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Réflexions libertaires sur les services publics Anthologie Les Éditions Ruptures Textes rassemblés par le Collectif anarchiste l’(A)telier Perspectives 1

Réflexions libertaires sur les services publics

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De la Première Internationale à la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics, de l’Espagne révolutionnaire aux grèves dans le transport en commun: des pistes pour réfléchir et dépasser l’apparente contradiction d’une défense anarchiste des services publics. Une anthologie de textes de • Cause commune • L’OCL • Alternative libertaire • Marianne Enckell • Guillaume Goutte • Serge Roy • Collectif anarchiste l’(A)telier

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Réflexions libertaires sur les

services publics

Anthologie

Les Éditions Ruptures

Textes rassemblés par le Collectif anarchiste l’(A)telier

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RÉFLEXIONS LIBERTAIRES SUR LES SERVICES PUBLICS

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RÉFLEXIONS LIBERTAIRES SUR LES SERVICES PUBLICS

Anthologie

Textes rassemblés par le Collectif anarchiste l’(A)telier

(2012)

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À part quelques coquilles, les textes ont été laissés tels quels. Ainsi, certains textes sont féminisés, d’autres pas.

Photo de la page couverture : « L’école et la voirie, deux services publics essentiels » (vue de la rue d’Aiguillon, à Québec).

Cette édition a été réalisée en mai 2012 par les Éditions Ruptures Premier tirage: 60 ex.

Une édition électronique de ce livre est disponible en ligne.

Les Éditions RupturesUCL a/s E.H.55051, CP LangelierQuébec (Qc) G1K 9A4

[email protected]

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ...................................................................... 9 par le Collectif anarchiste l’(A)telier

REPENSER L’UTILITÉ SOCIALE ......................................... 15 par l’Organisation communiste libertaire

CONQUÊTE ET CONTRE-POUVOIR ................................... 27 par Alternative libertaire

« G » COMME GRATUITÉ ..................................................... 35 par la NEFAC

LA QUESTION DES SERVICES PUBLICS DEVANT L’AIT ....................................................................... 41 par Marianne Enckell

UNE MÉDECINE POUR TOUS (Espagne 1936) ................... 55 par Guillaume Goutte

POUR UN TRANSPORT PUBLIC AUTOGÉRÉ ................... 65 par Serge Roy

PERSPECTIVES ET STRATÉGIES LIBERTAIRES SUR LES SERVICES PUBLICS ................... 73 par Collectif anarchiste l’(A)telier

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Collectif anarchiste l’(A)telierINTRODUCTION

Publiquement nôtresPour dépasser l’apparente contradiction d’une défense anarchiste des services publics Depuis 2011, l’Union communiste libertaire (l’UCL) s’implique dans une campagne contre la tarification et la privatisation des services publics au côté d’une Coalition portant le même nom. Cette coalition regroupe des groupes communautaires, des associations étudiantes et des syndicats. Plusieurs personnes pourraient s’interroger, avec raison, sur le caractère contradictoire de la campagne de l’UCL contre la tarification et la privatisation des services publics. Ceci sans oublier que les groupes rejoints par la Coalition réunissent principalement des organisations dont les objectifs sont réformistes (elles visent un aménagement des politiques publiques de l’État) alors que l’UCL formule des finalités révolutionnaires (dont l’abolition de l’État et du capitalisme). En effet, comment peut-on prôner la suppression de l’État et revendiquer du même coup la qualité et la gratuité des services

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publics? Une telle position est pourtant moins incohérente qu’il n’y paraît… De prime abord, notre position s’appuie sur une analyse critique du contexte social, politique et économique actuel. En cette période de l’histoire où les moindres parcelles de l’activité humaine et du vivant sont soumises aux diktats du marché, nous considérons que des services publics gratuits constituent, pour le moment, le meilleur instrument pour combler les besoins essentiels de la population (éducation, logement, transport, etc.). En nous positionnant pour l’abolition de la pauvreté et de la précarité, nous luttons pour une meilleure qualité de vie pour tous et toutes, ici et maintenant, au-delà de tout dogmatisme. De plus, si l’UCL se positionne contre l’État, c’est que celui-ci se présente comme un instrument de choix pour les personnes économiquement privilégiées et opportunistes comme le montre bien la situation actuelle. Or au sein d’une société communiste libertaire idéale, les institutions publiques seraient également de la partie ; ces institutions seraient toutefois sous un contrôle démocratique direct afin que les services soient offerts de manière solidaire et égalitaire dans une perspective d’autogestion des ressources. Ainsi, en luttant pour la gratuité des services publics, nous nous opposons à la gestion marchande qu’en fait l’État, et non à l’idée même de « services publics ». Il ne faut jamais oublier que, fondamentalement, les services publics représentent — ou plutôt devraient représenter — le don d’une société à elle-même, la forme privilégiée que peut prendre une répartition égalitaire de la richesse et une solidarité sociale tous azimuts. À travers les services publics, la société prend soin — ou plutôt devrait prendre soin — de tous ses membres, et surtout des plus démuni-e-s. Pourtant, les services publics ont une fonction contradictoire: d’une part ils constituent un moyen

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privilégié pour développer une réelle qualité de vie; d’autre part, ils sont utilisés comme instruments de régulation et de contrôle social utiles aux classes dirigeantes. Ces deux fonctions sont enchevêtrées de telle façon qu’il n’est pas toujours facile d’y voir clair et de les distinguer simplement. Notre objectif n’est pas donc de viser la reconduction éternelle des services sociaux tels qu’on les connait maintenant, mais bien, et précisément, de défendre les instruments qui nous aident à survivre ici et maintenant tout en visant, d’un même souffle, le dépassement de ces institutions afin qu’elles soient sous contrôle populaire. C’est dans cette optique que ceux et celles qui nous ont précédé-e-s ont lutté pour obtenir les services publics dont nous jouissons aujourd’hui. Puisque ces services ne sont finalement que des résidus des luttes populaires passées, ils doivent être constamment défendus, approfondis et mis en valeur afin qu’à terme ils appartiennent démocratiquement à l’ensemble de la société et soient enfin libérés de la tutelle de l’État et de sa rationalité froide et calculatrice. Si l’histoire nous montre que nous n’aurons que ce que nous prendrons, il serait peu conséquent d’abandonner ce qui constitue une des formes les plus développées de notre vivre ensemble. Certes, les services publics que nous connaissons aujourd’hui devront être radicalement transformés afin de développer leur plein potentiel de solidarité. Or les transformations imposées par l’État libéral actuel nous éloignent grandement de cet objectif. Voilà pourquoi nous luttons pour un accès égalitaire et gratuit à des services publics de qualité : pour en faire le ferment d’une société démocratique qui prend soin de son avenir.

Tiré du Cause Commune no 29 – automne 2010

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L’ANTHOLOGIE PRÉSENTÉE ICI est le fruit du collectif anarchiste l’(A)telier de Québec. Elle réunit différentes pistes de réflexions élaborées par des anarchistes sur le thème des services publics. Ce travail de recension ne fut pas des plus facile, il s’est buté à de nombreux obstacles et il nous oblige à une certaine modestie : nous ne prétendons pas offrir des réponses à toutes les questions pouvant être abordées sur le thème des services publics, de la même façon que la pensée libertaire ne propose pas un modèle systémique de société future. Plus prosaïquement, il faut plutôt y voir l’œuvre d’un collectif libertaire (l’(A)telier) et d’une fédération communiste libertaire (l’UCL) impliqués dans une lutte globale contre les politiques néolibérales et appelés à justifier leurs positions. Les textes signés ici sont souvent anonymes. La raison en est que le contexte de rédaction est encore de nos jours répressif (dans les lieux de travail). Ces textes relèvent souvent de la littérature militante et ils sont signés du nom des organisations d’où ils sont produits. Certains pourront reprocher à cette littérature de ne pas porter le verni académique et scientifique de l’Université. Néanmoins, ce qu’ils perdent en prestige, ils le gagnent en lisibilité et en compréhension. Les sept textes regroupés dans cet ouvrage sont de nature diverse, ils viennent de la francophonie et ils sont relativement courts. Il ne représente pas l’entièreté de la réflexion anarchiste sur le sujet. Pour le lecteur ou la lectrice, nous suggérons aussi la lecture du quinzième numéro de la revue Réfractions, Publics, privés, communs, quels services ? sur le même sujet, dans une perspective française. De même, notons un ouvrage de jeunesse de Chomsky sur lequel le socialiste libertaire ne cracherait pas, Quel rôle pour l’État ? (écosociété, 2005, 1970).

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La première partie de l’anthologie se veut théorique. Elle aborde les quelques principes qui orientent la réflexion anarchiste sur les services publics. Utilité sociale, contre-pouvoir et gratuité sont trois repères caractéristique de la réflexion anarchiste. À cela, il faudrait ajouter d’autres éléments ; autogestion, universalité et surtout autonomie (collective autant qu’individuelle). Le troisième texte de cette partie s’inscrit dans le contexte de la fin de la première Internationale et met bien en exergue les principales différences entre les socialistes autoritaires et les libertaires. Comme dans bien des sujets, les divisions de la première Internationale illustrent ce qui va opposer plus tard autoritaires et anti-autoritaires, marxistes et anarchistes. La seconde partie est consacrée à des exemples historiques ou des réflexions concrètes sur les services publics. Force fut de constater le peu de diversité des exemples. De la guerre civile espagnole (Une médecine pour tous : socialisation des services de santé par les anarchistes espagnols (1936-1937)) au transport en commun (Pour un transport en commun autogéré), les exemples historiques de service public autogéré par des anarchistes sont aussi rares que les quelques mouvements où ils se sont distingués. C’est que si les anarchistes sont prolixes dans leur critique de l’État, leur critique de l’économie porte souvent sur ce que nous désignons dans notre société capitaliste comme étant le «secteur privé». Le discours autogestionnaire vise donc surtout le monde industriel et ses manufacture. Il faut dire que les premiers auteurs anarchistes ont vécu au XIXe siècle, une époque où l’État libéral était principalement restreint à ces fonctions régaliennes (sécurité intérieure et guerres extérieures). Or, les services publics ont surtout pris de l’extension au XXe siècle à la suite de la destruction des modes de solidarités traditionnelles (famille, église), de l’urbanisation et de l’industrialisation. Le thème de prédilection

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des anarchistes sur les services public est le transport en commun pour lequel il existe un mouvement social et une littérature. Au lecteur et à la lectrice, nous suggérons de s’aventurer en dehors des orbites de Barcelone en guerre pour explorer les expériences européenne contemporaine, dont celle du Réseau pour l’abolition des transports payants (le RATP). C’est dire qu’une véritable réflexion sur l’autogestion des services publics doit sortir des seules ornières de ce qui est spécifiquement qualifié comme anarchiste. La troisième partie de l’anthologie résume les propos d’une discussion de l’ancêtre du collectif l’(A)telier, le Collectif anarchiste la Nuit.

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Organisation communiste libertaireREPENSER L’UTILITÉ SOCIALE

Un texte de réflexion de l’Organisation communiste libertaire (France) publié pour la première fois dans la revue Offensive libertaire à l’occasion d’un numéro spécial intitulé «Au service du public» (Janvier 2005) et diffusé depuis sous forme de brochure. Une partie des archives d’Offensive libertaire, dont le numéro d’où est extrait cette réflexion, est en ligne sur le site <offensive.samizdat.net>. L’OCL a aussi un site qui héberge sa propre revue, Courant alternatif, et plusieurs textes de réflexion à <oclibertaire.free.fr>.

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TRANSPORTS, SERVICES DE SANTÉ, enseignement, Postes et Télécommunications, etc. L’heure est à l’économie et à la privatisation avec tout ce que cela implique pour les travailleurs du secteur public et pour les usagers. Aggravation des conditions de travail, comme dans les autres secteurs économiques, dégradation des services. On fait des économies sur ce qui ne rapporte pas, on cède au privé ce qui est susceptible d’engendrer des profits…L’affaire roule d’autant mieux si elle est menée par des progressistes qui ne cessent de proclamer leur attachement à la notion de service public. Il est illusoire d’attendre de l’Etat qu’il soit le garant du service public. L’Etat n’est pas public et il n’est pas une abstraction. Il est constitué d’individus et d’institutions, dont le pouvoir repose en définitive sur l’usage de la force («L’Etat, c’est une bande d’hommes armés», selon l’expression d’Engels). Le service public est donc parfaitement instrumentalisé dans ce processus, puisqu’il vise en définitive non pas à la satisfaction de la population, mais à organiser les conditions qui permettent au capitalisme de fonctionner et de dégager des profits. La critique de la notion de service public, déjà entreprise par les libertaires, est donc une tâche essentielle aujourd’hui pour détacher celle-ci de l’Etat. Affirmer que l’économie doit avoir pour objectif la création de biens et de services utiles à chaque individu et non d’engendrer des profits pour quelques-uns unes, c’est également démontrer que tout devrait être service public, et dénoncer le caractère arbitraire de ce qui est actuellement défini comme tel. Pourquoi l’eau devrait être un service public comme le réclame ATTAC, mais pas la nourriture ou l’habillement ? Inversement, faut-il créer une collectivisation généralisée (au risque de retomber dans les erreurs passées du centralisme totalitaire ...) ?

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Ou bien faut-il intégrer les critiques du productivisme, l’analyse des conséquences socio-politiques induites par la «Technique» pour tenter de recréer un autre mode de production autocentré, maîtrisable par des communautés à taille humaine.. ? Seuls les mouvements sociaux remettant en cause ce monde peuvent avoir la légitimité d’explorer des voies de contournement des impasses économiques actuelles.

DU RÔLE DE L’ÉTAT DANS LA CRÉATION D’UN «SERVICE PUBLIC»

A des moments donnés, l’Etat a eu besoin de financer ou de mettre en place des infrastructures ou des productions pour soulager le capital privé, auquel il les remet aujourd’hui, pour assurer entre autres une «continuité territoriale» ou une «équité entre les usagers», introduire une «modernité» dans laquelle les investisseurs privés ne voulaient pas prendre de risques (n’étant pas encore sûrs que cela pouvait être rentable) ou contrôler une activité (radio et télévision pendant très longtemps, …). Tel fut le cas pour la SNCF1 (dans laquelle l’Etat n’a jamais détenu plus de 51% du capital) ou d’EDF2 (veiller à ce que tout le monde soit raccordé au réseau dans des conditions identiques, laissant le soin aux collectivités territoriales, via les syndicats d’électrification, d’en financer une partie). Lorsque la notion d’«équité» entrait en ligne de compte, on les appela «services publics», comme pour les administrations d’Etat ; sinon ce ne furent que des entreprises publiques (comme Renault), financées par le contribuable et cédées au privé à bas prix lorsqu’elles furent jugées rentables pour le capitalisme.

Société nationale des chemins de fer.Électricité de France.

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QU’APPELLE-T-ON ACTUELLEMENT SERVICE PUBLIC ?

Le service public a été défini comme toute activité d’une collectivité publique visant à satisfaire un besoin d’intérêt général. Or, l’intérêt général est difficile à préciser dans de nombreux cas et les activités des collectivités publiques ne sont pas toutes d’intérêt général. Par ailleurs, l’existence de services publics industriels et commerciaux, comme EDF, conforte l’idée que toutes les activités des personnes publiques ne sont pas des activités de service public. Enfin, il existe des activités considérées comme relevant du service public, la distribution de l’eau par exemple, qui sont gérées par des entreprises privées (celles-ci sont définies comme délégation de service public). Dans les faits, la notion s’applique à deux catégories d’activités des collectivités publiques:

• D’une part, les services administratifs de l’État et des collectivités locales dont les actes et les personnels sont soumis au droit administratif;

• D’autre part, les services publics industriels et commerciaux dont les actes courants sont soumis en principe au droit privé mais dont les personnels peuvent être soumis au statut de la fonction publique (EDF).

On distingue alors un certain nombre de critères constitutifs du service public :

• Le principe d’égalité : face aux charges ou aux avantages, tous les usagers doivent être égaux.

• Le principe de continuité : il ne doit pas y avoir de rupture dans le fonctionnement du service. Ainsi le droit de grève est-il réglementé dans certains services publics (service minimal par exemple).

• Le principe d’adaptation : il implique que le service public

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suive les exigences d’un «intérêt général» fluctuant.• Le principe de gratuité : s’il n’existe pas en droit, il est

souvent associé pour les usagers à la notion de service public dont la fixation des prix échappe au marché (par exemple le coût du ticket de métro ou la gratuité du service des pompiers).

ET POURTANT …

Le principe d’égalité n’existe pas véritablement. Le tarif de l’électricité, des télécommunications, du courrier, etc. n’est pas le même suivant que l’on est un usager domestique ou un usager industriel. A la SNCF, il existe toujours un tarif 1ère classe et un tarif 2ème classe, un tarif TGV et un tarif Corail, un tarif «public» et un tarif pour les adeptes de l’Internet, … De même, le principe de continuité n’existe pas dans la réalité : on supprime des lignes de chemin de fer sous prétexte qu’elles ne sont pas rentables, on ferme des hôpitaux de proximité pour la même raison, l’usager domestique qui a du mal à régler sa facture EDF se voit couper sa ligne ou baisser au niveau le plus faible, permettant tout juste l’éclairage, alors que de plus en plus de logements sont équipés du chauffage électrique. Quant au principe de gratuité, n’en parlons pas …

UN EXEMPLE D’INSTRUMENTALISATION DU SERVICE PUBLIC : LE PLAN HÔPITAL 2007

La santé est désormais organisée sur la base de territoires de santé «régional, infra ou inter régional...» La nouvelle forme de coopération public/privé va permettre d’instaurer une concurrence plus accrue entre les établissements et dilue les établissements

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publics dans une nouvelle entité juridique : GHIC (groupement hospitalier d’intérêt collectif) à l’exemple de ce qui fut mis en place à la poste vers 1986. Le service public hospitalier glisse vers une entité avec mission de service public dont le statut deviendra progressivement privé. Cette politique est à l’identique de celle dictée par l’organisation mondiale du commerce (OMC) qui, à travers l’accord général sur le commerce des services (AGCS), engage les gouvernements à négocier périodiquement la privatisation de tous les secteurs dits de service (éducation, santé...). Plus de services publics, mais des missions de services publics. Une des conséquences inéluctables de cette orientation est l’attribution des secteurs de santé les plus lucratifs au privé. La volonté de privatiser le système de santé public s’affiche de plus en plus clairement de la part du gouvernement, parallèlement au volet qui introduit de plus en plus d’assurances privées dans notre système de protection sociale. Le budget d’un hôpital ne se fera plus sur la base du bilan de l’année écoulée mais sur la base d’un état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD), avec d’éventuelles dotations qui viendraient le compléter. L’acceptation de cet EPRD sera soumise au directeur de l’agence régionale d’hospitalisation (ARH) qui avalisera ou pas. Directeur de l’ARH qui agréera ou non le budget et renverra sa copie au directeur d’établissement qui ne rentre pas dans les critères définis par la politique régionale de santé. Ce système va générer une course aux recettes, une concurrence à l’activité. Les crédits seront alloués selon les volumes de l’activité. Le risque sera la généralisation des activités lucratives et des patients rentables. Dans le cadre de la rationalisation des soins et activités, un hôpital sera recentré via un plateau technique d’offre de soins sur un pôle d’activité (hôpital, une ville...). Chaque service ne fonctionnera plus isolément mais regroupé, en liaison avec plusieurs unités fonctionnelles et

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complémentaires. Cela pourrait être salué comme un mieux pour le patient anonyme, perdu dans le dédale médico-administratif, attendant tel acte, telle suite pour son traitement. Un bien aussi sous l’aspect d’une mutualisation des moyens mis au service de l’usager avec efficacité, transparence et sans gabegie. Hélas, ce schéma idéal reste tributaire de la politique de santé menée par le directeur de l’ARH dans le cadre d’une libéralisation du service public. Cette rationalisation des soins ne masque même plus les restructurations qui l’accompagnent : suppressions de postes, restrictions budgétaires, fermetures de lits, disparitions d’hôpitaux périphériques, externalisations de pans du service public vers le privé ou installations de secteurs privés dans les lieux publics. Les manifestations d’élus locaux auprès des personnels et de la population pour défendre les hôpitaux de proximité sont sans nul doute en rapport avec la réorganisation des conseils d’administration. Le nouveau conseil d’administration voit arriver en force l’ARH qui nomme un collège de personnalités «économiques» en lien très fort avec le comité de direction. Le maire, jusque-là président du CA de l’établissement hospitalier de sa commune, pourrait ne plus avoir cette fonction, car trop souvent en proie à des contradictions internes, notamment dans les opérations de fusion, de recomposition. En clair, le maire est suspect d’être trop souvent débordé par les enjeux politiques locaux et se verra supplanté par «l’économique». Affirmer que l’économie doit avoir pour objectif la création de biens et de services utiles à chaque individu et non d’engendrer des profits pour quelques-uns. L’exemple des transports est lui aussi éloquent. Ce n’est pas «l’intérêt général» qui préside à la mise en place des infrastructures de transport, mais l’intérêt particulier de puissants groupes économiques et politiques. L’accroissement

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démesuré du transport routier, les autoroutes, voies rapides, les TGV… supposent un pas de plus, et très important, dans la consolidation de ce modèle économique et social, le capitalisme étendu à toute la planète, terriblement productiviste, gaspilleur, générateur d’inégalités et destructeur de la nature. Les luttes à mener doivent déboucher sur la nécessaire rupture avec le système développementaliste et dominateur actuel, une rupture qui permette de satisfaire les besoins humains en accord avec la nature et de faciliter l’autonomie aussi bien des personnes que des peuples. Dans le domaine de l’énergie, Le Réseau Sortir du nucléaire, comme les écologistes dans leur très grande majorité, prônent des économies. Mais il faut, pour que cette proposition ne soit pas une pure utopie électoraliste, préciser de quelle énergie il s’agit (ce qui est rarement fait), et surtout dans quels secteurs ces économies doivent être faites et en fonction de quels critères. Il doit s’agir bien sûr d’énergie électrique si on se réfère au nucléaire. Quant aux secteurs concernés, reportez-vous aux plaquettes éditées par les susdits et vous constaterez que les exemples donnés sont presque toujours des économies domestiques (alors que la consommation d’énergie électrique n’intervient que pour 30 % de la consommation totale !). Autrement dit, avancer le chiffre de 40 ou 50 % de réduction de la consommation électrique pour sortir du nucléaire est totalement mystificateur si on ne touche pas à la consommation industrielle. Or toucher au secteur industriel, c’est de facto remettre en cause toute l’organisation de l’économie à partir du moment où on veut l’amputer d’une partie importante de sa consommation électrique. Et, de toutes les manières, le coût du kWh est si bas pour les entreprises que la moindre modification dans la fabrication allant dans le sens d’une moindre consommation d’électricité (sans pour autant toucher au système

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lui-même) serait définitivement non rentable. Il faut aussi démasquer l’écocapitalisme, tant invoqué pour son prétendu respect de l’environnement : il n’est rien d’autre en effet qu’un moyen d’accentuer l’exploitation des ressources naturelles et de perpétuer un système de domination, aussi bien dans les relations humaines que dans les relations entre l’être humain et la nature.

POUR L’UTILITÉ SOCIALE DU TRAVAIL

Au fur et à mesure que la société marchande s’étend, des secteurs entiers de l’activité humaine, qui auparavant étaient décidés plus ou moins collectivement et assumés gratuitement, entrent dans le champ de l’Economie. Ces activités, qui structuraient peu ou prou des rapports de solidarité et d’échange, sont donc détruites et remplacées par des ersatz consommables et monnayables. En fait, il ne s’agit là de rien de plus que de la marche forcée du capitalisme pour s’étendre et trouver de nouveaux marchés, sous forme de territoires ou de secteurs de la vie sociale. Et toujours au prix de la destruction : des peuples, des cultures, des liens sociaux, des activités assumées collectivement, de la gratuité. Pour le capitalisme, c’est reculer que d’être stationnaire ! Telle est fondamentalement l’utilité de presque tout ce qui se produit actuellement sur la terre : pouvoir se vendre. L’unique objectif de la mise en œuvre des nouvelles technologies est la sacro sainte croissance et la nécessité pour le capital d’accroître la production en diminuant les coûts. L’utilité sociale, celle de la nécessité de se nourrir, de se vêtir, de se chauffer, de jouer et de jouir, de connaître et de découvrir, ne sert que de toile de fond aux activités mercantiles. Ces dernières s’appuient sur ces nécessités non pour les satisfaire, mais pour faire miroiter une hypothétique

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satisfaction qui recule au fur et à mesure que les capacités de production s’étendent. L’utilité sociale est au marketing ce que la libido est au psychanalyste : son fonds de commerce. C’est ainsi que se réalise une société de frustration qui s’articule autour de la pénurie matérielle dans certaines zones et certaines classes, et d’une abondance falsifiée et d’une vie sociale appauvrie dans d’autres zones. En fait, l’utilité sociale, l’utilité de ce qu’on produit est d’abord un problème politique qui devrait découler de choix de société. Autrement dit «On veut vivre comme ça et on s’en donne les moyens», et non le contraire : «On produit d’abord, on verra ensuite.» Le capitalisme a sacralisé la production au point que c’est le processus productif qui détermine nos rapports sociaux, nos envies, nos désirs. Et c’est précisément cela dont nous ne voulons plus ! Mais qui, «nous» ? Nous entrons là de plain-pied dans la définition de la ou des collectivités humaines. Pas cette collectivité mondiale et abstraite, celle du pseudo «village planétaire», qui n’existe qu’au travers des médias et du Capital; mais ces collectivités, en chair et en os, faites de rapports de proximité, de connaissance de leur environnement, celles qui permettent d’envisager la démocratie directe. Des collectivités entre lesquelles peuvent se construire des rapports de solidarité, d’égalité et d’échange et non de haine, de guerre et de concurrence, comme cela se produit lorsque la collectivité a été détruite ou affaiblie. Car le problème est bien que la primauté de l’Économie sur le Politique (au sens noble) déstructure perpétuellement les communautés humaines, y compris celles que le système a lui-même créées, atomise les individus, et laisse le champ de la communication, des interactions et des décisions aux différents pouvoirs.

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Parler d’utilité sociale renvoie donc au territoire, au communautaire, au collectif, au «maîtrisable», autant dire à tout ce dont ce système cherche à nous déposséder et qu’il s’agit, par les luttes, de se réapproprier.

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Alternative libertaireCONQUÊTE ET CONTRE-POUVOIRS :

ÊTRE RÉVOLUTIONNAIRES AUJOURD’HUI

Un texte d’orientation stratégique adopté au IIe congrès d’Alternative libertaire (France), en 1993. Alternative libertaire publie sur son site web, <www.alternativelibertaire.org>, la plupart de ses textes d’orientation ainsi que le contenu de son journal mensuel et de son matériel d’agitation.

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EN PRENANT LE parti des luttes sociales et du contre-pouvoir, nous affirmons clairement que des changements peuvent être imposés dans la société. Ce qui nous situe à la fois en contradiction avec la social-démocratie (pour laquelle les changements sont opérés par les partis de gauche depuis les institutions) et avec l’ultragauche («rien ne peut être obtenu dans le système capitaliste»).

RUPTURE AVEC L’ULTRAGAUCHISME

Le refus de prendre en compte les avancées possibles au sein du capitalisme n’est pas seulement l’apanage de quelques petites sectes. C’est une attitude qui a longtemps pesé sur les diverses variantes de l’extrême gauche ; les rangs de notre propre courant n’ont pas été épargnés. Il s’agit dans ce cas de démontrer que rien n’est possible, rien n’est gagnable dans ce monde et que par conséquent « il faut faire la révolution » - car avec elle tout deviendra réalisable. En bonne logique on dénonce donc les revendications, forcément « réformistes » puisqu’elles visent à améliorer les conditions de vie ou de travail. On dénonce les luttes locales ou sectorielles, parce que c’est « tous ensemble » qu’il faut se battre. Les tentatives pour travailler et vivre autrement dès aujourd’hui, toutes les expériences alternatives, associatives, culturelles, sont indistinctement condamnées à périr étouffées ou à se confondre tôt ou tard avec le capitalisme ambiant. Cet ultragauchisme colore encore les orientations d’organisations comme Lutte ouvrière ou l’OCL. Dans les faits, il conduit soit au double langage (on a un discours très « dur », et dans le quotidien, « on s’arrange ») soit à l’incapacité à peser dans les luttes et dans la société ; avec, à la clé, l’isolement et le découragement. Une orientation ultragauchiste coupe les militants

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politiques de leurs secteurs d’intervention, et y compris des éléments les plus combatifs. L’ultragauchisme détruit les possibilités d’aller vers une révolution parce qu’il suit un cheminement purement idéaliste. Nous affirmons au contraire que le capitalisme n’est pas une société homogène mais une société complexe, sous domination, mais parcourue de conflits incessants. Les luttes n’ont pas cessé d’imposer des compromis aux classes dirigeantes. La société dans laquelle nous vivons n’est pas seulement le produit de décisions unilatérales venues d’en haut. C’est aussi le fruit de la lutte des classes, des luttes contre les oppressions, des luttes d’idées, des chocs de pratiques sociales, culturelles, politique opposées. Ainsi dans l’entreprise, le droit du travail, la représentation syndicale, sont des concessions arrachées par les travailleurs ; de même, le droit à la contraception, à l’avortement, sont des acquis importants face à l’idéologie d’ordre moral. A chaque fois, ces acquis ont un caractère double : à l’origine conquête des dominés, il devient un instrument de régulation pour les classes dominantes. Mais le deuxième caractère ne doit ni faire oublier le premier, ni en minorer l’importance. Dans la production, et donc dans la société, qui est dominée par la sphère de la production, le pouvoir est évidemment détenu par les classes dirigeantes et nous le contestons radicalement. Mais il y a le contre-poids des travailleurs, leur résistance permanente, leur force de contestation. Dans l’économie, il n’y a pas seulement des secteurs capitalistes. Des pans entiers des activités humaines échappent, au moins en partie, à la seule loi du profit, même si celle-ci est largement dominante. Il ne s’agit pas ici de magnifier le secteur social ou les activités associatives. Mais ces secteurs échappent bien en partie aux règles dominantes. Et ils concernent des milliers d’hommes et de femmes (ceci dit, la défense de leur

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objet principal, et surtout la manière de gérer ce secteur, sont des enjeux de lutte permanents souvent repris par les organisations syndicales qui y sont implantées). Les institutions même, l’Etat, le droit, portent contradictoirement les traces de luttes démocratiques et des aspirations à la justice sociale. En d’autres termes la société est déjà travaillée par la contradiction entre pouvoirs et contre-pouvoirs, société et contre-société, règles dominantes et exigences démocratiques et sociales.

CONQUÊTE ET CONTRE-POUVOIR

C’est dans ce champ de bataille qu’est le capitalisme que nous proposons d’intervenir afin de faire grandir dans le système des pratiques sociales et politiques associant des pans entiers de la population contre le capitalisme et l’étatisme. Ce sera quand des millions de gens commenceront à conquérir consciemment des secteurs de pouvoir collectif ; quand ils imposeront à nouveau concrètement des changements, que la perspective d’une rupture globale, du passage d’une société à une autre, pourra redevenir crédible à leurs yeux. C’est ce que nous nommons une stratégie de transformation de la société fondée sur la reconquête et le contre-pouvoir :

• Multiplier les espaces de contre-pouvoir : Assemblées de citoyens, assemblées de travailleurs. • Mener les luttes autour de projets alternatifs, qui proposent des transformations profondes, opposées aux logiques du profit et du centralisme : contreplans élaborés avec les salariés, projets alternatifs dans l’Éducation, etc.• Dans les entreprises, poser la question même du pouvoir et de la finalité du travail. Imposer des droits nouveaux.

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• Favoriser le développement d’un vaste secteur alternatif autogéré. • Se battre pour une transformation radicale des services publics. • Combattre les institutions actuelles en proposant de profondes transformations démocratiques, fédéralistes, autogestionnaires.

La logique de contre-pouvoir implique qu’on ne quitte jamais une position de lutte intransigeante, que l’on agisse depuis des espaces d’auto-organisation, autonomes par rapport aux institutions en place. La logique de conquête conduit à se battre pour imposer des modifications concrètes et structurelles : dans le droit, dans l’organisation du travail, dans les institutions. Modifications qui seront autant de points d’appui pour que s’exercent en permanence et concrètement le contre-pouvoir des citoyens dans la cité, des travailleurs dans l’entreprise, des jeunes et des salariés dans l’Éducation.

CONTRE-POUVOIR ET RÉVOLUTION

Nous ne croyons pas que toute la société puisse être transformée graduellement depuis des positions de contre-pouvoir. Ce qui est en jeu c’est une dynamique, c’est la création d’une situation politico-sociale nouvelle où la société serait traversée par une profonde opposition : d’un côté des pratiques sociales permanentes (des luttes mais aussi des formes de solidarité, de vie, des pratiques démocratiques, des secteur alternatif, des institutions démocratiques, associant et fédérant de larges pans de la population). Et d’un autre côté, apparaissent comme un frein au développement de ces pratiques positives, comme un carcan à

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faire éclater, les structures capitalistes et étatiques. Les formes de contre-pouvoir se fédérant, on passerait alors à un contre-pouvoir général, avec sa propre logique, ses valeurs, son institution, ses secteurs de contre-société. Une situation de « double pouvoir » ouvrant la voie à une rupture révolutionnaire, rendue crédible et possible grâce aux réalisations autogestionnaires et aux acquis accumulés par les luttes.

LUTTES RÉVOLUTIONNAIRES, LUTTES RÉFORMISTES

Être révolutionnaire aujourd’hui ce n’est donc pas fuir les réalités mais les confronter tout de suite à l’utopie autogestionnaire, pour proposer immédiatement des transformations possibles, crédibles et en même temps subversives parce qu’inspirées par cette utopie. Et puis c’est se plonger dans les luttes sociales, et compter parmi leurs animateurs, pour les infléchir, en respectant leurs rythmes et avec le plus grand nombre, vers la radicalité et l’autogestion. Ceci passe par des transformations qui contribuent à avancer vers une révolution ultérieure. Quelle est alors la ligne de partage, la ligne de frontière entre lutte révolutionnaire d’aujourd’hui et réformisme, si la première appuie des réformes radicales ? Pour les réformistes, le combat politique vise à des réformes mises en place dans le cadre de la délégation de pouvoir, par l’action gestionnaire des partis placés à la tête des institutions en place. C’est ce qu’on pourrait nommer le «réformisme politique». Pour les révolutionnaires, le combat est politico-social et il vise à des transformations et à des réformes imposées par les citoyens, les travailleurs et les jeunes eux-mêmes, et dans tous

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les cas discutées démocratiquement, élaborées avec eux, décidées démocratiquement. Pour les réformistes, les réformes se situent dans une stratégie d’amélioration graduelle du capitalisme, sans remise en cause radicale de celui-ci. C’est le réformisme, qu’il soit politique ou syndical, ou encore associatif. Pour les révolutionnaires, la dynamique de lutte pour des transformations et des réformes radicales vise à mettre en place dans la société des pratiques contraires au capitalisme, en vue de préparer une rupture révolutionnaire ultérieure. Agir tout de suite pour transformer la société est la meilleure garantie pour que renaisse un projet révolutionnaire.

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NEFACL’ANARCHIE DE A À Z: « G » COMME GRATUITÉ

Texte publié dans le journal Cause commune par l’ancêtre de l’UCL, la NEFAC, à l’été 2005 dans la série «L’Anarchie de A à Z». La série a fait l’objet d’une brochure que l’on peut consulter sur le site <www.causecommune.net>.

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DANS UN SYSTÈME capitaliste qui ne reconnaît et ne valorise que les rapports marchands, l’idée même de gratuité est interdite. La plupart du temps, on doit payer pour obtenir un bien ou un service, même ceux de première nécessité. Pensons seulement à ce que nous mangeons: à défaut d’avoir de l’argent, nous sommes réduitEs à quémander dans les soupes populaires ou les banques alimentaires pour pouvoir survivre. Hormis certains services municipaux, il n’y a guère que les soins de santé et l’éducation primaire et secondaire qui soient encore «gratuits» au Québec. Et encore, les médicaments et les soins dentaires coûtent une beurrée, sans parler du fait qu’il faut dépenser chaque année un peu plus pour envoyer nos marmots à l’école ou à la garderie. En revendiquant la gratuité des programmes sociaux (éducation, santé, transport en commun, culture), les anarchistes vont à contre-courant des dogmes néolibéraux. Mais au delà de ces réformes, nous pensons également que la gratuité doit s’étendre à tout ce qui est fondamental pour assurer notre développement et celui de la société, notamment le logement et la nourriture, ce qui ne va pas sans une remise en question du système capitaliste. De nos jours, on peine à imaginer comment était la vie aux temps de nos parents ou de nos grands-parents. À défaut de pouvoir compter sur un système d’éducation public, les pauvres étaient contraintEs à s’agenouiller devant le curé du village pour avoir une bourse afin de poursuivre leurs études. On hypothéquait sa santé, faute d’argent pour recevoir les soins appropriés, même les plus élémentaires. La lutte pour la survie occupait toute la place, du berceau jusqu’à notre lit de mort. À force de lutter pour des conditions de vie décentes, le peuple a fini par imposer à l’État la prise en charge des soins de santé et de l’éducation afin d’en permettre l’accès universel, c’est-à-dire à toutes et tous, peu

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importe le revenu. Pierre angulaire de l’universalité, la gratuité permet de remédier en partie aux inégalités sociales générées par le fonctionnement du système capitaliste. Ce n’est pas pour rien que des générations entières ont trimé dur pour l’obtenir !

UNIVERSALITÉ

Le principe d’universalité est chaque jour remis en question. Chaque nouvelle mesure visant à introduire la facturation d’un coût dans utilisation de services sociaux a pour conséquence d’accroître le fossé entre les conditions de vie de la classe dominante et celles des exploitéEs. Ce conflit incessant entre les droits de la majorité et les privilèges d’une minorité de possédants est au cœur de la lutte des classes aujourd’hui. Les contre-réformes néolibérales des 20 dernières années se sont attaquées aux avancées «démocratiques» réalisées de peine et de misère. Par une réforme de la fiscalité permettant la maximisation des profits pour les grandes entreprises, l’État a réussi le tour de force de faire reposer la majeure partie des coûts du système sur les épaules de la classe ouvrière. Cette manière de socialiser les déficits et de privatiser les profits a largement contribué à éliminer ce qui était gratuit. Avec un certain cynisme, ces attaques ont été réalisées au nom même de la «survie des programmes sociaux» ! En mettant l’emphase sur le concept «d’utilisateur-payeur», les capitalistes sont parvenus à forger l’idée que chaque citoyen et chaque citoyenne est avant tout un consommateur ou une consommatrice. Comme chaque bien produit par le système capitaliste a un prix, pourquoi en serait-il autrement pour les services «fournis» par l’État à la population ? Il n’y a plus qu’un pas à franchir pour privatiser les services publics, tout particulièrement les plus rentables. C’est précisemment ce qui se produit sous nos yeux.

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Chaque lutte pour obtenir la reconnaissance et le respect de nos droits est un pas dans la bonne direction. Pensons seulement à la lutte exemplaire menée par les étudiantEs l’hiver dernier. Bien que l’emphase ait été mise sur la coupure de 103 millions $ dans le régime de prêts et bourses, de nombreuses assemblées générales ont adopté la revendication de gratuité scolaire, à notre plus grande joie d’ailleurs ! Pourtant, il ne suffit pas d’avoir accès à des soins de santé universels ou à une éducation post-secondaire gratuite pour que notre société devienne égalitaire, du jour au lendemain. Chaque jour, nous devons continuer à bosser comme des fous pour assurer notre bien-être et celui de nos proches. Tant que nous serons des marchandises, tant qu’il faudra payer pour avoir le ventre plein et un toit au dessus de nos têtes, nous vivrons dans une société inégalitaire. C’est pourquoi nous sommes convaincuEs qu’il faut détruire ce système fondé sur la propriété privée et le profit pour construire un monde où le travail, les biens et les services n’auront pas de prix. En d’autres mot, une société communiste libertaire. En plus d’assurer la gratuité et la qualité des services publics, une révolution communiste libertaire devra s’attaquer au problème de la propriété privée en procédant à la socialisation de tout l’appareil de production et de distribution des biens et des services qui aujourd’hui est aux mains des capitalistes. Nous pourrons instaurer le principe de gratuité sur une large échelle lorsque nous aurons aboli toute valeur monétaire à ce qui est produit. En la remplaçant par la valeur d’usage, le travail humain pourra alors se concentrer sur ce qui est véritablement essentiel à la société. En contrepartie, les êtres humains pourront compter sur l’ensemble de ce qui est produit pour satisfaire leurs besoins, et non sur ce qu’ils peuvent «se payer». S’il faut exproprier les proprios pour se loger convenablement, et bien soit ! C’est le

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«prix» à payer pour que la justice, la liberté et l’égalité reprennent leur sens premier. De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins : tel devrait être le fondement économique des sociétés humaines. Tel est le vrai sens du concept de «gratuité».

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Marianne EnckellLA QUESTION DES SERVICES PUBLICS DEVANT

L’INTERNATIONALE : FÉDÉRALISME ET AUTONOMIE

Une présentation du premier débat sur les services publics ayant traversé le mouvement libertaire, à l’époque de l’Internationale anti-autoritaire (donc tout de suite après la grande division Marx / Bakounine). Ce texte est extrait d’un dossier publié en 2005 par la revue Réfraction intitulé «Publics, privés, communs, quels services ?» que l’on peut consulter en ligne dans les archives de la revue à <refractions.plusloin.org>.

Par ailleurs, on peut consulter la transcription complète du débat original dans le premier volume de l’anthologie de l’anarchisme «Ni Dieu, ni Maître» rassemblée par Daniel Guérin en 1970 et réédité par La Découverte en 1999.

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«PAR QUI ET comment seront faits les services publics dans la nouvelle organisation sociale » : voilà la première question à l’ordre du jour du congrès de l’Internationale fédéraliste tenu à Bruxelles en septembre 18741. Il s’agit d’un bien petit congrès, puisqu’il ne réunit que seize délégués dont une moitié de Belges. Seuls ont préparé sérieusement la discussion les Belges, en rédigeant un rapport long et fouillé, et les Suisses, en donnant des mandats clairs à leur représentant. La question posée n’est pas rhétorique. Il y a trois ans, le peuple de Paris s’est soulevé pour en finir une fois pour toutes avec la guerre et la dictature ; il a pris son destin en main, il s’est organisé par quartiers et par métiers pour inventer un monde nouveau.

« C’était donc toute une politique nouvelle que la Commune avait à inaugurer, écrit Gustave Lefrançais2, [une] révolution communaliste, restituant aux individus et aux groupes communaux le droit de régler directement leurs intérêts politiques et sociaux, droit jusque-là usurpé par l’action gouvernementale. » La Révolution du 18 mars « n’apportait pas avec elle de simples modifications dans le rouage administratif et politique du pays. Elle n’avait pas seulement pour but de décentraliser le pouvoir. Sous peine de mentir à ses premières affirmations, elle avait pour mission de faire disparaître le Pouvoir lui-même ; de restituer à chaque membre du corps social sa souveraineté effective,

La plupart des citations sont tirées du compte rendu de ce congrès, publié dans La Première Internationale, recueil de documents, sous la direction de Jacques Freymond, tome IV, p. 251-400 ; Genève, 1971. Gustave Lefrançais, Etudes sur le mouvement communaliste à Paris, en 1871 ; Neuchâtel, 1871.

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en substituant le droit d’initiative directe des intéressés, ou gouvernés, à l’action délétère, corruptrice et désormais impuissante du gouvernement, qu’elle devait réduire au rôle de simple agence administrative ».

Cette administration d’une ville de deux millions d’habitants va donc s’occuper de tâches communes, dans une situation particulière due à la guerre et à la pénurie extrême qui règne dans Paris. Quinze jours après le soulèvement, les délégués des arrondissements, qui forment « la Commune » et son Comité central, se distribuent les tâches en formant dix commissions : exécutive, militaire, finances, justice, sûreté générale, travail et échange, subsistances, relations extérieures, services publics (soit, ici, les travaux publics), enseignement. Ce n’est pas de gaîté de cœur que les délégués assument ces tâches ; ce n’est guère non plus dans l’harmonie : il s’agit là d’une nécessaire réorganisation

« au milieu d’une situation de périls de toute nature et [...] sous l’empire des préoccupations trop gouvernementales dont une grande partie des membres de la Commune étaient obsédés. [...] On oublia trop que le mouvement commu- naliste devait avoir pour objectif incessant de remettre aux citoyens eux-mêmes, au moyen de leurs assemblées de quartiers, le soin de régler leurs intérêts collectifs et locaux, et que l’administration centrale ne devait être que la coordonnatrice et l’exécutive des décisions prises dans les réunions locales, au lieu de rester, comme devant, l’unique juge et directeur des intérêts de tous. »

L’ancien instituteur Lefrançais, qui fut notamment membre de la Commission exécutive puis se réfugia en Suisse après la sanglante défaite, décrit son expérience dans les mois qui

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suivent, tout comme le font d’autres « communards », Prosper Olivier Lissagaray, Elie Reclus, Benoît Malon par exemple3.

L’ÉTAT OU LA COMMUNE

Quant l’Association internationale des travailleurs se divise en deux branches, suite aux exclusions prononcées par Karl Marx et les siens en 1872, Lefrançais rejoint tout naturellement les rangs de la Fédération jurassienne. Il ne se déclarera jamais anarchiste : dans la branche dite fédéraliste ne règne pas une opinion et une seule. En témoignent les débats à Bruxelles sur les services publics, ouverts par un discours interminable de César De Paepe.

« Ce qui fait que telle chose plutôt que telle autre doit être considérée comme service public, écrit De Paepe, c’est – en plus du caractère d’utilité générale – un autre caractère encore, mais qui varie selon les cas particuliers. Ainsi, telle chose d’utilité générale est ou doit être constituée en service public, parce qu’elle n’existerait pas si on l’attendait de l’initiative privée, ou parce qu’elle serait détournée de sa vraie destination ; telle autre chose, parce qu’elle constitue un monopole qu’il serait dangereux d’abandonner à des particuliers ; telle autre, parce qu’elle exige un vaste travail d’ensemble nécessitant la combinaison d’un grand nombre de travailleurs et, par suite, une direction unique et suprême, qui ne peut être remise qu’aux mains de l’administration publique

Prosper Olivier Lissagaray, Les 8 journées de mai, Bruxelles 1871. Elie Reclus, La Commune de Paris au jour le jour, Paris 1908. Benoît Malon, La troisième défaite du prolétariat français, Neuchâtel 1871. C’est surtout chez Lissagaray que l’on trouve des exemples et témoignages de réinvention des services publics, notamment les postes (voir son Histoire de la Commune de 1871, Paris 1896).

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[...]. Dans le service public, le public tout entier intervient pour l’exécution, soit directement, soit indirectement par des mandataires, des administrateurs, ou par la concession à des compagnies. Nous pouvons dire que le service public, dans sa forme typique, est doublement public :1° en ce que c’est par le concours direct ou indirect de tous qu’il est exécuté ; 2° en ce qu’il a pour but direct ou indirect l’utilité de tous. Le véritable service public est donc à la fois public par son sujet et par son objet. »

Et il termine son rapport : « À la conception jacobine de l’État omnipotent et de la commune subalternisée, nous opposons la conception de la commune émancipée, nommant elle-même tous ses administrateurs sans exception ; faisant elle-même la législation, la justice et la police. À la conception libérale de l’État-gendarme, nous opposons l’État désarmé mais chargé d’instruire la jeunesse et de centraliser les travaux d’ensemble. [...] Décentralisation politique et centralisation économique, telle est, nous semble-t-il, la situation à laquelle aboutit cette conception nouvelle du double rôle de la commune et de l’État, conception basée sur l’examen des servies publics qui sont rationnellement dans les attributions de chacun de ces organes de la vie collective. »

Le délégué de la Fédération jurassienne, Adhémar Schwitzguébel, estime que le rapport aboutit

« à la reconstitution de l’État. [...] Quelle différence y aura-t-il entre cet ordre futur et l’ordre actuel ? Ce seront les ouvriers qui seront au pouvoir et non plus les bourgeois. Nous aurons fait ce que la bourgeoisie a fait vis-à-vis de la noblesse. Dans la Fédération jurassienne, nous [...] voulons la dissolution de l’État et la réorganisation absolument libre des travailleurs

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entre eux, des groupes entre eux, des communes entre elles ; et les rapports déterminés non pas par la loi imposée à tous, mais par des contrats librement débattus et consentis et n’engageant que les contractants. »

De Paepe réplique : « On a cru qu’à la suite [...] de la consécration du principe d’autonomie et de fédération dans l’organisation de l’Association, l’idée de l’État ouvrier avait vécu. Le débat entre l’État ouvrier et l’anarchie reste au contraire ouvert.» La question des services publics « embrasse toute la question sociale. [...] Il est plus pratique que les fédérations ouvrières, au lieu de se lancer dans l’inconnu et l’imprévu, s’emparent de la direction des États et les transforment en États socialistes ouvriers. »

Schwitzguébel va lui répondre en détail un an plus tard, dans son rapport au congrès jurassien de 18754 :

« La question de l’organisation des services publics dans la société future [...] a de nouveau attiré l’attention de tous les socialistes sur les problèmes d’une nouvelle organisation sociale. [...] Il est manifeste que deux grands courants d’idées, en ce qui concerne la réorganisation sociale, vont se partager le monde socialiste, l’un tenant à l’État ouvrier, l’autre à la Fédération des communes. Quelques-uns pensent qu’il n’y a, au fond de ce grand débat, qu’une question d’expressions différentes de la même idée. Mais les discussions relatives à la question des services publics ne peuvent plus laisser de doute à cet égard : il s’agit bien de deux choses différentes. C’est ce que nous nous efforcerons de démontrer.[...] Quelle est l’idée fondamentale des États modernes, et

Reproduit dans Quelques écrits, Paris, Stock 1908.4

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par quelles nécessités les partisans de l’État justifient-ils son existence ? C’est que, dans toutes les relations entre les hommes, il y a des rapports purement privés, mais qu’il en existe d’essentiels qui concernent tout le monde ; de là la nécessité d’un ordre public, au moyen duquel on assure le jeu régulier des rapports publics et généraux entre les hommes. Qu’on médite bien le mémoire bruxellois, et on trouvera que la conception de l’État ouvrier qui y domine est absolument, quant au fond, semblable à celle de l’État actuel. [...] L’État réorganisé, dirigé, administré par les classes ouvrières, aura perdu le caractère d’oppression, d’exploitation qu’il a actuellement entre les mains de la bourgeoisie ; au lieu d’une organisation politique, judiciaire, policière, militaire qu’il est maintenant, il sera une agence économique, le régulateur des services publics organisés suivant les nécessités sociales et l’application des sciences. Mais rendons-nous compte du fonctionnement d’un État pareil. L’action politique légale ou la Révolution sociale ont mis entre les mains de la classe ouvrière la direction de la Commune et de l’État. Ce que veulent les classes ouvrières – l’émancipation du travail de toute domination, de toute exploitation du capital – elles peuvent le réaliser. [...] Dans tout ce qui concerne l’organisation sociale, le prolétariat doit d’abord distinguer ce qui est de l’initiative privée et ce qui appartient à l’initiative publique, ce qui est service privé et ce qui est service public, ce qui est du domaine de la Commune, ce qui relève de l’État. Exactement comme cela se passe aujourd’hui. Ce travail [...], le prolétariat, pris en corps, ne peut l’opérer directement. Il faut que son opinion, sa volonté générale se décomposent, s’analysent, et pour cela il faut les personnifier dans des représentants qui iront, à la tribune parlementaire, défendre

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l’opinion de leurs commettants. Toujours comme cela se passe aujourd’hui.Comment ces parlements d’ouvriers seront-ils constitués ? Il n’y a pas d’autre moyen que le fameux suffrage universel. Il y aura donc encore la minorité à qui la majorité fera la loi, ou vice-versa ; car l’État étant reconnu nécessaire pour sauvegarder les intérêts publics, la loi de l’État sera obligatoire pour tous, et ceux qui chercheront à s’y soustraire seront traités comme des criminels. Cet État ouvrier, qui devait être organisé pour la satisfaction des intérêts économiques de la société, le voilà lancé à pleines voiles dans la législation, la juridiction, la police, l’armée, l’école et l’église officielles. [...] Dans l’État ouvrier, auquel on assigne, comme caractère essentiel, la fonction de régulateur économique, toute l’organisation de la propriété, de la production, de l’échange, de la circulation sera, entre les mains de la majorité ou de la minorité qui aura la direction des affaires, un moyen de domination bien autrement puissant que les fonctions politiques, juridiques, policières, militaires exercées actuellement par les bourgeois au pouvoir. Plus que les bourgeois, les ouvriers, maîtres de l’État, se montreront impitoyables contre toute atteinte portée à leur État, parce qu’ils croiront avoir réalisé le plus parfait idéal. [...] Pour résoudre rationnellement le problème de la réorganisation sociale, il ne fallait pas demander « par qui et comment seront faits les services publics dans la nouvelle organisation sociale » mais se demander quelles seraient les bases de la société nouvelle. Une fois la question ainsi posée, nous n’avions qu’à ouvrir l’histoire de l’Association internationale des travailleurs, et nous y trouvions la réponse.En effet, deux principes, d’une conséquence historique immense, se sont dégagés des débats et des luttes intestines

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qui ont agité notre Association : le principe de la propriété collective, comme base économique de la nouvelle organisation sociale, et le principe d’autonomie et de fédération comme base de groupement des individus et des collectivités humaines. [...]Les nécessités révolutionnaires, qui ont poussé les groupes de travailleurs à une action identique, leur dictent également des pactes de fédération, au moyen desquels ils s’assurent mutuellement les conquêtes de la Révolution ; ces pactes, nécessairement, seront communaux, régionaux, internationaux, et contiendront les garanties suffisantes pour qu’aucun groupe ne puisse accaparer à lui seul les bénéfices de la révolution. [...] S’étant groupés librement pour l’action révolutionnaire, les travailleurs continueront ce libre groupement pour l’organisation de la production, de l’échange, de la circulation, de l’instruction et éducation, de l’hygiène, de la sécurité. [...]Qu’on remarque bien la différence essentielle entre l’État ouvrier et la Fédération des communes. L’État détermine ce qui est service public et l’organisation de ce service public : voilà l’activité humaine réglementée. Dans la Fédération des communes, aujourd’hui, le cordonnier travaille chez lui dans sa chambre ; demain, par l’application d’une découverte quelconque, la production des chaussures peut être centuplée et simplifiée à la fois : les cordonniers alors s’unissent, se fédèrent, établissent leurs ateliers, leurs manufactures, et entrent ainsi dans l’activité générale. Il en est de même de toutes les branches de l’activité humaine. [...] Que sont devenus, dans cette organisation, les services publics de l’État actuel, sa législation, sa juridiction, sa police, son armée, son école et son église officielles ? Le libre contrat

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a remplacé la loi ; s’il y a des conflits, ils sont jugés par des tribunaux d’arbitres dans les groupes où éclatent ces conflits; et quant aux mesures de répression, elles n’ont plus leur raison d’être dans une société fondée sur la libre association, l’organisation et l’action de tel groupe ne pouvant en aucune manière me nuire si l’organisation et l’action du groupe auquel j’appartiens sont également respectées. [...] On a reproché à cette Fédération des communes d’être un obstacle à la réalisation d’une entente générale, d’une union complète des travailleurs, et de ne pas présenter, au point de vue de l’action révolutionnaire, la même puissance d’action qu’un État. Mais comment se fait-il que les groupes travailleurs, librement fédérés dans l’Internationale, pratiquent la solidarité, s’entendent, se mettent d’accord? C’est que la même situation économique les pousse à la pratique de la solidarité. Que sera-ce, alors que leur action sera débarrassée de toutes les entraves que lui oppose l’ordre actuel ? Comment se fait-il que l’Internationale augmente en puissance d’action tant qu’elle est une fédération, tandis qu’elle se déchire sitôt qu’un Conseil général veut en faire un État ? C’est que les travailleurs ont la haine de l’autorité, qu’ils veulent être libres, et qu’ils ne seront puissants que par la pratique de cette large et complète liberté.Oui, notre Association a été la démonstration de la fécondité du principe d’autonomie et de libre fédération ; et c’est par l’application de ce principe que l’humanité pourra marcher vers de nouvelles conquêtes pour assurer le bien-être moral et matériel de tous. »

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DES IDÉES POUR L’AVENIR

Ce sera James Guillaume qui, en 1876, se chargera de mettre en forme les Idées sur l’organisation sociale5. Il y expose dans une langue claire, et d’une manière quelque peu angélique, quelle forme pourraient prendre les organes de coordination de la société après la révolution. La révolution « ne rédigera pas de décrets, elle ne réclamera pas les services de la police et de l’administration gouvernementale. Ce n’est pas avec des décrets, avec des paroles écrites sur du papier, qu’elle veut émanciper le peuple, mais avec des actes ». La « fédération locale ou commune est constituée dans le but de pourvoir à certains services qui ne sont pas du domaine exclusif de telle ou telle corporation, mais qui les intéressent toutes, et que pour cette raison on appelle services publics » : travaux publics, échange, alimentation, statistique, hygiène, sécurité, éducation, assistance.

« Les Communes se fédèrent entre elles dans le but de s’entraider pour l’institution de certains services publics d’un caractère général, et par conséquent le pacte fédéral aura à déterminer le nombre et la nature de ces services publics, et à fixer les moyens d’exécution » : comptoirs d’échange, statistique, chemins de fer et PTT, marine, ... « Chacun de ces services exigera un personnel spécial, mais ce personnel ne pourra pas former, comme aujourd’hui, une bureaucratie: il se recrutera librement parmi les travailleurs... [et ceux qui les

Publiées en 1876, elles ont été souvent rééditées et largement traduites. Une version récente dans la collection Volonté anarchiste, Ed. du Groupe Fresnes-Antony de la FA, 1979.

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dirigeront] ne seront point des magistrats, des membres d’un gouvernement ou d’une autorité quelconque, mais seront choisis de la même façon et placés exactement sur la même ligne que les gérants ou les administrateurs de n’importe quelle association de producteurs. »« Voilà, dans leur extrême simplicité, les seuls rouages administratifs qu’exigera le fonctionnement régulier d’une vaste Fédération de Communes. Point de gouvernement, de président de la république, de ministres, de préfets, de juges, de magistrats et de fonctionnaires grands et petits. Rien que le mécanisme harmonieux et facile d’une association de producteurs, opérant toujours par les mêmes moyens et en vertu des mêmes principes, qu’il s’agisse de l’organisation d’un atelier, d’une commune, ou d’une Fédération embrassant des milliers de communes et des millions de travailleurs. »

MUTUELLES ET COOPÉRATIVES

James Guillaume a clairement émis là des idées, non pas des normes ni un programme ; on sait que le mouvement anarchiste est traversé depuis toujours par des débats, souvent fraternels, parfois sanglants, sur la nécessité d’un programme politique ou le libre cours laissé à la libre coopération. Le débat porte aussi sur les pratiques utiles ou souhaitables dans la société actuelle : vaut-il la peine de mettre en place des coopératives, des sociétés mutuelles, des communautés de vie, ou cela ne risque- t-il pas d’éloigner à jamais la perspective révolutionnaire ? « La coopération est la forme sociale qu’adoptera le travail après l’émancipation des travailleurs », constataient déjà les Internationaux en 1870, mais la coopération n’est pas «le moyen d’opérer l’affranchissement complet du prolétariat, qui

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53la question des seRvices publics devant l’inteRnationale

ne peut avoir lieu que par la révolution sociale internationale. »6 Termes pesants, parce que c’est la formulation de résolutions de congrès. Mais ils n’excluaient toutefois pas l’exercice quotidien de la coopérative (comme l’achat en commun de produits alimentaires), de l’entraide et de la mutualité (avec les caisses de secours en cas de grève ou de maladie). Pas plus que les coopératives, les mutuelles ne sont en effet des moyens de changer le monde7, ni de préfigurer les services publics de l’avenir. Le message est simple : les institutions du nouveau monde ne se créent pas au sein de l’ancien. Mais des pratiques et des institutions coopératives et mutuelles peuvent devenir autant de moyens de propagande, de formation et d’agitation : on le verra bientôt avec les Bourses du Travail en France ou d’autres organisations ouvrières comme la CNT en Espagne ou la FORA en Argentine.

M. Enckell, La Fédération jurassienne, Canevas 1991, p. 52. Le débat avec les proudhoniens traverse aussi l’AIT « les fédéralistes ne peuvent guère être d’accord avec le Proudhon qui parle du « mutuellisme [qui] prétend faire, à l’aide de certaines institutions, un principe d’État, une loi d’État, j’irai jusqu’à dire une sorte de religion d’État, d’une pratique aussi facile aux citoyens qu’elle leur est avantageuse ; qui n’exige ni police, ni répression... » (Du principe fédératif, cité par Aurélien Dauguet, La Mutualité, Volonté anarchiste 22, 1983).

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Guillaume GoutteUNE MÉDECINE POUR TOUS :

SOCIALISATION DES SERVICES DE SANTÉ PAR LES ANARCHISTES ESPAGNOLS (1936-1937)

Texte de Guillaume Goutte publié en novembre 2010 dans Le monde libertaire, l’hebdomadaire de la Fédération anarchiste (France-Belgique). On peut consulter une partie des archives de ce journal sur le site <www.monde-libertaire.fr>.

L’auteur affirme s’être largement inspiré de l’ouvrage de Gaston Leval « Espagne libertaire (36-39). L’oeuvre constructive de la révolution espagnole » (réédité en 2002 par les éditions TOPS-H.Trinquier).

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À L’HEURE OÙ le gouvernement actuel tente de restreindre de plus en plus l’accès des classes populaires à la médecine, la mise en place révolutionnaire, en 1936, par les anarchistes de la CNT, d’un système de santé socialisé, performant, accessible à tous et respectueux des patients comme des praticiens est plus que jamais au goût du jour pour montrer, là encore, qu’une autre société est possible, en dehors même du cadre des utopies et des doux rêves romantiques. L’œuvre constructive de la révolution espagnole de 1936 est le thème le plus intéressant à aborder. Le plus intéressant, mais aussi le plus fantasmé. Or, si les collectivisations agricoles et les socialisations des industries et des services furent globalement d’encourageantes réussites, il ne faut pas pour autant perdre de vue le contexte politique dans lequel elles s’inscrivent, sans quoi l’on se risquerait à des jugements hâtifs, à l’emporte-pièce. La révolution espagnole se réalise dans un climat politique mixte où l’action des syndicats et des organisations révolutionnaires côtoie l’activité d’un gouvernement antifasciste dans lequel l’on retrouve différentes obédiences politiques (socialistes, communistes, poumistes et anarchistes collaborationnistes). On se retrouve ainsi dans une situation où l’État et le commerce privé continuent à exister à côté des collectivisations agraires et des socialisations industrielles. De fait, l’on ne doit pas s’étonner que, même dans les industries socialisées, des salaires soient versés et des impôts payés et que, parfois, les services ne soient pas pleinement gratuits. La révolution de 1936 n’a jamais été une révolution accomplie. Les staliniens et les franquistes ne lui en ont pas laissé le temps. Dès lors, l’on ne doit pas l’observer et la juger à travers les lunettes de l’idéal anarchiste accompli théorisé par les penseurs du siècle précédent. On peut seulement y voir une révolution libertaire en cours, qui tente de s’affirmer dans une situation complexe où

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les impératifs de la guerre posent, entre autres, la question de la cohabitation politique antifasciste.

LES PROFESSIONS DE LA SANTÉ ET LE MOUVEMENT ANARCHISTE AVANT LA GUERRE

Bien qu’essentiellement populaire et ouvrier, l’anarchisme espagnol a aussi touché d’autres milieux socioprofessionnels, notamment celui de la santé. Certains médecins espagnols n’ont pas attendu 1936 pour se tourner vers l’anarchisme et, lorsqu’éclate la guerre civile, certains d’entre eux sont déjà bien engagés dans le mouvement anarchiste et anarcho-syndicaliste (ils restent tout de même minoritaires…). C’est le cas notamment d’Isaac Puente (auteur de la fameuse brochure Le Communisme libertaire qui joua un rôle important dans la diffusion des idées anarcho-communistes en Espagne), d’Amparo Poch y Gascon (féministe à l’origine de la revue et de l’organisation anarchistes Mujeres libres), Félix Marti Ibanez (sexologue, psychanalyste et écrivain, qui contribue abondamment, à Valence, à la revue libertaire Estudios Revista Ecléctica de 1928 à 1937) et de Pedro Vallina (rédacteur de la revue sévillane Paginas libres). Déjà avant 1936, les médecins anarchistes s’organisent pour offrir aux classes populaires un véritable accès à la médecine. C’est le cas, notamment, des médecins libertaires de Valence qui fondent, au début des années trente, la Mutua Levantina, une société de secours mutuel composée principalement de personnels soignants qui mettent à la disposition du peuple leurs connaissances et leur pratique de la médecine. Des associations de médecins similaires apparaissent un peu partout en Espagne. à côté de ces initiatives, les médecins organisent aussi des conférences dans les centres ouvriers (sorte de bourses du travail espagnoles) pour

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éduquer la population sur les problèmes sanitaires : comment les prévenir, comment les soigner en cas d’urgence, comment éviter leur propagation, etc. Toutefois, bien qu’activement militantes, les professions médicales et sanitaires ne disposent pas, avant 1936, de syndicats particuliers. Lorsqu’elles sont syndiquées, on les retrouve en général avec d’autres professions libérales (journalistes, avocats, enseignants) dans le Syndicat des professions libérales. Ainsi, lorsque la guerre civile explose en 1936, les médecins et autres professionnels de la santé ont déjà expérimenté des systèmes de santé plus ou moins alternatifs sur lesquels ils se baseront en partie pour socialiser, la révolution venue, leur profession.

LA SOCIALISATION DES SERVICES SANITAIRES ET MÉDICAUX PAR LES SYNDICATS DE LA CNT

Avec le déclenchement de la guerre civile en juillet 1936, les problèmes sanitaires sont de plus en plus importants. De nombreux services sanitaires, jusque-là gérés par des religieux, mettent la clé sous la porte. La guerre, quant à elle, fournit son lot de morts, de blessés et désorganise le système de santé et d’hygiène. L’urgence de cette situation stimule alors une réorganisation des services sanitaires et médicaux, réorganisation réalisée sur des bases libertaires, principalement à travers l’œuvre révolutionnaire de la CNT. Le premier acte de cette réorganisation est la création, en septembre 1936, du Syndicat des services sanitaires, qui se fédère aux autres syndicats de la centrale anarcho-syndicaliste CNT. À en croire Gaston Leval, en février 1937, cette nouvelle organisation syndique 1 020 médecins, 3 206 infirmiers, 330 sages-femmes,

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633 dentistes, 71 spécialistes en diathermie (bistouris électriques), 153 herboristes, 203 médecins stagiaires, 180 pharmaciens, 633 aides-pharmaciens, 335 aides-soignants et 220 vétérinaires. En son sein, chaque section de spécialité professionnelle est autonome, sans pour autant être indépendante afin de ne pas entraver l’indispensable coordination entre les services. En Catalogne, le Syndicat des services sanitaires divise la région en neuf secteurs : Barcelone, Tarragone, Lérida, Gérone, Tortosa, Reus, Borgueda, Ripoll et la zone pyrénéenne. Dans chacun de ces secteurs est créé un centre d’assistance médicale. À côté de ces neuf grands centres, 26 autres sont créés selon la densité humaine des secteurs pour répondre au besoin le plus efficacement possible. Des services d’ambulances sont également mis en place pour amener à Barcelone les personnes dont l’état de santé critique nécessite des moyens techniques dont dispose seulement la capitale catalane. Conformément aux principes du fédéralisme libertaire, chacun des neuf secteurs est pleinement autonome quant à son mode d’organisation, mais reste indispensablement lié aux autres afin, là encore, de pouvoir coordonner efficacement les activités (il était évidemment nécessaire de savoir où envoyer tel malade ayant besoin de tels soins spécifiques que l’on trouvait seulement dans tel centre de tel secteur). Toutes les semaines, le Comité central de Barcelone (qui réunit les délégués des neuf secteurs) tient une réunion pour organiser et gérer les activités sanitaires. Il est régulièrement renouvelé lors des assemblées plénières. L’activité menée par les centres du syndicat est directe et très vite prolifique. En moins d’un an, six nouveaux hôpitaux sont créés à Barcelone : l’hôpital prolétarien CNT-FAI (ancien Hospital de Sant Joan de Déu), l’hôpital du peuple, l’hôpital Pompée, deux hôpitaux militaires pour les blessés de guerre, et le pavillon de

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Roumanie. En juin 1937, la CNT gère au total 18 hôpitaux, 17 sanatoriums, 22 cliniques, 6 établissements psychiatriques, 3 asiles et une maternité à Barcelone. Dans le reste de la Catalogne, une polyclinique est créée dans chaque localité importante à laquelle l’on rattache les plus petites. Plusieurs sanatoriums apparaissent également en pleine campagne et dans les montagnes. Les médecins sont équitablement répartis – dans la mesure du possible – entre villes et campagnes. Les villes disposant d’un surplus de médecins n’hésitent pas à les envoyer dans les petites localités quand celles-ci en font la demande ou en expriment le besoin urgent. Tous ces établissements, ainsi que leurs activités, étaient financés par la CNT, mais aussi par le gouvernement catalan, les municipalités du gouvernement national et les autres syndicats. Les soins pratiqués dans les établissements aux mains de la CNT sont gratuits. Les autres, pratiqués par des médecins individuels, non affiliés au syndicat, répondent à un prix unique, fixé par le syndicat. Pour éviter les abus – alors souvent commis par les médecins particuliers –, les patients payent leur toubib via la CNT. La plupart des médecins accueillent à bras ouverts ces mesures. En dehors des idées politiques qu’ils peuvent éventuellement avoir, cette nouvelle organisation sanitaire et médicale leur est aussi plus que bénéfique, surtout pour les jeunes. Auparavant, beaucoup de nouveaux doctorants en médecine devaient, s’ils voulaient obtenir du travail, se placer sous l’autorité d’un vieux médecin-patron à qui ils servaient de larbin bon-à-tout-faire, exploité et fort mal payé. Avec cette réorganisation, la figure du médecin-patron disparaît et les jeunes médecins peuvent pratiquer leur métier directement et toucher un salaire convenable, d’environ 500 pesetas par jour. Leur enthousiasme est tel que, la

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plupart du temps, ils exercent aussi la médecine bénévolement, en dehors de leurs heures payées. L’activité des syndicats sanitaires de la CNT ne se limite pas seulement à l’arrière et se déploie aussi au niveau du front. Ils créent notamment de nombreux hôpitaux à proximité des lignes pour accueillir et soigner les blessés. Ils organisent également, à plusieurs reprises, l’évacuation des personnes habitant dans les zones bombardées ou trop proches du front.

ALLER PLUS LOIN ET GÉNÉRALISER LA SOCIALISATION

En février 1937, le congrès national de la Fédération des syndicats uniques de salubrité se tient à Barcelone dans le but d’élaborer, à l’échelle nationale, un plan sanitaire et d’assistance sociale. Il réunit plus de 40 syndicats représentant au total plus de 40 000 adhérents. À l’issu de ce congrès, les syndicats s’engagent à travailler sur plusieurs points bien précis :

• Réorganiser les établissements sanitaires et médicaux à l’échelle locale, cantonale et régionale.

• Créer des instituts d’hygiène, généraliser l’éducation physique (création de salles de sport, de gymnases, de piscines, etc.), lutter contre les déchets et les animaux vecteurs d’épidémies.

• Engager sérieusement la lutte contre la tuberculose : développer l’hygiène (selon les modalités du point précédent), démolir les logements insalubres, créer des dispensaires antituberculeux (surtout dans les zones où l’épidémie est fréquente) chargés de contrôler régulièrement les écoles, les universités, les usines et autres lieux collectifs, établir et suivre méthodiquement

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des statistiques sur l’épidémie afin d’en délimiter les principaux foyers et d’organiser l’accueil et les soins dans les différents centres sanitaires.

• Réorganiser l’enseignement sanitaire et médical afin d’améliorer les connaissances des praticiens de la santé.

• Diffuser des cours d’éducation sanitaire et de soins urgents afin que les bases primaires de la médecine soient accessibles à tous.

• Former des spécialistes pour s’occuper des handicapés mentaux et physiques.

La médecine ne se faisant généralement pas sans médicaments, la socialisation des services sanitaires et médicaux nécessite également une réorganisation du système pharmaceutique. Dans cette optique, à la fin de l’année 1937, les syndicats élaborèrent un système divisé en quatre groupes : celui des laboratoires, celui de la fabrication, celui de la distribution massive générale et celui de la distribution aux nécessiteux. Les quatre groupes étaient rassemblés et se coordonnaient au sein d’une commission d’étude chargée d’évaluer les besoins et d’organiser en fonction la recherche, la fabrication et la distribution. Les différents groupes étaient chargés des tâches suivantes :

• Le groupe des laboratoires : chargé de se tenir informé des besoins nouveaux en matière de santé et de médecine et d’organiser la recherche pharmaceutique par conséquent.

• Le groupe de la fabrication : il regroupe les différentes fabriques de produits pharmaceutiques dont il planifie et coordonne les activités.

• Le groupe de la distribution de gros : organise et gère l’alimentation en produits pharmaceutiques des magasins généraux et des centres de fournitures en gros.

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• Le groupe de la distribution individuelle : réorganise et gère les points de vente de façon équitable.

À côté de ces nombreuses activités syndicales, on trouve aussi une action gouvernementale de la part des libertaires. Quand, en septembre 1936, au nom d’une union exposée comme indispensable des forces antifascistes, des libertaires entrent au gouvernement national, le ministère de la Santé est confié à l’une d’eux : Federica Montseny. Dans le gouvernement catalan, c’est le docteur Garcia Birlan (membre de la CNT et de la FAI) qui, s’entourant d’autres médecins libertaires, est nommé directeur général des services sanitaires et de l’assistance sociale de Catalogne, sous la responsabilité de Félix Marti Ibanez. Toutefois, l’action gouvernementale sanitaire se repose essentiellement sur les syndicats CNT dont elle finance, en partie, les initiatives. En matière de santé et de salubrité, le gouvernement fait, là encore, preuve d’une incapacité quasi totale, excepté quelques avancées législatives, notamment avec le droit à la liberté de l’avortement. La socialisation de la médecine fut principalement l’œuvre des syndicats CNT et demeure l’une des réussites révolutionnaires les plus poussées de l’Espagne de 1936 à 1939. Malheureusement, la contre-révolution stalinienne et la victoire fasciste mirent fin à ces projets enthousiastes et prometteurs.

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Serge RoyPOUR UN TRANSPORT EN COMMUN AUTOGÉRÉ

Texte du syndicaliste Serge Roy, publié à l’origine dans le bulletin libertaire Le Q-lotté (Québec) en juillet 1979. Repris dans l’anthologie «La pensée en liberté» (Écosociété, 1996) et dans une brochure des Éditions Ruptures.

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LES AUTOBUS ROULERONT à nouveau à Québec. Oui, mais quand? C’est une question à laquelle il n’est pas facile de répondre puisque la négociation semble être au point mort entre les représentants de la CTCUQ (Commission de transport de la communauté urbaine de Québec) et le syndicat des chauffeurs affilié à la CSN. Au-delà du fond du conflit de travail, il demeure cette situation incroyable et aberrante qu’est l’absence de transport en commun dans une agglomération d’environ 300 000 habitants depuis six mois. À l’heure où la crise de l’énergie s’achemine vers une réalité de plus en plus grave autant sur le plan de la pénurie que sur celui des risques écologiques que nous présente la poursuite de la surconsommation actuelle de l’énergie, il y a de quoi s’inquiéter. Par ailleurs, l’encombrement urbain qu’amène l’utilisation excessive et inconsidérée de l’automobile devrait tous nous porter à réfléchir et à travailler pour l’établissement de système de transport en commun efficaces et capables de changer nos habitudes trop coûteuses en matière de transport. Ceci dit, il faut bien trouver le moyen de sortir du cercle vicieux que nous connaissons, particulièrement à Québec, en nous disant qu’on ne peut financer un transport en commun à cause du manque de clientèle et qu’il y a manque de clientèle à cause de l’inefficacité du transport en commun. Alors, il faut voir plus loin que le bout de son nez et consentir les efforts nécessaires pour l’établissement rapide d’un système de transport en commun suffisamment efficace pour « séduire » à plus ou moins long terme cette masse d’automobilistes encroûtés que nous sommes. Consentir les efforts nécessaires équivaut à investir les sommes importantes que nécessiterait la réalisation d’un projet de transport en commun digne de ce nom. On doit donc se poser la

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question: d’où peut venir une telle initiative? À regarder les patrons actuels de la CTCUQ, de la CUQ et des municipalités de la région dans le conflit des chauffeurs, il n’y a pas de doute possible: rien à attendre de ce côté. Pourtant, le transport en commun, c’est un service public et il n’est pas question que ça retourne à l’entreprise privée capitaliste. On a trop vu ce que ça donnait. Alors, il ne reste plus qu’à envisager une initiative publique et collective engageant la responsabilité des travailleurs du transport en commun et les usagers: une entreprise de transport en commun autogéré et gratuit. J’entends déjà les hauts cris, les accusations d’irréalisme et d’utopie auxquelles on m’invitera illico à plaider coupable. Pourtant, un tel projet pourrait être réalisé dans la mesure où le mouvement syndical et plus précisément les syndiqués impliqués dans la grève actuelle à la CTCUQ accepteraient d’envisager la prise en charge de leur travail par eux-mêmes et, ainsi, de s’engager dans une nouvelle façon de solutionner les conflits entre patrons et travailleurs. Établir un transport en commun autogéré à Québec, c’est un excellent moyen de changer la situation au profit des travailleurs et de la classe populaire en général. Ce qu’il faut pour le réaliser c’est tout simplement du courage, de l’imagination et de la détermination. Concrètement, cela signifie l’établissement d’un comité pour l’autogestion du transport en commun du Québec métropolitain. Ce comité aurait pour premières tâches:

1. D’élaborer une structure démocratique de gestion au sein de l’entreprise (en tenant compte des diverses activités existantes ou à prévoir: comptabilité-administration, perceptions des contributions, service des achats, information, planification des parcours

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d’autobus, réparations et entretien, etc.) en s’informant des possibilités qu’offre l’autogestion à la lumière d’expériences déjà vécues;

2. Présenter son projet de structure et les étapes à suivre aux diverses assemblées générales des syndicats concernés, ou à une assemblée générale intersyndicale, précèdées cependant d’une période valable d’information sur les implications du projet;

3. Présenter le projet d’autogestion du transport en commun à la population et demander l’appui du mouvement syndical et du mouvement populaire à Québec, puis dans les autres régions;

4. Élaborer une proposition de budget d’opération pour une première année.

Ce comité devrait être composé de travailleurs de la CTCUQ et de représentants des usagers désignés par le mouvement syndical et les organisations populaires de la région de Québec

LE FONCTIONNEMENT DE L’AUTOGESTION

Dans toute entreprise, il existe diverses équipes de travail capables d’assurer elles-mêmes leur propre fonctionnement. Il en va de même pour un service de transport en commun. Par exemple, l’équipe de travail chargée de voir à l’entretien des véhicules et aux réparations peut très bien établir ses besoins en termes de matériel et d’effectifs à partir de conditions de travail (heures de travail, salaires, congés divers, etc.) établies par l’assemblée générale des travailleurs. Il en va ainsi pour les autres équipes de travail, qu’il s’agisse des chauffeurs, des personnes chargées de l’information du public, de la comptabilité

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ou de l’achat de matériel ou de nouveaux véhicules pour assurer le meilleur service dans les meilleures conditions. Bien sûr l’autogestion ne signifie pas que chacun fait à sa tête. Il est nécessaire de coordonner et de planifier les opérations. Ce travail, au lieu de relever d’une catégorie « supérieure » et nantie d’une autorité injustifiée comme celle des patrons à l’heure actuelle, est confié à des équipes de travail choisies par les travailleurs, et avec les usagers pour ce qui est de la détermination des parcours d’autobus (ce sont eux qui gèlent sur le coin des rues l’hiver). Le choix des membres de l’équipe de coordination et de planification pourrait se faire soit au sein même des travailleurs de l’entreprise, soit parmi des candidats sélectionnés par des représentants des autres équipes au sein de l’entreprise. Pour assurer le caractère démocratique de la gestion du transport en commun autogéré il faudra sans doute constituer un conseil de gestion dont les membres seraient élus soit par l’assemblée générale des travailleurs, soit dans chacune des équipes de travail qui choisirait un délégué au conseil de gestion. Plusieurs autres modalités seraient à établir et il appartiendrait à un comité pour l’autogestion du transport en commun d’en proposer les détails. Qu’il suffise d’insister sur le fait que de toute façon, ce sont les travailleurs qui assurent le fonctionnement des usines et des services et qu’à partir de là, il ne nous reste qu’à en prendre la direction collectivement.

TRANSPORT EN COMMUN GRATUIT

Une autre folie? Sûrement pas, puisqu’il existe déjà des projets qui vont dans cette direction, notamment en Europe. Mais comment financer un service de transport en

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commun gratuit, me direz-vous ? Établissons d’abord à quoi sert le transport en commun: à transporter des gens. Oui, mais pour quelles destinations et activités? La plupart des usagers prennent l’autobus pour se rendre au travail et pour s’approvisionner chez divers commerçants. Il y a aussi les personnes âgées, les étudiants, les enfants et les ménagères qui, la plupart du temps, ont des revenus insuffisants, à moins d’en avoir aucun. Dans ces conditions, il m’apparaît plus que justifié d’établir des contributions obligatoires provenant des employeurs (c’est pas nouveau, puisque ça existe déjà pour les accidents de travail) et des commerçants. Et comme il faut être raisonnable et reconnaître que le transport en commun est un service public et qu’il permet à la population de se déplacer pour une multitude d’activités autres que pour leur travail et leurs achats, les municipalités devraient également continuer à verser une contribution représentant celle de la population. La gratuité du transport en commun, c’est faisable et rentable économiquement et socialement. Il ne faut pas oublier qu’en autogérant le transport en commun, on changerait les méthodes de travail, qu’on éliminerait la bureaucratie, les tâches inutiles ainsi que toute la brochette de cadres plus ou moins inutiles et grassement payés, d’où d’appréciable économies. Il reste bien sûr à chiffrer ces contributions, à en assurer la perception et à prévoir des sanctions pour les contrevenants (c’est-à-dire les boss). Et comme nous ne vivons pas encore dans un Québec où l’autogestion est généralisée, il faudra exercer les pressions politiques nécessaires pour forcer le gouvernement et les municipalités à accepter et à aider à faire accepter un tel projet. Il s’agit d’une lutte d’envergure, c’est clair. Mais avouez qu’elle serait drôlement utile et ouvrirait des perspectives de changement authentique de cette vieille société capitaliste qui survit

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à nos dépens de crise en crise. Il faut être conscient qu’un projet autogestionnaire suppose un changement de mentalité de la part de ceux qui s’y engagent. Il faudra donc, d’une certaine façon, nous « rééduquer » pour nous familiariser avec l’autogestion, le travail en groupe, la responsabilité collective et à la communication. En fait, l’autogestion suppose la rupture avec l’individualisme auquel nous sommes tous habitués. C’est un mode de fonctionnement qui ne peut s’étendre dans le capitalisme puisqu’il y est opposé, c’est pourquoi il importe de fournir à ceux qui veulent envisager la prise en charge de leur travail, la formation nécessaire pour comprendre et envisager la nécessité d’associer l’autogestion de leur entreprise à la transformation générale de la société. J’attends donc des nouvelles des syndiqués de la CTCUQ en grève, du mouvement syndical en général, du mouvement populaire et des usagers du transport en commun pour la mise sur pied du comité pour l’autogestion du transport en commun dans le Québec métropolitain. Avis est donné aux intéressés.

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Collectif anarchiste l’(A)telierPERSPECTIVES ET STRATÉGIES LIBERTAIRES

SUR LES SERVICES PUBLICS

Ce texte est une synthèse de la réflexion menée par le Collectif anarchiste La Nuit en mars 2011 en marge d’une campagne de l’Union communiste libertaire sur les mesures d’austérité. L’essai est passé entre plusieurs mains avant d’être aujourd’hui repris par le Collectif anarchiste l’(A)telier, non comme « position définitive », mais comme point de départ des réflexions que nous portons sur le sujet dans les mouvements sociaux.

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QUELLE EST LA place des services publics dans notre société capitaliste? Quelle est – ou quelle doit être – leur nature? Comment peut-on s’inspirer des luttes d’ailleurs, et du passé, pour arriver à instaurer des services publics autogérés et libertaires? L’actualité politique montre une offensive importante du Capital contre les services publics et les mécanismes de redistribution de la richesse. Privatisation et augmentation des tarifs sont au cœur des programmes politiques des gouvernements. Dans ce contexte, il nous apparaît nécessaire de se questionner plus en profondeur sur ce que nous voulons défendre dans les services publics actuels et ce vers quoi nous souhaitons tendre. L’essai proposé ici est le résultat de discussions et de débats entre militants et militantes anarchistes de Québec. Nous sommes conscients et conscientes que bien des sujets évoqués dans ce texte sont des questionnements pour lesquels nous ne disposons pas de toutes les réponses. Nous espérons qu’il suscitera des débats sur les services publics dans une perspective libertaire et sur les liens entre le mouvement anarchiste et les mouvements sociaux.

REGARDS CROISÉS SUR LES SERVICES PUBLICS

Depuis maintenant près de 30 ans, nous assistons à une offensive, dirigée par le Capital, contre les « acquis » sociaux hérités de l’après-guerre. Chaque nouvelle crise économique alimente un nouveau cycle de mesures d’austérité et de privatisations en tout genre. Alors que le taux de croissance est à son plus bas et que les rendements sur le capital ne suffisent plus à la classe dominante occidentale, l’État introduit la marchandisation au cœur des services publics pour ouvrir de nouveaux marchés et relancer les profits. Les secteurs où l’État est le maître d’œuvre (la santé, l’éducation, les services sociaux) sont autant de territoires

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à coloniser. Ces processus, que la classe dominante tente d’enchâsser dans des accords de libre-échange, s’inscrivent dans la lutte menée contre la «baisse tendancielle du taux de profit». Les gouvernements privatisent des activités et des entreprises publiques arrivées à maturité, rentables et ne nécessitant plus les investissements requis du temps de leur fondation. Dans ce contexte, on comprend pourquoi la lutte pour la sauvegarde des services publics a pris une ampleur considérable pour les mouvements sociaux du Québec. L’accessibilité et la qualité du réseau de l’éducation, du réseau de la santé et de l’ensemble des services sociaux sont des vecteurs importants de combat. Les attaques des gouvernements provincial et fédéral (privatisation, augmentation des tarifs, coupures dans les programmes, etc.) font surgir chez les différents mouvements sociaux une réaction de défense fort compréhensible des «acquis» sociaux.

LES DISCOURS DE GAUCHE SUR LES SERVICES PUBLICS

Alors que le discours des centrales syndicales, des groupes étudiants, féministes et communautaires sur les services publics fait partie intégrante du paysage politique au Québec, la perspective anarchiste est souvent caricaturée quand elle n’est pas tout simplement méconnue. D’entrée de jeu, il faut mentionner que les socialistes libertaires font une distinction entre l’État et les services publics et que c’est là un point qui les différencie des autres tendances politiques de gauche. Les socialistes libertaires se distinguent d’autres tendances anarchistes pour qui la défense des services publics est associée à la défense de l’État lui-même. Alors que certains courants, à l’image d’un Noam Chomsky ou d’un Normand Baillargeon, ont abdiqué et sont devenus réformistes par défaut, d’autres

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considèrent que le fait de défendre les « acquis » et plus largement de militer activement dans les mouvements sociaux de masse peut-être interprété comme donnant plus de pouvoir à l’État, une institution combattue par les anarchistes. Nous croyons au contraire qu’il ne faut pas rejeter d’emblée les luttes des mouvements sociaux pour des services publics universels sous le prétexte que ces derniers sont, il est vrai, acquittés par l’État. Il faut au contraire investir les mouvements sociaux pour susciter des discussions, politiser davantage les luttes et travailler à se réapproprier de façon permanente les lieux de pouvoir. En d’autres termes, il faut travailler à faire connaître – et aimer! – la démocratie directe et soumettre l’économie au politique. Par ailleurs, les socialistes libertaires se distinguent aussi des sociales-démocrates et des sociaux-démocrates qui luttent dans les mouvements de masse et qui croient au rôle médiateur de l’État. Généralement, l’approche réformiste est de défendre ou de protéger les services publics contre les forces de droite qui tentent de saper les acquis historiques des mouvements sociaux qui ont permis d’instaurer une certaine universalité. Au contraire, les libertaires croient que l’État n’est pas un organe neutre qui catalyse les forces sociales et qu’il suffit de diriger par l’élection d’un gouvernement «progressiste» pour faire avancer notre cause. Les revendications libertaires sur le thème des services publics sont radicales. En ceci, les anarchistes sont peut-être les allié-e-s pragmatique d’une frange combative de la social-démocratie qui revendique la gratuité scolaire, la gratuité des médicaments, des services d’avortement gratuits, des maisons de naissance, des logements sociaux, etc. Mais cette collaboration a ses limites. Les revendications que nous partageons ne sont pas « équivalentes », dans la mesure où les objectifs et même les angles d’analyse sont différents. Par

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exemple, les anarchistes ne revendiquent pas la gratuité scolaire en faisant une lecture stratégique du rapport de force à construire contre le gouvernement (c’est-à-dire en demandant plus – la gratuité – pour avoir une marge de négociation – le gel). Il ne s’agit pas d’une rhétorique politique, d’un discours de politicien ou politicienne. La construction d’un rapport de force dans les mouvements sociaux, c’est aussi la construction, à plus large échelle, d’un contre-pouvoir. C’est expérimenter au quotidien l’autonomie politique et tendre vers des expériences de démocratie directe. C’est bien souvent expérimenter l’autonomie économique dans des moments de grève, où il y a une reprise collective des espaces publics : préparation et distribution de nourriture gratuite, organisation et « reprise » du transport collectif gratuit (pensons notamment au fait d’embarquer collectivement dans des autobus sans payer), confection et échanges de vêtements, garderie populaire et bien sûr autogestion de nos cours (à l’école) et de la production du milieu de travail (les infirmières par exemple qui assurent des services essentiels, ou encore des travailleurs et travailleuses d’usine). Les revendications libertaires sur le thème des services publics se distinguent également de l’analyse social-démocrate (nécessairement réformiste) parce qu’elles visent explicitement à exclure les services publics de l’économie marchande. Concrètement, cela implique :

1. Revendiquer la gratuité des services publics afin d’assurer l’égalité des chances pour y accéder. L’éducation et la santé ne sont pas des biens essentiels, ni des biens communs, ce sont des droits. Et des droits, cela ne se monnaie pas. La gratuité des services publics permet d’atténuer l’injustice du système économique et social dans lequel nous vivons.

2. Toutefois, la gratuité des services publics ne règle pas tout.

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Même lorsque les services publics permettent l’exercice d’un « droit collectif », en excluant le rapport marchand qui consiste à payer pour un bien de « consommation », les services publics demeurent partie prenante du système capitaliste. Tant qu’il est réglementé par l’État, le service public continue d’être produit dans une économie capitaliste même si l’accès (ou la consommation) y est plus équitable.

De façon plus fondamentale, on doit remettre en question l’existence des rapports inégalitaires en tant que tel. C’est ce qui distingue les libertaires du courant social-démocrate qui pense que l’État peut assurer une juste redistribution de la richesse ou le plein exercice des droits en trouvant un équilibre entre des parties inégales (les riches/les pauvres). Questionner l’inégalité, c’est avant tout questionner la production de cette richesse, et non seulement le cycle de redistribution et de consommation. Dans la conception social-démocrate, le rôle de l’État lui-même est d’être médiateur lors de la redistribution. Nous croyons au contraire qu’il faut soumettre l’économie au politique: l’économie n’a pas à gouverner les êtres humains. Nous devons devenir maîtres et maîtresses de nos choix et c’est ensemble qu’il faut prendre des décisions sur le type d’économie, de travail et de temps de loisirs que nous voulons. En tant qu’anarchistes, nous défendons des services publics libertaires, c’est-à-dire des services publics qui seront autogérés. Dans une société complexe comme la nôtre, on associe l’autogestion à une utopie. Il est plus facile de croire que l’organisation hiérarchique de notre lieu de travail, le manque de services accessibles et de qualité pour toute la population ou encore la corruption sont de l’ordre naturel des choses. L’autogestion pose bien des défis, mais nous croyons que nous sommes à même de comprendre, d’interpréter et d’agir dans la complexité qui nous

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entoure. Confronter la soi-disant naturalité de l’ordre économique, politique et social demande une bonne dose de pensée critique, mais cela ne nous fait pas peur. Nous changeons chaque jour notre monde; nous sommes des agent-e-s de transformation sociale et nous avons soif d’un monde meilleur.

NATURE ET LIMITES DES SERVICES PUBLICS ACTUELS L’État et les services publics en viennent souvent à se confondre dans l’esprit des gens de gauche. Faut-il défendre l’État si on cherche à défendre les services publics? Les socialistes libertaires voient là une erreur importante d’appréciation. Investir les services publics et investir l’État en tant qu’appareil gouvernemental sont deux choses de nature différente. Investir les services publics, c’est reprendre possession de notre pouvoir sur les lieux de travail, dans nos quartiers, etc. Ce n’est certainement pas remettre notre pouvoir dans les mains d’une élite éclairée, quand bien même elle serait plus progressiste. Dans un État capitaliste et patriarcal, les services publics sont considérés comme publics dans la mesure où ils sont pris en charge par l’État. Leur nature n’est pourtant pas intrinsèquement liée à l’État lui-même. Les services publics ont été définis de façon historique par l’État, qui a décidé ce qui devait être public et, inversement, ce qui devait rester dans le domaine privé. Lorsque les mouvements sociaux portent des revendications, c’est souvent l’État qui répond à ces demandes, d’où la confusion entre les services publics et l’institution étatique.

LA DOUBLE NATURE DES SERVICES PUBLICS ACTUELS

Les services publics ont une double nature qu’il faut mettre en lumière.

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Premièrement, ils sont le fruit de conquêtes sociales et, en ce sens, ils répondent à des besoins exprimés dans les luttes menées par les classes populaires. Les services publics actuels, qu’on pense à la santé, à l’éducation, au logement social ou autres, sont le résultat des combats des mouvements sociaux du Québec. Pour la population, c’est à la foi une façon de faire respecter ses droits et une façon de défendre son pouvoir d’achat en s’assurant d’avoir accès à des services nécessaires sans devoir les acheter sur le marché. Deuxièmement, ils sont aussi le fruit d’une récupération de ce qui existait déjà auparavant. Durant la révolution « tranquille », l’État québécois nationalise les services gérés par l’Église (la plupart des écoles et des hôpitaux) et par les groupes populaires (mutuelles d’assurances, cliniques populaires). On assiste ainsi à leur institutionnalisation par l’État et par le fait même à leur encadrement par de nouveaux mécanismes de contrôle social. Cette double nature (conquête sociale/contrôle social) traverse les débats actuels sur les services publics, tant à gauche qu’à droite. Par exemple, apprendre à lire et à écrire est un acte émancipateur qu’il importe de rendre universel. D’un autre côté, défendre le système d’éducation actuel avec sa culture nationaliste, son caractère hiérarchique et son rôle dans la reproduction des inégalités sociales n’est pas le souhait des socialistes libertaires. Une fois reconnue, cette contradiction sur la double nature des services publics actuels peut être analysée et être prise en considération afin de faire les choix stratégiques qui s’imposent. Il devient ainsi possible de défendre les services publics, de chercher à animer les mouvements sociaux dans une perspective d’autogestion et de développement de la conscience de classe sans pour autant nier les limites des services publics actuels.

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LES LIMITES DES SERVICES PUBLICS ACTUELS

Quand l’État s’accapare une sphère d’activité, il a tendance, au nom de la reddition de compte, à bureaucratiser les rapports qu’il y entretient. Avec l’argent, il détient un pouvoir important de coercition et de contrôle. Nous pouvons penser notamment au réseau des Centres de la petite enfance (CPE) qui, bien que formé d’organisations formellement autonomes, est largement financé par un État qui ne se gêne absolument pas pour en définir les grandes orientations et intervenir au besoin dans la gestion, les décisions ou la structure en faisant fi des souhaits des administrations en place, des salarié-e-s et des parents. Par ailleurs, bien des sociétés d’état sont structurées comme des entreprises privées. L’État leur confie le mandat de générer de plus en plus de profits en nous vendant leurs services. Dans quelle mesure constituent-elles ou non des services publics qu’il faut défendre ou même subvertir? Pour Hydro-Québec, c’est clair, mais qu’en est-il de la Société des alcools du Québec ou de Loto-Québec? Nous pensons que le concept d’utilité sociale peut être un barème intéressant pour en juger, quoiqu’il faille alors se pencher sur une analyse en profondeur de la conjoncture et des forces en présence. L’introduction de la marchandisation dans les services publics est une limite actuelle évidente. Néanmoins, dénoncer cette marchandisation n’équivaut pas pour autant à dire que les socialistes libertaires sont contre le droit de choisir, une notion pourtant développée par l’école du « public choice ». Quand les forces de droite martèlent la notion de choix, il faut rappeler que c’est un faux choix, que leur volonté est d’accroître les inégalités sociales plutôt que de les abolir. La compétition introduite dans le système d’éducation primaire et secondaire, par exemple, annonce une dérive élitiste importante.

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En même temps, faut-il balayer du revers de la main la possibilité d’offrir dans le système public, ou hors de ce dernier, des alternatives à un système dit universel? Le fait que ce ne soit pas accessible pour tous et toutes veut-il dire que cela ne doit l’être pour personne? Ces éléments sont des limites des services publics actuels qu’il faut garder en tête avant de prendre position. Par contre, défendre l’autonomie locale et le droit de choisir n’implique pas de s’allier à la droite pro-individualisme et pro-liberté (de marché). Les ennemis de nos ennemis ne sont pas nécessairement nos amis! Il faut analyser le contexte sociopolitique dans lequel leurs revendications pour « le droit de choisir » s’inscrivent. S’il s’agit de réintroduire le marché dans le service public, c’est un cheval de Troie qu’il faut combattre. Le libre choix et l’autonomie n’ont de sens que dans un contexte de gratuité et d’universalité, donc de service public. Il ne faut surtout pas craindre de miner l’État lui-même et ses travers que sont l’institutionnalisation des pratiques et expériences d’autogestion, la bureaucratisation, la hiérarchisation, etc.

NOTRE STRATÉGIE : SUBVERTIR LE STATU QUO

Actuellement, nous jouons un jeu défensif sur la question des services publics. Cette position n’est guère tenable à moyen terme. Comment peut-on arriver à passer d’une lutte contre la privatisation et la tarification des services publics à une position plus offensive, visant à élaborer les contours de services publics libertaires? Comment sortir du statu quo? Il y a au moins deux éléments de rupture dialectique en jeu dans la contradiction des services publics. Le premier, c’est l’enjeu de l’autonomie et de la gestion. Actuellement, c’est l’État qui contrôle et gère les services publics. Or, l’État n’est pas neutre : c’est un instrument de la

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classe dominante. Pour renverser la vapeur, il faut revendiquer l’autonomie des services publics et leur autogestion par les travailleurs, les travailleuses, les usagers et les usagères. Ceci étant dit, il y a autogestion et autogestion! L’autogestion en soi ne mène à des pratiques révolutionnaires que si elle est liée à un projet de société qui vise à la généraliser. Il faut qu’elle soit traversée d’une volonté de changer l’organisation sociopolitique et l’ensemble des rapports sociaux pour tendre vers une société libre et égalitaire. Les coopératives de santé mises sur pied en région pour pallier aux carences du système de santé public (manque de médecins, mauvaise couverture du territoire) sont à ce titre un exemple évocateur. On peut comprendre le découragement et la rage qui pousse des gens à vouloir s’organiser en marge du système, mais elles sont en même temps clairement un signe de privatisation. Ces coopératives ne sont pas gratuites et ne visent même pas à le devenir. De plus, les travailleuses et les travailleurs démontrent une piètre réflexion sur leurs conditions de pratique et leur volonté de les changer. On est loin des expériences menées dans les années 1970. À l’époque, constatant les carences du système de santé dans les quartiers pauvres (faible présence sur le territoire, peu d’accès aux services, absence de prévention, etc.), les mouvements sociaux s’étaient mobilisés et avaient mis sur pied des cliniques populaires dans plusieurs milieux. Ce fut l’impulsion à la base de la création des CLSC avant que toutes ces cliniques, sauf celle du quartier Pointe-Saint-Charles à Montréal, soient complètement intégrées au nouveau réseau. L’autre enjeu, c’est celui de l’universalité et de la gratuité. La logique marchande pernicieuse s’introduit dans les services publics entre autres par le biais de la tarification. On veut nous faire payer deux fois, une première fois par l’impôt, une seconde fois par les tarifs, pour les services publics afin de les mouler sur la logique du marché. De la même façon, on organise la rareté

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afin d’alimenter le mécontentement dans l’espoir de donner des arguments à une éventuelle privatisation. Pour casser cette logique, il faut revenir au concept d’universalité et de gratuité, c’est à dire des services accessibles à tous et toutes sur l’ensemble du territoire, peu importe le revenu disponible.

RÉFORME OU RÉVOLUTION?

Ne s’agit-il là que de revendications réformistes? Être révolutionnaire aujourd’hui, c’est aussi se situer au cœur des luttes sociales et pouvoir identifier les potentiels d’autonomie populaire et de ruptures autogestionnaires. Comme l’indiquaient les camarades de l’OCL, dans le texte Repenser l’utilité sociale : « Affirmer que l’économie doit avoir pour objectif la création de biens et de services utiles à chaque individu et non d’engendrer des profits pour une minorité, c’est également démontrer que tout devrait être service public, et dénoncer le caractère arbitraire de ce qui est actuellement défini comme tel ». Pour enraciner ces positions, nous pensons qu’il faut être partie prenante des mouvements sociaux. Il faut investir la mobilisation locale, faire les débats dans les assemblées générales et surtout, essayer de trouver dans le contexte de la lutte les points de rupture. Être en mesure d’expliquer la double nature des services publics et les enjeux de la lutte sous un État capitaliste et patriarcal, en trouvant des moyens pour développer la conscience de classe. Une analyse approfondie des choix politiques et économiques des gouvernements (notamment en matière de fiscalité) peut nous permettre de mieux comprendre les divergences d’intérêts entre la classe dominante et les classes populaires. Si la lutte pour des services publics libertaires est indissociable d’une perspective révolutionnaire visant à abolir l’État, le capitalisme, le colonialisme et le patriarcat, il faut

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à tout prix éviter de voir les luttes sociales en opposition à la construction d’alternatives ici et maintenant, mais plutôt les réconcilier à travers nos pratiques. Les conflits sociaux arrivés à maturité permettent l’éclosion d’une multitude d’expériences autogestionnaires qui laisseront des traces de leur passage. Mais peut-on également penser l’autogestion dans la société actuelle autrement que dans un cadre de lutte? Nous pensons que c’est non seulement possible, mais nécessaire. Les ressources alternatives et autogérées offrent des espaces de vie qui permettent d’acquérir la confiance et l’autonomie nécessaires pour repenser le cadre social actuel. Comme nous l’avons vu, poser la question des services publics libertaires nous conduit également à poser celle de la construction des contre-pouvoirs. L’émancipation est un processus qui doit s’alimenter à même nos pratiques quotidiennes. Une transformation libertaire de la société implique l’instauration de l’autogestion généralisée et de la démocratie directe à tous les niveaux. Or, l’autogestion ne peut pas se décréter de haut en bas. Nous sommes d’avis qu’une telle transformation des rapports économiques et sociaux n’est envisageable que si les gens sont déjà organisés sur leurs lieux de travail, dans leurs quartiers et communautés, s’ils ont déjà commencé à « construire la société de demain dans celle d’aujourd’hui ».

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À propos de l’UCL

L’Union communiste libertaire (UCL) est une organisation de militants et de militantes provenant de divers mouvements de résistance, qui s’identifient à la tradition communiste dans l’anarchisme et qui ont comme objectif commun une rupture révolutionnaire avec l’ordre établi. Notre activité est organisée autour du développement théorique, de la diffusion des idées anarchistes et de l’intervention dans les luttes de notre classe, que ce soit de façon autonome ou par le biais d’une implication directe dans les mouvements sociaux.

Au plan théorique, l’UCL s’identifie aux principes communistes libertaires et s’appuie sur les bases théoriques de cette tradition particulière. Au plan tactique, nous préconisons l’implication dans les luttes sociales dans une perspective de radicalisation des mouvements sociaux et de construction de contre-pouvoir.

Cause Commune, le journal de l’UCL, est un porte-voix libertaire dans les luttes sociales et les quartiers. À cheval entre le tract et l’organe de presse plus élaboré, c’est un outil souple, peu coûteux, adapté aux besoins d’aujourd’hui. Il permet à des collectifs bien implantés, comme à des militantes et des militants isolés, de faire un travail d’information et de sensibilisation à grande échelle. Le journal sort six fois par année et est diffusé gratuitement à 3500 exemplaires.

www.causecommune.net

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À travers la publication de livres et de brochures, les Éditions Ruptures souhaitent contribuer à faire connaître l’histoire, les idées et les pratiques communistes libertaires. Elles visent également à assurer une diffusion aux textes produits par l’Union communiste libertaire (UCL) et par ses membres.

Les Éditions RupturesUCL a/s E.H.55051, CP LangelierQuébec (Qc) G1K 9A4

[email protected] - www.causecommune.net

Également disponible...

Jean ValjeanLA CRISE

En 1922, la crise économique frappe le Québec. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, des idées assez radicales circulent à Montréal. Une Ligue des sans-travail s’organise, des conférences sont données, des brochures circulent. Le texte de l’une d’elles, avec de fort accents communistes libertaires, est parvenu jusqu’à nous.

Introduit par Mathieu Houle-Courcelles et Patrick Tillard, 70 pages.

Prochain titre à paraître aux Éditions Ruptures...

Marc-André Cyr

LA PRESSE ANARCHISTE AU QUÉBEC

(1976-2001)

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(Organisation communiste libertaire)

(Réfraction)

(Le monde libertaire)

(Le QLotté)

De la Première Internationale à la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics, de l’Espagne révolutionnaire aux grèves dans le transport en commun: des pistes pour réfléchir et dépasser l’apparente contradiction d’une défense anarchiste des services publics.

Une anthologie de textes de• Cause commune• L’OCL• Alternative libertaire• Marianne Enckell• Guillaume Goutte• Serge Roy• Collectif anarchiste l’(A)telier