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7th Cell Therapy Workshop AMGEN-ROCHE Reconnaissance de l'antigène et différenciation des lymphocytes T M. Bonneville INSERM U463, Institut de Biologie, 9, quai Moncousu, F-44035 Nantes Cedex 01, France Mots clés: Lymphocyte T Récepteur T Thymus Sélection du répertoire Correspondence to: M. Bonneville Résumé C'est au cours de leur développement intrathymique que les lymphocytes acquièrent la capacité de reconnaître une grande variété d'antigènes associés au molécules d'histocompatibilité du Soi. Cette propriété est d'une part liée à l'acquisition de récepteurs de reconnaissance de l'antigène, les récepteurs T, dont la biosynthèse s'opère à un stade précoce du développement intrathymique. Elle est d'autre part la conséquence de processus sélectifs intrathymiques, qui favoriseront l'émergence de lymphocytes capables de reconnaître les produits d'histocompatibilité du Soi tout en prévenant la production de thymocytes autoréactifs. Seront ici évoqués les principales étapes du développement lymphocytaire, en insistant sur la génération du répertoire lymphocytaire et sa sélection intrathymique. Les lymphocytes T et B reconnaissent les antigènes (Ag) au moyen de structures glycoprotéiques, respectivement les récepteurs T (TCR) et les immunoglobulines, dont la diversité est générée par recombinaison somatique de segments géniques. La biosynthèse de ces récepteurs est activée à des stades précis du développement lymphocytaire, dans des compartiments tissulaires bien définis : la moelle osseuse dans le cas des lymphocytes B et le thymus dans le cas des lymphocytes T. Outre les sites dans lesquels elles s'opèrent, les modalités de développement des cellules B et T présentent d'autres différences importantes, qui reflètent les modes fondamentalement distincts de reconnaissance des Ag par ces cellules. En effet à la différence des cellules B, qui peuvent interagir directement avec des Ag étrangers, les cellules T reconnaissent très générallement les Ag sous la forme d'oligopeptides, associés aux produits de gènes polymorphiques du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH). Cette propriété n'est pas innée mais est la conséquence de processus sélectifs intrathymiques, qui favorisent la maturation des thymocytes capables d'interagir avec les produits d'histocompatibilité du Soi tout en prévenant l'émergence de clones autoréactifs. L'objet du présent exposé sera, après avoir rappelé les caractéristiques générales des cellules T et de leurs TCR, de détailler les étapes de leur différenciation intrathymique, en insistant sur les développement récents ayant aboutit à une compréhension fine des mécanismes de sélection du répertoire thymocytaire. Principales sous populations lymphocytaires T Les lymphocytes T matures peuvent être subdivisés en deux sous populations principales, différant par leur phénotype, la nature des Ag reconnus et leur rôle, démontré ou suspecté, au cours des réponses immunes. Les lymphocytes T dits "classiques", qui constituent la grande majorité (> 90 %) des lymphocytes T périphériques, reconnaissent des Ag oligopeptidiques associés aux molécules d'histocompatibilité de classe I et II polymorphiques. Leurs récepteurs T, qui sont constitués de sous unités alpha et beta, sont systématiquement coexprimés avec des corécepteurs, tantôt CD4 tantôt CD8. Ces cellules jouent un rôle central dans les réponses antivirales et antibactériennes ainsi qu'une fonction auxiliaire déterminante dans la

Reconnaissance de l’antigène et différenciation des lymphocytes T

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7th Cell Therapy Workshop AMGEN-ROCHE Reconnaissance de l'antigène et différenciation des lymphocytes T M. Bonneville INSERM U463, Institut de Biologie, 9, quai Moncousu, F-44035 Nantes Cedex 01, France Mots clés: Lymphocyte T Récepteur T Thymus Sélection du répertoire Correspondence to: M. Bonneville

Résumé C'est au cours de leur développement intrathymique que les lymphocytes acquièrent la capacité de reconnaître une grande variété d'antigènes associés au molécules d'histocompatibilité du Soi. Cette propriété est d'une part liée à l'acquisition de récepteurs de reconnaissance de l'antigène, les récepteurs T, dont la biosynthèse s'opère à un stade précoce du développement intrathymique. Elle est d'autre part la conséquence de processus sélectifs intrathymiques, qui favoriseront l'émergence de lymphocytes capables de reconnaître les produits d'histocompatibilité du Soi tout en prévenant la production de thymocytes autoréactifs. Seront ici évoqués les principales étapes du développement lymphocytaire, en insistant sur la génération du répertoire lymphocytaire et sa sélection intrathymique.

Les lymphocytes T et B reconnaissent les antigènes (Ag) au moyen de structures glycoprotéiques, respectivement les récepteurs T (TCR) et les immunoglobulines, dont la diversité est générée par recombinaison somatique de segments géniques. La biosynthèse de ces récepteurs est activée à des stades précis du développement lymphocytaire, dans des compartiments tissulaires bien définis : la moelle osseuse dans le cas des lymphocytes B et le thymus dans le cas des lymphocytes T. Outre les sites dans lesquels elles s'opèrent, les modalités de développement des cellules B et T présentent d'autres différences importantes, qui reflètent les modes fondamentalement distincts de reconnaissance des Ag par ces cellules. En effet à la différence des cellules B, qui peuvent interagir directement avec des Ag étrangers, les cellules T reconnaissent très générallement les Ag sous la forme d'oligopeptides, associés aux produits de gènes polymorphiques du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH). Cette propriété n'est pas innée mais est la conséquence de processus sélectifs intrathymiques, qui favorisent la maturation des thymocytes capables d'interagir avec les produits d'histocompatibilité du Soi tout en prévenant l'émergence de clones autoréactifs. L'objet du présent exposé sera, après avoir rappelé les caractéristiques générales des cellules T et de leurs TCR, de détailler les étapes de leur différenciation intrathymique, en insistant sur les développement récents ayant aboutit à une compréhension fine des mécanismes de sélection du répertoire thymocytaire. Principales sous populations lymphocytaires T Les lymphocytes T matures peuvent être subdivisés en deux sous populations principales, différant par leur phénotype, la nature des Ag reconnus et leur rôle, démontré ou suspecté, au cours des réponses immunes. Les lymphocytes T dits "classiques", qui constituent la grande majorité (> 90 %) des lymphocytes T périphériques, reconnaissent des Ag oligopeptidiques associés aux molécules d'histocompatibilité de classe I et II polymorphiques. Leurs récepteurs T, qui sont constitués de sous unités alpha et beta, sont systématiquement coexprimés avec des corécepteurs, tantôt CD4 tantôt CD8. Ces cellules jouent un rôle central dans les réponses antivirales et antibactériennes ainsi qu'une fonction auxiliaire déterminante dans la

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plupart des réponses humorales thymodépendantes. En outre, ces cellules étant fréquemment alloréactives, ce sont les effecteurs principaux des réactions de rejet d'allogreffes. Les lymphocytes T dits "non classiques", de découverte plus récente, semblent dirigés contre un univers plus vaste d'Ag, de nature peptidique, saccharidique ou glycolipidique, reconnaissables selon les cas sous forme native ou associée à des produits d'histocompatibilité peu polymorphiques (molécules CMH de classe Ib, CD1...). Ils sont très générallement dépourvus de corécepteurs CD4/CD8, et expriment des récepteurs T constitués de sous unités alpha et beta ou gamma et delta.Ces cellules semblent avoir une fonction protectrice lors des réponses primaires antibactériennes et pourraient jouer un rôle régulateur négatif important dans la plupart des réponses secondaires. Cependant, dans le sens où d'une part, les propriétés biologiques des cellules T "non classiques" restent encore très imparfaitement comprises et d'autre part, ces cellules semblent avoir un rôle très secondaire lors des réponses allogéniques, les aspects relatifs à leur développement seront pour la plupart éludés dans la suite de cette revue. Reconnaissance des antigènes par les lymphocytes T/biosynthèse des TCR La reconnaissance du complexe CMH/Ag est assurée par les sous unités alpha et beta du TCR, qui comportent chacune un domaine variable et un domaine constant. Alors que la partie constante des sous unités est codée par un gène unique, la partie variable est codée par une combinaison de 2 ou 3 segments (V et J pour les chaînes alpha ; V, D et J pour les chaînes beta), dont les extrémités sont accolées par recombinaison génique au cours du développement intrathymique. La recombinaison (ou réarrangement) des segments géniques est assurée par un complexe recombinatoire comportant des enzymes spécifiques des cellules lymphoïdes : les recombinases RAG, et des enzymes participant aux processus généraux de réparation de l'ADN. Ce complexe recombinatoire est capable, après reconnaissance de séquences conservées présentes aux extrémités de chacun des segments V, D et J, d'éliminer la portion d'ADN séparant les élements réarrangés, qui seront ensuite religués entre eux. Les loci alpha et beta du TCR comportant un nombre élevé de segments V (environ 50 Valpha et Vbeta) et J (environ 50 Jalpha, une dizaine de Jbeta) distincts, ce mécanisme permet de générer un large ensemble de récepteurs T différents, dont la taille sera directement liée au nombre de combinaisons VJalpha/VDJbeta synthétisables. A cette diversité combinatoire s'ajoute une diversité jonctionnelle, liée au retrait et/ou à l'ajout d'un nombre variable de nucléotides aux extrémités des segments réarrangés. La combinaison de ces 2 processus permet ainsi la génération de plusieurs centaines de milliards de récepteurs T distincts par individu. D'un point de vue fonctionnel, il est important de préciser que bien que la diversité des TCR soit confinée dans des zones très limitées du domaine variable, des études cristallographiques récentes ont montré que ces zones dites hypervariables constituaient l'essentiel du site de reconnaissance de l'antigène, en formant des boucles interagissant directement avec l'Ag oligopeptidique et les résidus polymorphiques portés par les molécules d'histocompatibilité. Aux sous unités alpha et beta du TCR, qui définissent la spécificité fine du lymphocyte T, est obligatoirement associé un ensemble de chaînes glycoprotéiques invariantes constituant le complexe CD3. Ce dernier assure la transduction du signal généré après interaction entre TCR alpha beta et complexe CMH/Ag, et l'initiation d'une cascade d'activation de second messagers, qui aboutira ultimement à la maturation fonctionnelle et la prolifération lymphocytaire. Enfin les 2 autres acteurs qui jouent un rôle central lors du processus de reconnaissance de l'Ag et d'activation lymphocytaire sont les corécepteurs CD4 et CD8. En effet, ceux ci contribuent directement au renforcement de la liaison récepteur T/complexe CMH/Ag, en interagissant avec des zones conservées partagées par les molécules CMH de classe I (dans le cas des corécepteurs CD8) ou de classe II (dans le cas des corécepteurs CD4). En outre, ils participent au recrutement de seconds messagers impliqués dans la cascade de transduction des signaux d'activation lymphocytaire. Différenciation intrathymique des lymphocytes T Le thymus joue un rôle déterminant dans le développement T durant les premières années de la vie. Cet organe involue par la suite et son ablation chez l'adulte ne s'accompagne pas de déficits T notoires, suggérant qu'une fois le répertoire T établi, une bonne immunité peut être maintenue sans production massive de nouveaux lymphocytes. On peut noter par ailleurs que les déficits en cellules T observés chez

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des individus athymiques jeunes (DiGeorge, mutation nude...), bien que profonds, sont rarement voire jamais absolus, suggérant par conséquent l'existence de sites de différenciation extrathymique dont la localisation exacte reste à préciser (intestin, foie, rate, peau...). Principales étapes de la différenciation thymocytaire Le phénotype et le caractère totipotent des cellules souches susceptibles de migrer vers le thymus restent encore controversés. Il semble clair cependant que dès leur entrée dans le thymus, ces cellules acquièrent rapidement des marqueurs lymphoïdes T, traduisant leur engagement irréversible vers ce lignage. Trois stades principaux peuvent être définis sur la base de l'expression des corécepteurs CD4/CD8. Les thymocytes précoces, dits " double négatifs " car ils n'expriment ni CD4, ni CD8, représentent moins de 1 % des thymocytes totaux. A ce stade sont acquis plusieurs marqueurs de différenciation (CD5, CD2) et d'activation (CD25, CD38, CD71), puis exprimés dans le cytoplasme les sous unités CD3 et la protéine pTalpha (dite chaîne alpha de " remplacement "), et parallèlement réarrangés les gènes beta, gamma et delta du TCR. C'est à la fin de ce stade que s'opère la séparation des lignages Talpha beta et Tgamma delta. Ainsi les thymocytes ayant produit des réarrangements gamma et delta fonctionnels expriment alors en surface un complexe CD3/TCRgamma delta et se différencient, pour certains après réception de signaux via leur TCR, selon une voie indépendante. L'engagement vers le lignage alpha beta suppose la production préalable d'une chaîne beta fonctionnelle, qui s'apparie alors à pTalpha pour former un hétérodimère beta/pTalpha (ou " préTCR ") associé au CD3. La réception de signaux par ce préTCR active de façon transitoire l'activité proliférative du thymocyte et son passage au stade " intermédiaire " dit double positif (DP) (du fait de la coexpression de CD4 et CD8). Les thymocytes DP, qui représentent 80 à 85 % des thymocytes totaux, vont rapidement réarranger leurs gènes alpha du TCR et moduler pTalpha, puis exprimer à des taux intermédiaires des complexes CD3 / TCR alpha beta. Ils seront alors soumis à des processus sélectifs (cf infra), qui aboutiront dans une minorité des cas à la différenciation terminale du thymocyte intermédiaire en thymocyte mature. Cette transition s'accompagne de plusieurs modifications phénotypiques : en particulier, modulation d'un des co-récepteurs CD4 ou CD8 (stade " simple positif "), hyperexpression du complexe CD3 / TCRalpha beta/ corécepteur restant, perte du CD1,...). Sélection intrathymique des thymocytes Sur les 50 millions de thymocytes produits chaque jour chez une souris jeune, seuls 2 % subiront une maturation complète et seront exportés en périphérie. Comme le nombre de thymocytes totaux à ce stade reste constant, ceci indique que 98 % des cellules produites sont éliminées. Cette sélection, qui survient pour l'essentiel au stade double positif (thymocyte intermédiaire), est la conséquence de 2 processus, qui dans les 2 cas aboutiront à l'apoptose ou mort programmée du thymocyte. Premièrement en l'absence de réception de signaux de "survie" fournis par le TCR, le thymocyte DP rentre rapidement en apoptose : ces signaux de survie sont produits après interaction entre les TCR alpha beta et des complexes CMH/Ag portés par les cellules épithéliales du cortex thymique. Ce processus, dit de sélection positive, permet ainsi la maturation exclusive des thymocytes porteurs de TCR présentant une affinité suffisante pour les molécules d'histocompatibilité thymiques. Peu après, ces thymocytes seront soumis à une seconde sélection, dite négative, qui conduira à l'élimination des cellules porteuses de récepteurs T présentant une très forte affinité pour les constituants du Soi. La combinaison de ces 2 processus permet ainsi la génération exclusive de lymphocytes T "restreints" par les molécules d'histocompatibilité du Soi tout en étant tolérants vis à vis du Soi. Modèle d'avidité Comment un même récepteur, le TCR, peut-il à la fois fournir des signaux conduisant tantôt à la différenciation ou à la mort du thymocyte? Selon l'hypothèse dite d'avidité, la plus couramment admise, le devenir du thymocyte dépendra de l'intensité du signal reçu via le TCR, elle même dépendante de l'affinité de l'interaction TCR/CMH/Ag et de la densité des complexes MHC/Ag reconnus : une trop faible avidité conduira à un défaut de sélection, une avidité intermédiaire à une sélection positive et une forte avidité à une sélection négative. En fait il semblerait qu'en l'absence de corécepteurs, l'affinité des TCR pour les molécules CMH du Soi soit trop faible pour permettre une sélection positive efficace des thymocytes : celle ci ne peut donc

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s'opérer que s'il y a coengagement des TCR suffisamment affins pour des molécules d'histocompatibilité de classe I ou II, et des corécepteurs CD8 ou CD4. La nécessité de ce coengagement TCR/corécepteur, qui activera alors la modulation du corécepteur non engagé, explique comment est établie la spécificité des sous populations matures CD4+ ou CD8+ vis à vis des molécules CMH de classe II et I respectivement. Tolérance centrale et périphérique Bien que la sélection négative, qui survient après interaction entre les thymocytes et des cellules spécialisées dans la présentation de l'antigène (macrophage, cellules dendritiques), permette d'établir une tolérance efficace vis à vis de la plupart des constituants du Soi, elle n'assure pas l'élimination de cellules réactives vis à vis d'Ag exclusivement périphériques. En fait, la persistance de telles cellules potentiellement autoréactives s'avère être dans la plupart des cas sans conséquence, car les antigènes spécifiques d'organe sont très générallement portés par des cellules incapables de fournir l'ensemble des signaux requis pour une maturation fonctionnelle complète du lymphocyte.

Hematol Cell Ther (1997) 39 : 249-251 © Springer-Verlag France 1997