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Octobre 2012 1 Refonder la haute fonction publique : un programme réformiste par François Van Gallië (pseudonyme) « Le poisson pourrit par la tête. » (proverbe chinois) L’Etat cultive la passion de la réforme : il ne cesse de s’administrer des cures de modernisation, de révision de ses missions et de rénovation de sa fonction publique. Sa situation est comparable à celle de l’Eglise catholique pendant la Contre-réforme : semper reformanda, en réforme perpétuelle pour ne pas sombrer. Et pourtant ces efforts n’ont pas donné les résultats escomptés. Parmi les raisons figure la prépondérance d’une approche purement comptable des enjeux de modernisation, qui atteint aujourd’hui ses limites après la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances) du début des années 2000 et la RGPP (Révision générale des politiques publiques) du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Il faut raisonner avec un seul hémisphère pour réduire l’Etat à ses moyens et à ses règles, et occulter la dimension humaine et qualitative du service public. Il est temps de guérir de cette hémiplégie par un réformisme capable de faire la jonction des hommes et des institutions et qui ne laisse aucun angle mort. La haute fonction publique constitue l’un des nombreux angles morts des réformes passées, alors que la révision de ses modes de recrutement et de formation, de sa culture et de ses pratiques devrait figurer en tête des priorités. Pour trois motifs : - l’efficacité de l’action publique : la haute fonction publique est la première courroie de transmission de la décision publique, elle peut la démultiplier ou l’enrayer. Pour qu’elle soit un relai d’action efficace, elle doit continuer d’attirer les meilleurs et maintenir sa tradition d’impartialité et de loyauté. - la transparence et l’exemplarité : la haute fonction publique est le secteur de l’administration le plus exposé au risque du conflit d’intérêts, et doit être irréprochable. Elle doit également s’ouvrir à toutes les composantes de la société, sous peine de contribuer au divorce des Français et de leurs élites. - l’exigence de modernisation : dans un monde en mutation et confronté à une pénurie de moyens, il ne suffit plus d’être bon, il faut être innovant. Or cette qualité s’épanouit à la jonction d’organisations souples et d’esprits créatifs, à l’exact opposé de l’organisation par statuts et des recrutements académiques qui constituent les deux caractéristiques du modèle français de fonction publique. A cet égard, la politique suivie pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy est apparue remarquablement pauvre et crispante, parce qu’elle a limité l’enjeu de réforme de la haute administration à celui de la suppression du classement de sortie de l’Ecole nationale d’administration (ENA). Le gouvernement s’y est épuisé en vain alors qu’elle est porteuse de grands dangers pour l’impartialité des affectations aux carrières. Ce rapport propose d’aborder ces défis dans leur globalité. Même si notre haute fonction publique ne se résume pas, loin s’en faut, à ses énarques, il s’attaque également, sans tabous ni idéologie, à la question des missions et de l’avenir de l’ENA dans le recrutement et la sélection des élites administratives. Un état des lieux (première partie) précède des propositions (deuxième partie) en matière d’ouverture de la haute fonction publique, de déontologie, de mobilité dans la fonction publique d’organisation des carrières et des débouchés. Une section est consacrée à l’ENA et ses perspectives de réforme. Parmi les propositions du rapport : - l’ouverture plus énergique de la haute fonction publique à la diversité,

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Refonder la haute fonction publique : un programme réformiste

par François Van Gallië (pseudonyme)

« Le poisson pourrit par la tête. » (proverbe chinois) L’Etat cultive la passion de la réforme : il ne cesse de s’administrer des cures de

modernisation, de révision de ses missions et de rénovation de sa fonction publique. Sa situation est comparable à celle de l’Eglise catholique pendant la Contre-réforme : semper reformanda, en réforme perpétuelle pour ne pas sombrer. Et pourtant ces efforts n’ont pas donné les résultats escomptés.

Parmi les raisons figure la prépondérance d’une approche purement comptable des enjeux de modernisation, qui atteint aujourd’hui ses limites après la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances) du début des années 2000 et la RGPP (Révision générale des politiques publiques) du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Il faut raisonner avec un seul hémisphère pour réduire l’Etat à ses moyens et à ses règles, et occulter la dimension humaine et qualitative du service public. Il est temps de guérir de cette hémiplégie par un réformisme capable de faire la jonction des hommes et des institutions et qui ne laisse aucun angle mort.

La haute fonction publique constitue l’un des nombreux angles morts des réformes passées, alors que la révision de ses modes de recrutement et de formation, de sa culture et de ses pratiques devrait figurer en tête des priorités. Pour trois motifs :

- l’efficacité de l’action publique : la haute fonction publique est la première courroie de transmission de la décision publique, elle peut la démultiplier ou l’enrayer. Pour qu’elle soit un relai d’action efficace, elle doit continuer d’attirer les meilleurs et maintenir sa tradition d’impartialité et de loyauté.

- la transparence et l’exemplarité : la haute fonction publique est le secteur de l’administration le plus exposé au risque du conflit d’intérêts, et doit être irréprochable. Elle doit également s’ouvrir à toutes les composantes de la société, sous peine de contribuer au divorce des Français et de leurs élites.

- l’exigence de modernisation : dans un monde en mutation et confronté à une pénurie de moyens, il ne suffit plus d’être bon, il faut être innovant. Or cette qualité s’épanouit à la jonction d’organisations souples et d’esprits créatifs, à l’exact opposé de l’organisation par statuts et des recrutements académiques qui constituent les deux caractéristiques du modèle français de fonction publique.

A cet égard, la politique suivie pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy est apparue remarquablement pauvre et crispante, parce qu’elle a limité l’enjeu de réforme de la haute administration à celui de la suppression du classement de sortie de l’Ecole nationale d’administration (ENA). Le gouvernement s’y est épuisé en vain alors qu’elle est porteuse de grands dangers pour l’impartialité des affectations aux carrières.

Ce rapport propose d’aborder ces défis dans leur globalité. Même si notre haute fonction publique ne se résume pas, loin s’en faut, à ses énarques, il s’attaque également, sans tabous ni idéologie, à la question des missions et de l’avenir de l’ENA dans le recrutement et la sélection des élites administratives.

Un état des lieux (première partie) précède des propositions (deuxième partie) en matière d’ouverture de la haute fonction publique, de déontologie, de mobilité dans la fonction publique d’organisation des carrières et des débouchés. Une section est consacrée à l’ENA et ses perspectives de réforme. Parmi les propositions du rapport :

- l’ouverture plus énergique de la haute fonction publique à la diversité,

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- le renforcement de la déontologie et de la transparence pour l’accès aux emplois supérieurs et les mobilités public-privé,

- la réorganisation des carrières, qui conduit à repositionner les grands corps en tant que corps de débouchés, S’agissant de l’ENA :

- sa transformation en une grande école du service public commune à la fonction publique de l’Etat et la fonction publique territoriale…

- …faisant une plus grande part à la formation continue et à la promotion interne des fonctionnaires comme outil de promotion sociale,

- le maintien et la professionnalisation du classement de sortie.

* * *

Première partie. La haute fonction publique sans illusions 1. L’illusion du pouvoir

1.1 L’énarchie, un storytelling dépassé L’énarchie est un mot comme seul les Français sont capables d’en inventer : savant,

pompeux, fantasmatique. Littéralement, ce « pouvoir des énarques » désigne la mainmise des hauts fonctionnaires formés à l’ENA sur l’appareil d’Etat et leur pouvoir d’influence dans la sphère économique. On pourrait presque reprocher à Jean-Pierre Chevènement d’avoir popularisé ce terme en 1967 dans un pamphlet du même nom1, ou plutôt de ne pas l’avoir accompagné d’une date de péremption car ce pouvoir, si tant est qu’il eût jamais existé, a vécu.

L’énarchie est une abstraction, qui ne renvoie à aucune catégorie sociologiquement homogène. L’Ecole est un moule, mais qui accueille une grande diversité : il y a peu en commun entre un élève de l’ENA recruté à 23 ans et qui « sort » au ministère des finances et un fonctionnaires quadragénaire chevronné, issu du concours interne, qui choisit la carrière préfectorale. La haute fonction publique ne se résume pas à ses énarques, et l’énarchie n’est pas une catégorie pertinente, à moins de lui faire désigner, assez modestement, les « CSP+ » de l’administration, une classe managériale destinée aux fonctions de conception et de mise en œuvre des politiques publiques.

Cette étiquette a fait beaucoup de mal aux « énarques », aussi bien parce qu’elle oriente vers la haute fonction publique des profils inadaptés que parce qu’elle jette un discrédit sur une catégorie de fonctionnaires qui se distinguent le plus souvent par la compétence, le dévouement et le sens du service public. Elle trouve notamment sa raison dans la croyance suivant laquelle l’ENA est une « école du pouvoir » et une propédeutique à l’exercice de fonctions politiques. 1.2. Haute administration et politique : la vérité du dénominateur

Cet amalgame entre pouvoir administratif et pouvoir politique relève d’une illusion arithmétique : le nombre – il est vrai non négligeable – d’hommes et de femmes politiques issus de l’ENA (le numérateur) doit se rapporter au nombre bien plus considérable de haut fonctionnaires formés sur les bancs de l’ENA qui ne franchiront jamais le seuil des responsabilités politiques (le dénominateur). Certes, parce qu’elle destine à des fonctions à l’interface de l’administratif et du politique, l’Ecole peut être un tremplin pour des fonctions électives, ministérielles ou parlementaires. Mais cette capillarité entre fonction publique et

1 L’énarchie, 1967, Jean-Pierre Chevènement, Didier Mochtane et Alain Gomez.

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politique n’est pas le monopole de l’ENA. Au contraire, l’Ecole ne joue plus le rôle de viatique pour le pouvoir qui était le sien au sommet de son prestige : l’étiquette ENA peut desservir des ambitions politiques, parce qu’elle véhicule des clichés d’arrogance et de déconnexion avec la réalité des Français.

Ceux qui côtoient des énarques passés à la politique le savent : si ces derniers ont réussi leur conversion, ils ne le doivent pas à leurs qualités de hauts fonctionnaires, mais à leur capacité à s’en libérer. L’idéal-type du haut fonctionnaire et celui du politique sont antinomiques : le système de recrutement des hauts fonctionnaires privilégie des valeurs d’obéissance, de discrétion et de conformisme en opposition avec le goût du débat et de l’exposition qui sont la clé du combat politique. Ces deux catégories rejouent l’opposition entre éthique de la responsabilité et éthique de la conviction. Le métier de haut fonctionnaire est aussi une école de désillusion pour les vocations les mieux établies : la proximité avec les contraintes de la décision publique et les secrets de fabrique politiciens en ont désenchanté plus d’un. 1.3. La technocratie : une faiblesse du pouvoir

Les énarques tirent leur pouvoir de leur mainmise sur les cabinets ministériels : une autre idée trompeuse. Certes, ces derniers y sont très représentés, mais pour des raisons qui tiennent à la sociologie administrative : les ministres choisissent leurs collaborateurs dans le vivier d’experts de leur administration, où les énarques sont souvent majoritaires. Au risque d’une relation incestueuse entre le politique et l’administratif, mais dont la conséquence est moins une politisation de l’administration qu’une technocratisation du politique.

La prépondérance des cabinets ministériels dans le système français est une alternative au système spoil system à l’américaine, où les têtes des administrations changent en cas d’alternance politique. En contrepartie, les cabinets deviennent des extensions des administrations, et contribuent à la technocratisation des processus de décision : dotés d’effectifs pléthoriques, ils font écran entre le ministre et les directeurs de son administration, les cabinets passent souvent leur temps à défaire les projets préparés par les services, et ponctionnent leurs meilleurs éléments.

Or ce qui peut paraître comme un pouvoir technocratique s’apparente plutôt à une forme d’impuissance organisée en système : la surreprésentation de profils techniques en cabinets nuit à l’efficacité de la décision publique et perturbe la continuité de l’action administrative. 1.4. Public-privé : les petits pieds du pantouflage

L’énarchie tire-t-elle alors son pouvoir de ses réseaux et de leur emprise sur le secteur économique ? A y regarder de près, l’étiquette ENA n’y est pas un sésame pour accéder aux hauts emplois du privé et le hallali médiatique contre le « pantouflage », terme stigmatisant pour désigner le départ des hauts fonctionnaires pour le secteur privé, masque des réalités très différentes.

Premier constat : les vagues de privatisation des années 1980 et 1990 et l’évolution de la gouvernance des grands groupes privés ont affaibli les passerelles qui ont permis à la haute fonction publique d’essaimer dans le secteur privé dans les belles années du colbertisme d’Etat. Des ponts existent toujours entre les grands corps d’Etat et les grandes entreprises du CAC40, mais les grands corps techniques de l’Etat (X-Mines, X-Ponts) en sont au moins autant bénéficiaires. Aujourd’hui le carnet d’adresses et la connaissance de l’appareil d’Etat sont des avantages comparatifs moins précieux que la maîtrise de compétences qui ne s’acquièrent pas dans le secteur public. L’avenir est aussi à la diversification et à l’internationalisation des profils des dirigeants.

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Deuxième constat : le « pantouflage » est résiduel et n’est pas l’apanage de la haute fonction publique. Suivant les statistiques établies par la commission de déontologie, les mobilités public-privé concernent pour la moitié seulement des flux les corps d’encadrement de l’Etat, et pour une infime minorité les corps recrutant à la sortie de l’ENA.2

Troisième constat : le pantouflage n’est pas toujours un chemin pavé de roses. Le choc des cultures est parfois cruel : difficultés à faire valoir ses compétences dans le privé, écarts des cultures managériales. Le culte de l’omni-compétence bute sur le fonctionnement du privé, tourné vers la spécialisation. Celui qui prétend servir à tout ne sert en fin de compte à rien.

Le décloisonnement public/privé était un objectif phare du quinquennat de Nicolas Sarkozy. C’est peu dire que son gouvernement s’y est mal pris, en partant d’un mauvais diagnostic : le problème de la fonction publique n’est pas celui de sa fermeture au privé mais de son incapacité à mettre en place des passerelles qui assurent des mobilités suivies de retour. Ce gouvernement a diminué les contrôles déontologiques encadrant les « pantouflages », au risque de renforcer l’exposition des fonctionnaires au risque de la prise illégale d’intérêts. Il a également encouragé les mobilités des hauts fonctionnaires juniors en changeant les paramètres de la « mobilité statutaire »3. Or ces mobilités précoces s’accompagnent de faibles perspectives de retour et se traduisent par une perte sèche de compétences pour l’administration. A cette une « fuite des cerveaux » organisée en principe de gestion des carrières, il faut répondre par une gestion intelligente des mobilités public-privé, mais aussi en développant la mobilité dans son aire naturelle : entre les administrations et entre les trois fonctions publiques.

2. Un bonnet d’ÂNE pour l’ENA

Instituée en 1945 pour démocratiser la haute fonction publique et accompagner la refondation républicaine de l’Etat, l’ENA concentre depuis plus de 60 ans les fantasmes autant que les critiques. Elle est un symbole narcissique des succès et des déboires de l’appareil d’Etat français. Ceux qui la condamnent rêvent d’y mettre leurs enfants. Ceux qui viennent s’y former en sortent formatés. Ceux qui veulent la changer buttent contre un mur (depuis sa création, l’ENA a connu 26 réformes !). Pourquoi ? Deux raisons principalement :

1° l’ « icônification » de l’ENA, prétendu modèle de l’excellence républicaine, qui interdit tout discours critique, ou le fait succomber sous les partis pris idéologique. La mythologie de « l’énarchie » a contribué à son déclin et entrave toute évolution.

2° les déficiences de sa gouvernance : l’ENA est placée sous la tutelle de la Direction générale de la fonction publique, qui ne dispose ni des moyens humains ni de l’autorité administrative pour imposer ses décisions au conseil d’administration de l’ENA, où siègent les chefs des corps les plus prestigieux de l’Etat, ceux-là même qui ont un intérêt objectif au statu quo dans les propositions de réforme les plus couramment avancées : l’évolution du classement, l’accès direct aux grands corps (vide supra). Et pour cause : l’oiseau ne scie pas la branche où il perche !

Il semble que toute réforme de l’ENA coure à l’échec tant que des fonctionnaires seront seuls à la manœuvre. Il suffit de voir avec quelle facilité la réforme Sarkozy du classement de sortie de l’ENA a été torpillée de l’intérieur. Un engagement politique ferme et déterminé sera nécessaire pour venir à bout de ce chantier.

2 La plupart des démissions ou mises en disponibilité de fonctionnaires se concluent sur des reconversions dans le petit commerce, l’hôtellerie, la restauration, loin de l’image traditionnelle des pantouflages. http://www.fonction-publique.gouv.fr/fonction-publique/carriere-et-parcours-professionnel-16 3 La mobilité obligatoire que les énarques et hauts fonctionnaires assimilés accomplissent généralement entre deux et quatre ans après leur entrée dans l’administration.

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2.1. Classement, déclassement On ne refera pas l’inventaire des critiques de l’ENA, dont les plus dures viennent des

énarques eux-mêmes : indigence de la formation, arbitraire du classement de sortie, incapacité du système à offrir à la sortie une adéquation satisfaisante entre les profils et les postes. Ces maux ont une même cause : l’ENA est une machine à classer, qui sacrifie la formation au profit de la reproduction des hiérarchies administratives. L’obsession du classement pénalise les autres dimensions de la scolarité, et dispense de réfléchir sur les contenus de formation elle-même. En dépit des efforts réels accomplis ces dernières années pour améliorer sa formation, l’ENA continue de souffrir de maux dirimants :

- l’absence de colonne vertébrale pédagogique : en lieu et place d’une formation aux métiers, la scolarité délivre un vernis généraliste. Elle est également frappée de myopie, en préparant peu ou mal les futurs cadres de l’Etat aux défis qu’ils devront relever : construction d’un leadership, conduite du dialogue social, demande d’innovation. L’ENA est une école du mimétisme, qui ne laisse aucune place au recul critique et à la créativité et qui entretient dès l’origine le mythe de l’omni-compétence et d’une polyvalence sans limites. Cette croyance, qui flatte l’ego des hauts fonctionnaires, est l’une des causes les mieux enracinées de l’incapacité de l’administration à se professionnaliser, se remettre en cause et innover.

- la professionnalisation insuffisante de sa formation. Comme dans les autres écoles d’application de la fonction publique, les cours sont délivrés par des praticiens. Ce qui devrait être un atout de la scolarité devient un inconvénient majeur du fait de l’éloignement entre l’Ecole, installée à Strasbourg, et ses formateurs, issus pour la plupart des administrations parisiennes. Le vivier des formateurs est trop lointain pour être animé et valorisé. La distance est également un frein pour la construction d’un vrai projet pédagogique.

- l’ancrage insuffisant dans les pratiques administratives : les stages sont la meilleure partie de la scolarité, mais ils ne réservent pas la place qu’elles méritent aux expériences de terrain, notamment en administration centrale, où la majorité des élèves de l’ENA auront à servir. Leur organisation s’effectue en dépit du bon sens : ainsi la dernière réforme de la scolarité prévoit une alternance entre stages en territoires ou à l’étranger et la formation à Strasbourg, qui a pour effet de dissuader de se présenter à l’ENA les candidats qui ont charge de famille, en pratique les plus expérimentés, issus du concours interne (fonctionnaires) ou du troisième concours (société civile).

- les faiblesses de l’évaluation : le classement restera sujet à caution tant que l’évaluation qui la sous-tend ne sera pas à son tour objectivée et professionnalisée. Les épreuves de classement de sortie et les modalités d’évaluation des stages ont donné lieu à d’innombrables ajustements, sans qu’un équilibre n’ait jamais pu être atteint entre distinction des mérites et exigence d’impartialité. Le rôle du classement dans les affectations aux carrières ne pourra faire l’objet d’un débat serein tant que celui-ci continuera de déterminer les trajectoires des carrières et d’entretenir les corporatismes. 2.2. Le mépris des employeurs

Décevante pour ses élèves, l’Ecole ne remplit pas davantage ses objectifs à l’égard des administrations. D’abord parce que le système est absurdement malthusien. Les promotions, de taille variable suivant les années, ont atteint depuis 2007 leur étiage à 80 élèves (jusqu’à 120 élèves les années précédentes) sous l’effet de la RGPP et de la traduction, pour l’encadrement supérieur, de l’engagement de ne remplacer qu’un fonctionnaire pour deux partant à la retraite. Si l’on retranche les élèves affectés aux corps de contrôles et corps juridictionnels, seule une minorité rejoindra l’administration « active » (mois de 40 % d’administrateurs civils, de diplomates et de sous-préfets). Le besoin de recrutement de ces administrations n’est plus satisfait, alors même que la mobilité entre interministérielle et inter-fonction publiques est insuffisante pour fournir une alternative à ces recrutements.

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En outre, il revient aux administrations de compenser les insuffisantes de la formation à l’ENA. Des formations complémentaires parfois longues et coûteuses viennent compléter la scolarité dans les quelques administrations qui peuvent se les offrir (jusqu’à six mois de formation pour les futurs magistrats administratifs). Dans les autres, les élèves se trouvent du jour au lendemain livrés à eux-mêmes sur des fonctions d’encadrement et de responsabilité, pour le meilleur et parfois pour le pire.

2.3. A quel coût ! Ces défaillances sont d’autant plus regrettables que la scolarité est très longue (24

mois) et que sa prise en charge a un coût considérable pour la collectivité publique. La subvention de l’Etat à l’Ecole s’élevait en 2011 à 36 M€, dont 45 % alloués à la formation initiale : rapportée au nombre d’élèves français, la scolarité coûte 130 000 euros par élève et par an4, à comparer au coût moyen de la formation d’un étudiant de l’université (11 300 euros, soit presque 12 fois moins !) ou au coût annuel des études dans une grande école de commerce (entre 12 000 et 13 000 euros de frais de scolarité à la charge des étudiants à HEC).

A l’heure des restrictions budgétaires et de la contraction des budgets de formation, l’Etat ne peut plus se payer le luxe d’entretenir un système aussi coûteux qu’inefficace. Depuis 2007, le gouvernement a imposé un contingentement draconien des promotions de l’ENA, sans explorer d’autres voies d’économie, dont les mutualisations et synergies permises par la transformation de l’ENA en une grande école du service public. 2.4. « Hauts fonctionnaires généralistes », « grands corps » : on se paye de maux !

L’ENA n’est pas la seule responsable des dysfonctionnements du système : en amont, il y a un déficit général de professionnalisation, dont l’amateurisme de la fonction de formation n’est qu’une illustration, et, en aval, une organisation des carrières brouillée par la distinction entre les « grands corps » de fonctionnaires recrutés dans la botte (Inspection des finances, Cour des Comptes, Conseil d’Etat) et les autres corps de la haute fonction publique.

- En amont, donc, la faute au culte de la polyvalence et la transition inachevée vers une fonction publique de métiers. Des progrès ont été faits dans le sens la professionnalisation de l’administration et de la construction de filières professionnelles, mais cette logique est encore entravée par le primat de la structuration par corps et statuts de la fonction publique. A cet égard, l’ENA amplifie les défauts dont souffre la fonction publique dans son ensemble. La responsabilité incombe principalement au système du classement, qui est aux antipodes d’une logique de métier et d’adéquation des profils et compétences aux postes. La réforme des affectations mise en place par la précédente majorité constitue un progrès encore trop timide.

- En aval, l’organisation éclatée des carrières de la haute fonction publique nuit à la cohérence des parcours professionnels et des affectations aux emplois supérieurs. Celle-ci fait coexister les corps qui offrent de véritables déroulements de carrière (les grands corps, la préfectorale, la diplomatie), et ceux qui n’organisent aucune gestion individualisée (administrateurs civils notamment). A cette dichotomie s’ajoute également les écarts de rémunérations et de débouchés entre les « grands corps » et les autres corps de sortie de l’ENA (administrateurs civils, sous préfets, conseillers des tribunaux administratifs et des cours régionales des comptes), qui font obstacle à la diversification des débouchés et entretient des logiques de pré carré pour l’accès à certains emplois supérieurs. Il s’agit d’un archaïsme de notre fonction publique que l’ENA avait pourtant vocation à supprimer en 1945, en créant un socle de formation commun, adossé à un statut d’administrateur interministériel.

Or l’ENA contribue à la reproduction des cloisonnements administratifs et du maintien d’une culture corporatiste à travers le classement. Les « grands corps » défendent 4 Cf. Patrick Arnoux, Le Nouvel économiste, juillet 2011, http://www.lenouveleconomiste.fr/ecole-nationale-archaique-10758/

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farouchement leur monopole sur la « botte » du classement (les treize à quinze élèves les mieux classés d’une promotion), au détriment d’un mode d’affectation fondé sur l’adéquation profil/poste, parce qu’il conforte une vision pyramidale de l’ordonnancement administratif, et par suite l’existence de distinctions dans l’organisation des carrières suivant les corps ou administrations d’appartenance. Plutôt que de réclamer la suppression du classement, qui est le seul instrument d’affectation valable dans un système de fonction publique de statut et de carrière, il faut mettre un terme à l’exploitation corporatiste dont celui-ci fait l’objet.

* * *

Deuxième partie. Rénover l’Etat par son sommet 1. Moderniser les cadres de la haute fonction publique

1.1. Accueillir la diversité

La fonction publique doit s’ouvrir à la diversité de manière beaucoup plus énergique : c’est un impératif de représentativité et de justice sociale. La haute fonction publique est un concentré de ses défauts : monocolore, lieu de reproduction culturelle et de formatage des modes de pensée. Sur ce point les efforts du quinquennat de Nicolas Sarkozy ont donné de maigres résultats pour avoir retenu une approche trop étroite des enjeux, à travers la seule question de l’accès aux concours et la mise en place d’une « classe préparatoire de la diversité » aux résultats mitigés.

Une approche diversifiée sera retenue pour renforcer la diversité et faire de la fonction publique un véritable outil de promotion sociale :

- ouvrir de nouvelles voies d’accès à la fonction publique par le recours au contrat suivi de titularisation, en permettant l’accès aux emplois supérieurs à des agents non-titulaires dans les mêmes conditions que les fonctionnaires, et en créant de nouvelles passerelles entre le contrat et le statut (facilitation des transitions entre le CDI et le statut). Ces nouvelles voies d’accès permettront également de recruter et de fidéliser des compétences dont l’administration ne dispose pas en son sein, sur des besoins émergents, et de créer des passerelles entre l’administration et l’université, comme il en existe dans le monde anglo-saxon ;

- renforcer la promotion interne, qui est aujourd’hui le premier moteur de l’ascension sociale dans le secteur public (cf. supra) ;

- poursuivre la professionnalisation le contenu des concours en couplant à l’objectif d’une adaptation aux métiers de l’administration celui d’une diversification des viviers de recrutement ;

- accentuer les efforts de communication publique sur les métiers de l’administration.

1.2. Rétablir la transparence et la déontologie Après l’affaiblissement des standards déontologiques par la précédente majorité, la haute fonction publique doit retrouver son exigence et son exemplarité :

- renforcer la transparence des nominations aux emplois supérieurs de l’Etat en mettant en place pour tous les postes des commissions de sélection sous l’égide d’un secrétariat général de l’administration placé sous l’autorité du Premier ministre ;

- donner de l’effectivité aux contrôles déontologiques lors des départs dans le privé : il faut préférer au système de contrôle centralisé actuellement mis en œuvre par le recours à une commission de déontologie un contrôle déconcentré dans les administrations, mis entre les mains d’acteurs impartiaux (corps d’inspection et de contrôle ou référents déontologie créés à cet effet).

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- réformer la commission de déontologie : en conséquence de la déconcentration des décisions en cas de pantouflage dans le privé, la commission de déontologie deviendra une instance d’appel des décisions de l’administration. En contrepartie, elle se verra dotée de pouvoirs d’enquête et d’instruction renforcés.

- développer les contrôles déontologiques prudentiels, au moment de la prise de poste : la lettre de mission du fonctionnaire nommé sur un emploi potentiellement sensible en termes de déontologie ou de prise illégale d’intérêts précisera les secteurs ou entreprises prohibés. Ce document sera opposable aux agents dans le cadre d’une procédure disciplinaire.

- adopter une approche plus individualisée en matière de mobilités public-privé en valorisant les logiques de passerelle entre l’administration et l’entreprise (avec une perspective de retour) et en appliquant de manière intransigeante l’obligation de remboursement des frais de scolarité en cas de rupture anticipée de l’engagement décennal conclu à la sortie de l’école. La systématisation des conseillers carrière placés auprès des secrétariats généraux des administrations y aidera.

- limiter le nombre de collaborateurs des cabinets ministériels et soumettre les anciens membres de cabinets aux mêmes règles de nomination aux emplois supérieurs que les autres fonctionnaires.

1.3. Fluidifier les parcours professionnels La fonction publique souffre d’un déficit de débouchés, en particuliers dans les

secondes parties de carrière. Cette situation met en péril l’attractivité du secteur public et sa capacité de fidéliser ses meilleurs éléments. La RGPP et la réduction des postes de fonctionnaires ont accru ce problème. La dynamisation des carrières et l’ouverture de nouveaux débouchés pourront être obtenues dans plusieurs directions :

- garantir une mobilité effective dans les trois fonctions publiques : développer un véritable marché de l’emploi de la haute fonction publique, avec des outils à la mesure des enjeux (bourses d’emplois, règles de transparence sur les vacances de postes, levée des obstacles indemnitaires aux mobilités, etc.).

- harmoniser les rémunérations entre les corps et entre administrations, à commencer par une remise à niveau des régimes indemnitaires des ministères les moins bien lotis dès que le contexte budgétaire le permettra, ce qui est une mesure de justice autant que d’efficacité administrative. - valoriser les mobilités internationales et européennes : en particulier, une politique de placement plus offensive d’experts nationaux français détachés auprès des institutions européennes dans le double objectif de renforcer notre présence à Bruxelles et familiariser nos dirigeants publics avec les mécanismes de décision communautaires.

1.4. Mettre l’accent sur la formation continue Un meilleur équilibre doit être recherché entre formation initiale et continue.

Aujourd’hui le diplôme est surdéterminé par rapport aux compétences professionnelles ou aux savoirs acquis en cours de carrière. Ce déséquilibre est l’un des archaïsmes de la fonction publique qui, à surdéterminer la formation initiale, échoue à valoriser la richesse des parcours professionnels. Tout en maintenant une formation initiale de qualité, il convient de :

- renforcer la formation continue permettant l’adaptation aux métiers et la montée en compétence de l’encadrement supérieur. Cette formation continue devra également être valorisée dans le cadre des promotions internes. La fonction publique communautaire offre un éventail intéressant de bonnes pratiques.

- faire de l’ENA l’équivalent de « école de guerre » pour la fonction publique civile, en subordonnant l’accès aux emplois dirigeants à une séquence de formation tournée vers la prospective et la stratégie, d’une durée suffisante, comparable à celle délivrée aux officiers de

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la fonction militaires. Cette formation pourra être assurée par l’ENA dans le prolongement de ses missions actuelles.

1.5. Supprimer l’accès direct aux grands corps à la sortie de l’ENA L’affectation directe dans les « grands corps » à la sortie de l’ENA conjuguée au

classement détourne la vocation de l’Ecole et stérilise la scolarité. Ce système n’est pas davantage optimal en termes d’adéquation profils/postes en méconnaît les aptitudes et les vocations dans les affectations. Enfin il fait primer les appartenances corporatistes sur les mérites et les talents dans l’organisation des carrières et l’affectation aux emplois supérieurs (cf. première partie).

Il n’est raisonnable que 20 % d’une promotion d’énarques soit affectée à des fonctions de contrôle et d’évaluation et placés quelques années plus tard sur des fonctions de direction sans avoir occupé des fonctions opérationnelles, de conception et de mise en œuvre des politiques publiques, incluant du management d’équipe. Cette organisation des carrières est archaïque et doit être réformée. Réciproquement, les grands corps n’échappent pas aux besoins de professionnalisation et d’ouverture de leurs viviers de recrutement.

Les deux objectifs peuvent être obtenus de conserve en faisant des grands corps des corps de débouchés pour des fonctionnaires expérimentés et en mettant un terme au recrutement à la sortie de l’ENA. S’il n’y a pas une recette à appliquer uniformément à l’inspection des finances, à la Cour des comptes, au Conseil d’Etat et aux corps d’inspection interministériels (IGAS, IGA), une évolution commune en ce sens est nécessaire.

En raison de l’évaporation naturelle de leurs effectifs (mobilités, démissions) ces corps emploient déjà en nombre des hauts fonctionnaires issus des administrations (sur des statuts d’emploi ou dans le cadre de détachements temporaires). Le système doit évoluer pour permettre leur titularisation dans les mêmes conditions que celles prévues par le dispositif de détachement-intégration applicable aux autres corps de la fonction publique. Ils pourront être recrutés dans des conditions d’ancienneté équivalentes à celles prévues pour l’accès aux emplois fonctionnels (sous-directeur, chef de service, directeur), à partir de six ans de service effectif. Cette voie d’accès pourra constituer le principal vivier de recrutement des corps de contrôle et d’inspection des administrations.

2. Refonder l’ENA L’ENA a été créée en 1945 pour démocratiser la haute fonction publique, décloisonner

les administrations tout en assurant un recrutement d’excellence. L’Ecole doit retrouver cette vocation, et l’adapter aux nouveaux défis de la fonction publique : accompagner la professionnalisation de l’administration, former des dirigeants innovants et représentatifs de la société.

2.1. Transformer l’ENA en une grande école du service public Alors que Sciences Po a gagné en visibilité et en attractivité en augmentant la taille de

ses promotions et en diversifiant ses recrutements, l’ENA souffre de l’étroitesse de ses promotions et de son offre pédagogique. L’ENA a besoin, pour survivre, d’élargir ses horizons, et d’accompagner l’évolution souhaitable en faveur d’un décloisonnement des trois fonctions publiques. Il faut transformer l’ENA en une grande école du service public, par un rapprochement plus complet avec l’Institut national des études territoriales (INET), son pendant pour la fonction publique territoriale.5

5 L’INET forme chaque année, à Strasbourg et pour une durée équivalente à celle de l’ENA (18 mois) une soixantaine d’administrateurs territoriaux.

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Cette évolution réaffirmera l’unité de notre fonction publique, renforcera l’effectivité du droit à la mobilité et permettra une diversification des débouchés. Elle contribuera également à forger des repères et une culture communs à ces deux fonctions publiques. Les deux institutions procèderont également à des économies d’échelle en rassemblant leurs moyens, appréciables en période de restriction budgétaire. Elles gagneront également en attractivité et en visibilité.

2.2. Faire de l’ENA un véritable outil de promotion sociale La promotion interne constitue un levier de promotion sociale pour beaucoup

d’agents publics. L’Etat-employeur doit être exemplaire dans ce domaine et l’ENA a un rôle important à jouer : chaque promotion est en effet composée pour moitié de fonctionnaires issus du concours interne. Mais cette voie de promotion s’inscrit dans un système rigide et segmenté6, qui fait de l’âge un handicap et accorde une place insuffisante aux compétences acquises en cours de carrière et à la densité des parcours professionnels.

Les fonctionnaires issus du tour extérieur ne peuvent, pour des considérations d’ancienneté et non de mérite, avoir une carrière équivalente à celle d’un élément issu des rangs de l’ENA et entré à 25 ans dans la carrière administrative. L’accès aux plus hauts emplois en considération du talent et des mérites reste largement théorique, dès lors que la formation longue à l’ENA est de facto fermée à des fonctionnaires éloignés des préparations aux concours, parisiennes, ou se soumettre à une scolarité perturbante pour l’équilibre familial. Ce plafond de verre concerne en particulier les femmes. Culturellement, le passage à l’ENA est un marqueur puissant, qui écrase les autres types de promotion.

Il faut donc évoluer vers un système qui ne marque pas les fonctionnaires au fer rouge de leurs origines administratives et qui diversifie l’accès aux emplois supérieurs de l’Etat, en compensant les rigidités de l’organisation statutaire des carrières et en fluidifiant les promotions internes. Ce résultat sera obtenu par deux types de mesures :

- fusionner les promotions des élèves de l’ENA issus des concours (externe, interne) et du tour extérieur. Les avantages sont multiples : augmenter la taille et la mixité des promotions, créer des solidarités et des repères communs, rationaliser les moyens de l’école (les élèves issus du tour extérieur ont actuellement leur propre promotion et leur propre formation).

- mettre en place un système de détection des talents éligibles à une promotion interne rapide : l’administration française pourrait s’inspirer du fast stream britannique pour détecter et valoriser les hauts potentiels en début de carrière.

2.3. Professionnaliser la formation La formation à l’ENA doit réconcilier deux exigences : une formation

interministérielle, tronc commun pour tous les cadres supérieurs de l’Etat, assortie d’une spécialisation accrue, articulée aux différents métiers de l’administration. Pour ce faire il est nécessaire de repenser l’offre de formation dans plusieurs directions :

- réorganiser la scolarité de l’ENA autour de quatre spécialités professionnelles, correspondant aux grands métiers de l’administration (droit, finances, territoires, questions européennes et internationales). Les concours de recrutement à l’ENA seront adaptés à ces quatre filières. La scolarité sera articulée autour d’un tronc commun, incluant des formations communes dans ces différents secteurs, et des formations et des stages spécifiques dans chacune de ces filières.

6 Celui-ci combine trois voies promotionnelles mal enchâssées les unes aux autres : la promotion interne par la voie du concours, le « tour extérieur », qui est une forme de promotion au choix d’une part, et la promotion fonctionnelle d’autre part, qui se traduit par le passage à des responsabilités plus élevées sans changement de la situation statutaire.

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- renforcer la place des stages en administration centrale et dans les collectivités locales, qui seront les principaux débouchés à l’issue de la scolarité dans le cadre de la création d’une grande école du service public.

- revoir l’organisation en alternance entre les périodes de stage et de formation à Strasbourg, qui a un effet dissuasif pour des candidats issus de la promotion interne et ayant charge de famille.

Les outils de la formation doivent également être professionnalisés. Le recours à des conférenciers occasionnels, l’absence de stabilité des formateurs conjugués à l’éloignement de l’Ecole des ministères parisiens ne contribuent pas à la cohérence et à la solidité des enseignements. L’ENA doit évoluer pour :

- renforcer les partenariats pédagogiques : avec les universités et les écoles de commerce et de management du privé. Ces connexions constructives favoriseront une meilleure connaissance mutuelle de l’administration et de l’entreprise et les échanges de bonne pratique.

- fidéliser les formateurs : l’ENA doit faire appel aux meilleurs praticiens de l’administration et leur donner les moyens de s’investir dans leurs tâches de formation. Il faut pour cela décharger les formateurs d’une partie de leur service dans l’administration, soit à travers des autorisations d’absence, soit par le recours à la mise à disposition.

2.4. Professionnaliser le classement La suppression du classement voulue par Nicolas Sarkozy comportait des risques

considérables en termes de rupture d’impartialité, de népotisme et de favoritisme. Elle n’a pas de raison d’être dès lors que les grands corps ne recrutent plus directement à la sortie de l’ENA. Instrument de la méritocratie républicaine, le classement peut devenir un instrument d’affectation aux carrières crédible et légitime à condition de l’adosser à un système d’évaluation plus professionnel et plus complet. Cet objectif sera atteint à travers deux évolutions :

- réviser la place du classement dans les procédures d’affectation : les aspects positifs d’une sélection par entretiens professionnels avec les employeurs sur la base d’un dossier d’aptitude pourraient être conservés, tout en maintenant le principe du choix du poste, in fine, par l’élève, dans l’ordre du classement de sortie.

- accorder le classement avec la mise en place de filières de spécialisation : les affectations dans l’ordre du classement interviendront dans le cadre des filières de formation. En pratique les élèves d’une filière choisiront les postes relevant de leur spécialité (droit, finance, territoires, questions internationale et européennes). Les postes non pourvus dans l’ordre du classement seront ensuite ouverts aux élèves des autres filières.

2.5. Renforcer l’ouverture internationale de l’ENA L’ouverture internationale est inscrite dans les gènes de l’ENA. Outre les élèves français, chaque promotion d’énarques accueille environ 40 % d’étrangers, étudiants ou issus de leur fonction publique nationale. L’ENA dispense par ailleurs à Paris des formations courtes pour les fonctionnaires internationaux. Elle jouit à l’étranger d’un grand prestige et d’une grande réputation qui fait du réseau des anciens élèves étrangers un outil du soft power à la française. Cette mission historique de l’Ecole doit être préservée et, quand il sera possible de dégager les moyens correspondants, amplifiée dans plusieurs directions : - augmenter le nombre d’étrangers bénéficiant des formations de l’ENA et mettre l’accent sur nos nouveaux partenaires stratégiques (grands émergents asiatiques, Russie, Brésil, Inde) ;

- développer des formations à l’attention des personnels des fonctions publiques internationales, notamment des fonctionnaires issus des institutions européennes, dans

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l’objectif de mieux faire connaître notre fonction publique et de faciliter le dialogue avec leurs institutions d’appartenance ;

- dans le cadre du traité de l’Elysée, mettre l’accent sur le partenariat franco-allemand en développant des formations communes aux hauts fonctionnaires de nos deux pays. L’implantation de l’Ecole à Strasbourg a à cet égard valeur de symbole.