et à exporter des

biens avec un avantage comparatif révélé. Par exemple, il est probablement plus facile

pour un pays qui exporte des T-shirts d’ajouter à son panier de biens exportés des

culottes que des téléphones portables. En d’autres termes, il est plus aisé de commencer

à produire des biens proches de ce que l’on fait déjà avec ses propres aptitudes que des

biens trop éloignés de son panier d’exportation. Cette façon de voir la structure des

exportations a été conceptualisée par Hidalgo et al. (2007), Hausmann et al. (2008) sous

la forme de la méthodologie espace-produit ou forêt de produits. Ce cadre définit la

proximité entre les produits non pas comme une caractéristique physique mais plutôt

comme la mesure de la possibilité pour un pays d’exporter un bien nouveau à partir de

ce qu’il est déjà capable de faire.

3.1. La méthodologie de l’espace-produit

Cette démarche lie les produits aux niveaux de revenu de leurs exportateurs avec

l’avantage additionnel de relier la possibilité d’exporter un produit nouveau et plus

sophistiqué avec la capacité du pays à l’exporter. Selon Hausmann et al. (2008), cette

représentation ressemble à une forêt où chaque arbre est occupé par les entreprises,

comme des « singes dans une forêt ». Il y a diversification lorsque les entreprises,

sautant d’un arbre à un autre, développent de nouvelles capacités à exporter des

Page 25: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

25

produits générateurs de revenu. Toutefois, cette représentation implique une

redistribution de facteurs de production d’un bien actuellement fabriqué vers un

nouveau. Par conséquent, il est plus facile de transférer les facteurs de production entre

des produits dont les « arbres » sont proches les uns des autres. Avec la carte de

l’espace-produit, il existe un centre (le cœur de l’espace des produits) formé de groupes

d’arbres portant sur les métaux, la machinerie et la chimie qui sont la marque de

fabrique des pays à revenu élevé et une périphérie caractérisée par des produits

relevant de la confection, des produits animaux, des céréales, etc. et généralement

occupée par les pays à faible revenu (voir figure n°13).

Figure n°13 : carte de l’espace-produit

Source: Hidalgo et al. (2007)

Page 26: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

26

Le cœur de l’espace des produits est densément peuplé par des arbres dont les produits

requièrent des facteurs relativement similaires et le passage d’un arbre à un autre est

court. La périphérie où les produits nécessitent des facteurs relativement différents, les

arbres sont éloignés les uns des autres.

L’analyse de la carte de l’espace des produits du Sénégal entre le début des

indépendances et maintenant donne une parfaitement illustration de la trajectoire des

biens produits et exportés et des efforts faits par le pays en matière de diversification

économique. Ainsi, en 1962 le pays disposait d’une forêt de produits éparse marquée

par une prédominance des produits issus de l’agriculture et de la nature. Il s’agit

essentiellement de l’huile d’arachide, du tourteau, de l’arachide, du son et de la gomme

naturelle. Des produits animaux comme les cuirs et peaux et les produits chimiques

(phosphates de calcium naturel et aluminium, engrais phosphatés), de l’habillement (les

chaussures), les produits alimentaires comme les boissons non alcoolisées présentaient

également un avantage comparatif révélé. La principale caractéristique du panier

d’exportation du Sénégal à cette époque est l’absence des produits du cœur de l’espace

des produits. Déjà cette situation comportait les germes d’une future croissance

économique faible.

Figure n°14: Carte de l’espace-produit du Sénégal en 1962

Page 27: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

27

En 2009, la situation s’est nettement améliorée avec une hausse du nombre de produits

ayant un avantage comparatif révélé7 qui passe de 28 à 92. On assiste à l’émergence des

produits du cœur de la forêt avec la machinerie (camions et camionnettes, moteurs

électriques et générateurs), des produits chimiques (du cœur de l’espace) comme les

articles en plastique, l’amiante et les fibres de ciment, les métaux (les fils électriques, les

tonneaux de métal pour l’emballage de marchandises, fer et les tiges en acier), les

produits chimiques organiques, les phénoplastes. Quant à la périphérie, les produits se

sont densifiés et restent largement dominés par l’huile d’arachide, le tourteau, les

cigarettes, les produits horticoles (légumes frais ou réfrigérés, tomates frais, légumes

séchés ou évaporés sauf les légumineuses), les produits agroalimentaires (les fruits frais

ou secs, les sucreries non chocolatées, les pâtes), le tabac, le riz semi blanchi ou blanchi,

la gomme naturelle, le sésame, le coton, les acides et sels inorganiques comme les

phosphates de calcium naturel et aluminium, les produits agrochimiques (engrais

phosphatés, savons), la pétrochimie (le chlorure de polyvinyle, polypropylène), les

produits cosmétiques et de la parfumerie, le textile et la confection, les produits

halieutiques, les cuirs et peaux et les produits animaux (la viande séchée, salée ou

fumée et les entrailles) et les conserves de lait, concentrés ou sucrés et crème. Les

produits miniers comme le ciment, l’or non monétaire, la pierre de construction,

l’amiante, les produits pétroliers figurent parmi les biens exportés avec un avantage

comparatif révélé.

Un constat majeur qui se dégage, avec la trajectoire suivie par le Sénégal, est l’absence

d’un développement des clusters comme le textile et la confection et les produits

électroniques. Ces grappes présentent l’intérêt d’avoir en leur sein une bonne

interconnexion toutefois elles demeurent en marge du cœur de l’espace des produits.

Néanmoins, les « success stories » asiatiques sont passées par cette phase. Mieux,

l’adoption et le développement du sous-secteur du textile et de l’habillement est

7 L’avantage comparatif révélé (ACR) est défini:

ci

cii

cici

c

cii c

xvalxval

ACRxval

xval

=∑

∑∑∑

Page 28: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

28

emblématique des économies ayant réussi leur transformation structurelle. Les « success

stories » asiatiques ont réussi à produire et à exporter une large gamme de produits de

la confection avant de gagner le pari des produits plus sophistiqués comme ceux de

l’électronique et de la machinerie. Dans ce sens, le Sénégal pourrait tirer profit des forts

liens existants au sein de cette grappe et des externalités qu’elle peut engendrer. Pour

cela, il est impératif d’améliorer substantiellement le niveau de productivité du textile et

de la confection8.

Figure n°15: Carte de l’espace-produit du Sénégal en 2009

Au total, entre 1962 et 2009, le Sénégal a progressé en matière de diversification. Les

produits du cœur de la forêt ont enregistré une poussée notoire notamment avec la

machinerie. Absents, il y a plus de plus de cinq décennies, ils sont 12 à la fin des années

2000 à posséder un avantage comparatif révélé. Cette trajectoire est également

empruntée par les entreprises chimiques. Durant ces dernières décennies, le Sénégal a

su certainement développer de grandes aptitudes dans le domaine de la chimie et peut

8 Selon certains analystes, cette étape est importante ne serait ce que pour le problème du niveau élevé de

chômage enregistré au Sénégal.

Page 29: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

29

dans l’avenir maximiser les gains provenant de ces produits en renforçant leur avantage

comparatif révélé. De plus, le Sénégal pourrait constituer un mélange de produits

horticoles et manufacturés (chimie) pour mener à bien sa diversification économique.

Toutefois, le Sénégal, à l’image des pays asiatiques, doit envisager un saut qualitatif

vers les produits électroniques et le traitement des données grâce aux TIC. D’ailleurs,

dans une étude portant sur la transformation structurelle des pays sub-sahariens,

Abdon et Felipe (2011) ont montré que le Sénégal a à sa portée proche et moyenne des

produits pétroliers, chimiques et à sa portée éloignée les produits électroniques si les

transformations structurelles nécessaires sont entreprises sous l’impulsion des pouvoirs

publics qui doivent encourager l’initiative privée dans toutes les nouvelles activités. Les

pays ayant réussi dans ce domaine (Chine, Inde) y sont parvenus grâce à l’intervention

de l’Etat et non pas par les forces du marché9.

3.2. Topologie et degré de sophistication des exportations du Sénégal

De nombreux travaux notamment ceux de Hausmann et Rodrik, (2003), de Rodrik

(2006), de Hausmann et Klinger (2006) ont mis en évidence un lien entre la croissance

économique et le niveau de productivité incorporé dans les biens exportés recentrant

ainsi le débat sur l’analyse du contenu de la diversification. C’est dans ce sillage qu’il

faut également inscrire les travaux de Hausmann, Hwang et Rodrik (2007) qui ont

permis de concevoir une mesure innovante de sophistication à l’exportation appelée

PRODY10. Cette dernière identifie les possibilités d’exportations génératrices de revenus

en fournissant un lien quantifiable entre un produit donné par un pays qui exporte et

son niveau de revenu.

9 Voir les travaux de Felipe et al. (2010b, 2010c) et de Rodrik (2008b).

10

ci

cii

i cc

ci

cici

xvalxval

PRODY GDPPC

xvalxval

=

∑∑

∑ ∑

avec cGDPPC le PIB réel par tête du pays c et cixval la

valeur des exportations du produit i réalisées par le pays c. Le concept de PRODY classe les produits selon leur

potentiel de revenu. Le PRODY d’un produit est la somme de l’avantage comparatif révélé (ACR) de chaque pays qui

exporte le produit pondéré par son PIB par habitant.

Page 30: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

30

Le potentiel de revenu global du panier des exportations du Sénégal (EXPY11) demeure

faible avec une moyenne de 5119 $PPP entre 1976 et 2006 contre 9811,1 $PPP pour la

Malaisie, 9581,3 $PPP pour la Chine, 7206,5 $PPP pour le Cap-Vert, 7035,8 $PPP pour la

Tunisie, 4181,9 $PPP pour le Ghana et 3267,9 $PPP pour la Côte d’Ivoire. La tendance

stagnante de l’EXPY du Sénégal souligne la prédominance des exportations des

produits classiques comme ceux de la pêche. L’EXPY du Sénégal qui était de 5476,7 en

1976, s’est établi à 5914,1 en 2003, avant de retomber à 5346,6 en 2006. Avec les

exportations d’or (PRODY élevé) qui dépassent actuellement les 100 milliards l’année,

une hausse significative de l’EXPY pourrait être enregistrée dans le futur. Toutefois,

force est de noter qu’une hausse de l’EXPY ne diminuerait pas l’urgence de la

diversification. De plus, pour une croissance rapide, il n’est pas nécessaire que chaque

produit que le Sénégal exporte ait un PRODY élevé. Des efforts portant sur le

renforcement de l’avantage comparatif des produits horticoles avec l’utilisation des

semences améliorées, l’adoption de technologies de production plus efficaces et la

construction de routes et pistes pour acheminer la production permettent de générer

sans nul doute des gains provenant de ces produits (halieutiques et horticoles).

L’analyse du degré de sophistication des produits exportés a permis d’identifier quatre

catégories d’exportations sur la base de leur avantage comparatif:

• Les classiques constitués de produits pour lesquels les ACR ont été élevés

dans le passé et continuent de l’être. Ils sont à maintenir. Ce sont les exportations

traditionnelles principalement dominées par les produits halieutiques, le coton, le

phosphate de calcium naturel et aluminium, le sel, l’huile d’arachide, la gomme

naturelle.

• Les produits en disparition sont, quant à eux, ceux qui affichaient dans le

passé des ACR élevés mais très faibles actuellement. Ils indiquent une compétitivité

déclinante et sont à abandonner. On y recense principalement l’arachide verte.

11Le degré de sophistication du panier de biens exportés par un pays noté EXPY est donné par la moyenne pondérée

du degré de sophistication des produits qu’il exporte : cic i

i cii

xvalEXPY PRODY

xval

=

∑∑

.

Page 31: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

31

• Les champions émergents qui sont des produits dans lesquels le Sénégal a

développé un ACR récemment. Ils se sont développés à partir d’un marché mondial

très compétitif et ont, en moyenne, des PRODY significativement plus élevés que les

classiques. Ils présentent une attractivité à cause des revenus qu’ils peuvent générer. Au

Sénégal, ils sont composés des produits de l’horticulture (tomates frais), des produits

chimiques (sels et acides inorganiques, engrais, insecticides, etc.), du ciment, les déchets

de fer et d’acier.

• Les marginaux sont des produits pour lesquels le Sénégal n’a pas encore

développé un ACR, autrement dit qui ne présentent pour le pays aucun avantage

révélé. Ils sont en observation pour une éventuelle expansion. Dans l’avenir, ils seront à

encourager si des opportunités se présentent.

Figure n°16: Evolution de l’EXPY ($PPP), Constant 2000 US$

Source: PRMED, Banque mondiale

L’examen de la structure des exportations laisse apparaître que les produits classiques

(produits halieutiques, le coton, le sel, l’huile d’arachide) représentent plus 67% des

exportations alors que les fruits, les légumes, le ciment et les produits chimiques qui

dominent les produits émergents constituent seulement 23,4% des exportations totales.

Ces dernières années, le dynamisme de ces produits fait ressortir le potentiel de

diversification de l’économie sénégalaise. Ainsi, leur part dans les exportations totales

est passée progressivement de 10% en 1995 à 20% en 2006 avec un pic de 42,6% noté en

2005.

Page 32: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

32

Au total, le Sénégal, depuis une décennie, exporte une trentaine de produits nouveaux

issus de divers secteurs (agroalimentaire, ciment, produits de toilette), couvrant plus de

20% des exportations totales. Ces nouveaux produits sont de moyenne-haute

technologie. Toutefois, ces efforts de diversification n’ont donc manifestement pas

permis de dégager des « Big Hits12 » susceptibles de favoriser une forte croissance des

exportations. Le Sénégal doit encore porter et promouvoir ces produits, ainsi que leurs

appareils productifs, pour accroître les différentes composantes de la marge intensive.

Figure n°17: Evolution des exportations selon la catégorie

Source: Source: PRMED, Banque mondiale et calcul de l’auteur

3.3. Diversification des exportations

Le lien étroit entre la diversification de la production et la richesse d’un pays constitue

un consensus largement partagé dans la littérature (Imbs et Wacziarg (2003)). Les

travaux récents de Klinger et Lederman (2006), Hesse (2009), Cadot et al. (2011) ont

montré que jusqu’à un certain niveau de revenu, la diversification des exportations

d’un pays s’accroît à mesure que le niveau de revenu par habitant augmente. C’est

pourquoi, la diversification des exportations a été le crédo des pays industrialisés ou

émergents. Quant aux pays pauvres, les résultats médiocres en matière de croissance

économiques enregistrés au cours des dernières années sont largement imputables à la

12

Le phénomène « Big Hits » est une situation dans laquelle quelques produits phares tirent la croissance des exportations (Easterly

et Reshef (2010)).

Page 33: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

33

concentration des exportations (Osakwe (2007)). Pour mesurer le degré de

diversification des exportations, beaucoup d’indicateurs sont avancés notamment

l’indice de Herfindahl-Hirschmann et la proportion des produits du cœur de l’espace

des produits d’un pays affichant un avantage comparatif révélé dans le panier de

produits ayant un ACR. En réalité, du fait de son incapacité à évaluer la qualité et le

contenu technologique des produits, l’analyse de la diversification sous le prisme de

l’indice de Herfindahl-Hirschmann a été complétée par un focus sur l’importance des

produits du cœur de l’espace des produits du Sénégal.

3.3.1. L’indice de Herfindahl-Hirschmann

Il est dans le cas du commerce extérieur égal à la somme des carrés des parts

d’exportation et situe entre 0 et 1. Sa proximité avec zéro indique une bonne

diversification des exportations. Avec cette mesure, une forte diversification est

expliquée par deux facteurs : une augmentation du nombre de produits ou une

distribution plus équitable des parts des produits et la notion de seuils. Les économies

ayant des paniers d’exportation extrêmement diversifiés sont susceptibles d’avoir des

indices de Herfindahl-Hirschmann inférieurs à 0.10, tandis que celles qui ont des

paniers d’exportation concentrés sont au-dessus de ce seuil.

Pour le cas du Sénégal, depuis 1995, l’indice de Herfindahl-Hirschmann (IHH) a été

inférieur à 0,10 avec une moyenne de 0,08. Ce qui traduit une volonté de diversification

du panier d’exportation et l’élargissement des exportations vers une gamme de revenus

relativement plus large comparées aux économies plus avancées. Des économies

comme la Chine, Maurice, Singapour, le Brésil, le Mexique ont des paniers

d’exportations très diversifiés avec des IHH inférieurs à 0.10 sur une large gamme de

revenus. Si le Sénégal a actuellement un IHH inférieur à 0.10, tel n’était pas le cas dans

les années 70. De 1976 à 1994, année de la dévaluation, l’indice de diversification était

en moyenne à 0.11 alors que sur cette même période l’IHH de la Tunisie se situait à 0.12

et celui de l’île Maurice à 0.22.

Même avec un IHH inférieur à 0.1, le Sénégal reste loin derrière les niveaux de

diversification des économies comme la Tunisie (0.03), la Chine (0,01), le Mexique (0,04),

le Brésil (0,02). C’est pourquoi, s’il compte accélérer son processus de diversification des

exportations, il est urgent d’une part de créer de nouvelles lignes d’exportations et de

Page 34: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

34

les promouvoir et d’autre part d’accroître ou de maintenir les montants exportés des

produits présents dans la base exportatrice.

Figure n°18: Indice de diversification des exportations (Herfindahl Index)

Source: PRMED, Banque mondiale

Le lien entre diversification et croissance a alimenté une abondante littérature et cette

dernière a identifié deux manières dont la diversification peut influencer la croissance.

Elle peut être considérée comme un intrant qui accroît la productivité des autres

facteurs de production. Elle peut également être bénéfique à la croissance en multipliant

les possibilités de répartition des risques liés aux investissements sur une gamme plus

large de secteurs économiques. Selon Acemoglu et Zilibotti (1997), la diversification est

primordiale afin de maintenir des taux élevés de croissance économique et de réduire la

volatilité de la croissance. Des études réalisées sur les économies africaines dont le

Sénégal (Ben Hammouda et al. (2006)) ont montré que le processus de diversification

subit fortement l’influence, de l’investissement, du revenu par habitant, du degré

d’ouverture, de la politique d’équilibre macroéconomique, de la gouvernance et des

conflits. Dans le même sillage, elles ont également mis en relief la présence d’une

relation en U entre ces deux principaux déterminants (investissement et revenu) et la

diversification. Ce lien suggère l’existence d’un processus en deux étapes. Dans une

première phase, la hausse des investissements et du revenu par habitant favorise la

diversification jusqu’à ce que soit atteint un point de retournement qui intervient à un

niveau de diversification donné, à partir duquel toute nouvelle hausse mène à la

Page 35: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

35

spécialisation. Plus spécifiquement, pour approfondir son processus de diversification,

le Sénégal qui a, au cours des trois dernières décennies, enregistré une croissance

économique pendulaire du type « stop and go » doit s’engager à avoir des taux élevés

d’investissement et une hausse du revenu par habitant notamment en modifiant la

composition et la qualité de ses dépenses publiques.

3.3.2. Proximité des produits exportés avec le centre de l’espace des produits

Le retard actuel du Sénégal peut tirer son origine dans son incapacité à développer un

grand nombre d’activités ayant un avantage comparatif révélé et des PRODY élevés. Le

nombre de produits sénégalais ayant un ACR est passé de 28 à 92 entre 1962 et 2009. Les

produits du cœur de l’espace des produits ont, certes, progressé depuis mais restent

dans des proportions faibles (36 produits) et sont principalement dominés par la chimie

et quelques produits de la machinerie. Le modèle économique sénégalais des cinquante

dernières années, qui a enregistré de faibles résultats en matière de croissance

économique, a un socle construit sur des produits de la périphérie qui ont, certes, un

avantage comparatif révélé mais très éloignés du centre des produits sophistiqués. Ce

modèle n’a ni engendré un saut technologique majeur ni renforcé le tissu économique

autour de la grappe textile et confection où le Sénégal avait dès le début des années 60

affiché un avantage comparatif révélé.

Qu’en est-il actuellement ? Des travaux récents sur le degré de sophistication du panier

de biens exportés par une économie permettent de classer les produits en fonction de la

facilité de redéployer leurs facteurs de production vers d’autres activités. Etant donné

que le développement constitue une trajectoire dépendante, l’aptitude d’un pays à se

lancer dans la production de nouvelles activités est tributaire de cette facilité.

Autrement dit, comment savoir qu’une économie capable d’exporter par exemple des

téléphones portables serait en mesure d’utiliser ses aptitudes pour exporter des voitures

de luxe. Pour cela, les travaux de Hidalgo et al. (2007) ont introduit la notion de

proximité des produits. Cette dernière mesure la manière dont une économie qui

exporte un produit serait capable d’en exporter un autre.

La proximité entre deux produits i et j ( ijϕ ) est définie comme étant le minimum des

probabilités conditionnelles qu’un pays qui exporte un produit donné peut en exporter

un autre :

Page 36: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

36

( ) ( ){ }1 1 , 1 1 , 0 1ij i j j i ijMin P ACR ACR P ACR ACRϕ ϕ= ≥ ≥ ≥ ≥ ≤ ≤

Une valeur élevée de ijϕ indique que les produits i et j requièrent les mêmes facteurs de

production. Ce qui veut dire que la notion de proximité n’est pas physique mais plutôt

une indication des aptitudes permettant à une économie qui produit et exporte un bien

de se convertir dans l’exportation de d’autres produits.

Tableau n°6: Evolution du nombre de produits exportés par le Sénégal avec ACR

1962 1970 1980 1990 2000 2009

PETROLEUM 0 0 0 0 0 0

RAW MATERIALS 4 1 1 0 2 4

FOREST PRODUCTS 0 0 0 0 0 0

TROPICAL AGRICULTURE 11 16 16 9 13 18

ANIMAL PRODUCTS 1 4 5 9 11 11

CEREALS 4 3 2 2 2 7

LABOR INTENSIVE 3 3 6 1 3 7

CAPITAL INTENSIVE 2 9 7 4 6 9

CORE COMMODITIES 3 8 11 6 9 36

METALS 0 1 2 1 1 5

MACHINERY 0 1 2 0 5 12

CHEMICALS 3 6 7 5 3 19

TOTAL 28 44 48 31 46 92

Source : Calcul de l’auteur

La proximité peut être déclinée en deux entités : une proximité intra et une proximité

inter. La proximité intra mesure la facilité de passer de la production d’un produit à un

autre du même groupe alors que la proximité inter quantifie l’aptitude à migrer d’un

groupe de produits vers un autre groupe. Le tableau n°7 permet de dire qu’il est plus

facile de passer entre deux produits du groupe des métaux, des produits forestiers ou

des produits chimiques que dans celui des produits pétroliers ou des matières

premières ou produits tropicaux. C’est la raison pour laquelle, le Sénégal qui avait un

avantage comparatif révélé dans des produits issus de la nature a éprouvé beaucoup de

difficultés au cours de ces cinquante dernières années à migrer au sein de ce groupe de

produits. Pour ce qui est de la proximité inter, il faut noter qu’il est plus aisé de passer

du groupe des produits intensifs en capital (Capital intensive) au groupe des métaux

(Metals) que de passer du groupe des matières premières vers les céréales. Cette donne

explique en partie les difficultés rencontrées par le Sénégal pour passer des produits

Page 37: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

37

issus de l’agriculture, des animaux, des céréales vers des produits plus sophistiqués

comme l’électronique, les machines, la chimie et l’industrie lourde.

Tableau n°7: Proximité inter et intra selon la classification de Leamer PET RAW FOR TRO ANI CER LAB CAP MET MAC CHE

PET 0.356

RAW 0.111 0.335

FOR 0.106 0.157 0.513

TRO 0.126 0.147 0.174 0.454

ANI 0.119 0.146 0.183 0.198 0.435

CER 0.105 0.127 0.141 0.163 0.160 0.286

LAB 0.105 0.131 0.178 0.167 0.158 0.131 0.434

CAP 0.116 0.133 0.171 0.169 0.160 0.144 0.212 0.480

MET 0.135 0.170 0.221 0.175 0.169 0.149 0.204 0.223 0.568

MAC 0.109 0.113 0.158 0.110 0.121 0.108 0.168 0.169 0.205 0.447

CHE 0.145 0.140 0.162 0.147 0.160 0.141 0.157 0.166 0.204 0.198 0.485

Source: Felipe et al. (2010a)

Dans le sillage de la compréhension de la migration d’un arbre de produits à un autre,

la notion de chemin de produit (PATH) a été introduite pour mesurer la proximité de

chaque produit avec tous les autres produits:

, 0 1i ij ij

PATH PATH Nombre de produitsϕ= ≤ ≤ −∑

Les chemins de produit constituent une mesure fixe pour chaque produit et permettent

de les classer selon leur potentiel d’ACR. Construit sur la base des probabilités

conditionnelles avec la condition d’avoir un ACR, le chemin de produit traduit le

potentiel de diversification des exportations. Des produits avec un PATH élevé sont

ceux qui utilisent les facteurs de production similaires à ceux utilisés par de nombreux

autres produits. Ainsi, des produits de la périphérie comme par exemple l’arachide,

produit phare du Sénégal postindépendance, ont des PATH faibles ce qui signifie qu’il

ne constitue pas un « bon produit » à partir duquel un pays peut se diversifier et

générer de l’avantage comparatif révélé dans beaucoup d’autres produits.

Dans le but de classer les produits et les pays selon le niveau de sophistication des

produits et leur proximité, les travaux de Felipe et al (2010a) ont permis de construire

une matrice 9x9 qui donne une information sur la nature des produits et une

classification des pays. Ainsi, les produits sont classés de par leur :

• Degré de sophistication : PRODY élevé, PRODY moyen, PRODY faible ;

Page 38: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

38

• Proximité avec les autres produits : PATH élevé, PATH moyen, PATH faible.

Le tableau n°8 donne la classification de 779 produits issus de cette méthodologie. Les

produits appartenant aux groupes MPR_MPA (niveau de sophistication moyen,

proximité moyenne), HPR_MPA (niveau de sophistication élevé, proximité moyenne),

MPR_HPA (niveau de sophistication moyen, proximité élevée), HPR_HPA (niveau de

sophistication élevé, proximité élevé) peuvent être considérés comme de « bons

produits » et ceux figurant dans les cinq catégories restantes sont qualifiés de « mauvais

produits ».

Tableau n°8: matrice PRODY-PATH du Sénégal

Niveau de sophistication (PRODY)

PRODY faible (LPR) PRODY moyen (MPR) PRODY élevé (HPR)

Proximité (PATH)

PATH faible (LPA)

LPR_LPA : 14%

MPR_LPA : 4.9%

HPR_LPA : 4.9%

PATH moyen (MPA)

LPR_MPA : 28.7%

MPR_MPA : 10.4%

HPR_MPA : 5.5%

PATH élevé (HPA)

LPR_HPA : 12.2%

MPR_HPA : 15. 2%

HPR_HPA : 4.3%

Source: Felipe et al (2010a)

Des produits comme les céréales et les matières premières figurent dans la catégorie

« mauvais produits » alors que la machinerie et les produits chimiques (HPR_HPA) se

distinguent de par leur niveau de sophistication et d’une bonne proximité avec les

autres produits (« bons produits »). Ils sont façonnés par l’action de l’homme alors que

le premier groupe de produits est l’œuvre de la nature. Les produits phares du Sénégal

au début des indépendances étaient dans la catégorie des produits dits

« mauvais produits». Ce qui explique le retard accusé par notre économie à procéder

aux changements structurels. Aussi, les métaux, la machinerie et les produits chimiques

sont-ils considérés éléments constitutifs du centre de l’espace des produits; ils affichent

un niveau de PRODY élevé et fournissent des aptitudes prêtes à être redéployées pour

exporter d’autres produits (PATH élevé). Toujours sur la base de ces informations, les

pays peuvent être également classés selon les produits qu’ils exportent ; pour chaque

pays, la part des produits exportés avec un ACR est déterminée pour les neuf catégories

répertoriées par la matrice PRODY-PATH. Par conséquent, le classement d’un pays est

ainsi donné par la cellule où il réalise la plus grande proportion. Plus précisément,

Page 39: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

39

lorsque la part des produits au cœur de l’espace des produits d’une économie est

supérieure à 30%, elle est classée parmi les pays “High-core” sinon elle figure parmi les

“Low-core”. Les économies à haut revenu appartiennent aux catégories HPR_HPA,

HPR_MPA, MPR_MPA, et MPR_HPA. Elles produisent et exportent les produits du

cœur de l’espace des produits. Par contre, les économies qui figurent parmi les

catégories HPR_LPA, LPR_MPA et LPR_HPA sont qualifiées pays de la “middle product

trap”. Il s’agit des pays relativement avancés; ils exportent une proportion significative

des produits du cœur de l’espace des produits (machinerie, produits chimiques,

traitement des données et les produits électroniques). Toutefois, leurs exportations

portent également sur des produits qui sont ni sophistiqués ni véritablement connectés

aux autres produits. La dernière catégorie de pays est occupée par les exportateurs de

produits du type MPR_MPA, MPR_HPA et LPR_HPA. Ces pays sont appelés “low-core

countries”. Ce groupe de pays est scindé en deux sous-groupes. Les pays de la “middle-

low product trap” constitués de la plupart des pays producteurs de pétrole. L’autre sous-

groupe de pays du “low-core” exporte des produits du type LPR_LPA et LPR_MPA. Ces

produits sont à la fois faiblement sophistiqués et faiblement reliés aux autres produits.

Ils sont dénommés les pays de la “low product trap”. En résumé, on a :

a) Les pays de la “middle-product trap” : la Chine, le Brésil, l’Inde, la Malaisie, la

Thaïlande.

b) Les pays de la “low product trap”: Algérie, Australie, Bangladesh, Chile, Nigéria,

le Rwanda

c) Les pays de la “middle-low product trap” comme l’Arabie Saoudite, les Emirats

arabes unies

d) Les pays “HPR_MPA”: l’Irlande et le Singapore

e) Les pays “HPR_HPA”: la Finlande

Selon les investigations, le Sénégal a, sur la période récente (2003-2007), exporté 164

produits qui ont un ACR. Sur ces produits, 31,1% figurent dans le cœur de l’espace des

produits donc de la catégorie « high core ». Plus spécifiquement, le Sénégal sur les 164

produits recensés comme ayant un ACR, 28.7% sont du type LPR_MPA soit faiblement

sophistiqués et moyennement connectés aux autres produits. Il partage cette

caractéristique avec des pays comme l’Arménie, la Jordanie, Hong-Kong, l’Inde, la

Page 40: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

40

Chine, l’Afrique du Sud, la Thaïlande, Israël, le Liban, les Philippines, la Russie, etc. Les

produits LPR_MPA sont largement dominés par ceux provenant de l’agriculture

tropicale, les produits animaux, les céréales, les produits intensifs en capital

(notamment les peaux et cuirs), les matières premières. En résumé, le Sénégal est classé

parmi les pays de la “Middle Product Trap”. C’est pourquoi, pour réussir le pari de

l’émergence, le Sénégal doit engager les réformes permettant de faciliter les sauts

horizontaux vers les produits proches de son panier d’exportation (chimie), renforcer le

dialogue public-privé pour la hausse de la productivité et de la qualification des

travailleurs et encourager les interventions des pouvoirs publics allant dans ce sens et

notamment celles portant sur l’adoption et l’imitation des nouvelles technologies par les

grappes naturelles ou provoquées. L’amélioration des infrastructures et de la régulation

doit s’inscrire également dans cette perspective.

3.3.3. Comparaison de l’évolution des exportations du Sénégal et de la Corée

du Sud entre 1962 et 2009

Au début des années 60, le Sénégal et la Corée du Sud présentaient une structure des

exportations faiblement sophistiquées et une connectivité molle entre les différents

produits où ils avaient un avantage révélé. Ainsi, le Sénégal en disposait 28 et la Corée

du Sud 32. Les produits sénégalais étaient largement dominés par les arachides vertes,

les gommes naturelles, le tourteau, l’huile d’arachide, les chaussures (habillement), les

peaux et cuirs, les produits agro-alimentaires notamment les sucreries ne contenant pas

de chocolat, les boissons non alcoolisées, les chandelles et les allumettes, le phosphate

de calcium et aluminium, les engrais phosphatés et les matières premières (les éléments

à bases inorganiques et oxydes métalliques, hydroxydes et peroxydes et les autres

métaux non ferreux). Au même moment, la Corée du Sud disposait du riz, des

légumineuses séchées ou décortiquées, des produits animaliers (poissons et crustacés,

huile de poissons et d’animaux marins), des peaux et cuirs, du textile et de l’habillement

(soie, tissus écran à coton), de la machinerie avec les unités de puissance à vapeur, des

produits tressés, des métaux non ferreux.

Page 41: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

41

Figure n°19 : Carte de l’espace-produit du Sénégal et de la Corée du sud en 1962

Exportations du Sénégal en 1962

Exportations de la Corée du Sud en 1962

Les années 80 ont coïncidé avec un changement radical des produits exportés par ces

deux pays. Tous les deux ont augmenté les produits ayant un avantage comparatif

révélé : le Sénégal enregistre 48 produits, la Corée du Sud 190. La Corée du Sud se

distingue particulièrement avec l’apparition des produits électroniques (TV, jouet,

microcircuits électriques, les machines et équipements électriques), les métaux (fer et

acier), les produits chimiques, la construction navale, les véhicules, les appareils

électrothermiques, les machines à coudre et une densification des produits issus de la

confection et les produits chimiques alors que le Sénégal n’a pas beaucoup diversifié ses

exportations si ce n’est une extension des produits de la périphérie notamment avec la

pêche (poissons, crustacés et mollusques), le textile, les fruits secs, les légumes frais ou

réfrigérés. Toutefois, des progrès balbutiants sont notés au niveau du cœur de l’espace

des produits notamment dans la machinerie, des hétérosides et des vaccins, du savon.

Page 42: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

42

Figure n°20 : Carte de l’espace-produit du Sénégal et de la Corée du sud en 1980

Exportations du Sénégal en 1980

Exportations de la Corée du Sud en 1980

Durant les années 2000, la Corée du sud a un délaissé le textile et l’habillement au profit

d’une plus grande spécialisation dans l’électronique, l’industrie lourde, les métaux, les

machines et les produits chimiques avec 138 produits ayant un avantage comparatif

révélé. Par contre, le Sénégal, avec ses 92 produits ayant un ACR, privilégie toujours les

produits issus de l’agriculture (coton, gomme naturelle, riz, tomates fraîches, les

légumes frais), les produits animaux (poissons), les cuirs et peaux et fait également des

progrès en matière de machinerie (camions et camionnettes, AC moteurs électriques et

générateurs, des éléments sans mécanisme de propulsion des véhicules, véhicules de

transport public, rouleaux, du fil machine en fer ou acier), des métaux (alliage de cuivre

et cuivre, fer/acier formes), le fil électrique, les tonneaux métalliques pour l’emballage

de marchandises, l’amiante et les fibres de ciment et renforce son expertise en matière

de produits chimiques (produits chimiques organiques, articles en plastique).

Page 43: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

43

Figure n°21 : Carte de l’espace-produit du Sénégal et de la Corée du sud en 2009

Exportations du Sénégal en 2009

Exportations de la Corée du Sud en 2009

Au total, la Corée du sud a su vaincre les obstacles du décollage en mettant dès le début

des années 70, les réformes nécessaires pour accélérer la transformation structurelle

alors que le Sénégal a buté sur les problèmes liés au passage des produits issus de

l’agriculture vers d’autres produits plus sophistiqués. En d’autres termes, la méthode

de l’espace des produits a montré que la structure des exportations du Sénégal a à peine

changé depuis plus de cinquante ans contrairement à la Corée du Sud. Le Sénégal est

resté exportateur de quelques produits qui sont presque tous en marge de l’espace des

produits (à l’exception des produits chimiques).

Cette situation, si elle n’est pas modifiée, risque d’hypothéquer gravement les

perspectives d’exportation et de développement du pays. Le Sénégal a à faire des

efforts pour ajouter à sa gamme des exportations plus proches de l’intérieur du réseau

de l’espace des produits en développant des avantages comparatifs dans certains

produits en réseau, en particulier l’électronique, les vêtements, etc.

4. Les secteurs choisis

Page 44: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

44

Pour rehausser le potentiel de croissance et assurer la prise en charge des besoins

essentiels des populations, la question de la construction d’un nouveau modèle

économique capable de placer le Sénégal sur le chemin de la prospérité se pose avec

acuité. Le modèle économique issu de l’indépendance n’a pas pu permettre de réaliser

cet objectif alors que d’autres pays qui étaient dans les mêmes conditions économiques

et sociales y sont parvenus. Ainsi, sur la base du travail d’identification du degré de

sophistication des produits exportés et de l’intensité de la productivité des sous-

secteurs d’accueil, une liste restreinte de sous-secteurs est proposée pour installer une

croissance soutenue au Sénégal. Il s’agit de :

• L’horticulture ;

• Les industries chimiques, de caoutchouc et les fabrications de verre,

poterie et matériaux de construction (cimenterie) ;

• Le tourisme;

• Les services financiers et activités immobilières ;

• Les télécommunications.

Dans l’immédiat, l’agriculture, un des piliers essentiels, pour accélérer la croissance et

lutter plus efficacement contre la pauvreté doit être érigée en priorité de la politique de

développement. La situation non temporaire du niveau élevé des prix mondiaux exige

sans nul doute dans le moyen terme de relancer l’activité de production locale par la

hausse des investissements dans le domaine agricole et les efforts d’encadrement du

monde rural. Toutes les initiatives qui visent la valorisation et la transformation des

produits agricoles sont à encourager et le nouveau modèle économique proposé

accorde une place prépondérante aux cultures vivrières et à l’horticulture. Pour cela, la

mise en place d’une politique d’infrastructures rurales, de maîtrise de l’eau,

d’instruments de financement plus efficaces et d’un régime foncier assurant une plus

grande sécurité de l’investissement privé est plus que nécessaire.

Le modèle économique bâti sur l’horticulture remplacera celui de l’arachide. Le Sénégal

regorge d’importantes potentialités dans ce sous-secteur notamment avec la mangue,

les fleurs, etc. L’horticulture reste une filière à énormes potentialités de génération de

revenus et d’emplois. Toutefois, cela ne signifie pas la fin de la culture de l’arachide. Un

modèle parallèle à celui de l’arachide est à instaurer. Le développement de

Page 45: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

45

l’horticulture s’appuiera sur l’installation d’unités de conditionnement et de

transformation des fruits et légumes conformes aux normes internationales d’hygiène et

de qualité. Dans ce cadre, cette performance sera consolidée en droite ligne les objectifs

d’atteinte de l’autosuffisance alimentaire. Pour cela, les efforts seront orientés vers

l’amélioration des capacités de production, le renforcement de la productivité et la

diversification des exportations. De plus, les exportations de certains produits horticoles

transformés doivent refléter un certain niveau de sophistication technologique que

l’exportateur doit acquérir afin de se conformer aux normes strictes phytosanitaires des

pays à revenus élevés et ces mêmes capacités peuvent dans l’avenir être utilisées pour

des produits similaires à revenu élevé (« Monkey forest »).

Le tourisme, autre sous-secteur à fort potentiel de croissance, de création de richesses et

d’emplois est à développer. Déjà choisi, parmi les grappes de la stratégie de croissance

accélérée, le tourisme devra tirer profit de la position géographique du Sénégal. Le pays

peut devenir un lieu naturel où l’industrie du tourisme peut prospérer si les efforts sont

faits pour accompagner les professionnels évoluant dans le sous-secteur. La réduction

de la TVA à 10% s’inscrit dans ce sens. Les grands événements religieux dans le pays

drainent des millions de pèlerins et il s’agit d’organiser et de faciliter l’accès aux

financements des acteurs du tourisme et de l’agro-industrie qui constitue un sous-

secteur d’appui au tourisme. Le tourisme médical adossé à un développement des

centres hospitaliers est également à mettre au cœur de la politique touristique du pays.

Les industries chimiques, de caoutchouc et les fabrications de verre, poterie et

matériaux de construction (cimenterie) ont développé et consolidé un avantage

comparatif révélé au cours des décennies écoulées et occupent actuellement une bonne

partie des produits exportés par le Sénégal. Elles peuvent également constituer la base

industrielle du pays. Les produits issus de ces industries figurent parmi les champions

émergents et présentent une attractivité à cause des revenus qu’ils génèrent. De plus, le

Sénégal a su développer des aptitudes (capabilities) permettant d’approfondir davantage

les avantages comparatifs révélés. Etant donné que les probabilités de passage des

produits chimiques vers les industries lourdes (machinerie, métaux) sont élevées, il est

important d’utiliser les facteurs de production de ces industries pour faciliter la

migration vers les véritables produits du cœur de l’espace des produits. Toutefois, cette

Page 46: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

46

stratégie ne doit pas occulter l’approfondissement nécessaire de la position de ces

produits notamment avec l’émergence des autres produits chimiques et ceux liés à la

santé si l’on se réfère à leur probabilité de transition intra élevée (proximité).

Le nouveau modèle économique doit également prendre en compte la position

dominante des services au Sénégal. C’est pourquoi, sa construction doit aussi reposer des

sous-secteurs qui ont porté la croissance économique pendant toute cette période et qui

peuvent être des éléments d’appui à ce nouveau paradigme. De plus, l’analyse du degré

de sophistication des services (Mishra et al. (2011)) a révélé que les services financiers et

les TIC ont des PRODY les plus élevés dans les services. Ainsi, le PRODY des services

est de 22763$ et celui des TIC de 17791$ entre 1990 et 2007. De plus, le niveau de

sophistication des services affecte positivement la croissance économique du PIB per

capita.

Le sous-secteur des télécommunications a, depuis plus d’une décennie, été

principalement avec les BTP le moteur de croissance au Sénégal et la société leader en

télécommunications (SONATEL) a un rôle majeur à jouer dans cette nouvelle donne.

Pour cela, elle doit miser sur les activités d’adaptation des technologies issues des pays

avancés et développer les activités de sous-traitances pour les petites et moyennes

entreprises. Un partenariat efficace est à bâtir avec les universités pour faire émerger un

pôle des technologies de l’information. L’idée de création de pépinières spécialisées

dans les TIC ou centre d’incubation (exemple de CTIC Dakar) est à encourager pour

accompagner les entreprises TIC ainsi que les tous porteurs de projets dans la création

et le développement. De plus, à l’instar des économies comme la Corée du Sud, la

Tunisie, le Botswana qui ont su faire le saut dans l’électronique et le traitement des

données, les télécommunications au Sénégal devront jouer le rôle de catalyseur. Le

Sénégal a raté ce passage qui a caractérisé tous ces pays qui avaient les mêmes

caractéristiques économiques que le Sénégal.

Un autre sous-secteur d’appui est les services financiers. Ils constituent avec les activités

immobilières le sous-secteur où le Sénégal a su développer d’énormes gains de

productivité. En effet, comme il avait été précédemment indiqué, le Sénégal est leader

en termes de productivité dans ce domaine. Le développement important de ce sous-

secteur ces dernières années et l’arrivée massive de banques étrangères témoignent de

Page 47: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

47

l’existence d’une niche à exploiter. Le Sénégal pourrait devenir un centre financier de

l’Afrique de l’Ouest né de la jonction entre le pôle des technologies de l’information et

les services financiers. L’érection de ce pôle permettra de mobiliser des ressources pour

le financement de l’industrialisation et des exportations.

Enfin, le choix des secteurs porteurs de croissance doit également reposer sur une

volonté de diversification et de valorisation des exportations. Cette démarche de

recherche de marchés extérieurs pour générer une demande suffisante pour faire une

croissance économique soutenue et durable est indispensable au Sénégal nouvellement

membre des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. En réalité, de récents

travaux (Felipe et al. (2012)) ont montré qu’il faut 28 ans et une croissance économique

du PIB13 per capita de 4.7% par an pour passer en moyenne d’un pays à revenu

intermédiaire de la tranche inférieure à un pays intermédiaire de la tranche supérieure.

Pour ce qui est du passage d’un pays intermédiaire de la tranche supérieure à un pays à

haut revenu, il faut 14 années et un taux de croissance du PIB per capita de 3.5% par an.

Mieux, selon la méthodologie de l’espace-produit, les entreprises sénégalaise doivent se

lancer dans des activités relatives au cœur de cet espace produits suivant l’exemple des

pays d’Asie de l’Est afin d’améliorer le potentiel d’exportation du pays. L’expérience de

ces pays montre qu’il est impératif de faciliter les conditions d’accès et d’arrivée à

maturité des entreprises qui peuvent commencer à pénétrer le cœur de l’espace des

produits et devenir, par opportunisme, exportatrices de produits divers. Ces conditions

dépendent fortement du financement de l’investissement industriel. Il est clair que le

coût du financement et son accès limité constituent les problèmes majeurs de la

croissance et limitent sans nul doute les capacités d’exportation des entreprises du pays.

5. Les leviers de la croissance

Les stratégies de croissance14 peuvent être menées à deux temps. D’abord, un temps

d’installation de la croissance économique qui rime avec une stratégie d’investissement

pour lancer le processus. Et dans une seconde phase, il s’agit d’instaurer de façon

13

Pour le cas du Sénégal, il faut donc un taux de croissance économique de l’ordre de 7.3% si l’on prend en

compte le croît démographique de 2.6%.

14 Un travail sur la méthode « Diagnostic de la croissance « et les stratégies de croissance est en cours.

Page 48: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

48

durable la croissance économique à travers une stratégie institutionnelle pour faire

durer la croissance.

5.1. Consolidation macroéconomique

La politique budgétaire peut influer sur l’activité et la croissance à moyen terme ainsi

que sur le cycle économique. Lorsqu’elles sont peu élevées, les dépenses publiques sont

susceptibles d’avoir des effets productifs supérieurs au coût social de la mobilisation

des fonds.

Au Sénégal, la consolidation du cadre macroéconomique exige de ramener le déficit

public en deçà 4% d’ici 2015 afin d’affecter les ressources disponibles à des dépenses

favorisant la croissance et l’emploi. Dans ce cadre, les pouvoirs publics doivent

s’engager à élaborer un budget de l’Etat sincère qui révisera la composition des

dépenses et privilégiera la qualité et la nature productive de leur destination. Au regard

des difficultés actuelles, une politique d’ajustement sur la demande doit se traduire par

la répercussion intégralement à terme des variations des cours, afin d’encourager les

consommateurs et les producteurs à faire les ajustements nécessaires et réorienter les

ressources disponibles vers des dépenses pro croissance et emploi.

5.2. Institutions

Les différences de performance entre les nations ont donné naissance à une abondante

littérature. Les travaux de Aghion et Howitt (1992, 1998, 2005, 2006, 2008), de Knack et

Keefer (1995), de Hall et Jones (1999), mais surtout ceux d’Acemoglu, Johnson et

Robinson (2001) ont montré que le principal candidat à cette explication serait le

contexte institutionnel. Les institutions définies selon les propres termes de Douglass

North comme « les règles du jeu dans une société, ou plus formellement, les contraintes

élaborées par l’homme pour façonner les interactions humaines » constituent sans nul

doute le facteur clé de notre future réussite. Ces « bonnes institutions » doivent

permettre la protection des droits de propriété, limiter le pouvoir des élites et de ceux

qui ont le pouvoir quelle que soit sa nature et promouvoir l’égalité des chances entre les

individus. D’ailleurs, l’expérience des 13 économies identifiées par la Commission sur

la croissance et le développement des Nations unies ayant réalisé une croissance

économique moyenne de 7% durant un quart de siècle et les enseignements de la

littérature économique révèlent que les économies qui sont à la phase d’accumulation

Page 49: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

49

du capital et donc éloignées dans la frontière technologique ont beaucoup plus intérêt à

instaurer des institutions appropriées capables de créer les conditions de

développement de l’initiative privée. En effet, si la croissance se nourrit de capital

humain, physique ou technologie, encore faut-il s’assurer que les sociétés soient en

mesure de fournir de tels inputs. Pour soutenir le nouveau modèle économique, le

Sénégal doit choisir une stratégie de développement économique basée sur la réformes

des institutions, c’est-à-dire, qu’il est économiquement rationnel pour le pays de mettre

en place des institutions garantissant à la population une bonne protection des droits de

propriété privée, une régulation efficace des activités économiques et plus de liberté et

de participation politique. Car les transformations structurelles nécessaires pour le

Sénégal est conditionnelle à l’émergence d’un secteur privé national.

5.3. Education

L’équation de Mincer est le point de référence de la vaste littérature sur les rendements

de l’éducation. Jusqu’au début des années 2000, l’article pionnier de Mankiw, Romer et

Weil (1992) faisait référence pour analyser l’impact macroéconomique du système

éducatif sur la croissance. Selon ces auteurs, le capital humain joue le même rôle dans la

production que le capital physique et l’accumulation des années d’études traduit la

démultiplication de la force de travail et par ricochet l’augmentation de l’efficacité

productive à technologie constante. Cette hausse permet alors de compenser les

rendements décroissants du capital et par conséquent de soutenir la croissance dans le

long terme. La principale leçon distillée par ce schéma est que pour maintenir une

croissance positive à long terme il faut impérativement augmenter constamment le

niveau d’éducation de la population. Toutefois, cette démarche a été remise en cause

d’abord par les travaux de Benhabib et Spiegel (1994) qui ont introduit une dimension

plus technologique du rôle de l’éducation dans la croissance économique et par la suite

par Krueger et Lindhal (2001). Ces derniers ont relativisé les travaux de Benhabib et

Spiegel et introduit l’idée selon laquelle l’éducation a un rôle significatif sur la

croissance à la fois de par l’accumulation et de par le niveau initial de capital humain.

Les nouvelles théories de la croissance ont su donner l’explication des disparités du PIB

par tête et de la productivité des nations en la différence dans les institutions

notamment (les systèmes éducatifs et les politiques de Recherche et Développement).

Page 50: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

50

Mieux, elles ont révélé que l’éducation et la recherche constituent les facteurs de

croissance dans tous les pays quel que soit leur niveau de développement

technologique.

Au regard de ce qui précède, la refondation du modèle économique au Sénégal milite

en faveur d’une réflexion autour de l’idée centrale : quelle formation pour les secteurs

porteurs de croissance économique soutenable identifiés par la méthodologie de

l’espace-produit? Certes, l’éducation est un maillon important pour la consolidation de

notre démocratie et l’obtention d’institutions fortes mais il est nécessaire de mettre en

place des politiques structurelles sur l’éducation et de procéder à une profonde

réflexion sur son contenu. En effet, il s’agit de voir quelle formation il faut pour une

croissance économique soutenue pour notre pays. Au stage actuel de notre

développement économique, l’accent doit être mis plus sur l’éducation et la formation

pré-universitaire car dans la catégorie de pays où se trouve le Sénégal, la croissance

n’est portée par l’innovation. De même, pour répondre à la lancinante question de

l’emploi et réajuster le rôle trop important du secteur des services peu pourvoyeur de

main d’œuvre, le Gouvernement devra s’atteler à développer la formation dans les

métiers de l’agriculture et de l’industrie.

5.4. Développement financier

Les marchés de capitaux tiennent une place importante dans le financement des

activités d’une économie. Ils contribuent à la croissance économique par le canal de

l’innovation technologique et l’accumulation de capital et les études sur la croissance

économique citent le développement financier comme un élément important de la

croissance. Un système financier bien développé peut mobiliser l’épargne et l’orienter

vers des investissements rentables à grande échelle, tout en offrant aux épargnants une

liquidité élevée.

De récents travaux sur le Sénégal ont montré que la faiblesse du marché financier est

une des imperfections majeures qui empêche de développer l’initiative privée et

d’accélérer la croissance économique (Diop et Diané (2007), Diop (2010), DASP(2009),

Dufrenot et Sakho(2008)). De ces investigations, il ressort le constat d’un financement

relativement faible des entreprises locales par le système bancaire. Le climat des affaires

est caractérisé par le financement des projets des entreprises sur fonds propres. En effet,

Page 51: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

51

au Sénégal, en raison du faible accès des entreprises au système bancaire, seulement

64% des entreprises ont accès au crédit. Ce qui a comme corolaire une distribution des

crédits bancaires orientés vers les grandes entreprises qui disposent d’une plus grande

visibilité et les entreprises évoluant dans les sous-secteurs « commerce, bars,

restaurants », les activités de rente, les entreprises de nationalité étrangère en un mot le

marché du crédit est rationné (rationnement classique et auto-rationnement). Ce constat

trouve également son explication dans le fait que les banques ont plus de visibilité et

d’informations sur ces types de clients et le partage de l’information a un impact

relativement faible sur les conditions d’accès au financement. Les résultats en matière

de développement du secteur financier (taux d’intérêt élevés) au Sénégal ont montré

que l’ouverture des marchés financiers n’a pas permis aux banques de jouer leur rôle

d’intermédiaire en affectant l’épargne au secteur privé et aux investissements. Ce qui

aurait pu accroître la productivité des entreprises. De la même manière, les perspectives

d’investissement sont limitées et la hausse du crédit générée par la libéralisation a été

davantage affectée à la consommation et aux activités à court terme et non à des

investissements grâce auxquels les entreprises privées auraient renouvelé leurs

technologies.

L’approfondissement du marché financier constitue un énorme chantier pour les pays

en développement, en particulier le Sénégal. En effet, le financement de l’économie

constitue un élément explicatif du retard économique de nos économies. Les travaux de

Aghion, Howitt et Mayer-Foulkes (2005) ont montré que le développement financier

affecte la convergence des économies via la croissance de la productivité plutôt que

l’accumulation de capital. Une réforme en profondeur est nécessaire pour alimenter nos

économies en liquidité et lutter contre le rationnement du crédit car sa bonne

distribution permet d’assurer une forte croissance économique.

Au total, l'approfondissement du secteur pourrait participer à l’augmentation de la

croissance potentielle et la réduction de la pauvreté au Sénégal en finançant

l’industrialisation et la diversification des exportations. Pour cela, les mesures telles que

le développement du marché interbancaire et la révision du coefficient de

transformation pourraient y jouer un rôle primordial.

6. Conclusion

Page 52: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

52

Depuis plus d’un demi-siècle, le Sénégal n’a pas réussi à faire face aux nombreux défis

économiques. L’analyse de sa trajectoire économique a montré les maigres

performances réalisées (stagnation du niveau de vie des populations) alors que des

pays ayant le même niveau de développement que lui dans les années 60 (Tunisie,

Corée du Sud) y sont parvenus.

La tentative de compréhension des facteurs explicatifs de ce retard indique que le

modèle économique jusque là proposé n’a pas été bâti sur des ressorts de productivité

et de compétitivité. C’est pourquoi, les pouvoirs publics qui ont des objectifs

d’améliorer le niveau de vie et le bien être social de la population doivent engager les

transformations structurelles idoines pour une croissance économique soutenue et

durable. La combinaison de la méthodologie de l’espace-produit et le diagnostic du

niveau de productivité des sous-secteurs a permis d’identifier l’horticulture, le

tourisme, les industries chimiques, les télécommunications et les services de la finance

comme les futurs créneaux porteurs de croissance économique et de création d’emplois

au Sénégal. Toutefois, la réussite de ce nouveau modèle économique est tributaire des

politiques d’accompagnement notamment la consolidation du cadre macroéconomique,

la réforme du marché du travail, l’érection d’institutions appropriées capables de

faciliter l’accumulation du capital, la refonte du système éducatif et enfin

l’approfondissement du marché financier.

Page 53: Quels secteurs pour quelle croissance économique pour le Sénégal

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