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Quelles théories pour quelle pratique professionnelle ? Pbilippe Dubé I L'iviterdiscipli~zarit~ éliment essentiel de la pratique muséologique, a pu être, dans le passé, un fiein à son développement. Aujourd'hui, ckst d'elle que dkpend le développement de la profession tout entière, explique Philippe Dub6 professeur de niuséologie à I'U~iiversité Laval à Québec (Canada). Des voies nouvelles doiuent ê&e ouvertes, explique- t-il pour La mise au point desprogrdmmes de formation, et il souligne la nécessité pour la muséologie de proidre en compte avec sérieux son caractèrepar nature multidisciplinaire. Lhrticle de Philippe Dubé reproid le texte d'uize comwxuzicatiopi au Comité international de I'ICOMpozbr la formation du personnel (ICTOP), réuni en 1992 dans le cadre de La Coizfrencegénérale de moM. De bien nombreux programmes de mu- séologie ont vu le jour, dans les universi- tés, au cours des dernières années, un peu partout à travers le monde. Ces pro- grammes, tous animés d'un désir de (( professionnalisation )), ont littéralement transformé un métier qui, récemment en- core, s'apprenait tout naturellement (( sur le tas D. Cette volonté très A r m é e de ren- forcer la qualité des services offerts dans et par les musées ne rencontre, pour ain- si dire, aucun obstacle. Les gouverne- ments appuient généralement assez bien cette prise en charge de la formation mu- séologique par les universités, et le milieu professionnel réagit d'ordinaire assez po- sitivement à l'invitation de perfectionne- ment qui lui est faite. Alors, où est le pro- blème ? A un bout de la table on vous nourrit, et de l'autre vous acceptez allé- grement la nourriture que l'on vous don- ne. Tout va donc bien, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.. . Eh bien, non, rien ne va, voyons ! I1 y a, d'une part, une pratique professionnel- le qui cherche à tout prix à s'améliorer - souvent sans savoir ce qu'elle veut réelle- ment améliorer ; d'autre part, il y a les programmes académiques qui offrent des cursus souvent issus d'une démarche pla- tement théorique. Alors, que faire dans ce contexte pour réconcilier l'inconciliable et faire que nous ayons un enseignement théorique satisfaisant pour les besoins, tout de même spécifiques, des profes- sionnels ? Voilà relancé un vieux débat qui oppose à nouveau l'université en tant que lieu de formation de l'esprit et le monde du travail comme lieu par excel- lence des réalisations concrètes. Matière et esprit s'entrechoquent encore une fois, se disputant la part la plus noble et la meilleure de l'intelligence humaine. Pourtant, dans bien des domaines, nous avons dépassé depuis belle lurette ce faux problème en balisant les frontières de for- mation et en délimitant la sphère de cha- cun des deux univers. Pour sa part, l'uni- versité s'est gardé prétentieusement l'uni- versel, le fondamental, la frange épisté- mologique des connaissances, l'absolu, quoi ! Les professionnels, quant à eux, se sont réservé jalousement ce qu'ils consi- dèrent comme essentiel pour se préparer comme il convient à une pratique profes- sionnelle qui doit nécessairement rencon- trer un certain nombre de normes, de cri- tères inhérents à la profession et, enfin, un niveau acceptable de service du bien public. Quand on y regarde de près, la méde- cine, par exemple, en tant que discipline, développe une quantité considérable de connaissances nouvelles sur un sujet rela- tivement simple au départ, la santé hu- maine. Par ailleurs, comme corps profes- sionnel, elle développe parallèlement à ce cumul scientifique une pratique de plus en plus réglementée par un collège qui ré- git l'exercice de la profession, tant pour répondre au degré de qualité reconnue au sein de la profession que pour protéger le public, usager de ses soins. Cette évolu- tion propre à de nombreuses professions comparables à la médecine a eu tendance à cliver, de manière franche, les zones d'expertise de chaque partie, en recon- naissant et en respectant les objectifs poursuivis par chacune. Nous avons, d'un côté, une discipline qui chemine se- lon ses propres méthodes avec un ordre de préoccupations qui est le sien et, de l'autre, un regroupement de praticiens qui s'entendent SUT un plancher commun afin de normaliser l'exercice de leur pro- fession de façon idéale. Ce développement, somme toute pas si récent, a le grand avantage de distin- guer l'acquisition d'un savoir fondamen- tal qui débouche inévitablement sur des valeurs humaines, au sens plein du terme, et l'apprentissage d'un savoir-faire qui I I I i I 46 Mwmm intenzatioizal (Paris, UNESCO), no 183 (vol. 46, no 3, 1994) O UNESCO 1994

Queues théories pour quelle pratique professionnelle?

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Page 1: Queues théories pour quelle pratique professionnelle?

Quelles théories pour quelle pratique professionnelle ? Pbilippe Dubé

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L'iviterdiscipli~zarit~ éliment essentiel de la pratique muséologique, a pu être, dans le passé, un fiein à son développement. Aujourd'hui, ckst d'elle que dkpend le développement de la profession tout entière, explique Philippe Dub6 professeur de niuséologie à I'U~iiversité Laval à Québec (Canada). Des voies nouvelles doiuent ê&e ouvertes, explique- t-il pour La mise au point desprogrdmmes de formation, et il souligne la nécessité pour la muséologie de proidre en compte avec sérieux son caractère par nature multidisciplinaire. Lhrticle de Philippe Dubé reproid le texte d'uize comwxuzicatiopi au Comité international de I'ICOMpozbr la formation du personnel (ICTOP), réuni en 1992 dans le cadre de La Coizfrencegénérale de moM.

De bien nombreux programmes de mu- séologie ont vu le jour, dans les universi- tés, au cours des dernières années, un peu partout à travers le monde. Ces pro- grammes, tous animés d'un désir de (( professionnalisation )), ont littéralement transformé un métier qui, récemment en- core, s'apprenait tout naturellement (( sur le tas D. Cette volonté très Armée de ren- forcer la qualité des services offerts dans et par les musées ne rencontre, pour ain- si dire, aucun obstacle. Les gouverne- ments appuient généralement assez bien cette prise en charge de la formation mu- séologique par les universités, et le milieu professionnel réagit d'ordinaire assez po- sitivement à l'invitation de perfectionne- ment qui lui est faite. Alors, où est le pro- blème ? A un bout de la table on vous nourrit, et de l'autre vous acceptez allé- grement la nourriture que l'on vous don- ne. Tout va donc bien, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.. .

Eh bien, non, rien ne va, voyons ! I1 y a, d'une part, une pratique professionnel- le qui cherche à tout prix à s'améliorer - souvent sans savoir ce qu'elle veut réelle- ment améliorer ; d'autre part, il y a les programmes académiques qui offrent des cursus souvent issus d'une démarche pla- tement théorique. Alors, que faire dans ce contexte pour réconcilier l'inconciliable et faire que nous ayons un enseignement théorique satisfaisant pour les besoins, tout de même spécifiques, des profes- sionnels ? Voilà relancé un vieux débat qui oppose à nouveau l'université en tant que lieu de formation de l'esprit et le monde du travail comme lieu par excel- lence des réalisations concrètes. Matière et esprit s'entrechoquent encore une fois, se disputant la part la plus noble et la meilleure de l'intelligence humaine. Pourtant, dans bien des domaines, nous avons dépassé depuis belle lurette ce faux problème en balisant les frontières de for-

mation et en délimitant la sphère de cha- cun des deux univers. Pour sa part, l'uni- versité s'est gardé prétentieusement l'uni- versel, le fondamental, la frange épisté- mologique des connaissances, l'absolu, quoi ! Les professionnels, quant à eux, se sont réservé jalousement ce qu'ils consi- dèrent comme essentiel pour se préparer comme il convient à une pratique profes- sionnelle qui doit nécessairement rencon- trer un certain nombre de normes, de cri- tères inhérents à la profession et, enfin, un niveau acceptable de service du bien public.

Quand on y regarde de près, la méde- cine, par exemple, en tant que discipline, développe une quantité considérable de connaissances nouvelles sur un sujet rela- tivement simple au départ, la santé hu- maine. Par ailleurs, comme corps profes- sionnel, elle développe parallèlement à ce cumul scientifique une pratique de plus en plus réglementée par un collège qui ré- git l'exercice de la profession, tant pour répondre au degré de qualité reconnue au sein de la profession que pour protéger le public, usager de ses soins. Cette évolu- tion propre à de nombreuses professions comparables à la médecine a eu tendance à cliver, de manière franche, les zones d'expertise de chaque partie, en recon- naissant et en respectant les objectifs poursuivis par chacune. Nous avons, d'un côté, une discipline qui chemine se- lon ses propres méthodes avec un ordre de préoccupations qui est le sien et, de l'autre, un regroupement de praticiens qui s'entendent SUT un plancher commun afin de normaliser l'exercice de leur pro- fession de façon idéale.

Ce développement, somme toute pas si récent, a le grand avantage de distin- guer l'acquisition d'un savoir fondamen- tal qui débouche inévitablement sur des valeurs humaines, au sens plein du terme, et l'apprentissage d'un savoir-faire qui

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rencontre un niveau de qualité de service faisant l'unanimité, tant du point de vue des praticiens que de celui des usagers. Fi- nalement, cette distinction très nette fait que, dans nos sociétés, nous pouvons ac- quérir un certain savoir apte à nous me- ner progressivement à l'exercice d'une profession, mais que nous reconnaissons un seul parcours de formation en deux temps : premièrement, la formation uni- versitaire assurant une base qui peut va- rier sensiblement selon les institutions d'enseignement ; deuxièmement, et conséquemment, la formation profes- sionnelle, qui, pour l'essentiel, normalise un comportement en vue de satisfaire aux critères reconnus par les praticiens et pour les praticiens.

On peut donc, dès maintenant, clore le débat et conclure en adjugeant que l'enseignement disciplinaire et théorique devrait être pris.en charge par les univer- sités, alors que la formation profession- nelle serait dorénavant assumée par des associations professionnelles telles que la nôtre, le Comité international de l'ICOM pour la formation du personnel (ICTOP). Nous nous empresserons alors d'organiser, comme toute corporation professionnelle dite (( sérieuse )), des exa- mens tout aussi sérieux afin de donner, de cette manière, le droit de pratiquer à ceux et à celles qui y réussiront. Ainsi, nous aurions, en amont, l'enseignement universitaire, qui tente d'élever un tant soit peu l'esprit de ceux et de celles qui fréquentent les programmes scolaires et, en aval, la formation pratique, qui régit, pour tout dire, une manière de faire en prenant le contrôle des entrées et des sor- ties de tous les candidats qui se présen- tent à leur porte.

Mais vous rétorquerez aussitôt que tout cela est complètement absurde et ne peut s'appliquer ànous, que nous ne pou- vons régler si facilement un tel problème

- qui semble d'ailleurs s'acharner exclu- sivement sur nous, tant il est profondé- ment lié à notre situation - sans ébran- ler les fragiles fondements de notre pro- fession. Et vous avez raison. On ne peut pas se calquer servilement sur les modèles existants des professions reconnues. Cet- te éventualité pourrait surgir un jour peut-être, mais, pour l'instant, rien de bien structuré, ni encore de très formel, ne point à l'horizon. Non, c'est plutôt le long tunnel qui nous mène pour encore quelque temps dans une noirceur que nous subissons par habitude, souvent par lassitude. Mais tout cela est désespérant, et nous ne pouvons envisager l'avenir de notre profession sous un pareil angle, sans basculer bientôt dans une dérive complè- te et gagner, tôt ou tard, les terrains vagues de l'insignifiance. Ressaisissons- nous et tentons d'offrir une meilleure perspective tout d'abord à nous-mêmes et ensuite aux autres, à ceux qui nous re- gardent encore d'un œil suspicieux.

Mille et une approches

I1 faut d'abord admettre que l'exercice de notre profession n'est pas l'aboutissement direct et unilatéral d'une démarche dictée par les règles d'une discipline strictement définie. La science juridique, pour pren- dre un autre exemple, offre un parcours relativement linéaire avec, au départ, l'ob- jectif de former des agents qui intervien- dront dans l'univers des lois. I1 y a donc des étapes à franchir, des echelons à gra- vir, des niveaux de compétence à at- teindre. On devient avocat, juriste, notai- re, conseiller juridique ou encore juge, mais toutes ces fonctions sont une va- riante d'un seul et même domaine, le droit. I1 y a donc ici un lieu, un lien de rattachement à une discipline qui assure le fondement de la profession, quelque orientation, quelque spécialité que l'on

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Philippe Dubé

choisisse. En revanche, dans notre champ d'activité professionnelle, la muséologie, tout est contraire àcette belle linéarité qui se prolonge harmonieusement dans un cheminement séquentiel de formation. Non, au sein de notre pratique, les pro- venances sont multiples et l'aboutisse- ment professionnel n'est que conjonctu- rel, puisque la formation de base acquise par la discipline à laquelle on appartient ne se transforme que pour verser dans la dimension appliquée de la science en question. Pour bien me faire comprendre, je dirais, peut-être àtort, qu'un historien de l'art reste un historien de l'art même s'il exerce dans un musée. Il fera, ni plus ni moins, de l'histoire de l'art appliquée, même s'il s'en défend. Une anthropo- logue, par exemple, qui passe dans un musée reste aussi fondamentalement une anthropologue, avec les méthodes pro- pres à cette science sociale, à cette diffé- rence près qu'elle lui imposera, au cours de la journée, une série de gestes profes- sionnels que l'on peut ranger sous le vo- cable facile d'appliqués.

Pour aller un peu plus loin dans mon raisonnement, à l'opposé du profession- nel reconnu et consacré par la tradition, nous, professionnels de musée, n'avons aucune formation commune avec la plu- part de nos collègues (le conservateur sera plutôt formé àla culture matérielle, l'édu- cateur à la pédagogie, le directeur à l'ad- ministration et ainsi de suite). Jamais, au- paravant, nos cursus ne se sont croisés. Avant d'entrer au musée, nous fréquen- tions des facultés parfois rivales ou, sou- vent, identifiées comme incompatibles et, du jour'au lendemain, nous voilà réunis, tentant de former, par la force des choses, une profession. D'un côté, un tronc com- mun qui, graduellement, irradie en un faisceau de branches dont la souche, l'ori- gine, est une. De l'autre, tout le contraire et même son envers, un amalgame de

provenances diverses sans nécessairement de cohérence, mais un point de conver- gence unique, telle une seule avenue dé- bouchant sur une place plus ou moins grande, sans aucune voie d'issue. D'un côté, il y a parcours linéaire qui devient pluriel, tant la variété des chemins est multiple ; de l'autre, il est convergent, tant les provenances, pourtant diverses, mènent au seul point focal de la configu- ration, le musée.

Un tel LZ priori peut expliquer un cer- tain nombre d'erreurs ou d'errements dans nos programmes quand nous ten- tons d'arrimer la théorie à la pratique, puisque notre profession n'est pas l'abou- tissement du cheminement d'une disci- pline unique, mais bien le résultat d'une démarche éclatée que l'on tente malhabi- lement de faire reconnaître sous le titre de muséologie. Malheureusement, il n'en est rien. Il s'agit d'un chapeau qui sied àtrop de têtes pour être porteur d'une identité professionnelle quelconque. A mon avis, la pratique muséologique (même si l'on travaille toute sa vie dans un musée) n'est que conjoncturelle pour la plupart d'en- tre nous : le botaniste exerçant au Jardin des plantes, par exemple, est d'abord et avant tout un scientifique, un naturaliste, et il le restera même s'il a une pratique professionnelle dans un musée. Et cette fonction dans un musée ne sera finale- ment que circonstancielle, puisque sa source nourricière est et restera la bota- nique, non pas la muséologie.

C'est ici que j'aimerais faire le point, non pas pour dénigrer une discipline que j'enseigne avec passion ou encore moins invalider notre quête d'identité profes- sionnelle, qui se trouve souvent à l'origi- ne de nos débats internes, mais plutôt pour mieux comprendre ce qui se passe dans nos programmes universitaires et à quels besoins nous tentons réellement de répondre. La légitimité de la muséologie

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n'est pas ici en cause, elle existe bel et bien, et son avenir peut être prometteur. I1 s'agit par ailleurs de savoir si la muséo- logie, en tant que discipline, peut offrir le support théorique adéquat que recher- chent les jeunes professionnels ou ceux que la chose intéresse, sans poursuivre obligatoirement un objectif de carrière. Comment cette recherche peut-elle donc à la fois soulever l'inter& du jeu intellec- tuel et stimuler la volonté de parfaire ses connaissances professionnelles ? I1 y a là, non pas une contradiction patente, voire gênante, il y a peut-être une nécessité d'ajustement terminologique qui permet- trait de mieux définir l'objet et le sujet de cette discussion.

En effet, qu'est-ce qui ne va pas ? Est- ce le fait qu'il y ait trop de théorie dans des cursus qui s'adressent principalement à des professionnels ou trop d'éléments pratiques qui rebuteront le néophyte en quête de plaisirs intellectuels ? Encore que, là, il y ait une question de dosage, bien entendu : la théorie doit obligatoire- ment s'équilibrer avec la dimension pra- tique, puisqu'il s'agit le plus souvent de programmes de type professionnel. A un degré moindre, s'engage-t-on dans des &tudes graduées pour avoir des notions SUT le taux idéal d'humidité relative ? Cer- tainement pas ! Mais, au juste, quand parle-t-on d'éducation et à quel moment la formation intervient-elle ? I1 y a là, comme dans toute chose, deux poids d e k mesures, non ?

Je ne voudrais pas étirer inutilement la discussion et m'engager naïvement dans les dédales d'une trop longue réflexion, et je pense qu'il serait temps de faire le point et de conclure. Cependant vous com- prendrez que la question, que les ques- tions, en fait, ne sont pas si simples et mé- ritent &&re soupesées avant que je puis- se à mon tour prendre la direction d'une quelconque sortie. Quand il s'agit de pro-

grammes universitaires de deuxième cycle qui prétendent offrir un complément de formation de type professionnel alors que les candidats, les candidates peuvent être et, de fait, sont de toutes provenances dis- ciplinaires, où se trouve précisément le dénominateur commun ? A quels acquis doit-on se référer pour enfin atteindre un niveau d'analyse et de rkflexion qui puis- se être partagé par le plus grand nombre ? Je me pose sérieusement la question, et aucune rtponse ne me vient spontané- ment à l'esprit. Je me dis que c'est à cette angoisse que nous devons faire face et tâ- cher de trouver le bon diapason pour que, malgré les origines diverses, il y ait une es- pèce de mise en commun qui ne tarde pas trop à venir.

Convergence et divergence

Au fond, ne sommes-nous pas collective- ment, sur le plan professionnel, à peu près dans la même situation que celle de tous les pays occidentaux, qui doivent à l'heure actuelle envisager avec sérénité - surtout les pays jeunes et riches - d'avoir àpartager une identité nationale avec des gens de toutes origines, qu'ils soient de l'ethnie ou issus du peuple fondateur ou bien qu'ils soient class& comme nou- veaux arrivants. Voilà un défi de t-dille, que certaines nations ont su, en bonne partie, relever malgré leur courte histoire, alors que d'autres piétinent encore en s'accrochant au modèle plus linéaire d'un seul peuple, d'une seule nation. Je ne sou- haite pas faire inopinément de la poli- tique devant une assemblée qui veut hon- nêtement réfléchir sur la muséologie, mais l'allégorie est tout de même élo- quente pour figurer les schémas de convergence et de divergence. Deux par- cours diamétralement opposés : dans un scénario, la souche est commune et l'épa- nouissement se réalise de façon irradian-

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te ; dans l'autre, les provenances sont multiples, mais la destination, elle, est commune et univoque.

Nous avons somme toute peut-être tort de nous contrarier l'esprit en nous comparant aux modèles traditionnels de la carrière professionnelle, alors que le pa- radigme dans lequel nous évoluons est beaucoup plus actuel en tant que réalité sociale vécue comme telle de par le mon- de. La muséologie, sans le savoir, est peut- être en train de tracer les voies de l'avenir en optant, du fait de sa nature profonde, pour un pluralisme qui lui semble inné, sinon obligé. Je ne voudrais pas abuser de votre attention, mais il semble qu'il y ait dans cet énonct, encore un peu brouillon, une idée intéressante. Nos pro- grammes de formation sont certes impar- faits, et il va nous falloir trouver bientôt la juste mesure entre le théorique et la pra- tique en axant notre développement sur une praxis qui reste en grande partie à dé- finir. Mais, dans ce contexte encore en friche, une vérité m'apparaît certaine : le côté (( renversé )) de notre situation pro- fessionnelle ne devrait pas nous inquiéter, car cette faiblesse apparente - notre (( contre-linéarité )) - pourrait devenir justement notre force, dans la mesure où nous ne la subirions plus, mais où, au contraire, nous en ferions notre moteur, car elle se révèle fort bien adaptée au mode de vie actuel.

Me suis-je bien fait comprendre ? Ce que je veux dire, c'est qu'il faut nous gar- der de calquer notre action sur des mo- dèles connus et surtout reconnus. I1 se pourrait que ce qui est pe rp aujourd'hui comme un défaut, une pauvreté - même de l'intérieur, tant les canons do- minants nous ont pénétris -, pourra se révéler être bientôt une qualité, une ri- chesse qui nous permettront de trouver

notre place dans la société. Dans ce (( pays renversé D, pour reprendre une expression chère à mon collègue Denys Delage, nous aurons enfin notre droit à l'existence. Fi- nis les complexes par rapport aux disci- plines dites lourdes : au-delà de notre fra- gilité, nous serons des professionnels res- pectés parce que nous nous serons abreuvés B différentes sources. Ainsi de- viendrons-nous les détenteurs d'une ca- pacité d'adaptation telle que ceux et celles formés et rompus à nos méthodes seront &entuellement appelés à jouer les plus beaux rôles sur cette scène qu'est le mon- de, notre monde. (L'exemple de M. Al- pha Konaré est assez éloquent : après avoir &té président de I'ICOM, il est de- venu en juin 1992 président du Mali.)

I1 nous faut bien entendu rester B l'in- térieur des frontières du raisonnable, mais il me semble que la muséologie atteindra de bons niveaux quand elle aura pris conscience de sa nature profondément transdisciplinaire et qu'elle pourra ajuster son tir en fonction d'une pratique qui, par essence, est plurielle. Ne cherchons pas la théorie miracle qui ferait de nous des frères et des sœurs armés du même bagage intellectuel ; c'est là une mytholo- gie surannée qui nous empêche d'avan- cer. Acceptons plutôt nos différences et efforçons-nous dès maintenant de définir le mieux possible cette pluralité, afin qu'elle profite au plus grand nombre. Ainsi pourrons-nous faire un jour de la muséologie une science qui privilégie l'approche globale, car sa pratique profes- sionnelle sera porteuse de la même ou- verture sur l'autre, sur les autres, et qu'elle proposera, de ce fait même, une manière (( renversée )) de regarder le monde. Voilà un projet qui mobilise déjà plusieurs d'entre nous et n'a de limites que celles que nous lui imposerons.

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