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Année 2012/2013 Master 2 droits de l’Homme Directrice de Master : Mme Florence Benoît-Rohmer Maître de stage : M. Boubacar Bal Rapport de stage : EXCLUSION SOCIALE ET PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME EN EUROPE Adélia Marcillat M2 droits de l’Homme Parcours droits de l’Homme en Europe

rapport de stage Ade?lia Marcillatadelia.marcillat.free.fr/Rapport_Stage_Adelia_Marcillat.pdf · prendre en stage du 1er mars 2013 au 30 juin 2013 avec des journées de formation

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Année 2012/2013 Master 2 droits de l’Homme

Directrice de Master : Mme Florence Benoît-Rohmer

Maître de stage : M. Boubacar Bal

Rapport de stage :

EXCLUSION SOCIALE

ET PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME EN EUROPE

Adélia Marcillat

M2 droits de l’Homme

Parcours droits de l’Homme en Europe

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier Monsieur Régis Brillat pour son aide dans la réflexion sur le sujet de recherche de la deuxième partie. Je remercie également mon maître de stage, Monsieur Boubacar Bal, pour son soutien dans la rédaction de ce rapport.

Je remercie aussi mon père, Gilles Marcillat et ma mère, Christine Marcillat, pour

leurs précieux conseils de rédaction.

D’une manière plus générale je remercie toute l’association SOS AIDE AUX HABITANTS qui m’a permis de réaliser un stage passionnant et enrichissant dans une ambiance conviviale et agréable. De même, je remercie tous les collaborateurs avec qui j’ai eu l’occasion de travailler dans les différents lieux où j’ai accompli mes missions de stage.

Enfin, je tiens à remercier Monsieur Thierry Stolle qui a fait preuve d’une disponibilité

sans faille tout au long de la période de stage pour les questions administratives relatives à ce rapport.

SOMMAIRE INTRODUCTION

PREMIERE PARTIE : PRESENTATION DU STAGE

Introduction

I – Missions et activités de l’association

§1 – Point rencontre Parents-Enfants

§2 – Accompagnement des familles monoparentales

§3 – Médiation scolaire

§4 – Les adultes relais

§5 – le dispositif Femmes en Très Grand Danger

II - présentation des tâches du stagiaire

§1 – La médiation pénale et de proximité

A - La médiation pénale

B – La médiation de proximité

§3 - L’accès au droit

§2 – L’aide aux victimes

Conclusion

DEUXIEME PARTIE : EXCLUSION SOCIALE ET PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME EN EUROPE

Introduction

I - L’approche retenue par la cour européenne des droits de l’Homme

A - Une absence primaire de prise en compte du problème par la convention

B - Une prise de conscience des répercussions de l’exclusion sociale sur certains droits par le juge de Strasbourg

C - Une méthode d’approche indirecte qui oublie des conséquences de l’exclusion sociale

II – La prise en compte du problème de l’exclusion sociale par le système de la Charte sociale européenne

A –La prise en compte de la protection contre l’exclusion sociale par le texte lui- même : l’article 30 de la Charte sociale

B – Les apports des décisions du CEDS : l'indivisibilité des droits

C - La justiciabilité du droit à la protection contre l’exclusion sociale en question : le degré de contrainte des décisions du CEDS

III - L’approche de l’Union européenne par le biais de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

A – Le préambule de la CDFUE : une entrée en matière qui n’oublie pas la protection contre l’exclusion sociale

B – La protection contre l’exclusion sociale offerte par les articles de la CDFUE

C – L’approche de la CDFUE : entre indivisibilité voulue et divisibilité effective

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

ANNEXES

INTRODUCTION

Lors du premier semestre de Master 2, j’ai eu l’occasion de faire un stage en cabinet d’avocats durant le mois d’Octobre. Ce stage m’a passionnée et m’a fait réaliser que je souhaitais me diriger vers la profession d’avocat qui mêle étude des règles juridiques, application pratique du droit et contacts humains. C’est dans cette optique que j’ai alors choisi de faire un stage de fin d’études me permettant de me familiariser avec les milieux de conseil juridique.

Parallèlement à cette réflexion professionnelle, je souhaitais que mon stage me

permette de me confronter à la réalisation concrète des droits de l’Homme. En effet, très intéressée par l’approche théorique de ce domaine d’étude lors du premier semestre, je sentais le besoin d’approcher le « terrain » afin de comprendre l’articulation entre la théorie des droits de l’Homme et la pratique.

Par ailleurs, mon engagement de longue date dans une association d’éducation

populaire (les foyers ruraux 54) m’a familiarisée avec les questions de lutte contre l’exclusion sociale. Cet intérêt fut renforcé par les cours de Justice Sociale auxquels j’ai eu l’occasion de participer lors de mon séjour Erasmus en Irlande du Nord. De plus, les cours d’étude de la Charte Sociale du Conseil de l’Europe dispensés durant le premier semestre du master m’ont fait prendre conscience de la dimension juridique du problème de l’exclusion sociale en ce qu’il s’inscrit dans la question de la place accordée aux droits économiques et sociaux au sein des systèmes de protection des droits de l’Homme, en d’autres termes dans la question de l’indivisibilité des droits de l’Homme. C’est donc en raison de cet intérêt pour la question sociale en Europe que j’ai souhaité aborder la pratique des droits de l’Homme sous un angle social.

Ces trois approches m’ont naturellement conduite à postuler dans des associations d’accès au droit. SOS AIDE AUX HABITANTS, basée 36 allée Reuss à Strasbourg, a alors répondu favorablement à ma demande. Suite à un entretien, l’association a accepté de me prendre en stage du 1er mars 2013 au 30 juin 2013 avec des journées de formation en février. M. BAL, chef du service juridique a été mon maître de stage pendant toute cette période.

Le présent rapport de stage a pour objectif de présenter mon stage au sein de

l’association mais aussi de développer un thème d’actualité traité pendant le stage et en lien avec les droits de l’Homme.

Les permanences d’accès au droit et d’aide aux victimes que j’ai assurées lors de mon

stage me permirent donc de comprendre combien il est important d’approcher les institutions des citoyens pour renforcer la cohésion entre ces citoyens et ces institutions et ainsi donner tout son sens au mot « Société ». En effet, si le dictionnaire Larousse définit la Société comme

étant « un ensemble d’être humains vivant en groupe organisé »1, on peut penser que cette définition doit être étoffée. La notion de contrat social, développée par le philosophe Jean- Jacques Rousseau, doit ainsi intervenir pour nous faire comprendre combien il est nécessaire qu’un individu soit intégré socialement pour que la Justice rendue dans le cadre de la Société soit légitime et équitable.

Cette réflexion m’a alors amenée à constater que le droit au procès équitable, c'est-à-

dire le droit à une Justice équitable, tel qu’il est inscrit à l’article 6§1 de la Convention Européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l’Homme, ne peut se concevoir sans la Justice Sociale. Ce faisant, j’ai réalisé combien la protection contre l’exclusion sociale était nécessaire pour que tous les droits de l’Homme soient respectés. Par conséquent, cette observation a encore renforcé mon attrait pour la question de la lutte et contre l’exclusion sociale et de la prévention de ce phénomène.

J’ai alors fait part de mes observations à mon maître de stage et c’est avec son accord ainsi qu’avec celui de Madame Benoît-Rhommer, directrice de master, et avec l’aide Monsieur Régis Brillat, que j’ai pu déterminer mon sujet de stage :

Dans quelle mesure l’exclusion sociale constitue-t-elle une violation des droits de l’Homme et comment les systèmes de protection des droits de l’Homme en Europe

prennent-ils en compte cette violation ?

Ainsi, je m’attacherai d’abord à présenter l’association ainsi que les tâches qui m’ont été confiées (première partie), cette présentation m’amenant ensuite à développer le thème choisi (seconde partie).

1 Dictionnaire « Le petit Larousse illustré », Larousse, Paris, 2010.

PREMIERE PARTIE : PRESENTATION DU STAGE

Introduction

En 1987, constatant un manque de dialogue entre la population et les institutions, Madame Claude Beau, juge au tribunal pour enfants de Strasbourg, prit l’initiative de créer l’association SOS AIDE AUX HABITANTS. Dans la même année, l’association fut habilitée par le ministère de la justice pour la mission d’aide aux victimes, se voyant ainsi reconnaître une mission de service de public par les autorités étatiques.

C’est sans doute grâce au contact direct que la fondatrice de l’association entretenait

avec les personnes confrontées à l’appareil judiciaire qu’elle a pu réaliser le déficit d’information dont souffraient ces personnes ainsi que leur besoin d’accompagnement. L’objectif initial de l’association a donc été d’apporter un soutien à ces personnes pour qu’elles ne se sentent plus seules face aux institutions de la justice. De même l’action d’SOS AIDE AUX HABITANTS s’est d’emblée inscrite dans la lutte contre l’exclusion sociale en permettant aux personnes exclues socialement d’obtenir aide et assistance. Dès le départ, l’action de l’association a été marquée par la diversité de ses interventions qui sont encore aujourd’hui d’ordre juridique, psychologique et social.

I – Missions et activités de l’association

L’activité de SOS AIDE AUX HABITANTS a fortement évolué depuis la création de l‘association. En effet, petit à petit l’association a diversifié ses missions ce qui a entraîné une augmentation du volume d’affaires passant par SOS AIDE AUX HABITANTS. Ainsi, au départ créée et habilitée pour l’aide aux victimes, l’association s’est ensuite occupée de l’accès au droit et de la médiation pénale et de proximité. Ces trois missions, aide aux victimes, accès au droit et médiation, constituent aujourd’hui l’activité du service juridique de l’association.

Toutefois, les missions de SOS AIDE AUX HABITANTS ne se limitent pas à cette

seule activité juridique.

§1 – Point rencontre Parents-Enfants

Ainsi, en 2006, un point rencontre parents enfants (PRPE) a été créé au sein d’SOS AIDE AUX HABITANTS pour les familles situées dans le Bas-Rhin mais vivant hors de Strasbourg. Le PRPE est un lieu neutre où les parents en conflit peuvent venir voir leurs enfants sous le regard d’un accompagnant de l’association. Face à des situations familiales complexes, le PRPE permet aux enfants et aux parents de garder le contact et donc de conserver des liens familiaux. Le PRPE met ainsi en œuvre l’article 373-2 du code civil qui dispose que « Chacun des pères et mères doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent ». Dans un cadre plus global, cette action s’inscrit dans le champ de l’article 9-3 de la convention internationale des droits

de l’enfant qui prévoit que l’enfant doit pouvoir entretenir des contacts réguliers avec ses deux parents2.

L’activité de l’association dans le cadre du PRPE est plurielle. Elle est d’ordre

juridique en ce qu’elle s’inscrit dans le cadre de mesures prononcées par le juge aux affaires familiales, c'est-à-dire un cadre judiciaire. Elle est également sociale puisqu’elle permet aux parents et aux enfants de se voir et d’entretenir les liens familiaux qui les lient. L’activité est enfin d’ordre psychologique car une écoute et un soutien psychologique sont des éléments nécessaires à la réussite de ce point rencontre. Pour le PRPE, l’association fait donc intervenir des juristes, des travailleurs sociaux et des psychologues. C’est la combinaison de ces trois interventions qui rend l’action si efficace et pérenne et qui assure son succès.

§2 – Accompagnement des familles monoparentales

C’est aussi pour permettre de meilleures relations familiales qu’SOS AIDE AUX HABITANTS propose un accompagnement psychosocial et éducatif pour les familles monoparentales. Confrontées au défi de l’éducation de l’enfant et aux difficultés que cela implique, ces familles monoparentales sont souvent fragiles, tant d’un point de vue financier que d’un point de vue psychologique.

Leur apporter une écoute et un soutien pour identifier les problèmes qu’elles

rencontrent et leur source, tout en leur exposant des solutions possibles c’est permettre à ces familles vulnérables de retrouver une stabilité qui leur permette d’offrir une bonne éducation à leurs enfants. Ce faisant, c’est le phénomène d’exclusion sociale qui est enrayé tant pour le parent qui en est la victime aujourd’hui que pour l’enfant afin qu’il n’en soit pas une victime demain.

§3 – Médiation scolaire

Toujours en matière d’action pour l’enfance, SOS AIDE AUX HABITANTS propose, depuis 2009, une formation pour la médiation scolaire. Le but est ici de proposer aux professionnels de l’éducation des outils pour aider les enfants à gérer leurs conflits de manière pacifique. L’objectif est ici d’insuffler aux enfants, dès leur plus jeune âge, l’idée que le dialogue peut résoudre les problèmes et qu’ils peuvent y parvenir eux-mêmes.

Parallèlement à ces formations pour la médiation scolaire, l’association intervient

également en milieu scolaire pour sensibiliser les élèves à la lutte contre les discriminations (journée de sensibilisation sur le sexisme en 2011) dans le but global de promouvoir le respect de l’autre et la tolérance, en d’autres termes les notions clefs des droits de l’Homme, auprès du jeune public.

2 Convention Internationale des droits de l’enfant, article 9-3 « les Etats parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrment des relations personnelles et des contacts durects avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant ».

§4 – Les adultes relais

Parallèlement à ces trois actions, SOS AIDE AUX HABITANTS propose aussi un service d’accès collectif aux droits dits service « adultes relais ». La dynamique de l’association en la matière est particulière puisque l’association a devancé les initiatives étatiques en lançant ce service au niveau bénévole, en 1994. En 2001, constatant le succès du service, la ville de Strasbourg a mis en place des conventions d’adultes relais qui ont alors été utilisées par l‘association. Ce service social a pour mission principale d’aider les personnes dans les problèmes qu’elles peuvent rencontrer lors de leur parcours afin de lutter contre l’exclusion sociale. Ainsi, les adultes relais permettent un réel accès à des droits fondamentaux tels que le droit à l’éducation, à la formation, à l’emploi, au logement, à la santé et à l’exercice de la citoyenneté.

Les salariés de ce service, les adultes relais, sont des personnes vivant elles-mêmes en

zone urbaine sensible, ayant plus de trente ans et ayant elles aussi rencontré des problèmes dans leur parcours professionnel ou scolaire. Ces critères ont pour but de faire en sorte que ces personnes soient à même de comprendre la détresse du public qu’elles rencontrent et que les personnes reçues sentent qu’elles parlent à quelqu’un qui les écoute et les comprend. L’objectif est de nouer une véritable relation de confiance avec le public. Cette relation de confiance est en effet extrêmement importante car les adultes relais sont souvent les premières personnes auprès de qui les publics exclus socialement peuvent reprendre contact avec la Société. Les adultes relais remplissent donc une mission cruciale au sein de l’association, et, à plus large échelle, au sein de la Société, puisqu’ils permettent à des personnes de franchir la première étape pour sortir de leur situation d’exclusion sociale.

Au point de vue administratif, les adultes relais ont le statut de médiateurs

socioculturels. Ainsi, ils interviennent tant pour traduire des courriers que pour remplir des documents administratifs ou encore pour orienter les personnes vers les institutions, les professionnels ou les organismes sociaux compétents. Le service d’adultes relais mène des actions collectives dans différents domaines telle que l’action collective sur l’information et l’hygiène dentaire pour le domaine de la santé3, ou encore l’atelier d’insertion et de suivi des projets professionnels pour le domaine de l’emploi4.

Ce service travaille en étroite collaboration avec le service juridique d’accès individuel

au droit qui prend le relais lorsque les démarches à réaliser touchent des points juridiques.

§5 – le dispositif Femmes en Très Grand Danger

SOS AIDE AUX HABITANTS participe également au dispositif Femmes en Très Grand Danger (FTGD). Ce dispositif expérimental a été mis en place en Seine Saint Denis en 2009 et dans le Bas-Rhin le 16 décembre 2010.

Les personnes visées sont les femmes qui ont été victimes de violences commises par

leur conjoint, qui ont porté plainte pour ces faits et qui ne vivent plus avec l’auteur des violences. Le dispositif consiste à attribuer à la personne victime de violence un portable d’urgence, la décision d’attribution du téléphone étant prise par le procureur. Le portable, muni de géo-localisation, permet aux femmes bénéficiaires du dispositif d’avoir une ligne

3 Exemple d’une action qui fut menée le 10 avril 2013 4 Exemple d’une action qui fut menée le 17 avril 2013

directe vers les services de police. C’est une précaution contre les conjoints violents qui souhaitent violenter à nouveau leur ancienne compagne.

Dans ce cadre, SOS AIDE AUX HABITANTS, grâce à son contact direct avec la

population, identifie les personnes qui remplissent les conditions pour être bénéficiaires du dispositif FTGD et ce en partenariat avec l’association Viaduq 675. L’association organise alors des entretiens avec ces personnes pour leur proposer et leur expliquer le dispositif. Si les personnes acceptent, l’association les assiste ensuite pour rencontrer le procureur et procéder à l’attribution du téléphone d’urgence. C’est encore l’association qui montre aux femmes concernées le fonctionnement du téléphone et les procédures à respecter. Cette mission nécessite une écoute psychologique car les personnes, outre le besoin d’un soutien matériel pour se prémunir de violences futures, ont besoin de soutien psychologique pour surmonter les traumatismes subis et pour engager, et pérenniser, la démarche de rupture qu’elles sont en train d’établir entre elles-mêmes et leur ancien conjoint.

L’association mène donc plusieurs actions qui, toutes ont des besoins particuliers et pour lesquelles les différents services collaborent et partagent leurs savoirs. Ayant effectué mon stage au sein du service juridique de l’association, je vais maintenant développer les tâches qui m’ont été confiées dans le cadre de ce service tout en expliquant les différentes missions du service.

II - présentation des tâches du stagiaire

Le service juridique d’SOS AIDE AUX HABITANTS comprend plusieurs activités. Ainsi l’association a, d’une part, une mission de médiation pénale et de médiation de proximité (§1) pour laquelle j’ai pu assister à certains entretiens et d’autre part, une mission d’accompagnement des victimes d’infractions pénales (§2), ainsi qu’une mission d’accès au droit (§3). C’est particulièrement dans le cadre de ces deux dernières missions que j’ai pris part à l’activité de l’association car j’ai tenu des permanences de ces deux pôles d’aide, sous l’égide de mon maître de stage.

§1 – La médiation pénale et de proximité A - La médiation pénale

Les différends sont fréquents dans la vie quotidienne et conduisent souvent les

personnes à avertir les autorités par le biais de dépôt de plaintes ou de mains courantes pour tenter de régler les problèmes rencontrés.

Toutefois, les suites des plaintes n’ont pas forcément lieu dans les tribunaux. Ainsi, le

procureur peut choisir d’ordonner une mesure alternative aux poursuites : la médiation

5 L’association Viaduq 67 est également une association d’aide aux victimes et d’accès au droit basée à Strasbourg (2, rue d’alembert) avec laquelle SOS AIDE AUX HABITANTS collabore quotidiennement.

pénale. Cet outil de régulation amiable des conflits a été institutionnalisé avec la loi du 4 janvier 19936 codifiée à l’article 41-1, 5° du code de procédure pénale7.

Il met en action un nouvel intervenant, le médiateur pénal ou médiateur du procureur.

Ce médiateur est un tiers neutre et impartial, sans pouvoir de décision qui essaie d’entendre les parties pour trouver une solution au litige. Il est intéressant de remarquer que, si la médiation peut permettre à la victime d’obtenir une indemnisation de son préjudice lorsque le procès verbal de médiation le prévoit, l’infraction n’est pas inscrite sur le casier judiciaire de l’auteur des faits. En d’autres termes, cette solution de règlement des litiges permet de donner satisfaction aux victimes sans trop pénaliser les auteurs. Cependant, il est important de noter que le médiateur n’a aucun pouvoir de décision et que les convocations aux médiations pénales sont purement facultatives. Ainsi, si l’auteur des faits ou la victime ne souhaite pas se rendre à la médiation, il n’en est pas obligé. De même, l’une ou l’autre des parties peut choisir de ne pas se conformer au procès verbal de médiation. Cette absence de caractère obligatoire explique que certaines médiations n’aboutissent pas. Toutefois sur l’ensemble des dossiers confiés à l’association dans ce domaine, des solutions sont trouvées et évitent ainsi le passage au tribunal. La compétence territoriale de l’association en matière de médiation pénale s’étend sur toute la juridiction de Strasbourg.

Dans le cadre de cette activité, j’ai eu l’occasion d’assister à un entretien de médiation pénale mené par un juriste. Cet entretien était individuel, nous ne recevions donc que l’une des deux personnes impliquées dans l’affaire.

L’écoute a été le maître-mot du début de l’entretien. En effet, la personne reçue avait,

dans un premier temps, le besoin de donner sa version des faits et de sentir qu’elle était entendue par le médiateur. Une fois la personne mise en confiance, le médiateur a alors relaté les faits tels qu’ils lui étaient apparus en fonction des pièces du dossier et du témoignage de la personne. Ce faisant, le juriste a clarifié les faits en leur apportant un éclairage neutre et objectif. Ainsi, la personne a pu relativiser la vision subjective qu’elle avait de l’affaire et commencer à prendre du recul.

Cet entretien individuel s’est donc partagé entre écoute et information juridique. C’est

grâce à la combinaison de ces deux composantes que le juriste est parvenu à faire entendre raison à la personne reçue qui, après s’être sentie écoutée, a finalement accepté d’écouter à son tour.

Assister à cet entretien fut très intéressant car cela me permit de prendre conscience de

toute l’importance de l’écoute et de l’intervention d’une personne neutre au sein de différends pour modifier la perception que les protagonistes peuvent avoir du problème. J’ai ainsi pu me rendre compte du changement d’attitude de la personne reçue qui, en repartant, semblait plus prompte à régler le problème par la parole et par l’accord. Faire ce constat m’a amenée à réaliser que la médiation pénale avait, avant tout, un rôle de pacification des relations interindividuelles et de responsabilisation des individus. C’est en rétablissant le dialogue et en faisant prendre conscience aux personnes qu’elles peuvent changer les choses par leur

6 Loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale 7 Article 41-1 du code de procédure pénale : « Le procureur peut : […] 5° Faire procéder, à la demande ou avec l'accord de la victime, à une mission de médiation entre l'auteur des faits et la victime. En cas de réussite de la médiation, le procureur de la République ou le médiateur du procureur de la République en dresse procès- verbal, qui est signé par lui-même et par les parties, et dont une copie leur est remise ; »

comportement que le médiateur parvient à solutionner des litiges qui, sans son intervention, se seraient soldés par un procès, sûrement préjudiciable pour les deux parties.

B – La médiation de proximité

Pour étudier l’ensemble de l’activité de médiation menée par le service juridique, il

convient de s’intéresser à la médiation de proximité. Cette activité, dite de médiation sociale, a toujours existé à SOS AIDE AUX HABITANTS et ce depuis sa création en 1987. Cette mission s’explique par l’objectif de l’association qui est de contribuer à l’existence de bons rapports entre les habitants et d’éviter l’exclusion sociale.

L’association a mené une enquête en 1989 sur le sentiment d’insécurité au Neuhof,

quartier considéré aujourd’hui comme une « zone urbaine sensible ». Les résultats de cette enquête ont révélé que les conflits familiaux et de voisinage minaient la vie du quartier et contribuaient au sentiment global d’insécurité.

L’objectif principal de la médiation sociale est donc de rétablir le dialogue afin que les personnes en conflit trouvent ensemble un terrain d’entente pour régler leurs problèmes sous l’égide d’un tiers neutre et impartial : le médiateur de proximité. On voit donc que, comme en matière de médiation pénale, les personnes sont amenées à participer à la résolution de leur conflit, c'est-à-dire à être actrices de la solution apportée à leur litige. De même, le médiateur social n’a pas de pouvoir de décision. Il ne peut que conseiller les personnes sans jamais que les entretiens de médiation ne soient obligatoires. Si la médiation de proximité présente donc des points communs avec la médiation pénale, ce sont tout de même deux activités bien différentes. En effet, la médiation de proximité n’est pas encadrée par le code pénal. Au sein d’SOS AIDE AUX HABITANTS, cette mission a débuté par une prise en charge assurée par les bénévoles. Ce n’est qu’en 2009 que les autorités ont pris en compte cette activité avec l’inscription de la médiation de proximité dans le contrat intercommunal de prévention et de sécurité de la Communauté Urbaine de Strasbourg (CUS). Dès lors, l’association a été missionnée par la CUS pour s’occuper de cette activité de médiation sociale dans les quartiers sud de Strasbourg.

Les trois associations de médiation de proximité basées à Strasbourg8 ont élaboré un document listant les dix principes de la médiation de proximité parmi lesquels figure le principe des trois étapes de la médiation. Ainsi, il y a d’abord une proposition de médiation, ensuite un entretien préalable individuel et enfin la médiation proprement dite. Le respect de ces trois étapes est crucial car il assure que le processus d’objectivisation de la vision des parties au conflit se réalise et ainsi que les personnes en cause prennent de la distance avec leur affaire, permettant en cela de trouver une solution au problème.

Je n’ai assisté qu’à un seul entretien de médiation de proximité mené par une juriste médiatrice. Cet entretien était individuel, la juriste recevait les personnes ayant sollicité la médiation. Le couple âgé que nous avons reçu souhaitait ainsi dialoguer avec une de leur voisine qui insultait régulièrement les gens de l’immeuble et en particulier leur petit-fils et qui pratiquait un espionnage constant du voisinage.

8 Viaduq 67, Accord 67 et SOS AIDE AUX HABITANTS

L’entretien a surtout consisté en une écoute des personnes et en particulier de la femme qui semblait extrêmement perturbée par cette situation et qui avait besoin de parler. La médiatrice a tenté de leur faire prendre du recul par rapport à la situation et de leur faire comprendre qu’ils ne devaient pas se sentir coupables de quelques faits que ce soit. Durant cet entretien, j’ai compris combien le rôle du médiateur de proximité est d’apporter un point de vue objectif à la situation afin que les différentes parties puissent relativiser le cas qui est le leur.

Comme pour l’entretien de médiation pénale, j’ai pu constater que les personnes sont reparties plus confiantes mais aussi plus neutres vis-à-vis de leur problème et ainsi plus prompte à faire des concessions pour régler leur affaire.

Bien que j’ai pu assister à des entretiens de médiation, mon stage s’est surtout inscrit dans le cadre de l’accès au droit et de l’aide aux victimes.

§2 – L’aide aux victimes

Suite à sa création en 1987, l’association a donc été habilitée par le ministère de la Justice pour intervenir auprès des victimes d’infraction. Ayant une mission d’aide aux victimes, l’association a intégré l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM). Cet institut, qui fut créé en 1986, regroupe aujourd’hui 150 associations d’aide aux victimes basées sur tout le territoire et coordonne leur action. De plus, l’INAVEM est membre du programme « Victim Support Europe »9, ce qui inscrit l’action des associations d’aide aux victimes dans une dynamique européenne. L’européanisation de la réflexion sur l’aide aux victimes démontre la volonté de coordination de l’aide aux victimes au sein de l’Union Européenne. Cette européanisation de la question se comprend par l’impératif d’un traitement identique des victimes dans tous les Etats membres de l’Union. Cette démarche européenne de secours aux victimes d’infraction est donc mise en œuvre concrètement par un réseau associatif dense qui utilise le droit national pour réaliser l’objectif européen d’aide et assistance aux victimes. On peut donc parler d’articulation du droit européen et du droit interne en ce que le droit interne est le levier permettant la mise en œuvre de l’objectif de l’Union européenne qui est, en l’espèce, de soutenir les victimes d’infraction.

SOS AIDE AUX HABITANTS attache une grande importance à cette mission d’aide

et de suivi des victimes. Sur le plan juridique, l’accompagnement a pour but de permettre à la victime de faire valoir ses droits. A titre principal, l’aide aux victimes se fait dans les locaux des tribunaux de Strasbourg et de Saverne, au sein des bureaux d’aide aux victimes (BAV). Cette localisation s’explique par la volonté de venir sur le lieu même où les victimes sont confrontées à la Justice. Ainsi, les bureaux d’aide aux victimes peuvent immédiatement assister les personnes dans leurs rapports avec l’administration judiciaire.

C’est en réalisant une journée de permanence d’aide aux victimes par semaine au Tribunal de Grande Instance (TGI) de Strasbourg que j’ai pu comprendre ce qui signifiait

9 Ce programme, lancé par la commission de l’Union européenne en 2010 a pour objectif de renforcer les droits des victimes au sein de l’UE en coordonnant les actions des associations nationales d’aide aux victimes et en mettant à leur disposition un réseau tant de documentation que de professionnel. http://victimsupporteurope.eu/

http://www.revue-pouvoirs.fr/IMG/pdf/128Pouvoirs_p27-41_victimisation.pdf

concrètement l’aide aux victimes, d’autant plus que j’ai eu la chance que l’association m’accorde son entière confiance et me laisse assurer ces permanences, seule tout en étant sous l’égide de mon maître de stage qui restait disponible par téléphone pour tout problème que je rencontrerais.

L’organisation de ces journées était la suivante. Le matin, le greffe des comparutions

immédiates m’envoyait les cotes des comparutions du jour. Je prévenais alors les victimes concernées des possibilités qui s’offraient à elles telles que la constitution de partie civile. En fin de matinée, une fois les victimes prévenues, j’appelais l’avocat de permanence afin de faire le point avec lui sur les affaires de l’après-midi et sur les victimes qui sollicitaient son aide. Par ailleurs, le fait que le bureau d’aide aux victimes soit situé au tribunal me permettait d’informer l’huissier d’audience des constitutions de partie civile. Ce faisant c’est la cohérence des audiences, et donc de l’administration de la Justice, qui s’en trouvait renforcée. L’après midi, après être allée consulter le rôle pour connaître les décisions prises dans le cadre des comparutions immédiates de la veille, j’avertissais les victimes concernées pour les informer de la peine prononcée contre le mis en cause. Cette information permettait ainsi aux victimes qui ne s’étaient pas rendues à l’audience de suivre leur affaire.

Néanmoins, ces journées de permanence ne se résumaient pas à cette seule assistance

aux victimes des comparutions immédiates. En effet, de nombreuses victimes prenaient contact avec le bureau pour obtenir une explication d’une décision de justice ou bien de courriers de professionnels du droit.

En effet, les termes juridiques sont souvent complexes et il est nécessaire d’expliciter

ce qui est dit afin que la personne concernée comprenne parfaitement le contenu des décisions et courriers qui lui sont adressés. A cette explication des décisions et courriers s’ajoutait une information sur les recours qui s’offrent aux personnes. Ainsi, j’ai dû, à de nombreuses reprises, informer les personnes sur les règles à respecter en matière d’appel, de dépôt de plainte ou encore de saisine des fonds de garantie (Service d’aide au recouvrement des victimes d’infraction ou commission d’indemnisation des victimes d’infraction). En effet, ces procédures répondent à des formalismes précis qui doivent être respectés pour que les recours aboutissent. Grâce à ces journées de permanence, j’ai compris que l’aide aux victimes permet l’accomplissement du droit au procès équitable pour les victimes puisque ces personnes peuvent ainsi avoir accès aux différents recours grâce aux informations qui leur sont fournies. On peut donc voir la mission d’aide aux victimes comme s’inscrivant dans la réalisation de l’article 6§1 de la convention européenne des droits de l’Homme.

Toutefois, lors de mes permanences au bureau d’aide aux victimes, je me suis

demandée si l’aide aux victimes ne contribuait pas à la victimisation du droit pénal. Or, une grande partie de la doctrine critique cette approche qui consiste à faire de la victime une troisième partie d’un procès dont le but n’est à la base que la seule confrontation de l’auteur de l’infraction avec la justice. En incluant la victime dans le processus judiciaire, il y a un risque : celui d’aboutir à un procès où c’est pour la victime que la peine de l’auteur est prononcée. En d’autres termes, la constitution de partie civile risquerait de porter atteinte à l’objectivité des magistrats en ce qu’ils alourdiraient les peines en fonction des demandes des parties civiles10.

10 Daniel Soulez Larivière « De la victimisation et de nombreuses autres causes » Pouvoirs (revue française d’études constitutionnelles et politiques) n°128, la pénalisation, janvier 2009, p30.

pénal : http://vosdroits.service-public.fr/F1455.xhtml#N10111

Dans une même optique, la possibilité de citation directe offerte aux victimes peut être vue comme leur permettant de prendre la place du procureur de la République. Cette procédure de citation directe permet de saisir directement les juridictions civiles ou pénales en alors même que le procureur aurait pris la décision de ne pas poursuivre l’auteur des faits. En effet, le procureur est, normalement, l’autorité étatique qui décide d’engager les poursuites. Cela permet que ce soit l’Etat qui prenne la décision de poursuivre ou non les auteurs d’infraction, faisant ainsi en sorte que les poursuites judiciaires ne soient pas entachées de volonté vengeresse. En permettant aux victimes de saisir directement les juridictions en passant outre la décision du procureur, la citation directe remet en cause cette objectivité. On peut donc penser que cela constitue un risque en ce que cette procédure introduit une dimension de vengeance car ce sont les victimes qui prennent en charge les poursuites des auteurs d’infractions11.

Néanmoins, il faut grandement nuancer cette approche. En effet, en ce qui concerne la

citation directe, les victimes doivent verser une caution en début de procédure qui ne leur est pas reversée si le tribunal juge la procédure comme manifestement dilatoire12. Il y a donc un véritable effet dissuasif qui se constate en pratique Par conséquent, la citation directe, si elle permet à la victime de passer outre une décision du procureur, ne lui permet pour autant pas de se substituer au procureur puisqu’il y a un contrôle des juridictions qui filtrent les recours.

Sans aller plus loin dans le débat, il faut remarquer que le rôle des associations d’aide

aux victimes dans la victimisation du droit pénal doit être très fortement tempéré. En effet, la mission d’aide aux victimes de l’association ne doit pas être perçue comme ayant pour but de faire des victimes des accusateurs avec la conséquence d’atteinte à l’objectivité et à l’équité des procès. Ainsi, la mission de l’association en la matière a pour objectif principal d’expliquer aux victimes les recours qui s’offrent à elles en leur donnant les moyens de comprendre la justice. Par conséquent, on peut penser qu’à l’inverse, loin de contribuer à la victimisation du droit pénal, les bureaux d’aide aux victimes permettent l’accomplissement de l’objectivité de la justice et de son équité. En effet, en expliquant aux personnes les raisons d’un éventuel classement sans suite et les recours qui leur sont offerts au civil, les bureaux d’aide aux victimes permettent aux victimes de comprendre quel est l’objectif du droit pénal, leur expliquant ainsi qu’elles ne doivent pas se sentir oubliées par la justice.

Amenée à présenter un cas d’aide aux victimes lors de l’assemblée générale de l’association, le 6 juin 2013, j’ai porté le récit du cas en annexe.

Les permanences d’aide aux victimes que j’ai eu l’occasion de tenir furent très

enrichissantes tant en raison de la diversité des questions qui me furent posées qu’en raison de la collaboration permanente avec les professionnels du droit (avocats, huissiers, greffiers). Si j’ai été très intéressée par ces permanences d’aide aux victimes, je n’en ai pas moins éprouvé un vif attrait pour les permanences que j’ai tenues dans le cadre de la mission d’accès au droit de l’association.

§3 - L’accès au droit

Depuis les années 1970, la justice a dû faire face à une multiplication des demandes, ce qui a conduit à un engorgement du système judiciaire. Confrontés à ce problème, les

11 Caroline Eliacheff et Daniel soulez Larivière, « Le Temps des victimes », Albin Michel, 2007, chap. 2 12 Voir informations sur le site service-public.fr pour les conditions à respecter pour la citation directe en droit

responsables politiques en la matière ont alors souhaité développer une nouvelle approche en créant une justice de proximité favorisant ainsi l’accès au droit plutôt que l’accès au procès. L’objectif de cette politique d’accès au droit n’est pas seulement de favoriser l’accès au service public de la Justice mais aussi l’accès à la connaissance et à l’utilisation du droit par les citoyens. La logique qui sous-tend cette politique est donc de permettre aux citoyens de se rendre acteurs de leurs droits et devoirs au sein de la Société en faisant eux-mêmes les démarches pour que ces droits et devoirs soient respectés. Afin de permettre l’égal accès au droit de tous, cette politique d’accès au droit s’est inscrite dans une stratégie de développement d’un réseau social et associatif. Ce faisant, le but était de développer un dialogue avec un public souvent en difficulté qui avait besoin d’un relai face aux institutions étatiques dont il se sentait coupé. C’est dans ce cadre qu’a été adoptée la loi de 1991, modifiée par la loi de 1998, mettant en place l’aide juridique et qui traite à ce titre de l’accès au droit13. Dans sa deuxième partie, relative à l’accès au droit, la loi dispose que l’accès au droit « comprend l'aide à la consultation et l'assistance au cours de procédures non juridictionnelles »14. Cette mission consiste en effet à fournir une information juridique gratuite aux personnes qui en font la demande sans pour autant atteindre au monopole des avocats qui sont les seuls à pouvoir assister et représenter les personnes en justice. J’ai eu l’occasion de mieux appréhender les contours de cette frontière entre les deux activités lors d’une réunion organisée par le président du TGI en présence des associations d’aide aux victimes de Strasbourg, du président du barreau ainsi que de monsieur le procureur.

La loi ne précise pas les modalités pratiques de la mise en œuvre de l’accès au droit

mais elle a créé les centres départementaux d’aide judicaire devenus centre départementaux d’accès au droit (CDAD) avec la loi de 1998. Ces groupements d’intérêt public sont chargés de mettre en place concrètement le service de l’accès au droit à l’échelon local. Le but est ainsi « d’instaurer une véritable politique de régulation sociale par le droit en apportant une nouvelle définition de l’accès au droit »15. Ainsi, l’accès au droit permet que tous les citoyens puissent avoir connaissance de leurs droits mais aussi de leurs obligations et qu’ils comprennent ainsi mieux le tissu social dans lequel ils évoluent.

SOS AIDE AUX HABITANTS inscrit elle aussi sa mission dans le cadre de l’accès au

droit. Financée en partie par le CDAD67, l’association reste néanmoins un organisme distinct de ce groupement d’intérêt public. Dans le cadre de cette mission, l’association tient des permanences durant lesquelles les personnes peuvent, gratuitement, avoir accès à un juriste leur fournissant une information juridique adaptée à leur problème. Ces permanences ont lieu à Strasbourg trois fois par semaine à la maison de la justice et du droit et deux fois par semaine au siège de l’association. De même, l’association tient des permanences à Saverne et à Sarre-Union pour que toutes les personnes, même celles vivant en milieu rural, puissent avoir un accès effectif au droit. Par ailleurs, les permanences de l’association au tribunal de grande instance de Strasbourg et de Saverne s’inscrivent également dans le cadre de la mission d’accès au droit puisque certaines personnes qui y viennent posent des questions relatives à l’accès au droit et non à l’aide aux victimes. Toutefois, ces permanences faites dans les tribunaux s’inscrivent bien plus dans le cadre de la mission d’aide aux victimes.

13 Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, modifiée par la loi n° 98-1163 du 18 décembre 1998 relative à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits ; la loi de 1998 étend l’aide juridictionnelle au règlement amiable des conflits, avant la saisine d’une juridiction et simplifie le fonctionnement des bureaux d’aide juridictionnelle. 14 Loi n°91-647 précitée, article 53. 15 Informations trouvées sur le site « vie publique » rubrique « CDAD et MJD : politiques publiques de proximité et d’accès au droit » http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/juge-justice-proximite/reseau-judiciaire/

Cette mission d’accès au droit fut celle qui m’occupa le plus durant mon stage. Ainsi, j’ai assuré, en collaboration constante avec mon maître de stage, de nombreuses permanences tant à la maison de la justice et du droit qu’au siège de l’association ou même au tribunal.

Cette activité d’information juridique me passionna tant en raison de la réflexion

juridique qu’elle implique que du contact humain permanent qui la caractérise. En effet, durant les permanences j’ai reçu de nombreuses personnes avec des problèmes très variés et des profils extrêmement différents. Ainsi, j’ai été amenée à donner des informations en matière de droit successoral, de droit de la famille, sans oublier le droit du travail ou encore le droit administratif et bien sûr le droit des étrangers. J’ai particulièrement apprécié cette diversité des tâches car cela m’a permis d’apprendre beaucoup sur le droit et sur sa mise en pratique effective sans jamais qu’un effet de lassitude ne se crée. Cette diversité était notamment liée à la diversité du public venant aux permanences puisque alors que certaines personnes étaient dans une situation économique confortable et venaient simplement prendre un renseignement qu’ils ne savaient guère où trouver, d’autres étaient dans une situation beaucoup plus critique et cherchaient auprès des juristes la solution à leurs maux.

Par ailleurs, cette activité d’accès au droit m’a également appris beaucoup sur l’aspect

« humain ». Etant en contact permanent avec les usagers j’ai pu voir de près la détresse de certaines personnes confrontées à un système qu’elles ne comprennent plus. Leur permettre de mieux appréhender les règles juridiques qui régissent leur vie et qui sont un moyen de régler leur problème sans avoir recours à la violence fut une satisfaction de chaque instant.

Lors des permanences, les entretiens avec les personnes duraient en moyenne 30mn.

La première partie de l’entretien consistait principalement à écouter la personne pour qu’elle puisse expliquer son problème et, par la même occasion, constater l’intérêt qui lui était porté tout en lui permettant d’extérioriser son angoisse. Ensuite venait le moment de donner des informations claires sur la situation juridique dans laquelle était la personne et les recours qui lui étaient ouverts. J’ai fréquemment rédigé des lettres pour les personnes reçues, tant parce que certaines des personnes étaient analphabètes ou ne parlaient pas bien français que parce qu’une lettre rédigée en des termes juridiques a un impact certain sur le destinataire. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de ne pas pouvoir répondre de manière suffisamment précise pendant l’entretien. Lorsque cela s’est produit, je me suis toujours renseignée tant sur des sites internet fiables qu’auprès de mon maître de stage ou des autres juristes ainsi que des travailleurs sociaux lorsque les problèmes étaient en lien avec leur service. Cette bonne collaboration avec les travailleurs de l’association m’a permis de pouvoir toujours donner une réponse claire et déjà expérimentée aux usagers.

Cette activité d’accès au droit était incroyablement intéressante et enrichissante tant

sur le plan des connaissances juridiques que sur le plan humain. Bien que le stage dans sa globalité fut intéressant, tenir les permanences d’accès au droit et assurer le suivi des personnes déjà reçues dans ce cadre fut ce qui m’enrichi et m’intéressa le plus.

C’est également dans le cadre de cette mission de l’association que j’ai animé un

atelier de découverte des métiers de la justice et du droit le 2 mai 2013 au collège de la cité scolaire Henri Meck de Molsheim (document distribué aux élèves et rapport d’intervention en annexe). Animer cette activité était très enrichissant car cela m’a permis de sensibiliser les élèves à l’intérêt professions juridiques tout en leur faisant comprendre que ces carrières étaient avant tout des carrières qui doivent être choisies par passion et par attrait pour le droit et la justice.

Conclusion

Les différentes activités que j’ai pu faire pendant mon stage ont toutes été captivantes

et les quatre mois que j’ai passés au sein de l’association se sont déroulés si vite que j’ai vu la fin de mon stage arriver alors même que je pensais encore n’en être qu’au début. La confiance que m’a accordée l’association et en particuliers mon maître de stage, ainsi que l’attention constante qui m’a été donnée ont permis que mon stage soit passionnant et qu’ainsi je découvre dans de bonnes conditions la pratique du droit sur le terrain.

Surtout, mon stage a répondu à mes attentes et a été l’occasion d’approcher la réalité

de la mise en œuvre du droit et notamment des droits de l’Homme et ce en lien avec l’approche sociale du droit qui me tenait à cœur. Ainsi, j’ai beaucoup réfléchi à la thématique de l’exclusion sociale pendant mon stage et ma participation aux activités de l’association a beaucoup nourri cette réflexion en ce qu’elle m’a permis de constater, en pratique, les causes et les effets de l’exclusion sociale.

Souhaitant relier cette réflexion sur l’exclusion sociale aux droits de l’Homme et en

particulier aux droits de l’Homme en Europe, la deuxième partie de mon rapport de stage portera sur la prise en compte de l’exclusion sociale par les systèmes européens de protection des droits de l’Homme en Europe.

PARTIE 2 : EXCLUSION SOCIALE ET PROTECTION DES DROITS DE L’HOMME EN EUROPE

Retouche à la misère

Dans ton odeur de lierre à petits pas

toujours tournant le coin des rues le puzzle du ciel à la main

où manquent les pièces bleues

Daniel Boulanger

SOMMAIRE : Introduction

I - L’approche retenue par la cour européenne des droits de l’Homme

A - Une absence primaire de prise en compte du problème par la convention

B - Une prise de conscience des répercussions de l’exclusion sociale sur certains droits par le juge de Strasbourg

C - Une méthode d’approche indirecte qui oublie des conséquences de l’exclusion sociale

II – La prise en compte du problème de l’exclusion sociale par le système de la Charte sociale européenne

A –La prise en compte de la protection contre l’exclusion sociale par le texte lui- même : l’article 30 de la Charte sociale

B – Les apports des décisions du CEDS : l'indivisibilité des droits

C - La justiciabilité du droit à la protection contre l’exclusion sociale en question : le degré de contrainte des décisions du CEDS

III - L’approche de l’Union européenne par le biais de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

A – Le préambule de la CDFUE : une entrée en matière qui n’oublie pas la protection contre l’exclusion sociale

B – La protection contre l’exclusion sociale offerte par les articles de la CDFUE

C – L’approche de la CDFUE : entre indivisibilité voulue et divisibilité effective

Conclusion

« L’Homme est un animal social ». Cette très célèbre expression que l’on prête à Aristote exprime l’idée qu’il est dans la nature de l’Homme d’avoir des relations sociales avec ses semblables et de participer à la Société. Il faut alors envisager la relation dialectique qui se noue entre l’Homme et la Société. Chaque être humain a besoin de la Société pour vivre, pour s’envisager et se réaliser en tant qu’Homme. De même, la Société a besoin de chaque Homme pour être légitime puisque c’est du consentement des Hommes à prendre part à la Société que naît le contrat social qui donne aux lois et à la justice toute leur légitimité et leur autorité16.

Or, il est impossible de ne pas constater que des personnes vivent en marge de la

Société. Cette marginalisation, bien plus souvent subie que choisie, a amené les organisations internationales à s’interroger sur la question de l’exclusion sociale et à traiter cette question sous l’angle des droits de l’Homme. La présente étude aura pour objet de s’intéresser à ce traitement de l’exclusion sociale dans les systèmes internationaux de protection des droits de l’Homme et en particulier dans les systèmes européens.

Avant toute étude approfondie, il convient de bien comprendre les concepts en

présence et notamment celui d’exclusion sociale qui est au cœur du sujet.

Parler d’exclusion sociale n’est pas aisé. En effet, la notion a connu plusieurs appellations telles que la « sous-prolétarisation » ou encore « la marginalisation » mais elle est toujours restée floue17. Ainsi, si l’on envisage d’abord l’exclusion sociale sous l’angle de la pauvreté monétaire, il faut élargir notre vision des choses pour observer que l’exclusion doit bien plus être vue comme « un cumul de handicaps, au-delà de la simple pauvreté monétaire »18. Etre exclu socialement signifie donc, outre la détresse économique, une rupture du lien social et un isolement. Si les personnes en détresse économique peuvent être victimes d’exclusion sociale, d’autres personnes peuvent aussi être concernées pour des facteurs différents et c’est le cumul de ces facteurs qui conduit à une situation d’exclusion sociale. Sur ce point, l’approche de Dominique Schnapper est particulièrement intéressante19. Ainsi, pour l’auteur, l’exclusion sociale est un processus à multiples facettes qu’il faut envisager dans son hétérogénéité. Dans ce cadre plusieurs facteurs sont à prendre en compte. La déstructuration des cellules familiales de même que l’explosion du chômage de masse ou encore la ghettoïsation des populations en difficulté sont différents éléments qui peuvent aboutir à une situation qualifiée d’exclusion sociale20.

Pour la précision de l’étude, retenons donc que l’exclusion sociale est un processus aboutissant à la mise à la marge d’individus qui ne peuvent plus prendre part à la Société, ce processus ayant des causes diverses qui, souvent, se cumulent. L’exclusion sociale n’est donc jamais la caractéristique d’une population mais toujours un risque guettant les personnes en situation précaire. Par conséquent l’exclusion sociale n’est pas une fatalité, un sacrifice nécessaire pour le bien de tous au nom de l’utilitarisme21, mais un processus que la Société peut et doit combattre en raison de son combat pour le respect des droits de l’Homme.

16 Jean-Jacques Rousseau « Le contrat social », éditeur, date de publication, lieu, chapitre I. 17 Pierre Bourdieu « La rue des Jonquilles » dans « La misère du monde », sous la direction de Pierre Bourdieu ; éditions du seuil, Paris, 1993, notion utilisée p28 18 Julien Damon « L’exclusion », éditions que sais-je ; PUF ; Paris ; 2008, p3. 19 Dominique Schnapper, « Intégration et exclusion dans les sociétés modernes » p23 à 29 dans « L’exclusion, l’état des savoirs », sous la direction de Serge Paugam ; éditions la découverte, Paris, 1996 ; 20 Denise Jodelet « les processus psycho-sociaux de l’exclusion » p66 dans « l’exclusion, l’état des savoirs » précité. 21 Jean Pierre Dupuy « la philosophie sociale et politique face à la misère économique » p52, dans « l’exclusion, l’état des savoirs », précité.

Cette question de la place accordée au traitement de l’exclusion sociale par la Société est intéressante car elle interroge le rôle que la Société se donne vis-à-vis de ses membres et donc l’importance qu’elle accorde à la solidarité et aux droits de l’Homme. Etudier ce phénomène au sein des Etats est sans aucun doute très intéressant. Toutefois, face à l’émergence d’un droit européen de plus en plus construit, que ce soit au niveau de l’Union Européenne ou du Conseil de l’Europe, il semble qu’étudier le traitement du problème de l’exclusion sociale par la société européenne doit retenir notre attention. En effet, que ce soit le conseil de l’Europe, avec la CEDH et la Charte sociale européenne ou bien l’Union européenne dont la charte des droits fondamentaux a valeur de droit primaire depuis le traité de Lisbonne, tous deux défendent et promeuvent les droits de l’Homme, même si cela se fait à des degrés différents. Par conséquent, analyser la place accordée à la prévention et à lutte contre l’exclusion sociale par ces deux organisations permettra de comprendre quelle est leur vision juridique du problème sous l’angle des droits de l’Homme.

Dans quelle mesure l’exclusion sociale constitue-t-elle une violation des droits de

l’Homme et comment les organes européens de protection des droits de l’Homme de l’Union européenne, de la Convention européenne des droits de l’Homme et de la Charte sociale européenne abordent-ils le problème?

Pour répondre à cette question, nous étudierons successivement les différentes

approches retenues par les systèmes européens étudiés. Ainsi, nous verrons d’abord l’approche retenue dans le cadre du système de la convention EDH (I) puis celle retenue par le système de la Charte sociale européenne (II) et enfin celle retenue dans le cadre de l’Union européenne depuis que la charte européenne des droits fondamentaux a valeur de droit primaire (III).

I. L’approche retenue par la cour européenne des droits de l’Homme

Pour bien analyser et comprendre l’approche du problème de l’exclusion sociale par le système de la CEDH, il est intéressant de voir que la lettre de la CEDH ignore le problème de l’exclusion sociale (A) tout en remarquant qu’il y a eu une prise de conscience progressive du phénomène par la jurisprudence de la cour (B) pour enfin se demander si cette prise en compte est suffisante (C).

A. une absence primaire de prise en compte du problème par la convention

En 1945, l’Europe sortait exsangue d’un conflit fratricide qui avait donné lieu à un

génocide d’une barbarie indicible : la Shoa. Conscients qu’une étape dans la gradation de l’horreur venait d’être franchie, les Etats européens ont alors souhaité se doter d’un traité européen, additionnel à la déclaration universelle des droits de l’Homme, avec son propre système de monitoring22, pour s’assurer que plus jamais une telle ignominie ne se reproduirait23. C’est dans cette optique de défense de l’idéal démocratique qu’a été rédigée la convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l’Homme en 1950 à Rome, entrée en vigueur le 3 septembre 1953 et ensuite ratifiée petit à petit par les

22 Frédéric Sudre « la convention européenne des droits de l’Homme » PUF, éditions « Que sais-je ? », Paris 1990 ; p3. 23 Martyn Bond « Le conseil de l’Europe et les droits de l’Homme ; Une introduction à la convention européenne des droits de l’Homme » ; éditions du conseil de l’Europe, Strasbourg, 2010 ; p6

différents Etats membres du conseil de l’Europe. Par ailleurs, il faut se souvenir qu’à l’époque, le monde était en pleine guerre froide et que les pays membres du conseil de l’Europe et créateurs de la CEDH ont également souhaité se prémunir des dangers de dictature émanant de l’URSS.

On peut alors émettre l’hypothèse d’une vision négative de l’Etat vis-à-vis des droits

de l’Homme à cette période. Un Etat avait failli et cela avait entraîné un génocide, un autre était en train d’exterminer massivement des personnes au titre de son idéologie. On peut penser que c’est donc une logique de défense vis-à-vis de l’Etat qui était présente lors de la rédaction convention européenne des droits de l’Homme. Cette logique correspondrait d’ailleurs à celle suivit par la majorité des constitutions des Etats européens du XIXème siècle jusqu’à la fin de la seconde Guerre mondiale car ces constitutions « mettaient l’accent sur l’esprit libéral et protégeaient l’individu contre les risques d’immixtion de l’Etat dans sa sphère »24. Or, on se rend compte en effet que bon nombre des articles de la CEDH disposent que les Etats ont l’obligation de ne pas s’ingérer dans les droits des individus. Ainsi, les Etats ne doivent pas atteindre à la dignité et à la vie, ne doivent pas violer le droit à la famille des individus de même que leur droit d’association et bien d’autres encore. A lecture littérale de la convention européenne des droits de l’Homme avec le contexte du danger dictatorial à l’esprit, on peut donc penser que les obligations des Etats étaient majoritairement vues comme des obligations négatives.

Cette vision des choses a entraîné, dans les débuts de la convention, l’idée que l’Etat

n’avait guère d’obligation d’agir. En d’autres termes, la doctrine prônait alors l’idée que l’Etat devait uniquement s’abstenir de s’ingérer dans les droits des individus. Cette approche a eu des conséquences directes sur la prise en compte, ou plutôt l’absence de prise en compte, du problème de l’exclusion sociale par la convention. En effet, garantir un droit à la protection contre l’exclusion sociale implique que l’Etat agisse. Rappelons nous en effet que nous avons défini l’exclusion sociale comme un processus aboutissant à ce que des individus soient mis à la marge de la Société et ce en raison de handicaps multiples25. Ces handicaps sont notamment l’absence de revenus décents, et donc une pauvreté monétaire forte, l’absence d’éducation correcte permettant de faire face aux obligations de la vie d’adulte (éducation tant scolaire que parentale) ou encore le handicap physique voire également la fragilité familiale ou même simplement l’isolement social. Lutter contre ces différents handicaps implique que l’Etat prenne des mesures positives. Garantir un revenu minimum, une éducation pour tous, un logement pour tous. On se rend donc compte que le droit à la protection contre l’exclusion sociale est sous-tendu par une logique qui est l’antithèse de la logique de défiance envers l’Etat que nous avons dégagée dans le paragraphe précédent. Cela expliquerait donc pourquoi, dans le texte même de la convention ne figure pas le droit à la protection contre l’exclusion sociale.

Toutefois, il faut nuancer cette approche. En effet, à cette époque déjà, l’article 1er des

statuts du conseil de l’Europe disposait que le but de l’organisation était de « « réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun et de favoriser leur progrès économique et social

24 Julia Iliopoulos-Strangas « La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne face à la protection constitutionnelle des droits sociaux dans les Etats membres », dans « Droits sociaux et droit européen ; bialn et prospective de la production normative » Sous la direction de Jean-François Flauss ; Bruylant, Bruxelles, 2002 ; p14 25 Définition dégagée en introduction de la deuxième partie, à l’appui de « L’exclusion » de Julien Damon et de « Intégration et exclusion dans les sociétés modernes » de Dominique Schnapper ; ouvrages tous deux précités.

»26. On se rend donc compte que l’idée de défiance vis-à-vis des Etats doit être relativisée puisque le but de l’organisation du conseil de l’Europe, organisation cadre de la CEDH, était d’unir les Etats tout en leur demandant de promouvoir des idéaux et des principes ainsi que de réaliser un progrès économique et social. Par conséquent, le conseil de l’Europe avait, dès son origine, l’objectif de promouvoir l’action étatique en matière de progrès social. Néanmoins, les Etats ne partageant pas une vision commune des droits sociaux à l’époque27 il a semblé plus opportun de ne pas donner une visée sociale à la CEDH28. C’est pourquoi de nombreux auteurs ont alors affirmé que la CEDH ne garantissait que des droits civils et politiques, et non pas des droits sociaux et économiques, reprenant ainsi la célèbre distinction tripartite de Jellinek29. Les auteurs soutenant cette thèse distinctive entre droits civils et politiques et droits sociaux et économiques justifient leur approche en disant que la première catégorie de droits concerne essentiellement des libertés individuelles et des obligations négatives pour l’Etat alors que la seconde correspond plus à des objectifs d’action30. La conséquence de cette distinction n’est pas des moindres puisque, d’après cette théorie, seuls les droits civils et politiques sont justiciables, les droits sociaux et économiques se bornant à être des objectifs et des lignes directrices dont la justiciabilité est faible.

Par conséquent, c’est véritablement en raison de cette théorie de la distinction entre

droits civils et politiques et droits économiques et sociaux que la CEDH est vue comme un instrument qui n’a pas à prendre en compte le problème de l’exclusion sociale. En effet, l’exclusion sociale est envisagée par beaucoup comme une question relevant uniquement des droits sociaux et économiques. Ainsi, ce ne serait que par le biais de cette deuxième catégorie de droits que la protection contre l’exclusion sociale pourrait être assurée (droit au logement, droit à la santé, droit au travail, etc). Avant de débattre plus en avant sur cette distinction entre catégories de droits31, il faut en effet comprendre que pour beaucoup l’exclusion sociale est assimilée à un problème de pauvreté qui n’aurait aucun lien avec des droits ne nécessitant pas d’aide monétaire. Sans plus s’appesantir sur cette conception qui oublie que certaines victimes d’exclusion sociale ne sont absolument pas démunies financièrement mais simplement isolées socialement, il convient de remarquer que même sur ce fondement erroné, la CEDH est concernée par le problème de l’exclusion sociale.

En effet, il serait faux de dire que la lettre de la CEDH ne comporte aucune obligation

positive. L’article 6§1 de la CEDH garantit ainsi le droit au procès équitable et ce faisant, cet article fait peser sur les Etats l’obligation de mettre en place un système judiciaire à même de juger équitablement les causes qui lui sont soumises. Il y a donc bien une obligation positive qui est contenue dans le texte même de la convention, cette constatation permettant ainsi de relativiser le l’approche distinctive retenue par la doctrine32. Surtout, en ce qui concerne l’exclusion sociale, cette obligation positive impose que toutes les personnes puissent faire

26 Statuts du conseil de l’Europe, Londres, 5 mai 1949, article 1er, a). 27 Julia Iliopoulos-Strangas « La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne face à la protection constitutionnelle des droits sociaux dans les Etats membres », précité, p13 28 Birte Wassenberg, « Histoire du conseil de l’Europe (1949-2009) » éditions scientifiques internationales PIE Peter Langs SA, Bruxelles, 2012 ; p146. 29Gishlain Benhessa « la question de la souveraineté chez Georg Jellinek » lu sur mémoire online, université robert Schuman, M2 droit public fondamental 2008 http://www.memoireonline.com/07/09/2336/m_La-question- de-la-souverainete-chez-Georg-Jellinek0.html Et Olivier Jouanjan, « Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918) », PUF, Paris, 2005 ;

p295. 30 Martyn Bond « Le conseil de l’Europe et les droits de l’Homme ; précité ; p88 31 Voir plus loin, au I-C où l’idée est débattue. 32 Cette approche se fondant sur l’idée que les droits civils et politiques garantissent des libertés et correspondent à des obligations négatives de l’Etat

entendre équitablement leur cause dès lors qu’elle entre dans le champ de l’article 6§1. Par conséquent les personnes exclues socialement qui, par définition, peinent à accéder aux institutions de la Société et donc à la Justice, doivent pouvoir accéder au droit au procès équitable et c’est à l’Etat qu’il incombe de faire respecter ce droit. En conséquence, il faut remarquer que le texte de la CEDH, s’il ne mentionne pas la protection contre l’exclusion sociale stricto sensu, ne peut être lu comme ignorant totalement cette problématique.

C’est la logique qu’a retenue la Cour EDH en élaborant sa célèbre théorie des

obligations positives et en prenant ainsi en compte les victimes d’exclusion sociale.

B. Une prise de conscience des répercussions de l’exclusion sociale sur certains droits par le juge de Strasbourg

Envisagée dès le congrès de La Haye en 1948, la cour européenne des droits de

l’Homme a vu le principe de sa création consacré avec la signature puis l’entrée en vigueur de la CEDH (en 1953)33. C’est en 1959 que la Cour prend ses fonctions grâce à la déclaration de huit Etats parties qui ont reconnu sa juridiction obligatoire et de plein droit34. Dès cette époque, la Cour a eu le statut de juridiction internationale ayant, seule, le pouvoir d’interpréter la convention européenne des droits de l’Homme35. Par conséquent, l’interprétation que la Cour fait de la convention au fil de sa jurisprudence est d’une importance considérable puisque cette interprétation lie les Etats. C’est donc pour cette raison qu’il faut s’intéresser à l’approche jurisprudentielle élaborée à Strasbourg quand à la question des droits contenus dans la CEDH et à la question de l’exclusion sociale.

Comme nous l’avons remarqué dans le paragraphe précédent, l’article 6§1 prévoit une

obligation positive à l’égard des Etats qui doivent ainsi mettre en place un système judiciaire adéquat pour que toutes les causes soient jugées équitablement et ce dès lors que le procès en cause entre dans le champ de l’article 6§1, champ défini très largement par la jurisprudence36. La Cour EDH a confirmé cette approche notamment dans les affaires « Golder » de 197537 et « Airey » de 197938. Ainsi, dans l’arrêt Golder le juge a utilisé la méthode d’interprétation téléologique de la convention pour dégager l’idée selon laquelle l’article 6§1 implique un droit d’accès au tribunal. Le juge de Strasbourg a ensuite développé cette approche dans l’arrêt Airey où il a dégagé une obligation positive pour les Etats : l’obligation de mettre en place un accès concret et effectif au droit au procès équitable. C’est en effet, sous l’angle de la

33 Birte Wassenberg “Histoire du Conseil de l’Europe (1949 - 2009)”, précité, p137. 34 Birte Wassenberg “Histoire du Conseil de l’Europe (1949 - 2009)”, précité, p 77. Ainsi, seuls la Belgique, le Danemark, la RFA l’Irlande et les Pays Bas ont fait une déclaration entre 1953 et 1955. En 1958 le Luxembourg, l’Autriche et l’Islande les imitent, permettant ainsi d’atteindre les huit Etats déclarants requis. 35 Martyn Bond “Le conseil de l’Europe et les droits de l’Homme; une introduction à la convention européenne des droits de l’Homme”, précité, p8 36 Ainsi, le juge de Strasbourg apporte une notion autonome de la matière civile en établissant qu’une contestation est civile dès lors que prédomine un élément de droit privé ; CEDH 27 juillet 1987 « Feldbrugge », n° 8562/79 ; il en va de même pour la définition de la matière pénale où le juge adopte la méthode du faisceau d’indices pour déterminer qu’il y a matière pénale dès lors que la sanction atteint un certain seuil de gravité et que son objectif est plus la répression que la réparation ; CEDH 24 février 1994, « Bendenoun » n°12547/86. 37 CEDH 21 février 1975 « Golder c. Royaume Uni» n° 4451/70 38 CEDH 9 octobre 1979, « Airey c. Irlande » n°6289/73

volonté de droits concrets et effectifs et non théoriques et illusoires39 que la Cour EDH appréhende cette question.

Ainsi, parler d’un droit au procès équitable sans permettre à tous les justiciables de

pouvoir bénéficier d’un tel procès en raison de barrières financières serait la négation même de ce droit. En l’espèce de l’affaire Airey, la requérante avait porté son affaire devant la High Court où les frais de représentation sont très élevées et où la procédure est extrêmement complexe. Par conséquent, alors même que l’assistance d’un avocat devant la High Court n’est pas légalement obligatoire pour pouvoir y porter son affaire, la Cour EDH juge qu’en l’absence d’un conseiller éclairé, Madame Airey ne pouvait pas correctement faire valoir sa propre cause40. Ce faisant, la Cour EDH juge que le recours devant la High Court ne remplit pas les conditions suffisantes pour reconnaître qu’il est conforme à l’article 6§1 et qu’en conséquence il devait être épuisé avant que l’affaire ne soit portée à Strasbourg. En d’autres termes, la cour précise la portée de l’article 6§1 en indiquant qu’il impose que les recours puissent être effectivement portés par les usagers dans des conditions qui leur permettre de défendre valablement leurs droits. Cette appréciation est menée in concreto, en observant dans quelle mesure les personnes peuvent véritablement espérer que leur cause sera entendue et défendue. En droit français, cette obligation se concrétise par l’aide juridictionnelle, système qui permet aux individus ayant peu de revenus d’obtenir une aide d’Etat qui prenne en charge les frais de justice et de représentation41.

Cette appréciation de la Cour est en lien avec la protection contre l’exclusion sociale. Ainsi, « Le premier et le plus grand intérêt public est toujours la justice. Tous veulent que les conditions soient égales pour tous, et la justice n’est que cette égalité »42. En écrivant cette célèbre phrase, Jean-Jacques Rousseau met en lumière le rapport dialectique entre l’égalité et la justice et insiste sur l’idée que l’absence d’égalité entre les citoyens rend impossible la justice. Par conséquent, le droit au procès équitable, qui peut être analysé comme un droit à la Justice, à une Justice équitable, implique qu’il y ait égalité entre les citoyens. Or, l’exclusion sociale porte atteinte à cette égalité. En effet, si l’exclusion sociale ne se réduit pas à la catégorie des personnes en situation de pauvreté monétaire, elle la comprend43. Ces personnes pauvres ne peuvent pas payer des frais de justice élevés. D’ailleurs, la proportion de ces frais sur leurs revenus est bien plus grande que celle de ces mêmes frais sur les revenus de citoyens dans une situation financière confortable. En d’autres termes, l’appréciation relative des frais de justice et de représentation par rapport aux revenus de chacun des individus révèle qu’une même procédure peut représenter un sacrifice financier important, voire impossible, pour les uns quand elle ne représente qu’un simple coût pour les autres. Il y a donc une différence entre les citoyens qui a des conséquences sur leur droit à la justice. Sans tomber dans la caricature de la division de la Société entre deux catégories de citoyens, les riches et les pauvres, on constate qu’il y a le risque d’une Justice au service des seules personnes pouvant la financer. L’exclusion sociale, en ce qu’elle comprend la pauvreté monétaire, porte donc atteinte au droit au procès équitable. L’assistance financière pour les personnes pauvres est donc nécessaire pour que le droit au procès équitable soit respecté. Les personnes avec peu de revenus doivent pouvoir saisir la Justice comme les personnes ayant de forts revenus. En

39 CEDH, 23 juillet 1968 « Affaire "relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique" c. Belgique » (au principal) n° 1474/62; 1677/62; 1691/62; 1769/63; 1994/63; 2126/64 ; §3 CEDH, 28 novembre 1978 « Luedicke, Belkacem et Koç c. Allemagne» n°. 6210/73; 6877/75; 7132/75, §42; 40 §24 de l’arrêt. 41 Explication détaillée de ce système d’aide sur le site « service-public.fr » http://vosdroits.service-public.fr/F18074.xhtml 42 Jean-Jacques Rousseau, « Lettres écrites de la montagne », Neuvième lettre,(1764) ; Gallimard ; Bibliothèque de la Pléiade ; page 891. 43 Julien Damon « L’exclusion », précitée, p3.

d’autres termes, il faut que l’Etat corrige les conséquences de la différence de situation financière entre les individus au niveau de la saisine de la Justice pour que le droit à la Justice, le droit au procès équitable, soit respecté. Ainsi, la Justice, valeur nécessaire à l’existence d’une Société démocratique, implique que l’Etat protège les individus des conséquences de l’exclusion sociale. On peut appeler cette approche celle de l’inhérence : la protection contre l’exclusion sociale est inhérente au droit au procès équitable car sans elle, le droit est atteint dans sa substance. Suite à cette constatation d’inhérence de la protection contre l’exclusion sociale au droit au procès équitable, on se rend compte que l’action de l’Etat est nécessaire pour que la protection soit efficace.

Par conséquent, il y a une obligation positive de l’Etat de protéger les individus de la pauvreté pour que le droit au procès équitable soit respecté. C’est par cette approche couplée de l’inhérence et des obligations positives que la Cour EDH protège donc les personnes en situation de pauvreté monétaire quand à leur droit au procès équitable.

Dans le cadre de mon stage à SOS AIDE AUX HABITANTS, j’ai pu voir qu’en effet,

de nombreuses personnes avec peu de ressources hésitaient, voire refusaient d’agir en justice pour éviter trop de frais. Or, lorsque ces personnes apprenaient l’existence de l’aide juridictionnelle, l’obstacle financier tombait et ainsi beaucoup d’entre elles ont pu choisir d’ester en justice pour défendre leurs droits.

Cette méthode d’approche du problème de l’exclusion sociale par la Cour EDH se

retrouve au fil de la jurisprudence qui suit la célèbre affirmation de l’arrêt Airey selon laquelle : « nulle cloison étanche ne sépare [la sphère des droits économiques et sociaux] du domaine de la Convention ; […] si la Convention énonce pour l’essentiel des droits civils et politiques, nombre d’entre eux ont des prolongements d’ordre économique et social ». Ainsi, dans un arrêt contre la Lettonie en 199944, la Cour EDH avait tenté d’approcher le problème de l’exclusion sociale par le biais de l’article 3 en émettant l’hypothèse que la protection contre l’exclusion sociale était couverte par cet article dès lors que la situation d’une personne était d’une gravité telle qu’elle en devenait un traitement inhumain et dégradant. C’est donc là une approche plus directe encore que celle de l’inhérence puisque dans cet arrêt, la Cour a tenté d’appliquer directement l’article 3 à un cas d’exclusion sociale.

Toutefois, dans cette affaire encore, l’exclusion sociale n’est abordée que sous l’angle

de la pauvreté monétaire. Ainsi, Mme Larioshina a changé plusieurs fois de nationalité pour enfin devenir ukrainienne et les frais de justice exposés dans ces procédures l’ont entraînée dans une situation de dénuement. C’est pourquoi la requérante déplore l’absence d’assistance médicale gratuite en Lettonie. Après avoir à nouveau précisé que la CEDH ne garantissait aucun droit dit « social et économique », le juge de Strasbourg a toutefois envisagé le problème sous l’angle de l’article 3 en précisant que dans certains cas graves, il était possible de parler de violation de cet article lorsque l’Etat n’accordait pas une protection sociale suffisante. Néanmoins, dans cette espèce, si le raisonnement du juge est intéressant en ce qu’il fait tomber une situation de dénuement directement sous la protection de la CEDH, établissant là encore une obligation positive à la charge de l’Etat, le résultat l’est moins car le juge de Strasbourg ne considère pas le cas assez grave pour lui appliquer l’article 3. En d’autres termes, comme c’est souvent le cas, la Cour EDH fait un grand pas dans son raisonnement mais ne l’applique pas au cas de l’espèce.

44 CEDH 28 octobre 1999 « Pacenko c. Lettonie »

Dans l’arrêt Larioshina contre Russie, la Cour EDH poursuit son raisonnement en matière de protection contre l’exclusion sociale. Ainsi, dans cette affaire, la requérante alléguait ne pas pouvoir vivre décemment en raison de la faiblesse de sa pension de retraite. La Cour accepte alors le principe selon lequel l’insuffisance alléguée de prestations sociales peut en principe tomber sous le coup de l’article 3. C’est là un pas de plus dans le raisonnement de la Cour EDH en matière de protection contre l’exclusion sociale puisqu’elle élargit encore le champ de prise en compte du problème par l’article 3. Ainsi, l’arrêt Pacenko avait établi qu’une situation grave pouvait tomber sous le coup de l’article 3 mais il faut rappeler que la prestation en cause était celle de l’assistance médicale. Or, l’arrêt Larioshina concerne toutes les prestations sociales accordées par l’Etat. La Cour accepte donc l’idée que les prestations sociales sont nécessaires à ce qu’un individu ne soit pas dans une situation inhumaine et dégradante. La Cour EDH a également franchi un grand pas en traitant le problème de l’exclusion sociale sous l’angle du droit à la vie. Ainsi, dans l’arrêt Nitecki contre Pologne de 2002, la Cour a reconnu le principe selon lequel il y avait atteinte au droit à la vie lorsque les autorités mettent en danger la vie d’un individu en refusant de lui fournir des soins médicaux alors qu’elles s’y étaient engagées vis-à-vis de leur population. Cette approche de la Cour vis-à-vis de l’article 2 constitue un pas en avant en ce que le juge de Strasbourg accepte de reconnaître que l’absence d’aide médicale peut constituer une atteinte au droit à la vie. Ce raisonnement peut parfaitement s’appliquer aux situations d’indigence où les personnes ne sont pas en mesure de prendre en charge leurs frais médicaux et de santé. La prise en considération du problème constitue donc une avancée dans la jurisprudence de la Cour.

Cette protection contre l’exclusion sociale par le biais de l’article 3 et de l’article 2 se

comprend lorsque l’on est confronté à la pratique du droit. Ainsi, dans le cadre de mon stage, j’ai eu l’occasion de voir que certaines personnes exclues souffraient de leur situation comme on souffre d’un mauvais traitement et ce que ce soit en raison de pauvreté extrême ou pour d’autres raisons telles que l’isolement social. Cette souffrance m’a notamment frappée dans le cas d’un homme serbe en stade terminal d’un cancer mais qui ne pouvait pas être couvert par la Caisse primaire d’assurance maladie en raison d’une convention bilatérale entre la Serbie et la France. Faute de transmission d’un document par la Serbie, cet homme dont l’état de santé était tel qu’il ne pouvait plus se déplacer, était condamné à ne pas pouvoir se soigner. On peut là véritablement parler de mauvais traitement, ce mauvais traitement étant en relation directe avec l’exclusion sociale puisque le nœud du problème vient de la nationalité de la personne malade et de son incapacité à entrer en contact avec les institutions serbes et françaises. De même, on voit là poindre une atteinte au droit à la vie puisque l’absence de prise en charge des soins condamne cet homme à une mort certaine. La prise en compte de l’exclusion de la Cour EDH semble donc correspondre à la réalité de la pratique du droit.

Néanmoins, il faut tempérer cette approche optimiste du problème en remarquant que dans les trois affaires, la Cour a considéré que le cas n’atteignait pas le niveau minimum de sévérité requis. Or, dans les différents cas, les requérants étaient véritablement dans des situations de dénuement. En ce qui concerne l’article 3, on peut se demander quel est le niveau minimum de sévérité à atteindre. La cour exige-t-elle que la personne ne puisse plus se vêtir pour qualifier sa situation de traitement inhumain et dégradant ? De même, pour l’article 2, il est difficile de comprendre que la Cour n’applique pas son raisonnement au cas d’espèce. Donc, s’il y a une avancée théorique du raisonnement en matière de protection contre l’exclusion sociale, la mise en œuvre concrète de cette avancée n’a pas encore vu le jour. De même, la Cour ne se permet d’aborder ces questions que parce que les Etats ont décidé d’eux-

mêmes de mettre en place les aides sociales. En d’autres termes, la Cour ne pose absolument pas le principe de l’aide sociale d’Etat mais uniquement celui d’une assistance suffisante lorsque l’Etat s’est lui-même astreint à aider ses justiciables. Cette timidité politique de la Cour a de fortes et regrettables conséquences puisque cela crée un véritable vide juridique pour les cas où les individus ne vivent pas dans un Etat accordant des minima sociaux, créant ainsi de lourdes discriminations et oubliant de nombreuses violations des droits de l’Homme.

Toutefois, cette approche de la Cour a le mérite de mettre en lumière le fait que l’exclusion sociale puisse porter atteinte à la dignité des individus. Cependant, cette approche reste encore trop indirecte et oublie une partie de la définition de l’exclusion sociale et donc une partie de la protection contre cette exclusion.

C. Une méthode d’approche indirecte qui oublie des conséquences de l’exclusion sociale

Nous avons rappelé dans le premier paragraphe de cette étude le contexte d’élaboration de la CEDH qui s’est faite notamment en réponse aux atrocités de la seconde guerre mondiale45. Ce contexte explique donc le fait que la CEDH soit un instrument de protection des droits de l’Homme dont le but central est de garantir que plus jamais un Homme ne sera traité autrement qu’avec humanité. C’est pour cette raison que la dignité est un concept phare de la CEDH, comme la Cour EDH l’a notamment rappelé dans l’arrêt Kudla contre Pologne de 2000, en disant que « l’article 3 de la Convention impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine. »46. Ainsi, si l’on retient une approche téléologique de la convention, la dignité est une notion qui doit se lire en filigrane de tous les articles de la CEDH47. Communément, la dignité est définie comme « le respect dû à autrui, à soi même ou à une chose »48. Dans le cadre de la CEDH, il convient de l’envisager comme le respect auquel tout individu a droit en tant qu’individu, comme un droit au respect de son humanité qu’a chaque personne. Or, l’exclusion sociale porte atteinte à la dignité. Ainsi, peut-on encore parler de dignité laissée à un Homme lorsque celui-ci doit vivre dans la rue, aux yeux de tous ?

Sans aller jusqu’à cet extrême, notons que, dans notre Société, nous nous définissons

largement par notre rapport au travail, notre statut social. Lorsque nous nous présentons les uns aux autres, l’une des premières questions que nous posons est celle de l’occupation professionnelle. Une personne qui a perdu son travail peut donc avoir l’impression d’avoir perdu sa raison d’être vis-à-vis de la Société, comme le dit Pierre Bourdieu au sujet des ouvriers lorrains frappés par la fermeture des usines : « Avec les usines, c’est leur raison d’être qui a disparu »49. L’exclusion sociale frape donc l’individu dans son rapport à la Société, et il est même possible de dire que l’exclusion sociale porte atteinte au rapport dialectique entre la Société et l’individu. L’individu ne se reconnaît plus dans la Société et la Société ne reconnaît plus l’individu comme l’un de ses membres. Or, cette double reconnaissance est nécessaire à la fois à la légitimité de la Société dans ses activités d’autorité

45 Voir le développement porté au I – A 46 CEDH, 26 octobre 2000, « Kudła c. Pologne » n°30210/96 47 Frédéric Sudre « La convention européenne des droit de l’Homme » précité, p85. 48 Définition du dictionnaire « Le petit Larousse illustré », Larousse, Paris, 2010. 49 Pierre Bourdieu « La rue des Jonquilles » dans « La misère du monde », précité, p20

et à l’individu dans sa vie avec les autres, dans sa vie sociale50. L’individu victime d’exclusion sociale se sent en rupture avec les autres membres de la Société et souffre de cet isolement.

A cette souffrance ressentie s’ajoute la vision commune, et malheureusement fort

répandue, que les personnes en rupture avec la Société l’ont choisi. Ainsi, il est fort commun d’associer l’échec social à la faiblesse et à la paresse51. Néanmoins, cette approche oublie la définition même de l’exclusion sociale : un processus de mise à la marge de la Société en raison d’un cumul de handicaps. Les causes de l’exclusion sociale résident donc dans ce cumul de handicaps qui empêche les personnes qui en souffrent de s’intégrer pleinement à la Société. Pour le bien de l’étude, faisons un parallèle. Aujourd’hui fort heureusement, dans la Société européenne moderne, la vision du handicap physique est en train de changer et de plus en plus, les personnes handicapées physiques sont vues comme n’ayant pas choisi leur condition. Une personne en fauteuil ne peut pas travailler, se déplacer et vivre dans les mêmes conditions qu’une personne ayant l’usage de ses jambes, ce qui nécessite donc des adaptations, des mesures positives prises par l’Etat pour que la personne handicapée puisse mener une vie digne. Pour autant, on imagine bien mal reprocher à la personne handicapée son handicap et les efforts qui sont faits pour lui permettre de vivre dignement.

Or, si nous revenons au problème de l’exclusion sociale, et à sa définition, on se rend

compte que là aussi il s’agit de handicaps. Ces handicaps ne sont pas physiques mais sociaux : cellule familiale fragilisée, milieu scolaire chaotique, absence de soutien dans l’éducation, etc… Par conséquent, comme il est aujourd’hui admis que l’Etat doit mettre en place des politiques pour permettre aux personnes handicapées physiques de mener une vie digne, il devrait être admis que l’Etat mette en place des politiques pour que les personnes victimes d’exclusion sociale puissent se rétablir et mener elles aussi cette vie digne, à laquelle tout le monde aspire.

Par conséquent, la Cour EDH a, certes, réalisé une progression dans la prise en compte

du problème de l’exclusion sociale néanmoins, cette prise en compte est bien timide et ne se fait pas pour chacun des articles alors même que l’exclusion sociale est une atteinte à la dignité qui est un concept inclus dans tous les articles de la CEDH.

De plus, la vision de l’exclusion sociale qu’adopte la Cour EDH est très restreinte.

Ainsi, dans les différents arrêts que nous avons pu étudier, la Cour n’aborde que des problèmes de pauvreté monétaire et d’indigence. Or, l’exclusion conduit de nombreuses personnes à des conditions de vie inacceptables en raison, certes pour certaines de leur pauvreté extrême mais aussi et surtout en raison de leur solitude ou de leur isolement social. Ce faisant, ces personnes ne peuvent plus prendre part à la vie en Société et au « vivre ensemble ». Or, le droit à la vie est l’une des garanties considérées comme cardinales par les pays signataires de la convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l’Homme52. Si l’on réfléchit à ce droit à vie, bien plus que le simple fait de garantir le droit d’être vivant et de pouvoir le rester, on se rend compte qu’il implique de pouvoir vivre humainement, au sens du Mitsein de Heidegger53, c'est-à-dire vivre ensemble pour accomplir son humanité, reconnaître les autres et être reconnu tout autant par eux.

50 Jean Jacques Rousseau « Du contrat Social », (paru en mai 1762), réédité par Flammarion, Paris 2001, p55. 51 Sous la direction de Michel Chauvière « L’indigent et le délinquant ; pénalisation de la pauvreté et privatisation de l’action sociale » ; note de la fondation copernic ; éditions Syllepse, Paris, 2008 ; p30. 52 Frédéric Sudre « La convention européenne des droit de l’Homme » précité, p83. 53 Martin Heidegger « l’Etre et le temps » (première publication en 1927) ; édition gallimard, Paris, 1986.

Restreindre le droit à la vie à la seule absence d’atteinte injustifiée à la vie, revient à en faire un droit à la survie. Dans son arrêt Nitecki contre Pologne, la cour ne prend pas en compte ce phénomène. Elle ne traite le problème de l’exclusion sociale que dans le sens de l’accès aux soins pour rester en vie. Là encore il y a donc une définition bien étroite tant de l’exclusion sociale vue comme simple pauvreté monétaire que du droit à la vie qui oublie que vivre ne peut se concevoir sans vivre avec les autres. La Cour a donc progressé dans son approche en considérant le problème de l’exclusion sociale sous l’angle de l’article 2 néanmoins cette approche est très limitée et va dans le sens d’un droit à la vie qui ne prend pas tout son sens et qui se borne à un droit à la survie. Cette observation rend compte d’un point essentiel : le droit à la vie est un droit qui ne saurait être qualifié de social ou civil.

Si l’on peut saluer les progrès dans la prise en compte du problème de l’exclusion

sociale par la Cour EDH et espérer que cette approche s’élargira au fil de la jurisprudence à venir, on se doit de constater que cette prise en compte est encore trop restreinte en ce qu’elle s’attache à ne voir dans la protection contre l’exclusion sociale qu’un simple droit social dont la défense viendrait après celle des autres droits. En effet, depuis la seconde guerre mondiale et le développement des systèmes de protection des droits de l’Homme, on parle de plusieurs générations de droits, de droits civils et politiques qui sont justiciables et de droits sociaux et économiques qui doivent être vus comme des objectifs à atteindre. Si cette approche peut éventuellement se comprendre dans un cadre pédagogique, on voit ici qu’elle est inopérante en ce qu’elle freine le combat pour la protection contre l’exclusion sociale, c'est-à-dire pour le combat de la protection des droits de l’Homme. Il convient donc de s’éloigner de cette approche de générations de droits pour envisager les droits de l’Homme dans leur universalité et surtout dans leur indivisibilité.

L’approche de la question de l’exclusion sociale par le système de la convention EDH

est donc particulière et, si l’exclusion sociale est prise en compte, elle ne l’est que partiellement. Il est donc maintenant intéressant de s’attacher à étudier la protection offerte par le système de la Charte sociale européenne afin de comprendre si l’approche retenue par ce deuxième système rencontre les mêmes fragilités que celle de la CEDH ou non, et ainsi de comprendre quelle est la protection contre l’exclusion sociale offerte par le conseil de l’Europe.

II – La prise en compte du problème de l’exclusion sociale par le système de la Charte sociale européenne

Dès les travaux préparatoires de la CEDH, les Etats se sont posé la question d’une

convention garantissant les droits de l’Homme en matière sociale et économique. D’après la doctrine majoritaire, ces droits n’ont pas été intégrés dans la CEDH car les problématiques en présence à l’époque soulevaient déjà bien des débats et que cette question trop épineuse ne permettrait pas de parvenir à un consensus54. C’est pourquoi les Etats ont alors décidé de consacrer ces droits dans une Charte sociale à venir55, consacrant ainsi la vision de la divisibilité des droits de l’Homme entre droits civils et politiques garantis dans la CEDH et droits sociaux et économiques garantis par la Charte sociale. La Charte sociale a ainsi été signée à Turin le 18 octobre 1961 et est entrée en vigueur le 26 février 1965. Cette Charte de

54BirteWassenberg “Histoire du Conseil de l’Europe (1949 - 2009)”, précité, p146. 55François Lamoureux et Jacques Moliné, « Un exemple de coopération intergouvernementale : Le conseil de l’Europe », PUF, Paris, 1972 ; p. 32

Turin comporte la mise en place de son système de monitoring, piloté par le comité devenu le comité européen des droits sociaux56 (ci-après CEDS). Après avoir vu comment le système de la CEDH appréhende la question de la protection contre l’exclusion sociale, il convient donc de s’intéresser à la manière dont procède le système de la Charte sociale européenne.

Pour ce faire, nous nous intéresserons au texte de la Charte Sociale en lui-même et en

particulier à son article 30 (A), puis nous observerons comment la vision indivisibles des droits de l’Homme du CEDS est particulièrement pertinente pour le problème de l’exclusion sociale (B) et enfin, nous nous interrogerons sur la justiciabilité des décisions du CEDS et donc sur la portée de cette approche du problème de l’exclusion sociale par le CEDS (C).

A –La prise en compte de la protection contre l’exclusion sociale par le texte lui- même : l’article 30 de la Charte sociale

Nous avons vu qu’il était possible de dégager une dynamique de protection contre

l’exclusion sociale au travers de la jurisprudence de la CEDH par le biais de la théorie de l’inhérence et des obligations positives. Toutefois, l’originalité et la force de la Charte sociale résident dans la prise en compte directe du problème de l’exclusion sociale. Ainsi, l’article 30 de la charte sociale garantit la protection contre l’exclusion sociale comme un droit de l’Homme en soi : « Droit à la protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale, les Parties s'engagent:

1. à prendre des mesures dans le cadre d'une approche globale et coordonnée pour promouvoir l'accès effectif notamment à l'emploi, au logement, à la formation, à l'enseignement, à la culture, à l'assistance sociale et médicale des personnes se trouvant ou risquant de se trouver en situation d'exclusion sociale ou de pauvreté, et de leur famille;

2. à réexaminer ces mesures en vue de leur adaptation si nécessaire. »57

Cette prise en compte directe du problème de l’exclusion sociale permet

d’appréhender véritablement ce problème pour ce qu’il est. En effet, comme nous l’avons déjà établi, si l’on peut saluer les efforts de la Cour EDH pour prendre en compte ce phénomène, on ne peut que remarquer que cette appréhension indirecte du problème induit qu’il n’est possible de traiter les violations des droits de l’Homme résultant de l’exclusion sociale que de manière bien indirecte et uniquement s’il y a violation d’un article de la CEDH, ce qui ne permet pas de protéger les individus contre tous les cas d’exclusion sociale. C’est pourquoi, en garantissant un droit à la protection contre l’exclusion sociale, la Charte sociale permet de véritablement protéger les individus de ce fléau. Cependant, cet article ne figurait pas dans la première version de la Charte sociale. En effet, la protection contre l’exclusion sociale a très longtemps divisé les Etats du conseil de l’Europe. Ainsi, tant dans la vision de l’exclusion sociale que dans les mesures de protection, les Etats du conseil de l’Europe de 1965 divergeaient de beaucoup.

Par conséquent, ne serait-ce que définir l’exclusion sociale était très compliqué et

demandait un véritable courage politique pour impulser une dynamique globale de protection

56 Site du conseil de l’Europe, rubrique Charte sociale : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/socialcharter/ECSR/ECSRdefault_fr.asp 57 Article 30 de la Charte sociale européenne révisée, Strasbourg le 3 mai 1996, http://conventions.coe.int/treaty/fr/treaties/html/163.htm

contre l’exclusion sociale. Or, au début de la Charte sociale, l’objectif était de faire accepter le principe de cette convention et donc de ne pas effrayer les Etats par des articles trop avant- gardistes58. C’est donc grâce à la « relance » de la Charte sociale en 1991 et surtout grâce au projet lancé par le représentant belge au conseil de l’Europe de l’époque que l’article 30 a vu le jour59. Rédiger un tel article demandait beaucoup de courage politique pour une impulsion en faveur d’une protection contre un problème que de nombreux Etats voulaient ignorer, mais surtout une grande finesse pour que cet article soit accepté et efficace. En effet, à cette époque déjà, la protection contre l’exclusion sociale différait énormément d’un Etat à l’autre, allant de la prévention et de la lutte contre l’exclusion sociale à l’absence totale de prise en compte du problème60. Ainsi, comme le précise François Vandamme, la proposition de l’article devait tenir compte de nombreux impératifs61. Il fallait que l’article ne paraisse pas trop contraignant tout en permettant tout de même de véritablement assurer la protection contre l’exclusion sociale afin d’assurer l’effectivité de la garantie sans pour autant porter atteinte à la sensibilité politique des Etats pour qu’ils soient enclins à accepter ce nouvel article.

C’est exactement dans la même optique qu’il était nécessaire que la proposition tienne

compte des avancées des Etats tout en faisant état du besoin d’aller plus loin dans la protection contre l’exclusion sociale. En d’autres termes, les rédacteurs du projet devaient faire face à la difficile tâche de proposer une avancée considérable en matière de droits de l’Homme dans un domaine où les Etats s’étaient toujours montrés frileux. Par ailleurs, la proposition devait absolument éviter de tomber dans l’écueil de la quantification des ressources afin de ne pas confondre exclusion sociale et pauvreté. C’est donc grâce à la finesse et au doigté avec lesquels cette proposition fut rédigée que l’article 30 fut accepté.

La forme de cet article mérite d’être étudiée afin de pouvoir comprendre comment le

phénomène de l’exclusion sociale est appréhendé. En effet, comme nous l’avons déjà remarqué dans l’introduction62, l’exclusion sociale est un phénomène multiforme qui ne saurait se résumer à la seule pauvreté ou au seul isolement63. Ainsi, pour reprendre la définition que nous avons dégagée, l’exclusion sociale est un cumul de handicaps dont les causes sont elles aussi multiples et qui amène à la marginalisation de l’individu par rapport au reste de la Société.

Or, comme le fait remarquer Julien Damon, plutôt que de parler d’exclusion sociale au

sens générique, il serait plus pertinent de parler d’exclusions sociales car les causes, les conséquences mais surtout les moyens de protection varient incroyablement selon les différents cas d’exclusion64. L’article 30 ne définit pas l’exclusion, toutefois, il rend compte de cette diversité du phénomène de l’exclusion sociale en énumérant des moyens de protection. Ainsi, l’article 30 garantit « l’accès effectif notamment à l'emploi, au logement, à

58BirteWassenberg « Histoire du Conseil de l’Europe (1949 - 2009) », précité, p145 - 147. 59François Vandamme« Un toit, du pain, des roses ! La relance de la Charte sociale européenne » ; Revue quart- monde n°207; site de la revue trimestrielle de ATD quart monde ; http://www.editionsquartmonde.org/rqm/document.php?id=2380#tocto2 60Julia Iliopoulos-Strangas « La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne face à la protection constitutionnelle des droits sociaux dans les Etats membres », précité ; p24-27. Pour exemple, les systèmes constitutionnels allemand et espagnol proclamaient un Etat social quand la

constitution autrichienne refusait tout engagement social de l’Etat. 61François Vandamme « Un toit, du pain, des roses ! La relance de la Charte sociale européenne », précité, sous rubrique « vers un droit relatif à la lutte contre la pauvreté ». 62 Voir le développement porté à l’introduction de cette étude 63Julien Damon « L’exclusion », éditions que sais-je ; PUF ; Paris ; 2008, p14. 64 Julien Damon, « l’exclusion », précité.

la formation, à l'enseignement, à la culture, à l'assistance sociale et médicale des personnes se trouvant ou risquant de se trouver en situation d'exclusion sociale ou de pauvreté, et de leur famille ». On voit donc bien que les rédacteurs de l’article ont cherché à envisager tous les cas possibles d’exclusion sociale sans se limiter à la seule pauvreté, comme le montre la prise en compte de l’accès à la culture qui se réfère plus à une forme d’exclusion sociale citoyenne qu’à la pauvreté stricto-sensu. Par ailleurs, on se rend d’autant mieux compte que l’article 30 n’assimile pas l’exclusion sociale à la seule pauvreté grâce à son libellé qui différencie les deux problèmes : « Droit à la protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale ». De plus, l’emploi de l’adverbe « notamment »dans l’énumération de l’article 30 permet de mettre en valeur le caractère non exhaustif de cette liste de moyens de protection contre l’exclusion sociale, faisant ainsi en sorte de laisser encore une plus grande marge de manœuvre aux Etats afin de permettre une protection toujours plus grande et toujours plus adaptée aux soucis spécifiques à chaque Etat.

Enfin, le deuxième alinéa de l’article 30 révèle le souci d’une protection non

seulement adaptée mais aussi adaptable et évolutive : « En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale, les Parties s'engagent:[…] à réexaminer ces mesures en vue de leur adaptation si nécessaire. ». Ce deuxième alinéa engage ainsi les Etats à adapter les mesures de protection contre l’exclusion sociale aux évolutions du phénomène en lui-même. En d’autres termes, l’article 30 de la Charte sociale impose aux Etats d’assurer une protection effective contre l’exclusion sociale en adaptant toujours les moyens aux besoins. L’exclusion sociale est un phénomène extrêmement évolutif compte tenu de la multiplicité de ses causes et de ses liens intrinsèques avec l’économie, la société, la médecine et bien d’autres. Par exemple, aujourd’hui, en France, une personne qui ne peut avoir accès à internet se trouve dépourvue d’un moyen de communication et d’information partagé par une grande partie de la population et cela risque d’entraîner une marginalisation de cet individu. Sans aller jusqu’à dire que l’absence d’accès effectif à internet est un cas d’exclusion sociale en soi, on se rend compte que cette absence d’accès peut en revanche constituer l’un des handicaps causant l’exclusion sociale, comme j’ai eu l’occasion de le constater lors de mon stage au sein de l’association. Par conséquent, il était impératif d’imposer aux Etats une protection contre l’exclusion sociale qui soit évolutive afin que cette protection soit effective.

Ces différentes observations permettent de dégager une volonté d’une protection

sociale adaptée et adaptable aux diverses formes d’exclusion sociale, volonté d’autant plus louable que la prise en compte de la multiplicité du phénomène d’exclusion sociale semble être le seul moyen de protéger effectivement et efficacement les individus contre l’exclusion sociale. Une personne en situation d’extrême pauvreté financière et qui vit dans la rue n’a ni les mêmes problèmes ni les mêmes besoins qu’une personne âgée vivant seule et n’ayant aucune vie sociale. Pourtant, ces deux cas sont tous deux des cas d’exclusion sociale mais demande des moyens de protection différents. On peut donc dire que l’article 30 est rédigé avec beaucoup de finesse et permet une protection contre l’exclusion sociale caractérisée par un souci d’effectivité. Surtout, cet article révèle que l’exclusion sociale est une violation des droits de l’Homme et qu’elle doit être combattue.

Lors de mon stage, j’ai ainsi reçu différentes personnes dans des cas d’exclusion

sociale qui, pourtant étaient dans des situations très différentes les unes des autres. Or, j’ai pu constater combien les moyens nécessaires pour les aider divergeaient d’un cas à l’autre.

L'article 30 permet donc d'envisager pleinement le phénomène d'exclusion sociale et, ce faisant, d'offrir une protection efficace contre l'exclusion sociale. Toutefois, cet article, en raison de sa rédaction, pourrait laisser penser que la lutte contre l'exclusion sociale est plus un objectif qu'un droit de tous. Ainsi, l’article dispose qu’il faut : « prendre des mesures dans le cadre d'une approche globale et coordonnée pour promouvoir l'accès effectif notamment à l'emploi (…) ». L’emploi du terme « mesures » laisse donc à l’Etat une marge d’action large par l’imprécision du type de mesures qu’il faut prendre. On pourrait donc penser que cela renforce donc l’idée selon laquelle les droits sociaux ne sont que d'une justiciabilité limitée et qu'ils doivent d’avantage être envisagés comme des objectifs à atteindre.

B – Les apports des décisions du CEDS : l'indivisibilité des droits

Cette idée de justiciabilité à différent degrés n'était pourtant guère présente lors de la

rédaction de la Charte sociale qui était envisagée par ses rédacteurs comme le pendant de la CEDH65. A ce titre, les droits contenus dans la Charte devaient être tout autant respectés que les droits contenus dans la CEDH. Néanmoins, comme nous l'avons dit plus haut, cette théorie de l'unité et de l’indivisibilité des droits de l'Homme devait faire face à une forte remise en question de la part d’une partie majoritaire de la doctrine66. C'est pourquoi il a été nécessaire que le CEDS clarifie le statut des droits contenus dans la Charte pour renforcer leur respect.

Cette clarification du statut des droits contenus dans la Charte s'est notamment faite

par le biais de deux affaires d'importance : l'affaire CIJ c. Portugal de 199967 et l'affaire SNPT c. France de 200068.

Dans la première affaire, le CEDS devait trancher sur le cas du Portugal, pays où une

forte proportion d'enfants de moins de 15 ans étaient employés dans des entreprises. Or, l'article 7§1 de la Charte sociale fixe l'âge minimum de travail à 15 ans69. L'Etat a alors reconnu qu'il y avait en effet un problème au regard de l'obligation contenue dans la Charte mais il a allégué que des mesures législatives et administratives d'interdiction et de renforcement du contrôle avaient été prises pour lutter contre cette violation. Ce faisant, l'Etat appuyait sa défense sur l'idée que l'obligation contenue dans la Charte n'était qu'une obligation de moyens et que cela signifiait simplement que l'Etat devait prendre des mesures allant dans le sens du respect de la Charte. Par conséquent, l'Etat portugais considérait qu'il s'était pleinement conformé aux dispositions de la Charte car sa législation et ses mesures administratives de contrôle appliquaient l'article 7§1. Toutefois, le CEDS n'a pas abondé dans le sens de l'Etat défendeur. Ainsi, le comité de Strasbourg n'a pas remis en cause l'idée que l’article 7§1 était une obligation de moyens cependant il a tout de même conclu à la violation de la Charte sociale. Ce constat de violation s'appuie sur l'idée que « La charte est un traité de droits de l'Homme [...qui protège...] des droits non pas théoriques mais effectifs ». En d'autres termes, le CEDS précise que l'obligation est peut être une obligation de moyens mais qu'en

65 Jean François Akandji-Kombé « la charte sociale européenne et la promotion des droits sociaux » dans « Les droits sociaux fondamentaux ; entre droits nationaux et droit européen » Sous la direction de Laurence Gay, Emmanuelle Mazuyer et Dominique Nazet-Allouche; Bruylant, Bruxelles, 2006 ; p198. 66 Voir les développements contenus au I – B et I – C. 67 CEDS, 10 septembre 1999, « Commission internationale des juristes (CIJ) c. Portugal », n°1/1998. 68 CEDS, 10 octobre 2000, « Syndicat national des professions de tourisme (SNPT) c. France », n°6/1999. 69 Article 7§1 de la Charte sociale européenne : « En vue d'assurer l'exercice effectif du droit des enfants et des adolescents à la protection, les Parties s'engagent: à fixer à 15 ans l'âge minimum d'admission à l'emploi, des dérogations étant toutefois admises pour les enfants employés à des travaux légers déterminés qui ne risquent pas de porter atteinte à leur santé, à leur moralité ou à leur éducation ; (…) ».

aucun cas elle ne peut être satisfaite lorsque les mesures prises n'ont aucune traduction concrète.

Ainsi, même si l'Etat portugais avait pris des mesures légales et administratives en

application de l'article 7§1, leur absence d'effectivité ne permet pas de dire que l'Etat respecte la Charte sociale. Par conséquent, le CEDS renforce la portée des obligations contenues dans la Charte sociale en exigeant une effectivité des mesures d'application. Ce faisant, le CEDS applique un raisonnement analogue à celui de la Cour EDH qui exige elle aussi des droits concrets et effectifs et non pas théoriques et illusoires70.

Au regard de cette décision, on peut remettre en cause l'idée que les droits civils et

politiques sont d’une justiciabilité plus grande que les droits économiques et sociaux. En effet, même si la formulation de certains articles laisserait à penser que ces droits étant des programmes d'action et des objectifs, aucun résultat n’est attendu, le CEDS contrecarre cette idée en affirmant qu'ils doivent être effectivement respectés dans les Etats. En d'autres termes, si la formulation des articles permet une certaine souplesse d’application, le CEDS exige qu'ils soient effectivement et concrètement appliqués. Cette observation est particulièrement intéressante pour le cas de l'article 30.

En effet, si l’on applique à l’article 30 un raisonnement analogue à celui du CEDS

tenu dans l'arrêt CIJ c. Portugal, l’article doit être lu comme une obligation de prendre des mesures effectives pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale et c’est d’ailleurs ce que précise le texte même de l’article qui exige des mesures permettant un « accès effectif notamment à l’emploi (…) ». Par conséquent, on peut dire que la jurisprudence du CEDS renforce l’exigence d'effectivité des droits contenue dans l’article 30. L'exclusion sociale étant un phénomène complexe en raison de la diversité de ses causes et de ses effets, en exiger une protection concrète impose que les Etats prennent non seulement des mesures législatives et administratives diversifiées et adaptées mais encore que ces mesures puissent être appliquées sur le terrain. Par exemple, en matière de logement, proclamer un droit au logement n'est pas suffisant, l'Etat doit faire en sorte que des logements soient mis à disposition des personnes afin que nul ne soit contraint à vivre dans la rue. Ainsi, dans l'affaire « FIDH contre Belgique » de 201271 , le CEDS précise que l'article 30, appliqué au cas des gens du voyage, implique de mettre à disposition un nombre suffisant de terrains pour permettre à toutes les caravanes de stationner. Cet arrêt confirme donc l'exigence d'effectivité appliquée à l'article 30, illustrant ainsi toute la justiciabilité de cet article. De plus, cette décision rappelle que le droit à la protection contre l’exclusion sociale oblige les Etats à adopter « une approche globale et coordonnée, en prenant en compte le caractère pluridimensionnel des phénomènes de pauvreté et en prenant des mesures ciblées à l’intention des groupes vulnérables ».

L'approche du CEDS permet donc une pleine justiciabilité de l'article 30 grâce à

l'exigence d'effectivité et d'approche globale de la protection contre l'exclusion sociale. Par conséquent, la jurisprudence du CEDS permet un véritable renforcement des dispositions de la Charte sociale et notamment du droit à la protection contre l’exclusion sociale car elle donne tout son sens au mot « effectivité ».

70 CEDH, « Airey c. Irlande », précité. 71 CEDS, 21 Mars 2012, « Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) c. Belgique », n°62/2010. Commentaire de l’article sur le site de la FIDH, rubrique « Belgique » : http://www.fidh.org/Le-Comite-europeen-des-droits-12169

De plus, dans l'affaire, SNPT c. France de 200072, le CEDS fait un obiter dictum de l'arrêt Airey c. Irlande de 1979 en reprenant l'idée qu'aucune cloison ne sépare les droits sociaux des droits civils et politiques. Par conséquent, le CEDS, à l’instar de la Cour EDH, défend la théorie de l'universalité des droits de l'homme. Toutefois, là où la cour EDH hiérarchise les droits de l'Homme en faisant des droits civils et politiques les droits justiciables par excellence, le CEDS, lui, retient une approche d'indivisibilité des droits de l'Homme. Ainsi, pour le CEDS, les droits dits « sociaux » sont des droits de l'Homme au même titre que les droits civils. Lorsque l'un de ces droits est violé, les autres s'en trouvent fortement affectés que le droit violé soit d’ordre social ou d’ordre civil au sens de la Cour EDH. L'indivisibilité consiste donc à considérer que les droits de l'Homme forment un tout qui ne peut être appréhendé séparément sans quoi la protection des droits s'en trouve affectée. Cette approche correspond parfaitement au problème de l'exclusion sociale.

En effet, l'exclusion sociale est un phénomène multiforme qui touche directement tous

les droits de l'Homme. Ainsi, lorsqu’une personne est isolée socialement ou bien est dans une situation d’extrême pauvreté, elle ne peut plus mener une vie digne au sens où la Cour EDH l’entend. Comme nous l’avons démontré, une telle situation entraîne une violation de facto de l’article 2 de la CEDH ainsi que de nombreux autres articles tels que l’article 8, par exemple73. Par conséquent, le droit à la protection contre l’exclusion sociale contenu à l’article 30 de la Charte sociale contribue le respect des articles de la CEDH. C’est parce que les droits de l’Homme sont interdépendants qu’une hiérarchie de ces droits n’est pas opérante. Les droits de l’Homme ne changent pas de nature selon qu’ils octroient à l’individu le droit d’avoir un logement ou le droit d’association. Dans les deux cas, les droits de l’Homme sont des droits intangibles auquel tout être humain a droit et qui sont nécessaires à ce que la dignité de la personne soit pleinement respectée. Différencier les droits et leur justiciabilité selon ce que ces droits protègent peut donc s’analyser en une atteinte à la cohérence de la protection des droits de l’Homme.

On donc peut remarquer que l’approche retenue par le CEDS est particulièrement

pertinente pour le droit à la protection contre l’exclusion sociale. Non seulement le CEDS prend en compte toute la variabilité de l’exclusion sociale mais aussi il assure l’effectivité de ce droit. Toutefois, une grande partie de la doctrine considère que la faiblesse de l’approche du CEDS ne réside pas dans l’approche en elle-même mais dans l’effectivité des décisions du CEDS. Or, l’approche de la protection contre l’exclusion sociale par le CEDS étant très adaptée, il convient de se demander si les pouvoirs du CEDS sont suffisants pour permettre l’exercice effectif de ce droit.

C – La justiciabilité du droit à la protection contre l’exclusion sociale en question : le degré de contrainte des décisions du CEDS

Comme nous l’avons vu, les droits sociaux ont longtemps été envisagés comme des

objectifs, des programmes, qui ne souffraient pas de la même justiciabilité que les droits civils et politiques74. Bien que la Charte de Turin ait été envisagée comme le pendant de la CEDH,

72 CEDS « SNPT c. France » ; référencé à la page précédente, §26. 73 Développement du I de cette étude, notamment au C. 74 Développement du I-B et C

les mécanismes de contrôle qui furent mis en place étaient bien plus faibles que ceux de la CEDH75.

En effet, on pensait alors que seuls les contrôles de rapports étatiques étaient adaptés

pour le cas des droits sociaux. L’idée sous-tendant cette approche consistait à penser que les droits sociaux étant pour l’essentiel des droits créance. Ainsi, les Etats devaient jouir d’une certaine marge de manœuvre et cette idée impliquait donc l’absence de recours individuel. C’est pourquoi, jusqu’à la relance de la Charte sociale en 1996, le CEDS ne pouvait que contrôler les rapports étatiques qui lui étaient transmis. On perçoit d’emblée la faiblesse de ce type de contrôle.

Ainsi, les Etats transmettent des rapports, qu’ils rédigent eux-mêmes, au CEDS pour

faire état du respect des droits contenus dans la Charte au sein de leur juridiction. Par conséquent, on sent très nettement le risque qui se profile : celui de rapports partiels où l’Etat expose surtout les points qui sont à son avantage sans dévoiler les problèmes de terrain que rencontre une partie importante de la population. De plus, le système du contrôle sur rapport fait jouer bien plus l’aspect politique du contrôle que l’aspect juridique76. Ainsi, le contrôle des rapports repose essentiellement sur l’idée de bonne foi des Etats et sur la peur de l’opprobre internationale en cas de mauvais résultats. Surtout, le contrôle sur rapport, s’il permet de se rendre compte des avancés et des problèmes de mise en œuvre des droits de la Charte au sein des Etats, ne permet pas de réaliser une harmonisation de l’application de la Charte sociale en Europe. En effet, chaque système national est examiné mais aucune jurisprudence créatrice ne peut se dégager pour impulser un mouvement d’ensemble à tous les Etats partie77. Par ailleurs, l’une des faiblesses de ce mécanisme réside encore dans l’insuffisance de l’intervention des organisations de travailleurs et des organisations représentatives de la population. En effet, ces intervenant ne sont que guère appelés à intervenir et par conséquent, leur avis et donc l’avis de la population, est minoré en comparaison de l’avis de l’Etat78. On sent bien que dans le cas de l’exclusion sociale, ces faiblesses de contrôle sont particulièrement prononcées. En effet, si la situation ne peut être jugée que sur les dires des Etats et qu’aucune jurisprudence novatrice ne peut voir le jour, alors l’exclusion sociale, problème souterrain et multiforme, peut passer pour invisible au sein des rapports étatiques.

Néanmoins, si ces critiques étaient valables dans les premières décennies d’application

de la Charte sociale, il faut tempérer cette approche depuis 1995. En effet, le protocole additionnel à la Charte sociale adopté en 1995 prévoit le système des réclamations collectives79. Ce mécanisme de contrôle dépasse la logique du traité de Turin en impulsant une véritable dynamique juridictionnelle, contrebalançant ainsi les faiblesses du contrôle sur rapport. En effet, la procédure de réclamation collective permet à des organisations

75 Jean-Manuel Larralde, « Charte sociale européenne et Convention européenne des droits de l’homme », Droit social, 1979/3, p.100. Voir également Jean-François Akandji-Kombé et Stéphane Leclerc, « La Charte sociale européenne », Actes des 1ères Rencontres européennes de Caen, 17 mars 2000, Bruylant 2001. p123. 76Luzius Wasescha « Le système de contrôle de l’application de la Charte sociale européenne » Droz SA, Genève, 1980 ; p281. 77 Luzius Wasescha « Le système de contrôle de l’application de la Charte sociale européenne » précité ; p282 78 Luzius Wasescha « Le système de contrôle de l’application de la Charte sociale européenne » précité ; p283 ; l’auteur expose en effet l’insuffisance du caractère tripartite du contrôle sur rapport en faisant valoir que seul l’Etat et le comité d’expert dialoguent sans réelle intervention des organisations nationales représentatives de la population et au courant des problèmes de terrain. 79Protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives ; signé à Strasbourg le 9 novembre 1995.

représentatives de travailleurs ou de la population de saisir le CEDS afin que le problème qu’ils portent à la connaissance du comité soit jugé et qu’une décision soit prise pour que l’Etat redresse la situation lorsqu’un article de la Charte est violé80.

Par conséquent, le CEDS peut dégager des solutions pour différents types de

violations et ainsi créer une véritable jurisprudence qui permette d’harmoniser l’application de la Charte sociale dans les Etats parties. Les garanties d’un tel contrôle sont celles d’un contrôle juridictionnel à part entière puisque, à l’instar du contrôle opéré par la Cour EDH, les solutions du CEDS sont portées à la connaissance de tous les Etats partie et, si l’autorité de chose jugée est limitée à l’Etat concerné, il n’en demeure pas moins que les autres Etats connaissant les solutions données par le CEDS, ils anticipent son contrôle. Cette procédure de réclamation collective a donc grandement participé à la relance de la Charte sociale en modifiant son système de monitoring et en permettant de contrôler véritablement les situations de violation de la Charte au sein des Etats. La procédure de réclamation collective a permis une véritable avancée de l’application de la Charte sociale en matière d’exclusion sociale. On peut d’abord remarquer que l’article 30 n’est apparu qu’en 1996, c'est-à-dire postérieurement au protocole de 1995 et donc à une époque où il est devenu possible d’envisager un véritable contrôle juridictionnel de la situation de la Charte au sein des Etats. De plus, comme nous l’avons vu, l’exclusion sociale est un problème souterrain qu’il est très difficile d’identifier clairement et de mesurer81. L’avantage de la réclamation collective réside dans le fait que les organisations qui œuvrent dans le champ de la protection contre l’exclusion sociale ont ainsi une tribune pour prendre la parole et un juge pour trancher leur litige et faire respecter le droit à la protection contre l’exclusion sociale. Ce faisant, les acteurs de terrain qui sont à même de mesurer le degré de protection contre l’exclusion sociale au sein de l’Etat peuvent en référer au CEDS qui bénéficie d’un interlocuteur de choix pour comprendre l’ampleur de la violation alléguée. Cette participation des organisations dans la procédure de réclamation collective permet de pallier au déficit de leur intervention en matière de contrôle sur rapport82, ce qui est particulièrement nécessaire dans le cas de la protection contre l’exclusion sociale.

Toutefois, une partie de la doctrine remet en cause les avancées apportées par la

procédure de réclamation collective en défendant l’idée que le CEDS n’est pas un organe juridictionnel mais un simple comité d’experts. Surtout, l’argument principal de la thèse l’absence de caractère véritablement juridictionnel de la procédure de réclamation collective réside dans l’idée que la réclamation collective amène au contrôle d’une situation d’ordre générale et non d’une violation particulière83. La critique se porte également sur les procédures de sanction. En effet, le CEDS transmettant ses décisions à la commission du conseil de l’Europe, certains ont émis l’idée que la commission était en quelque sorte une instance d’appel qui pouvait revoir les décisions du comité, les décisions n’étant de plus publiées que 4 mois après la recommandation du comité des ministres.

Cependant, il faut tempérer ces différentes critiques. En effet, le CEDS n’est, certes,

pas composé de juges mais le CEDS n’en est pas moins un organe qui dit le droit et qui applique un contrôle juridique rigoureux. On remarque ainsi que le CEDS opère un strict respect de la Charte sociale et ne se permet de l’interpréter que dans une dimension juridique.

80 Protocole prévoyant les réclamations collectives de 1995, précité, article 1. 81 Voir le développement sur l’exclusion sociale en introduction de la deuxième partie 82 Luzius Wasescha « Le système de contrôle de l’application de la Charte sociale européenne » précité ; p283 ; 83 Jean François Akandji-Kombé « la charte sociale européenne et la promotion des droits sociaux » dans « Les droits sociaux fondamentaux ; entre droits nationaux et droit européen » Sous la direction de Laurence Gay, Emmanuelle Mazuyer et Dominique Nazet-Allouche; précité,p193

La construction des décisions du CEDS et leur argumentation présentent d’ailleurs de fortes similitudes dans la forme avec les arrêts de la Cour EDH84. En effet, dans les deux cas, la Cour EDH comme le CEDS argumentent juridiquement leur décision en se basant sur leur texte de référence, la CEDH dans un cas, la charte sociale dans l’autre.

De plus, la procédure de réclamation collective respecte scrupuleusement le principe

du contradictoire tant au stade de l’examen de la recevabilité qu’au stade de l’examen du fond de l’affaire. De même ce principe s’illustre tant dans la phase écrite avec l’échange des mémoires que dans la phase orale avec la possibilité pour le CEDS d’organiser des auditions85.

Par ailleurs, si le CEDS n’est pas composé de juges stricto sensu, comme c’est le cas

pour la Cour EDH, il faut remarquer que les membres français ont toujours été issus du conseil d’Etat. Ainsi, par exemple, Eliane Chemla, membre du comité, est conseillère d’Etat. De même, le président du comité, Luis Jimena Quesada est juge suppléant au tribunal supérieur de Justice, juge à la cour suprême de Valence et siège à la chambre administrative espagnole. D’autre part, une très large majorité des membres du CEDS qui n’occupent pas de fonction juridictionnelle sont néanmoins professeurs en droit86. Le profil des membres du comité montre donc que si les membres ne sont pas juges dans l’intitulé de leur fonction, ils en ont pour autant les compétences et la similarité de leurs profils avec ceux des juges de la Cour EDH permet d’interroger la pertinence réelle d’une différenciation dans la dénomination de leurs fonctions.

En ce qui concerne les sanctions prises par le CEDS, il est vrai que les décisions ne

sont pas revêtues de l’autorité de chose jugée et que c’est la commission qui prend les recommandations à faire aux Etats. Toutefois, la commission ne doit absolument pas s’analyser en une instance d’appel qui trancherait à nouveau le litige. Ainsi l’a précisé le CEDS dans une affaire de 2004 « CFE-CGC c. France » en disant que « l’appréciation juridique de la conformité ou non de la situation ressortit au seul comité européen des droits sociaux […] Le comité des ministres [… ne peut…] pas remettre en cause l’appréciation juridique »87. Par conséquent, le CEDS a insisté sur son pouvoir d’appréciation juridique en indiquant que la commission pouvait prendre en compte des données supplémentaires à la seule décision dans sa réclamation mais que cela ne doit pas porter atteinte à la décision en elle-même. En d’autres termes, on peut donc dire que le CEDS est l’organe juridictionnel qui prend la décision et que la commission est l’organe exécutif qui fait exécuter la décision prise par le CEDS.

Enfin, en ce qui concerne l’absence de procédure de réclamation individuelle, on peut

dire qu’il n’est pas évident pour des individus seuls de saisir une instance européenne, comme le montrent les 98% de requêtes rejetées au niveau de la Cour EDH.

Sans aller plus loin dans la dénégation des critiques, on peut remarquer que, si la

procédure de réclamations collectives n’est pas une procédure juridictionnelle stricto sensu, il n’en demeure pas moins qu’elle en présente les principaux traits. Ce faisant, cette procédure

84 Jean François Akandji-Kombé « la charte sociale européenne et la promotion des droits sociaux » dans « Les droits sociaux fondamentaux ; entre droits nationaux et droit européen » Sous la direction de Laurence Gay, Emmanuelle Mazuyer et Dominique Nazet-Allouche; précité , p192 85 Jean François Akandji-Kombé « La procédure de réclamation collective dans la charte sociale européenne ; Chronique des décisions du comité européen des droits sociaux » ; RTDH 2001 ; p1036. 86Liste des membres du comité européen des droits sociaux, site du conseil de l’Europe : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/socialcharter/ECSR/Members_fr.asp 87 CEDS, 12 octobre 2004, « Confédération française de l’encadrement CFE-CGC c. France », n°16/2003

permet d’offrir une réelle garantie d’un contrôle du respect des droits de la Charte sociale. La protection contre l’exclusion sociale peut ainsi être analysée lors des réclamations collectives portées à ce propos et le CEDS peut alors dégager une jurisprudence réellement novatrice, permettant ainsi le rétablissement de la situation de nombreux individus en engageant l’Etat à se conformer à la Charte88.

L’approche de la protection contre l’exclusion sociale retenue par le système de la

Charte sociale est donc particulièrement pertinente tant grâce à l’article 30 qu’à la jurisprudence du CEDS et encore à la justiciabilité des décisions de cet organe. En effet, le problème de l’exclusion sociale est appréhendé dans toute sa diversité et l’objectif est tant de lutter contre le phénomène d’exclusion que de le prévenir et ce grâce à la préconisation de divers moyens d’action (accès au logement, à la culture, à l’emploi, etc…). Grâce à mon stage j’ai pu réaliser toute la pertinence de cette prise en compte qui n’oublie personne De plus, l’effectivité de la protection exigée par le comité et la prise en compte de la nécessaire adaptabilité des mesures aux divers aspects du problème permet une réelle protection contre l’exclusion sociale. Enfin, l’application de la charte sociale et des décisions du CEDS sur la justiciabilité effective de l’article 30 permet de réaliser que cette protection est concrète et effective. Par conséquent, l’approche du problème de l’exclusion sociale retenue par la Charte sociale et le comité, notamment grâce à la conception indivisible des droits de l’Homme, permet une protection efficace, qui ne demande qu’à ce que les Etats prennent les devants des condamnations et prennent préventivement des mesures de protection contre l’exclusion sociale.

Après avoir étudié successivement les deux approches du conseil de l’Europe, il

convient de s’intéresser à l’interaction de celles-ci avec celle de l’Union européenne afin de prendre en compte toute la mesure de la protection contre l’exclusion sociale offerte par les systèmes européens de protection de droits de l’Homme.

III - L’approche de l’Union européenne par le biais de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après CDFUE) fut

adoptée à Nice en 2000 par le conseil, le parlement et la commission. La CDFUE a été remaniée en 2007 et s’est vue conférer valeur de droit primaire grâce au traité de Lisbonne, entré en vigueur en 200989. Ce faisant, l’Union européenne s’est doté d’une convention protectrice des droits de l’Homme, montrant ainsi sa volonté de faire respecter ces droits en son sein, c’est pourquoi notre étude s’attachera spécialement à la place accordée à la protection contre l’exclusion sociale au sein du système de protection des droits de l’Homme né de la CDFUE. La CDFUE ne saurait pour autant se comprendre sans avoir à l’esprit l’œuvre créatrice de la CJUE qui l’a précédé. Ainsi, le juge de l’Union a dégagé des principes généraux du droit qui ont permis la prise en compte de la protection des droits de l’Homme accordée au sein des Etats membres et également celle accordée par la CEDH90. Par

88 CEDS, 21 Mars 2012, « Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) c. Belgique », précité. 89 Site europa.eu, rubrique : la charte des droits fondamentaux. http://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/combating_discrimination/l33501_fr.htm 90 CJCE, 12 novembre 1969 « Stauder c. Ville d’Ulm » n°29-69 et CJCE, 17 décembre 1970 « Handelsgesellschaft » n°11-70. Ces deux arrêts introduisent le principe général du droit imposant le respect des droits de l’Homme au sein de la communauté européenne, respect qui s’inspire des traditions constitutionnelles communes en la matière. Après que la France ait ratifié la CEDH, en 1971, la CJCE a pu considéré le traité CEDH comme une source d’inspiration en matière de droits fondamnetaux car tous les Etats membres de la

conséquent, l’interprétation des articles de la CDFUE est extrêmement en lien avec l’interprétation des articles de la CEDH prescrivant les mêmes droits.

A – Le préambule de la CDFUE : une entrée en matière qui n’oublie pas la protection contre l’exclusion sociale

Le préambule de la CDFUE rend compte de ce lien entre les deux systèmes de

protection des droits. Ainsi, le cinquième alinéa de ce texte dispose que : « La présente Charte réaffirme, […] les droits qui résultent notamment […] de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales […] ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et de la Cour européenne des droits de l'Homme »91. On voit donc bien que la CDFUE, loin d’ignorer le système de protection des droits de l’Homme accordé par la CEDH, se reconnaît au contraire liée par ce système.

La lecture de cet alinéa du préambule de la CDFUE permet de se rendre compte que la prise en compte de la protection des droits de l’Homme accordée par la CEDH au niveau de l’Union implique, outre la reconnaissance du texte même de la CEDH, la référence à la jurisprudence de la Cour EDH. Cette référence est particulièrement intéressante en ce qui concerne la protection contre l’exclusion sociale. En effet, les articles de la CEDH, en tant que tels, n’impliquent guère une protection contre l’exclusion sociale92. A l’inverse, comme nous l’avons vu, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg a permis de prendre en compte le phénomène de l’exclusion sociale, indirectement, certes, mais permettant tout de même de lutter contre certains aspects de l’exclusion93.

Néanmoins, pour comprendre la place que la CDFUE accorde à la protection contre

l’exclusion sociale, il est particulièrement intéressant de remarquer que l’alinéa 5 du préambule étend la reconnaissance d’un lien avec le système de protection des droits de l’Homme du conseil de l’Europe à la Charte sociale. Ainsi, ce cinquième alinéa se poursuit en précisant que « La présente Charte réaffirme, […] les droits qui résultent notamment […] des Chartes sociales adoptées par l'Union et par le Conseil de l'Europe ». Cette référence à la Charte sociale européenne du conseil de l’Europe doit particulièrement nous intéresser pour comprendre la place accordée à la protection contre l’exclusion sociale dans l’Union européenne. En effet, nous avons dégagé l’idée que le système de protection des droits de l’Homme de la Charte sociale européenne permettait une véritable protection contre l’exclusion sociale, tant dans la formulation de son article 30 que dans l’interprétation jurisprudentielle qu’en a fait le CEDS94. Même si aucune référence n’est faite à l’activité créatrice du CEDS, en faisant une référence explicite et directe à la Charte sociale européenne, le préambule de la CDFUE indique que les articles contenus dans le corps du

communauté européenne avaient alors ratifié ce traité. C’est pourquoi l’arrêt phare en la matière est l’arrêt : CJCE, 28 octobre 1975, « Rutili » n°36-75. 91 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne 2007/C 303/0 ; pour le texte entier « La présente Charte réaffirme, dans le respect des compétences et des tâches de l'Union, ainsi que du principe de subsidiarité, les droits qui résultent notamment des traditions constitutionnelles et des obligations internationales communes aux États membres, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, des Chartes sociales adoptées par l'Union et par le Conseil de l'Europe, ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et de la Cour européenne des droits de l'Homme. » 92 Voir le développement porté au I-A de cette étude. 93 Voir le développement porté au I-B de cette étude. 94 Voir le développement porté au II-A et II-B de cette étude.

traité devront être lus en référence au texte de la Charte sociale. Ce faisant, le préambule implique une prise en compte de l’article 30 de la Charte sociale européenne dans la lecture des articles de la CDFUE. Le seul alinéa 5 du préambule permet donc déjà de réaliser que la CDFUE se présente sous un jour favorable pour la prise en compte de l’exclusion sociale.

Ce constat est également étayé par l’alinéa 4 du préambule qui précise qu’il faut « […]

renforcer la protection des droits fondamentaux à la lumière de l'évolution de la société, du progrès social et des développements scientifiques et technologiques. ». En associant la protection des droits fondamentaux au progrès social, ce quatrième alinéa du préambule fait un lien explicite entre droits de l’Homme et progrès social. L’expression « progrès social » peut être lue comme une référence directe à la protection contre l’exclusion sociale. En effet, nous avons dégagé l’idée que l’exclusion sociale est multiforme mais aussi relative puisqu’elle se différencie selon le cadre dans lequel elle s’inscrit. L’exclusion sociale n’était pas la même au XIXème siècle qu’elle l’est aujourd’hui95. Le progrès social fait donc référence à ce relativisme de l’exclusion sociale en ce qu’il implique la prise en compte de l’évolution sociale et donc de l’évolution de l’exclusion sociale. Par conséquent, on peut penser que lier la protection des droits de l’Homme au progrès social sous-entend que l’accès de tous au progrès social est nécessaire pour assurer une bonne protection des droits de l’Homme. Ce faisant, cet alinéa 4 du préambule de la CDFUE implique que la protection contre l’exclusion sociale est un des objectifs de la Charte. En d’autres termes, la Charte toute entière doit être lue en ayant à l’esprit cet objectif.

Par conséquent, le texte du préambule de la CDFUE peut impliquer, à lui seul, que

l’Union européenne n’oublie pas le problème de l’exclusion sociale et le place au contraire au rang des objectifs que tous les droits de l’Homme doivent permettre d’atteindre. Il faut toutefois relativiser cette approche car, à ce jour, elle n’a pas été confirmée par la jurisprudence de la CJUE. Néanmoins, cela permet de réaliser que la seule interprétation du préambule peut permettre une prise en compte du problème de l’exclusion sociale.

B – La protection contre l’exclusion sociale offerte par les articles de la CDFUE

Dans son article 34 sur la sécurité sociale et l’aide sociale, la CDFUE mentionne

l’objectif de lutte contre l’exclusion sociale. Ainsi, « Afin de lutter contre l'exclusion sociale et la pauvreté, l'Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, selon les règles établies par le droit de l'Union et les législations et pratiques nationales. »96. La rédaction de cet article mérite que l’on s’y attarde. En effet, on ne peut que remarquer que, comme le fait la Charte sociale, la CDFUE distingue l’exclusion sociale de la simple pauvreté. Sans revenir sur les mérites de cette distinction, il convient simplement de voir là une référence explicite à la Charte sociale européenne et à son article 30. Ce faisant, on peut penser que par le biais d’un article sur la sécurité sociale et l’aide sociale, la CDFUE assure une protection directe contre l’exclusion sociale et ce au titre de la protection des droits de l’Homme.

Toutefois, il convient de noter que les moyens pris en compte pour assurer cette

protection contre l’exclusion sociale sont limités à « une aide sociale et à une aide au logement ». Si la mention de l’aide sociale fait référence à un vaste panel d’aides qui peuvent aller de l’aide pour les frais de santé aux allocations familiales, il n’en demeure pas moins que

95 Julien Damon « L’exclusion », précité, p20. 96 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne 2007/C 303/0 ; article 34.

les moyens listés ne semblent pas suffisants. En effet, nous avons vanté les mérites de l’article 30 de la Charte sociale européenne qui permet une réelle protection contre l’exclusion sociale car il liste de nombreux moyens de protection qui prennent en compte les divers aspects du processus d’exclusion sociale et notamment l’accès à l’emploi et à la formation et l’accès à la culture. L’article 34 de la CDFUE ne fait aucune référence à l’accès à l’emploi, à la formation et à la culture. Seules l’aide sociale et l’aide au logement doivent constituer des moyens de protection. On peut certes penser que les rédacteurs de la Charte ont ici souhaité faire une harmonisation a minima, permettant ainsi aux Etats d’aller plus loin mais on peut aussi se dire que cette harmonisation a minima n’est pas suffisante pour assurer une protection efficace contre toutes les formes d’exclusion sociale.

En effet, il ne faut pas oublier que l’exclusion sociale se caractérise par un cumul de

handicap et qu’une personne en situation d’isolement social et sans emploi, même si elle a suffisamment de revenus pour vivre confortablement au niveau financier, peut être en situation d’exclusion sociale car elle n’a plus de contact avec la société. Il semble donc que la CDFUE ait oublié cet aspect de l’exclusion sociale et la diversité de ses formes en se limitant au cas de l’extrême pauvreté. Cette idée est encore étayée par le fait que l’article 34 prévoit l’accès aux aides sociales et aux aides au logement pour « tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes ». En d’autres termes, bien que la formulation de l’article 34 distingue l’exclusion sociale de la pauvreté, il n’en demeure pas moins que les deux concepts sont assimilés et que l’exclusion sociale n’est envisagée que sous l’angle de la pauvreté monétaire. Seules les personnes n’ayant pas de ressources (entendre ici ressources financières) suffisantes sont concernées par l’article 34. Il y a donc de nombreux aspect de l’exclusion sociale qui sont oubliées par cet article.

On pourrait toutefois objecter que d’autres articles de la CDFUE prennent en charge

d’autres aspects de l’exclusion sociale. Ainsi, l’article 26 de la Charte garantit le droit à l’intégration des personnes handicapées97, l’article 25 garantit le droit des personnes âgées « à mener une vie digne et indépendante et à participer à la vie sociale et culturelle »98 et l’article 15 garantit le droit de travailler99. Par conséquent, la pluralité des formes de l’exclusion sociale semble être prise en compte dans différents articles de la Charte et étudier le seul article 34 ne permet pas d’étudier la protection contre l’exclusion sociale qu’offre la CDFUE.

Néanmoins, on peut remarquer que les autres articles ne listent pas non plus, comme le

fait l’article 30 de la Charte sociale européenne, les moyens concrets pour assurer la protection contre l’exclusion sociale. Surtout, l’article 15 de la CDFUE ne concerne pas l’accès à l’emploi mais le droit au travail. Ainsi, cet article ne garantit pas l’accès à la formation et le droit pour chacun de trouver un emploi mais le droit de travailler. La formulation de l’article 15 est éloquente : « 1. Toute personne a le droit de travailler et

97 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne 2007/C 303/0 ; article 26 : « L'Union reconnaît et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté. » 98 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne 2007/C 303/0 ; article 25 : « L'Union reconnaît et respecte le droit des personnes âgées à mener une vie digne et indépendante et à participer à la vie sociale et culturelle ». 99 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne 2007/C 303/0 ; article 15 : « 1. Toute personne a le droit de travailler et d'exercer une profession librement choisie ou acceptée. 2. Tout citoyen de l'Union a la liberté de chercher un emploi, de travailler, de s'établir ou de fournir des services dans tout État membre. 3. Les ressortissants des pays tiers qui sont autorisés à travailler sur le territoire des États membres ont droit à des conditions de travail équivalentes à celles dont bénéficient les citoyens de l'Union. »

d’exercer une profession librement choisie ou acceptée. 2. Tout citoyen de l’Union a la liberté de chercher un emploi, de s’établir ou de fournir des services dans tout Etat membre. 3. Les ressortissants des pays tiers qui sont autorisés à travailler sur le territoire des Etats membres ont droit à des conditions de travail équivalentes à celles dont bénéficient les citoyens de l’Union ». Ainsi, l’article 15 de la CDFUE semble bien plus protéger la liberté de travailler et d’exercer la profession de son choix que promouvoir les politiques d’accès à l’emploi, c'est-à- dire le moyen de lutter contre un des cas d’exclusion sociale. Par ailleurs, les autres articles protégeant les différents cas d’exclusion ne prévoient pas, eux non plus, de moyen clair d’action pour la protection contre l’exclusion sociale comme le fait l’article 30 en listant ces différents moyens. Par conséquent, si les articles de la CDFUE prennent en compte le problème de l’exclusion sociale et tentent d’en assurer une protection, cette protection n’est pas suffisante car elle semble être envisagée de manière bien trop abstraite et comme un simple objectif et non comme un droit effectif.

Cette remarque nous amène alors à nous interroger sur la conception des droits de

l’Homme retenue par la CDFUE, c'est-à-dire à se demander si la CDFUE retient une approche indivisible ou non des droits de l’Homme et donc si elle offre une protection efficace contre l’exclusion sociale ou non.

C – L’approche de la CDFUE : entre indivisibilité voulue et divisibilité effective

Ainsi, nous avons déjà dégagé l’idée que pour lutter efficacement contre l’exclusion

sociale, il était nécessaire d’avoir une vision indivisible des droits de l’Homme100. Or, il est intéressant de remarquer que, à première vue, la CDFUE se conforme à cette vision indivisible des droits.

En effet, outre la prise en compte de la Charte sociale et des droits qu’elle garantit, dès

le préambule, on remarque que la CDFUE comporte des articles qui garantissent des droits civils et politiques (au sens de la vision divisible des droits de l’Homme), tels que le droit à la liberté et à la sûreté101, mais aussi des droits économiques et sociaux comme le droit à l’éducation et le droit au travail102. Par conséquent, les rédacteurs de la CDFUE ont d’emblée pris le parti de considérer que les droits sociaux étaient des doits fondamentaux qu’il convenait d’inscrire dans la CDFUE. Surtout, la véritable spécificité de la Charte réside dans le fait que les droits ne sont pas classés selon leur nature (civil ou social) mais selon la valeur qu’ils protègent (libertés, solidarité). En d’autres termes, les droits contenus dans la CDFUE sont appréhendés de manière indivisible, sans considération de leur caractère civil ou social afin de mettre en valeur leur « entremêlement égalitaire »103. Au regard des développements antérieurs, on peut reconnaître là un terrain parfait pour la protection contre l’exclusion sociale. En effet, un même traité, garantissant tant des droits civils que des droits sociaux, appréhende ces deux types de droits de manière indivisible, permettant ainsi de lutter et de prévenir l’exclusion sociale dans les différents domaines qu’elle concerne et qui sont tout autant civils que sociaux.

100 Voir les développements contenus au I-C et II-B de cette étude. 101 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne 2007/C 303/01), parlement européen, conseil, commission ; article 6. 102 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne 2007/C 303/01), parlement européen, conseil, commission ; articles 14 et 15 103 Pierre Rodière « Les droits sociaux fondamentaux face à la constitution européenne », dans « Les droits sociaux fondamentaux ; entre droits nationaux et droit européen » Sous la direction de Laurence Gay, Emmanuelle Mazuyer et Dominique Nazet-Allouche; précité, p237.

Toutefois, il faut nuancer cette approche. En effet, si une lecture littérale donne à penser que la CDFUE appréhende les droits de manière indivisible, il convient d’aller un peu plus loin dans cette interprétation en prenant en compte l’article 52, alinéa qui précise que : « Les dispositions de la présente Charte qui contiennent des principes peuvent être mises en œuvre par des actes législatifs et exécutifs pris par les institutions, organes et organismes de l'Union, et par des actes des États membres lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union, dans l'exercice de leurs compétences respectives. Leur invocation devant le juge n'est admise que pour l'interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes ». Ce faisant, l’article 52 établit clairement une distinction entre droits et principes et différencie ma justiciabilité des deux mesures. Il est intéressant de relier la lecture de cet article à celle de l’article II – 111 du projet de traité portant constitution pour l’union européenne qui précise que l’Union et les Etats membres « respectent les droits […et…] observent les principes et en promeuvent l’application »104. Les explications du praesidium sur ce point précisent que les droits sont subjectifs et directement justiciables alors que les principes doivent constituer des objectifs politiques et ne sont que programmatiques.

Par conséquent, selon cette approche retenue par l’article 52 et par le projet de

constitution, les principes jouissent d’une justiciabilité bien moindre que les droits car ces derniers ne pourront être invoqués en justice que « pour interpréter les mesures prises pour en assurer la réalisation et pour vérifier que ces mesures sont correctement respectueuses »105. Selon la célèbre formule de Guy Braibant, les principes ne bénéficient ainsi que d’une « justiciabilité normative »106. Ainsi, d’après Pierre Rodière, ces droits ne peuvent se réaliser qu’avec des mesures internes les déclinent et leur confèrent une pleine justiciabilité107. Cela implique alors l’intervention de l’Etat et la distinction entre droits et principe se rattache finalement à la distinction entre droits civils et politiques et droits sociaux et économiques car les droits ne jouissant que d’une justiciabilité normative sont ceux qui nécessitent des mesures positives de la part de l’Etat tels que le droit d’accès aux services de placement, le droit à la protection de la santé ou encore le droit à la sécurité sociale et à l’aide sociale108.

On peut donc dire que si la lecture de la CDFUE peut laisser penser que la Charte

appréhende les droits fondamentaux de manière indivisible, une lecture plus poussée permet de réaliser que le compromis nécessaire à la signature du traité conférant à la charte valeur de droit primaire, a finalement réintroduit cette distinction109.

Cette approche n’est pas sans conséquence sur la protection contre l’exclusion sociale

accordée par la CDFUE. En effet, bien que la Charte accorde une protection contre l’exclusion sociale dans son article 34, qu’elle mentionne la Charte sociale européenne et fasse du progrès social un objectif que doivent poursuivre tous les droits de l’Homme, l’effectivité de ces dispositions reste encore trop faible. En effet, la latitude laissée aux Etats

104 Pierre Rodière « Les droits sociaux fondamentaux face à la constitution européenne », dans « Les droits sociaux fondamentaux ; entre droits nationaux et droit européen » Sous la direction de Laurence Gay, Emmanuelle Mazuyer et Dominique Nazet-Allouche; précité, p238. 105

Pierre Rodière, op. cit p237. 106 Guy Braibant « La Charte des droits fondamentaux » Droit Social 2001, p69 et p74. 107 Pierre Rodière, op. cit. p238. 108 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2007/C 303/01), parlement européen, conseil, commission ; articles 29, 34 et 35. 109 Ainsi, les Etats ont voulu amoindrir la portée des droits sociaux fondamentaux contenus dans le texte de la CDFUE par peur d’une contrainte trop grande sur leurs systèmes sociaux. Le Royaume Uni est en tête de ces Etats réfractaires qui craignaient le retour de l’Etat providence avec la CDFUE. Pour aller plus loin : Julien Damond « questions sociales : analyses anglo-saxonnes ; socialement incorrect ? » ; PUF, Paris 2009, p17.

dans le cadre de la mise en œuvre de la protection contre l’exclusion sociale est telle que le contrôle de cette protection ne peut pas véritablement permettre d’assurer une protection efficace contre l’exclusion. Par conséquent, si le texte de la CDFUE en lui-même est encourageant quand à la protection contre l’exclusion sociale en ce qu’il présente tous les traits nécessaires à assurer cette protection, il n’en demeure pas moins qu’une analyse plus poussée permet de réaliser que des obstacles inhérents à la charte elle-même réduisent considérablement la portée du droit à la protection contre l’exclusion. On remarque en effet que l’alinéa 3 de l’article 34 qui garantit la protection conte l’exclusion sociale n’opère cette garantie qu’en référence aux « règles établies par le droit de l’nion et les législations et pratiques nationales ». En d’autres termes, cette disposition est creuse et laisse une marge extrêmement large aux Etats membre et aux institutions de l’Union européenne pour mettre en œuvre ce droit. Avec la mouvance politique actuelle et la volonté de rigueur face à la crise, on peut craindre que cette marge d’action rende creuse la protection contre l’exclusion sociale garantie par cet article.

La jurisprudence de la CJUE sur ce point est encore bien jeune pour pouvoir

l’appréhender dans toute sa dimension. Toutefois, on pourrait espérer que le juge de Luxembourg, sans outrepasser ses fonctions, dépasse la différence entre « droits » et « principes » pour faire de la protection contre l’exclusion sociale une protection qui soit « concrète et effective » et non « théorique et illusoire ».

Conclusion

Cette étude nous a permis de réaliser que la protection contre l’exclusion sociale est appréhendée dans les trois systèmes de protection des droits de l’Homme en Europe étudiés, à savoir les deux systèmes internes au conseil de l’Europe, celui de la CEDH ainsi que celui de la Charte sociale européenne, et également le système de protection des droits de l’Homme de l’Union européenne résultant de la CDFUE. Si les approches différenciées que nous avons étudiées peuvent laisser craindre une différence dans la protection accordée, il n’en demeure pas moins qu’elles permettent une « fertilisation croisée » des instruments de protection de droits de l’Homme pour le cas de l’exclusion sociale110. Ce faisant, chacun des différents systèmes protégeant les individus contre l’exclusion sociale constitue une source d’inspiration en la matière pour les autres.

En conclusion de cette étude, on ne peut que remarquer que la protection contre

l’exclusion sociale offerte par le système de la Charte sociale européenne semble être celle qui est la plus efficace car elle prend en compte tous les aspects de l’exclusion sociale et liste des moyens concrets de politiques d’aides pour lutter contre ce fléau. Néanmoins, si les approches du problème faites par les autres systèmes ont quelques faiblesses, il n’en demeure pas moins qu’aucun des systèmes n’ignore le phénomène. On peut donc espérer qu’à l’avenir, la fertilisation croisée s’intensifiera et que les systèmes de protection des droits de l’Homme de l’Union européenne et de la CEDH s’inspireront de plus en plus de l’approche retenue par le système de la Charte sociale européenne, permettant ainsi une pleine effectivité de la protection contre l’exclusion sociale, violation de tous les droits de l’Homme qui doit être combattue pour que les droits de l’Homme dans leur entier soient protégés.

110 Jean François Flauss « Les interactions normatives entre les instruments européens relatifs à la protection des droits sociaux » dans « droits sociaux et droit européen ; bilan et prospective de la protection normative » sous la direction de Jean François Flauss, précité, p89.

Car, en effet, cette étude a permis de prendre conscience des faiblesses d’une vision des droits de l’Homme qui divise et hiérarchise les droits selon leur nature. Les droits de l’Homme sont universels et ils sont aussi indivisibles car la violation d’un de ces droits, quel qu’il soit, entraîne inexorablement la violation en chaîne d’autres droits, sans considération aucune de leur nature.

On peut donc saluer les efforts qui sont faits par les différents systèmes de protection

des droits de l’Homme en Europe étudiés pour protéger les individus contre l’exclusion sociale. Toutefois, mon stage au sein de l’association SOS AIDE AUX HABITANTS m’a amenée à voir que la proportion des personnes frappées par cette violation des droits de l’Homme est énorme et qu’elle ne diminue pas, bien au contraire. Avec la crise économique que l’Europe traverse et les exigences de rigueur actuelles, de plus en plus de personnes se retrouvent au chômage et peinent à retrouver un emploi. De plus en plus de personnes se retrouvent en situation de surendettement et un grand nombre d’entre elles, honteuses de cette situation, s’isolent socialement pour éviter d’affronter le regard des autres. Surtout, il ne faut pas oublier que ce processus d’exclusion peut toucher tout individu, sans considération de ressources. Une personne ayant un emploi hautement qualifié peut, une fois à la retraite, se retrouver dans une situation d’isolement telle qu’elle perd tout contact avec la société et se retrouver ainsi exclue socialement. Enfin, il n’est pas possible d’ignorer les personnes vivant dans la rue qui sont des cas extrêmes d’exclusion sociale et que chacun de nous est amené à croiser.

Comment un pays qui se dit « patrie des droits de l’Homme » peut donc accepter une telle situation ? Comment l’Europe, continent où ont fertilisé les déclarations, chartes et conventions de droits de l’Homme peut laisser perdurer cette situation ? Les trois systèmes de protection des droits de l’Homme en Europe que nous avons étudié nous ont révélé qu’il existe des moyens pour protéger les individus contre l’exclusion sociale. Ces moyens ne demandent, aujourd’hui qu’à être mis en œuvre. Par conséquent, au nom du respect des droits de l’Homme et du respect du contrat social passé entre les Etats et les citoyens et aujourd’hui également entre les instances européennes et les citoyens, il serait bon que la hiérarchie des objectifs politiques soit révisée afin que l’humanité, la dignité et la solidarité passent avant la rigueur budgétaire, sûrement nécessaire, mais pas prioritaire par rapport au respect de la condition humaine.

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Revue Droit Social :

- Guy Braibant « La Charte des droits fondamentaux » Droit Social 2001, p69 et p74.

- Jean-Manuel Larralde, « Charte sociale européenne et Convention européenne des droits de l’homme », Droit social, 1979/3, p.100.

Revue Pouvoirs, revue française d’études constitutionnelles et politiques : http://www.revue-pouvoirs.fr/

- Roland Castro « La rue et la ségrégation sociale » dans la revue Pouvoirs n°116 « La rue », p111.

- Jacqueline Dutheil De La Rochère « Droit au juge, accès à la justice européenne », dans la revue Pouvoirs n°96 « Les cours européennes, Luxembourg et Strasbourg », p123.

- Daniel Soulez Larivière « De la victimisation et de nombreuses autres causes » dans la revue Pouvoirs n°128, « La Pénalisation », p30.

Diane Roman, « Les droits civils au renfort des droits sociaux : l’interchangeabilité des droits fondamentaux dans le discours judiciaire », La Revue des Droits de l’Homme, juin 2012 http://revdh.files.wordpress.com/2012/04/les-droits-civils-au-renfort-des-droits- sociaux.pdf

Rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) 2011-2012, « Crise économique, marché du travail et pauvreté » http://www.onpes.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_ONPES_2011-2012_chap_1_.pdf http://www.onpes.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_ONPES_2011-2012_chap_2.pdf

Gishlain Benhessa « La question de la souveraineté chez Georg Jellinek » lu sur mémoire online, université robert Schuman, M2 droit public fondamental 2008 http://www.memoireonline.com/07/09/2336/m_La-question-de-la-souverainete-chez- Georg-Jellinek0.html

Sites :

Site du conseil de l’Europe, rubrique Charte sociale européenne:

- Sous rubrique « comité européen des droits sociaux » http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/socialcharter/ECSR/ECSRdefault_fr.a sp

- Sous rubrique « membres du comité européen des droits sociaux » http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/socialcharter/ECSR/Members_fr.asp

Site europa.eu, rubrique « la charte des droits fondamentaux ». http://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/combating_discrimin ation/l33501_fr.htm

Site de la FIDH, rubrique « Belgique » : http://www.fidh.org/Le-Comite-europeen-des-droits-12169

Site service-public.fr, article sur l’aide juridictionnelle http://vosdroits.service-public.fr/F18074.xhtml

Site de « victim supprot europe » http://victimsupporteurope.eu/

Site « vie publique »

- Rubrique accès au droit et réseau judiciaire de proximité http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/juge-justice- proximite/reseau-judiciaire/

- Rubrique que sont les maisons de la justice et du droit ? http://www.vie-publique.fr/decouverte- institutions/justice/fonctionnement/modes-alternatifs/que-sont-maisons- justice-du-droit.html

ANNEXES : Annexe 1 : Rapport d’intervention de l’atelier de découverte des métiers de la justice et du droit que j’ai animé le 2 mai 2013 au collège de la cité scolaire Henri Meck, à Molsheim

Annexe 2 : Présentation distribuée aux élèves pour l’animation de découverte des métiers de la justice et du droit du 2 mai

Annexe 3 : Présentation d’un cas d’aide aux victimes lors de l’assemblée générale de l’association le 6 juin 2013

Annexe 1 : Rapport d’intervention de l’atelier de découverte des métiers de la justice et du droit

que j’ai animé le 2 mai 2013 au collège de la cité scolaire Henri Meck, à Molsheim

Présentation des métiers de la justice et du droit

Collège Henri Meck de Molsheim le 2 mai 2013

Francis Schmitt, professeur de physique au collège Henri Meck, à Molsheim, m’avait contactée via la MJD le vendredi 29 Mars et c’est lors de ce premier contact que nous avions convenu que l’intervention porterait sur « les métiers de la justice et du droit » pour des élèves de troisième.

Les métiers de la justice et du droit étant très divers, je me suis concentrée sur les plus classiques : avocat, magistrat du siège et magistrat du parquet, commissaire et lieutenant de police, notaire et huissier. Afin que la présentation n’occulte pas les nombreux autres métiers de la justice et du droit, j’ai donné des liens internet aux élèves pour qu’ils puissent se renseigner (divers métiers de la fonction publique notamment).

Déroulement de l’intervention :

Je suis arrivée au collège Henri Meck à 10 h, M. Schmitt m’a reçue, il m’a présenté la salle et nous avons parlé ensemble de la présentation. A cette occasion, j’ai présenté SOS AIDE AUX HABITANTS.

Les 50 élèves sont ensuite arrivés à 11heures et, durant une heure, je leur ai présenté les métiers de la justice et du droit en essayant d’être aussi claire que possible. J’ai voulu que cette présentation soit participative c’est pourquoi j’ai beaucoup interrogé les élèves tant sur leur vision des choses que sur leurs attentes futures. De nombreux élèves ont semblé très intéressés et j’espère qu’ils tenteront d’en apprendre plus la filière du droit.

Suite à l’intervention, M. Schmitt m’a accompagnée à la cantine où le proviseur souhaitait que je reste manger avec eux. Nous avons alors partagé un excellent repas avec plusieurs professeurs et personnels administratif du collège, ainsi qu’avec le proviseur lui- même. Ce repas fut l’occasion de présenter SOS AIDE AUX HABITANTS et d’expliquer toute la diversité de l’action de l’association. Suite au repas, j’ai pu visiter le collège et là encore échanger avec le personnel présent sur l’importance de l’éducation pour la construction de l’avenir des élèves.

Je suis partie à 15h (j’ai ensuite utilisé le temps disponible pour faire des recherches en bibliothèque nécessaires à mon rapport de stage).

Autour de l’intervention :

Pour pouvoir permettre à ceux qui le souhaitaient de me poser des questions après l’intervention, je leur ai communiqué une adresse mail que j’ai créée à cet effet : [email protected].

De même, pour que les élèves conservent une trace de cette intervention et pour qu’ils aient quelques éléments de compréhension du droit, je leur ai donné, à tous, un document explicatif (ci-joint). C’est dans un même but que j’ai envoyé les fiches descriptives des métiers à M. Schmitt afin qu’il puisse les diffuser aux élèves.

Annexe 2 :

Présentation distribuée aux élèves pour l’animation

De découverte des métiers de la justice et du droit du 2 mai

Présentation des métiers de la justice et du droit

Le droit en quelques mots :

Un domaine très vaste, composé de nombreux champs d’activité.

le droit pénal : c’est le droit que l’on voit dans les séries policières. Ce champ du droit concerne toutes les infractions (vol, escroquerie, meurtre). Les professions en lien avec le droit pénal sont notamment : commissaire et lieutenant de police, procureur, juge, avocat, gardien de la paix et bien d’autres encore.

le droit civil : c’est le droit qui régit la vie privée des individus. Ainsi, cela concerne le droit de la famille (divorce, garde des enfants) le droit des affaires (droit applicable aux relations des entreprises) le droit des contrats, le droit du travail. Les professions en lien avec le droit civil sont notamment : notaire, huissier de justice, juge, avocat, juriste.

le droit administratif : Le droit administratif régit les relations entre l’Etat, les collectivités territoriales (mairies, conseil général…) et les administrés (ex : permis de construire un bâtiment). Les professions en lien avec le droit administratif : magistrat administratif, avocat, juriste, de nombreux postes de fonctionnaires (administrateur territorial, etc…).

L’organisation judiciaire :

Pour plus d’info en vidéo : http://www.justice.gouv.fr/organisation-de-la-justice-10031/

Métiers abordés dans la présentation : Avocat Magistrat du siège et magistrat du parquet Commissaire et lieutenant de police Notaire Huissier de justice

Pour avoir plus d’informations ou pour découvrir d’autres professions : http://www.metiers.justice.gouv.fr/presentation-des-metiers-10070/

http://www.onisep.fr/Decouvrir-les-metiers/Des-metiers-par-secteur/Droit-et-justice-des-emplois- nombreux-et-varies

Pour la culture générale :

Cette image représente l’allégorie de la Justice. Les yeux bandés montrent que la justice est incorruptible, la balance qu’elle pèse tous les intérêts en présence pour trouver un équilibre et l’épée qu’elle sanctionne les coupables.

Pour ceux que les études de droit intéressent : http://www-faculte-droit.u-strasbg.fr/

En cas de question n’hésitez pas à m’envoyer un mail : [email protected]

Annexe 3 :

Présentation d’un cas d’aide aux victimes

Lors de l’assemblée générale de l’association le 6 juin 2013

Récit d'une journée marquante dans le cadre de l'aide aux victimes

Tous les jeudis depuis le début de mon stage en mars, je tenais la permanence d'aide aux victimes du tribunal de grande instance de Strasbourg. Toutefois, avant le jeudi 28 mars 2013, je n'avais pas pris encore conscience de toutes les dimensions de cette mission.

Ce matin là, j'arrivai à 8h50, comme à mon habitude, afin d'ouvrir le bureau et d’être

prête pour recevoir les usagers potentiels dès 9h. A peine entrée dans le hall du tribunal, je vis que quelqu'un m'attendait déjà dans la salle d'attente. Lorsque je m'approchai de cette personne pour la saluer je découvris alors un visage tuméfié caché derrière de larges lunettes noires. Je fis entrer la personne dans le bureau pour qu'elle m'expose la raison de sa venue et voir en quoi je pouvais lui être utile.

Cette femme, que nous appellerons Madame Z., s'assit, ôta sa veste et ne dit rien. Elle leva alors la tête vers moi et retira ses lunettes. Passé le choc de découvrir l'ampleur des sombres ecchymoses qui lui recouvraient le visage, je fus frappée par la détresse qui se lisait dans ses yeux. Je tentai de la mettre en confiance et lui demandai ce qui l'amenait au bureau d'aide aux victimes. Madame Z. prit alors une grande inspiration, me regarda et me dit « Ce n'est pas facile à dire ». Comprenant que ce qu'elle devait me raconter lui prendrait du temps et allait la faire souffrir, je lui proposai un café, non seulement pour lui laisser le temps de trouver comment m'expliquer ce qui lui était arrivé mais aussi pour lui faire sentir que je n'étais pas là pour la juger mais au contraire pour l'aider. Elle accepta. Lorsque je revins avec les gobelets, je la trouvai en larmes. Sentant qu'il fallait lui laisser du temps, je patientai, sans chercher à combler le silence qui régnait et qui lui était nécessaire pour trouver la force de parler. Après quelques instants, Madame Z prit la parole.

Elle m'avoua d'abord qu'elle se prostituait. La honte qui marqua alors son visage m'encouragea à lui dire que je ne portais aucun jugement sur sa situation, ce qui sembla la rassurer. Elle continua en me racontant sa dernière prestation de la veille, au cours de laquelle son client l'avait tabassée et menacée de mort pour lui extorquer de l'argent. Ayant réussi à parler, elle me narra alors comment son agresseur l'avait frappée jusqu'à ce qu'elle en perde connaissance puis comment elle s'était retrouvée attachée et bâillonnée pendant que l'individu fouillait dans ses affaires pour lui voler son argent tout en lui promettant une mort certaine s'il ne parvenait pas à ses fins. Elle m'expliqua en détails la façon dont son agresseur avait alors tenté de l'étrangler avec le câble d’un chargeur téléphonique puis de l'étouffer avec un oreiller pour lui soutirer son argent et enfin, fort heureusement, comment elle lui avait indiqué l'endroit où elle cachait les billets, ce qui permit que l'agresseur prenne le butin et s'enfuit.

Après avoir raconté ces troublants événements, Madame Z me regarda et des larmes

lui montèrent aux yeux. Je vis alors la souffrance qui l'habitait, tout en sachant que j'étais incapable de mesurer la peur qu'elle avait dû ressentir et qu'elle ressentait encore. Madame Z m'informa alors qu'elle avait immédiatement déposé plainte contre son agresseur dont elle connaissait l’identité. En effet, Madame Z m’expliqua qu’elle proposait ses charmes via internet et que son agresseur avait décliné son identité lors de la réservation. Grâce à cette identification, l’enquête avait très vite avancé et les officiers de police avaient indiqué à Madame Z qu’elle devrait venir au tribunal ce jeudi 28 mars car l'auteur des faits allait passer en comparution immédiate l'après-midi même. Je lui indiquai les possibilités qui lui étaient ouvertes pour obtenir réparation de son dommage et je lui expliquai notamment la procédure de constitution de partie civile. Devant la gravité de l'affaire et sachant qu'elle pouvait bénéficier de l'aide juridictionnelle, je lui proposai de contacter l'avocat de permanence, Maître Costes, pour qu'il puisse l'aider dans sa défense et qu'elle se sente assistée, non seulement au niveau du droit, mais aussi, et surtout, face à son agresseur. Madame Z accepta

et je contactai alors l'avocat pour lui expliquer l'affaire. La victime et lui parlèrent quelques instants au téléphone puis l'avocat me demanda de lui envoyer certaines pièces pour la constitution du dossier. Lorsque je raccrochai, il était 10h30. Madame Z me fit part de son souhait de rester au bureau d'aide aux victimes en attendant l'audience. Elle s'installa dans la salle d'attente et elle y passa tout le reste de la matinée. Régulièrement, j'allais la voir pour savoir si tout allait bien, dans la mesure du possible, mais aussi pour lui faire comprendre que je ne l'oubliais pas et qu'elle n'était pas seule. Par le même temps, je lui fournis le numéro d'un psychologue de l'association afin de lui permettre de parler avec un professionnel. Madame Z me remercia mais m'avoua n'être pas sûre de pouvoir parler de son agression si tôt. Je lui dis alors qu'elle pourrait prendre tout son temps et qu'elle pourrait recontacter le psychologue lorsque le moment serait venu. Je partis du bureau à 12h30 pour aller manger et lui proposai de lui ramener quelque chose (elle ne souhaitait pas sortir du tribunal par peur de croiser des connaissances de son agresseur). Elle refusa mais, pour la première fois depuis le matin, elle me sourit.

Lorsque je revins, à 13h30, elle attendait toujours en salle d'attente. Je la fis entrer

dans le bureau pour lui expliquer comment allait se dérouler l'audience et nous préparâmes l'entretien avec l'avocat, qui allait arriver à 14h. Madame Z était extrêmement angoissée à l'idée de croiser à nouveau son agresseur et à l'idée que sa situation allait être rendue publique à l'audience. Je tentai alors de la rassurer mais je sentis que mes mots restaient vains face à sa détresse. L'avocat m'ayant demandé que la victime l'attende devant la salle des comparutions immédiates, je m'y rendis avec Madame Z un peu avant 14h. La sentant dans un état de stress et de peur intense, je préférai rester avec elle. Les minutes durant lesquelles la victime et moi attendîmes l'avocat me parurent bien longues. Lorsque l'avocat arriva à 14 heures, il s'installa alors avec Madame Z dans une salle attenante au bureau d'aide aux victimes et ils purent ainsi préparer ensemble le dossier. La prise en charge de l'affaire par l'avocat de permanence et sa supervision du dossier me permirent de prendre un peu de recul par rapport à la situation. Lorsque je m'entretins avec l'avocat, il réussit à mettre des mots sur ce que je ressentais depuis que Madame Z était entrée dans mon bureau : « il est impossible de rester étranger à la souffrance de cette femme ». A 15h, l'avocat et Madame Z. se rendirent à la salle d'audience. Madame Z, avant de quitter le bureau d'aide aux victimes, me regarda et me remercia. Malgré le sourire qu'elle tenta de faire, sa détresse était visible et je ne pouvais que compatir avec cette femme dont je suivais l'affaire depuis le début de la matinée et qui était pour moi bien plus qu'un numéro d'audience.

Malheureusement, les personnes dans des situations qu'elles considèrent honteuses,

telles que le cas de la prostitution, se prêtent très rarement aux suivis. Ce fut le cas de Madame Z que j'ai tenté de recontacter mais qui n’a pas donné suite à mes appels. Je ne peux donc qu'espérer qu'elle aille mieux.

Grâce à la collaboration de l’avocat de permanence, j’appris que l’audience n’avait pas

été simple car l’agresseur de Madame Z avait nié les faits en bloc. Affichant une politesse de façade, cet individu avait tenté de donner l’image d’un honnête homme et il était ainsi venu à l’audience accompagné de sa future épouse. Toutefois, l’avocat me précisa que le masque des apparences s’était brisé sous le poids des contradictions de cet homme. De même, l’avocat m’expliqua que l’état physique de Madame Z avait profondément choqué l’audience et qu’il est certain que sa présence avait joué dans le prononcé du verdict. L’auteur des faits, dont il s’est avéré qu’il était en état de récidive, fut ainsi condamné à 2 ans d’emprisonnement ferme avec mise sous dépôt pour des faits de vol, violences volontaires et menaces de mort.

L’avocat me précisa toutefois que l’affaire avait été renvoyée aux intérêts civils pour l’indemnisation de Madame Z et que l’audience ne se tiendrait qu’en septembre.

Le lendemain, je m'entretins de cette journée avec M. Bal, mon maître de stage. Lui

parler me permit de me distancier de la victime et il me fit ainsi prendre conscience de l'importance de cette mission d'aide qui permet aux victimes d'avoir une assistance juridique mais, surtout, qui leur permet d'avoir une écoute et de ne pas se sentir seule face à l'appareil judiciaire qui les effraie.