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Recherche : la triple approche

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Page 1: Recherche : la triple approche

© Masson, Paris, 2005. Rev Epidemiol Sante Publique, 2005, 53 : 233-234

Introduction

Recherche : la triple approcheResearch: triple approach

P. DUCIMETIÈREU 258 — IFR 69, INSERM, Université Paris-Sud XI, 16, avenue Paul-Vaillant-Couturier, 94807 Villejuif Cedex. Email : [email protected] (Tirés à part : P. Ducimetière).

Il est de plus en plus fréquent de voir associésdans des points de vue, voire des appels d’offres,les mots recherche et multidisciplinaire. Il exis-terait donc, en quelque sorte, une méta-recherchedont les résultats ne s’inscriraient pas dans lecadre d’une discipline mais dans la réunion deplusieurs d’entre elles, générant ainsi une formede méta-connaissance scientifique.

Une analyse rapide montre qu’il s’agit là d’unequestion de langage et, selon nous, d’abus de lan-gage. L’exigence multidisciplinaire ne qualifiepas une forme de recherche particulière maisexprime simplement la nécessité, de plus en plusfortement ressentie, de disposer sur une mêmequestion d’éléments de connaissance scientifiqueprovenant de plusieurs disciplines.

Comme beaucoup d’autres, le domaine de lasanté humaine illustre parfaitement ce besoin depluri-recherches et l’organisation et le fonction-nement de la recherche, actuellement remis enquestion dans notre pays, devraient fondamenta-lement en tenir compte.

Pour demeurer dans le domaine de la santé,depuis le milieu des années 60, c’est-à-dire depuisla création de l’INSERM, deux secteurs de recher-che sont identifiés : biomédicale, d’une part, ensanté, d’autre part. On peut dire aujourd’hui quecette dichotomie, fortement revendiquée à certai-nes périodes et moins à d’autres, n’a pas permisde structurer le domaine de façon satisfaisante. Endécoupant le champ de la recherche plutôt quel’ensemble des disciplines qui y concourent, elle

entretient toutes les ambiguïtés et, par delà, toutesles frustrations.

Les chercheurs biomédicaux, même les plusengagés dans une recherche de base, revendiquentà juste titre de participer fortement aux progrès dela santé et s’étonnent d’être exclus de la recherchedans ce domaine. Ne sont-ils pas les premiersbénéficiaires des campagnes publiques de finan-cement de la recherche par l’appel à la générositéde la population ?

Les chercheurs en santé ont l’impression, sou-vent à raison, d’être marginalisés par les précé-dents tout en n’étant pas considérés, non plus,comme des spécialistes de santé publique, auxyeux des acteurs du domaine. Le développement,par ailleurs si nécessaire, des agences de santé,dont en particulier l’InVS, loin de clarifier lesresponsabilités des uns et des autres a amplifié lesinterrogations sur la place de la recherche ensanté, coincée entre la recherche médicale et lasurveillance de la santé de la population.

Afin d’éviter toute forme de recherche « à deuxvitesses », il convient de retrouver l’unicité de ladémarche scientifique fondée sur des disciplineségalement respectables et à ce titre devant êtreégalement soutenues par les milieux académi-ques, les pouvoirs publics et la population.

Une fois de plus, tournons-nous vers l’expériencedes pays étrangers, et nous sommes bien obligésde constater que ce qui fait difficulté en France atrouvé des solutions pragmatiques fort satisfaisan-tes, ailleurs, aux Etats-Unis par exemple…

Ce texte a fait l’objet d’une présentation au Colloque de la RESP, à Paris, le 6 décembre 2004.

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L’American Heart Association, ce moteur extra-ordinairement puissant de la recherche cardiovas-culaire américaine (et mondiale), a pris l’habitudede répartir les sujets des communications accep-tées lors de ses congrès annuels (3 855 en 2004 !)en trois catégories : Basic science (41 %), Clinicalscience (50 %), Population science (9 %). Il s’agitlà du trépied essentiel sur lequel devrait, selonnous, s’organiser la recherche médicale d’un paysmoderne.

L’existence de « sciences des populations »n’est évidemment pas un fait nouveau et notrepays peut s’enorgueillir d’une tradition efficacede recherche en démographie, en génétique despopulations… Il convient cependant d’accordertoute leur place à des disciplines plus globales quise sont révélées essentielles pour comprendre lesquestions de santé à l’échelle des populations :l’épidémiologie et les sciences sociales.

La répartition en pourcentages des communica-tions entre les trois approches est instructive : ellemesure d’une manière pragmatique la part varia-ble que chacune apporte à l’innovation dans ledomaine considéré à une époque donnée, mais enleur accordant a priori une égale légitimité etconsidération. Par ailleurs, l’analyse des titres des35 sessions (sur un total de 400) relevant dePopulation science en 2004 montre une grandediversité : 21 sessions consacrées à l’épidémiolo-gie dont 6 sur le rôle des comportements, 2 surles facteurs sociaux, 3 sur la génétique, et 6 ses-sions traitant des aspects économiques et de ges-tion du système de santé… mais les travauxrapportés sont à l’évidence complémentaires deceux menés dans les disciplines biologiques (debase) et cliniques.

En effet, la nécessité d’approches simultanéess’impose aujourd’hui, quel que soit le domainede recherche. Les exemples pourraient être mul-tipliés. La compréhension des processus physio-pathologiques qui a priori ne relève que desdisciplines de base est en permanence orientéepar les apports de la recherche clinique et épidé-

miologique. Les progrès de la prise en charge etdu traitement des malades dépendent dans unetrès grande mesure des travaux biologiques et desindications fournies par l’épidémiologie et l’éco-nomie. La connaissance de l’étiologie et despossibilités de prévention qui est au cœur de ladémarche épidémiologique ne peut se passer desconnaissances physiopathologiques et des résul-tats de la recherche clinique…

Les liens qui se tressent entre les trois approchess’expriment également dans l’évolution des rap-ports entre scientifiques rompus à des disciplinesrelevant de chacune d’entre elles. Prenons l’exem-ple de la génétique moléculaire. À la suite de larévolution technologique, la recherche de muta-tions de l’ADN comme facteurs de risque de mala-dies complexes a constitué une première phase aucours de laquelle le généticien n’avait besoin del’épidémiologiste et du chercheur clinicien quepour constituer des banques d’ADN de cas et detémoins. La nécessité de plus en plus évidented’étudier des effets conjoints de la variabilitégénomique avec des expositions environnementa-les impose des collaborations plus équilibréesoù l’épidémiologiste devient un partenaire de larecherche elle-même. Ce sera à plus forte raisonvrai demain lorsque des études longitudinalescomplexes seront nécessaires pour étudier leseffets de la modulation de l’expression génique etl’épigénétique.

Ainsi l’organisation de la recherche doit faci-liter la réalisation de travaux impliquant desapproches simultanées exigeant à la fois complé-mentarité, collaboration mais aussi autonomie etrespect mutuel des équipes participantes. À aucunmoment il ne semble que d’autres critères d’éva-luation par les pairs que ceux admis aujourd’hui,c’est-à-dire la nouveauté et l’importance desrésultats obtenus devraient leur être appliqués…

En paraphrasant H. Blackburn dans son AncelKeys Lecture au Congrès de l’AHA de 1992,cherchons à préserver chacune des trois appro-ches… et que toutes fleurissent !…