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Societe d’Etudes Latines de Bruxelles Réflexions sur la carrière de Marc-Antoine Kugener Author(s): Antoine Grégoire Source: Latomus, T. 5, Fasc. 1/2 (JANVIER-JUIN 1946), pp. 7-12 Published by: Societe d’Etudes Latines de Bruxelles Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41516504 . Accessed: 12/06/2014 21:22 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Societe d’Etudes Latines de Bruxelles is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Latomus. http://www.jstor.org This content downloaded from 91.229.248.187 on Thu, 12 Jun 2014 21:22:24 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Réflexions sur la carrière de Marc-Antoine Kugener

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Societe d’Etudes Latines de Bruxelles

Réflexions sur la carrière de Marc-Antoine KugenerAuthor(s): Antoine GrégoireSource: Latomus, T. 5, Fasc. 1/2 (JANVIER-JUIN 1946), pp. 7-12Published by: Societe d’Etudes Latines de BruxellesStable URL: http://www.jstor.org/stable/41516504 .

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Réflexions sur

la carrière de Marc- Antoine Kugener

Il existe des amitiés profondes, auxquelles il arrive de rester la plupart du temps silencieuses. Il n'est pas nécessaire de les rajeu- nir, lorsque le hasard de la vie les a interrompues durant de lon- gues années. A la première rencontre, si peu attendue qu'elle soit, ces amitiés renaissent aussi fraîches qu'autrefois. Le pre- mier émoi passé, on croit vraiment reprendre, avec autant d'aisan- ce, avec la même sympathie, une conversation suspendue la veille. Comme on l'a dit et redit, l'amitié réelle n'a que faire de la pré- sence ou de l'absence. Elle est ; cela suffit. C'est une confiance et une estime une fois acquises, à tout jamais.

Ce sentiment mutuel naquit entre Kugener et moi l'année où il achevait ses études universitaires, trois ans après la fin des miennes. A le voir et à l'entendre, je jouissais souvent d'un spectacle anima- teur ; car il prenait pied avec enthousiasme dans le vaste domaine de la philologie classique et à ce moment déjà, dans celui de la philologie syriaque. Puis vint l'époque de ses voyages à Paris. A ses retours il me parlait avec ardeur des discussions auxquelles il avait pris part auprès de ses maîtres. Parfois il me communiquait une hypothèse curieuse que lui suggéraient certains rapproche- ments inédits. Bref, je retrouvais, dans sa compagnie, les dialo- gues de jadis, toujours instructifs (et de temps à autre combattifs) ; ils me faisaient augurer une carrière féconde, qu'il établirait por- chainement.

Hélas I les débuts de cette carrière furent plus que décevants. Maints des tout jeunes savants d'il y a cinq ans se sont trouvés en face des camps de prisonniers, en butte aux privations, aux sévi- ces, - à la mort, sans compter, en beaucoup de cas, les affres de l'atroce brutalité teutonne. Kugener, lui, eut affaire, comme tant d'autres, à un ennemi tout différent, néfaste également en son genre, quoiqu'il jouît du terrible privilège d'être légal, respecté,

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honoré. Il était seul maître à l'intérieur du pays, j'entends maître politique, et sûr de son autorité. On le sait, le vœu sacré du gou- vernement d'alors était la suppression de l'enseignement officiel, autrement dit laïque, au profit d'un enseignement unilatéral, c'est-à- dire à caractère nettement confessionnel. Le gouvernement n'osa pas tenter cette révolution. Il la réalisa malgré tout, en partie, en anni- hilant d'un trait de plume les deux écoles normales supérieures d'en- seignement moyen, où se préparaient à donner un enseignement modèle les jeunes gens reconnus bien doués, à la suite d'épreuves sévères. Cette exécution achevée, le ministre et ses agents savaient d'emblée où porter les yeux pour choisir et pour nommer les can- didats les plus recommandables, à tous égards , à des postes va- cants. Quiconque leur déplaisait pour des raisons confessionnel- les ne pouvait rien espérer d'aucun recours en grâce.

Alors commença pour les élèves des deux écoles anéanties, et pour une part de ceux que formaient dorénavant les universités de l'État, une époque de misère, dont seuls les plus anciens d'entre nous ont conservé la triste mémoire. Ce fut le temps du ministre Schollaert, et de son conseiller M. Cyr. Van Overbergh.

Les chaires professorales suffisaient à peine aux diplômés de l'université de Louvain. Les places de surveillants échéaient par- fois à d'ancients étudiants de là-bas, qui, pour des causes diverses, et lesquelles?, n'avaient pas terminé leurs études. Sur quelles disponibilités pouvaient compter les autres postulants? Il leur restait, des années durant, la chance précaire des institutions privées, des leçons particulières, les postes très rares de précep- teur.

Ce fut la période où Kugener revint dans son pays. Étant en France, a-t-il pu encore quelque temps se nourrir d'illusions? A Paris, il jouissait de la pleine liberté de pensée et de recherche, sans éprouver d'appréhension ni subir de dommage. Dans la vieille bibliothèque de l'ancienne Sorbonne, où l'on travaillait le soir, l'Alsacien qui assurait le service félicitait les hôtes étrangers, pleins de jeunesse et de vie, de l'avenir qui les attendait. Ils quitteraient bientôt ce local vénérable, pour aller occuper quelque chaire dans une faculté de province ou dans une université loin- taine. Plusieurs années avant, j'avais entendu de sa bouche ce souhait de bon augure; j'avais écouté, puis souri, sans rien dire. Kugener s'y arrêta-t-il davantage? Je l'ignore. A coup sûr, des échos du pays lui étaient parvenus, et à la dernière époque de

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son séjour, l'appréhension de son abandon futur, sans protecteurs, sans défenseurs, devait souvent l'assombrir.

L'exemple de son aîné que j'étais lui donnait un aperçu un peu burlesque des éventualités. Ayant travaillé et publié pendant six ans en Belgique et à l'étranger, je fus enfin nommé surveillant dans un athénée, où je trouvai quatre autres maîtres d'études. Aucun de ces confrères ne possédait le diplôme de professeur, et trois d'entre eux ne l'obtinrent jamais. Deux ans après, soit après huit ans d'attente, on me promut au grade de professeur de latin et de français en septième latine. A l'enseignement de ces deux langues, on avait joint celui de... l'arithmétique!

Suivons maintenant la marche en avant d'un brillant néophyte de la science. De 1896 à 1897, Kugener avait obtenu chacune des distinctions servant à récompenser les promesses les plus sé- rieuses : diplôme avec la mention la plus élevée ; bourse de voyage ; titre de lauréat du concours universitaire. Il vient de terminer ses voyages à l'étranger : à Paris, à Bonn, à Paris. Nous sommes en 1898. On va sans doute lui confier une chaire dans un athénée, ou mieux dans une université? Ne plaisantons pas; nous sommes au pied d'un calvaire.

Kugener est revenu à Liège. Il y a perdu ses parents. Ses ressources sont précaires. Pendant trois ans il végète, lorsque le gouvernement lui accorde un poste de surveillant à l'athénée de Malines.

Il l'y eût peut-être oublié, sans pudeur ni remords, si deux ans plus tard, l'Université Libre de Bruxelles n'avait offert à l'indé- sirable d'enseigner les sciences mêmes auxquelles il s'intéressait le plus (*).

Cette réparation heureuse mit fin à l'espèce d'engourdissement où le travail de surveillance maintenait malgré lui son esprit de recherche. On lira dans la notice biographique que lui a consa- crée M. Peeters (2) le détail de l'activité scientifique qu'il a dé- ployée pendant les onze années suivantes. Signalons toutefois un trait cité par M. Peeters, trait qui révèle une des belles qualités de son caractère, mais aussi le degré extrême où trop souvent lui-

(1) Il eut comme concurrent le fameux archéologue et philologue hollandais Vollgraff.

(2) Revue belge de philologie et d'histoire, tome XX, pages 849 et suivante.

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même Га poussée au détriment de son œuvre, et de sa propre santé. En 1911, il obtint le prix Gantrelle, mérité pour un excellent mé- moire sur La fin du paganisme en Orient. Or Kugener n'a pas publié ce travail. Avec la clairvoyance dont il était doué, il a dû se demander si le sujet ne réclamait pas un gros surcroît d'inves- tigations dans trop de domaines. Nous n'émettons ici qu'une hypothèse d'ordre psychologique, - car nous n'avons pas lu le manuscrit (3).

Le prix Gantrelle était un bel encouragement, mais qui resta sans effet. La guerre de 1914 remit tout en question. Elle força Kugener à abandonner ses recherches. Il allait se trouver dans la situation ingrate dont plusieurs autres et nous-même avions à souffrir, depuis notre entrée dans l'enseignement moyen. Dès 1915, Kugener devient professeur à l'athénée communal de St. Gilles lez Bruxelles, et il le demeure jusqu'en octobre 1927, c'est-à- dire pendant un grand laps de temps. Cette période lui sera pré- judiciable. L'intérêt, les sympathies, le dévouement qu'il éprou- vait à l'égard de la jeunesse et dont il a donné des preuves con- stantes, toutes ces hautes qualités pédagogiques ont accaparé de- puis lors son activité. Il s'est mis par devoir au service des classes qu'il dirigeait. L'intensité de ses efforts a nui de plus en plus à sa santé. Ce n'est qu'en 1927 qu'il put alléger cette lourde charge, pour reprendre son travail scientifique. Celui-ci recommence et se poursuit pendant plusieurs années, avec énergie encore, mais une fois de plus, et la dernière, ses forces et sa résistance ne répon- dent plus à son opiniâtreté.

* * *

Si je viens d'emprunter à la biographie écrite par M. Peeters ces pénibles souvenirs, plusieurs raisons pieuses m'y ont invité. Je voudrais en tirer certains enseignements, que le défunt lui- même a sûrement dégagés à plusieurs reprises de son vivant, dans ses méditations.

(1) Pour contredire l'opinion qui arrêta probablement Kugener, nous rap- pelons un conseil donné un jour par V.Henry, dans Tune de ses leçons : « Lors- que vous avez imaginé une thèse, et que vous la jugez bien assise, publiez-lg sans hésiter ; d'autres que vous sauront dire par où elle pgche. »

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I. - Tout d'abord, Kugener n'a pu mener à bien ses projets scientifiques. Le regret de cette impossibilité Га tourmenté pen- dant la plus grande partie de son existence. Le remords pèsera lourd sur la conscience de ceux, qui, dès le début de sa carrière, l'ont entravée, - si toutefois ils sont venus à résipiscence.

Nous en douterions, pour le motif que nous avons fait entendre. La tolérance leur fait défaut ; elle leur est interdite, à moins qu'ils ne pèchent par défaillance, en cédant au sentiment d'humanité. Il est bien souvent question de la vertu de tolérance, précisément dans notre pays, depuis la libération. Non pour dire qu'elle y règne partout, mais pour admirer l'Angleterre.

II. - Il serait curieux de connaître de quelle manière le gros public interprète ce qu'on appelle le «travail intellectuel». Il paraît s'en créer une image très vague, et parfois des plus fausse. Le travail tranquille, qui ne frappe l'attention par aucun effet visible immédiat, ni matériel, ni pécuniaire, n'impose ni le respect ni la déférence. Entre autres conséquences dangereuses, il faut, dans les universités, du moins en Belgique, fournir beaucoup d'heu- res de cours pour obtenir un traitement satisfaisant. Or les heu- res de cours ex cathedra valent-elles toujours autant que les séan- ces de séminaire ou de laboratoire, où les exercices consisteraient des deux côtés en des expériences ou en recherches faites par les élèves, ou par le maître et par les élèves, discutées en commun et réunissant le fruit immédiat d'efforts combinés?

Quant à l'enseignement moyen, le professeur, en temps de paix, fait dix-huit à vingt-quatre leçons par semaine, c'est-à-dire une moyenne de trois à quatre heures par jour. Ce chiffre est très élevé, surtout si les classes sont peuplées, et pour se rendre compte du total, il convient d'ajouter le travail personnel du maître, à domicile : la correction des devoirs, la préparation des leçons, les lectures relatives aux matières enseignées. On permettra sans doute au professeur de suivre les progrès des sciences et de ne pas répéter toute sa vie les mêmes cours d'histoire, de français, etc.

En un mot, une semaine de ce genre se dessine comme étant bien remplie. Elle le deviendrait trop, s'y l'on projetait d'y lo- ger une heure au moins, chaque jour, pendant laquelle le professeur délaisserait ses fonctions pédagogiques, pour revenir à son mo- deste chantier de philologie ou d'histoire, ou de critique littéraire... Ce n'est pas dans la première année de son enseignement, ni dans

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la seconde qu'il jouira d'assez de liberté, d'une liberté continue presque journalière, ni d'une tranquillité d'esprit lui permettant, d'ordonner sa besogne, sans interruptions imprévues et répétées. A certaines époques, la chaîne s'étant brisée trop de fois, le cou- rage lui manquera pour la renouer, et pour recommencer une lutte dont toutes les phases se terminent par des défaites.

C'est donc sur un dernier aveu d'incapacité forcée que s'achè- vera sa carrière scientifique. Cette constatation est navrante. Chaque année, dans l'une ou dans l'autre faculté, quelques jeunes gens font naître de nouvelles espérances. Ils ne peuvent pas tous entrer avant longtemps dans les rangs du personnel univer- sitaire. Les promesses de succès qu'ils suggèrent vont-elles donc s'évanouir? Une perspective aussi décourageante doit être com- battue. Dans chaque industrie bien organisée, on prend soin de récupérer toute force inutilisable pour le moment. Ici, on ne saurait laisser s'étioler des puissances intellectuelles, qui ne de- mandent qu'à se produire au jour. Il suffirait de noter les cher- cheurs reconnus tels par un ou par plusieurs travaux et entrés dans l'enseignement moyen; de leur accorder sur leur demande une réduction calculée de leur tâche ordinaire, à condition de poursuivre leurs travaux scientifiques et de produire, au bout d'un certain temps, la preuve de leur activité. Ainsi subsisterait un entraînement propice à de belles réalisations. Celles-ci feraient honneur aux facultés personnelles du jeune savant et à la forma- tion qu'il aurait reçue à l'université.

Liège . Antoine Grégoire,

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PLANCHE I

M. -A. KUGENER ENTOURÉ D'UN GROUPE D'ÉTUDIANTS DE L'UNIVERSITÉ DE BRUXELLES

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