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RÉFORMER OU RECENTRER LE SECTEUR PUBLIC : DYNAMIQUES ET PRÉVISIONS François Lacasse E.N.A. | Revue française d'administration publique 2003/1 - no105-106 pages 25 à 37 ISSN 0152-7401 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2003-1-page-25.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Lacasse François, « Réformer ou recentrer le secteur public : dynamiques et prévisions », Revue française d'administration publique, 2003/1 no105-106, p. 25-37. DOI : 10.3917/rfap.105.0025 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour E.N.A.. © E.N.A.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of Chicago - - 128.135.12.127 - 14/05/2013 22h09. © E.N.A. Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of Chicago - - 128.135.12.127 - 14/05/2013 22h09. © E.N.A.

Réformer ou recentrer le secteur public : dynamiques et prévisions

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RÉFORMER OU RECENTRER LE SECTEUR PUBLIC : DYNAMIQUESET PRÉVISIONS François Lacasse E.N.A. | Revue française d'administration publique 2003/1 - no105-106pages 25 à 37

ISSN 0152-7401

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Lacasse François, « Réformer ou recentrer le secteur public : dynamiques et prévisions »,

Revue française d'administration publique, 2003/1 no105-106, p. 25-37. DOI : 10.3917/rfap.105.0025

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RÉFORMER OU RECENTRER LE SECTEUR PUBLIC :DYNAMIQUES ET PRÉVISIONS

François LACASSE

Université de Hull (Québec), Banque mondiale

Au cours des trois dernières décennies, dans les pays de l’OCDE, les plusimportants changements du secteur public ont pris place hors du domaine de prédilectionde la pensée réformiste (de la RCB au nouveau management public) et, plus importantencore, hors des programmes de réformes formellement annoncés et parfois lancés parles gouvernements. Cet article tente d’en expliquer le pourquoi et le comment, et deprédire la suite des événements.

Le terme « secteur public » renvoie ici à l’ensemble des activités contrôléesdirectement par des décisions politiques, quel que soit le niveau de gouvernementimpliqué (national ou régional) ou le mode d’intervention (législation, dépenses, taxes ouactions d’entités « indépendantes » de réglementation économique). La longue traditionde pensée réformiste a privilégié la question de savoir comment gérer le secteur publicpour le rendre plus efficace, efficient, transparent et dynamique. J’utilise ici le terme« réforme interne » pour caractériser les prescriptions et les initiatives visant prioritai-rement de tels objectifs, à périmètre public constant.

Le modèle proposé vient de l’observation, sur une longue période, des élémentscommuns aux changements intervenus (ou tentés) dans le secteur public des pays del’OCDE. Il vise à identifier le scénario de base des changements les plus significatifs, lecas « normal » à partir duquel on pourrait tenter de prévoir les prochains épisodes. Ils’attache d’abord à expliquer les sorts divergents réservés à la réforme interne par rapportaux réductions du périmètre étatique, pour s’élargir ensuite, afin de tirer des enseigne-ments de cas phares (« les exceptions ») correspondant à des transformations profondesdu secteur public effectuées durant cette période.

LA RÉDUCTION DU PÉRIMÈTRE PUBLIC

Les changements les plus importants de cette période, observables même dans lescontextes nationaux les plus favorables à l’État, montrent le rétrécissement du périmètredes décisions politiques en matière économique. Au niveau le plus général, les déficits

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des entreprises publiques constituaient presque partout, il y a 25-30 ans, le problèmenuméro un des finances publiques, de l’Autriche à l’Australie, en passant par le Canadaet la Finlande. Le problème a disparu de l’avant-scène. S’il a encore de beaux restes danscertains pays, il s’agit de situations que tous considèrent comme exceptionnelles ou envoie de disparition dans un avenir proche. En attendant, on allonge la transition vers laconcurrence, on corrige des erreurs de privatisation ou de déréglementation, on sauve uneentreprise vue comme participant à l’honneur de la nation, etc. La stratégie industriellen’ose plus dire son nom, les faveurs aux entreprises sont encadrées par des traités. Laproduction industrielle publique est un souvenir ou le sera bientôt. La réglementationéconomique (prix, niveau de service, investissements, cartellisation) a parallèlementfondu alors que la réglementation des comportements (pollution, conditions de travail,comptes) s’alourdissait. Ne resteront bientôt comme entreprises publiques que celles quile sont au titre de commodités juridiques afin, dans certains pays, de fournir des servicespublics dans des domaines comme les transports urbains, la culture, la radio-télévision,etc.

Ce tassement touche des pans considérables d’activités : la téléphonie et lesindustries de l’information, les transports, les hydrocarbures et bientôt toute l’électricité,une large partie de l’audiovisuel, etc. Voir faillir trois compagnies nationales de transportaérien (même privatisées) la même année (Air Canada, Sabena, Swissair) sans que lesgouvernements en cause n’interviennent (au moins cette fois !), eut été impensable en1980, à peine légitime en 1990. Il en va de même du brutal rétrécissement de la notionséculaire de « monopole naturel » dans les grands réseaux d’utilité publique et de sesimplications très concrètes au sein de l’Europe. En dépit de sursauts nationalistes, lesservices bancaires, les assurances, le conseil, l’ingénierie sont aussi clairement sortis del’aire des décisions politiques.

Ce recul des frontières du régalien est complété, particulièrement en Europe maisaussi au sein de l’ALENA, par les contraintes concurrentielles imposées aux adminis-trations de tout niveau dans leurs dépenses : les méditations sur les politiques d’achatspublics comme instruments de politiques régionales ou industrielles ne perturbent plusque les militaires et n’intéressent plus que les historiens.

Ce tassement de l’aire des décisions politiques s’est fait, pour l’essentiel, hors desprogrammes formels de réforme du secteur public qui ont été continuellement promiset/ou lancés dans tous les pays au cours de ces trois décennies. Et ces changementsdoivent très peu à la pensée sur la gestion publique. Par exemple, pour prendre le casle mieux connu, l’analyse économique des effets pervers de la réglementation écono-mique de secteurs comme les transports routiers ou aériens est née à la fin des années1950 et n’intéressait que les spécialistes d’organisation industrielle. La conjonction avecson ré-examen, dans les années 1960, par les économistes a entraîné la conviction dequelques politiciens américains (jamais les responsbales des organismes de réglemen-tation) dans les années 1970, puis a fait tache d’huile. De même — et j’y reviensci-dessous — les analyses et réflexions qui ont sous-tendu l’ouverture à la concurrencedes réseaux considérés depuis un siècle comme des monopoles naturels ont pris placehors de l’univers des travaux sur la gestion publique, essentiellement à partir de Arrowet de l’approfondissement de la notion de marchés contestables 1.

1. Baunol (W.), Panzar (J.) et Willie (R.), Contestable Markets and Theory of Industry Structure, NewYork, Harcourt Breace Jovanovich, 1982 ; Spence (M.), « Contestable Markets and the Theory of IndustryStructure : A Review Article », Journal of Economic Literature, no 21, 1983, p. 981-990.

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LES RÉFORMES INTERNES ... INSAISISSABLES

Si les changements du périmètre étatique ont indiscutablement été plus importantsque ceux de la gestion interne des secteurs publics, cette constatation doit être nuancéepour tenir compte de deux facteurs : d’une part, les biais d’information, d’autre part, dansdes cas exceptionnels mais importants, les initiatives gouvernementales visant simulta-nément à réduire le périmètre et à transformer la gestion.

Côté information, si le recul du périmètre étatique est palpable, dans les faits et dansles esprits, comme cela a été dit, il n’en va pas de même des réformes internes que l’onjauge généralement à l’aune d’un agenda réformiste évolutif. En effet, la réalisationd’objectifs d’efficacité, d’efficience, de transparence et de dynamisme implique desmesures autrement complexes et ambitieuses que la simple observation du périmètrepublic. Et que dire de l’un des objectifs de la lointaine rationalisation des choixbudgétaires (RCB) mais qui fait toujours recette dans certaines organisations internatio-nales : améliorer la qualité des décision publiques ?

Pire : même au niveau le plus modeste de l’efficience, il n’existe aucune mesure dela productivité comparée des secteurs publics sur la période 1970-2003, ni d’ailleursd’analyses historiques et comparatives sur les modes de fonctionnement internes, lesrelations aux clients/administrés/assujettis et leurs évolutions durant cette période. Enrevanche, des milliers de textes ont été publiés qui décrivent les changements apportésà tel ou tel service, organisation, organigramme, règlement ou texte législatif.

Leur fréquentation laisse perplexe : toutes ces victoires (certaines remportéesplusieurs fois, à des années de distance et dans le même pays !) indiquent destransformations radicales mais ne renseignent pas sur leur durée. La plupart de ces étudestraitent de structures et présument les changements de comportements. Les révolutionsculturelles sont décrites avant, jamais après. Les quelques études quantitatives concer-nent des tâches très limitées (transferts de fonds et gestion des encaisses, recensement,banque de données, etc.) où l’application même modeste des progrès techniques sembleexpliquer presque tout. Agréger ces victoires s’avère impossible et l’immense noyau durdes textes législatifs et des pratiques bureaucratiques fait l’objet d’écrits soulignant leurétonnante stabilité. Et même si les défaites (de type « évaporation progressive ») denombreux grands plans de réforme sont peu analysées — le devoir de réserve sans doute— elles sont bien connues 2.

Bref, concernant la transformation de la gestion interne, on peut, si l’on estfoncièrement optimiste, se contenter du vieux verdict écossais « Not proven » et, si onl’est moins, admettre que, même au regard de l’agenda réformiste le plus consensuel, leschangements ont été dispersés, inégaux et finalement très limités 3.

La seconde difficulté à comparer réformes internes et réductions du périmètre durantcette période vient du mélange des genres dans des cas phares de transformation dusecteur public. Comme j’y reviendrai, notamment au Royaume-Uni sous Margaret

2. La RFAP avait ouvert une réflexion sur ce thème dans son n° 87, Les réformes qui échouent (NDLR).3. Certes, les améliorations d’une foule de services sont souvent trop humbles pour avoir mérité

beaucoup d’attention. Par exemple, au Canada, personne ne s’est donné la peine d’analyser le fait qu’il y a unegénération, renouveler annuellement l’immatriculation de sa voiture impliquait une queue de quelque heures,les pieds dans la neige, le paiement obligatoire en espèces après avoir rempli de longs formulaires sous l’œilde fonctionnaires aussi accueillants que les bagnards qui fabriquaient les plaques. De même, dans plusieurspays, des semaines d’attentes et des caisses de feuilles de paye ne sont plus nécessaires à la liquidation d’uneretraite.

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Thatcher ou en Nouvelle-Zélande dans les années 1988-1996, la transformation desmodes de fonctionnement des administrations a été étroitement — et explicitement —associée à des réductions majeures des interventions publiques. La privatisation s’estconjuguée avec la déréglementation, la réduction des subventions à l’industrie et àl’agriculture, ainsi que la compression des effectifs dans la fonction publique, ceci mêmeau sein des programmes conservés. Or, tailler à la hache dans des effectifs jugéspléthoriques était aussi alors considéré comme une façon brutale d’augmenter l’effi-cience, l’efficacité et le dynamisme des organisations. On retrouve ce mélange des genresdans d’autres programmes de réformes qui ne se sont pas rapidement enlisés dans lessables notamment en Australie, au Canada fédéral, en Ontario, au Danemark, auxÉtats-Unis.

Ainsi, la dominance des réductions du périmètre est peut-être moins absolue qu’iln’y paraît au premier abord. Néanmoins, pour l’instant, elle paraît évidente. La suite del’article tente de l’expliquer sans avoir recours aux clichés sur la fatalité de lamondialisation ou sur une introuvable ferveur libérale dans les pays de l’OCDE.

UN MODÈLE EXPLICATIF

Les gouvernements démocratiques des pays de l’OCDE sont essentiellementréactifs, fortement encadrés et contraints par les politiques et engagements passés,prioritairement intéressés à être réélus, porteurs de convictions idéologiques ou partisa-nes aussi fortes en termes rhétoriques qu’adaptables dans l’action. Ils font face à unélectorat modérément utilitariste où les consensus évoluent lentement. Ce qui est perçucomme des erreurs ou des errements est plus sévèrement sanctionné que ne sontrécompensés les hauts faits et ce n’est finalement qu’une minorité d’électeurs sansattaches partisanes ni passion pour la chose publique qui pèse sur le sort des urnes.

Pourquoi et comment a-t-on privilégié le rétrécissement du périmètre de l’actionpolitique, du domaine en apparence porteur de tant de faveurs à distribuer et de tantd’occasions de mettre en valeur l’action toujours décisive du gouvernement en place ?

Une dynamique simple de réduction du périmètre

Pour expliquer cette action, je fais appel à trois types de phénomènes auxquels ellerépond : les priorités de l’électorat, les conditions techniques de mise en œuvre despolitiques — en particulier celles reçues en héritage et devenues consensuelles —, lesapprentissages des élus et des électeurs quant à l’utilité de divers instruments.

Il va de soi que les priorités des électorats sont confuses, probablement contradic-toires et non transitives. Il n’en reste pas moins quelques éléments fondamentaux dont laméconnaissance comporte des risques électoraux élevés : la stagnation économique, lechômage et l’inflation sont parmi les plus importants. Ils ont conduit à un réexamen desinstruments d’intervention qui avaient jusqu’alors joui d’une grande réputation. Le cas leplus patent est évidemment la politique industrielle et les entreprises publiques qui furentles fers de lance de l’accélération promise de la croissance. Avec les années de vachesmaigres, les déficits permanents, les renflouages à répétition, les grands instruments

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d’hier sont devenus des fardeaux politiques. Les différences de perception des électoratssemblent n’avoir influé que sur la vitesse relative du rétrécissement, pas sur la directiondu mouvement.

En outre, les entreprises nationales — et l’entrepreneurship d’État en général — ontdémontré à satiété deux fâcheuses caractéristiques en sus de leur soif permanente dedotations et de dérogations : d’une part, leur obéissance asymétrique au pouvoirpolitique, d’autre part leur opacité et leur capacité à générer des surprises.

Le premier phénomène est bien connu : l’autonomie théorique conférée auxentreprises publiques joue effectivement vis-à-vis des politiques, mais seulement quandles firmes en question sont rentables de façon stable. Le deuxième est l’opacité desentreprises publiques. Celle-ci découle du fait que leurs activités sont incompatibles avecle mode usuel de contrôle de la bureaucratie gouvernementale, notamment sur le plantechnique et financier. De surcroît, les gouvernements ne mobilisent jamais les ressourcesnécessaires à un suivi serré. Dans la période qui nous concerne, les « surprises » venuesde cette opacité ont fermement ancré le soupçon et le cynisme des budgétaires quant auxcomptes et prévisions de ces entités, mais aussi l’irritation des politiques à devoir gérerdes problèmes à l’aveugle et en subir le coût politique (« les errements »). Les politiquesen ont fait le lent apprentissage, voyant dans ces instruments non plus des moyensd’action positive mais des structures incontrôlées sources d’ennuis (pertes, malversa-tions, grèves, etc.).

En somme, le recul des entreprises publiques hors situation monopolistiquetraditionnelle vient de phénomènes assez simples : les pressions budgétaires et fiscalesissues du ralentissement de la croissance ; les déceptions et déboires politiques etéconomiques de cette forme d’organisation ; la perte de crédibilité tant des politiquesindustrielles que des modèles étatiques étrangers. Dans les grandes entreprises, quandune filiale s’avère un nid à problèmes, on la neutralise puis on s’en débarrasse. Dans lesecteur public, on tente de couper le cordon budgétaire, d’assainir et de vendre ; c’estplus long mais ce n’est pas très différent.

Le cas de la déréglementation et de la mise en situation concurrentielle des réseauxjadis considérés comme des monopoles naturels est plus complexe et ressortit d’unedynamique où jouent pleinement les contraintes techniques de mise en œuvre d’enga-gements politiques lourds. Le cas le plus clair dans le domaine est celui de l’Europe. Pourréaliser un espace économique unique, seule la construction d’un marché libre d’inter-ventions micro-économiques en faveur de nationaux offrait un ensemble de règlescohérentes et transparentes. L’harmonisation des politiques et pratiques en matière detransport ou d’énergie eut été impossible d’abord par sa complexité byzantine, ensuitepar son incapacité à réaliser l’objectif visé à partir de barèmes lisibles 4.

En somme, les gouvernements évoqués ici ont, sur le mode progressif — deux pasen avant, un pas en arrière — pris des mesures dont on apprécie aujourd’hui l’importancecumulée. Et ce, non pas dans une quelconque frénésie libérale mais parce quel’instrument délesté était problématique et superflu ; et surtout, parce que d’autres

4. Bien entendu, ce changement a été favorisé par d’autres apports. Mentionnons seulement les progrèsréalisés dans la foulée des idées de Arrow sur les marchés contestables et la meilleure définition des élémentsqui constituaient, au sein des entreprises impliquées, les vrais (petits) noyaux durs monopolistiques. Lesexpériences américaines de dérégulation du transport et des télécommunications sont essentiellement issues,quant à elles, du discrédit des sociétés aériennes quant à leur performance et de la conviction, graduellementacquise au cours des 20 années précédentes, que la réglementation, de facto, ne faisait que protéger lesincompétents, retarder le progrès technologique et augmenter les prix.

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engagements et intérêts politiques plus importants étaient en jeu et que les contraintestechniques poussaient à mettre en œuvre des politiques vues comme prioritaires pour lacroissance. Ainsi l’intégration européenne constituait un objectif prioritaire pour lespolitiques et les électorats non seulement en raison de sa charge symbolique mais aussi,plus humblement, parce qu’il semblait essentiel à la poursuite de la croissance. Ce sontdes raisons comparables qui ont poussé le Mexique et le Canada vers l’ALENA, alorsque les électorats étaient réservés sur ce sujet particulier et les oppositions syndicales etcatégorielles puissantes.

Le sort des réformes internes promises et parfois lancées

Avec le recul, la réduction du périmètre du politique s’explique assez aisément. Lesactions et inactions en matière de réforme interne sont plus complexes. Trois questionss’imposent : pourquoi les gouvernements se sont-ils entêtés à promettre la réforme dusecteur public (transparence, efficacité/efficience, dynamisme, etc.) et, une fois élus, àinitier souvent des actions en ce sens alors qu’ils en apprenaient très vite les risques,coûts politiques et les faibles rendements aussi bien que l’improbabilité de la réussite ?En complément, comment s’explique le sort finalement piteux de la majorité de cestentatives ?

Il est facile de répondre à la première question. Promettre d’augmenter l’efficacitéet l’efficience revient à dire que l’on trouvera des ressources nouvelles sans léser qui quece soit. Une hausse de productivité, par définition indolore, évite d’augmenter lesprélèvements ou de creuser le déficit. De meilleurs services au plus près des besoins etgratuits de surcroît, une transparence parfaite sont les éléments essentiels de lapropagande électorale.

Une fois élu, pourquoi s’embarquer dans cette galère et lancer des plans de réformesinternes ? Tous savent que la tâche sera longue, difficile et risquée et que les avantagestangibles pour l’électorat seront dispersés, lents à se manifester ou très rapidementconsidérés comme allant de soi et générant de ce fait peu de reconnaissance monnayableaux prochaines élections, d’autant que ce type de réformes n’est guère susceptible desoulever l’enthousiasme populaire.

La réponse à la deuxième question réside à parts égales dans le« comment/combien » des plans de réformes internes et dans le caractère instrumental deces initiatives.

L’aspect instrumental rejoint les promesses électorales : on cherche effectivementquelques ressources additionnelles accessibles gratuitement ou presque 5. Des stratégiesidentiques ont été utilisées presque partout. Il est évidemment difficile de souleverl’enthousiasme des fonctionnaires pour une réforme qui consiste à trouver à leurs dépensdes ressources pour d’autres fins. Au mieux, une hausse de productivité implique de leurpart des investissements dans le changement.

La réforme du secteur public comme instrument d’économies budgétaires concur-rence d’autres instruments tout aussi canoniques et souvent d’utilisation plus aisée : parexemple, les reports d’entretien ou d’investissements, ou bien la baisse effective de la

5. Un exemple presque naïf est celui d’un gouvernement scandinave d’il y a 15 ans qui a fait semblantde croire aux promesses des vendeurs de systèmes informatiques et ajusté les dotations budgétaires comme sila productivité augmentait effectivement de 1,5 % l’an pour les 3-4 années suivant le déploiement des systèmes.

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quantité et qualité des services offerts. Comme la comptabilité patrimoniale publiquen’est pas encore entrée dans les mœurs, l’impact de ces reports est quasi indétectable parl’électorat, au moins dans un premier temps. De même, l’absence de mesures deproductivité empêche de distinguer clairement un gain de productivité d’une réductiondu service rendu.

Dans cet environnement, les réformes du secteur public se perdent dans les sablesau bout de quelques années. Par exemple, les non-remplacements des partants se diluentdans les exceptions (enseignants, infirmières, policiers, informaticiens, etc.) toutesévidemment justifiées. L’allocation centralisée des postes à pourvoir devient plus difficileà gérer à mesure que le temps passe ; certains l’abandonnent purement et simplement ;d’autres la réduisent à une étape de plus dans la longue routine des embauches.

Ce sort si fréquent des réformes internes est connu des décideurs qui les lancent ; enoutre, ils en minimisent les risques. Si les ressources engagées sont fort limitées, lesprogrammes de réforme prévoient rarement des indicateurs chiffrés de succès, encoremoins des validations autres que ponctuelles des usagers ou des rapports permettant d’enmesurer les progrès de manière systématique. Nul besoin d’admettre une défaite dans cesconditions et une victoire peut être proclamée a posteriori à partir d’éléments choisis parles décideurs.

Somme toute, la majorité des réformes internes lancées constituent des instrumentstrès modestes, difficiles à utiliser par rapport à une foule d’autres moyens susceptibles demontrer à l’électeur la compétence du gouvernement, ou de dégager des ressources. Dece point de vue, le manque d’intérêt des électeurs imposerait aux gouvernements deconsacrer des ressources politiques importantes à publiciser leur action dans ce domaine,aux dépens d’initiatives beaucoup mieux en prise sur les urgences et crises du moment.Il n’est donc pas étonnant que la discrétion règne, une fois le démarrage annoncé.

Les ambiguïtés de l’agenda réformiste face aux intérêts des acteurs

Les raisons avancées ci-dessus pour expliquer le caractère très limité tant des effortsque des résultats des réformes internes sont confinées aux motivations gouvernementalesdéterminant le choix des instruments. Un autre facteur mérite l’attention : le fait que lafacilité du consensus sur les grands objectifs de la réforme interne masque des conflitsentre ces objectifs et les intérêts des décideurs.

L’efficience ne semble pas poser de problème, à moins que son augmentation ne setraduise par l’essor de l’inactivité de certains salariés. Dans les pays où la protection del’emploi joue un rôle important dans la détermination des effectifs de la fonctionpublique, cette question n’est pas académique.

Le dynamisme, les initiatives novatrices attendues de l’autonomie managériale etl’amélioration de l’économie et des services, en concertation avec les clients, sont partieintégrante du fonds de commerce réformiste. Deux facteurs mal étudiés en réduisentl’attrait réel pour les décideurs. D’abord les rivalités entre élus et fonctionnaires existentpartout, exacerbées ou amenuisées selon les arrangements institutionnels. La brillanteréussite d’une initiative dont les élus ne pourraient tirer gloire est un scénarioimprobable. Les fonctionnaires américains, soumis aux contrôles tatillons des législa-teurs de tout niveau, le savent bien. En outre, le phénomène de capture a été suffisammentanalysé pour que son éventualité ne soit pas négligée, ne serait-ce que par le politique qui

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essuiera les plâtres si la mince frontière entre capture et corruption est franchie. Enfin,dans bon nombre de cas, la notion apparemment simple de « client » laisse songeur 6.

Mais c’est sur le plan de la transparence et de l’efficacité que les intérêts desdécideurs de réformes peuvent le plus directement être mis en cause. Depuis la RCB quiposait que tous les choix — gagnants et perdants — devaient être clairement identifiés,la transparence est devenue un objectif qu’il est inutile de justifier. En filigrane, on trouvesans doute les notions de bonne démocratie, de votes éclairés des citoyens. Confrontéesà des contextes différents, des organisations internationales comme la Banque mondialeet le Fond monétaire ont avancé — et même tenté d’établir statistiquement — que latransparence en matière de budget et de performance du secteur public constituait unecondition essentielle à la croissance des économies et à la bonne intégration des secteurspublics et privés.

S’opposer par écrit à la transparence fait trop mauvais genre pour qu’un responsables’y risque. Une anecdote illustre un premier type de réserves. Un politicien de mes amis,pourtant technocrate jusqu’au bout des ongles, me disait un jour : « Définir en public lapremière priorité, c’est facile ; la deuxième pose problème ; la troisième c’est l’enfer ».Cela montre le poids du gouvernement comme arbitre entre des réclamations inconci-liables. Dans cet univers proche de celui de la théorie des choix publics, l’obscurité aideà gouverner, bien ou mal c’est selon. Si tous les perdants et gagnants des traités de Romeou de l’ALENA avaient été portés à la connaissance du public, il est probable qu’onparlerait encore aujourd’hui de « projets de traité ».

De façon plus terre à terre, on peut se demander qui va lire et utiliser les résultatsdes évaluations et mesures de performance. Pour les médias et l’opposition, les scandaleset les impérities sont les seules choses intéressantes. Ce n’est pas l’effet du hasard si desinstitutions comme le General Accounting Offıce (GAO) et le Congressional BudgetOffıce (CBO) n’ont pas d’équivalent en termes de moyens et d’influence ; les Américainsne sont pas plus vertueux que d’autres mais c’est le seul pays où la rivalité entrel’exécutif et le législatif ne peut pas constitutionnellement aboutir à une victoirecomplète du premier. Bref, même les plus vertueux des gouvernements démocratiquespréfèrent contrôler étroitement l’information sur leurs actions.

Dans l’univers bureaucratique, les gestionnaires même les plus ouverts connaissentla fragilité d’indicateurs le plus souvent en devenir. Les adopter, les assumer ne relèvepas de l’évidence, même si la récompense promise est de pouvoir gérer en fonction derésultats, libéré d’une partie d’un fardeau réglementaire qui — on l’oublie souvent —protège aussi contre blâmes et sanctions.

Finalement, les ambiguïtés de la recherche d’efficacité ont été, elles, démontrées àsatiété dans le long périple de l’évaluation des politiques qui couvre toute cette période.Je ne retiens ici qu’un aspect de cette aventure : les difficultés universelles rencontréesdans la définition des objectifs à partir desquels on voulait mesurer l’efficacité desmoyens mis en œuvre et, le cas échéant, examiner des solutions de rechange. Dansl’écrasante majorité des cas, des aides aux producteurs de poulets, à l’assurance-chômage, en passant par le développement régional, les évaluateurs se sont retrouvésface à des objectifs multiples et souvent peu compatibles. Peu importe que ces objectifsaient été déduits des textes ou des pratiques. L’exemple classique est l’aide aux

6. Qui sont les clients que doit « rendre heureux » une agence des douanes ou des impôts ? Lescommerçants, les contribuables, les contrebandiers, le ministre des finances ? Et que dire de l’agence desservices pénitentiaires ?

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producteurs agricoles ostensiblement destinée à assurer la survie de la ferme familialealors que la structure du programme oriente l’essentiel des subventions vers les grandesexploitations.

Il est impossible de croire à des accidents en la matière : les politiques et leurs misesen œuvre sont des compromis où pèsent lourdement les impératifs de distribution ; c’estencore plus vrai des moyens qui servent directement à redistribuer. Toute notion simpled’efficacité « technique », de moyens dirigés vers des fins limpides, mettrait au grandjour des accommodements politiques qu’on préfère discrets, et rendrait plus difficilel’obtention des compromis qui sont le pain quotidien de l’action publique.

Au total, concurrencées par d’autres politiques destinées à dégager des ressourceset, en raison de leurs ambiguïtés, les réformes internes sont demeurées presque toujoursde faible envergure et de peu d’effets visibles.

QUELQUES EXCEPTIONS

Quelques transformations majeures du secteur public ont pris place, qu’il faut bienconsidérer hors modèle, du moins en partie. Les pays phares bien connus sont laNouvelle-Zélande des années 1988-1996 et le Royaume-Uni de Mme Thatcher. D’autrestentatives musclées sont moins connues mais présentent des caractéristiques similairesallant au-delà d’une suite d’ajustements à la marge, sévèrement encadrés par descontraintes techniques, des accords internationaux et des priorités politiques inchangées :certaines provinces canadiennes, en particulier l’Ontario de 1995 à 2000, l’Australie desannées 1990.

Quelles sont les traits communs de ces exceptions ? Dans quelle mesure et commentéchappent-elles à l’évolution générale et offrent-elles des indications particulières pourl’avenir ?

Une première caractéristique commune des exceptions est de survenir en contextede crise, jugée comme telle par une majorité de l’électorat. Cette crise n’est pas confinéeau secteur public, elle est présentée et vécue comme une situation dramatique beaucoupplus large : en Nouvelle-Zélande, la détérioration des comptes extérieurs faisait craindredes pénuries de carburants et de pièces ; en Angleterre le sentiment de décadence, d’unedérive prolongée et d’une dilution de l’État était omniprésent ; en Ontario, la dérivefiscale et la forte croissance des populations assistées inquiétaient, de même que lesentiment que le gouvernement précédent (de gauche) était allé trop loin et avait franchiles bornes du consensus.

Chaque pays constitue un cas unique. Mais, dans tous les cas, la transformation dusecteur public qui survient est réactive et présentée comme la correction d’un cap qui, s’ilétait tenu plus longtemps, conduirait au désastre. Par exemple, la Nouvelle-Zélande aconnu une réaction contre ce qui était certainement à l’époque l’économie la plusadministrée des pays de l’OCDE. Certes, on retrouve la transformation du secteur public,comme un instrument, au même titre que dans les autres pays ; la différence ici vientd’abord de l’ampleur de la crise ressentie. C’est elle qui, au premier chef, entraîne laradicalité des moyens de sortie de crise, la transformation du secteur public.

On a fait grand cas, de tous bords, du rôle des convictions idéologiques desdécideurs. Avec le recul, il me semble beaucoup plus modeste qu’on ne l’a cru à

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l’époque. Un test simple permet d’étayer cette proposition : si l’idéologie primait, lespolitiques seraient prêts à subir des coûts et à courir de grands risques politiques pourrester purs. À cette aune, seul le suicide politique de Mme Thatcher marque la période.Dans toutes les autres situations d’exception, des infléchissements ont été opérés lorsquel’opinion a manifesté son désir de ralentir les transformations en cours.

La façon de formuler les objectifs de transformation du secteur public et lesstructures, incitations, modus operandi qui en ont résulté servent souvent d’indicateursd’un moule idéologique. Privatisations, reculs du périmètre étatique, licenciements defonctionnaires indiqueraient que des croisés du libéralisme se sont emparés d’une crisepour imposer un train de mesures déjà prêtes à l’emploi. Ce scénario est substantielle-ment moins plausible que celui, banal, d’un retour de balancier vigoureux dans dessituations de crise survenues au terme d’une expansion longue et vigoureuse de l’ère dupolitique, et après moult réformes tentées sans succès au sein de la logique et desarrangements antérieurs. Par exemple, l’aspect peut-être le plus exemplaire des trans-formations néo-zélandaises fut justement l’absence de « grand plan » à l’origine. Aucontraire, on a vu ce gouvernement forger les réformes au fur et à mesure, une fois ladécision prise d’effectuer des transformations majeures. Enfin, il est à souligner que lesgouvernements en cause dans ces situations d’exception ont tous survécu au moins pourun second mandat, et ce avec des électorats qui n’ont pas massivement manifesté leurconversion idéologique.

Ces exceptions présentent trois traits communs quant à la nature des changementset à la manière de les effectuer.

La réforme interne et la réduction du périmètre du politique sont allés si étroitementde pair qu’il est parfois difficile de distinguer l’une de l’autre. La réduction du périmètrea comporté une importante compression des effectifs publics, y compris dans les activitésconservées dans le secteur public. Les licenciements de fonctionnaires — totalementexceptionnels dans tous ces pays — ont tous été justifiés par la nécessité d’un partageéquitable des coûts de sortie de crise, parallèlement à la réduction des faveurs accordéesà certains groupes habituellement protégés comme les assistés, les pensionnés et lesagriculteurs. Enfin, les méthodes et structures nouvelles introduites dans la gestionpublique s’inspiraient toutes de pratiques des grandes organisations commerciales.Celles-ci insistaient sur la responsabilisation individuelle des gestionnaires quant àl’utilisation des ressources mises à leur disposition. En réaction toujours, la part belleétait faite aux indicateurs chiffrés, à des récompenses et à des sanctions clairementdéfinies et effectivement livrées.

Les enseignements pour l’avenir à tirer de ces exceptions ne sont guère encoura-geants pour ce qui est de la mise en œuvre de l’agenda réformiste traditionnel. En effet,la crise semble nécessaire (non suffisante) et elle entraîne une précipitation qui impliquedes moyens essentiellement coercitifs ; la poursuite simultanée de la réforme et de laréduction du périmètre entraînent une domination de la seconde sur la première et,probablement, pas mal d’erreurs de conception tout comme des doutes quant à lapérennité des changements organisationnels.

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SPÉCULATIONS SUR L’AVENIR

Que peut-on imaginer pour l’avenir à partir d’un modèle très simple et desexceptions rencontrées au cours des dernière décennies ?

En matière de périmètre économique du politique, il n’y a pas de raisons desupposer que la tendance lourde identifiée plus haut va s’interrompre. Elle ne dépend quemarginalement des oscillations gauche-droite en termes de résultats électoraux, et n’aque très exceptionnellement exigé un vrai programme libéral de gouvernement. Ses vraismoteurs ont été — et demeurent — des adaptations opportunistes de l’action publique àdes circonstances comme la baisse de croissance, combinée à des engagementsprioritaires et dominants (tels que l’intégration européenne) et à des déconvenues quantà l’utilité de certains instruments de politique économique (tels que les championsnationaux ou les entreprises publiques).

Est-ce à dire que la marche de l’histoire nous conduit vers l’État minimal ? Poursouscrire à une telle affirmation, il faudrait oublier que — sans exception cette fois — laportion du PIB passant par l’État ne s’est nulle part amenuisée autrement quemarginalement. Cela signifie que, dans un univers de convictions molles et adaptablesaux vents électoraux, les prévisions reposent sur les caractéristiques présentes desactivités publiques se situant à la frontière, sur un recentrage beaucoup plus que sur unediminution importante de la taille du secteur.

Pour ce qui est des monopoles d’utilité publique et des quelques entreprisesmanufacturières qui restent, la tendance au recul du secteur public se poursuivradifféremment selon les pays. Le caractère sacré de la gestion publique de l’eau au Canadareste un mystère de l’inconscient collectif dont on ne peut guère prévoir s’il se modifieraun jour. Chaque pays a des fixations de ce genre. Seule possibilité que la tendances’interrompe pour plusieurs années : quelques erreurs catastrophiques (du type Enron etcrise californienne en électricité) qui supprimeraient le tabou.

À gouvernements et circonstances banals (c’est-à-dire hors situation décrite commed’exception), la tendance se poursuivra jusqu’à épuisement du gisement exploité aucours des dernières décennies. Le scénario inverse de retour pur et simple au modèleancien semble aussi improbable que le rétablissement des soviets, compte tenu de laprofondeur et la durée des intégrations économiques internationales et institutionnelles,de la pression des dépenses de santé et de transferts qui dépendent mécaniquement duvieillissement d’une population déjà née.

Il est plus intéressant de se demander si la poursuite de la tendance va conduireà un recul du périmètre du politique dans des secteurs jusqu’ici virtuellement in-touchés comme l’éducation, la santé, la sécurité. En dehors des discours, ces do-maines ne sont pas plus candidats au délestage aujourd’hui que ne l’étaient lesgrands réseaux d’utilité publique il y a 20 ans et les industries « économiquementstratégiques » il y a 30 ans.

Dans le domaine de la santé — le cauchemar permanent des ministres des financespour encore longtemps — on continuera probablement partout à rogner à la marge sur lesremboursements, à se servir du privé et du paiement direct des soins par les patientscomme d’une ressource d’appoint. Une évacuation au bénéfice du privé semble exclue

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au vu de trois éléments : la farouche résistance des électorats à une privatisationd’envergure, le contre-exemple américain 7 et l’évolution démographique.

En matière de sécurité, la fenêtre d’opportunité s’est pour l’instant refermée. Il y adix ans, les prisons et polices privées étaient à la mode — au moins chez les apôtres del’État minimal. Le 11 septembre, les succès nord-américains en matière de baisse de lacriminalité et le succès mitigé des prisons privées (coûts plus élevés que prévus, difficultéd’intégration avec le reste du système, évasions, etc.) ont rogné les ailes de ce belenthousiasme. Comme dans le secteur de la santé, quelques ressources d’appointviendront du privé, sans plus.

Reste l’éducation. L’idée fondatrice de la privatisation de sa gestion combinée avecl’assurance d’accès aux services pour tous les citoyens date maintenant de 60 ans(Friedman et les « vouchers »). Des forêts entières ont été abattues pour imprimer lesécrits sur le sujet. Et, mis à part quelques tentatives d’envergure dans de petits paysd’Europe centrale, on en est encore — dans l’enseignement élémentaire et secondaire —à des « expériences », des projets « exploratoires », des tentatives pour « faire commesi » (Royaume-Uni). Il est difficile de dire aujourd’hui si cette évolution à un rythmed’escargot constitue un hommage aux talents de lobbying des producteurs ou untémoignage du caractère insoluble de problèmes liés à ce système d’éducation. En outre,il existe un rempart fort efficace dans ce secteur : il n’est pas évident que des voucherscoûteraient moins cher que les arrangements actuels. Pour que ce domaine devienne unenjeu de délestage, il faudra sans doute attendre qu’un pays en crise trouve là uneoccasion d’action audacieuse, selon des modalités encore à imaginer mais qui feraientsans doute largement appel aux nouvelles technologies de l’information. Bref, le secteurest trop important pour ne pas être tentant, mais l’expérience nous dit qu’on n’a pasencore trouvé le moyen de s’y attaquer.

Tout juste peut-on signaler que de nombreux pays ont laissé de plus en plus demarges de manœuvre à leurs universités et ont transféré une part croissante de leurs coûtssur les frais de scolarité, réduisant de ce fait la distance entre institutions privées etpubliques. C’est un gisement intéressant mais de taille modérée dont l’exploitationbénéficiera aussi du succès des nouvelles formules d’obtention des diplômes profession-nels ou de troisième cycle qui ont conquis le marché des cadres au cours des dernièresannées.

Au total il semble bien que les grands secteurs budgétivores n’offrent pas pourl’instant aux gouvernements les possibilités de délestage qu’ont fourni au cours desdernières décennies les entreprises publiques commerciales puis les réseaux d’utilitépublique, privatisés ou rentabilisés. Et pourtant, même en continuant de redresser la barreentre revenus des actifs et des retraités comme on le fait par à-coups depuis 20 ans dansles pays de l’OCDE, les gouvernements vont continuer de faire face à des dépensescroissantes et difficilement compressibles du seul fait de la démographie et des dettesaccumulées.

7. Le gouvernement s’y retrouve dans la pire des situations : l’explosion des dépenses de santé se traduitpar de gigantesques prélèvements du fait des assurances privées et des entreprises ; une partie importante del’explosion des coûts vient des évolutions des prix des services sur lesquels le gouvernement n’a virtuellementaucune influence puisqu’il ne gère rien ; le fait de déléguer le rationnement des soins à des entreprises posemaintenant tant de problèmes politiques et administratifs que la survie même de ces formes d’organisation esten jeu.

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Deux soupapes possibles : la protection sociale et la fonction publique

Même si les écrits réformistes en traitent rarement, les réductions d’effectifs publicsoffrent une cible tentante, au prétexte de soumettre le secteur aux exigences deproductivité, de contrôle de performance et d’innovation du privé. Avec en plus unesolide marge de zone grise quant à la qualité et à la quantité de services rendus par desmonopoles effectifs. En effet, comme on l’a montré plus haut, il est difficile actuellementde distinguer les hausses de productivité des baisses de services dans la plupart des cas,au moins pour plusieurs années.

Virtuellement tous les secteurs abandonnés par l’État (privatisation, rentabilisationou déréglementation et mise en concurrence) ont connu des baisses substantiellesd’effectifs et, souvent, de rémunération. Nulle part les syndicats ne s’y sont trompés ens’opposant à ces changements, en défendant des rentes historiques.

Un peu paradoxalement, le modèle simple utilisé jusqu’ici pour expliquer commentet pourquoi les vrais changements dans le secteur public sont intervenus beaucoup pluspar la réduction du périmètre étatique que par la réforme du secteur public classiqueconduit à prédire que la seconde pourrait bien se réaliser un jour mais comme instrumentde la première à l’occasion d’une crise grave perçue comme telle.

L’autre gisement de délestage possible se situe dans les transferts. Les gouverne-ments s’y sont déjà attaqués, un peu partout, en réduisant les retraites et en tentant desubstituer l’épargne privée à la garantie politique. Dans la plupart des cas, les ajustementsn’ont pas été draconiens. L’inconvénient de cet instrument est qu’il est très lent, sauf sion se livre à l’exercice compliqué et risqué du passage au privé de rentes accumuléescomme publiques, à la britannique ou à la chilienne.

Ce n’est plus un sujet tabou. Les affrontements politiques entraînés par ces mesuresont été finalement assez faibles. Dans une perspective d’ajustements à la marge, on peutprévoir qu’ils vont continuer.

*

* *

En conclusion, et avec toute la modestie qui sied à des prévisions dans pareildomaine, il semble plausible d’attendre une poursuite de la réduction du périmètre dusecteur public dans les domaines déjà largement évacués, une réduction graduelle decertains transferts et la continuation (ou le démarrage dans certains pays) des réductionsdes soutiens à l’enseignement universitaire. Une crise est impossible à prévoir quant aumoment de son occurrence car elle doit aussi exister dans les esprits sous forme de rejetd’arrangements existants et de disponibilité à des changements brusques et significatifs.Il semble bien toutefois que seule une telle crise mettrait simultanément en ligne de mireles effectifs publics, la façon de fonctionner du secteur public et le caractère public del’éducation.

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