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M~decine et Maladies Infectieuses -- 1984 - 14 - N ° 10 -- 456 ~t 459 EDITORIAL Qu'est ce qu'une septic6mie ? par J. MODAl* En 1927, Gastinel et Reilly dans leur Rapport au XlX6me Congrfis de Mdde- cine, ddfinissent ainsi la notion de septicdmie :, L'&at septicdmique correspond 5 toute infection gfinfirale conditionn& par des d&harges massives et rdp&des dans le sang de bact~ries pathog~nes et de leuls poisons. Issue d'un foyer septique, appr&iable ou non, cette migration de germes, continue ou discontinue, engendre des signes gfin&aux graves tenant fi de multiples embolies microbiennes, ~t l'action des toxines bactfiriennes, enfin aux effets nocifs des produits de ddsint~gration cellulaire, tous sympt6mes laissant au second plan te foyer infectieux initial. )) Cette longue d~finition m&ite en 1983 une &ude critique afin de tracer les limi- tes de ce qu'on entend par septicfimie. BACTI~RII~MIE ET SEPTICI~MIE La notion de << ... d&harges massives et rdp&&s de bactdries dans le courant sanguin... ~ diff&encie la septic4mie de la bact&i4mie, ~pisode isold de courte durde. Cette distinction est assez acad~mique au lit du malade, aux premieres heures de son infection, quand l'urgence de la situation ne permet pas d'attendre que l'dvolution spontan& fasse la diffdrence. D'autre part le terme de bact4ri4mie d4finit des situations bien diff4rentes selon les consdquences cliniques de la dd- charge microbienne • - la bactdri6mie transitoire est la bact4ri~mie << vraie ~) des auteurs franqais <~ classiques >~. Elle s'observe souvent apr~s manipulation d'abc&s ou de tissus infect4s, apr&s petites interventions, endoscopiques ou non, surtout sur l'appareil urinaire, et apr& extractions dentaires. Mais les bact&idmies sont frdquentes chez tout individu en dehors de tout contexte pathologique (au cours de soins dentai- res, des h4mocultures pratiqu&s de faqon systdmatique sont positives dans 50 % des cas). Le risque d'une bact&idmie transitoire ddpend du germe responsable et de l'&at du terrain sur lequel elle survient. Les bactdridmies n'ont le plus souvent aucune cons4quence grave et n'ont pas de traduction clinique, mais parfois la bac- t&i~mie entralne le ddveloppement d'une localisation secondaire septique qui va &01uer pour son propre Compte (ostdomydlite apr& banal furoncle, endocardite apr&s abc&s dentaire, etc..:). Cette possibilitd justifie la pratique d'une antibio- thdrapie preventive routes les fois qu'un geste mddical ou chirurgical est suscep- tible de pr0voquer une bact&i4mie transitoire avec de graves cons4quences ; * Clinique des Maladies lnfectieuses, H6pital Claude Bernard, 10 av. de la Porte d'Aubervilliers. F 75019 Paris. 456

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Page 1: Qu'est ce qu'une septicémie ?

M~decine e t Maladies In fec t ieuses -- 1 9 8 4 - 14 - N ° 10 -- 456 ~t 459

EDITORIAL

Qu'est ce qu'une septic6mie ?

par J. MODAl*

En 1927, Gastinel et Reilly dans leur Rapport au XlX6me Congrfis de Mdde- cine, ddfinissent ainsi la notion de septicdmie : , L'&at septicdmique correspond 5 toute infection gfinfirale conditionn& par des d&harges massives et rdp&des dans le sang de bact~ries pathog~nes et de leuls poisons. Issue d'un foyer septique, appr&iable ou non, cette migration de germes, continue ou discontinue, engendre des signes gfin&aux graves tenant fi de multiples embolies microbiennes, ~t l'action des toxines bactfiriennes, enfin aux effets nocifs des produits de ddsint~gration cellulaire, tous sympt6mes laissant au second plan te foyer infectieux initial. )) Cette longue d~finition m&ite en 1983 une &ude critique afin de tracer les limi- tes de ce qu'on entend par septicfimie.

BACTI~RII~MIE ET SEPTICI~MIE

La notion de << ... d&harges massives et rdp&&s de bactdries dans le courant sanguin... ~ diff&encie la septic4mie de la bact&i4mie, ~pisode isold de courte durde. Cette distinction est assez acad~mique au lit du malade, aux premieres heures de son infection, quand l'urgence de la situation ne permet pas d'attendre que l'dvolution spontan& fasse la diffdrence. D'autre part le terme de bact4ri4mie d4finit des situations bien diff4rentes selon les consdquences cliniques de la dd- charge microbienne •

- la bactdri6mie transitoire est la bact4ri~mie << vraie ~) des auteurs franqais <~ classiques >~. Elle s'observe souvent apr~s manipulation d'abc&s ou de tissus infect4s, apr&s petites interventions, endoscopiques ou non, surtout sur l'appareil urinaire, et apr& extractions dentaires. Mais les bact&idmies sont frdquentes chez tout individu en dehors de tout contexte pathologique (au cours de soins dentai- res, des h4mocultures pratiqu&s de faqon systdmatique sont positives dans 50 % des cas). Le risque d'une bact&idmie transitoire ddpend du germe responsable et de l'&at du terrain sur lequel elle survient. Les bactdridmies n'ont le plus souvent aucune cons4quence grave et n'ont pas de traduction clinique, mais parfois la bac- t&i~mie entralne le ddveloppement d'une localisation secondaire septique qui va &01uer pour son propre Compte (ostdomydlite apr& banal furoncle, endocardite apr&s abc&s dentaire, etc..:). Cette possibilitd justifie la pratique d'une antibio- thdrapie preventive routes les fois qu'un geste mddical ou chirurgical est suscep- tible de pr0voquer une bact&i4mie transitoire avec de graves cons4quences ;

* Clinique des Maladies ln fec t ieuses , H6p i t a l Claude Bernard , 10 av. de la Por t e d 'Aubervi l l iers . F 75019 Paris.

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- la bactdridmie rdcidivante est la classique ~ septico-pyohdmie ~. Elle est caractdrisde par des hdmocultures positives de fa~on intermittente. Elle s'observe au cours des suppurations profondes, :comme le phlegmon pdrindphrdtique et l'abc4s prostatique, ~iu cours des infections compliquant une obstruction des voies biliaires ou urinaires et au cours d'infections particuli&es c o m m e la mdnin- gococcdmie et la gonococcdmie chronique. Le traitement du foyer initial est bien stir essentiel mais la raise en dvidence du germe guide considdrablement le choix de l 'antibiothdrapie ;

- la bactdridmie continue, c'est-f-dire (< ... les ddcharges massives et rdpdtdes dans le sang de bactdries pathog&nes ... issues d'un foyer septique... >> correspond

notre septicdmie classique. L'dtat septicdmique chez l 'homme n'est pas lid 5 une pullulation microbienne dans le sang. Les numdrations successives des germes dans le sang pratiqudes au cours des septicdmies avant l'&re des antibiotiques ne retrou- vaient jamais un nombre suffisant de germes permettant d'affirmer qu'il y avait eu multiplication bactdrienne dans le sang et que la septicdmie rdpondait ~ une culture in vivo. Cette migration de germes nouveaux, permanente ou discontinue, provient d 'une porte d'entrde : les germes peuvent 6tre entrainds dans la circula- tion h la faveur d'une effraction vasculaire lors d 'une btessure du rev&ement cutando-muqueux. Plus souvent la migration se fait 5 partir d 'un foyer septique qui n'est pas toujours ddcelable cliniquement, thrombophldbite, endocardite valvulaire ou ganglions lymphatiques d'oh ils se ddversent dans la circulation sanguine. Le si~ge du foyer initial conditionne le mdcanisme de la septicdmie :

- au cours des endocardites et des artdrites, les germes, apr~s une bactdrid- mie initiale et transitoire issue par exemple d 'un foyer dentaire ou ORL se fixent sur l 'endocarde et s'y multiplient, ensemen~ant en permanence le sang en raison du brassage continu du foyer par le torrent circulatoire,

- la grande majoritd des septicdmies ~i pyoghnes, en particulier 5 staphylo- coques, sont de type thrombophldbitique : les toxines microbiennes ou mdme des produits de la ddsintdgration cellulaire traversent la paroi veineuse de dehors en dedans et provoquent des altdrations de l ' intima dont l 'aboutissement est la thrombose. Les germes se propagent par les lymphatiques pdrivasculaires, colo- nisent le thrombus et s'y multiplient. Les fragments de thrombus, avec les germes qu'il contient peuvent 6tre libdrds dans la circulation, provoquant des ddcharges bactdriennes discontinues et massives qui ddterminent des mdtastases infectieuses. Le si~ge de la phldbite initiale conditionne la rdpartition des foyers secondaires : abcds pulmonaires si la phldbite si~ge dans le territoire cave, abc& hdpatiques si elle sidge clans les veines du syst~me porte,

- dans les septicdmies de type lymphatique comme la fi~vre thypho'ide, les germes pdndtrent dans l'organisme par voie digestive et gagnent les ganglions lymphatiques mdsentdriques ; puis ils rejoignent la circulation sanguine par le Canal throracique et se ddversent dans le sang progressivement, rdguli&ement, en quantit6 limitde.

SEPTICI~MIE ET CHOC INFECTIEUX

Dans sa ddfinition de la septicdmie, Gastinel, lorsqu'il parle ~ ... des signes gdndraux graves tenant ... 5 l 'action des toxines bactdriennes., ~, ddcrit le choc infectieux lid 5 la pdndtration des germes clans le courant sanguin, avant m4me que le terme de choc infectieux soit invent& I1 est dtabli que les toxines bactd-

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riennes sont responsables d'une grande part des sympt6mes cliniques des septicd- mies. Les endotoxines des bacilles gram n6gati£en particulier j0uent un r61e essen- tiel dans la physiopathog6nie du choc infectieux qui s'observe dans 40 % environ des septicdmies fi bacilles gram n6gatif. L'administration fi t'animal d'endotoxines bact6riennes reproduit la plupart des manifestations observdes au cours du choc septique chez l'homme, La raise en 6vidence d'endot0xines circulantes clans le sang des malades fait appel fi de nombreux proc6d6s dont le plus courant est le test du limulus : bien que ce test soit plus souvent positif dans le LCR, au cours des m4ningites 5 bacilles gram n6gatif, que dans le sang, au cours des septic6mies bacilles gram n6gatif, le taux de mortalit6 est plus 61ev6 chez les patients ayant un test au limulus positif. D'un point de vue prophylactique et thdrapeutique, il est important de savoir que l'am61ioration du pronostic est ti6e ~ la pr6sence d'anti- corps vis-&-vis des composants de l'endotoxine de surface. Ces constatations ont suscit6 la recherche d'une possible immunoprophylaxie de certaines septicdmies et des r6suhats encourageants ont 6t6 obtenus dans les infections ~ P. aeru2inosa. La fr6quence du choc septique au cours des infections fi bact6ries gram positif n'est pas connue avec pr4cision mais doit d6passer 5 % des infections & pneumo- coques, streptocoques du groupe A et staphylocoques dor6s.

SEPTICI~MIE ET IMMUNITI~

Quelque soit le m4canisme de l'6tat septicdmique, la physionomie clinique de la maladie d6pend tout autant du germe responsable que des caract~res et du si6ge du foyer primitif dont l'6radication est un des principaux objectifs du traitement antibiotique. En effet, les microbes, apr4s avoir franchi la barrihre cutan6o- muqueuse en quelque territoire que ce soit, sont expos6s & l'activit6 bact6ricide du s6rum et s'61iminent au fur et ~t mesure de leur p6ndtration dans le torrent circulatoire, comme Pont montr6 les num6rations de germes dans les septic6mies et l'exp6rimentation chez l'animal. Les m6canismes responsables de cette clairance bactdrienne sont essentiellement les phagocytes et l'ensemble des cellules du tissu rdticuloendoth61ial, en particulier du foie et de la rate. Pour que la clairance bact6- rienne s'effectue correctement, il faut que se ddroulent normalement les diverses drapes du processus : mobilisation des phagocytes, phagocytose, et activit6 bact6- ricide intra-cellulaire. Le mouvement des phagocytes vers les bact6ries est ~ la lois fonction de leur mobilit6 intrinsfique et de leur attraction vers les germes (chimio- tactisme) ; la phagocytose est consid6rablement augment6e par l'opsonisation qui d6pend 6troitement des anticorps et/ou du systfime compl6mentaire. Les m6ca- nismes d'immunit6 cellulaire impliquant les lymphocytes T et les monocytes agis- sant sous l'influence des lymphokines interviennent 6galement dans la lutte contre les infections par les germes ~i parasitisme essentiellement intra-cellulaire. Divers facteurs diminuant les fonctions immunitaires peuvent favoriser le d4veloppement d'une septic6mie. Les septicdmies ~ bact6ries encapsuldes, essentiellement Strepto- coccus pneumoniae, Neisseria rneningitidis et Haernophilus influenzae, sont de plus en plus souvent observdes au cours de certaines d6faillanCes immunitaires touchant plus particuli&ement l'activit6 s6rique compl4mentaire, les anticorps sp6cifiques et les barrihres anatomiques. Les d6faillances de l'immunit6 cellulaire se compliquent plus Souvent de septic6mies et/ou de mdningites h Listeria mono- cytogenes.

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CONCLUSIONS PRATIQUES

La d i f f&encia t ion Classique entre bact~rifimie et septic6mie a un in t&& pra- t ique limitfi Clans la mesure el? au lit du malade, devant une bactdridmie, rien ne permet de prfivoir ses suites : accident sans lendemain spontan~ment r~solutif, greffe bactfirienne fi distance pouvant ensu i t e &oluer pour son propre compte , d & e l o p p e m e n t d 'un choc infect ieux ou fivolution vers une Septicfimie vraie. Les possibilit~s d '&adica t ion du foyer infec t ieux cond i t ionnen t largement le pronos- tic d 'une septicfimie m~me lorsque l ' an t ib io tMrap ie est efficace su r le germe responsable.

Les m&ani smes naturels de lu t te centre l ' in fec t ion t iennent une place essen- tielle, aussi bien comme facteur favorisant le dfiveloppement de la septicfimie que comme facteur de son pronost ic : l ' an t ib io tMrapie seule risque d '&re impuissante si les d~fenses immuni ta i res sent inexistantes. •

BIBLIOGRAPHIE

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