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Pablo Neruda L'aveu

Quinzaine littéraire 95 mai 1970

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Julien Gracq (la Presqu'île), Jacques Borel (le Retour), André Puig (L’Inachevé). Pablo Neruda, C Backès et Lévi-Strauss (la philosophie du non-savoir), François Perroux, La philosophie en URSS par François Châtelet, L’Aveu de Costa-Gavras.

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Page 1: Quinzaine littéraire 95 mai 1970

PabloNeruda

L'aveu

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J LE LIVRE Julien GracqDE LA OUINZAINE

4 ROMANS FRANÇAIS Jacques Borel

t André Puig

7 POESIE Pablo Neruda

SOMMAIRE

910 ROMANS

ETRANGERS1112

1415 HISTOIRE

LITTERAIRE·16 EXPOSITIONS1711 PHILOSOPHIE

19 HISTOIRE

20 ECONOMIEPOLITIQUE

11

11 POLITIQUE2J25 CINEMA16

THEATRE

La Quinzainehtteralre

2

Pierre OsterVictor Hatar

Norman MailerCatherine Backès

Léo SpitzerVictor Chklovski

Henri Matisse

Bernard Jeu

Fritz Fischer

J.<'rançois Perroux

François Perroux

TrotskyBernard Thomas

François Erval, Maurice Nadeau.

Conseiller: Joseph Breitbach.

Comité de rédaction:Georges Balandier, Bernard Cazes,François Châtelet,Françoise Choay,Doininique Fernandez,Marc Ferro, Gilles .Lapouge,Gilhert Walusinski.

Secrétariat de la rédaction :Anne Sarraute.

Courrier littéraire:Adelaide Blasquez.

Maquette de couverture:Jacques Daniel.

Rédaction, administration:43, rue du Temple, Paris (4e).Téléphone: 887-48-58.

Promotion-diffusionFabrication Promodüa400, rue St-Honoré - Paris (1 0

').

La Presqu'île

Le retourL'inachevé20 poèmes cramouret une chanson désespéréeRésidence sur la terreMémorialSplendeur et mort deJoaquim MurietaLes DieuxAnibel

Les Armées de la nuitLévi-Strauss ou laphilosophie du non-savoirEtudes de stvleLéon Tolstoï

Exposition au Grand-PalaisDans les e:aleriesLa philosophie S01Jiétiqueet roccidentLes buts de guerrede rAllemagne impérialeIndépendance deréconomie nationaleet interdépendances desnationsAliénation et sociétéindustrielleNos tâches politiquesJacobL'aveuTristanaChéreau au Piccolo

Publicité littéraire:22, rue de Grenelle, Paris (7e).Téléphone : 222-94-03.

Publicité générale : au journal.

Prix du nO au Canada: 75 cents.Abonnements :Un an : 58 F, vingt-trois numéros.Six mois: 34 F, douze numéros.Etudiants : réduction de 20 %.Etranger: Un an: 70 F.Six mois :" 40 F.Pout tout changement cradresse :envoyer 3 timbres à 0,30 F.Règlement par mandat, chèquebancaire, chèque postal :C.C.P. Paris 15551-53.

Directeur de la publication :François Emanuel.

Imprimerie: AbexpressImpression S.I.s.S.·Printedin France

par André Dalmas

par Anne Fabre-Lucepar Bernard Pingaudpar Jean W,gner

par Simone Benmussa

par Jean Vagnepar G.-E. Clancier

par Jean Wagner

par Jean Roudautpar Yolande Caron

par Marcel Billotpar Nicolas Bischowerpar François Châtelet

par Marc Ferro

par Philippe J. Bernard

par Jean Duvignaud

par Annie Kriegelpar Alain Clervalpar Roger Dadounpar Jacques-Pierre Amettepar Gilles Sandier

Crédits photographiques

p. 3 Vascop. 5 Gallimard éd.p. 7 Gammap. 10 Denoël éd.p. Il David Lévine

© Opéra Mundip. 13 David Lévine

© Opéra Mundip. 15 Roger VioUetp.16 D.R.p. 17 D.R.p. 18 Augustin Dumagep. 21 Gallimardp.23 D.R.p.25 D.R.p.26 D.R.p.27 D.R.

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LB LIVRB DB

L'attenteLA QUINZAINE

La Quinzaine littéraire, du 16 au 31 mai 1970

A vouloir à tout prix éclair-cir le secret de la créationlittéraire, on le rend, disaitJean Paulhan, plus obscur etplus sombre, dans le meilleurdes cas. Sitôt entrevu, le se-cret retourne aux profondeursqui le dissimulaient et l'on ris-que alors de se perdre sansespoir dans le courant deseaux intérieures où se nourritla sensibilité de l'écrivain.

1Julien GracqLa Presqu'îleJosé Corti, éd., 256 p.

Le secret, notait encore JeanPaulhan, ce n'est peut-être quel'évidence - cette évidence qui sedérobe au regard tant elle estaveuglante, au sens propre. En cequi concerne Julien Gracq, rienne semble en effet plus trompeurque de vouloir absolument attri-buer un dessin précis au chemine-ment de cette turbulence interneque révèle' au moins attentif deslecteurs la rigueur de ses textes.Mais quelle évidence?L'avis au lecteur qui, il y a

plus de trente ans, introduisaitAu Château irArgol, premier li-vre de l'auteur, soulignait l'im-portance qu'avait conservé à sesyeux l'expérience surréaliste, seu-le capable, disait-il, d'apporter«autre chose que fespoir irunrenouvellement », en ravivant « lesdélices épuisés du paradis toujoursenfantin des explorateurs ». Onse méprendrait en soutenant que,par ces mots, Julien Gracq reven-diquait l'usufruit d'un quelcon-que héritage du surréalisme. Etsi, plus tard, il écrivit sur AndréBreton un essai que tout le monde,ou presque, a dû lire, le surréa-lisme a eu surtout pour lui lavaleur exemplaire de l'exerciced'une liberté illimitée.Liberté de choisir ou de ne

pas choisir ses compagnons (queceux-là se nomment André Bre-ton, Chateaubriand, Holderlin,Lautréamont, Kleist ou Jünger),liberté de parler (la Littérature àr estomac), liberté d'être seul, li-berté enfin de suivre, dans lacréation, un itinéraire «romanes-que:. constamment jalonné d'im-passes inattendues, de détours auxrésonances à lui seul perceptibles.Rien n'est plus éloigné des préoc-cupations de Julien Gracq que lacomposition et la technique d'unlivre. Et l'on se trompera le moins

en disant que chacun de ses ou-vrages est ainsi fait, en dehors desapparences, d'une suite de pro-jets, modifiés ou gauchis par ladécouverte, chemin faisant, deperspectives nouvelles.Plus sûrement pour lui que pour

tout autre, dans la littérature con-temporaine, le travail d'écrire ou-vre à tout instant, devant l'écri-vain, un champ d'incertitude oùpeuvent se développer et s'épa-nouir les germes nouveaux de lasensibilité. C'est cette liberté queJulien Gracq s'accorde, qui, tou-tes proportions gardées, le rappro-che et l'éloigne à la fois d'AndréBreton. On se souvient (mais ilest toujours temps d'en relire letexte) de la façon subtile et sa-vante dont il a parlé de la phra-se d'André Breton: «Jusqu'audernier moment sinueuse, en éveil,toute en courbes qui sont autantiramorces tendues à f arabesquequi voudrait s'y greffer, oscillantcomme r aiguille de la boussole,et attirant à elle comme un ai-mant tout ce qui flotte aux alen,..tours de plus subtilement magné-tisé, la phrase irAndré Bretonprolonge son appel indéfini à lachance et à la rencontre, resteouverte, disponible, prête à bat-tre tous les buissons et à déserterles sentiers de récole.:.La phrase de Julien Gracq n'a

pas cette apparence, ce mouve-ment de vague déferlante, tentantde capter au passage, non seule-ment l'imprévu mais aussi l'irra-tionnel, ou le simple inconscient.Chez lui, la syntaxe reprend sonordre traditionnel. Dans tous lescas, cependant, la phrase laissesa chance au mot. Cette prose estcelle d'un guetteur attentif à sai-sir l'image favorable, qui va lemettre en résonance avec le mon-de qui l'entoure. Chaque phrasesemble avoir la faculté de déchar-ger toute son énergie dans l'ins-tantané, préservant ainsi l'avemr.Chacun des trois récits qui com-

posent le présent livre présentece caractère singulier de vagabon-dage, inédit dans son développe-ment futur. Remarquablement dé-crite dans la forme qui la sou-tient, l'attention du lecteur estsans cesse attirée du côté du spec-tacle qui possède la plus grandecharge affective. L'environnement,le paysage, la rumeur qui accom-pagne le voyageur dans sa dé-couverte, prennent l'allure durêve éveiIJé. Les couleuTll chan-

Julien Gracq, par Vasco

geantes du ciel, l'ombre que portele soleil à son déclin, l'odeur del'humus, la masse devenue sombred'un village à la nuit, la profon-deur d'une pièce obs,cure ouvertesur la forêt, sont moins des mi-roirs que les révélateurs de pré-sences insoupçonnées que le rêverend à la réalité. Mais le projetinitial frappe toujours, heureuse-ment pourrait-on dire, par sa fra-gilité.Le prétexte du récit central,

la Presqu'île, qui donne son titreà l'ouvrage, est le plus simple etle moins inattendu: l'attented'uxie femme à laquelle le narra-teur a donné rendez-vous dans unepetite gare de Bretagne. Tout va

se passer de midi au crépuscule,à travers la presqu'île que l'hom-me entreprend de parcourir, del'intérieur jusqu'à la mer. Rienn'est à l'avance déterminé, ni l'an-goisse ou l'impatience de l'attente,ni la survivance des fantômes del'enfance. Le voyage semble avoirla durée de toute une existence,de l'enthousiasme d'une libertéretrouvée au silence glacé quil'achève. Pourtant le monde s'estentre-temps entrouvert, donnantau narrateur le plaisir d'épuiser,en quelques heures, toute l'inquié-tude qu'un homme peut ressen-tir au sein des forces naturellesqui l'entourent et l'assaillent.Le roi Copehuta débute aussi

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Julien Gracq

ROMANS

FRANÇAIS

Nostalgiedu temps perdu

,par le souci d'une attente. Ici lenarrateur se rend à l'invitationde l'un de ses amis, dans la pro-priété de celui-ci, au nord deParis, tandis que, au-delà de laforêt, se fait entendre le roule-ment du canon durant la premièreguerre mondiale. Mais personnene vient sans qu'on sache si cetami est simplement absent, oudisparu à jamais. Le narrateurreste seul dans la maison obscure,en compagnie d'une servante dontles apparitions marquent, seules,l'écoulement du temps. Un ta-bleau entrevu dans l'ombre, ce-1ui du roi Copehuta et de sa ser-vante-maîtresse fait naitre chezle visiteur le sentiment que quel-

,_ qu'un dans ,cette retraite,absolument: la servante ou lemaitre, l'un et l'autre préfigurants

_ une inéluctable disparition.Dans son existence s'ouvre' alorsun intervalle clandestin qui n'est

--sans doute que l'ébauche d'uneaventure brusquement resurgie del'inconscient;---par l'attrait mêmede ce lieu désert et abandonné.Autre étrange récit que celui de

la Route (1), premières pagesd'un roman resté inachevé. Un,voyageur circule à cheval à tra-vers une province' apparemmentdéserte qui parait, dans son dé-sordre exubérant, où la nature arepris le dessus, être sortie intac-te de la nuit des temps. Uneroute, dont le vestige est commeune cicatrice tracée à la surfacede la terre, est l'unique témoi-gn nu passage des anciens en-vahisseurs. Le long de ce paysageénigmatique, le voyageur se sentsuivi comme observé entre deuxlignes de guet. Au-dessus des ar-bres, des fumées révèlent la per-manence d'une occupation. Destroupeaux de femmes, faroucheset pitoyables, se hasardent quel-quefois jusqu'aux abords de laroute pour s'abreuver à une sourcede vie. Dans chacun de ces troisrécits, le lecteur est constammentsaisi entre deux présences, celledu narrateur qui s'épuise à dé-couvrir, renaissant à chaque dé-couverte par la vertu admirabledu verbe, et celle d'un monde in-visible, auquel est ainsi renduson enchantement naturel, remisfamilièrement à porté de la main.

André Dalmas

(1) La Route a été publiée pouJ lapremière fois dans Commerce, à "au-tomne 1963.

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Autant et plus encore quedans l'Adoration (Prix Gon-court 1965), Jacques Borelconfirme avec le Retour quel'écriture est faite cc du mêmemol toujours aux prises avecla même aventure ». Cetteaventure est celle d'un chas-seur d'images qui, par plon-gées successives, tente d'enfinir avec« la prolifération in-finie» des souvenirs qui lehantent.

1Jacques BorelLe RetourGallimard, éd., 552 p.

Tel l'itinéraire proustien, qu'ilévoque à plus d'un titre, ce «re-tour» n'est autre que la recher-che passionnée d'un sens profondde l'être qui se dérobe sans cesseà l'investigation dont il est l'ob-jet. Se libérer des images parl'écriture des images elles-mêmes,voilà le but d'une quête à la foistriomphante et torturée qui sepoursuit pendant plus de cinqcents pages. ,Contrairement à (Adoration où

les lieux paraissaient surgir à par-tir des êtres aimés (la grand-mè-re, la mère du narrateur et plustard, les femmes), l'auteur a choi-si dans le Retour la méthode in-verse qui consiste à visiter, piècepar pièce; la maison de son en-fance. C'est il partir- des lieux quechaque être devient alors commeun paysage au cours de la visitede la maison de Mazerme. Onpeut alors se demander ce quiest le plus important: si ce sontles êtres aimés et perdus ou bienles lieux eux-mêmes qui leur ontsurvécu dans la réalité et surtoutdans la mémoire du narrateur.D'ailleurs, sous le couvert desdiverses pièces de la maison, trans-figurées' par le temps en paysa-ges intérieurs, on sent bien quec'est l'écrivain lui-même qui ten-te de déjouer les dontil se sent la proie. ,La vraie question, et qui de-

meurera sans ,réponse, c'est:«Comment suis-je devenu ce queje suis? et pourquoi ne puis-jepas être un ?» La recher-che de «cet univers sans faille,où tout étqit plein, ordonné, si-gnifiant » est la seule illusion quele narrateur puisse opposer aumonde adulte qu'il vit dans l'an-

goisse et la déchirure incessantes.C'est donc «pour s'arracher à unprésent miné, irrespirable, oùfamour n'est plus possible qu'ilne peut pas ne pas refaire cechemin », accomplir 'le pèlerina-ge aux sources, contenlpler unefois encore les femmes qu'il a ai-mées, remonter leur cours sinueuxcomme celui des rivières de l'en-fance. Il sait à quel point ce li-vre est «un salut par la fuite»réalisé sur le monde du désir quifait revivre les images. Pour lenarrateur, comme pour le Marcelde Proust, les essences se situentau-delà de la vision métaphoriquedes éléments du passé. Pour lui,le petit heurtoir de bronze surla porte de la maison de Ma-zerme, la lampe pigeon posée surle coin de la cheminée, l'assiettequi se métamorphose en paysage,les rites immuables de la vie fa-miliale doivent recéler de ma-mere indéfinissable et obscurel'être de celui qui, enfant, lesregardait. Les décrire, c'est leurarracher cette essence intime dontla quête ne cesse de s'imposer àla conscience de celui pour quiils existent encore.Au désir passionné de cette

identification par le corps et ,parl'âme avec les imagcs de l'en-fance, s'associe l'angoisse étrangede ce qu'elles peuvent révéler etdétruire. Le présent, chancelant,il est vrai, mais réel, le temps« d'après le livre» surgit tout àcoup. Il fait du narrateur un fos-soyeur d'ombres, qui décrit ununivers perdu, un tricheur quichoisit une manière de mourir aumonde en se laissant bâillonner,juguler par des fantasmes inuti-les.La patiente et minutieuse re-

cherche des images, n'est plusalors qu'un jeu que le narrateurjoue avec lui-même et aussi contrelui.même, puisqu'en définitive, ilse retrouve dépossédé de touteforme de réalité, qu'elle soit pas-sée, présente, ou à venir.On peut aussi discerner dans

ce livre, comme dans (Adoratio'n,une image absente qui s'inscritobstinément tout au long- dutexte: c'est ,celle _du père dispa-ru peu après-la naissance de Pier-re Deligne.C'est ici que, au delà de la quê-

te de soi, et débordant de loinfrontières avouées, se substi·

tue la recherche d'une paternitépour le monde révolu dans le-

quel on a connu le bonheur. Ccà quoi le narrateur nc peut serésoudre, c'est à l'absence de Loi,de puissance ordonnatrice qui au·raient dû exister à Mazerme. Etce qu'il cherche dans Mazermec'est la raison de ce scandale d'uneabsence jamais, comblée, le sensde cet univers parfait qui a pufonctionner si longtemps sansjustification énonçable. C'est àpartir de cette faill(' fondamen-tale que l'entreprise de J'écrivainpeut soudain t'hanger de signe:L'œuvre elle-même devient fanto-matique, tout comme celui dontelle traque -la présence; elle res-suscite certes des images grati-fiantes; sécurisantes, mais ellelaisse surgir d'autres fantômes;elle fail du présent, du passé etde l'avenir des temps morts, elleconsomme l'échec de la vie adul-te par les effets d'une douloureu-se et négative maïeutique.La recherche «des verts para-

dis» aboutit à la négation du réel,à sa désintégration irréversible.Elle restitue «le faux endroit»du passé et ne donne du présentqu'un envers.Déchiré entre le désir d'écrire

pour capter «le rien de la textu·re des jours », c'est-à-dire ce quiest essentiellement non-restituable,le narrateur s'aperçoit qu'il n'apas su vivre: « Vivre, c'était pourmoi une difficulté surhumaine...A vare, inquiet, divisé, ni de lavie ni de l'écriture, en somme, jene voulais rien abandonner, trem-blant toujours de laisser perdrequelque chose de l'une QU de(autre. » (209).D'ailleurs, l'écriture «est un

lâche sucèédané de la mort »,c'est une conduite de fuite, unemanière de vivre par procurationdans un temps qui n'est plus etqui lui fait mimer le retranche-ment du monde de sa mère in-ternée.Le drame du «pèlerinage aux

sources» est aussi qu'il s'accom-plit dans la solitude; il faut fairele vide autour de soi et devantsoi pour s'y livl'er. Et quand leli,vre est fini, «l'ombromane» seretrouve seul, déçu par les my-thes dont il attendait de percerle mystère.La fuite dans le passé se heurte

au présent qui «s'obstine à écor-cher de grandes balafres à vif

tendres souvenirs deLe ne peut se «ter-rer» 80US la chape d'un passé

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L'indisable

La Quinzaine littéraire, dli 16 au JI mai 1970

secourable et rédempteur. «Res-suciter le passé, écrit-il, c'est cons-tater sa mort ».Pourquoi, alors, ne pas renon-

cer à ce monde exsangue qui nepeut faire de lui qu'un survivantacharné à sa propre perte, « bâil-lonné et mutilé dans son être ? »Parce que pas plus qu'aux om-bres qui le hantent, le narrateurne peut résister à l'écriture, audésir profond qu'il a de se li-vrer à ses «méditations pani-ques », même si elles font chavirerson monde quotidien. « Rongé parson enfance », il ne peut s'em-pêcher de créer des mythes etde les regarder agoniser sous sesyeux.Ce livre, qui se voulait une sé-

rie de ponts lancés inlassable-ment entre le présent et le pas-sé est bien plus qu'un récit desouvenirs. Les images «embau-mées, couchées vives dans le noirsarcophage de récriture », alimen-tent «les orgies soliwires et in--. consolées de la mémoire ». Lesreflets qui s'ébauchent dans cevivier narcissique ne peuvent ja-mais parvenir à une totalisation,à un accomplissement définitif.Jamais ne surgit la «vision cré-pusculaire» dont rêve le chas-seur fasciné. Bien au contraire,par leur «afflux limoneux », lesimages soulignent la contradictionpermanente qui fait du narrateurun être de distance doublé d'unêtre de panique. '"Jacques Borel nous présente ici

une saisissante autobiographie deses propres mythes. La richessedu texte tient non seulement à laprofusion de la matière mais sur-·tout à l'amhiguïté constante quele narrateur entretient quant àl!es propres fins.Aja fois possesseur unique d'un

univers d'images figées qu'il luiappartient de faire revivre etd'exorciser par l'écriture, l'auteurest aussi la victime lucide de sonpropre théâtre. C'est en proie auxomhres qui l'assaillent sans répitqu'il nous livre et qu'il livre· celong combat intérieur à l'issue du-quel seul le livre fait figure de

On peut dire que ce récit à« l'imparfait », entrecoupé de dia-logues avec lui-même, exprimeavec une authenticité parfoispresque insoutenable la déchiru-re que la nostalgie du temps perduinllige aux êtres.

Anne Fabre-Luce

Préfacé par Sartre, VOICIun livre qui nous ramène ving-cinq ans en arrière, à la belleépoque de l'existentialisme etdu café de Flore. A ceci prèsque les personnages, en quit-tant Saint-Germain-des-Préspour Montparnasse, ont lais-sé derrière eux quelques il-lusions: dans L'inachevé, leroman existentialiste fait sonautocritique.

1André PuigL'inachevépreface de Jean-Paul SartreGallimard, éd., 296 p.

La scène se passe au Gymnase,un dimanche matin. Georgesprend son petit déjeuner. Il adevant lui une chemise en car-ton «couleur violette un peu fa-née» qui contient tout ce qu'ila écrit depuis quatre ans: unenouvelle de quarante pages, dontle héros s'appelle Marcel (et quenous avons pu lire au débùt duroman), des notes, des fragmentsde dialogues se rapportant à deuxautres récits envisagéR: l'histoi-re de Robert et celle de Lucien.Naturellement, Marcel, Robert,Lucien ne sont que avatarsde Georges. Méditant sur l'incon-sistance de sa vie - laquelle serésume, pour l'heure, dans uneliaison usée, mais difficile à rom-pre, avec une jeune femme ma-riée, Annette - Georges méditeaussi, rêve plutôt sur une œuvrefuture. Achèvera-t-il les deux his-toires commencées? Développe-ra-t-il celle de Marcel? Essaiera-t-il de les mettre toutes les troisbout à bout et d'écrire le romanexhaustif qui lui permettrait dese connaître enfin, de tout savoirsur lui-même ?Les diverses hypothèses sont

essayées à tour de rôle. Elles seheurtent à deux difficultés. Lapremière est clairement expri-mée: c'est que chacune des in-carnations de Georges forme unpersonnage· autonome. qui a sonhumeur, son style propres. Im-possible de passer sans artifice deMarcel à Robert, de Robert àLucien. Quoiqu'ils représententtous trois Georges et que leursbiographies tendent à se rejoin-dre (les mêmes souvenirs, les mê·meR impressions pourraient être

André Puig

utilisées dans les trois histoires),il y a entre eux une différencefoncière qui les isole: le propredu . « personnage» est d'être unetotalité close. La seconde difficul-té n'est pas dite, ou plutôt ellen'est dite que négativement, encreux, par cette hétérogénéité mê-me: c'est que Georges, lui, n'estpas, ne sera jamais une totalité.Georges - on peut le supposer- a lu Sartre. Il connaît donc« l'inadéquation de l'homme à lui-même », il sait qu'une personneest «une totalité qui sans cessese détotalise », et ne peut doncque se manquer à l'instant mêmeoù elle croit se saisir.Pour nous rendre sensibles à

ce manque, Puig use d'un pro-cédé original, qui consiste à tu-toyer son héros. Quoiqu'il l!oitau centre du roman, Georges nepossède pas la belle autonomiede Marcel, de Robert, ou de Lu·cien, ces êtres clos dont on parleen disant «il ». Georges est un« tu », une seconde personne. Se-conde personne de qui? Commedans la Modification, où Butoremployait le «vous », ce «tu»doit renvoyer à un «je» caché.Mais l'effet de distance n'est pasle même. Le locuteur invisible,ici, ne représente pas une cons-cience anonyme, quelque chosecomme un juge d'instruction at-tentif à fixer les faits et gestesde son client. C'est au contrairequelqu'un de très proche, de sin·gulier, un complice qui ne se

distingue qu'à peine de son in-terlocuteur. Apparemment, Geor-ges se parle à lui-même, et l'onpeut voir dans sOn tutoiementl'effort perpétuellement déjoué dela conscience pour exprimer sapropre coïncidence avec soi. Ecartinfime, et pourtant décisif, qui,en détruisant l'illusoire plénitudede la première personne, marquedu même coup sa origi-nelle, son incapacité à se rejoin-dre. Mais en dernière instance -comme le montre Sartre au termed'une analyse serrée - le «je»caché de L'inachevé, c'e1<t l'au-teur lui-même, Puig dénonçantpar le truchement de cette inter-pellation l'illusion réaliste naïvedans laquelle s'enferme son hé-

et qui lui fait croire qu'enmettant de l'ordre dans sa proprehistoire, en unifiant ses diversesfigures, en coulant dans un tempsunique ce qui fut vécu simulta-nément à des rythmes différents,il pourrait, à la manière des per-sonnages du roman traditionnel,«se produire comme un toutachevé dans un livre qui, du mê-me coup, serait lui-même une to-talité parfaite, toute ronde, clo-se, et se suffirait. » Le «tU» per-met un «renversement coperni-cien» de la perspective romanes-que: l'image (la fiction) ne sertplus, comme autrefois, à «viserla réalité»; maintenant, «c'estla réalité qui. se dévoile indirec-tement en dénonçant l'image dansson irréalité ». •5

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André Puig

Comprenons que le «tu », dansla mesure où il disqualifie l'en-treprise imaginaire de Georges- et Georges lui-même commepersonnage compromis dans sapropre aventure - nous renvoie àune réalité absente, à une pré-sence invisible, celle quila dénonciation, «Puig en per-sonne ». Ainsi, ce que Georgesmanque, Puig le réussit: «surf échec de la technique réaliste,il instaure, sans nous en prévenir,une nouvelle technique romanes-que fondée sur f apprésentationdirecte du Tout. »

Le piège fonctionne

Pour ceux qui seraient tentés decroire que Sartre a trouvé dansL'inachevé un simple prétexte àrenouer avec une réflexion long-temps interrompue sur la techni-que romanesque, disons tout desuite que l'œuvre n'est pas indi-gne de la préface et qu'effecti-vement, le piège monté par Puigfonctionne à merveille: si déri-soire que soit l'intrigue, si falotle personnage, .si éculé le thèmedu roman dans le roman, l'iuté-rêt se soutient de bout en bout.Le séduit par le livre etconvaincu par la préface, seraitprêt à jeter par-dessus bord vingtannées de «nouveau roman» etde littérature expérimentale et àsaluer l'avènement du «romancritique» si, dans ce subtil jeu deglaces, il n'avait pas l'impressionde retrouver l'image brouilléed'une théorie fort ancienne, qu'ilfaudrait peut-être nommer, jus-tement, fidéologie du miroir.Peut-on dire qu'en dénonçant

l'imposture d'un roman qui tendà totaliser l'existence et manquesa «pluridimensionnalité », l'œu-vre critique nous libère de l'illu-sion réaliste? Je crois plutôtqu'elle nous y enferme. Car l'ob-jectif reste le même: il s'agittoujours d'exprimer, de traduirequelque chose qui est déjà là, -même si être déjà là, dans cettenouvelle perspective, consiste pa-radoxalement à ne pas être là.Aussi bien la réussite de Puigtient-elle, pour une grande part,à l'adresse avec laquelle il maniel'outil réaliste. Comme le souli-.gne Sartre, Puig «sait convoquerles objets, parler d'une tasse,d'une vitre, d'un ciel ». Et sansdoute «des procédés savants et

invisibles» donnent-ils aux choses« une sorte d'apesanteur» qui les«vide de leur être ». Mais cetteapesanteur est encore à sa ma-nière une pesanteur, une présen-ce; l'image brouillée reste uneimage. Voyez, par exemple, avecquelle «réalité» existe la jeunefille inconnue du café: anti·per.sonnage, puisque Georges ne sau-ra rien d'elle, puisqu'elle n'appar-tient pas à son histoire, mais per-sonnage quand même, symbole dece réalisme négatif qui soutienttout le roman.n y a d'ailleurs une équivoque

dans la notion d'« indisable » quirevient à plusieurs reprises dansla préface et que Sartre emprun-te à Flaubert. L'indisable est-ilune signification plus difficile àsaisir que les autres, celles aux·quelles s'arrêtait le roman réa-liste? Est-il l'ensemble des si·gnifications que le récit chercheà totaliser? Ou n'est-il pas plutôtce qui rend possible la diction,l'œuvre elle-même imprimant unsens global à toutes les significa-tions qu'eUe rassemble, réalisantà son niveau (au niveau de l'écri-ture qui n'a plus rien à voir aveccelui de l'existence) l'impossiblevérité du vécu ?

Le roman-sujet

Pour qualifier cette totalité( Puig en personne») que le ro-man désigne négativement, Sartrea une curieuse fornlule : c'est, dit·il, le «roman-sujet, une activitéqui invente sa passivité et, dumême coup, se coule en elle pourla maintenir en vie ». Mais l'œu-vre peut-elle être un sujet? N'ya-t·il pas contradiction entre lesdeux termes? n me semble quePuig va plus loin, voit plus justelorsque, tout à la fin du livre,il écrit: «Ce qui est le véritablefond de cette histoire... c'est lesilence.» Silence non pas de laconscience échouant à se saisir,mais de l'œuvre qui ne parlequ'en apparence, qui croit que,parce qu'elle utilise les mots dulangage quotidien, elles est faitecomme lui pour dire quelque cho-se. Si la multiplication des mi·roirs ne nous fait pas sortir del'illusion, c'est que l'illusion estdans le miroir même.Autrement dit, le roman, en

un sens, ne peut pas échapper auréalisme. Cette· hypothèque pèse

sur lui depuis l'origine, depuisl'époque où pour se justifier dusoupçon de frivolité, il a dû seprésenter comme un moyen deconnaissance, - et non pas seu-lement depuis le XIX' siècle. L'his-toire du roman n'est rien d'autreque la succession de ses effortspour «apprésenter» une réalitéqui toujours se dérobe, pour sub·stituer à des miroirs trop gros-siers des miroirs plus fins, plussélectifs.

Le mirage d'une forme

Mais, en un autre sens, le ro·man n'a jamais cessé de dénon-cer, par sa réalité même l'illu-sion qui l'anime. Tous les grandsromans sont des romans critiquesqui, sous couleur de raconter unehistoire, de faire vivre des person-nages, d'interpréter des situations,glissent sous nos yeux le miragetangible d'une forme. n faudraitdonc renverser la perspective etse demander si le désir de tota-lisation ne trouvent pas leur ori·gine dans le discours narratif,dans cette histoire de nous·mê·mes que nous passons notre vie ànous raconter à nous-mêmes.«Pour que l'événement le plusbanal devienne une aventure, ilfaut et il suffit qu'on se metteà le raconter », notait déjà Ro·quentin dans la Nausée.Toute œuvre romanesque for-

me bloc : on ne peut y soustraireou y changer un mot, la prolon.ger ou la dévier de son cours.C'est ce qui fait d'elle un leurre.Nous croyons y trouver l'expres-sion de notre unité, alors qu'ellen'en manifeste que le désir. Nouscroyons, en nous racontant, dé-couvrir ce quelqu'un que noussommes déjà. Mais ce quelqu'unn'existe que dans l'œuvre, il enest le produit et non pas la sour-ce. Et ceci parce que le propred'un discours littéraire - c'est-à·dire d'un discours fixé une foispour toutes - est de trouver saréférence, ses règles d'organisa-tion en lui.même, et non pas dansl'expérience réelle ou imaginairesur laquelle il s'appuie. A traverstous les détours qu'on voudra, lesujet qui écrit ne se saisira ja-mais dans le roman: il ne sai.sira que le roman qui, par défi-nition, l'exclut.

Bernard Pingaud

LES REVUES

CRITIQUE(N" 275)L'Amérique (par Roger Kempf), Mi-

chel Deguy (par Daniel Wilhem), uneréflexion sur l'art (par J.-C. Lebensz-tejn) , Kostas Alexos (Par Gilles De-leuze) et surtout une très belle étudesur Jean Vauthier (par Jean-Noël Vuar-net), tel est le sommaire du numérod'avril de Critique.

LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE(N" 208)Jean Giono ouvre le sommaire de

ce numéro d'avril. Il est suivi parGuillevic, Philippe Jaccottet, José Ca-banis et Marcel Arland. Les chroni-ques sont consacrées à Raymond Que-neau, Samuel Beckett et au peintreSzenes.

LES TEMPS MODERNES(N° 285)La revue de Jean-Paul Sartre devient,

de numéro en numéro, de plus en plusitalienne. Dans cette livraison, c'esttout un ensemble d'études consacréesà la situation des techniciens et em-ployés, qui, toutes, proviennent de re"vues italiennes. L'université est le su-jet du second ensemble: André Gortzdéclare sans ambage: • Détruire l'uni-versité. et Jean-François Lyotard faitle point de la situation à Nanterre.

EUROPE(N"' 492-493)Picasso est le thème de ce numéro

spécial qui a réuni de nombreux col-laborateurs notamment Rafael Alberti,Vercors, Raymond Jean, Jacques Ma-daule, Jean-Noël Vuarnet, Marie·LouiseCoudert, etc. Ce qui rend cependantcette revue précieuse, c'est l'illustra-tion: presque à chaque page, un des:sin de Picasso fait parfois oublier letexte ...

SIECLE A MAINS(N° 12)Une revue trimestrielle imprimée en

français à Londres dont le sommaireest dominé par un très beau texted'Edmond Jabès où l'on peut lire:• Je n'ai de regard que pour ce queje ne vois pas et qui va bientôt, jele sais, m'éblouir. La route s'étendentre ses deux commencements. Lesoleil brûle dans la nuit au lieu debattre, ou bat peut-être en brûlant,bat sûrement. La mort est complice dela création. La mort est le lieu ab-sent où se tient, pour son accomplis-sement, le livre.. D'autre part, ausommaire, des textes de Louis Zukov-sky, de John Ashberry et de Anne-Marie Albiach.

J.W.

Page 7: Quinzaine littéraire 95 mai 1970

PO&SII:

Neruda

La Quinzaine littéraire, du 16 au 31 mai 1970

Dans un récent ouvragesur J. L. Borges, M. R. Mone-gal soulignait que tous lesjeunes poètes d'Amérique la-tine nourrissaient devant Pa-blo Neruda un solide com-plexe d'infériorité. Comme sisa grande ombre envahissanttout, il n'était plus possiblede créer hors des cheminsqu'il a tracés.

Pablo Neruda20 Poèmes d'amour etune chanson désespéréeTrad. de l'espagnol parAndré Bonhomme etJean MarcenacEditeurs Français Réunis.105 p.

1Résidence sur la terreTrad. de l'espagnolpar Guy SuarèsGallimard éd. 228 p.

1Mémorial de Nle NoireTrad. de l'espagnolpar Claude CouffonGallimard éd. 341 p.

1Splendeur et mortde Joaquin MurietaTrad. de l'espagnolpar Guy SuarèsGallimard éd. 86 p.

En ce qui nous concerne, l'am-vre de Neruda nous semblaitl'une des plus tra-duites. Depuis T:Espagne aucœur que préfaçait Aragon en1938, nous avions pu lire les troistomes épais du Chant général,Tout rAmour, la C e n t a i n ed'amour, trois poèmes traduitspar Guy-Levis Mano, plus uneprécieuse monographie de JeanMarcenac dans la collection « Poè-tes d'aujourd'hui ». Nous avionsl'image d'un poète, politique.ment très engagé, chez qui lemeilleur côtoyait le pire, parfoisau milieu du même _vers, etpour qui tout était prétexte àpoésie.Avec la parution simultanée

de trois recueils et d'une piècede théâtre, cette image un peusimpliste se modifie quelque peu.Il s'agit d'une œuvre immensepar la quantité (aujourd'hui en·core, la majeure partie est iné·dite en français), multiple par

les thèmes : le lecteur a l'impres-sion de s'enfoncer dans une forêttouffue où lianes, branches,feuilles, buissons s'enchevêtrentpour créer une fresque flam-boyante, pleine de cris et de ten-dresse, essentiellement baroquecomme ces films récents (ceux deGlauber Rocha par exemple) quinous viennent d'Amérique duSud.C'est pourquoi il serait trop

simple de, ne privilégier - com·me on l'a souvent fait en France- que l'aspect engagé et direc-tement politique de son œuvre.Ce thème n'apparaît qu'asseztard, en 1936 exactement: Ne·ruda était consul en Espagne lors-que éclata le coup d'Etat fran-quiste. L'Espagne était un paysqu'il aimait, à qui il avait consa-cré quelques textes où l'on cher-cherait en vain toute- allusion po-litique. Cet événement fut unchoc qui devait transformer toutesa vie. En tête de l'un de sesplus beaux poèmes: «Les fu-reurs et les il écrira enmars 1939: «J'ai écrit ce poèmeen 1934. Que de choses sont sur·venues depuis lors! L'Espagneoù je rai écrit est un amas deruines. Ay !Si seulement avecune goutte de poésie ou d'amournous pouvions apaiser la hainedu monde, mais cela, la lutte etle cœur résolu le peuvent seule·ment. Le monde a changé et mapoésie -a changé. Une goutte desang tombée sur ces lignes de-meurera vivante en elles, indélé-bile comme T:amour. Neruda,dans le «Mémorial de l'Ile Noi-re» qui date de 1961, reconnaîtque «c'est peut·être alors qu'il achangé» :

Je regagnai ma patrie avecd'autres yeux

que la guerre plaçasous les miens.D'autres yeux brûlésdans la fournaise,éclabousséspar mes larmes et le sang desautres,

et je me mets à regarder et àvoir plus en bas,

plus {lvant dans le fondincléme.nt des associations. LaVérité

lui restait collée" à son ciel au-paravant

.levint pareille à une étoile,puis se fit cloche,j'entendis qu'elle m'al'l'elait

Pablo Neruda â Grenwich Village

et qu'à son appel d'autreshommes

se rassemblaient.

Pendant cette guerre d'Espa-gne, il écrit le recueil rEspagneau Cœur, recueil qui le fait con-naître en France et que nous re-trouvons dans une autJ;.e traduc-tion au sein de Résidence sur laterre. C'est un cri du cœur, unchant d'amour et de colère où,dans l'invective, il trouve des ac·cents rageurs qui, parfois, fontpenser à Goya. Mais c'est aussi unchant de douleur où cet hommequi, jusque.là, avait connu unevie facile et agréable, prenaitconscience du malheur du mon-de:

C'était le temps angolSseoù les femmes

portaient une absencecomme un charbon terrible,

et la mort espagnole,plus acide et aiguëque d'autres morts

emplissait les champs jusque-làmagnifiés l'ar le blé.

La guerre d'Espagne fut doncune sorte de catalyseur pour lepoète. Elle devait le conduire auParti Communiste chilien en1945 (en 1969, il fut candidat dece parti à la présidence de laRépublique), à s'engager dansune activité directement politique(notamment sous la dictature deGonzales en 1948 où il dut pren-dre le maquis) et à illustrer, se·Ion son optique précise, avec plusou moins de bonheur, tous lesévénements du monde. C'est ainsique, pendant la seconde guerremondiale, il écrivit un «Chant àStalingrad» dont quelques verssont parmi les -plus beaux Quecette guerre inspira:

Garde-moi unede violente écume,

garde-moi un fusil, garde-moiun sillon,

et qu'on le place dansma sépulture

avec un épi rouge de tondomaine,

pour que fon sache, s'il subsistequelque dOltte,

7

Page 8: Quinzaine littéraire 95 mai 1970

Neruda

que je suis mort en t'aima.ntet que tu m'as aimé,

et,que si· -je-n'ai pas combattudans ton enceinte

je laisse en ton honneurcette grenade obscure,

ce chant cramour à Stalingrad.

Et l'on se souvient des impré.cations antiaméricaines du Chantgénéral (il devait par la suite,dans un poème inédit en français,écrire une «chanson de geste» àla gloire de la Révolution cu·baine).

Comme' à nombre de poètescommunistes, la révélation des,crimes staliniens allait faire l'ef·fet d'une douche froide. C'estClaude Roy qui, dans sa. préfaceau dernier livre de Loys Masson,.raconte cette anecdote: «Le poè.te chilien évoquait le tournant desa vie des grandes désillusions, lefameux. rapport «attribué 2 àKhrouchtchev, et les crimes sansfard que personne n'attribuaitmais que, disait Neruda, tousceux qui en avaient nié la rfMtlitépartageaient avec les criminels. EtNeruda avait conclu, avec sonaccent hispanique qui laissaitrouler les r: «Ils nous ont faitdescendre de cheval... »C'est alorS un retour sur lui·

,même avec cette autobiographiepoétique le' Mémorial de rIle

;-Noire: le poète part à la recher.che. de son enfance, de son ado··lescence, de sa découverte de lapoésie. Toute la dernière partiequi s'intitule «Sonate' Critique»est une sorte de mélopée amèresur la foi vacillante :

Nous avons peut.être le tempsencore crêtre, et crêtre justes.D'une manière provisoirela est morte hier,cela tout le monde le saitbien que chacun le dissimule :elle n'a point reçu de fleurs:elle est morte et nul ne lapleure.

Et, plus loin:

... pour nous blesser, nousoubliâmes

le pourquoi de notre combat.

Dans ce recueil, il revient à sesthèmes de toujours, ceux qui mal"quaient ses premiers vers aux·. quels nous avons accès pour lapremière fois, ses «vingt poèmes

8

d'amour et une chanson désespé.rée », ouvrage d'un jeune hommede· vingt ans· et toute .la.premièrepartie de «Résidence sur laterre ». Pour la première foisdonc, nous pouvons faire une lec·ture de quarante ans de création.Cette voix est amplifiée, a touchéà tous les genres, tantôt épique,tantôt élégiaque, tantôt dramati·que, mais elle est, de près ou deloin, restée toujours fidèle à unseul thème: la terre. C'est, dureste, aussi bien la terre du Chilique la terre comme élément. Dèsle premier quatrain, dès sa pre-mière métaphore, il est ce qu'ilsera toujours, un poète minéral :

Corps de femme, blanchescollines, cuisses blanches,

rattitude du. don te rendpareil au monde.

Mon corps de laboureursa,uvage, de son soc

a fait jaillir le filsdu profond de la terre.

Il est l'homme du sang et dela sève, l'homme du métal et dubois. De cette matière première(il a écrit des Odes élémentairesinédites en France), il ne s'éloi·gnera jamais. Même dans sespoèmes les plus' contingents, mê·me dans ceux qui ressemblentplus à des pamphlets journalisti.ques qu'à des poèmes, il nousrappelle toujours, au détourd'un vers, ses racines. Qu'il parled'amour ou de politique, sa réfé·rence unique reste la terre. Cetteterre, elle est pour lui incarnéepar le Chili, «la terre centraledu Chili, cette terre où/ les vi·gnes ont frisé leurs vertes cheve·lures,/ où le raisin se nourrit delumière,/ où le vin naît des piedsdu peuple ». On ne compte plusles poèmes qu'il consacre à cequ'il appelle «sa douce patrie ».Ne retenons que le dernier endate; aux toutes dernières pagesdu Mémorial:

La terre, ma terre, ma boue,la clarté sanguinaire du levervolcanique,

la paix claudicante du jouret la nuit des séismes,

le boldo, le laurier, raraucariaoccupent le profil de laplanète,

le gâteau de maïs, le corbeaude mer sortant de rétuvesylvestre,

la pulsation du condors'élevant sur la peau'ascétique de la neige,

le collier des rivières quiexhibent les rar.srnsde lacs sans nom...

En fait, Pablo Neruda est unhomme simple, un homme prèsde son peuple. Et l'on ne peuts'empêcher de le comparer à Vic·tor Hugo, aussi bien par la statureque par les sources d'inspiration.Dans son œuvre, on trouve aussibien les Chunsons des rues et desbois, la Légende'des siècles queles Châtiments. Dans sa jeunesse,il a touché au roman. Il vientd'écrire une admirable pièce dethéâtre: Splendeur et mort deJoaquin Murieta (que PatriceChéreau vient de faire triompherà Milan), dont le héros principalest l'homme chilien, l'homme dupeuple. Et comme Hugo, il a sutoucher 'le cœur de cet hommedu peuple: le tirage de son re·cueil: 20 Poèmes cramour et unechanson désespérée a dépassé lemillion.Comme Hugo, il ne dédaigne,

pas l'abondance. Au cœur d'une3trophe banale, on trouve soudainun vers admirable. Il ne trie pas.Il parle. Simplement, directe·ment. A un rythme très rapide,en utilisant pratiquement un seulprocédé: la métaphore. Et siquelque obscurité semble parfoisinterrompre son discours, c'esttoujours par l'approfondissement<J'une métaphore ou dans le téles·copage elliptique de plusieursmétaphores. (C'est en ce sensqu'on a pu le rapprocher du sur·réalisme auquel il est complète.ment étranger. Dès le début de sacarrière, sur le plan de l'art poé.tique, il s'est inscrit dans une tra·dition plus espagnole que sud·américaine. Quand il est arrivé àMadrid, dans les années trente,les grands poètes de l'heure, Lor·ca, Hernandez, Alberti, l'ont toutde suite reconnu comme l'un desleurs.)Poète considérable donc, Pablo

Neruda est avant tout l'hommed'un continent. En assumantl'Amérique latine, il a envahitout l'espace et laissé dans l'om·bre d'autres poètes qu'en d'autrestemps on eût trouvé importants.Peut-être' simplement parce quepersonne .comme lui n'a su chan·ter ce continent. S'il lui est arrivéde se tromper en voulaut assumer

la terre entière, il a toujours sutrouver les accents justes lors-qu'il n'a pas quitté ses racines.C'est alors qu'il nous touche.C'est alors que nous pouvons lefaire nôtre.

Jean Wagner

Pablo NerudaSplendeur et mort deJoaquim MurietaMise en scène dePatrice ChéreauPiccolo Teatro de Milan

Patrice Chéreau a fait une admirablemise en scène.Cette pièce est la seule œuvre dra-

matique de' l'auteur, une sorte d', ora-torio insurrectionnel - racontant l'épo-pée du héros-brigand légendaireMurieta qui partit au cours du siècledernier pour la Californie au momentde la fièvre de l'or et qui d.evint lesymbole de la liberté. pour les Chi-liens et les Mexicains misérables surleur terre veinées d'or, exploitées parles Américains. Neruda, à travers Mu-rieta, montre la situation actuelle desLatino-américains.Dans sa préface, l'auteur donne tou·

te liberté au metteur en scène. Cetteœuvre est par moment, dit-il, ,écriteen farce, elle se veut un mélodrame,un opéra, une pantomime -. A proposdu cortège funèbre de Murieta, il parled'un « pathétique déguenillé, frôlant legrotesque -, vision qu'il avait eue d'unNô à Yokohama dans un théâtre desfaubourgs où, dit-i1,,« je sui.s entrécomme un marin quelconque et où jeme suis assis par terre -.Ces indicatiQns sont inspirantes pour

un metteur en scène tel que Chéreau.Il nous propose sa lecture de la pièce.Si Neruda raconte la vie et la mort deMurieta sans utiliser d'intermédiaire,si le récit se déroule à l'époque oùMurieta vécut, Chéreau, lui, va faireraconter cette histoire. Nous sommescomme ce marin qui s'assit un jourdans un théâtre de faubourgs.Dans une église désaffectée servant

de remise, garage ou lieu de fêtesmunicipales, meetings, etc, arrive unetroupe d'artistes minables de music-hall, tournant dans les banlieues. Ilsvont jouer devant un public de paysanset d'ouvriers l'histoire de Murieta.Cette troupe, Chéreau la représente

d'une manière à la fois précise et dé-risoire: visages las, apeurés, miséra·bles de sous-prolétaires du divertis-sement, costumes défraîchis, vieillessolidarités entre « artistes. déplumés,restes fanés, échos de galas de villesd'eau taries, travestis aux traits tropfins, aux gestes professionnels, àl'ambiguïté émouvante, fantaisistes,clowns, pauvres rats ridés, êtres sanspoids dont le dessin irréel et précisse trace sans perspective. Ils ont desgestes frileux quand ils .arrivent danS>ce lieu gris et vidé où ils s'asseyentsur leurs valises dans les coins.Tout est merveilleusement vu: des

détails de jeu comme, par e,xemple, le

Page 9: Quinzaine littéraire 95 mai 1970

A contre-courant

Dors donc...

Tes cheveux de neige, vent de nuit.Est blanc ce qui me reste, et blanc ce je perds!Elle compte les heures. je compte les années.Nous avalâmes la pluie, la pluie fut avalée.

Dors donc. et mon œil restera ouvert.La pluie remplit la cruche. nous la vidâmes.La nuit fera germer un cœur - le cœur une brindille.Il est trop tard pour la faucher, madame.

Paul Celan

reprenons d'un des numéros de• Lettres Nouvelles. (décembre 1965-janvier 1966) ce poème qu'avait tra-duit pour cette revue la regrettéeDenise Naville:

samment maître de son verbepour se fier à lui, ne craint pasplus le lyrisme que la, rigueur.Nous sommes aU88i loin du «dia·lecte :. claudélien que du langagebrut, à peine articulé, de certainsessais récents. La métaphore, lasyntaxe, la grammaire ne sont pasdémons qu'il faille, exorciser, nila musique ni même le «beau

Oster ne craint pas d'êtrelisible, sachant que ce qu'il nousdonne à lire l'emporte sur la fu-reur des mots en creux.

Jean Vagne

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mépriser, dont la pensée peutbien croire qu'elle nous abstrait,mais dont nous sommes.A contre-courant donc des re-

cherches ou pseudo-recherchesd'aujourd'hui, cette poésie exaltel'homme dans son être et dansson univers. Elle est pleine d'ar-bres, d'oiseaux, de vent, d'insectesqui vivent leur vie surprenante etsi, dans les interstices, d'étrangeslueurs un 'peu inquiétantes sur·gissent, on sent bien qu'elles sontcelles de nos carences, de nos dis-tractions. Et Pierre Oster, suffi-

Paul Celan, qui résidait en Franceoù il comptait de nombreux amis etadmirateurs - Il était l'un des plusgrands poètes de langue allemandevivants -, vient de mettre fin à sesjours. Il avait trente-neuf ans. Nous

Présence au mondeMais il faut d'abord ce rassem-

blement de tout dans le cœur dupoète, cette attention, cette ou·verture de l'être. Le langage in·tervient, dont la fonction est d'at·tester la réalité profonde de cequi est perçu et la connivence detout pour un même destin à lafois subi et concerté. Aucun hom-me, aucune chose ne restent seuls,sinon dans la mesure où ils veu-lent s'isoler. Tout un réseau defines solidarités les relie, que lepoète découvre, et en mêmetemps leur donne vie. La poésie,c'est d'abord cette présence aumonde et cette volonté de le sur-prendre dans sa totalité à chaqueinstant perçue, recréée. Et l'ons'aperçoit que réunis, brassés, au-thentifiés, êtres et choses prennentun sens pas toujours directementlisible mais toujoul'!l pressant.A ce «beau désir de mesurer

tunivers et le ciel lumineu%:.,Pierre Oster s'ouvre et son poèmeest une fête. Non pas sans omobres, mais sans haine ni révolte,comme si tout le secret était des'ajuster à ce monde qui est nô-tre, que l'on peut bien honnir ou

Si, en lisant les poèmes dePierre Oster, l'on pense d'abord,à Claudel, ce cousinage n'a riende répréhensible à nos yeux. Ils'agit d'ailleurs plus d'un air defamille que de véritable ressem-blance. D'une même, ou très voi-sine, articulation du vers et sur·tout d'une même idée profondede la création poétique. En l'unet l'autre cas, 'le poète est celuiqui est touché par mille sollicita-tions du monde extérieur ou inté-l'ieur que son esprit «rassemble:.(pour employer le mot claudé-lien) et qui rétablit entre les ap-parences un ti88u de réalité quenos sens n'éprouvent plus immé-diatement. Une transmutation seproduit qui recrée de ces chosesrassemblées, de ces sensations re-cueillies ou sollicitées généreuse.ment un monde qui est à la foisle nôtre et celui du poète et unautre dont les contours et lasubstance se glissent entre lesvers.

1Pierre OsterLes dieu%Gallimard, éd., 88 p.

Ouel récit révolutionnaire cette trou-pe peut-elle, en effet, assumer puis-qu'elle est dans l'immobilité, puisqueson théâtre fige ce qu'il touche? Cethéâtre sans avenir donne le vertige.Les ouvriers écoutent, d'abord éton-nés, mais reconnaissant leur propresort dans celui du rebelle, leur ima-gination fera basculer cette théâtrali-té pétrifiée dans un vieux rêve. Ilsarrêtent, furieux, le spectacle, s'em-.parent des tréteaux et les démolis-sent, prennent possession de leur his- 'tolre et vont alors raconter à leur ma-nière, sans le théâtre, se servant toutde même des acteurs de music-hallpour représenter les oppresseurs, la'suite de la vie de Murleta. Il rede-vient ce qu'il est, un héros révolution- .naire' alors que le théâtre en avait faitun personnage. Tout comme cette égli-se où ils se trouvent est désaffectée,les comédiens, par, leur Inexistence,ont désaffecté le théâtre. Ils hantentun lieu, les ouvriers vont l''habiter pourensuite aller 'habiter d'autres lieux.Envahissement donc du théâtre parl'action, du personnage par le hérosrévolutionnaire, du hanté par l'habité.

Un hérosrévolutionnaire'

Les ouvriers quittent ce lieu et par-tent raconter l'histoire de Murleta oufaire "Histoire ce qui maintenant re-vient au même. Ouant aux artistes demusic-hall, leur chef (qui représentele poète Neruda) parti avec les au-tres parce qu'II est conscient du peu-de validité du théâtre (ou de la poé-sie), Ils restent là encore plus dému-nis, fantomatiques. se raccrochant .. 'comme Ils le peuvent à leurs vocalisesbrisées, à un air émouvant de La Tos-ca, à leurs valises.Chéreau tente d'Investir la pièce de

Neruda pour dénoncer le moyen poé-tique dont celui-cI se sert mais, dumême coup, Il dénonce le moyen théâ-tral qu'il utilise lui-même. Il met enévidence, pour les gens que nous som-mes, Installés dans les fauteuils duPiccolo' Teatro, les contradictions duthéâtre politique.

ThéAtre politique

Simone BenmUSSB

refuge que trouvent les travestis prèsdes vieilles grand-mères poussives,sortes de Marlènes soufflées en boaet gibus ou comme certains gestesfatigués quand Ils se défont hors descène entre deux numéros. Dans celieu où se superposent d'autres lieuxmorts, Ils vont accrocher au plafond latraditionnelle boule à facettes commeon en trouve dans les boîtesde la rue de Lappe qui va éclairerde ses petits miroirs ce monde de pa-cotille. C'est sous cette lune de bas-tringue qu'Ils vont interpréter l'his-toire du rebelle Murieta.Chéreau insère dans sa mise en

scène des citations de Visconti ou de'Strehler comme dans Richard 1/ il Ci-tait Fellini (contrairement à ce qu'onen a dit, je ne vois pas là d'influencemais des références).

La littéraire, du 16 ;lU JI m;lÎ 1970 9

Page 10: Quinzaine littéraire 95 mai 1970

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10

IlLe. êniJlllesde l'univers"(Robert Laffont)

Depuis un mois, une demi-douzainede collections consacrées aux scien-ces secrètes ont été créées simulta-nément chez les éditeurs parisiens.L'engouement de l'immense public vir-tuel que draine une collection telleque • Les énigmes de l'univers", lapremière du genre, puisqu'elle futinaugurée avec éclat, dès 1966, parFantastique Ile de Pâques (plus de200.000 exemplaires vendus), est unfait dont on ne peut pas ne pas tenircompte. Le - livre de Francis Mazière,qui est le fruit de deux ans d'étudeset de fouilles sur le terrain, jouit, dureste, d'un succès mérité: il y a, dansce récit, une chaleur, un ton d'authen-ticité indéniables dont l'auteur, quiest en même temps le directeur dela collection • Les énigmes de l'uni-vers", a compris, et on ne peut quel'en féliciter, qu'II convenait de fairela marque distinctive de chacun desvolumes qu'il devait publier par lasuite.• Je suis, nous dit-il, un homme_sans parti pris. Aussi suis-je prêt àaccueillir dans ma collection des ou-'vrages aussi différents que les Mys-tères de la cathédrale de Chartres(plus de 70.000 exemplaires vendus),où Louis Charpentier, s'appuyant surles recherches des Templiers, remon-te aux sources les plus lointaines del'art gothiql,le, et que les Soucoupesvolantes, affaire sérieuse de FrankEdwards ou le Livre noir des soucou·pes volantes, par H. Durrant, qui trai-tent tous deux d'un sujet des plus

par les gens sérieux. Ensomme, mon but est de promouvoirdes formes de différentes,des thèses nouvelles sur tout un en·semble -de ,problèmes que lascience et la philosophie traditionnel-les tendent' à éluder. Les deux seulesclauses restrictives' que je demandeà mes auteurs' de respecter, c'est,d'une part, d'éviter' d'introduire dansleurs ouvrages des considérations po-litiques, ,et, d'autre part, de présenterdes recherches ouvertes, qui les en-gagent personnellement, et non pasdes compilations de travaux anté·rieurs. "

Un volume par mois

Au rythme d'un volume par. mois,dont le tirage moyen se situe auxalentours de 100.000 exemplaires, lacollection. Les Enigmes de l'univers"nous offre ainsi une sorte de décryp-tage, des grands mystères de notremonde, depuis les secrets millénairesdu cosmos analysés à travers 1. Ge-nèse, jùsqu'aiJx origines' clJ:hées dela tradition cathare, en passant par lesphénomènes extra-terrestres, le dé-chiffrement des manuscrits de la MerMorte. I.'épqpée de l'Atlantide, lesclés de l'Odyssée ou de la civilisationmégalithique. Ainsi se trouve renou-velé un genre où se sont illustrésnaguère Bergler, Pauwels, Planète etleurs productions.

Victor Hatar, écrivain éprisde liberté, aura connu, pourcet amour, deux fois la pri-son dans son pays natal, laHongrie: d'abord en 1943sous le règne fasciste de Hor-thy, et, sept ans plus tard,sous le régime pro-stalinien.Après l'insurrection de 1956.il gagna l'Angleterre où il de-meure exilé.

1Victor HatarAnibelLes Lettres NouvellesDenoël, éd., 256 p.

Victor Hatar

Satiriste et poète, traducteur deRabelais, Victor Hatar possède untalent alerte, truculent, dont lacocasserie se déploie sur un fondsouvent tragique. Ainsi, le romanAnibel, qu'il écrivit en 1954 -deux ans donc avant le soulève-ment du peuple hongrois - et quiparaît dans une traduction fran-çaise de J. Faure·Cousin et M,-L.Kassaï, nous offre-t-il un très sa-voureux mélange de récits pica-resques, de visions poétiques etde traits d'humour noir.Dans une capitale en ruines,

des rescapés de la guerre essaient,tant bien que mal (plutôt malque bien) de survivre. Dans lesâmes et les cœurs, quelques vesti·ges du monde ancien voisinent

avec les constructions précaires,voire monstrueuses, du présent.Au début du récit, nous voyonsle narrateur Simon Samjen, .ex-guerrier échappé au massacre,partir à la recherche de ErnikeKerkapoly. dont le nez trapézoïdalhante ses souvenirs d'amours en·fantines. Simon dénichera Ernikeet l'adorable trapèze de son nez.Mais, en vérité, Ernike pas plusque sa mère, la belle Anibel, netrouve grâce aux yeux du narra-teur: pour lui, toutes les fem-mes sont pièges: «des escrocs,des crocheteuses, reptile et singelout en même temps; en bref,des femmes. belettes !» A leurpropos, Simon se demande sur leton amer et bouffon qui 'lui estfamilier: « Peut-on dissocierlamour de linfamie? Sincère-ment, le peut-on? » Plus généra-lement, cette question semble re·venir tout au long du livre:«Peut·on dissocier la vie de fin-famie? »

La réponse n'est jamais donnéeen clair. Mais, sous l'apparentedrôlerie, sous l'îronie du langageet des péripéties, s'affirme un pes-simisme sans illusion, bien qu'unsentiment de fraternité pitoyableet moqueuse ne cesse de se mani-fester envers les falotes silhouet-tes qui peuplent les coulisses etles ateliers du théâtre Oupregou-ran. Ils sont là toute une équipede peintres barbouilleurs, comme'le narrateur lui-même, employésà peindre les décors de pièceshautement édifiantes et stalinien-nes sous la direction du «grandrégisseur»: Oncle Verderber, vi·goureux et généreux bonhomme àqui «on ne la fait pas ».

Lettres à la Q!!inzaineLes écrivainscontre la CommuneDes lecteurs nous font remarquer

que Vigny, mort en 1863, aurait eudu mal à se «déchaîner» contre lesCommunards. L'auteur du compterendu du livre de Paul Lidsky s"excusede ce lapsus de plume. Il suffit· eneffet à Vigny qu'il ait fulminé contreles insurgés de juin 48 et, après cesfameuses journées, se soit barricadécontre ceux qu'U appelait les «com-munistes».

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de Victor HatarMarche sur lePentagone

La Quinzaine littéraire, du 16 au 31 mai 1970

Au-delà des décors du théâtre,c'est la réalité médiocre, tâtillon-me et ridicule d'un monde bureau-cratique et policier que peignentet dépeignent Simon Somjen etses camarades - comme lui an-ciens combattants passés du dé-lire de la guerre à celui de la«guerre froide ». Voici Ernike,la fiancée de Simon, employée àl'Office des Haricots, employéeprovisoire, «car elle n'était pas«' bon cadre »... D'autre part, nousen étions à la phase des légumes :le chou-rave, pour être précis...C'est le Parti qui avait la chargede la réorganisation, et la Campa-gne des Pommes de Terre avaitsauvé le pays. (Ils mentent com-me ils respirent. Leur vérité n'estpas même le contraire de la vé·rité)... mais selon toute vraisem-blance, rOffice des Haricots se-rait bientôt dissous. Dieu mer-ci f... (...) Pourtant, elle s'était at-tacltée à ce Service de Triage desHaricots Striés de rOffice Natio-nal des Haricots, bien que pareiltravail fût une sorte d'enfer... Dumatin jusqu'au soir, sélectionnerdes haricots et les coller un à unsur une fiche de carton... »C'est bien d'un univers délirant

que 'nous rend compte Victor Ha-tar, et, pour mieux témoignersymboliquement de cette aliéna-tion, il conduit ses personnagesdans un cercle spirite que traquela police politique (le «service in-tellectuel» de celle-ci entend li-quider le spiritisme). Cela amènedes' rebondissements de l'action,fort comiques dans leur expres-sion, bien que parfaitement dé-sespérés et désespérants.Tout, dans ce monde grinçant,

tourne au grotesque ou à la déri-sion, que ce soit la quête spiri-tuelle ou celle de l'amour. Pour-tant, sous l'amertume et l'ironiedu récit se devinent une tendressebafouée, une blessure profondeinfligée à l'espérance dans sa soifde liberté et de fraternité.La succession des scènes comi-

ques du présent semble être lefruit pourri d'autres scènes, atro·ces celles-ci, du temps de guerre,celles, par exemple, de «la véri-table histoire des souhaiteurs debonsoir », ces soldats, alliés desAllemands, qui, en Ukraine, al-làient chercher le repos du guer-rier auprès des paysannes apeu-rées, puis, après avoir souhaité lebonsoir, laissaient dans la fernle

une bombe qui, un peu plus tard,faisait son office radical. Autreexemple, cette anecdote pOUl'expliquer l'entrée d'un des per-sonnages au «cercle spirite :«Peu de temps après la Libéra-tion, dans la période de lune demiel, une facétieuse patrouille so-viétique, en quête de deux mon-tres de femme et d'une montred'homme, expédia dans rautremonde la famille d'Imre Penagel,accessoiriste en chef. Et mainte-nant, il cherchait à établir uncontact interplanétaire.» Commel'écrit Victor Hatar desteurs de bonsoir» - il peut lefaire tout aussi bien des «ama-teurs de montres » - «Ils ne re-présentent aucun principe, aucunenation, aucune puissance conqué-rante, simplement les armées detous les temps et de tous les peu-ples... » Ils représentent l'homme,tout simplement, l'homme, qui sefait monstre si aisément pour peuque l'Histoire l'y encourage. Etpourtant, c 0 m m e Innocence,l'Ours favori de l'empereur Valen-tinien, qui lui donnait ses prison-niers à dévorer, cet ours qui, unefois rendu à la liberté de la fo-rêt, «dissous dans ranarchie pri-mitive, oublieux des denaguère, (...) mena une vie exem-plaire: pillant des ruches, lé-chant ses oursons et grognant ami-calement, comme les autres,»comme cet animal, l'homme-monstre retrouvera lui aussi une(apparente) innocence, grâce àl'oubli. «Voilà les bienfaits deroubli. Nous oublions donc noussommes.» Sans cette amnz.stz.e·que s'octroie l'homme par l'effetd'une permanente amnésie, com-ment pourrait-il supporter l'amon-cellement de crimes qu'il accom-plit et subit sous le couvert desidées et des principes les plus di-vers?

Tout en gardant pour l'homme(l'Ours Innocence) une pitié ter-riblement lucide, Victor Hatar en-seigne que le pardon n'est pasl'oubli, ni la bassesse complaisan-te un mode acceptable d'exis-tence. Du moins, de son expérien-ce, de sa douleur, tire-t-il, par lavertu d'un langage inventif, d'uneobservation sans merci et d'uneimagination peu commune, uneœuvre où la poésie surgit, impré-visible, de l'humour, de la satireet de l'atroce.

G.-E- Clancier

INorman MailerLes Armées de la nuitTraduit de l'américainpar Michel ChrestienGrasset, éd. 373 p.

Des Armées de la nuit, NormanMailer n'attendait rien sinonquelques insultes supplémentaires,ces insultes qu'il a le don d'atti-rer sur lui en toutes circonstanceset qui ont l'air de profondémentle réjouir. TI fapt aussi ajouterqu'il fait tout pour ça. Une fois

Norman Mailer vu par David Lévine

de plus, on stigmatisera son exhi-bitionnisme, son égocentrismeexacerbé, son mauvais goût etl'on conclura, les lèvres pincées,que les Armées de la nuit nesont pas un livre réu88i.Est-ce même un livre? Il a

beau gravement intituler sa pre-mière partie: «L'histoire en tantque roman» suivi du «roman entant qu'histoire », l'ensemble for-me un bric-à-brac incroyable oùle talent éclate à chaque page. Cen'est ni un roman ni un livred'histoire' et c'est un reportagequ'aucun rédacteur en chef n'ac-cepterait. C'est un livre à l'imagede son auteur, sincère et, cabot,brouillon mais débordant de vieet rempli d'idées bizanes, para-

doxales et souvent excitantes.Ce n'est pas d'un cœur gai

qu'un jour d'octobre 1967, Nor-man Mailer entreprend de parti-ciper, à la marche sur le Penta-gone pour protester contre laguerre du Vietnam. Il avait étésollicité, et c'est 'plutôt réticentqu'il avait accepté. Pour se don-ner dl,l il s'arme d'ungrand pot de bourbon. Tel est ledébut du livre :, c'est une chroni-que drôle, pleine de verve et debonne humeur. Son discours àl'Ambassador semble sorti d'un

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film burlesque. D'autant plusqu'avec le poète Robert Lowell etle critique littéraire Dwight Mac-donald, Mailer forme un trio decomiques involontaires dont lessilhouettes, par leur contraste,portent au rire. Ce n'est, évidem-ment, guère le ton auquel on esthabitué dans la relation d'un évé-nement politique, événementd'autant plus important que cettemarche était la première de toutel'histoire des Etats-Unis.Pendant toute la première par-

tie du livre (environ les deuxtiers), le ton ne varie pas mêmequand les choses, deviennent gra-ves, même quand Mailer paie desa personne: il est, en effet, ar-rêtéet passe vingt-quatre heures

Il

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Norman Mailer

Lévi-Strauss

Lévi-Strauss s'est toujours défendu de se livrer à l'exërcicede la philosophie, depuis la critique féroce et justifiée de laphilosophie enseignée en Sorbonne au temps où il préparaitl'agrégation. Elle reste lettre morte, sentiers battus sur lesquelsil ne s'aventure que par accident et comme par braconnage. Etpourtant, comment faut-il qualifier cette réflexion qui, partie descaractères les plus sensibles, la saveur du miel, le mauvais carac-tère des épouses (mythiques), aboutit à constituer une théoriedes rapports, éthique, voire politique? Témoin ce texte récentqui décrit les découvertes qu'il a faites à travers la mise enstructure des mythes:. «Ce caractère topique du code astrono-mique n'empêche pas qu'il s'engrène sur plusieurs autres. Il metainsi en branle une philosophie arithmétique, à l'approfondisse-ment de laquelle la sixième partie est presque entièrementconsacrée. Le lecteur s'étonnera peut-être, mais la surprise futd'abord nôtre, que les spéculations les plus abstraites de la pen-sée mythique fournissent la clé d'autres spéculations pourtantaxées sur des conduites guerrières et l'usage de scalper les enne-mis, d'une part, et les recettes de cuisine d'autre part; enfin,que la théorie de la numération, celle de la chasse aux têtes etl'art culinaire s'unissent pour fonder ensemble une morale (1).»

Certes, si la philosophie implique un privilège explicatif, sion la place au sommet de la hiérarchie des savoirs, Lévi-Straussreste en ce cas fidèle à sa vocation de non-philosophe. Mais àentendre par philosophie compte rendu du monde, prise de vuessur l'hétérogénéité des phénomènes, Lévi-Strauss ne peut sédéfendre d'être philosophe: elle n'est alors pas différente de lapensée mythique, et à dire. le vrai nous n'y aurions pas attachéd'importance si lui-même ne s'en défendait avec une suspectevigueur. Ainsi donc il faut pouvoir dire sans offense que Lévi-Strauss donne à ses contemporains un exemple parfait de phi-losophe.

Philosophie qui va en sens contraire du courant avant, toutau moins, de représenter elle-même le ·courant: philosophie réfu-tant le sens, l'humanisme comme morale, philosophie antidialec-tique. Ce refus de tout mouvement synthétique, caractéristiquede la dichotomie qui s'éparpille jusqu'à l'indifférence, nous paraîtrelever du même dessein que le refus de la transgression; leparadis perdu où parler et aimer sont possibles sans violence,où la coexistence est pensable, interdit autre chose que la répé-tition de sa perte, indéfiniment renouvelée. L'Aufhebung estimpensée dans le système des structures: non qu'elle sembleplus réelle que l'édifice combinatoire où Lévi-Strauss met le fonc-tionnement de l'esprit; mais on en volt bien le manque, il estmortel pour la pensée. On peut légitimement, et c'est ce que faitLévi-Strauss, choisir le chemin par lequel la pensée se pensemortelle. On peut faire la théorie de l'exclusion, tout en restantprisonnier de l'opposition intérieur-extérieur: tout spontanément,l'exil, l'errance, le mal, surgissent comme thèmes philosophiquesou mythiques. Lévi-Strauss n'est pas loin de Platon: le rapportentre les structures et le réel est une participation. « ... La con-ception que les hommes se font des rapports entre nature' etculture est fonction de la manière dont se modifient leurs pro-pres rapports sociaux... Pourtant, nous n'étudions que les ombresqui se profilent au fond de la caverne, sans oublier que seulel'attention que nous leur prêtons leur confère un semblant deréalité.» (2) Certes, Marx et Lénine emploient la métaphore dureflet pour qualifier le rapport idéologique aux choses; mais icic'est tout autre chose. Le réel se tient dans le sujet, qui pourtant

en prison. On le devine ravi decet avatar. C'est même à partir dece moment-là qu'il se sent vrai·ment engagé.Tout ce récit est traité sur le

mode du roman, un roman à latroisième personne dont le hérosest Norman Mailer, «un hérossimplet et un merveilleux imbé·cile, avec un don d'objectivité su·périeur à la moyenne ». Cela neva pas sans quelque coquetterie,coquetterie qu'un humour cons·tant tempère.Mais c'est aussi un artifice tech·

nique: «Car le roman, quand ilest bon, personnifie une visionqui vous permet de comprendremieux d'autres visions, c'est unmicroscope pour explorer la ma·re, un télescope sur la tour pourregarder la forêt. Dans la se·conde partie, Mailer va tenter uneapproche objective de cet événe·ment dont l'influence sur la poli.tique américaine fut, comme laplupart des manifestations de cegenre, quasi nulle. Mailer, en tantqu'homme, s'efface; à peine s'ilse cite quelquefois.II tente de démontrer le méca.

nisme de cette marche du Penta·gone. Tous les particij>ànts,· desjeunes gens aux policiers, trou·vent leur place dans cet échafau·dage. C'est une analyse serrée àpartir d'une enquête (qu'il fautbien appeler journalistique) detout premier ordre. Dans cet ana·lyste, on ne retrouve que rare·meut l'hurluberlu de la premièrepartie. Même l'écriture change:elle conserve la même vigueur,mais elle se fait sèche, précise.Même quand il se transforme enpamphlétaire, son ton reste me·suré: Johnson est notammentl'une des cibles favorites de Mai.1er.II faudra attendre les dernières

pages pour le voir emprunter unton apocalyptique. C'est le destinentier de l'Amérique qu'il em·brasse alors, c'est sur la naissancede cet Américain nouveau qu'ilse penche, naissance qui est unede ses préoccupations de tou·jours (on se souvient de son essai,le Nègre blanc qui, aujourd'huiencore, est l'objet de discussionschez les intellectuéls américains) :«Méditez sombrement sur cepays qui incarne notre volonté.:C'est rAmérique, jadis beauté,d'une splendeur inégalée, aujour.,d'hui beauté à la peau lépreuse.

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Elle attend un enfant - nul nesait s'il est légitime - et languitau fond d'un cachot. C'est à pré.sent le commencement des con·tractions de son pénible travail- il va se poursuivre : nul méde·cin n'est là pour dire jusqu'àquelle heure. Tout ce qu'on saità peu près, c'est qu'il ne s'agitpas d'une fausse alerte, non, elledonnera vraisemblablement lavie.Ce livre, qui n'en est pas un,

est certainement le meilleur queNorman Mailer ait écrit depuisles Nus et les morts. Dans ce ro-man, il se pliait à un schéma tra·ditionnel. Aujourd'hui, il plie lesgenres à son propos. II est facilede le prendre en défaut, si l'ons'en tient à un aspect académiquede l'écriture:. quand on faitéclater les cadres, on marche àl'aventure. Mais cette aventure-ci,il l'a contrôlée. Ce n'est peut.êtrepas la première fois qu'il se laissealler à son tempérament, maisc'est la première fois qu'il le faità l'intérieur d'un cadre inédit en·tièrement dessiné par lui. Les Ar·mées de la nuit n'est pas, malgréles apparences, un fourre·tout,c'est un livre qui, par son entrain,ses pirouettes, ses paradoxes etses clins d'œil roublards, fait pen·ser au désordre mais, en y regar·dant d'un peu plus près, ons'aperçoit qu'il est rigoureusementcc,lDstruit. ,Enfin - et cela n'est pas négli.

geable - il y a un homme : sou·vent irritant, pas toujours lucide,il va de l'avant. II fonce, dépasseles garde.fous et ne craint pas leschutes. II se révèle ainsi la chosela plus du monde (et celavaut pour toutes les littératures) :un tempérament. Ce barbare· s'in·téresse à tout: il n'a pas assezde 8a vie pour réaliser tout cedont il a envie : il met en scènedeux films, il écrit quatre centspages en quelques semaines, iln'ignore rien de la vie et des pro·blèmes politiques, il a une vieprivée très compliquée. II estrempli de projets.Dès qu'il prend la plume, il

explose et les éclats en s'envo-.lant composent une des œuvresles plus inégales mais aussi l'unedes plus riches de la .littératureaméricaine d'aujourd'hui. LesArmées de la nuit en sont un desmoments majeurs.

Jean Wagner

Notre collaboratrice Cathe-rine Backès va publier chezSeghers Lévi·Strauss ou lastructure et le malheur. Il s'agitd'un choix de textes de Lévi-Strauss. Chacun est présenté

et commenté. Nous publionsci-après un extrait où CatherineBackès s'interroge sur la « phi-losophie li de l'auteur de TristesTropiques.

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ou la· philosophie dupar Catherine Backès

•non-SaVOIr

Claude Lévi-Straussvu parDavid Lévine

nous coupant de l'Orient bouddhique, a entraîné une osmose parla guerre avec lui: « C'est alors que l'Occident a perdu sa chancede rester femme... (5) Ce que le bouddhisme offre à Lévi-Strauss,tout, comme certaine conclusion résignée de l'éducation desfemmes, c'est un monde sans homme ni femme. Telle est la dicho-tomie déchirante, source du' désordre: il y a des femmes et deshommes. Nous voici revenus à notre point de départ: la parentécomme solution à la différence sexuelle. Mais, si vraiment l'har-monie est asexuée, si le paradis, c'est l'absence d'interdit surles sexes, si la paix réside dans la sublimation, la procréationcomme telle est' absente de la pensée de Lévi-Strauss. Car laprocréation doit, pour être pensable, s'intégrer dans un systèmeoù le nouveau puisse s'expliquer. Tout comme, dans la dialec-tique, on fait un à partir de deux contraires, «dans la viel'enfant se fait de deux dissemblables. Lévi-Strauss refuse,' dansla dialectique, ce quï' lui paraît mythique: ce qui la rend sem:blable à une alliance. féconde. Ce qui résulte de l'échange, c'estl'enfant: or, tout se passe comme si, dans le système de Lévi-Strauss, l'enfant, comme le fou, comme le shaman, commel'Amérique indienne, comme l'ethnologue, était hors structure,valeur symbolique zéro, impensé. L'enfant est dans la catégorie,chère à Lévi-Strauss puisque lui-même en fai.t partie, des exclus:notre société est anthropoémique, c'est-à-dire qu'elle rejette lesêtres différents des autres normaux. L'ethnologue demeure enfantdans un monde adulte : dernière figure de l'Occident, voici l:adulteexclusif. Les chemins dé l'Amazonie, une fois parcourus, doiventse parcourir à reboÜrs, dans le sens du retour, mais ils ne condui-sent plus à l'enfance:

• Amazone, chère Amazone,Vous qui n'avez pas de sein droitVous nous en racontez de bonnesMais vos chemins sont trop étroits.· (6)

(1) L'Origine des M,anières de Table, p. 13. -: (2) La .Pe'!sée sauvage,p. 000. - (3) Tristes Tropiques, p. - (4) TnsJes· TropIques. p. 440. -(5t Ibid., p. 443. - (6) Ibid., p. 368. - (7) Tristes Tropiques, p. 48.

déréalise son objet à vouloir le comprendre. Participation: ils'agit bien d'un mode de connaissance dans lequel un rapporth'est garanti que par l'instance. La méthode. semble la meme: Ce refrain, composé par l'auteur pendant son pénible retour, auqichotomie originelle, puis méditations successives jusqu'à moment où il ne sait plus ce qui, en lui, est culturel, au momenttio,", progressive du sens. Là se rencontre la scandaleuse dlfte- de la plus grande fatigue, pourrait, à la limite d'unerence: car c'est un modèle inversé, dans lequel le progres interprétation, témoigner d'un certain fantasme : fantasme d

à l'envers, dans lequel le réel s'estompe au lieu, de maternité vierge' et difficile. Lévi-Strauss ne pense pas la nais-se constituer, dans lequel la dialectique, absente, ne .peut ope!er sance, mais le rêve: du même coup, au plan des concepts, il sela soudure entre des étapes, qui, discontinues, se fixent. Le reel, trouve conduit à un processus circulaire, dans lequel l'événementc'est soi-même, c'est l'Enfer, c'est ce qu'il importe de à qui manque, la naissance -:- figurant ici toutla ponctualité: philosophie de la dissolution du sujet, le sys.teme toute nouveauté réelle _ se répète; d'abord une deuXième fOIS,de Lévi-Strauss relève, comme il le dit lui-même du bouddhisme. puis indéfiniment. Ce qui se répète, c'est le péché originel de. A dire le vrai, le bouddhisme est la somme de tous les fan- l'humanité: présent une première fois à l'instant de la perte du

. tasmes théoriques de Lévi-Strauss. Il n'est pas indifférent. de Paradis, il se renouvelle avec les voyages du XVIe siècle, puisconstater c'est là que s'achève le périple de Tristes Tropi- encore avec la genèse de l'ethnologie et ses conséquences Sl!rques: le bouddhisme est au-delà, géographiquement parlant, de l'anthropologie. Ce qui se répète, c'est l'interpréta!iOn myt.hique,l'Islam, qui lui-même est, dit Lévi-Strauss, de, : lue une première fois à l'endroit -.Le Cru et le CUit -, une.aussi conquérant et destructeur. Le bouddhisme 1evanoUls- seconde fois à l'envers _ tapisserie inversée dans Du Miel aux.sement du sujet dans le monde: «grande religion, n?n- Cendres. Ce qui se boucle à travers ces .Iesavoir» (3). En procédant par le refus absolu .du sens, Il valide cycle du sens: plein mais obscur en son orlgme, ri. s eclalre enla démarche de relativisme par lequel l'homme se libère de. ses même temps qu'il s'appauvrit. Contresens apparent, la recherchepropres exigences. Enfin --.., faut-il' dire ? --:- le des limites et des structures dévoile «un maître sens, obscur,èst essentiellement religion asexuée, sans interdIt, religIOn faml- ' sans doute mais dont chacun des autres est la transposition par-li,ère, maternelle. "Aucune statuaire· ne procure interdit, religion tielle ou déformée .. '(7). Mais le dernier terme de la démarchesentiment de paix et de familiarité que ses fe":lmes . bouddhique, le. refus du sens: «dernier pas .. qui validechastement impudiques et sa sensualite se fous les autres: ainsi le cycle recommence. Contresens, refuscomplait à l'opposition des rTlèresaman!es, et des ,filles c1oltrees, du sens, et maître sens: le sens seul est absent du système&'opposant toutes deux aux amantes clOltree,s d.e 1Inde non. boud-' des structures, qui, en tant que tel, l'abolit. Point d'orientationdhique: féminité placide. et comme affranchie du conflit. des. puisque la terre des' structures est circulaire; point de différencesexes qu'évoquent aussi, pour leur part, les bonzes, con!o!!dus sexuelle ptJisquec'est celle-ci qui suscite désordre et toutpar, la tête rasée. avec les ?ans .une so.rte de ordre culturel; point de sens, point de marque: le système desexe, à-demi et, Sile Lévi-Strauss devrait conduire à la parfaite indifférence.•cherche, comme .1 Islam, a dominer la. des cultes Prl- .mitifs, . c'est grâce à l'apaisement unifiant . en lap'romesse. du retour au .se,in, ; ce Qla,IS, Il. remtegr,el'éroti.smeaprès l'avoir IIbere'dE;} lafren.esle.et (4)

au ppir'lt ql:l\me é.trange séquenc·e .se fa.t Jour, : 1Islam, .en

La Quinzaine littéraire, du 1611u JI mai 1970

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Léo SpitzerBI.TOI••

Dix ans après sa mort, parais-sent les essais du romanisteallemand Spitzer. Cela nenous fait guère honneur.

1Léo SpitzerEtudes de stylePréface de Jean StarobinskiBibli. des IdéesGallimard, éd., 535 p.

Publiés avec un tel retard (lespremiers travaux de Spitzer surRabelais et Balzac datent de1910), les essais peuvent paraîtreun peu maladroitS et outrageuse-ment marqués par un certain nom-bre de tics universitaires: l'essaise réfère souvent à des critiquessecondaires, et rien ne vieillit plusplus mal que des noms de pro-fesseurs; les notes ont une telle-ampleur, et une telle importan-ce, que l'essai semble n'avoir pastoujours pris sa véritable dimen-sion. Enfin cet ouvrage, sans doutepar souci de légèreté, est publiésans index des noms cités, ni bi-bliographie des volumes de ré-férences (manqlient également les-paroles où Spitzer, en préface àl'édition italienne, indique quelorsqu'il écrivit son essai surProust il ne connaissait pas la findu roman, et que son étude, en1959, ne lui semble pas exprimertoute la portée de l'œuvre). Enoutre, il aurait été nécessaire quefussent indiquées les dates despremières publications de cestextes qui ont été choisis parmidivers livres de Spitzer: Linguis-tics and Literary History (1948) ;Stilstudien (1928), essai surProust, Romanische Stil undLiteraturstudien (1931) (Racine,Voltaire), Romanische Literaturs-tudien (1959) (Jaufré Rudel, LaFontaine, Marivaux). Deux essais(Rabelais; Butor, cette étude estla dernière qu'ait écrite Spitzer)n'avaient jusqu'ici été publiésqu'en revue._On peut ima/9:ner les raisonsqui ont déterminé cette sélection(choisir des auteurs du XII" siècleà aujourd'hui et choisir des textesreprésentatifs de trente ans d'ac-tivité critique), mais à elle seuleelle ne donne pas idée de la pro-digieuse activité de Spitzer:425 pages de Romanische Litera-turstudien sont consacrées à lalittérature de langue française(Villon, du Bellay, Hugo, Baude-

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laire, Ramuz, Valéry... dansLinguistics and Literary History(1948) sont étudiés Racine (Lerécit de Théramène), Diderot,Claudel et Cervantès. Ce premiervolume pourrait facilement êtresuivi d'un second également con-sacré à la littérature française.Mais ce serait encore très incom-plet, car l'activité de Spitzer s'estexercée dans le domaine allemand,anglais, espagnol, portugais, ita-lien. Peut-être quand nous con-descendrons à nous montrer moinschauvins pourrons-nous connaîtreles écrits de Spitzer sur Dante etLe Don Quichotte.Quelle fut la nouveauté de Spit-

zer ? Elève du grammairienMeyer-Lübke, et linguiste lui-même, il veut appliquer l'étudelittéraire, habituellement réduiteà ce que Spitzer appelle une pré-histoire (et qu'on pourrait nom-mer des ragots: Molière avait-ilreprésenté ses déconvenues conju-gales dans «fEcole des Fem-mes » ?), la méthode philologi-que. Cela implique que l'on metteà l'écart l'histoire littéraire et quel'on porte une attention, très nou-velle alors, -au texte, à son organi-sation syntaxique et à ses butsartistiques. Spitzer procède à par-tir de l'examen d'un détail stylis-tique dont la répétition lui pa--raÎt caractéristique. Il sera le pre-mier à utiliser la notion d'écart,à tenir compte des déviations sty-listiques d'un écrivain par rap-port aux normes.Bien que la définition de la

norme ne soit pas des plus aisée,Spitzer tire de la notion d'écartstylistique des conséquences psy-chologique et sociologique quisont de simples postulats: la dé-viation stylistique de findividupar rapport à la norme généraledoit représenter un pas historiquefranchi par f écrivain; elle doitrévéler une mutation dans f âmed'une époque, - mutation dontf écrivain a pris conscience etqu'il transcrit dans une forme lin-guistique nécessairement neuve(p. 54). (fi y a là comme un échoassez confus des lectures de Voss-1er et de Freud.) Si le passagede la linguistique à la psychologiedemeure assez aléatoire chez Spit-zer, c'est que le lien de l'une àl'autre n'est pas _déductif maisintuitif: par la somme d'obser-vations concrètes on arrive àf abstraction d'une «entité» sty-listique - et cette entité stylisti-

que mène à fintuition directed'une « entité» psychologiquedans fâme du poète. Les deux do-maines ne se recouvrent pas exac-tement; il se juxtaposent plusqu'ils ne s'impliquent.Quelque soin que Spitzer mette

à passer du détail décelé commesignificatif à l'ensemble de l'œu-vre, puis, par un mouvement com-plémentaire à revenir au détail,selon la méthoae qu'après Dil-they, il nomme «cercle philo-logique» (comme des détailsd'une langue romane on doitremonter au latin vulgaire commeprototype, et expliquer ensuite denouveaux détails par le proto-type supposé (p. 61) ; niais la no-tion de totalité en littératureest difficilement précisable), iln'échappe pas à la subjectivité.Le détail initial est, comme lepremier vers pour Valéry, don-né par les dieux: nous lisons,relisons un texte, et soudain unmot, un vers surgissent, et noussaisissons que désormais il y aune relation entre le poème etnous (p. 67). Il y a donc, à l'ori-gine de l'essai, une sensation, irré-ductible à toute justification, uneintuition fondamentale qui rendévident, par le bonheur intimequ'elle procure, le fait que le dé-tail et le tout ont trouvé leurcommun dénominateur (p. 67).-C'est à partir de là que se déve-

loppe l'essai avec une sCience con-fondante, et selon une méthodequi ne vaut pas mieux qu'uneautre. Un certain nombre deconvictions- déterminent les choixet les lectures de Spritzer : le he-soin qzwsi métaphysique d'arriverà la solution (p. 67) rend émou-vant son acharnement à décrypterles romans de Butor ; la certitudeque la poésie de Jaufré Rudel estla manifestation la plus émouvantede ce que j'appelais le «para-doxe amoureux» (p. 81) sous-tendtoute son argumentation ; il sem-ble partager avec Marivaux lacroyance que le cœur est une sor-te de génie naturel.Dans l'importante étude qui

sert de préface au volume, JeanStarobinski situe l'effort de Spit-zer et précise, avec autant d'in-telligence que de sympathie, seslimites, et par là même ce quinous attache à des lectures quidécrivent «un parcours inache-vable, à travers une série indéfi-nie de circuits ».

Jean Roudaut

C'est une somme, le résultatd'une réflexion qui porte surde très longues années (l'au-teur est né en 1893). Cetteprésente biographie n'est dureste pas la première appro-che tolstoïenne de Chklovski;déjà, dans le cadre de la cri-tique formaliste dont on saitqu'il fut l'un des chefs defile, il avait écrit: « Matériauxet style dans le roman deLéon Tolstoï: Guerre etPaix ».

Victor ChklovskiLéon TolstoïTrad. du russepar Andrée Robel2 tomes.Gallimard éd. 458 p. et 418 p.

C'est dans une toute autre pers-pective que se situe ce Léon Tols-toï: l'auteur ne s'adresse plus àun groupe de spécialistes mais augrand public. Il ne s'agit plus pourlui d'étudier les facteurs esthéti-ques d'une œuvre précise mais decerner un des plus grands écri-vains russes. Pour ce faire,Chklovski s'appuie sur les œu-vres de cet écrivain bien sûr,mais il emprunte de nombreuxéléments aux textes de Léninesur l'auteur de Maître et serviteur.C'est là une démarche habituelle,on le sait, pour tout écrivain so-viétique et aujourd'hui, il est àpeu près impossible de lire unecritique, une préface, une biogra-phie sans retrouver quelques ci-tations léninistes plus ou moins ensituation. Ici, elles sont, malgrétout, assez discrètes et si le livre,en dépit de son épaisseur (plus de800 pages), se lit très facilement,c'est qu'au départ, l'auteur est unvéritable écrivain: au travers -dela vie de Tolstoï, il se pose demultiples questions sur la genèsede l'écriture, sur le génie, sur l'artet l'actualité. Sa méthode criti-que n'est pas de celle que l'on at-tend d'un linguiste. Au lieud'une analyse phrase à phrase outout au moins œuvre à œuvre, ilréalise une étude synthétique com-me il avait voulu faire de la bio-graphie de Tolstoï un roman deTolstoï: son essai se présente eneffet comme un long fleuve lentet riche plein de méandre-s etd'accidents de parcours.

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Tolstoï, par ChklovskiDès les premiers chapitres, la

maison de IasnaÏa Poliana où Tol-stoï passa presque toute sa vie, levieux divan, le parc, tous ces dé-tails concrets nous sont décrits mi-nutieusement. Il pose le décorcomme un bon romancier : la tra-gédie que constitue toute vied'homme peut commencer.Chklovski va mettre ses pas

dans les pas de son modèle, del'intérieur et de l'extérieur. Si lestoutes premières années de la viede TolstOÏ semblent sereines, mal-gré la mort de sa mère, il est si-unificatif - Chklovski le souligne;ans pour autant faire appel à lapsychanalyse - qu'un des pre-miers souvenirs de Tolstoï se rat-tache à sa privation de sa liberté :il est probablement emmailloté etse souvient très nettement de cet-te impression affreuse: «Je vou-lais ma liberté, ma liberté nelésait personne et on me suppli-ciait. Chklovski fera le lien en-tre cette privation et celle quiassombrira sa vieillesse et le pous-sera à fuir sa maison presque in-hospitalière.Et nous suivons Tolstoï pen-

dant son adolescence lorsqu'il en·tend se fixer des règles de vie,tout au moins des règles de tra-vail ; il se forge des programmesd'étude, il tient un compte minu-tieux de toutes ses erreurs et deses failles. Si pour lui, la vie n'estpas simple, c'est aussi, comme ledit Chklovski dans cette «auto-analyse que mûrit le ta-lent du futur écrivain.Ne sachant trop à quoi em-

ployer ses forces, le jeune hommepart se battre au Caucase à l'heu-re où cette région venait de sesoulever contre les Russes quivoulaient la coloniser. L'absurdi-té, la cruauté de la guerre ferontde lui un apôtre de la non-violen-ce.Et puis il écrit. C'est Enfance,

sa première œuvre. On y trouvedéjà un des principes de lation tolstoÏenne: «chaque chapr.-tre ne doit exprimer qu'une seulepensée ou qu'un seulC'est sur ce même schéma queChklovski a fondé son ouvrage :chaque chapitre, relativementcourt. est consacré soit à un épi-sode 'de la vie de Tolstoï soit àune de ses évolutions spirituellessoit aux circonstances de la ré-daction d'une œuvre.Nous suivons Tolstoï à Sébasto-

pol où il trouve sa voie définitive :

TolstOÏdistribuant desaumônes.i despaysannes.

il écrira. Jusqu'à la fin de sa vie,il restera persuadé que «fessen-tiel, c'est f activitéCette activité, il l'appliquera nonseulement à défendre sa concep-tion du monde: les troubles etles bouleversements d'une époquepré-révolutionnaire l'obligent àprendre parti même à son corpsdéfendant: «Afin de vivre dansfhonnêteté, ü faut s'engager, sebattre... La tranquillité n'estqu'une bassesse de f âme.

Il faut croire que Tolstoï n'eutjamais l'âme ba88e car cette tran-quillité, il la connaîtra de moinsen moins au fil des années: nonseulement la situation sociale enRussie se dégrade mais sa propresituation devient affreuse. L'écri-vain cherche désespérément dessolutions à des problèmes insolu-bles, tels le paupérisme, la reli·gion, la possibilité de concilier savie de famille, sa vie de proprié-taire avec ses exigences moraleslesquelles impliquent la distribu-tion des biens.Cet homme infatigable, entou-

ré d'une nombreuse famille, dedisciples, est seul. TI n'a personneà qui parler dans son entourage.Que faire? Il écrit, comme tou-jours : Chklovski sait nous émou-voir en évoquant cette solitude.On voit Tolstoï supporter très malla surveillance de sa femme quiprofite de la moindre occasionpour lire ses carnets personnels etlui en faire de violents reproches.Pourtant, Chklovski s'efforce defaire la part des choses. Si sonadmiration évidente pour l'écri·vain et pour l'homme est sensi·ble tout au long de ces pages,il ne condamne pas pour autantl'épouse et il tente même parfoisde la justifier: peut-être est-celà sagesse et compréhension dela part d'Un homme qui a lui-mê-me beaucoup vécu.En fait, l'entreprise de Chklov-

ski est sans détours : «démontrer

TolstOÏsur ses terres,â lasnaÏa PoUana

que dans ses œuvres et dans sesarticles Tolstoï ne fait qu'un seulhomme. Mais ce seul et mêmehomme est en contradiction aveclui-même comme à la jonction desgrandes époques, les hommes sonten contradiction avec eux-mêmes.Et cette contradiction, c'est celledes héros de la tragédie grecqueTragique est en effet la longue

vieillesse de TolstOÏ sur laquelleChklovski s'est longuement éten-du ; les départs du vieil homme,ses retours, les diverses rédactionsde son testament. Il ne nous épar-gne rien. De même que TolstOÏse penchait sur ses héros à l'ap-proche de la mort pour tenter depercer le secret de celle-ci, demême Chklovski suit pas à pasles dernières démarches de Tols-toï, s'attache à la moindre ciro.constance, semble fasciné parl'agonie d'un homme que son gé-nie et sa vitalité faisaient croireimmortel. De là, cette légère dis-proportion entre la peinture dela vie de Tolstoï et celle de savieillesse et de sa mort.A la fin de sa vie, TolstOÏ, las

de tous les compromis qu'il a dûaccepter, n'a cependant jamais re-noncé à ses idées, même les plusutopistes. «Le bonheur, c'est devivre pour les autres », écrivaitTolstOÏ. Chklovski a dû êtreextraordinairement heureux en ré-digeant cette étude : lui, écrivainbien personnel, s'est mis entière-ment au service de l'auteurd'Anna Karénine. D'une étude, ila fait un livre d'amour. C'estvraisemblablement ce qui rendsa lecture si attrayante.

Yolande Caron

La Quinzaine littéraire, du 16 au JI mai 1970 15

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IlXP081TION8

L'exposition

1Henri MatisseExposition du CentenaireGrand PalaisAvril-septembre 1970

Dans les années d'après-guerrequi établirent sa gloire, le peinetre des Odalisques n'était pas In·gres, mais Matisse. Jellnes fem..mes alanguies, fenêtres ensoleil·lées et philodendrons étaient lesattributs d'un hédonisme volon.tiers tricolote et opposaf»le à .l'existentialisme et à l'abstractionque toute une génération décou·vrait alors. Image aimable et ras·surante- à laquelle s'ajoutait celled'un vieillard à la barbe bienpeignée, au regard cerclé d'or quiterminait ses jours en découpantdu papier pour décorer une cha·pelle. Matisse était célèbre maisson œuvre plus dispersé qu'au-cun autre à travers le mondeétait pratiquement inconnu. Ainsis'était établie une équivoque debon aloi que vient pulvériser,pour la plus grande gloire de Ma·tisse enfin démontrée, l'expositionorganisée pour le centenaire desa naissance.Il est évident que la levée de

cette hypothèque a été la préoc.cupation majeure de PierreSchneider qui a magistralementconçu et réalisé cette exposition.Il fallait avant tout réunir l'œu·vre qui s'étale sur soixante ans:elle est là, dans ses pièces maî.tresses, provenant presque totale-ment de collections particulièreset de musées étrangers. Il fallaitaussi l'accrocher: jamais accro·chage ne fut plus intelligemmentattentif au peintre et au visiteur.Il l'image même de la pléni.tude de l'œuvre, de ses bonds,de ses replis ; à la plate démons·tration chronologique, il substitueles rapports de Matisse et de lapeinture, ce combat de toute unevie dont il sort vainqueur avecles papiers découpés; il solliciteenfin par des rapprochements,des contrastes, l'attention du visi-teur qui n'est pas convié à regar·der, mais à entrer dans une œu·vre qui va bien au-delà des éti·quettes don' on l'affuble pour lacommodité d'une culture dite gé.nérale.

L'œuvre de "Matisse est la re-cherche d'un langage et de sonécriture établissant la relation aunh'eau de ce qu'il appelle rémo·

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Arbre

tion, langage qui n'a pas à tra·duire des sentiments (interprètesd'une émotion), mais qui lestransmue en une perception di·recte et totale de l'objet mêmede la communication. «Il y adeux façons de décrire un arbre,écrit-il à" son ami Rouveyre:1) par le dessin d'imitation com-me on l'apprend dans les écolesde dessin européennes; 2) par lesentiment que son approche etsa contemplation nous suggèrent,comme les Orientaux. » Ainsi, dugrand dessin de 1951 Arbre(no 210) dont on sent qu'il est àla fois la contemplation et lachose contemplée et qui interdittoute interprétation en les offranttoutes. Ainsi également de laPiscine de 1952. (no 225) à la-quelle nous reviendrons, car cen'est pas seulement dans les der·nières années qu'apparaît ce lan-gage dont la manifestation toutau long de l'œuvre définit le gé.nie de Matisse.

Ce qui frappe dès l'entrée del'exposition, c'est le sérieux de

Matisse, de ce jeune homme dé·couvrant relativement tard leplaisir de peindre, qui s'appliqueà copier Chardin, Ribéra, Frago-nard ; qui 'devient artiste en fré-quentant les Académies et enétant attentif à ce qui se fait au·tour de lui, peintre lorsqu'ilécoute le conseil de son maîtreGustave Moreau: «Simplifiez », etdécouvre le moyen pour lui d'yparvenir: la couleur. La premiè-re salle reflète d'une façon éton·nante la turbulence de ses expé-riences, la diversité des influen·ces qu'il reçoit (Manet, l'impres-sionnisme, Turner dont il voitl'œuvre à Londres, au cours d'unbref voyage) et l'évolution rapidede sa peinture, des convention-nelles natures mortes du débutaux paysages bretons qui l'intro·duisent à la couleur avant que laCorse lui en apporte l'éblouis·sante révélation; C'est alors unevéritable explosion (Coucher desoleil en Corse, nO 26), un débor-dement auquel succède un tempsd'ascèse, de reconstruction, pre-mière manifestation d'une aui·

tude qui sera constante chez Ma·tisse. Il se met à l'école de Cé·zanne (Homme nu, n° 34), entre-prend ses premières sculptures,essaie de discipliner la couleurpar tous les moyens : pointillisme(Buffet et table, nO 29), géomé.trisme (Intérieur à l'harmonium,nO 33), pour finalement s'y aban-donner dans un faux-pas, le néo-impressionnisme. (Luxe, calme etvolupté, nO 55.) Mais très vite, ilfait éclater ce divisionnisme quine peut lui convenir, révélantainsi son besoin de synthèse, pre-mier pas vers la simplification.

Simplifier, oui, mais pour signi.fier. L'art, pour Matisse, n'estpas délectation mais médiation:«J'ai compris que tout le labeuracharné de ma vie était pour lagrande famille humaine à laquelledevait être révélée un peu de fraî-che beauté du monde par monintermédiaire », dira-t-il dans sesdernières années. Il ne s'agit plusd'imiter, mais de faire participer.de transmettre l'intrinsèque véritédes êtres et des choses, perçuedans sa globalité et non par l'ana-lyse. Or la forme isole et la cou-leur harmonise et Matisse, qui nepeut sacrifier l'une à l'autre, neles conciliera qu'à la fin de savie, mais ce ne sera pas dans lapeinture! Pour le moment, lecombat s'engage et il en naît lefauvisme. La toile est totalementlivrée à la couleur (la Femme auchapeau, nO 70; l'Idole, nO 81)à charge pour elle d'équivaloir lesvaleurs et les demi-teintes défi·nitivement bannies et plutôt quede reconstituer le sujet, restituerl'émotion qu'il provoque. «Tan·tôt, écrit Pierre Schneider, la cou·leur construit le motif (Margot,nO 76), tantôt elle le dévore, lefait voler en éclats (Intérieur àla fillette, nO 71). Nouvelleascèse, nouvelle simplification : laligne réapparaît, plus ou moinspéremptoire (Marin II, nO 82),pour endiguer cette anarchie muleticolore, verrou provisoire quisaute avec la Desserte rouge(no 89). Dans cette grande toilequi fut d'abord bleue (ce quimontre que plus que la couleurc'est sa fonction qui intéresse Ma-tisse), la tapisserie du mur et lanappe volontairement identiques,,escamotent purement et simple-:ment la tahle, et cependant l'im·Iposent au point de rendre les,chaises inutiles au premier regard.

Page 17: Quinzaine littéraire 95 mai 1970

Matisse Dans lesgaleries

Le lieu est dit et non pas décrit,de même que sa fonction l'estpar une servante et des fruitsparfaitement anonymes. Touteréférence à la quotidienneté estsuper1lue, la communication déjàs'établit sur le plan de l'inexpri-mable. Mais si l'on sent bienqu'un nouveau langage s'élabore,on devine aussi que le décor d'ara-besques et la fenêtre même sonten quelque sorte des béquilles.Avec la Danse (nO lOI) et la Mu-sique (no 102), les amarres sebrisent: trois couleurs, bleu,rouge, vert, des couleurs qui des-sinent,enfin! C'est un instantcapital qui confirme la validitéde la recherche mais en gommeles limites, le sommet entrevumais pas atteint, le champ élargioù tout. est à réinsérer. Une pé-riode commence, extrêmement fé-conde, caractérisée par la réinté-gration des formes et des cou-leurs et la déIIJultiplication deleurs rapports. A travers une sé-rie d'éblouissants chefs-d'œuvre,Matisse invente son écriture, es-sentiellement mouvante car ilrécuse toute codification.« Le signe est déterminé dans le

moment que je l'emploie et pourl'objet auquel il doit participer.C'est pourquoi je. ne peux àl'avanée déterminer des signes qui

ne changent jamais et qui se-raient comme une écriture: ceciparalyserait la liberté de mon in·vention. :. Ecriture qui défie doncl'analyse et ramène impérative.ment au sujet, véritable clé ce-pendant de cette communicationqui s'établit au-delà des mots.Que djre en effet du Portrait deMme Matisse (no Il2) et des deuxtoiles qui l'entourent: les Pois-sons rouges (no 107) et la Fenê-tre bleue (nO Ill) et de tant d'au-tres : La leçon de piano (no 145),le Rideau jaune (no 128), Portraitde Sarah Stein (nO 135), Violo-niste à la fenêtre (nO 156), lesGlaïeuls (nO 177), Jeune femmeau collier de perles (no 193), etc.Rien d'autre assurément que cequi est dit.Mais cette écriture porte en

elle-même sa propre aventure.Tous les signes créés par Matisseau long de son œuvre l'ont étédans des conditions elles aussidéterminées et déterminantes,qu'il appartiendra sans doute àPierre Schneider de mettre à jourdans la biographie critique qu'ilprépare, et dont sa préface aucatalogue est le remarquableécho.Matisse se trompait lorsqu'il

voyait dans la Chapelle de Vencel'aboutissement de son œuvre;

l'équilibre recherché et obtenu dudessin et de la couleur procèdeencore d'une dualité qu'il allaitlui être donné de dépasser. Lesgouaches découpées sont le fruitiniraculeux de soixante années derecherches, rémotion de toute unevie dirigée sur la connaissancesans cesse approfondie de la na-ture, des êtres et des choses etle désir de la transmettre. C'estle cheminement interne de tousles signes et des gestes qui lesont tracés qui s'épanouit dansune liberté totale et sereine. Toutest mouvant dans Acrobates(no 224) et la Piscine. L'espacen'est plus contenu et se recrée àchaque instant; les quatre côtésdu cadre que Matisse jugeait lapart la plus importante du ta-bleau ont sauté, la fusion de laforme et de la couleur est totale,c'est le signe ultime: celui de laplastique pure.

Marcel Billot

L'exposîtion du Grand Palaisprésente également des sculptu-res qui font de Matisse un desgrands sculpteurs m 0 der n e s.L'œuvre gravé est présenté à laBibliothèque Nationale et l'onpeut voir des dessins chez DinaVierny, rue Jacob.

Papillons

Sans doute Dali n'a-t-i1 pas vouluêtre en reste avec Mathieu, auteurheureux d'une .série d'affiches pourAir-France, puisqu'il a offert, avecpompe, à la S.N.C,F., six affichespour l'Auvergne, Paris, les Alpes,Strasbourg, la Normandie et le Rous-sillon, exposées le 29 avril, gare deLyon, Mais il eût fallu pousser l'ému-lation jusqu'à observer (comme Ma-thieu), les lois du genre, c'est-à-dIreproposer aux foules voyageuses desimages lisibles, synthétiques, attrayan-tes et présentant un minimum derapport avec le signifié à évoquer.(A cet égard, le fonctionnement desimages-signes de Mathieu, préciseset ouvertes à la fois, était exem·plaire,)Hélas, c'est davantage à rester

chez soi devant la télévision qu'inci-tent ces bricolages, ou plutôt ces« démo-collages " collages pour lepeuple, gratuits donc, sans raison nidéraison, ramassis hasardeux desponcifs daliniens. La Normandie, c'estCadaquès, le Roussillon une gare (oùparaît-il Dali trouva la grâce), Stras-bourg une mince évocation de gothi-qoe relevé par un vrai morceau dedentelle (cf. dentelle de pierre) etun ange-horloge. L'unité des six affi-ches est donnée par un semis depapillons sortis tout droit des AltasBoubée: la lépidoptérologie est sansdoute le gracieux symbole du loisirdans la société industrielle.Devant ces tristes -bricolages, on

croyait à peine au souvenir de l'hiver,à ces quelques toiles exposées gale·rie Knœdler, où la poétique dall-nienne ne jouait de nouvelles écri-tures picturales. Heureusement, laS.N.C.F. avait eu - et vraisemblable-ment sans malice - l'idée d'assem·bler autour de ce « cadeau. une sélec·tion des affiches qu'elle « commanda.autrefois à de vrais affichistes ou àdes grands peintres plus modestes- ou moins méprisants. Et c'étaitun bonheur de suivre un demi-sièclede graphisme des Alpes de Capielloà l'Alsace de Hanoi, à la Normandiede Dufy, aux Vosges presque chinoi-ses de Théo Doro et même au Parjsde Bernard Buffet.

F. C.

Guy Harloff

Le sous-sol d'une galerie d'avant-garde est transformé en labyrinthepour présenter les dessins précieuxd'Harloff. Toute la richesse baroqueet les splendeurs de l'Orient - per-Ies, pierres précieuses - enluminentces compositions, enchâssent lessymboles sous la présence multipliéede J'œil-joyau de l'artiste, tandis que,des inscriptions - cris, explications,anathèmes? - s'enlacent ou écla·tent. On a ici une belle rétrospectivechronologique d'une œuvre herméti-que et ésotérique qui se situe toutà fait à part.(Galerie Claude Givaudan, jusqu'au

23 mal.)

La Quinzaine littéraire, du 16 au 31 mai 1970 17

Page 18: Quinzaine littéraire 95 mai 1970

Galeries

PHILOSOPHIE

La philosophie., .SOVIetIquepar François Châtelet

On voudrait que ces philosophes, lecteurs préten_

dûment assidus de Marx, d'Engels, de Lénine, de

Staline, soient autre chose que ces totons universi·

taires qui ressemblent, en moins bien, à la grande

majorité de leurs collègues européens et américains.

Naves

Saviez-vous que l'isorel peut pré-senter sous nos d!>igts à la fois leduveteux de l'abricot ou la froideurdu métal, le feutré d'un tissu oula rugosité du vieux bois; mais aussibien le poli d'un cadre doré (ornéde lézards décoratifs) ou le contactrèche du ciment? C'est avec toutesces sensations tactiles remarquable-ment maîtrisées que Naves organise,à la scie et au marteau, ses compo-sitions-assemblages autour d'anecdo-tes décrites avec un humour caus-tique: la verticalité est-elle indiquéepar cette lampe-poire suspendue etest·iI vraiment impossible d'accrocherce tableau droit? Ouant à l'araignée,pourquoi est-elle plus mystérieuseque la nuit du Luxembourg?(Galerie Stadler, 51, rue de Seine'

jusqu'au 23 maL)

Naves,' L'énigme du front de mer

Comparaisons

Mai, et avec lui, fidèle à lui-même,le salon Comparaisons, qui s'intitule• Tout l'Art actuel -. Ou 'en dire deplus cette année, sinon que l'ac-cumulation d'œuvres souvent médio-cres est encore plus triste dans lessous-sols des Halles que sur lesmurs du musée d'Art moderne (et cen'est pas peu dire ...)? Comme tou-jours, quelques artistes de qualité -locomotives tirant les wagons demarchandise de la peinture-pompier- cautionnent ce magma, Mais faut-ilse déranger pour voir un ancien Soto,ou un fort beau Cupsa, que l'on peutvoir ailleurs? Car pour ,les décou-vêrtes, je vois mal comment l'œil,lassé dès les premières salles, peutêtre séduit.(Jusqu'au 31 maL)

Nicolas Bischower

Bernard JeuLa philosophie sotnetlqueet rOccident. Essai sur lestendances et la significationde la philosophie soviétiquecontemporaine (1959-1969)Mercure de France, éd. 556 p.

, C'était une hO,llDe idée que deporter à la: connaissance du pu.hlic occidental la fonne, la na-ture, le contenu de la philosophiesoviétique. Original dans sonprojet, Bernard Jeu, dans unethèse ahondante, s'est attaché àanalyser, avec heaucoup de préci-sion et appareil de références fortsérieux, les tendances et la signi-fication des puhlications se récla-mant, en U.R.S.S., de la philoso-phie - et cela entre 1959 et1969. Les quelque cinq cent cin-quante pages: pouvaient laisserespérer que nous allions avoir en-fin accès à la prohlématique desthéoriciens d'Union soviétique,mystérieuse dans son ensemblep.our la plupart d'entre nous;nous connaissions, directement ouindirectement, allusion ·ou parindiscrétion, les déhats concernantla ,littérature, la musique, lesquestions nousétions saturés d'informations poli-tiques. Peut-être allait apparaîtrecette philosophie - se récla-mant du marxisme-léninisme -,qu'il était hien difficile de lire,même entre les lignes, dans lesdéclarations et les articles desresponsahles politiques et idéolo-giques.

Et le lecteur est fort satisfait,au déhut. Il apprend, avec intérêt- il ne sait trop encore quel in·térêt il' y a à cela - que sixthèses de, doctorat de philosophieont été à Thilissi (pourquarante et une à Moscou et troisà Léningrad) au cours de l'année1964-1965; que durant la mêmepériode, le titre équivalent à ce-lui d'agrégé en France était attri-bué à cent -soixante-neuf candi-dats à Moscou, mais dix à Bakou,neuf à Alma.Ata, quatre à Erivanct trois à Douchambé, entre au-tres centres universitaires. Il seréjouit de cette régionalisation.Ce que- lui apprenait déjà l'ana·lyse «objective» de G. A. Wet·ter, écrivain douchamhé: « ... enUnion soviétique, la littératurephilosophique spécialisée a témoi-

gné dans les années après la mortde Staline d'un essor prodigieux»se trouve confirmé. Au Congrèsde l'Académie des 5 cie n cesd'U.R.S.S. de 1958, fut adoptée«une série de mesures pratiquesqui devaient pennettre de cons-tituer la hase matérielle néces-saire à l'apparition d'une penséephilosophique : et dès 1962, «oncomptera plus de quatre.vingtsdocteurs et deux mille agrégés enphilosophie »...

Mais Bernard Jeu, soucieux desrègles de l'historiographie classi-que, ne se contente pas de ces

informations et de ces remarquesstatistiques. Dans un rappel -un peu court, il est vrai - dupassé philosophique de l'Unionsoviétique, il revient sur les dis-cussions de Dehorine et d'Axel-rode, sur les débats portant surl'interprétation de Spinoza et deHegel. Et, avant d'entrer dans lecontenu même - la philosophiesoviétique au cours de ces dixdernières années -, il dégage unproblème général. Trois termessont en présence: les sciences,l'idéologie, la philosophie. Lespremières sont définies d'une ma·nière fort schématique, commeétant ce grâce à quoi l'hommepeut agir sur le monde; la se-conde est entendue comme l'équi-valent du discours politique;quant à la troisième, elle n'est

qu'une dénomination extrinsèquè,un cadre, que la suite de l'ana-lyse aura à remplir, étant bienentendu - précise Bernard Jeu- qu'elle est et qu'elle ne peutêtre que marxiste-léniniste.Dès lors, en bon historien pétri

de la méthode cumulative, «ajus.tative », descriptive et anecdoti-que, caractéristique de l'historio-graphie philosophique française,Bernard J eu se livre à une com-binatoire savante de citations etde références. Et, du coup, la lo-gique et l'événement se renfor-çant, s'installe une prohlématiqued'ensemhle. Ce qui retient la phi-

losophie soviétique post - stali-nienne, c'est d'abord la questionontologique, celle de l'infini, _dela matière, du progrès. Celle·cidébouche, hien vite, sur l'interro-gation morale, et, du coup, setrouve posé le problème de lavérité... Le détail : il est navrant.Ces philosophes soviétiques, pour« libérés» et « régionalisés »qu'ils soient, coincés entre l'idéequi continue à leur être imposéepar l'héritage stalinien d'une on-tologie marxiste et les exigencesd'une pensée ayant à souscrire àdes régulations pédagogiques nor-males, sont réduits à une déso-lante scolastique. Les discussions,dont Bernard Jeu rapporte méti·culeusement les modalités, sont,si on les prend au pied de la let-tre, un mixte incertain de suhti·

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\ HISTOIRB

De Guillaume IIHitler

P.L. MUILLEI DO 159L'irrationalisme eontemporalnScbopenbauer, Nletzcbe, Preud. Adler, Jang, Sutre 4,35 F

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0101811 LIllllC DO 180Issals sar les problèmes soelallsteset spdlcaalPu le colèbre blstorlen du mouvement oumer 7,20 FCatalogue sur deDWide aux BdiÜODS PayotBenieeQ1. lOI, bd laiut-Oermain, ParisS·

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gées un an plus tôt par le princeSixte-Bourbon.Les projets des dirigeants aIle·

mands traduisent la volonté ex-pansionniste d'une puissance in-dustrielle, tard venue dans lacourse à l'hégémonie, mais qui,grâce à ses aptitudes propres(charbon, potasse, etc.) et grâceà un effort d'analyse rationnel dudéveloppement économique, ima-gine les moyens qui lui permet-tent de rattraper ses concurrents,de les concurrencer, de les mena-cer même dans leur existence pro·pre: de la même façon que l'An·gleterre et puis la France avaientpu, au stade précédent, paralyserle développement d'autres petitesnations.La différence est évidemment

qu'au stade de développement oùl'on se trouve à la fin du XIX' siè-cle, seule une globale del'avenir du monde permet d'orien-ter la production, de la rationali-ser. Le concours des sociologues,

BOBIRT CORDVINHIstoire de l'lIrlqaeDea origlDea à la 2"perre mond1ale

PETITE BIBLIOTIIEQUE PAYOT

IIICIIL PDOrrLa terre et l'organisation soelaleen Polp6sleUne enqu6te sur le terraID pu an jeane etlmolope,élève de Léri·Stra1lll 29,70r

Dr 1. IIIIDIIDe la psychualJSeà la psychoth6raple appellative 21,80 rbpérlence en p8Jcbothéraple de courte et lonpe durée

des dirigeants allemands depuisla fin du XIX" siècle, le phéno-mène est lié à un stade précis dudéveloppement des rivalités entreles monopoles; on découvre desaspirations équivalentes chez lesdirigeants d'autres peuples, maisproportionnées à la puissance deleur pays et reflétant ses poten-tialités ; simplement, hors d'Alle- ,magne, il y a peu d'historiensaussi courageux que Fritz Fischerpour oser révéler ces ambitions.

Ainsi, il est certain que les butsde guerre des dirigeants françaisen 1914 étaient à la mesure d'unpays dont le développement étaiten voie d'essoufflement. Leursobjectifs ';nt été en partie satis-faits par le traité de Versailles,mais les ambitions de certains di-rigeants allaient, plus loin: ilsenvisageaient de «briser l'Empi.re allemand », Poincaré allantjusqu'à offrir la Silésie et la Ba-vière à l'Autriche.Hongrie, lorsdes négociations secrètes enga-

Il a fallu beaucoup de courageà Fritz Fischer pour publier untel ouvrage en 1961. Il y avaitalors tout juste quinze ans quel'Allemagne nazie avait été écra-sée et les dirigeants de Bonn ima-ginaient toutes les explicationspour faire comprendre aux vain-queurs comment ils avaient étéséduits et trompés par le nazisme;et puis il avait été trop tard ettoute lutte contre Hitler était de-venue vaine. Aujourd'hui encore,dans les Damnés, l'aristocrateVisconti montre comment, dansune société, des pervertis glissentau nazisme, comme si les perver-tis étaient les seuls responsablesdes crimes que la société a pucommettre. Or, il n'en est rien. Ilfaut remonter bien plus loin pourrepérer les premiers signes dela dégénérescence globale dontchacune des deux guerres mon-diales a été la manifestation tra-gique.

Que les deux guerres mondialessoient indissociables, qu'il faillerechercher leur origine dans lacrise du capitalisme et dans leconflit des impérialismes à la findu XIX" siècle, voilà que FritzFischer montre avec force. Pourlui, entre les buts de guerre deHitler et ceux de Guillaume II, ilY a continuité, même si des mo-difications, dues à la conjoncture,ne permettent pas de conclure àune parfaite identité. Ainsi, certai-nes des données fondamentales del'idéologie du système bitlérien,qui passent à tort pour spécifi-ques, puisent en vérité au fondd'une tradition qui remonte audébut du siècle. Pour un Alle·mand, affirmer cette permanenceest évidemment le fait d'un «'anti-patriote et l'on imagine avecquelle violence ont pu être atta··quées les thèses de cet ouvrage.

Faut-il ajouter que cette dé-monstration ne justifie en rienles thèses de ceux qui croientqu'il y a une,« éternelle Allema-gne» ou autres S'ilexiste une volonté de puissance

1Fritz FischerLes buts de guerrede r Allemagne impérialePréface de J. DrozTrévise, éd., 556 p.

Un fidèle reflet

lités logiciennes" d'informationsscientifiques hâtives et de certitu-des dogmatiques : elles se situentdans l'ordre de la métaphysiquetraditionnelle. Faut-il accuser Ber-nard Jeu de naïveté? N'a-t-ilpoint su lire entre les lignes deces textes qu'il rapporte des af-frontements profonds qu'ils im-pliquent ? On serait de l'es-pérer. On voudrait que ces philo-sophes, lecteurs prétendûment as-sidus de Marx, de Engels, de Lé-nine, de Staline, soient autrechose que ces totons universitai-res qui ressemblent, en moinsbien, à la grande majorité deleurs collègues européens et amé-ricains.

Or, il est probable que BernardJeu n'est rien que ce qu'il a vouluêtre: un fidèle reflet. Ce qu'il ditde la philosophie soviétique con-temporaine, c'est ce qu'elle est.Le post-stalinisme s'est accordéun luxe qui le réconforte (commela bourgeoisie de Louis-Philippeen, France, au milieu du siècledernier s'accordait de « signeextérieur de richesse _et cettegarantie de spiritualité): on« philosophe» en U:R.S.S. com-me partout ailleurs dans les Etatsdéveloppés; on discute allègre-ment de la liberté, de la nature,des lois de la dialectique ; on éta-blit des programmes d'enseigne-ment. A cette stupéfaction, le tra-vail de Bernard Jeu est l'expres-sion sincère.Reste ceci qui est peut-être plus

important: Samizdat 1 a révélé,dans la conclusion, que des cou-rants contradictoires, hautementsignificatifs du désordre soviéti-que, déchirent les intellectuels.Les philosophes seraient-ils àpart'? Ne sont-ils que des fonc-tionnaires auxquels le pouvoir aremis des prérogatives théori-ques.? En serait-il ainsi, n'y au-rait-il pas parmi eux des francs-tireurs qui écrivent ce qu'ils pen-sent de l'institution philosophiquepost-stalinienne et de la sociétésoviétique ?Bernard Jeu a écrit un premier

volume: la Philosophie soviéti-que et rOccident. Un second s'im-,pose dont le titre pourrait être,par exemple: la Philosophie so-viétique et la révolution.

François Châtelet

La Quinzaine littéraire, du 16 au 31 nrai 1970 19

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Fischer

ÉCONOMIE

POLITIQUE

FrançQÎs

1François PerrouxIndépendance de r économienationale et interdépendancedes nations

, Aubier-Montaigne, éd., 240 p.

des historiens, des géographes estune nécessité économique absolueet ainsi, ce n'est pas un ha-sard, si, précisément à cette date,l'Allemagne tient la tête dans ledomaine des sciences humaines :il n'est pas fortuit que Marx soit

Allemand.Ils sont ainsi, toute une cohorte

qui', dans les années 1890, annon-cent que l'âge des compétitionspacifiques entre Etats est passée.Gustav Schmoller estime que «ce-lui qui comprend que le cours de,rhistoire au xx· siècle sera déter-miné par la compétition entre lesRusses, les Anglais, les Américainset peut-être les Chinois, par leur'aspiration à réduire les autres na-tions au rang de satellites, celui-làverra dans une fédération de r Eu-rope centrale le noyau de quelquechose qui 'pourra sauver de la des-'truction non seulement rindépen-dance de ces Etats mais la vieilleculture européenne ». C'est l'idée,du Mitteleuropa qui constituerabientôt le premier stade auxquelstendront, successivement, Guil-laume II et Hitler.Le 'mérite de Fritz Fischer est

de que dès 1914, les butsde guerre allemands visaient à larédtrction de la France à l'état de

rurale dans une Europeallemande, une petite provinced'ailleurs, amputée d'un bon tiersde son territoire. Il montre égale-ment que les d'hégémoniemondiale ne sont' pas le fait dequelques militaires à la tête brû'lée mais que toute la société diri-geante les partage: des diploma-tes aux professeurs en passant,naturellement, par les industriels.L'énumération de ces objectifsn'est pas un exercice vain, bienque pour l'essentiel, ces buts deguerre aient été formulés dans lefeu de l,'action. L'Allemagne visaità rien moins que la, constitutiond'un empire qui irait d'Ostendeau Caucase, à l'empire turc et àl'Afrique centrale, de Madagascaraux Indes néerlandaises, du Brésil,à, Dakar. M;aître à penser de, Hit-',1er, Ludendorff les approuva, les,défendit devant les sc,eptiques.Quant à l'opposition, elle seraitneutralisée, car, disait Hugen-berg: «devant de telles an-nexions, les travailleurs reste-raient muets d'admiration ». Ils'agissait du même Hugenberg quiouvrit, bientôt, la route du pou-,voir à Hitler.

"Maré' Ferrp ,

20,

François Perroux n'est assuré-ment pas le moindre des écono-mistes français. Son nom, si l'onveut en désigner 11n de réputation,est depuis deux décennies le pre-mier qui vienne à l'esprit, et l'onvoit même mal quel autre onpourrait lui opposer. Il est pres-que le seul, avec, quelques écono-mistes mathématiciens à l'audien-ce plus étroite, à se trouver Citéavec quelque fréquence dans lestravaux étrangers, et à voir parexemple certains de ses écrits in-clus dans ces «Readings utili-sés dans les universités anglo-amé-ricaines. Sinon par son enseigne-ment direct - depuis de longuesannées, il ne professe plus à laFaculté mais au Collège de Fran-ce - au moins à travers ses disci-ples, amis ou collaborateurs del'Institut de Science économiqueappliquée et les revues et travauX'qu'il anime, il exerce en Frànceun rayonnement indéniable.

Un nouvel effort de sa part nepeut laisser indifférent. Aujour-d'hui, en même temps qu'un livrede petit format, François Perrouxinterroge Hebert Marcuse, dont letitre évoque le contenu, il publieun ouvrage dont la couvertureporte «Indépendance» de la na-tion et dont le titre complet est« Indépendance de r économienationale' et interdépendance desnations. Comme les premières pa-gés l'indiquent, l'objet de l'ou-vrage est d'examiner, à la lu-mière de l'analyse et des réalitéséconomiques, la signification etles conditions de cette indépen-dance nationale, «aujourd'huihautement revendiquée par cer-tain gouvernement ». Il s'agitdonc, au départ, d'une réflexionéconomique sur l'un des objec-tifs majeurs, sinon unique, del'entreprise gaullienne. Toutefois,l'intérêt et l'actualité de l'étuden'ont nullement disparu avec cegouvernement ; tous ceux qui sontaujourd'hui au contact d'étu-diants savent qu'il n'est en faitguère de quéstions qui retiennentdavantage l'attention immédiateque celles de domination et d'im-

périalisme, d'indépendance et despossibilités des politiques écono-miques nationales. L'effort d'ana-lyse tenté par l'auteur doit d'ail-leurs, selon lui, pouvoir être ap-pliqué au cas des autres nationsoccidentales développées et éga-lement, moyennant adaptation,aux nations en voie de dévelop-pement.

Une emprise des.tructure

«Les inégalités entre les struc-tures, entre les nations, introdui-sent des déséquilibres dont nerendent aucunement compte lesprétendus quasi-mécanismes régu-lateurs du marché des capitaux. »Si l'on tient compte de ce quel'on n'est pas, en matière de com-merce extérieur comme ailleur!!,en régime de concurrence com-plète, qu'il existe des groupeséconomiques et financiers, dontles stratégies s'élaborent en liai·son avec celles de leurs propresgouvernements, on est fondé' àparler d'une « emprise de struc-ture» exercée' sur l'autre par lepartenaire qui a la plus fortestructure industrielle.La conclusion de l'analyse

n'est pas de conduire à une ap-probation sans nuance des politi-ques d'indépendance nationale.La réalité d'aujourd'hui est l'in-terdépendance des nations - letitre même de l'ouvrage le sou-ligne. Les innovations, les capi-taux, venus de l'extérieur, sontsouvent facteurs de croissance.Mais l'analyse montre « quer augmentation du taux de crois·sance éventuellement engendrépar le secteur entraînant soumisà décision étrangère» peut com-porter un passsif, par les effetssur les structures et les pouvoirsultérieurs de décision et d'entraî-nement qui en résultent. D'où lapréférence de l'auteur pour cequ'il appelle la ,« modalité fortede , l'interdépendance », formuleservant à résumer le contenu àdonner dans l'ordre économiqueà l'indépendance et à la politiquequi en découle. La stratégie ap-propriée ne doit pas être seule·ment défensive, mais doit se défi·nir dans la moyenne ou longuepériode, par un programme ouplan indicatif et actif de la na-tion tendant à réaliser une struc·ture préférée.

Par cette analyse, l'auteurdonne ainsi une justification d'en-semble a posteriori aux politiquessuivies en France ces dernièresannées, quitte à en critiquer dansle détail l'application. Cependant,on doit observer que le dévelop-pement des internatio-,naux est actuellement rapide(Perroux note, dans le cas de laFrance, que le rapport des échan-ges extérieurs au produit natio-nal va se relevant, mais sans beau-. coup souligner qu'il s'agit là d'unmouvement quasi-général) et ilne saurait être question de s'yopposer. Il est d'autre part diffi:cile de ne pas reconnaître qué,en France ou ailleurs, beaucoup,d'erreurs ont été commises cesdernières années dans la conduitede la politique des investisse-ments. Le besoin, par conséquent,est de crItères pratIques utilisa-bles dans la conduite' des opéra-tions. Les analyses du ProfesseurPerroux peuvent-elles fournir lecritère opérationnel demandé?Ce n'est pas certain. Toutefois,venant mettre en évidence quel-ques-uns des phénomènes dont ilimporte de tenir compte dansl'évaluation des décisions, ellescontribuent à relever substantiel-lement le niveau de l'information,et, à ce titre, devraient apporterune aide très positive aux hom-mes et organismes responsables. '

L'indépendanceculturelle

L'ouvrage se termine, après desremarques sur l'Europe, par unchapitre sur « l'indépendanceculturelle », où est évoquée lamenace de l'emprise que lesEtats-Unis - puisque c'est biend'eux qu'il s'agit tout au long del'ouvrage - représentent. pour laculture moderne. «L'Amérique,ni aucun super-grand, ni aucungrand, n'offre un modèle accep·table de la société pour la mas-se »; mais l'indépendance .cultu-l'elle, comme toute autre, ne niepas l'interdépendance. La conclu-sion générale est que «nul nepeut se dispenser d'une élabora-tion scientifique de rindépen-dance nationale et des modalitésde rinterdépendance entre desstructures organisées d'industrieset d'activités. économiques. ».

Philippe J. Bernard

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Perroux INFORMATIONS

Voici dix à quinze ans, onparlait beaucoup d'aliénation(Sartre, Goldmann, Lefèbvre).On désignait ainsi un état col-lectif de frustration résultantde l'inégalité économique etentraînant un désir plus oumoins violent de remise enquestion du monde...

1Françoi8 PerrouxAliénation et sociétéindustrielleColl. «Idée8;tGallimard, éd. 183 p.

Derrière ce terme d'aliénation8e cache, qu'on le veuille ou non,une image ou une repré8entation,confuse ou non, de l'e88ence del'homme. L'erreur trop souventcommise con8iste à confondrecette e88ence matérielle de l'homome (dont l'inégalité prive les indi-vidu8 de la joui88ance immédiate)avec le vieil c humani8me libé-ral qui pen8e l'homme 8ans cher-cher à le faire. .Depui8 le développement de8

doctrine8· contemporaines qui par-tent d'une réduction de l'expé.rience humaine au langage etdan8 le langage aux 8Y8tèmes, lemot d'aliénation perd 80n 8en8. Ilne s'agit plu8 de récupérer uneeS8ence matérielle, de jouir de8bien8 auxquels l'être vivant adroit 8uivant 8a propre nature,mais de définir le8 technique8d'arrangements permettant de réa·liser des configurations stables,masquée8 80U8 la confu8ion exté-rieure. L'idée d'homme matérielcapable· d'épai8seur exi8tantielle8'efface· et lai8se place au techni-cien du langage 8pécifique.F. Perroux prend le problème

à . l'envers. Certe8, 8a pensée 8erattache au courant 8aint'8imo-nien qui mit l'accent sur les capa-cités réprimée8 de création collec·tive humaine - et cela avec unein8istance qui marqua profondé-ment Marx. Mai8 la que8tion po-sée par ce bref manifeste e8t aufond de 8avoir 8i actuellementl'homme di8p08e des moyens depa8ser de l'aliénation réelle à lacréation collective p08itive.L'idée de faire de l'aliénation

une constante tragique de notreexi8tence devrait ici être rejetée :dans.. 8a 'polémique avec Marcu8e,

déjà, Perroux 8'étonnait de voirélever au rang d'une maladiemortelle et métaphY8ique, d'un« mal du 8iècle », le ré8ultat d'undé8équilibre provi80ire. Celatient 8ans doute aux définitionsab8traite8 que Hegel a 8uggéréesde cette aliénation où l'on nevoit plu8 en fin de compte quel'allure de péché originel.Or, «ce n'est pas le seul capi.

talisme qui aliène les existantsconcrets, les sujets. C'est findus-trie et les pouvoirs politiques def âge industriel. Il ne suffiraitdonc pas tEéliminer le capitalismepour éliminer faliénation. L'e8-8entiel est là dan8 cette incapa·cité de8 groupes à inventer de8forme8 collective8 neuve8 qui nemaintiennent pa8 un état de fru8-tration - même en changeant lesens des mots.Perroux pense donc que la

création collective ne peut 8e con-tenter d'être négative et de défi·nir négativement 80n objet - lenon-eapitali8me - qu'elle doit,par la convergence de8 «8ujetscollectif8 et individuel8, concevoiret con8truire une 80ciali8ationperpétuellement inachevée parceque perpétuellement en ge8tation.On dirait que 8e fondent ici deuxidées - celle du mutuali8meproudhonien et celle de la «ré-volution permanente» trotskY8te.Fusion féconde: ce n'e8t pa8dan8 la pureté conceptuelle dumusée idéologique que s'élaborentles instrument8 d'action mai8dans le méti88age de8 concepts an-cien8 et de8 8ugge8tions pré8ente8.Il exi8te donc une pratique dé-

jà con8tituée, pense Perroux, etelle 8e manifeste par trois com·portements typiques: la de8truc·tion collective de l'homme, la fa-brication collective de l'homme,la création collective de l'homme.Du choix qu'impliquent ces troi8technique8 déjà fortement élabo-rées, tout dépend préci8ément duprojet que nOU8 formulon8. Com·me le pharmacien fait le8 même8études que l'empoi80nneur, l'homome peut choisir, fût-ce 8a lentede8truction même.Le danger ne vient·il pa8 de

ce que la société industrielle a8uscité une contradiction plu8grave que celle des cla88e8, entremasses et élites techniciennes?Exi8te·t.il un peuple où ce8nière8 se fixent réellement commebut de « déprolétariser le8masse8? Voilà qui «dramatise

François Perroux

févolution de findustrie contem·poraine et qui désigne le redres-sement nécessaireCar ce8 «élite8 technicienne8

dè8 lors qu'elle8 8e pensent enterme d'efficacité, ne peuvent plu8admettre l'idée d'homme matérieldans 80n épai8seur (et même 8icertaine8 d'entre elle8 vont cher-cher l'alibi de Teilhard de Char-din !). Elle8 doivent dé8humani8erle 8ujet ou, plu8 précisément,« chosifier» le rapport humain,comme le néo·freudi8me réduit lacommunication au phallu8. Mou·vement général qui élimine le 8U-jet collectif ouvrier du Capital etréduit la Révolution à une 8tra·tégie de 8tructure8. Et qui, par là,maintient une «aliénation» dontconceptuellement et hypocrite.ment le concept est récu8é !De cette dialectique idéologi-

que, le livre de Perroux toucheun a8pect e88entiel. Peu impor.tent le8 présupposition8 phil08o-phique8 de l'auteur: l'économie,ici, retrouve le8 donnée8 maté·rielles d'une création collectivep088ible. Reste à 8avoir 8i cettecréation ne trouve plu8 80n pointd'application, comme le croit Peroroux, ni dans la clas8e ni d·ans legroupe élargi. Re8te à 8avoir 8i,dans un univer8 qui, me8urant lecoût d"'8 guerre8 générale8 et nepouvant plus provoquer san8 8edétruire un conflit absolu, 8e con-damne à la rivalité de8 impéria-lismes et par con8équent aux gué·rilla8, nOU8 traver80n8 un «âgenoir », ou 8i nOU8 voyons s'élabo·rer une 80ciété nouvelle. PourFrançois Perroux; l'e8pèce hu-maine n'e8t pa8 encore 80rtie del'animalité. L'homme n'est doncpa8 derrière nOU8 (comme le pen·8aient Rou88eau et Marcu8e) mai8devant nOU8. L'homme ou unmon8tre?

Jean Duvignaud

Livres politiques

Tandis que dans la collection • Pers·pectives économiques. de Calmann-Lévy paraît u·ne étude économique deJean Parent intitulée Le modèle sué-dois, Rolf Nordling nous propose,dans la nouvelle collection • Manage-ment· de Fayard, une description del'organisation sociale et économiquede ce pays dans un ouvrage auquelil a donné le titre de La Suèdesocialiste.

Chez Julliard, Philipe de Saint-Ro-bert publie une étude sur la politiquefrançaise au Moyen-Orient et, en par-ticulier, sur la politique du généralde Gaulle: Le jeu de la France enMéditerranée.

Chez Robert Laffont paraît un do-cument de Natalia Gorbanevskaia surle fonctionnement de la justice enU.R.S.S., illustré par les pièces duprocès des manifestants qui protes-tèrent le 25 aoOt 1968 à Moscoucontre l'Invasion de la Tchécoslova-qule: Midi, place Rouge.

Aux éditions de Minuit est présentépour la première fois au public fran-çais l'ouvrage fondamental du grandéconomiste allemand Rudolf Hilfer-ding souvent cité jar Jean Jaurès etpar Lénine: Capital financier • Etudesur le développement récent du capl.talisme (collection • Arguments .).

Chez Plon, où paraît le tome Il desDiscours et messages du généralde Gaulle: Dans l'attente (1946-1958),Jacob Tsur, ancien ambassadeur d'Is-raël à Paris, président du Comitédirecteur du Fonds national juif et duConseil général sioniste, publie unessai IntitUlé Juifs, sionistes, Israé-liens.

A Edition Spéciale, enfin, Michel-Antoine Burnier et Bernard Kouchneranalysent ce qui s'est passé enFrance depuis mai ·1968 dans un do·cument intitulé: Les chemins de larévolte • mai 1970.

George8 Perec a tardé à nOU8envoyer la 8uite de son feuilleton.Il s'en eXCU8e auprès de n08 lec-teur8 qui trouveront dan8 notreprochain numéro la 8uite de W.

La Quinzaine, du 16 au JI mai 1970 21

Page 22: Quinzaine littéraire 95 mai 1970

POLITIQUE

Le jeune TrotskyPour tous ceux de ma gé-

nération, la lecture gloutonnedes écrits de Trotsky a étéune étape quasi-inéluctabledu procès de déstalinisation:à la fin des années 50, nousavions enfin, l'intelligencedisponible, lu pour elle-mêmel'immense œuvre dont nousn'avions jusque-là connu quedes bribes. parcourues d'ail-leurs en service commandé etavec l'unique objet de les ré-futer.

1Trotsky,Nos tâches politiquesTrad. revue et corrigéepar Boris Fraenkel.Pierre BeHond, éd.

Cette lecture gloutonne m'avaitrassasiée. D'autant que, touscomptes faits, l'observation de laRussie révolutionnaire (1917-1922)n'autorise guère à chezTrotsky la variante salvatrice pro-pre à consoler de la version sta-linienne du bolchevisme: sonplan de «militarisation du tra-vail» au printemps 1920 et saposition dans la discussion sur lessyndicats à l'automne de la mêmeannée - pour ne pas parler deson rôle à l'époque où il étaitencore le « Prophète armé »,s'orientait de manière à échappersûrement aux méthodes et recoursqui devaient disqualifier le systè-me de pouvoir stalinien (1).De ce texte de Trotsky on ne

connaissait en français que desfragments insérés par Souvarinedans son StaliTU3 (Plon, 1935), parIsaac Deutscher dans son Trotsky(Julliard, 1962), par Jean-JacquesMarie dans son édition du Quefaire? de Lénine (Le Seuil, 1966),par Jean Baechler dans sa Politi-que de Trotsky (Colin, 1968).En voici le texte intégral. De-

puis sa parution en russe en août1904 à Genève, il n'avait jamaisété traduit en aucune· langueni republié, même en russe, Trot-sky lui-même l'ayant désavoué.On devine les motifs qui com-

mandèrent cette dillcrétion deLéon Davidov.ith à l'égard d;unede ses premières grandes œuvrespolitiques: c'est que Nos tâchespolitiques est «l'opuscule accusa-teur le plus violent jamais rédigécontre Lénine par un socialiste

Dès lors que

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Trotsky eût décidé d'établir salégitimité théorique et politiquesur la proclamation de sa filiationdirecte et exclusive avec le léni-nisme, comment n'aurait-il pastout fait pour escamoter les preu-ves de ses divergences doctrinalesavec Lénine, preuves qu'enche ses adversaires staliniens n'ontcessé de brandir (dans la limitedu moins où il leur était avanta-geux de brandir encore des textesplutôt que des accusations infâ-mantes: en fait, dans le cas quinous occupe, si le texte est restéenseveli, c'est qu'il était sans dou-te trop prémonitoire pour qu'onen tirât argument à la place etcontre Trotsky.On a toujours tort, en matière

doctrinale, de subordonner la re-cherche de la vérité à des consi-dérations tactiques : il est en effetplausible que, sous peu, le plusgrand titre de gloire de Trotskyaura été d'avoir combattu le léni-nisme sur des points essentiels,d'aVOIr, jusqu'à son ralliement en1917, élaboré, sans et contreLénine, un «système de percep-tion et d'action» pleinement auto-nome et original, qui fait de luitoute autre chose que l'épigonerespectueux en quoi il a voulu setransformer, bref d'avoir été enquelque sorte, avant 1917, «mar-xiste-trotskyste », et non pas« marxiste-léniniste comme il sedéclarerà après qu'il eût été à lami-temps des années 20 «dé-sarméEn ce sens, la publication de

Nos tâches politiques illustre· et

C;lrte de pressede Léon Troslydilivrée par laPréfecture parisienne

renforce le sens du travail de JeanBaechler, travail hélas passé, mal-gré son intérêt exceptionnel, tropinaperçu parce que publié, dansune collection universitaire, enpréface à un choix de textes (2) :Jean Baechler en effet s'était pro-posé de «mettre en évidence l'ar-mature conceptuelle» du «sys-tème intellectuel» par lequelTrotsky percevait son temps et«les modèles d'action que cetteperception . de la réalité entraî-nait ». Ainsi faisant, Baechler arestitué «ce que cela pouvait êtrede penser à la manière de Trot-sky ; il a pu montrer comment,même si - loin de là - tousles éléments de sa logique ne sontpas de lui (Trotsky, pas plus queLénine, ne saurait être tenu pourl'inventeur de la lutte des classes,ou de l'impérialisme, ou d'unquelconque des grands thèmesspécifiquement «marxistes») ,Trotsky néanmoins a un systèmeclos qui lui appartient en propre :particularité qui d'ailleurs estseule de nature à expliquer sonincroyable obstination, sa résis-tance il l'adversité et, malgré biendes zigzags circonstanciels, l'im-perturbable continuité de soncomportement et de ses convic-tions fondamentales.Comme il arrive généralement

dans ce cas, ce système clos, Trot-sky se l'est formé et donné trèsjeune. Quand aujourd'hui ons'ébaudit dans les milieux infor-més de la maturité précoce denotre belle jeunesse, dont témoi-gne, par exemple, la poésie des

graffiti nanterrois, on devrait biense souvenir que Trotsky, quand ilferraillait ainsi contre Lénine,avait tout juste 24 ans. Et ce qu'ilcritique alors si furieusement,c'est l'ensemble des articles, bro-chures, discours que Lénine, autournant de la trentaine, vient derédiger ou de prononcer, entreautres: Par où commencer?(mai 1901), Que faire? (1902),Lettre à un camarade sur nostâches d'organisation (1902-1904),Un pas en avant, deux pas enarrière (1904), bref très exacte·ment cette partie théorique etpolitique de son œuvre qui justi-fie sans conteste qu'on parle deléninisme (alors que continue àme paraître amphigourique le« léninisme» de Lénine philoso-phe).Quel est l'objet de cette polé-

mique à laquelle tout ce quicompte dans le socialisme révo-lutionnaire russe de l'époque futmêlé - Axelrod, le «cher maî-tre» à qui Trotsky dédie sa bro-chure, Rosa Luxemburg qui in-tervient dans l'lskra de juillet1904 par un article intitulé «Ques-tions d'organisation de la social-démocratie russe» et reproduitdans la Neue Zeit (article auquelLénine a voulu sur-le-champdonner la réplique: «La cama-rade Luxemburg ignore souve·rainement nos luttes de parti etse répand généreusement sur desquestions qu'il n'est pas possible.de traiter avec sérieux », maisKautsky a refusé de publier cettefuribonde protestation), Plekha-nov qui écrit alors non moins ai-mablement que « Lénine n'a com-pris ni Kautsky, ni Engels, niMarx».On a voulu réduire la discus-

sion, dans la vulgate stalinienneultérieure, à la définition des cri-tères auxquels se reconnaît unmembre du parti, la définitionde Martov étant· vaguement pluslâche que la définition de Lénine.Il s'agit plus fondamentalement

de savoir qui fait l'histoire: leprolétariat, les masses, le partiou les professionnels qui en assu-ment la direction? Sam douteaujourd'hui un tel débat risque-t-il de se trouver merveilleusementépuisé s'il est vrai que, l'histoiren'ayant plus de sujet, personnene la fait mais qu'elle se fait:bien loin d'avoir à cesser d'inter-préter le monde pour se consa-crer à sa transformation, la seule

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Jacobet la"reprise individuelle"

Couverture du livre de poche pour un "Arsène Lupin "

activité qui ne soit pas strictementinsensée consisterait précisémentà en acquérir l'intelligence.On n'en était pas là au, début

du siècle. On voulait encore que,sinon Dieu ou la Providence, si-non l'Homme ou le Peuple oules Masses, au moins une classe;le Prolétariat, directement ou pardélégation, fasse l'histoire, enl'occurrence la révolution. Or,dans cette discussion, comme dansbeaucoup de celles qui eurentlieu ces années-là - en musique,en peinture, en littérature, enpsychiatrie ou en physique - onvit se profiler toutes les incerti-tudes et toutes les affres, toutesles alliances et toutes les rupture",des cinquante années suivantes. Enla matière, Rosa Luxemburg,Trotsky, Martov et ses menche-viks tenaient que c'était du de-dans de la classe que devaient naî-tre puis s'élaborer l'initiative his-torique et le cours de la révolu-tion. Lénine disait déjà que c'étaitlà spontanéisme trade-unionisteet dilettantisme artisanal, et qu'ilfallait que, de l'extérieur, selèvent des intellectuels sociaux-démocrates, que prennent les cho-ses en main, des révolutionnairesprofessionnels, tant au niveau dela formulation politique que del'organisation centralisée et uni-fiée.L'histoire, pour une fois, a

répondu assez clairement. Pourautant que quelqu'un l'a fait,Lénine «fit» la révolution, maisle système de pouvoir qui en dé-coula vérifia, déjà sous Lénine etinsolemment sous Staline, la sinis-tre prophétie du jeune Trotskyde 1904: «Ces méthode condui-sent l'organisation du Parti à se« substituer» au Parti, le Comitécentral à l'organisation du Parti,et finalement le dictateur à sesubstituer au Comité central. »Les autres furent des martyrs,

des victimes, parfois des compli-ces. Qui eut le plus beau rôle?Question assez futile car la seulequestion sérieuse est la suivante :y a-t-il une troisième voie?

Annie Kriegel(1) " faut reconnaître, à la décharge

de quiconque entend traiter de laRévolution d'Octobre qu'il est dèsl'abord handicapé par l'existencede ce livre éblouissant: l'HistoIrede la Révolution russe, écrit pré-cisément par Trotsky ,à Prlnklpode 1930 à 1932.

(2) Politique de Trotsky, présentée parJean Baechler, Paris, A. Colin,1968 (coll. U).

Alors que l'Assemblée vientd'offrir à l'arbitraire répressifle moyen d'inculper quicon-que aura été le témoin d'unrassembfement, sous le pré-texte fallacieux de protéger lepatrimoine de la collectivitécontre la violence des «cas-seurs », il apparaît, à "évi-dence, que la terreur sacréequi saisissait la société bour-geoise à l'aube du siècle de-vant la profanation de la sa-cra-sainte propriété, fait tou-jours trembler les " honnêtesgens ».

1Bernard ThomasJacobTchou, éd.

Comment ne pas lire dans lafabuleuse odyssée d'AlexandreMarius Jacob, ce précédent écla-tant qui enseigne que l'ordre éta-bli a toujours dérobé la sauve-garde des valeurs trébuchantes etsonnantes derrière celle des va-leurs morales ? ,Un enfant naît à' Marseille, le

29 septembre 1879, d'un père al-sacien, ancien cuisinier aux Mes-sageries Maritimes, déraciné surle plancher des vaches parce qu'ila promis à sa belle famille de neplus bourlinguer, et d'une' méri-dionale, Marie, abusée -par lessortilèges exotiques de l'ancienmarmiton. Sur la lubie de sonpère, l'enfant est confié aux soinsédifiants des Frères de l'Instruc-tion Chrétienne. A douze ans,pour échapper à l'enfer d'un foyerdésuni - Joseph, le père, noiedans l'alcool son inconsolablenostalgie des Tropiques et apaiseses accès de rage sur son épouse- Alexandre Marius décide dedonner corps aux mirages del'aventure dont J ules Verne, re-layant son père, l'a grisé. Pendantquatre ans, Alexandre Mariusverra ses illusions héroïques par-tir en lambeaux.C'est ainsi qu'en 1890, Jacob

embarque comme novice à borddu Thibet. Mais, très vite, il dé-chante, car la vie d'un mousse surun cargo est faite de corvées ha-rassantes dans une promiscuitédouteuse; en butte aux brimadesincessantes des officiers. Au coursde son expérience de navigant, ilest même engagé à bord d'unebaleinière pirate qui arraisonnedes navires en haute mer, pilleleur cargaison, massacre l'équi-

page. C'est par hasard qu'il échap.pe au sort des flibustiers qui fini·l'ont pendus haut et court. Il s'ar-rête de naviguer à quinze ansparce qu'il a contracté une fièvrepaludéenne dont les accès le fe·l'ont souffrir toute sa vie. De sabrève et riche carrière de mate-lot, Jacob a retenu l'humiliationque le plus fort fait subir au plusfaible, le trafic clandestin donts'enrichissent certains membresde l'équipage et des armateurs audétriment de leurs clients, la trai·te des noirs et des blancs, et, pen-dant ses escales, il a assisté à cer-taines opérations sanglantes entre-prises au nom de la civilisationblanche par les puissances colo-niales contre les populations indi-gènes. Il eut même l'occasion derencontrer Louise Michel, cettepassionaria communarde chantéepar Victor Hugo, qui tenta d'évan-géliser les Canaques de l'Ile Nou.C'est un cousin éloigné confié

à la tutelle de son père qui feralever chez Alexandre la ferveuranarchiste. La première rencon-

tre de Jacob avec le mouvementanarchiste eut lieu au cours d'uneréunion du groupe des Rénova·teurs, à Marseille. Il se lie avecles milieux libertaires où dominela figure de Roque. C'est ainsiqu'il devient typographe à l'Agi-tateur, feuille anarchiste de la ré-gion, participe à la compositiondu journal, fait la connaissancede Charles Malato, fils d'un com·'munard déporté en Nouvelle Ca·lédonie. Sa première arrestationa .lieu sur dénonciation d'un indi-cateur de police qui a répété lespropos incendiaires qu'il auraittenus au cours d'une discussionavec Roque. Il est inculpé pourdétention et fabrication d'explo-sifs que le mouchard avait glissésà son insu. Condamné à six ansde réclusion par la Cou'r d'Assisesdu Var, il purge, sa peine dansun asile d'aliénés.A dix-huit ans, ayant perdu

tout espoir de gagner «honnête-ment:t sa vie, il saute définitive-ment le pas pour devenir cet ,en-trepreneUl: de démolition con,tre

La Quinzaine littéraire, du 16 /lU 31 m/li 1970 23

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-

INFORMATIONS

Jacob

La QuinzaineIl.....1..

43 rue du 'fempl,', Paru 4,C.C.". Paris

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Hans Magnus Enzensberger sort,chez Suhrkamp, un livre document in·titulé Das Verhor von Habana. On ytrouve reproduit huit parmi les qua-rante interrogatoires publics que lesmembres d'un comité révolutionnairecubain ont fait subir à des prison-niers anti-castristes après l'invasionde la Baie des Cochons. En analy-sant, dans une longue préface, lecontenu de ces interrogatoires, En-zensberger a saisi • une occasion uni·que de dégager les structures men·tales de la classe dominante dans unesociété répressive fondée sur l'exploi-tation et l'aliénation-.

I.L.

L'historien et polémiste anglais Da-vid Irving (c La Destruction de Dres-'de., • Accident., éd. Laffont) a étécondamné pour diffamation à uneamende de 25.000 f: augmentée de15.000 f: de dommages et intérêts etde 35.000 f: de frais de justice, pei-ne maximale rarement prononcée parun tribunal anglais dans ce genred'affaire. Ce jugement a été renduà l'issue d'une procès intenté à l'au-teur par un officier de la marineanglaise à propos de son dernier li-vre, The destruction of the convoiP.O. 17. Irving y relate la tragiqueaventure d'un convoi de trente-huitcargos anglais et américains faisantroute, en' 1942, vers le Nord dé laRussie et dont la protection devaitêtre assurée par des bâtiments deguerre anglais qui les abandonnèrentà mi-chemin sans raison connue. Leconvoi fut alors anéanti par lesavions et les sous-marins allemands.L'auteur qui avait interrogé trois centssurvivants et consulté, pendant desannées. des rapports militaires amé-ricains, anglais et allemands. se sent• victime d'une machination de l'Es-tablishment destinée à le réduire ausilence.•

M..ur-Vill.Date

li l'étranger

Peter Faecke et Wolf Vostell fontparaître chez Luchterhand un • romanpar correspondance. (Postversandro-man). Assemblage de textes, de pho-tos et de disques, il est distribué parla poste à raison de onze livraisonsbihebdomadaires. Cè livre-objet s'éla-bore au fur et à mesure de sa paru-tion et fait appel à la collaborationdu lecteur prié de faire des sugges-tions par téléphone ou par écrit ouencore d'envoyer des documents auxauteurs. De plus, chaque lecteur doitenrichir son propre exemplaire d'élé-ments de son choix: coupures dejournaux, tél é g ra m mes, bulletinsd'agence, documents personnels. Il nedoit plus exister, à la fin de l'opéra-tion, deux exemplaires qui soientidentiques.

On l'attendait depuis plusieurs an-nées. Le dernier roman d'ArnoSchmidt vient de paraître aux Edi-tions Stahlberg. Zettels Traum pèse8, 5' kg et comporte, en fac similé,1.352 feui lIets manuscrits de formatDin A 3, l'équivalent de 5.320 pagesd'un livre, courant. Zettels Traum dé-crit vingt-quatre heures de la vie d'unérudit, Danil Pagenstecher (Dan),vivant en solitaire dans un village del'Allemagne du Nord, qui reçoit lavisite d'un couple d'amis et de leurfille de 16 ans, venus consulter l'œu-vre de E.-A. Poe. C'est ainsi que leroman se double d'un essai sur Poedont Schmidt analyse le langage grâ-ce à la • théorie des étymes. quiconstitue la grande originalité de sarecherche (les étymes étant des ra-dicaux verbaux susceptibles d'êtreassemblés par le subconscient et do-tés de sens multiples). Schmidt quia consacré dix ans à la rédaction deson roman, recommande • au critiqueIntelligent de ne pas le commenterpendant un an, mals d'en signalersimplement l'existence-.

düficile à évaluer, d'autant quedes dissensions ayant parfois faitéclater la bande, certains d'entreeux opéreront à titre individuel.Il est certain que J acoh a effectuéprès de deux cents vols et cam·briolages.En faisant le portrait des prin-

cipaux compagnons de Jacoh,Bernard Thomas dresse un ta-bleau sociologique sur les causesde la délinquance à la Belle Epo-que où la frénésie spectaculairedes affaires s'accompagne d'uneépouvantahle paupérisation. Onaperçoit aussi ce qui faisait la fai-blesse idéologique de l'entreprisede récupération individuelle. Lafin ne justifie pas tous les moyens,et toute révolution porte le stig-mate des tares originelles qui l'ontfait aboutir.Le 22 avril 1903, Alexandre Ja·

coh est ahandonné par la chanceet se fait arrêter après une chasseà l'homme qui durera toute unenuit. Son procès, qui s'ouvre de·vant la cour d'assises de la Som-me, le 8 mars 1905, éveille unécho forlnidahle, et se tient dansune atmosphère d'émeute. Les mi·nutes du procès dont BernardThomas livre des extraitsrévè·lent l'éloquence, le talent, l'éner-gie indomptahle de Jacob quitransforme Je prétoire en trihune.La fin du procès se déroule àhuis clos, en dehors de la pré-sence des accusés, qui seront touscondamnés à des peines excessi-ves. J acoh est condamné aux tra·vaux forcés à perpétuité. Il purgealors vingt ans de bagne à Saint-Laurent-du-Maroni et à l'Ile duDiable dans des conditions qui endisent long sur la répression sousla Ille République.La vie de J acoh ne peut être

séparée de l'arrière-plan politiqueet social qui la hausse à unedimension exceptionnelle. Cetteexistence, que l'on se réfère auVoleur et à Biribi de Darien, estun témoignage accahlant sur lescandale de l'ordre bourgeoissous la Ille Répuhlique, sur letraitement pénitentiaire infligédans les comptoirs outre-mer auxbagnards soumis à un régime quin'aura rien à envier à l'institutionconcentrationnaire.Le livre de Bernard Thomas,

écrit d'une plume alerte et élé-gante, est remarquable par sa do-cumentation historique.

Alain Clerval

la société bourgeoise. Tout aulong de sa carrière de justiciercambrioleur qui déhute le 31mars 1899 par un coup d'éclat,Jacob, qui signe ses premières ef-'fractions du nom d'Attila, s'atta-que à toutes les institutions quisymbolisent l'ordre étahli: labanque, les rentiers, les proprié.taires, les industriels, les militai-res et les prêtres. Son premiercambriolage révèle sa manière:la victime est un receleur surgage - un commissionnaire -c'est-à-dire un usurier qui s'enri·chit en revendant les ohjets dé-posés en gage par ses déhiteurs,évidemment incapahles de le rem·bourser. Sa méthode: il usurpel'uniforme d'un commissaire depolice et rend justice en hafouantl'emhlème dérisoire de l'ordre pu-blic.Comment ne pas être transporté

d'admiration et de sympathiepour l'idéal de J acoh et le pana·che qui relève toutes ses actions ?A travers l'extraordinaire desti·née de Jacoh, Bernard Thomasmontre les origines de l'explosionanarchiste, sur quels ahus épou.vantables provoqués par le déve-loppement incontrôlé du capi-talisme, s'est greffé ce rameauutopique et fou de générosité del'esprit révolutionnaire. Jacob estle frère réel des héros suscités parl'imagination populaire, Fantô-mas, Lupin, dont les vertus che·valeresques et les exploits sontaccomplis à la barbe des forcesde l'ordre, expriment la protes·tation des exploités contre le scan·dale de l'injustice.

Après avoir improvisé ses pre·miers cambriolages, AlexandreJ acoh organise son réseau: lesTravailleurs de la nuit. La serru·rerie, l'indicateur des chemins ,deler, le recrutement d'anciens re-pris de justice frappés d'interdic·tion de séjour et sympathisantsde la cause anarchiste, enfin,comme il le dira ironiquementlors de son procès, la décentrali·sation de ses activités en provincelui permettant d'agir avec célé-rité, suhtilité, et de paraître douédu génie d'ubiquité. Il écoule leshijoux volés au moyen de filièresdont les ramifications s'étendentà l'étranger. Il se fera même unami d'un représentant de la Lloydà Amsterdam qui le consulte surla technique du fric frac. Le nom·bre des repri!'es indh·jduelles est

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CINEMA

L'aveu

La Quinzaine littéraire, du 16 au 31 mai 1970

L'Aveu, film réalisé parCosta Gavras,opérateur: Raoul Coutard;scénario de Jorge Semprun,tiré du livre d'Artur London(L'Aveu, Gallimard, 1970),avec Yves Montand, MichelVitold, Gabrièle Ferzetti,Simone Signoret, etc.(2 h 15)

« Arrestation qui, dans saforme, relève plus du gangsté-risme que de l'éthique com-muniste ! ", écrit Artur Lon-don en racontant le début deson aventure (1). Et le filmque Costa Gavras, le réalisa-teur de Z, a tiré du livre deLondon, l'Aveu, commenceainsi comme un film de gang-sters: des hommes à cha-peau mou et à imperméableprennent en filature le vice-ministre des Affaires étran-. gères de Tchécoslovaquie, lecoincent dans une petite ruede Prague, l'assomment et lekidnappent.Dans l'ouvrage compact de

London, fourmillant de rappelshistoriques et de références po-litiques, Costa Gavras devaitnécessairement faire un choix;il a construit son film sur cequi est la structure même dulivre, la fabrication des aveux,pièce maîtresse de la grandemachinerie des procès politi-ques. Nuit et jour, pendant desmois, policiers, officiers de laSécurité, se relaient face àLondon pour lui arracher des si-gnatures; il s'agit de faire d'unmilitant communiste au passéprestigieux - secrétaire desJeunesses communistes d'Os-trava à 14 ans, plusieurs séjoursen prison pour activité politi-que, volontaire dans les Briga-des internationales en Espagne,engagé dans la Résistance enFrance, déporté à Mauthausen- un « espion trotskyste-titisteà la solde de l'impérialismeaméricain" (selon une formu-lation par ailleurs abondammentemployée dans toute la pressecommuniste à une certaine épo-que), et impliqué dans le " Cen-tre de conspiration contre l'Etatdirigé par Slansky lt.

Les moyens employés sontdécrits avec force et précision:toutes les formes pqssiblesd'humiliation, la faim, la soif,les coups, le chantage des re-

présailles contre la famille, lechantage de la fidélité à l'idéalcommuniste et, le pire de tout,dit London, le manque de som-meil, concourrent à transformerl 'homme en loque; Yves Mon-tand a su admirablement incar-ner et donner à voir cette dé-gradation: l'élégant diplomatequi descend avec vivacité lesmarches du ministère, qui" exige lt encore des explica-tions, devient, en peu de temps,le détenu 3 225; le mâle sou-ple et musclé aux gestes sûrsn'est plus, au bout des labyrin-thes et des cellules, qu'uneforme innommable - l'innom-mable - flottant dans du drappénitentiaire gris sale.Pour montrer cette décompo-

sition, cette déshumanisation,cette division de l'individu, Cos-ta Gavras a .multiplié les grosplans, qui se révèlent ici d'uneremarquable efficacité: sur levisage de Montand-London, lesrides se creusent, les joues s'af-faissent, les yeux s'alourdissentet se voilent, s'ouvrant avecpeine sur un regard hébété, labouche perd toute consistance,les poils envahissent la peaucomme une sauva-ge; non. seulement le corps,mais encore· l'espace et letemps chavirent, éclatent, nesont plus qu'instants et mor-ceaux épars: mains prises dansles menottes, poings des poli-ciers serrés sur la victime,pieds tuméfiés, lampes faitespour aveugler, portes faitespour être claquées et laisser dé-ferler menaces et assauts, ju-das faits pour porter l'agres-sion des regards et des cris...Des plans très brefs, réduits àune forme forte et simple, à ungeste sommaire, brutal, à unvisage traversé d'un hurlement,à un regard envahi par la pani-que, sont montés à un rythmerapide, haletant, instituant ce" carrousel lt dont parle un offi-cier de la Sécurité et destinéà emporter l'accusé dans unmouvement proprement affolant,à faire de lui un objet inerte,malléable, entre les mains despoliciers et des conseillers so-viétiques.L'homme brisé est logé alors

à l'exacte place dessinée pourlui dans le jeu de construction;il a été" défait lt et " refait lt, ila appris son rôle sous la direc-

tion du "référent lt; la repré-sentation peut commencer, leprocès public est ouvert. Le cor-respondant de l'Humanité estprésent, en bonne place; il nes'inquiétera pas de savoir quelgenre de public garnit la salle,ni de la surprenante aisance deparole des accusés; parfois unmot oublié met un grain de sa-ble dans une machine parfaite-ment huilée - ou alors, l'impré-visible: un pantalon trop amplequi s'avise de tomber au mo-ment d'un interrogatoire, entraî-nant public. accusés et gardiensdans un fou-rire hystérique. Surles quatorze accusés, onze sontcondamnés à mort, exécutés etleurs cendres dispersées surune chaussée verglacée dansles environs de Prague; lestrois autres, Hajdu, Lobl et Lon-don, condamnés aux travauxforcés à perpétuité, seront réha-bilités en 1956.A se centrer ainsi sur les

techniques en quelque sortegestuelles et psyéhologiquesde l'aveu, sur la fabrication cra-puleuse d'un procès politique, .à se maintenir au plan policier-judiciaire, le film de Costa Ga-vras donne sa pleine mesureet s'offre comme un film-choc,aux effets perceptifs et émo-tionnels immédiats et sensi-bles, qui doivent beaucoup à la

. grande habileté de l'opérateurCoutard. Il était, en revanche,plus difficile de rendre deux di-mensions importantes du témoi-gnage de London: le passéhistorique et la résonance idéo-logique.Dans la formation politique

de London, la figure splendidedu père joue un rôle considé-

rable ; elle est rendue par CostaGavras dans une scène éton-nante, où Montand-London, affa-mé, épuisé, débite l'épopée ré-volutionnaire du père à un poli-cier vautré dans son fauteuil etqui s'endort, gavé de bière etde sandwiches; mais le fondpolitico - historique qui rendexemplaire l'aventure de Lon-don n'est suggéré que par debrèves ou trop elliptiques ima-ges: le fanion rouge de la briogade Thaelmann, pour la guerred'Espagne, quelques insertsd'actualité pour Staline ou lamanifestation en faveur de Sac-co-Vanzetti, l'ample marée révo-lutionnaire montant derrière Lé-nine et quelques vues de la ré-volution bolchevique - celapouvait suffire à des lecteursavertis du livre de London, mais,la présentation de l'œuvre àdes centaines de milliers, peut-être à des millions de specta-teurs, appelait sans un douteun développement de l'aspectinformatif et didactique.Plus discutable et de plus de

portée paraît être le traitementdes résonances idéologiques dutémoignage de London. Il étaitpeut-être légitime, ici, de mieuxdistinguer le portrait politiquede la femme de London, Lise,aux dépens des aspects hu-mains, familiaux: stalinienne-type, parlant par citations deStaline ou slogans de kermesse(" Ceux qui vivent sont ceuxqui luttent >l, dit-elle au coursd'une visite à son mari épuiséet que le moindre faux-pas en-verrait à la mort), elle est deces militants fanatiques et bor-nés pour qui " Le Parti A Tou-jours Raison lt. Elle risque fort

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Page 26: Quinzaine littéraire 95 mai 1970

L'aveu Tristanade bien représenter un vastepublic communiste ou sympathi-sant qui va • recevoir - le té-moignage de London et le filmde Costa Gavras d'une façonparticulière, aux fins d'une récu-pération. Elle présente, en ou-tre, l'intérêt de mener, par desHens familiaux, à des officielsdu' Parti communiste français,comme Raymond Guyot, ce quiamène à poser en des termesplus précis, plus concrets, leproblème des responsabilités etdes complicités.Ce problème est posé par

Costa Gavras dans quelques sé-quences, insérées dans le déve-loppement policier - judiciaire,qui sont probablement parmi lesplus faibles: sur la Côte d'Azur,Montand-London, libéré, discuteavec deux amis, entre viande etsalade, de son aventure et deses réRercussions; le calvairede London, qui fut celui de mil-lions de victimes du stalinisme(2), aÏimente une espèce de ba-vardage mondain, le jeu de cequ'il eût fallu dire ou ne pasdire, faire ou ne pas faire; cequi est plus grave, c'est ques'opère ainsi un glissementIdéologique décisif: au momentmême où, passée l'étape du• gangstérisme - policier et ju-diciaire, le problème fondamen-tal politique devrait être enfinposé, il est question d'. éthi-qùe communiste -, de • nouveaurespect des valeurs humaines -;partant pour Prague porter sonmanuscrit à "Union des écri-vains tchécoslovaques, Mon-tand-London, légion d'honneurà la boutonnière, déclare avoirle Parti avec lui; ainsi, jus-qu'au bout, l'illusion est entre-tenue, l'équivoque s'accroche.Jusqu'au moment où, dans

Prague, prennent po si t ion600 000 hommes et 6 000 tanks.Alors, il n'est plus question dela seule responsabilité de telsou tels agents de la Sécurité,le problème est celui dG la poli-tique des partis communistes,de la structure du pouvoir et dela société en Union soviétique.

Roger Dadoun(1) Cf. l'article de M. Nadeau, Quin-

zaine littéraire n° 66.(2) Un témoignage analogue à ce-

lui d'Artur London est donné par Vin-cent Savarius dans Volontaires pour"Echafaud, Dossiers des • LettresNouvelles., Julliard, 1963.

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Le cinéma - disons l'écriture ciné-matographique -, c'est autant depossibilités que le roman et la musi-que à fa fois, l'événement et la psy-chologie, l'opéra et la sociologie, lechamp libre laissé à la lumière, auxmots, aux sons, aux lettres, à tout cequi se passe entre tout ça : une façonde mettre en relations, relations del'espace et de la figure, du discourset de sa rupture, c'est l'instrumentde toutes les dialectiques et la meil-leur approche du spectacle total quileure approche du spectacle total quichamp pédagogique au champ forma-liste le plus dénudé.Le dernier film de Bunuel, Tristana,

est à la limite du supportable tantle souci de narrer selon les lois les

Catherine Veneur e

plus conventionnelles du genre sontrespectées. Je n'al pas lu le romanespagnol (1) dont le film est tiré,,mals les clichés et les personnagestraditionnels abondent de manière sieffarante qu'on ne peut croire à lanaïveté de Bunuel sur ce point précis.De la servante modeste et muettecomme une carpe au forgeron-brave-type, des ecclésiastiques onctueux auvieillard qui n'a pas les yeux danssa poche, du peintre-artiste-impulsifà la vieille fille acariâtre, Luis Bunuelressort les plus vieilles figurines d'unart romanesque usé depuis longtemps.Le premier mouvement est un mou-vement de déception.• Il a vieilli, lepère Bunuel ! •• Pas très agressif, le

cinéaste du Chien Andalou. • Hé !l'auteur de Viridiana, réveille-toi!.En effet, tout le côté agressif sur

le plan visuel est complètementgommé. C'est à peine si le cauche-mard de l'héroïne (elle voit la têtede son tuteur pendue à la place dubourdon nfl la plus grosse cloche deTolède) vient secouer une narrationassoupie, fluide, sans surprise et sedéroulant avec une régularité confon-dante. Tout se passe comme si Bu-nuel se détournait d'un art du chocde l'image, de la dénonciation polé-mique, au profit de quelque chosed'autre qui vient constamment affleu-rer un récit filmique sans histoire.Ce quelque chose d'autre, je "ap-

pellerai volontiers une attention plus

soutenue. Comme si nous nous trou-vions en présence d'un homme quine baisse plus les yeux, mais quiles tient ouverts, d'une façon Intense,

- et sur tout. Bunuel est prodigieuse-ment intéressé non par ce qu'II ra-conte, mals par ce qu'II volt. Il aban-donne un art de l'expression et unart de la dénonciation pour un artqu'on pourrait appeler un art de lanomination, qui va parfois jusqu'àune certalno forme de glorification.Je m'explique.

La meilleure part du film tient dansles plans qui sont dramatiquement lesplus anodins, les plus neutres. C'estune conversation entre un prêtre et

l'héroïne, mais, curieusement, on nes'intéresse pas à ce que les person-nages disent. On s'intéresse à ceverger, à l'air du temps, aux herbes,à ce qui tait la beauté fragile dumoment. Le film éclate de beautédans les plans • pour rien., ceux quilaissent la caméra devant une ported'église, une ruelle en pente, unsalon dans la pénombre du soir,une croisée devant laquelle la neigetombe. Cet art non plus de mise-en-scène mais de mise-en-présence at-teint le comble de la perfection lors-que le cinéaste se laisse à filmer levisage unique, pâle, tendu, diaphane,blanc comme certains marbres etrose comme certains pastels françaisdu XVIII", le visage de CatherineDeneuve. Le film est un véritablechant, parfois, à la Femme. Il y aquatre ou cinq plans de CatherineDeneuve d'une telle plénitude dansla vibration sensuelle que le film re-joint cette beauté pleine, harmo-nieuse, apaisée, qui ne se trouve quedans les pages de l'Odyssée. là oùchaque mot fait tenir une parcelled'un Eden perdu.On comprend alors pourquoi Bu-

nuer a pris plaisir à montrer des per-sonnages stéréotypés, joués par desacteurs sans grand talent (CatherineDeneuve étant un cas à part), par-Iant une langue molle et morte, em-pesée mals friable, singeant un beaulangage de mauvais roman du débutdu siècle; on comprend tout. Bunuelrécuse ces vieilles histoires dans cequ'elles expriment. Mals il aime àtourner d'après ces supports parcequ'ils permettent un libre jeu de lasensibilité qui s'exprime dans uneplénitude à laquelle Bunuel ne nousavait pas habitué. Les êtres et leschoses jouent de leur présence nue.La violence a fait place à une recher-che de la présence prise pour elle·même et glorifiée dans son étran-geté. Tout ce qui appartient à l'uni-vers passé de Bunuel (les motiva-tions d'une société hypocrite fondéesur les fausses valeurs) et à sesdénonciations Incessantes est reléguéau second plan - au sens propre dumot - comme ces ombres de poli-cIers déambulant dans les squaresou les portes des cafés. On peut leregretter.Néanmoins, Il fallait ce film. Il fal-

lait cette recherche marquée d'unformalisme qui finit par s'autodétruirelui-même pour céder la place, un brefInstant, au chant pur de la lumièreet du visage d'un être. Cette sortede regard subitement pétrifié devantl'être, devant le mystère de ce quiéchappe au dlcible et qui ne joue quede sa plénitude temporelle, comm'edes reflets d'eau jouent sur un mur,a quelque chose de bien séduisant.On revient à cette forme d'artdes grands Primaires: d'Homère àFaulkner.Le discours filmique s'entretIent de

ce bruit des choses qui sont, horsde toute parole. de tout discours etqui sont et qui ne cessent d'être etqui vibrent comme un incessant arra·chement à notre regard.

Jacques-Pierre Amette

(1) Trlstana, de Benito Perez Gal-dos.

Page 27: Quinzaine littéraire 95 mai 1970

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Moscou sous Lénine (Les orlg1nes du Commu-nisme, 1920-24). Préface d'Albert CAMUS. •14 X 19, 318 pages (1953) .

Staline. - 14 X22, 624 pages (1948) .

Les Bolchevlcks et l'Opposition (Origines de"absolutisme communiste, 1917-1932). - 14 X 21,396 pages (1957)- .

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Une nouvellepratique thédtrale

hors-la-loi, cette légitimité que Sartre,en ce moment, semble être en trainde nous rappeler.

En tout cas, ce n'est pas merveillesi la mise en scène. à ce momentdu spectacle, paraît se référer expres-sément à Brecht: c'est plus qu'une• citation. (comme ces • citations.de Fellini ou de Strehler, évidentesdans le spectacle): le mouvementépique commande. Sur les ruines duthéâtre ancien, une nouvelle pratiquethéâtrale s'instaure, qui se confondavec la violence révolutionnaire. Ilest bien que Patrice Chéreau nousl'ait dit, et nous l'ait dit avec cetteforce que, paradoxalement, sembleace r 0 î t r e encore le raffinementextrême que prend chez lui l'inten-tion poétique servie, cette fois, parles comédiens du Piccolo, ces prodi-gieux Arlequins qui Jouent aussi par-faitement Brecht que Goldoni, cescomédiens capables de tout, etd'abord de vérité. Pour la premièrefois que Chéreau, sans renier songoût de la • décadence., nous faitentendre une parole positive, Il étaitbien qu'il eût ces moyens pour nousla faire entendre.

Une scène de Joaquim Murieta

grecque 'n'était pour Chéreau, justeaprés mai et les désillusions, qu'unprétexte à un éblouissant exercicede virtuosité où l'on voyait fonction-ner le pouvoir et sa théâtrale impos-ture, les comédiens de Chéreau conti-nuer maladroitement les colloquesconfus de mai et Chéreau nous dire'avec quelque complaisance son im-

puissance politique d'homme de théâ-tre et son génie de metteur en scène.Cette fOIS, dans le spectacle le

plus beau peut-être, en tout cas leplus achevé qu'il nous ait donné (ildisposait, cette fols, des comédiensdu Piccolo...}, Chéreau nous tient undiscours positif. Certes, il assassine- et avec quelle tendresse, et 'avecquelle richesse d'invention poétique- un vieux théâtre exténué, uneforme d'art décomposée: ces cabots,ces travestis, cette prima donna dé-catie, il en connaît la solitude, ledééhirement ou le vide intérieur, leurvie fantomatique de poupées ventri-loques. Mais à partir du moment oùle peuple - public, paysans, ou-vriers -, balayant les oripeaux duvieux théâtre, se mettent à Jouereux-mêmes, à dire eux-mêmes l'his·toire de Murieta, de ce hors-la-loiqu'on les conduira sans doute à être,puisqu'ils sont comme lui des humi-liés, des exploités, et faire entendrepartout qu'ils partent dans les villa-ges pour cette histoire exemplaire,dès lors c'est une nouvelle parolethéâtrale qui prend forme, née dupeuple et retournant à lui, pour l'éclai-rer et le soulever: le légendaire ainsiancré dans l'actuel,' et Guevara seprofilant dans Murleta, la cantatehumaniste de Neruda, d'un progres-sisme simpliste et non-violent (œuvrebien médiocre dans le texte françaisque nous en donne Suarès) devientappel à l'Insurrection, matière d'unauthentique théâtre d'agitation (Ché-reau a vu à Nancy la troupe d'ou-vriers agricoles mexicains et califor-nlens, • El Campeslno.), une œuvrecapable de dire la légitimité, à telsmoments de l'Histoire, de la violence

Chéreau en Italie

La terre de Fellini aussi, et duPirandello des Géants de la monta-gne: deux hommes qui hantent étran-gement l'idée de la grandeur et dela dérision de ce moyen d'expressionvieux comme le monde qui s'appellele théâtre. Or, depuis Le prix de larévolte... jusqu'à Joaquim Murleta,c'est un discours sur le théâtre etsur sa mort que nous tient Chéreau.Un discours double: sur le théâtreet sur l'Insurrection. Un homme dethéâtre, en 1970, a-t-il autre chose ànous dire, qui nous concerne?J'admire dans les deux cas (la

• proposition de pièce. de Dimltria-dis et l'. oratorio insurrectionnel. deNeruda) avec quelle Intelligence Ché-reau s'empare d'une œuvre pour luiImposer sa propre articulation et yloger son propre discours sans quel'œuvre originale soit en rien trahiepour autant. Mals Le prix de la ré-volte ne débouchait sur rien: l'assas-sinat de Lambrakis par la monarchie

La rencontre de Chéreau et de l'Ita-lie n'est pas fortuite. Nature et culture- comme on dit -, tout paraît chezlui, comme chez Stendhal, tenir àl'Italie. Sauf ce qu'il doit à Brechtet qui, certes, n'est pas minime,puisque depuis L'héritier de villageen passant par Le prix de la révolteau marché noir, jusqu'à Splendeur etmort de Joaquim Murieta, c'est unmode brechtien de récit et d'analysequi gouverne ses mises en scène:encore son Brecht à lui est-il plutôtcelui de Giorgio Strehler que celuides Allemands, ou de Planchon. Malsc'est avec les Soldats de Lenz queChéreau a éclaté à lui-même: roman-tisme et libertinage, passion del'opéra, fascination devant les corps,leurs jeux et leur beauté et l'Inso-lence de leurs désirs, goût • déca-dent,. pour les formes en décompo-sition, les architectures en ruine etles passions de l'Immaturité, Chéreauavait découvert son univers; il luirestait à aller chercher chez Léonardde Vinci la • machine théâtrale. dontil allait user dans deux pièces chinoi-ses, dans Don Juan et Richard Il.Tout, dès lors, était italien: la terrede Visconti, de Strehler, de Verdi, deLéonard, des grands scénographesde la Renaissance, des fresquesd'Arezzo, de Pompéi ou des tombesétrusques, c'était la sienne.

Un discours double

Stendhal avait choisi de vivre et demourir • milanais.: la France deCharles X et de Louis Philippe ledégoûtait. Patrice Chéreau paraît enpasse de choisir, lui aussi, l'Italie:la France de mai 70 n'a guère dequoi retenir. Le triomphe qu'il vientde remporter à Milan a vu avec lapièce de Neruda lui donner la possi-bilité d'user du prodigieux Instrumentde travail qu'est ce Piccolo Teatrodont Strehler et Paolo Grassi ont faitun des premiers théâtres du monde:on lui demande d'assurer en partiela prochaine saison du Piccolo.

La Quinzaine littéraire, du 16 au JI mai 1970 27

Page 28: Quinzaine littéraire 95 mai 1970

H. Lemaîtrer. Van der ElstR. PagosseLa littérature française- Tome 1: DuMoyen Age à l'âgeIJaroqueSous la direction deA. Lagarde et l. Michard

CRITIQUEHISTOIRELITTERAIREJean FuzierLes sonnets deShakespeareA. Colin, 320 p., 11,80 F.Une étude trèscomplète, illustrée parquelques traductionsnouvelles.

André GendreRonsard, poètede la conquêteamoureuseEd. de la Baconnière,576 p., 46,60 F.Ronsard décapé detous les poncifs de lacritique traditionnelle.

Paul-Xavier GiannoliPeyrefitte ou lesclés du scandaleFayard, 112 p., 16 F.Une radiographie desplus révélatrices, oùl'auteur s'est efforcéd'employer lesméthodes mêmes dePeyrefitte pour amenercelui-ci à se démasquer.

tantôt sous forme derécit, tantôt sousforme d'interviewsimaginaires ou depages de journal,qui se double d'unepetite histoire de laFrance contemporaine.

André LarueBrassens ou lamauvaise herbeFayard, 240 p., 18 F.Une image chaleureuseet vivantedu chanteur, par unami de longue date.

eAnaïs NinJournal • Tome Il1934-1939Etabli et présentépar Gunther StuhlmannTraduit de l'anglaisparStock, 384 p., 33 F.Voir le n° 84 dela Quinzaine.

eErnst Erich NothMémoires d'unAllemandJulliard, 512 p., 25,60 F.L'itinéraire d'unécrivain et universitaireallemand qui choisit,dès 1933, ies cheminsdifficiles de la liberté.

José MoselliLa fin d'iliaLe messager dela planètePréface de J. BergierRencontre, 280 p.,17.60 F.

Claude MauriacAndré BretonGrasset, 336 p., 28 F.Une biographie trèscomplète qui se doubled'une étudedu mouvementsurréaliste tout entier.

VignyStelloDaphnéSommairebiographique,introductions, notes,relevé de variantespar François Germain17 reproductionsGarnier, 544 p.,20,60 F.

MEMOIRESBIOGRAPHIESGabriel BurahAlbert DahanBibiFayard, 352 p., 20 F.La vie et les aventuresd'un grand boxeur,déporté à Auschwitzen 1943 etaujourd'hui magasinierà • France-Soir _.

Boris NicolaïevskyOtto Maenchen-HelfenLa vie de Karl MarxL'homme et le lutteurTrad. de l'allemandpar Marcel StoraGallimard, 480 p.,31.75 F.Paru avant 1939,remis aujourd'huià jour, l'ouvragesans doute le pluscomplet et le plus sûrque l'on possèdesur le grand penseursocialiste.

Pablo CasalsMa vie racontéeà Albert E. KahnTrad. de l'américainStock, 240 p., 24 F.Le testament spiritueldu premiervioloncellistede notre temps.

Jeanine DelpechLa passion de lamarquise de SadePlanète, 208 p., 14 F.L'étrange destin decette authentique• Justine -, perversepar amour.

Bernard FrankUn siècle débordéGrasset. 336 p., 22 F.Une autobiographIe,

Trad. de l'allemandpar Ch. KublerLettres NouvellesDenoël, 208 p., 19 F.Parce qu'il s'est évadéet a été repris,un détenu estcontraint par ladirection dupénitencier d'écrirele récit de sonévasion...

POESIE

REEDITIONS

AlainPropos (1906-1936)Tome IlTexte établi, présentéet ann·oté parSamuel S. de Sacy• Bibliothèque dela Pléiade-Gallimard, 1 408 p.,65 F.

B. R. BrussL'apparition dessurhommesPréface de J. BerglerRencontre, 280 p.,17,60 F.Un • classique -français de lascience-fiction.

Pierre DominiqueLa Commune de ParisGrasset, p., 32 F.Nouvelle édition àl'occasion ducentenairede la Commune.

LautréamontŒuvres complètesTextes réunis parHubert JuinPréface de H. JuinTable Ronde, 488 p.,29 F.Une édition en fac-similé des • Chants -,de • Poésies - et de• Lettresautographes -.

.Anna AkhmatovaLe poème sans hérosEdition bilingueTrad. du russe parJeanne Rude.Nomb. illustrationsSeghers, 144 p., 13,50 F.

T. Luca de TenaUn enfant à labelle étoileTrad. de l'espagnolpar A. de VacqueurStock, 296 p., 20 F.L'odyssée picaresqued'un Jeune enfant àtravers l'Espagne enproie à la guerrecivile.

Christine de RivoyreFleur d'agonieGrasset,' 256 p., 18 F.Un nouveau romande l'auteur des• Sultans - et du• Petit matin -(voir le n° 63 dela Quinzaine).

ROMANSETRANGERS

Burt BlechmanPeut-êtreTrad. de l'anglaispar J. LambertGallimard, 232 p., 17 F.Par l'auteur de• Combien? -, leportrait, d'une drôlerieféroce, d'une vieilledame new·yorkaise.

Juan-Carlos OnettlTrousse-vloquesTrad. de l'espagnolpar J.-J. VillardStock, 288 p., 25 F.La chronique haute encouleur d'une petiteville d'Amériquedu Sud menacéede mort lente.

eJoerg SteinerLe cal du détenu B.

eLulgl MalerbaSaut de la mortTrad. de "italienpar J.·N. SchlfanoGrasset, 256 p., 24 F.Le second livrepublié en France d'unromancier Italien quis'écarte résolumentdu ghetto de lalittératurede laboratoire.

e Robert Lowellel. Compton-Burnett Pour les mortsUn dieu et ses dons de l'UnionTrad. de l'anglais Ch. Bourgeois,par Michel Ligny 160 p., 17,10 F.Gallimard, 200 p., .17 F.Voir le n° 46 de • André Ulmannla Quinzaine. Poèmes du camp

Julliard, 64 p., 14,30 F.Poèmes écrits ·enclandestinité pendantla seconde guerremondiale.

eTommaso LandolfiLa muette, suivi deRubato et des RegardsTrad. de l'italien parViviana PâquesGallimard, 168 p.,12,75 F.Trois récits: troishistoires d'amourmarquées par uneangoisse Impitoyable.

Béatrice PrivatLes vergers defévrierDenoël, 192 p., 14 F.Un roman qui se situeau XVIII' siècle etqui a pour thème lapassion impossibled'un compositeurcélèbre pour unJeune musicien.

André PuigL'InachevéPréface de J.·P. SartreGallimard, 296 p.,20,25 F..(voir ce numéro, p. 5)

Michel ReyLe pourpre-femmeRencontre, 312 p.,17,60 F.L'itinérairesentimental d'un JeuneBordelais timide.

Romain GaryTulipeGallimard, 184 p.,13,75 F.Un roman nihilistede 1945, dans saversion définitive.Jean-Jecques GautierLa chambre du fondJulliard, 320 p., 19 F.Le monologuediscontinu d'unhomme qui, pendantla guerre, choisit dese réfugierdans sa solitude.Claude KlotzEt les cris dela féeCh. Bourgeois, 208 p.,17,10 F.Les mythes etfantasmes d'un foude cinéma.

eFrançois NéraultLe Pont deRecouvranceMercure de France,208 p., 17 F.Nouvelles qui ont pourtoile de fondles côtes bretonneset les plagesdu Cotentin.

eZoé OldenbourgLa Joie des pauvresGallimard, 632 p., 35 F.Un panorama deshumbles, unechronique des pauvres,des chômeurs dansleur marche versJérusalem où lesattend Jésus.

Jean OrleuxAlcide, ou lafuite au désertStock, 192 p., 17 F.Par l'auteur de• Bussy·Rabutin - etde • Voltaire - (voirle n° 10 de laQuinzaine) •

ROMANS:FRANÇAIS

Rached ChalébLes mortl·mortsLosfeld, 112 p., 7,50 F.Un hymne libertin etfaliétleux à la liberté.

Jean CauTroplcanasDe la dictature etde la 'l'évolution sousles TropiquesGallimard, 160 p., 15 F.-La satire cruelle ettrÙculente d'une îleimaginaire des Caraïbes,peuplée d'Indiens,de Noirs et de métis.

Madeleine AlleinsUn chemin douteuxGallimard, 249 p., 17 F.Un roman inspiré d'unfait divers récent: lerapt d'une petite fillede huit ans par unhomme qui serapoursuivi par toutesles polices de France.

• Marcel ArlandAttendez l'aubeGallimard, 3.84 p.,26,50 F.Un recueil de nouvellesqui ont pour thèmecommun la recherched'une certaine formede liberté spirituelle.

eMarc BernardMayorquinasLettres NouvellesDenoël, 160 p., 15 F.Dans une île déserte,non loin de Mayorque,un homme et unefemme fontl'expérience de lanature primitive.

Claude BerriLe pistonnéMercure de France,168 p., 11 F.Par l'auteur du • Vieilhomme et l'enfant-,le roman qui a inspiréson dernier film.

• Jacques BorelLe retourGallimard, 552 p., 35 F.Par l'auteur de• L'adoration - (voirce numéro, p. 4

Michel BreitmanD'exil en exilDenoël, 256 p., 19 F.Un roman inspiré par ..un fait divers récent:l'éruption d'un volcanqui, en 1961, chassales habitants de Tristan,da Cunha de leur îleet les entraîna,tant bien que mal;à s'Intégrer au .monde civilisé.

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Page 29: Quinzaine littéraire 95 mai 1970

Livres publiés du 20 avril au 5 mai

Encyclopédie dessciencesphilosophiquesen abrégéTrad. de ('allemandpar M. de GandillacGallimard, 552 p., 45 F.Traduit pour lapremière fois enfrançais, un ouvrage

PHILOSOPHIE

J. TronchèreL'école d'aujourd'huiet la mutationdes méthodesA. Colin, 144 p., 7 F.Une étude d'ensemblesur les méthodesactuellementemployées dansl'enseignementprimaire.

sous la direction deLouis CrosA. Colin, 256 p., 19 F.Un témoignagecollectif d'expériencesvécues.

Payot, 276 p., 24 F.Une étudepsychanalytiquesur le concept deprojection, à partird'une réflexion à lafois historique,clinique et théorique.

ENSEIGNEMENTPEDAGOGIE

• Maurice DommangetLes grands socialisteset l'éducation:de Platon à LénineColl. • U •A. Colin, 472 p., 32 F.Un exposé des Idéessur l'éducation etdes expériencesscolaires réaliséesou exprimées par degrands socialistes,de l'antiquitéà nos jours.

L'Ecole NouvelletémoigneOuvrage collectif

Sami-AiiDe la projection

Claude OlievensteinLa drogueEditions Universitaires,192 p., 14,50 F.Le phénomène de ladrogue analysé entoute objectivité parun psychiatre.

PSYCHOLOGIE

Gabrielle CharbonnierLe maniementpsychanalytiquede l'imageE.S.F., 140 p., 25 F.Les différents aspectsde cette techniquede psychothérapieanalytique.

.Ronald D. Laing•••••••••• Le moi divisé

Trad. de l'anglaisStock, 192 p., 25 F.A l'écart des cheminsde la psychiatrie,une étude sur• l'insécuritéontologique. quicaractérise l'individuactuel.

Salavin,de Georges DuhamelEditions Universitaires,400 p., 59,95 F.Une étude au pluscélèbre des héros deDuhamel, où l'auteurs'est efforcé d'utiliserles techniques de lapsychologie actuelle.

.Ludwig BinswangerDiscours, Parcours etFreud - Analyseexistentielle,psychiatrie clinique etpsyooanalyseTrad. de l'allemand parRoger LewlnterPréface de P. FédidaGallimard, 384 p., 36 F.Un ensemble d'essaisqui ont pour commundénominateur detraduire etd'interpréter ladécouverte freudiennedans le langage de laphénoménologie.

Raymond PicardGénie de la littératurefrançaise (16006-1800)Hachette, 256 p.,14,50 F.Le rayonnement desgrands écrivains quiont particulièrementillustré en Franceles XVI· et XVII·siècles.

Jacques J. ZéphirPsychologie de

Charles PellatLangue etlittérature arabesA. Colin, 240 p., 9,80 F.Un panoramad'ensemble jusqu'àla périodecontemporaire, par unspécialiste de lacivilisation arabe.

A. Colin, 424 p., 13,80 F.Un tableau varié de lalittérature allemandeà cette époque,augmenté d'extraitsen allemand d'œuvresdiverses

1 200 ill. en noir eten couleursBordas, 640 p., 96 F.Des origines à l'aubedu classisisme, unouvrage qui éclaire,à travers de multiplesextraits, la naissancedes grands thèmes1ittéraires français.

.Jean MillyLes pastichesde Proust1 hors-texteA. Colin, 376 p., 78 F.Une édition critiqueet commentée.

.Michel MohrtL'air du largeGallimard, 360 p.,25,50 F.Un recueil d'essaissur quelque soixanteécrivains venusdu monde entier,de Faulkner à Kerouac,de Saül Bellow àGombrowicz, etc.

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Page 30: Quinzaine littéraire 95 mai 1970

Livres publiés du 20 avril au 5 mai

H. et M. StixR. Tucker AbbottLes coquillagesLes chefs-d'œuvrede la vie sous-marineTrad. de l'américainsous le contrôle desservices du C.N.R.S.203 III. dont 82 enquadrichromieSeghers, 302 p., 165 F.Sous la forme d'unalbum prestigieux, unvéritable • muséeImaginaire - des plusbeaux coquillagesilxistant au monde.

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Louis FiguierL'alchimie etles alchimistesColl. • BibliothecaHermetica -S.G.P.P., 416 p., 36 F.Un essai historiquesur les doctrines,les biographies etles œuvres desphilosopheshermétiques.

Nicolas FlamelLe livre des figureshiéroglyphiquesPrécédé d'une étudehistorique sur Flamelpar E. CanselietAvant-propos deR. AlleauS.G.P.P., 232 p., 29F.Le premier volumed'une nouvellecollection:• Blbliothecahermetlca -.

Roland MarxLa révolutionIndustrielle enGrande-Bretagne3 cartesA. Colin, 320 p.,11,80 F.Une mise au point,accompagnée dedocuments en anglais.sur un sujet centralde l'Histoire anglaise.

Ania FrancosLes PalestiniensJulliard, 352 p., 20,90 F.Réédition revue etaugmentée.

Paul ArnoldAvec les lamastlb6talns

• Claude LévyI.es parias dela Résistance16 p. de documentsCalmann-Lévy,256 p., 19,20 F.L'histoire méconnued'un groupe de francs-tireurs partisans deToulouse

sociales, nationales,leur impact et leurcharge mythique.

POLITIQUEECONOMIE

Jacques BaguenardJean-Charles MaoutRaymond MuzellecLe président de laV' RépubliqueArmand Colin, 112 p.,5,80 F.L'élection, le statutet les fonctions duPrésident de laRépublique selon laConstitution actuelle.Dominique CarreauLe fonds monétaireinternationalA. Colin, 272 p., 16 F.L'organisation, lefonctionnement et lesactivités de cetorganismeinternational.Hans MagnusEnzensbergerL'Allemagne,l'Allemagne,entre autresCh. Bourgeois, 272 p.,19 F.Un ancien «jeuneAllemand en colère-nous parle de"Allemagne (voir len° 35 de la Quinzaine).Fischer et ManlkCe que Léninea vraiment ditTrad. de l'allemandStock, 208 p., 20 F.Un choix de textesthéoriques dont laplupart furent écritsen réponse à desproblèmes pratiques.Colloque dePrincetonIncertitudesaméricainesPréface de F. DuchêneCalmann-Lévy,360 p., 22 F.Les comptes rendusde ce colloqueorganisé à Princetonen décembre 1968 etqui avait pour butde redéfinir lesformes d'organisation!Iolitique dans lenonde moderne.Jacques HermoneLa gauche, Israëlet les JuifsTable Ronde,288 p., 17 F.Un pamphlet oùl'auteur s'est efforcéde mettre en lumièreles sources du néoantisémitisme actueldans certains milieuxde gauche,

documentée sur lespurges soviétiquesdes années 30.

Pierre GaxotteLa RévolutionfrançaiseFayard, 504 p., 40 FRéédition, entièrementremise à jour, d'unouvrage paru en 1928.

Henri MichelLa guerre de l'ombreGrasset, 420 p., 38 FUne histoire globale dela Résistance dans tousles pays d'Europeoccupés par l'arméeallemande de 1940 à1945.

Elisabeth DrabkinaSolstice d'hiverLe dernier combatde LénineTrad. du wsse parJean CathalaEditeurs FrançaisRéunis, 204 p., 15 FLénine et la N.E.P.,cftst-à-dire,. la nouvellepolitique économique-,engagée dès le débutde l'année 1921, peuavant sa mort.

Alexander DalllnLa Russie sous labotte nazieTrad. de l'américainFayard, 500 p., 45 FLa politique allemandevis-à-vis de l'UnionSoviétique pendantl'invasion, l'occupationet la retraite.

Jean Egret'Louis XV etl'oppositionparlementaire1715-1774A. Colin, 256 p., 30 FThèse: un tableaudétaillé de l'activitépolitique desParlementsau XVIII' siècle.

François DornlcLa Francede la RévolutionDenoël, 256 p., 35 FLe premier volumed'une nouvellecollection consacréeà l'. Histoirede la France-.

Jean Sigmann1848Les révolutionsromantiques etdémocratiques del'EuropeColl. • Les grandesvaguesrévolutionnaires -.Calmann-Lévy, 368 p.,21,60 F.Les origines de cesrévolutions politiques,

Pierre Bessand-MassenetDe Robespierre àBonaparte • LesFrançais et laRévolutionFayard, 320 p., 22 F.La • majoritésilencieuse - devantle raz-de:maréerévolutionnaire.

Karl von ArétinLes Papes et lemonde moderneHachette, 256 p.,14,50 F.L'histoire des rapportsdu Saint-Siège avecles puissancestemporelles.

Serge BersteinPierre MilzaL'Italie fascisteA. Colin, 416 p.,13,80 F.La naissance,l'évolution et la chut(ld'un régime dontl'héritage est d'uneimportance capitalepour la compréhensionde l'Italiecontemporaine.

Charles CommeauxLa vie quotidienneen Chine sous lesMandchous 'Hachette, 320 p., 20 F.Le portrait de lacivilisation chinoisedu XVII" siècle, d'aprèsles témoignages desmissionnairesde l'époque.

Version intégrale,établie, Introduite etannotée parPierre NoraPréface deRené Rémond5 hors-texte, 2 IndexA. Colin, 948 p., 80 F.Un document d'unintérêt exceptionnel:les notes quotidiennes,tenues tout au longde son septennat, parle président Auriol.

Vincent AuriolMon septennat(1947·1954)Notes de journalprésentées parP. Nora et J. Ozouf4 pl. hors texteGallimard, 616 p.,35 F.Une édition condenséeen un seul volumedu même ouvrage.

HISTOIRE• •••••••••Robert Conquest

La grande terreurTrad. de l'américain20 illustrationsStock, 592 p., 36 FUne étuderemarquablement

.Vincent AuriolJournal du septennatTome 1: 1947

Une analyse politique,économique etsociologique de laTurquie moderne.

.André MalrauxLe triangle noirLaclos, Goya,Saint-JustGallimard, 144 p.,20 F.Trois essais quijettent une lumièrenouvelle sur la plusooscure crise del'Individu que l'Europeait connue avant cellequi s'imposeactuellement à nous.Paul MlsrakiPlaidoyer pourl'extraordinaireMame, 174 p.Civilisationindustrielle et réalitéinvisible et,notamment,métapsychique.Georges de MorsierArt et hallucinationEd. de la Baconnière,104 p., 18 F.Une étude desphénomèneshallucinatoires dansl'œuvre de MargueriteBurrrat-Provins,peintre et femmede lettres.Pierre PellerinNature, attention :poisons20 ill. photosStock, 160 p., 17 F.Un tragiqueinventaire desabsurdités criminellesde la civilisationindustrielle.

.Georges PirouéLa surface deschosesRencontre, 368 p.,17,60 F.Le regard, mi-figuemi-raisin, d'unhomme sur sessemblables et surson époque.Romain RollandTextes politiques,sociaux etphilosophiques ooolsisIntroduction et notesde Jean AlbertiniEditions Sociales,320 p., 14,65 F.Un choix de textes àtravers lequel sedégage un portraitsaisissant de l'auteurde • Jean-Christophe -et de son époque.

Sanche de GramontLes Français,portrait d'un peupleTrad. de l'américainStock, 468 p., 27 F.Par un journalistefrançais vivantaux U.S.A. depuisvingt ans, unepercutantepsychanalyse de ses,compatriotes.

Lénine etl'art vivantOuvrage collectifEditeurs FrançaisRéunis, 256 p., 16 F.Les théoriesesthétiques de Lénine.

Pierre LyauteyTurquie moderneJulliard, 208 p.,20,90 F.

Eric GaumentLe mythe américainEd. Social.es, 272 p.,18,30 F;La réalité économiqueet sociale des U.S.A.:l'expérience d'unFrançais qui alongtemps vécu dansle Nouveau Monde.

Francis GérardNous irons travaillersur la luneDenoël, 256 p., 24 F.L'avenir del'exploration et del'exploitationde la lune.

ESSAIS

fondamental en cequ'II éclairel'Importancehistorique dusystème hégèliencomme tel.

• Jacques BerqueL'orient secondGallimard, 448 p.,27,20 F,De la Californie auGhana, de l'Euphrateà l'Inde ou à la Chine:les jalons d'unitinéraire spirituel.

Raymond BordeL'extrlcableLosfeld, 110 p., 7,50 F.Pamphlet contre leTemps Présent.

Jean-Marc GabaudeLe jeune Marx et lematérialisme antiqueEd. Privat, 280 p., 15 F.Une confrontationentre le matérialismeantique et la penséedu jeune Marx, àtravers l'étude de lathèse de doctoratde celui-ci.

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Coll. • L'expériencepsychique.Fayard, 200 p., 20 F.L'aventure spirituellevécue par l'auteurdans un monastèredu Tibet.

René BurrusLa vie, pourquoi faire?Ed. du Mont..Qlanc,120 p., 14,90 F.Comment appuyernos contenus decroyance, notreexigence despiritualité, sur descontenusd'expérience.

Le catéchismehollandaisAvec le dossier despoints discutés et ladéclaration de lacommission descardinaux (1968)Privat, 656 p" 15 F.Un texte qui s'estimposé à "attentiondè tous les chrétienssoulevant bien descontestations.

Mircea EliadeDe Zalmoxis àGengis·KhanPayot, 256 p., 29,70 F.Un ensemble d'étudescomparatives sur lesreligions et le folklorede la Dacie et del'Europe Orientale.

THEATRE

Michel MohrtUn jeu d'enferGallimard, 192 p.,13,75 F.Une comédiedramatique qui a pourtoile de fond laFrance des Cent Jourset de la Restauration.

Romain WeingartenThéâtre IlAlice dans les jardinsdu LuxembourgCh. Bourgois, 128 p.,14,30 F.Par l'auteur de• L'Eté •.

ARTSURBANISME

ChineTexte de MichèlePirazzoli ett'Serstevens84 pl. en héliogravureWeber,.45 F.L'architecturechinoise, du Palaisimpérial à l'artdu jardin.

L'expérience françaisedes villes nouvellesPublications de laFondation Nationaledes SciencesPolitiquesA. Colin, 216 p., 29 F.Compte rendu d'uncolloque présidé. parP. Delouvrier.

Jean FavièreLe Berry romanPhotographiesinédites de Zodiaque128 pl. hélio6 h.-t. couleursZodiâque, 350 p., 40 F.A la découverte decette province d'unerichesse architecturaleinépuisable,notamment par lenombre de ses églisesromanes.

Les chemins deSaint-JacquesTextes de SaintAugustin et des• Miracles de SaintJacques. traduits parE. de SolmsIntroduction deR. Oursel80 p. héliogravure4 h.-t. couleursZodiaque, 200 p., 40 F.Un livre qui nouspermet de suivre, parle texte et par l'image,l'itinéraire des ancienspèlerins de Vézelay àSantiago deCompostelle.

MassinLa lettre et l'image(La figuration dansl'alphabet latin duVIII- siècle à nosjours)1 106 illustrations dont32 en deux couleursGallimard, 288 p, 75 F.Une somptueuse et trèsinsolite évocation del'évolution du graphismeà travers lescivilisations, parl'histoire, la sociologie,la paléographie,la sémantique et lasémiologie.

MatisseFlorilèges desamours de RonsardGarnier, 110 p., F.A l'occasion del'exposition Matisse

Ornemental designTexte de ClaudeHumbert1 000 dessins en2 couleursWeber, 240 p., 110 F.Une véritable étudedes diversescivilisations à traversleur graphisme

Claude Roger-MarxL'univers deDelacroix65 illustrationsH. Screpel, 96 p.,34,50 F.Les mille facettes dutalent de Delacroix.

Maurizio TaddeiInde53 illustrations encouleurs et 116 en noirEdition française,anglaise, allemandeColl. • ArchaelogiaMundi.Nagel, 268 p., 47,15 F.

HUMOURDIVERS

Georges CoulongesLe grand guignolCalmann-Lévy240 p., 14,40 F.Par l'auteur du• Général et son train.(Grand Prix del'Humour. 1964) etde • La Lune papa.(Prix Alphonse-Allais1966) .

Yvi LarsenMichel WarrenL'antisteak6 p. d'ill. hors-texteDenoël, 1968, 19 F.. Un • petit traité dudandysme culinaire •.

José Le DentuLe bridge facileFayard, 448 p, 40 F.Une méthode originalepour apprendre viteà bien jouer le bridge.

Young loveJeune amourL'Or du Temps,44 p., 24,50 F.Sous la forme d'unalbum de photographies,un manuel • demorale pratique • àl'intention de tous lescouples' à la recherchedu plaisir.

Serge San JuanXirisLosfeld, 45 F.Dans la célèbrecollection de bandesdessinées du TerrainVague, un nouveautitre qui ne décevrapas les amateurs.

Suède 1970Préface deJ.·P. Sartre13 p. de planches16 p. de plans et decartes• Les Encyciopédiesde .voyage •Nagel, 480 p., 40,85 F.Réédition et

considérablementaugmentée.

Henri ViardRira bien qui mourrale dernier8 p. hors-texteLaffont, 224 p., 10 F.L'envers de l'histoirecontemporaine vu parun humoriste qui luidonne ici unedimension grotesque etterrifiante.

POCHELITTERATURE

Asimov Bradburyet d'autresAprèsEdition établie parCharles' NuetzelBibliothèque MaraboutUne anthologie de lascience-fictionaméricaine dans sestendances les plusactuelles.

HomèreL'odysséeGarnier/Flammarion.

StendhalRacine etShakespeareGarnier/Flammarion.

ZolaLa curéeGarnier/Flammarion.

THEATRE

Hector BianciottiLes autres,un soir d'étéTrad. de l'espagnolpar M.-F. RossetGallimard/Théâtre duMonde EntierPar l'auteur des'. Désert dorés • et de'. Celle Qui voyage lanuit. (voir lesnO' 22 et 77 de laQuinzaine) •

POESIE

Guillaume ApollinaireLe guetteur .mélancolique suivi dePoèmes retrouvésNotice de MichelDécaudlnGallimard/Poésie.

Henri ThomasPoésiesPréface de J. BrennerGallimard/Poésie.

ESSAIS

Albert GrenierLes GauloisPrésentation deLouis HarmandPetite BibliothèquePayot.

LénineLa révolutionbolchévistePetite BibliothèquePayot.

B. MalinowskiLa vie sexuelledes sauvagesdu nord-ouest dela MélanésiePetite BibliothèquePayot.

INEDITS

André BergéLa sexualitéaujourd'huiCasterman/E 3Série • Vie affectiveet sexuelle •.

Nigel CalderLes armementsmodernesFlammarion/ScienceLe dossier desarmements modernes:un documentterrifiant d'après lestémoignages desspécialistesmilitaires etscientifiques.

Hal ClementGrains de sableTrad. de l'américainsous, la directi,onde Paul AlexandreDenoël/Présencedu FuturSept nouvelles descience-fiction qui ontpour fil 'conducteur le• système D. del'astronaute.

Alexandre CordellLa Chinoise blondeBibliothèque MaraboutUn roman de politlque-fiction à traverslequel se déssine uneimage des plusvéridiques de laChine contemporaine.

Jean DalsaceMaitre Dourien-RollierL'avortementCasterman/E 3Un nouveau titre dansla série • Vieaffective etsexuelle ••

Richard EvansEntretiens avecC. G. JungAvec des

commentaires deErnest JonesPetite BibliothèquePayot.Une série d'entretiens.qui eurent lieu en1961. peu avant lamort dupsychanalyste, et àtravers lesquels sedégagent les grandeslignes et les grandsprincipes de sadoctrine.

Jacques FanstenMichel SimonSeghers/Cinémad'aujourd'huiA travers le portraitdu grand comédien,une réflexion sur la• création. au cinéma.

V. A. FlrsoffVie, intelligenceet galaxiesDunod/Science-pocheInaugurant cettenouvelle collection,un livre pour tousles publics.

Jean FourastiéDes loisirs:pour quoi faireCasterman/E 3Un nouveau titre dansla série• Manutentions-Orientations •.

Albert d'HaenensLes invasionsnormandes, unecatastrophe?Flammarion/Questionsd'HistoireUne peinture desNormands quis'écarte opportunémentde tous les poncifs.

Léon KolodziejAdam MickiewiczSeghers/Poètesd'aujourd'huiLa vie, la personnalitéet l'œuvre de cepoète particulièrementreprésentatif duromantisme européen.

A. Kremer-MariettiAuguste ComteSeghers/Philosophesde tous les tempsUne analyse rigoureusede la penséepositiviste.

M. Mc CalgLes aimantsDunod/Science-pocheLes dernièresdécouvertes de latechnique dans ledomaine dumagnétisme.

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Aux Editions Rencontre

Dans les bonnes librairies

}

RomansVol. III, IV, V Fortunata et Jacinta (3 volumes)

Ouvrages àparaître en automne 1970 ou auprintemps1971:

RomansVol. VI L'Ami MansoVol. VII La Fontaine d'Or

Pour la première fois enlangue française, une présentation

d'ensemble de l'œuvre de

BENITO·plREIGALOOSUne fresque inoubliabledu XIXe siècle espagnolBenito Pérez Galdos est le narrateur de son époque, le seulen qui demeure l'image inoubliable d'un siécle qui, enEspagne, n'est pas celui d'orgueilleuses promesses, maisdes épreuves de la conscience nationale. Pourtant, cet. \ ,écrivain de taille universelle, aussi célébre dans son paysque le fut Cervantés, n'a R.as encore connu chez 1I0US lesuccès qu'il mérite. Pourquoi, comment a-t-on pu ignorerun 'tel génie qui donna à l'histoire et à la littératureoccidentales des œuvres égales aux plus grandes, quifut le Balzac, le Hugo, le· Swift et le Zola de l'Espagne?C'est un mystère.Benito Pérez Galdos reste le témoin lucide et passionnéde cette descente auxénfers que connut l'empire le plusétendu du monde à l'heure où il perdait une à une sescolonies et où les querelles régionalistes menaçaient sonunité.Vous découvrirez, à travers les romans et les ft Episodesnationaux» de Benito Pérez Galdos, l'extraordinaire aven-ture d'vn pays isolé de tous, qui traversa des épreuvessanglantes dont il porte les plaies aujourd'hui encore. Avecson talent inimitable, Galdos analyse, dissèque, raconte etexplique l'époque dont il fut le témoin et donne au lecteurles clés de l'Espagne contemporaine.Mme Monique Morazé, éminente spécialiste de Pérez Galdos,a rassemblé les œuvres que vousles Editions Rencontre. Les meilleurs traducteurs français:R. Marrast, P. Guénoun, B. Sesé, B. Lesfargues et M. Lacosteont collaboré à cette entreprise.

Des sept ouvrages suivants, cinq sont déjà parus:

Episodes nationaux-- .Vol. 1 Trafalgar - La Cour de Charles IVVol. II Juan Martin el Empecinado

Les Cent Mille Fils de Saint Louis

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·«Grâce·.à lui, le XIXe siècle espagnol n'estpas vide.» Jean Cassou