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COUR SUPRÊME DU CANADA RÉFÉRENCE : Renvoi relatif à la réforme du Sénat, 2014 CSC 32 DATE : 20140425 DOSSIER : 35203 DANS L’AFFAIRE D’UN renvoi par le Gouverneur en conseil au sujet de la réforme du Sénat, institué aux termes du décret C.P. 2013-70 en date du 1 er février 2013 TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE CORAM : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner MOTIFS DE JUGEMENT : (par. 1 à 112) La Cour NOTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.

Renvoi relatif à la réforme du Sénat

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25 avril 2014

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  • COUR SUPRME DU CANADA

    RFRENCE : Renvoi relatif la rforme du Snat, 2014 CSC 32 DATE : 20140425 DOSSIER : 35203

    DANS LAFFAIRE DUN renvoi par le Gouverneur en conseil au sujet de

    la rforme du Snat, institu aux termes du dcret C.P. 2013-70

    en date du 1er fvrier 2013

    TRADUCTION FRANAISE OFFICIELLE

    CORAM : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein,

    Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner

    MOTIFS DE JUGEMENT :

    (par. 1 112) La Cour

    NOTE : Ce document fera lobjet de retouches de forme avant la parution de sa version dfinitive dans le Recueil des arrts de la Cour suprme du Canada.

  • RENVOI RELATIF LA RFORME DU SNAT

    DANS LAFFAIRE DUN renvoi par le Gouverneur en conseil au sujet de la rforme du Snat, institu aux termes du dcret C.P. 2013-70 en date du 1er

    fvrier 2013

    Rpertori : Renvoi relatif la rforme du Snat

    2014 CSC 32

    No du greffe : 35203.

    2013 : 12, 13, 14 novembre; 2014 : 25 avril.

    Prsents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.

    RENVOI PAR LE GOUVERNEUR EN CONSEIL

    Droit constitutionnel Institutions canadiennes Snat

    Modification constitutionnelle Le Parlement peut-il unilatralement prvoir des

    mandats dune dure fixe pour les snateurs? Le Parlement peut-il unilatralement

    instaurer un rgime dlections consultatives en vue de nommer les snateurs? Le

    Parlement peut-il abroger unilatralement les par. 23(3) et (4) de la Loi

    constitutionnelle de 1867, selon lesquels les snateurs doivent possder des terres

    dune valeur de 4 000 $ dans la province pour laquelle ils sont nomms ainsi quun

  • avoir net dau moins 4 000 $? Peut-on avoir recours la procdure normale de

    modification ou faut-il recourir la procdure de consentement unanime pour

    apporter une modification constitutionnelle abolissant le Snat? Loi

    constitutionnelle de 1982, art. 38(1)(2), 41e), 42(1)b)c), 43, 44.

    Le gouverneur en conseil a soumis les questions suivantes la Cour en

    vertu de lart. 53 de la Loi sur la Cour suprme :

    1. Pour chacune des limites ci-aprs proposes pour la dure du mandat

    des snateurs, le Parlement du Canada dtient-il, en vertu de larticle 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, la comptence lgislative voulue pour

    apporter les modifications larticle 29 de la Loi constitutionnelle de 1867 afin de prvoir :

    a) un mandat dune dure fixe de neuf ans, tel que le propose

    larticle 5 du projet de loi C-7, Loi sur la rforme du Snat;

    b) un mandat dune dure fixe de dix ans ou plus;

    c) un mandat dune dure fixe de huit ans ou moins;

    d) un mandat dune dure fixe de deux ou trois lgislatures;

    e) le renouvellement du mandat des snateurs, tel que le propose

    larticle 2 du projet de loi S-4, Loi constitutionnelle de 2006 (dure du mandat des snateurs);

    f) une limite la dure du mandat des snateurs nomms aprs le

    14 octobre 2008, tel que le propose le paragraphe 4(1) du projet de loi C-7, Loi sur la rforme du Snat;

    g) une limite rtrospective la dure du mandat des snateurs nomms avant le 14 octobre 2008?

    2. Le Parlement du Canada dtient-il, en vertu de larticle 91 de la Loi

    constitutionnelle de 1867 ou de larticle 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, la comptence lgislative voulue pour dicter des lois qui

    permettraient de consulter, dans le cadre dun processus national, la population de chaque province et territoire afin de faire connatre ses

  • prfrences quant la nomination de candidats snatoriaux, conformment au projet de loi C-20, Loi sur les consultations concernant la nomination des snateurs?

    3. Le Parlement du Canada dtient-il, en vertu de larticle 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 ou de larticle 44 de la Loi constitutionnelle de

    1982, la comptence lgislative voulue pour prvoir un cadre qui viserait ldiction de lois par les lgislatures provinciales et territoriales conformes lannexe du projet de loi C-7, Loi sur la rforme du Snat,

    pour consulter leurs populations afin de faire connatre leurs prfrences quant la nomination de candidats snatoriaux?

    4. Le Parlement du Canada dtient-il, en vertu de larticle 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, la comptence lgislative voulue pour abroger les paragraphes 23(3) et (4) de la Loi constitutionnelle de 1867

    concernant la qualification des snateurs en matire de proprit?

    5. Pourrait-on, par lun des moyens ci-aprs, avoir recours la procdure

    normale de modification prvue larticle 38 de la Loi constitutionnelle de 1982 pour abolir le Snat :

    a) ajouter une disposition distincte prvoyant que le Snat serait aboli

    une date prcise, titre de modification de la Loi constitutionnelle de 1867, ou de disposition distincte des Lois constitutionnelles de 1867

    1982 sinscrivant nanmoins dans la Constitution du Canada;

    b) modifier ou abroger en tout ou en partie les renvois au Snat dans la Constitution du Canada;

    c) abroger les pouvoirs du Snat et liminer la reprsentation des provinces en vertu des alinas 42(1)b) et c) de la Loi constitutionnelle de 1982?

    6. Si la procdure normale de modification prvue larticle 38 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne permet pas dabolir le Snat, faudrait-il

    recourir la procdure de consentement unanime prvue larticle 41 de cette loi?

    Arrt : Les questions 1, 2, 3 et 5 reoivent une rponse ngative. La

    question 4 reoit une rponse affirmative lgard du par. 23(4). Labrogation

    complte du par. 23(3) requiert une rsolution de lassemble lgislative du Qubec,

    en application de lart. 43 de la Loi constitutionnelle de 1982. La question 6 reoit

  • une rponse affirmative. La mise en place dlections consultatives et de mandats

    snatoriaux dune dure limite requiert le consentement du Snat, de la Chambre des

    communes et de lassemble lgislative dau moins sept provinces dont la population

    confondue reprsente au moins cinquante pour cent de la population de toutes les

    provinces (art. 38 et al. 42(1)b)). Labolition du Snat requiert le consentement

    unanime du Snat, de la Chambre des communes et de lassemble lgislative de

    chaque province canadienne (al. 41e)).

    Le Snat est une des institutions politiques fondamentales du Canada. Il

    se situe au cur des ententes ayant donn naissance la fdration canadienne.

    Malgr des critiques persistantes et lchec des tentatives visant le rformer, le

    Snat na pas beaucoup chang depuis sa cration. La loi qui a cr le Snat la Loi

    constitutionnelle de 1867 fait partie intgrante de la Constitution du Canada. Elle

    ne peut tre modifie quen conformit avec les procdures de modification prvues

    par la Constitution (Loi constitutionnelle de 1982, par. 52(2) et (3)). Le concept de

    modification de la Constitution du Canada , au sens de la partie V de la Loi

    constitutionnelle de 1982, doit tre compris au regard de la nature de la Constitution,

    des principes qui la sous-tendent et des rgles applicables son interprtation. La

    Constitution ne doit pas tre considre comme un simple ensemble de dispositions

    crites isoles. Elle a une architecture, une structure fondamentale. Par extension, les

    modifications constitutionnelles ne se limitent pas aux modifications apportes au

    texte de la Constitution. Elles comprennent aussi les modifications son architecture

    qui altrent le sens de son texte.

  • La partie V reflte le consensus politique selon lequel les provinces

    doivent avoir un droit de participation aux modifications constitutionnelles mettant en

    cause leurs intrts. Elle prvoit quatre catgories de procdures de modification. La

    premire, la procdure normale de modification celle du 7/50 (art. 38,

    complt par lart. 42), exige un degr apprciable de consensus entre le Parlement et

    les lgislatures provinciales. La deuxime, la procdure de consentement unanime

    (art. 41), sapplique certaines modifications juges fondamentales par les auteurs de

    la Loi constitutionnelle de 1982. La troisime, la procdure relative aux arrangements

    spciaux (art. 43), vise les modifications apportes des dispositions de la

    Constitution qui sappliquent certaines provinces uniquement. La quatrime, la

    procdure de modification unilatrale fdrale et provinciale, concerne certains

    aspects dinstitutions gouvernementales mettant en cause des intrts purement

    fdraux ou provinciaux (art. 44 et 45).

    Question 1 : Dure du mandat des snateurs

    Un changement de la dure du mandat des snateurs modifierait la

    Constitution du Canada, puisquil exigerait la modification du texte de lart. 29 de la

    Loi constitutionnelle de 1867. Le texte de lart. 42 de la Loi constitutionnelle de 1982

    ne mentionne pas les changements la dure du mandat des snateurs. Cela ne veut

    pas dire pour autant que lart. 44 sapplique tous les changements relatifs au Snat

    qui ne sont pas viss par lart. 42. La procdure de modification unilatrale par le

    Parlement a une porte restreinte. Il ne sagit pas dune procdure dont le champ

  • dapplication est vaste et qui vise les changements constitutionnels tous les aspects

    du Snat que ne vise pas expressment une autre procdure de modification dcrite

    la partie V. Lhistorique, les termes et la structure de la partie V indiquent que la

    procdure normale de modification de la Constitution est prvue lart. 38 plutt qu

    lart. 44. Les changements qui mettent en cause les intrts des provinces relatifs au

    Snat en tant quinstitution faisant partie intgrante du systme fdral ne peuvent

    tre apports quen application de la procdure normale de modification.

    Larticle 44, qui constitue une exception la procdure normale, envisage des

    mesures prises en vue du maintien et du changement du Snat, sans pour autant

    modifier ses nature et rle fondamentaux.

    Limposition aux snateurs dun mandat dune dure fixe met en cause

    les intrts des provinces en transformant les nature et rle fondamentaux du Snat.

    Les snateurs sont nomms toutes fins utiles pour la dure de leur vie

    professionnelle active. Cette inamovibilit vise permettre aux snateurs de prendre

    leurs dcisions en toute indpendance lorsquils procdent lexamen des projets de

    loi. La nomination des snateurs pour une priode dune dure fixe constituerait un

    changement important leur mandat. Le mandat dune dure fixe tablit une

    inamovibilit plus fragile. Il suppose que les snateurs restent en fonction pour une

    priode limite et offre ncessairement un degr moindre de protection lgard des

    consquences que pourraient entraner des opinions quils expriment librement au

    sujet des projets lgislatifs de la Chambre des communes. Limposition dun mandat

    fixe, si long soit-il, constitue un changement qui met en jeu les intrts des provinces

  • en tant que parties prenantes dans lordre constitutionnel canadien et exige

    lapplication de la procdure normale celle du 7/50 nonce lart. 38 pour que

    se ralise cette modification constitutionnelle.

    Questions 2 et 3 : lections consultatives

    Lintroduction dlections consultatives en vue de nommer les snateurs

    mtamorphoserait larchitecture de la Constitution canadienne en confiant ces

    derniers un mandat de reprsentation de la population qui est incompatible avec les

    nature et rle fondamentaux du Snat titre dassemble lgislative complmentaire

    charge de porter un second regard attentif aux projets de loi. Le point de vue suivant

    lequel la mise en uvre des propositions relatives la tenue dlections consultatives

    modifierait la Constitution canadienne trouve appui dans le texte de la partie V de la

    Loi constitutionnelle de 1982. Les termes qui y sont utiliss servent de guides pour

    dterminer quels aspects de notre systme de gouvernement font partie du contenu

    constitutionnel protg. Suivant lal. 42(1)b) de la Loi constitutionnelle de 1982, la

    procdure normale de modification (le par. 38(1)) sapplique aux modifications

    constitutionnelles portant sur le mode de slection des snateurs . Cette expression

    au sens large ne vise pas uniquement la nomination officielle des snateurs par le

    gouverneur gnral et couvre la mise en place dlections consultatives. En utilisant

    ce libell, les auteurs de la Loi constitutionnelle de 1982 ont tendu la protection

    constitutionnelle prvue par la procdure normale de modification tout le processus

    de slection des snateurs. En consquence, la mise en place dlections

  • consultatives relve de lal. 42(1)b) et est assujettie la procdure normale de

    modification, sans que les provinces puissent sy soustraire . Elle ne peut se faire

    conformment la procdure de modification unilatrale fdrale. Larticle 44

    sapplique expressment sous rserve de lart. 42 c.--d. que les catgories de

    modification vises lart. 42 sont soustraites lapplication de lart. 44.

    Question 4 : Qualifications en matire de proprit

    Le Parlement peut abroger, en vertu de la procdure de modification

    unilatrale fdrale, lobligation pour les snateurs de possder un avoir net personnel

    dau moins 4 000 $ (Loi constitutionnelle de 1867, par. 23(4)). Cette mesure

    constitue prcisment le type de modification que les auteurs de la Loi

    constitutionnelle de 1982 entendaient inclure dans le champ dapplication de lart. 44.

    Elle met jour le cadre constitutionnel rgissant le Snat sans toucher ses nature et

    rle fondamentaux. De mme, la suppression de la condition relative lavoir foncier

    obligeant les snateurs possder des terres valant au moins 4 000 $ dans la province

    pour laquelle ils sont nomms (Loi constitutionnelle de 1867, par. 23(3)) ne

    modifierait pas les nature et rle fondamentaux du Snat. Toutefois, labrogation

    complte du par. 23(3) rendrait inoprante la possibilit offerte aux snateurs du

    Qubec par le par. 23(6) de possder leur qualification foncire dans leur collge

    lectoral respectif, ce qui les obligerait effectivement rsider dans le collge

    lectoral quils reprsentent. Cette mesure constituerait une modification au

    par. 23(6), qui prvoit un arrangement spcial applicable une seule province, et

  • entrerait donc dans le champ dapplication de la procdure relative aux arrangements

    spciaux. Une telle modification requiert donc le consentement de lAssemble

    nationale du Qubec en application de lart. 43 de la Loi constitutionnelle de 1982.

    Questions 5 et 6 : Abolition du Snat

    Labolition du Snat ne concerne pas uniquement les pouvoirs ou les

    snateurs au sens o il faut entendre ces termes pour lapplication des al. 42(1)b)

    et c) de la Loi constitutionnelle de 1982. Ces dispositions visent la rforme du Snat,

    qui suppose le maintien de son existence. Ainsi, labolition pure et simple du Snat

    chappe lapplication de ces alinas. Interprter lart. 42 comme envisageant

    labolition du Snat irait lencontre du sens ordinaire de son libell, et pareille

    interprtation ne trouve aucun appui dans le dossier historique. La mention des

    modifications portant sur les pouvoirs du Snat et le nombre de snateurs pour chaque

    province prsuppose le maintien de lexistence dun Snat et interdit toute abolition

    indirecte de linstitution. La porte de lart. 42 permet de modifier considrablement

    les pouvoirs du Snat et le nombre de snateurs. Dpouiller totalement le Snat de

    ses pouvoirs et rduire zro le nombre de snateurs outrepasseraient toutefois la

    porte de cette disposition. Labolition de la chambre haute impliquerait une

    modification structurelle importante de la partie V. Les modifications de la

    Constitution du Canada sont soumises au contrle du Snat, qui peut opposer un veto

    aux modifications introduites en application de lart. 44 et retarder ladoption de

    modifications apportes au titre des art. 38, 41, 42 et 43 pendant au plus 180 jours.

  • Llimination du bicamralisme rendrait inoprant ce mcanisme de contrle et

    transformerait dans les faits la dynamique du processus de modification

    constitutionnelle. La structure constitutionnelle de la partie V serait

    fondamentalement modifie dans son ensemble. Labolition du Snat changerait

    donc fondamentalement notre architecture constitutionnelle en supprimant la

    structure bicamrale de gouvernement qui sous-tend larchitecture de la Loi

    constitutionnelle de 1867 et modifierait la partie V, ce qui exige le consentement

    unanime du Parlement et des provinces en application de lal. 41e) de la Loi

    constitutionnelle de 1982.

    Jurisprudence

    Arrts mentionns : Projet de loi fdral relatif au Snat (Re), 2013

    QCCA 1807 (CanLII); Figueroa c. Canada (Procureur gnral), 2003 CSC 37,

    [2003] 1 R.C.S. 912; Renvoi : Comptence du Parlement relativement la Chambre

    haute, [1980] 1 R.C.S. 54; Renvoi relatif la scession du Qubec, [1998] 2 R.C.S.

    217; Renvoi relatif la rmunration des juges de la Cour provinciale de

    lle-du-Prince-douard, [1997] 3 R.C.S. 3; Renvoi relatif la Loi sur la Cour

    suprme, art. 5 et 6, 2014 CSC 21; Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145;

    Edwards c. Attorney-General for Canada, [1930] A.C. 124; R. c. Big M Drug Mart

    Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295; New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-cosse

    (Prsident de lAssemble lgislative), [1993] 1 R.C.S. 319; Renvoi relatif aux droits

    linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721; SEFPO c. Ontario (Procureur

  • gnral), [1987] 2 R.C.S. 2; Renvoi : Rsolution pour modifier la Constitution,

    [1981] 1 R.C.S. 753; Renvoi : Opposition du Qubec une rsolution pour modifier

    la Constitution, [1982] 2 R.C.S. 793; Renvoi relatif la Loi sur les valeurs

    mobilires, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837.

    Lois et rglements cits

    Loi constitutionnelle de 1867, prambule, art. 17, 22, 23(3), (4), (5), (6), 24, 29, 32,

    35, 37, 53, 91(1), 92(1).

    Loi constitutionnelle de 1965, S.C. 1965, ch. 4, art. 1.

    Loi constitutionnelle de 1982, partie V, art. 38, 41, 42, 43, 44, 45, 47, 52.

    Loi sur la Cour suprme, L.R.C. 1985, ch. S-26, art. 53.

    Projet de loi C-7, Loi concernant la slection des snateurs et modifiant la Loi

    constitutionnelle de 1867 relativement la limitation de la dure du mandat des snateurs, 1re sess., 41e lg., 2011, art. 3, ann., art. 1.

    Projet de loi C-20, Loi prvoyant la consultation des lecteurs en ce qui touche leurs

    choix concernant la nomination des snateurs, 2e sess., 39e lg., 2007.

    Projet de loi C-60, Loi modifiant la Constitution du Canada dans certains domaines

    ressortissant la comptence lgislative du Parlement du Canada et prvoyant les mesures ncessaires la modification de la Constitution dans certains autres domaines, 3e sess., 30e lg., 1978, art. 62 70.

    Projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (dure du mandat des snateurs), 1re sess., 39e lg., 2006.

    Doctrine et autres documents cits

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    Smith, ed., The Democratic Dilemma : Reforming the Canadian Senate. Montral and Kingston : McGill-Queens University Press, 2009, 97.

    Woehrling, Jos. Le recours la procdure de modification de larticle 43 de la Loi constitutionnelle de 1982 pour satisfaire certaines revendications constitutionnelles du Qubec , dans Pierre Thibault, Benot Pelletier et Louis

    Perret, dir., Les mlanges Grald-A. Beaudoin : Les dfis du constitutionnalisme. Cowansville, Qu. : Yvon Blais, 2002, 449.

    RENVOI par le Gouverneur en conseil au sujet de la rforme du Snat,

    institu aux termes du dcret C.P. 2013-70 en date du 1er fvrier 2013. Les questions

    1, 2, 3 et 5 reoivent une rponse ngative. La question 4 reoit une rponse

    affirmative lgard du par. 23(4). Labrogation complte du par. 23(3) requiert une

    rsolution de lassemble lgislative du Qubec, en application de lart. 43 de la Loi

    constitutionnelle de 1982. La question 6 reoit une rponse affirmative.

    Robert J. Frater, Christopher M. Rupar et Warren J. Newman, pour le

    procureur gnral du Canada.

    Michel Y. Hlie et Josh Hunter, pour lintervenant le procureur gnral de

    lOntario.

  • Jean-Yves Bernard et Jean-Franois Beaupr, pour lintervenant le

    procureur gnral du Qubec.

    Edward A. Gores, c.r., pour lintervenant le procureur gnral de la

    Nouvelle-cosse.

    Denis Thriault et David D. Eidt, pour lintervenant le procureur gnral

    du Nouveau-Brunswick.

    Heather S. Leonoff, c.r., et Charles Murray, pour lintervenant le

    procureur gnral du Manitoba.

    Nancy E. Brown, pour lintervenant le procureur gnral de la

    Colombie-Britannique.

    D. Spencer Campbell, c.r., Rosemary S. Scott, c.r., et Jonathan M. Coady,

    pour lintervenant le procureur gnral de lle-du-Prince-douard.

    Graeme G. Mitchell, c.r., et J. Thomson Irvine, pour lintervenant le

    procureur gnral de la Saskatchewan.

    Margaret Unsworth, c.r., Randy Steele et Donald Padget, pour

    lintervenant le procureur gnral de lAlberta.

  • Philip Osborne et Barbara G. Barrowman, pour lintervenant le

    procureur gnral de Terre-Neuve-et-Labrador.

    Bradley E. Patzer et Anne F. Walker, pour lintervenant le procureur

    gnral des Territoires du Nord-Ouest.

    Norman M. Tarnow et Adrienne E. Silk, pour lintervenant le procureur

    gnral du Nunavut.

    Lhonorable Serge Joyal, c.p., en personne.

    Nicholas Peter McHaffie et Paul Beaudry, pour lintervenante

    lhonorable Anne C. Cools.

    Sbastien Grammond, Mark C. Power, Jennifer Klinck et Perri Ravon,

    pour lintervenante la Fdration des communauts francophones et acadienne du

    Canada.

    Serge Rousselle, pour lintervenante la Socit de lAcadie du

    Nouveau-Brunswick Inc.

    Daniel Jutras, John J. L. Hunter, c.r., Brent B. Olthuis, Claire E. Hunter

    et Kate Glover, pour lamicus curiae.

  • Version franaise de lavis rendu par

    LA COUR

    I. Introduction

    [1] Le Snat est une des institutions politiques fondamentales du Canada. Il

    se situe au cur des ententes ayant donn naissance la fdration canadienne.

    Pourtant, depuis ses premires sances, des voix se sont leves pour rclamer sa

    rforme, et mme, parfois, son abolition.

    [2] Le gouvernement du Canada pose maintenant essentiellement quatre

    questions la Cour, en vertu de lart. 53 de la Loi sur la Cour suprme, L.R.C. 1985,

    ch. S-26 : (1) Le Parlement peut-il unilatralement instaurer un rgime dlections

    consultatives en vue de nommer les snateurs? (2) Le Parlement peut-il

    unilatralement prvoir des mandats dune dure fixe pour les snateurs? (3) Le

    Parlement peut-il retrancher unilatralement de la Loi constitutionnelle de 1867

    lexigence selon laquelle les snateurs doivent possder des terres dune valeur de

    4 000 $ dans la province pour laquelle ils sont nomms ainsi quun avoir net dau

    moins 4 000 $? (4) Quel est le degr de consentement provincial ncessaire pour

    abolir le Snat?

  • [3] Nous concluons que le Parlement ne peut unilatralement apporter au

    Snat la plupart des changements proposs, qui exigent le consentement dau moins

    sept provinces dont la population confondue reprsente au moins la moiti de la

    population de toutes les provinces. Nous concluons en outre que labolition du Snat

    exige le consentement de lensemble des provinces. En effet, labolition de cette

    institution modifierait de faon fondamentale la structure constitutionnelle

    canadienne, y compris les procdures de modification de la Constitution. Un tel

    changement exigerait un consensus fdral-provincial unanime.

    [4] Cela dit, nos conclusions se limitent aux questions prcises qui ont t

    poses la Cour qui il nappartient pas de spculer sur lventail complet des

    changements susceptibles de toucher le Snat. Dans le dbat actuel sur lavenir de

    cette institution, le rle de la Cour consiste plutt noncer le cadre lgal applicable

    pour la mise en uvre des changements prcis envisags par les questions dont elle

    est saisie. Il ne nous revient pas de juger de lopportunit de ces changements; il

    appartient plutt aux Canadiens et leurs institutions lgislatives den dcider.

    II. Les questions poses dans le renvoi

    [5] Le 1er fvrier 2013, le gouverneur en conseil a pris le dcret C.P. 2013-70

    soumettant les questions suivantes la Cour en vertu de lart. 53 de la Loi sur la Cour

    suprme :

  • 1. Pour chacune des limites ci-aprs proposes pour la dure du mandat des snateurs, le Parlement du Canada dtient-il, en vertu de larticle 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, la comptence lgislative voulue pour

    apporter les modifications larticle 29 de la Loi constitutionnelle de 1867 afin de prvoir :

    a) un mandat dune dure fixe de neuf ans, tel que le propose larticle 5 du projet de loi C-7, Loi sur la rforme du Snat;

    b) un mandat dune dure fixe de dix ans ou plus;

    c) un mandat dune dure fixe de huit ans ou moins;

    d) un mandat dune dure fixe de deux ou trois lgislatures;

    e) le renouvellement du mandat des snateurs, tel que le propose larticle 2 du projet de loi S-4, Loi constitutionnelle de 2006 (dure du mandat des snateurs);

    f) une limite la dure du mandat des snateurs nomms aprs le 14 octobre 2008, tel que le propose le paragraphe 4(1) du projet

    de loi C-7, Loi sur la rforme du Snat;

    g) une limite rtrospective la dure du mandat des snateurs nomms avant le 14 octobre 2008?

    2. Le Parlement du Canada dtient-il, en vertu de larticle 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 ou de larticle 44 de la Loi constitutionnelle de

    1982, la comptence lgislative voulue pour dicter des lois qui permettraient de consulter, dans le cadre dun processus national, la population de chaque province et territoire afin de faire connatre ses

    prfrences quant la nomination de candidats snatoriaux, conformment au projet de loi C-20, Loi sur les consultations concernant la nomination des snateurs?

    3. Le Parlement du Canada dtient-il, en vertu de larticle 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 ou de larticle 44 de la Loi constitutionnelle de

    1982, la comptence lgislative voulue pour prvoir un cadre qui viserait ldiction de lois par les lgislatures provinciales et territoriales conformes lannexe du projet de loi C-7, Loi sur la rforme du Snat ,

    pour consulter leurs populations afin de faire connatre leurs prfrences quant la nomination de candidats snatoriaux?

    4. Le Parlement du Canada dtient-il, en vertu de larticle 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, la comptence lgislative voulue pour abroger les paragraphes 23(3) et (4) de la Loi constitutionnelle de 1867 concernant

    la qualification des snateurs en matire de proprit?

  • 5. Pourrait-on, par lun des moyens ci-aprs, avoir recours la procdure normale de modification prvue larticle 38 de la Loi constitutionnelle de 1982 pour abolir le Snat :

    a) ajouter une disposition distincte prvoyant que le Snat serait aboli une date prcise, titre de modification de la Loi

    constitutionnelle de 1867, ou de disposition distincte des Lois constitutionnelles de 1867 1982 sinscrivant nanmoins dans la Constitution du Canada;

    b) modifier ou abroger en tout ou en partie les renvois au Snat dans la Constitution du Canada;

    c) abroger les pouvoirs du Snat et liminer la reprsentation des provinces en vertu des alinas 42(1)b) et c) de la Loi constitutionnelle de 1982?

    6. Si la procdure normale de modification prvue larticle 38 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne permet pas dabolir le Snat, faudrait-il

    recourir la procdure de consentement unanime prvue larticle 41 de cette loi?

    [6] Pour illustrer le contenu des changements proposs au Snat, les

    questions font rfrence aux projets de loi S-4, C20 et C7. Les deux premiers ont

    t dposs respectivement en 2006 et en 2007, tandis que le troisime a fait lobjet

    dune premire lecture le 21 juin 2011. Ces trois projets de loi sont morts au

    Feuilleton.

    [7] Le projet de loi S-4 proposait de remplacer le mandat actuel des snateurs

    qui prend fin lorsquils atteignent lge de 75 ans par des mandats

    renouvelables de huit ans.

    [8] Pour leur part, les projets de loi C-20 et C-7 proposaient chacun dtablir

    un rgime dtaill dlections consultatives permettant de choisir des candidats

  • aux postes de snateurs. Suivant le projet de loi C-20, les noms des candidats retenus

    lors dlections consultatives nationales auraient t transmis au premier ministre du

    Canada pour quil en tienne compte au moment de recommander au gouverneur

    gnral des candidats pour combler les postes vacants au Snat.

    [9] De mme, le projet de loi C-7 prvoyait confier aux snateurs un mandat

    non renouvelable de neuf ans et nonait une loi provinciale et territoriale type

    prescrivant la tenue dlections consultatives. Il disposait aussi que le premier

    ministre tien[drait] compte des personnes dont le nom aurait figur sur les listes

    de candidats retenus (art. 3), et la loi type qui y tait annexe nonait le principe

    selon lequel les snateurs devraient tre choisis parmi ces candidats : art. 1.

    [10] La Cour nest pas la premire se pencher sur les questions poses en

    lespce. Quand le Parlement a prsent le projet de loi C-7, le gouvernement du

    Qubec a demand la Cour dappel de cette province si les changements au Snat

    proposs pouvaient tre apports par une intervention unilatrale du Parlement.

    [11] La Cour dappel du Qubec a conclu que le Parlement ne pouvait pas

    modifier unilatralement la dure du mandat des snateurs ou prvoir la tenue

    dlections consultatives en vue de leur nomination : Projet de loi fdral relatif au

    Snat (Re), 2013 QCCA 1807 (CanLII) (le Renvoi qubcois relatif au Snat ).

    Selon elle, ces changements relvent plutt de lart. 42 de la Loi constitutionnelle de

    1982 et ne peuvent tre raliss quavec le consentement des assembles lgislatives

    dau moins deux tiers des provinces dont la population confondue reprsente au

  • moins la moiti de la population de toutes les provinces. Toujours selon la Cour

    dappel du Qubec, les auteurs de la Loi constitutionnelle de 1982 ont voulu

    constitutionnaliser le statu quo lgard du Snat jusqu ce quun large consensus se

    ralise propos de sa rforme.

    [12] Bien quon ne lui ait pas demand directement de se prononcer sur la

    faon dabolir le Snat, la Cour dappel du Qubec a affirm que labolition de cette

    institution exigerait le consentement unanime des provinces : par. 29. Selon son

    raisonnement, labolition du Snat changerait implicitement les procdures de

    modification de la Constitution prvues la partie V de la Loi constitutionnelle de

    1982, or lal. 41e) de cette loi exige le consentement unanime des provinces pour

    raliser un tel changement.

    III. Le Snat

    [13] Il convient dabord dexposer brivement la nature et lhistoire de

    linstitution au cur du prsent renvoi.

    [14] Les auteurs de la Loi constitutionnelle de 1867 ont cherch adapter le

    modle de gouvernement britannique un nouveau pays, pour doter celui-ci dune

    constitution reposant sur les mmes principes que celle du Royaume-Uni :

    prambule. Ils souhaitaient ainsi prserver la structure parlementaire britannique

    constitue dune chambre lgislative basse o sigent des reprsentants lus, dune

  • chambre lgislative haute forme de membres de llite nomms par la Couronne, et

    de la Couronne en tant que chef de ltat.

    [15] Ainsi, la chambre haute appele Snat par les auteurs de la

    Constitution a t cre sur le modle de la Chambre des lords britannique, mais

    adapte au contexte canadien. Comme au Royaume-Uni, elle a t conue pour

    permettre de donner un [TRADUCTION] second regard attentif ( sober second

    thought ) aux mesures lgislatives adoptes par les reprsentants du peuple la

    Chambre des communes : John A. Macdonald, Province du Canada, Assemble

    lgislative, Dbats parlementaires sur la question de la Confdration des provinces

    de lAmrique britannique du Nord, 3e sess., 8e parlement provincial (les Dbats de

    1865 ), 6 fvrier 1865, p. 35. Elle a toutefois aussi assur une forme distincte de

    reprsentation des rgions qui staient jointes la Confdration et qui, ce faisant,

    avaient cd une partie importante de leurs pouvoirs lgislatifs au nouveau Parlement

    fdral : Figueroa c. Canada (Procureur gnral), 2003 CSC 37, [2003] 1

    R.C.S. 912, par. 164 166, le juge LeBel. Mme si la reprsentation des nouvelles

    provinces canadiennes la Chambre des communes tait proportionnelle leur

    population, chaque rgion obtenait un nombre gal de reprsentants au Snat, peu

    importe sa population. Cette rgle dgalit visait assurer aux rgions que leurs

    voix continueraient de se faire entendre dans le processus lgislatif, mme si elles

    devenaient minoritaires au sein de lensemble de la population canadienne : George

    Brown, Dbats de 1865, 8 fvrier 1865, p. 87; D. Pinard, The Canadian Senate : An

    Upper House Criticized Yet Condemned to Survive Unchanged? , dans J. Luther,

  • P. Passaglia et R. Tarchi, dir., A World of Second Chambers : Handbook for

    Constitutional Studies on Bicameralism (2006), 459, p. 462.

    [16] Avec le temps, le Snat en est aussi venu reprsenter divers groupes

    sous-reprsents la Chambre des communes. Il a servi de tribune aux femmes ainsi

    qu des groupes ethniques, religieux, linguistiques et autochtones auxquels le

    processus dmocratique populaire navait pas toujours donn une opportunit relle

    de faire valoir leurs opinions : B. Pelletier, Rponses suggres aux questions

    souleves par le renvoi la Cour suprme du Canada concernant la rforme du

    Snat (2013), 43 R.G.D. 445 ( Rponses suggres quant au renvoi sur le Snat ),

    p. 485 et 486.

    [17] Mme sil a t le fruit dun consensus, le Snat a rapidement fait lobjet

    de critiques et de propositions de rforme. Certains taient davis quil chouait

    donner un second regard attentif aux projets de loi et quil y rgnait le mme

    esprit partisan qu la Chambre des communes. Dautres lont critiqu parce quil

    navait pas rellement russi reprsenter les intrts des provinces comme on lavait

    voulu au dpart, et ont insist sur son manque de lgitimit dmocratique.

    [18] Durant les annes ayant prcd le rapatriement de la Constitution, les

    propositions de rforme portaient principalement sur trois aspects : (i) modifier la

    rpartition des siges au Snat1; (ii) circonscrire les pouvoirs du Snat2; et

    1 Voir par exemple Le Comit spcial mixte du Snat et de la Chambre des communes sur la

    Constitution du Canada : Rapport final (1972) (le rapport Molgat-MacGuigan ), p. 35; Rapport sur

  • (iii) changer le mode de slection des snateurs3. Ces propositions tenaient pour

    acquis que le Snat continuerait dexister, mais visaient amliorer sa contribution au

    processus lgislatif.

    [19] En 1978, le gouvernement fdral a dpos un projet de loi pour rformer

    compltement le Snat en rajustant la rpartition des siges entre les rgions, en

    retirant au Snat le veto absolu dont il dispose lgard de la plupart des lois et en lui

    confrant plutt le pouvoir de retarder ladoption de ces dernires, et en confiant la

    Chambre des communes et aux lgislatures provinciales le pouvoir de choisir les

    snateurs : Projet de loi de 1978 sur la rforme constitutionnelle (projet de loi C-60),

    20 juin 1978, art. 62 70. Le projet de loi na pas t adopt. Dailleurs, en 1980, la

    Cour a conclu que la Constitution, dans ltat o elle se trouvait lpoque, ne

    permettait pas au Parlement de modifier unilatralement les caractristiques

    fondamentales du Snat ou de labolir : Renvoi : Comptence du Parlement

    relativement la Chambre haute, [1980] 1 R.C.S. 54 ( Renvoi relatif la Chambre

    haute ).

    [20] Malgr des critiques persistantes et lchec des tentatives visant le

    rformer, le Snat na pas beaucoup chang depuis sa cration. La question dont nous

    sommes maintenant saisis nest pas celle de lopportunit de rformer le Snat ni

    certains aspects de la Constitution canadienne (1980) (le rapport Lamontagne ), p. 36-37;

    P. McCormick, E. C. Manning et G. Gibson, Regional Representation : The Canadian Partnership

    (1981), p. 109-110. 2 Voir par exemple la Commission de lunit canadienne, Se retrouver : Observations et

    recommandations (1979) (le rapport Pepin-Robarts ), p. 105 et 136-137. 3 Voir par exemple le rapport Molgat-MacGuigan, p. 35; M. Lalonde, La rforme constitutionnelle : La

    Chambre de la Fdration (1978), p. 7 et suiv.

  • celle de dterminer quelles rformes seraient prfrables, mais plutt celle

    dexaminer comment les changements prcis envisags dans le renvoi peuvent tre

    mis en uvre dans le respect de la Constitution. Ce constat nous amne la question

    relative aux modifications constitutionnelles au Canada.

    IV. Les procdures de modification prvues la partie V

    [21] La loi qui a cr le Snat la Loi constitutionnelle de 1867 fait partie

    intgrante de la Constitution du Canada. Elle ne peut tre modifie quen conformit

    avec les procdures de modification prvues par la Constitution : Loi constitutionnelle

    de 1982, par. 52(2) et (3). Nous devons donc dterminer si les modifications

    envisages dans le renvoi modifient la Constitution et, le cas chant, quelles sont les

    procdures de modification applicables.

    [22] Avant de rpondre ces questions, nous nous pencherons sur le problme

    de la modification de la Constitution canadienne de faon gnrale. Nous

    examinerons successivement la nature et le contenu de la Constitution du Canada, le

    concept de modification constitutionnelle, puis les procdures de modification de la

    Constitution.

    A. La Constitution du Canada

    [23] La Constitution du Canada forme un ensemble complet de rgles et de

    principes offrant un cadre juridique exhaustif pour notre systme de

  • gouvernement : Renvoi relatif la scession du Qubec, [1998] 2 R.C.S. 217

    ( Renvoi relatif la scession ), par. 32. Elle dfinit les pouvoirs des lments

    constitutifs du rgime gouvernemental canadien lexcutif, le lgislatif et le

    judiciaire ainsi que le partage des comptences entre le fdral et les provinces :

    Renvoi relatif la rmunration des juges de la Cour provinciale de

    lle-du-Prince-douard, [1997] 3 R.C.S. 3 ( Renvoi relatif aux juges de la Cour

    provinciale ), par. 108. Elle rgit aussi la relation de ltat avec le citoyen. En

    outre, un pouvoir gouvernemental ne peut tre exerc lgalement que sil est

    conforme la Constitution : Loi constitutionnelle de 1982, par. 52(1); Renvoi relatif

    la scession, par. 70-78; Renvoi relatif la Loi sur la Cour suprme, art. 5 et 6, 2014

    CSC 21 ( Renvoi relatif la Loi sur la Cour suprme ), par. 89.

    [24] Le paragraphe 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 dfinit la

    Constitution du Canada en ces termes :

    52. [. . .]

    (2) La Constitution du Canada comprend :

    a) la Loi de 1982 sur le Canada, y compris la prsente loi;

    b) les textes lgislatifs et les dcrets figurant lannexe;

    c) les modifications des textes lgislatifs et des dcrets

    mentionns aux alinas a) ou b).

    Les documents numrs lannexe de la Loi constitutionnelle de 1982, comme

    faisant partie de la Constitution, comprennent la Loi constitutionnelle de 1867.

    Cependant, larticle 52 ne dfinit pas de faon exhaustive le contenu de la

  • Constitution du Canada : Renvoi relatif la Loi sur la Cour suprme, par. 97-100;

    Renvoi relatif la scession, par. 32.

    [25] La Constitution met en place une structure de gouvernement et doit tre

    interprte au regard du texte constitutionnel lui-mme, de son contexte historique

    et des diverses interprtations donnes par les tribunaux en matire

    constitutionnelle : Renvoi relatif la scession, par. 32; voir, de faon gnrale,

    H. Cyr, Labsurdit du critre scriptural pour qualifier la constitution (2012), 6

    J.P.P.L. 293. Les rgles dinterprtation constitutionnelle exigent que les documents

    constitutionnels reoivent une interprtation large et tlologique et quils soient

    situs dans leurs contextes linguistique, philosophique et historique appropris :

    Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, p. 155-156; Edwards c.

    Attorney-General for Canada, [1930] A.C. 124 (C.P.), p. 136; R. c. Big M Drug Mart

    Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, p. 344; Renvoi relatif la Loi sur la Cour suprme,

    par. 19. De faon gnrale, linterprtation constitutionnelle doit reposer sur les

    principes de base de la Constitution, tels le fdralisme, la dmocratie, la protection

    des minorits, ainsi que le constitutionnalisme et la primaut du droit : Renvoi relatif

    la scession; Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale; New Brunswick

    Broadcasting Co. c. Nouvelle-cosse (Prsident de lAssemble lgislative), [1993] 1

    R.C.S. 319; Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721.

    [26] Ces rgles et principes dinterprtation ont amen la Cour conclure que

    la Constitution possde une architecture interne , ou une structure

  • constitutionnelle fondamentale : voir aussi le Renvoi relatif la scession, par. 50;

    SEFPO c. Ontario (Procureur gnral), [1987] 2 R.C.S. 2, p. 57; voir aussi le Renvoi

    relatif la Loi sur la Cour suprme, par. 82. La notion darchitecture exprime le

    principe selon lequel [c]haque lment individuel de la Constitution est li aux

    autres et doit tre interprt en fonction de lensemble de sa structure : Renvoi

    relatif la scession, par. 50; voir aussi lanalyse relative lapproche adopte par la

    Cour lgard de linterprtation constitutionnelle dans M. D. Walters, Written

    Constitutions and Unwritten Constitutionalism , dans G. Huscroft, dir., Expounding

    the Constitution : Essays in Constitutional Theory (2008), 245, p. 264 et 265.

    Autrement dit, la Constitution doit tre interprte de faon discerner la structure de

    gouvernement quelle vise mettre en uvre. Les prmisses qui sous-tendent le texte

    et la faon dont les dispositions constitutionnelles sont censes interagir les unes avec

    les autres doivent contribuer notre interprtation et notre comprhension du texte,

    ainsi qu son application.

    B. Les modifications de la Constitution du Canada

    [27] Le concept de modification de la Constitution du Canada , au sens de

    la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982, doit tre compris au regard de la

    nature de la Constitution et des rgles applicables son interprtation. Comme nous

    lavons vu, la Constitution ne doit pas tre considre comme un simple ensemble de

    dispositions crites isoles. Elle a une architecture, une structure fondamentale. Par

    extension, les modifications constitutionnelles ne se limitent pas aux modifications

  • apportes au texte de la Constitution. Elles comprennent aussi les modifications son

    architecture.

    C. Les procdures de modification prvues la partie V

    [28] La partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 dtermine la procdure

    ncessaire pour modifier la Constitution du Canada (voir lannexe). Elle prcise

    quelles modifications peuvent tre apportes unilatralement par le Parlement et les

    lgislatures provinciales, quelles modifications exigent un degr apprciable de

    consentement fdral et provincial, et quelles modifications ncessitent un

    consentement unanime.

    Historique

    [29] La formule de modification prvue la partie V reflte le principe selon

    lequel les modifications constitutionnelles mettant en cause des intrts provinciaux

    exigent la fois le consentement du Parlement et un degr apprciable de

    consentement provincial. Puisque, avant le rapatriement, la Loi constitutionnelle de

    1867 tait une loi du Parlement britannique, une modification la Constitution du

    Canada exigeait ladoption dune loi du Parlement britannique en rponse une

    rsolution conjointe que devaient lui adresser le Snat et la Chambre des communes.

    Il ny avait aucune exigence formelle de consulter les provinces. Toutefois, en

    pratique, tout au long du 20e sicle, le gouvernement fdral a consult les provinces

    relativement aux modifications constitutionnelles touchant directement les relations

  • fdrales-provinciales et obtenu leur consentement avant de soumettre une adresse

    conjointe au Parlement britannique : Canada, Ministre de la Justice, Modification de

    la Constitution du Canada (1965) ( Favreau ), p. 15 et 16. Au moment du

    rapatriement, cette pratique tait devenue une convention constitutionnelle selon

    laquelle il fallait un consentement provincial apprciable pour solliciter des

    modifications constitutionnelles ayant un effet direct sur les relations

    fdrales-provinciales : Renvoi : Rsolution pour modifier la Constitution, [1981] 1

    R.C.S. 753 (le Renvoi sur le rapatriement ), p. 889 895; Renvoi : Opposition

    une rsolution pour modifier la Constitution, [1982] 2 R.C.S. 793.

    [30] partir des annes 30, le gouvernement fdral et les provinces ont tenu

    une srie de confrences pour discuter de la possibilit dadopter une formule de

    modification formelle. Ces discussions ont donn lieu plusieurs propositions : voir

    en particulier la formule Fulton-Favreau, dans Favreau, p. 110 115; et la Charte de

    Victoria, dans Confrence constitutionnelle : Dlibrations (1971), ann. B. En

    octobre 1980, dans le cadre des efforts visant raliser une rforme constitutionnelle

    denvergure, le gouvernement fdral a dpos une nouvelle proposition de formule

    de modification la Chambre des communes et au Snat : Projet de rsolution

    portant adresse commune Sa Majest la Reine concernant la Constitution du

    Canada , dans La Constitution canadienne 1980 : Projet de rsolution concernant la

    Constitution du Canada (1980). En rponse, les premiers ministres provinciaux ont

    labor une contre-proposition l Accord davril de 1981 qui est devenue le

  • canevas de la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 : Accord constitutionnel :

    Projet canadien de rapatriement de la Constitution (1981).

    [31] LAccord davril et, en dfinitive, la partie V refltent le consensus

    politique selon lequel les provinces doivent avoir un droit de participation aux

    modifications constitutionnelles mettant en cause leurs intrts.

    [TRADUCTION] L objectif sous-jacent de ces textes consiste restreindre les

    pouvoirs de modification unilatrale de la Constitution confrs au fdral :

    P. J. Monahan et B. Shaw, Constitutional Law (4e d. 2013), p. 204; Renvoi relatif

    la Loi sur la Cour suprme, par. 98-100. On y consacre aussi le principe de

    lgalit constitutionnelle des provinces comme partenaires gaux au sein de la

    Confdration : Accord constitutionnel : Projet canadien de rapatriement de la

    Constitution, observations gnrales dans la partie A, p. 1. En principe, les provinces

    sont sur un pied dgalit en ce qui concerne les modifications constitutionnelles, et

    toutes les provinces jouissent des mmes droits dans le processus de modification. La

    formule de modification ainsi tablie est conue pour favoriser le dialogue entre le

    gouvernement fdral et les provinces sur les questions relatives la modification de

    la Constitution, et pour prserver le statu quo constitutionnel au Canada jusqu ce

    que les parties prenantes sentendent sur des rformes.

    Les procdures de modification

    [32] La partie V prvoit quatre catgories de procdures de modification. La

    premire, la procdure normale de modification (art. 38, complt par lart. 42), exige

  • un degr apprciable de consensus entre le Parlement et les lgislatures provinciales.

    La deuxime, la procdure de consentement unanime (art. 41), sapplique certaines

    modifications juges fondamentales par les auteurs de la Loi constitutionnelle de

    1982. La troisime, la procdure relative aux arrangements spciaux (art. 43), vise

    les modifications apportes des dispositions de la Constitution qui sappliquent

    certaines provinces uniquement. La quatrime, la procdure de modification

    unilatrale fdrale et provinciale, concerne certains aspects dinstitutions

    gouvernementales mettant en cause des intrts purement fdraux ou provinciaux

    (art. 44 et 45).

    La procdure normale de modification

    [33] Larticle 38 de la Loi constitutionnelle de 1982 prvoit :

    38. (1) La Constitution du Canada peut tre modifie par proclamation du gouverneur gnral sous le grand sceau du Canada, autorise la fois :

    a) par des rsolutions du Snat et de la Chambre des communes;

    b) par des rsolutions des assembles lgislatives dau moins deux tiers des provinces dont la population confondue reprsente, selon

    le recensement gnral le plus rcent lpoque, au moins cinquante pour cent de la population de toutes les provinces.

    (2) Une modification faite conformment au paragraphe (1) mais drogatoire la comptence lgislative, aux droits de proprit ou tous autres droits ou privilges dune lgislature ou dun gouvernement

    provincial exige une rsolution adopte la majorit des snateurs, des dputs fdraux et des dputs de chacune des assembles lgislatives

    du nombre requis de provinces.

    (3) La modification vise au paragraphe (2) est sans effet dans une province dont lassemble lgislative a, avant la prise de la proclamation,

  • exprim son dsaccord par une rsolution adopte la majorit des dputs, sauf si cette assemble, par rsolution galement adopte la majorit, revient sur son dsaccord et autorise la modification.

    (4) La rsolution de dsaccord vise au paragraphe (3) peut tre rvoque tout moment, indpendamment de la date de la proclamation

    laquelle elle se rapporte.

    [34] Cette disposition dcrit le processus gnralement applicable pour

    modifier la Constitution canadienne. Celui-ci reflte le principe selon lequel il est

    ncessaire dobtenir le consentement dun nombre apprciable de provinces pour

    apporter des modifications constitutionnelles qui touchent leurs intrts. Larticle 38

    codifie ce quon appelle communment la procdure 7/50 , selon laquelle les

    modifications la Constitution du Canada doivent tre autorises par des rsolutions

    du Snat, de la Chambre des communes et des assembles lgislatives dau moins

    sept provinces dont la population confondue reprsente au moins la moiti de la

    population de toutes les provinces. Il confre aussi ces dernires le droit de se

    soustraire aux modifications constitutionnelles drogatoires [] l[eur] comptence

    lgislative, [ leurs] droits de proprit ou [. . .] [] tous autres droits ou privilges [de

    leur] lgislature ou [de leur] gouvernement .

    [35] En exigeant un consensus provincial apprciable plutt que lunanimit,

    lart. 38 [TRADUCTION] ralise un compromis entre les exigences de lgitimit et de

    souplesse : J. Cameron, To Amend the Process of Amendment , dans

    G.-A. Beaudoin et autres, Le fdralisme de demain : rformes essentielles (1998),

    315, p. 324. Cette disposition [TRADUCTION] vise fondamentalement [. . .] assurer

  • aux provinces que leurs droits et privilges ne seront pas touchs sans leur

    consentement : Monahan et Shaw, p. 192.

    [36] La procdure prvue lart. 38 reprsente lquilibre que les auteurs de la

    Loi constitutionnelle de 1982 ont jug appropri pour la plupart des modifications

    constitutionnelles, soit toutes les modifications sauf celles vises par une des autres

    dispositions de la partie V. Lart. 38 dcrit donc la procdure normalement applique

    pour modifier la Constitution canadienne. Les autres procdures nonces la

    partie V devraient alors tre considres comme des exceptions cette rgle gnrale.

    [37] Larticle 42 complte lart. 38 en prvoyant expressment certaines

    catgories de modifications auxquelles sapplique la procdure 7/50 nonce au

    par. 38(1) :

    42. (1) Toute modification de la Constitution du Canada portant sur

    les questions suivantes se fait conformment au paragraphe 38(1) :

    a) le principe de la reprsentation proportionnelle des provinces la Chambre des communes prvu par la

    Constitution du Canada;

    b) les pouvoirs du Snat et le mode de slection des snateurs;

    c) le nombre des snateurs par lesquels une province est habilite tre reprsente et les conditions de rsidence quils doivent remplir;

    d) sous rserve de lalina 41d), la Cour suprme du Canada;

    e) le rattachement aux provinces existantes de tout ou partie

    des territoires;

  • f) par drogation toute autre loi ou usage, la cration de provinces.

    (2) Les paragraphes 38(2) (4) ne sappliquent pas aux questions

    mentionnes au paragraphe (1).

    [38] Cette disposition poursuit deux objectifs. Premirement, donner aux

    auteurs de la Loi constitutionnelle de 1982 la certitude que la procdure 7/50

    sapplique aux modifications portant sur certaines questions qui y sont expressment

    incluses : J. D. Whyte, Senate Reform : What Does the Constitution Say? , dans

    J. Smith, dir., The Democratic Dilemma : Reforming the Canadian Senate (2009), 97,

    p. 102. Deuximement, dclarer que le droit des provinces de se soustraire

    certaines modifications vises aux par. 38(2) (4) ne sapplique pas aux catgories de

    modifications prvues lart. 42. Ainsi, les modifications apportes sous le rgime

    de lart. 42 sappliquent de manire uniforme toutes les provinces et les

    changements viss par la disposition sont mis en uvre de manire cohrente partout

    au pays.

    [39] Lalina 42(1)b) de la Loi constitutionnelle de 1982 prvoit expressment

    que la procdure normale de modification sapplique aux modifications portant sur

    les pouvoirs du Snat et le mode de slection des snateurs . Nous discuterons

    plus loin du sens donner ces termes et de leur incidence sur les questions dont

    nous sommes saisis.

  • La procdure de consentement unanime

    [40] Larticle 41 de la Loi constitutionnelle de 1982 nonce une procdure de

    modification exigeant un consentement unanime pour certaines questions :

    41. Toute modification de la Constitution du Canada portant sur les questions suivantes se fait par proclamation du gouverneur gnral sous le grand sceau du Canada, autorise par des rsolutions du Snat, de la

    Chambre des communes et de lassemble lgislative de chaque province :

    a) la charge de Reine, celle de gouverneur gnral et celle de lieutenant-gouverneur;

    b) le droit dune province davoir la Chambre des communes un

    nombre de dputs au moins gal celui des snateurs par lesquels elle est habilite tre reprsente lors de lentre en vigueur de la

    prsente partie;

    c) sous rserve de larticle 43, lusage du franais ou de langlais;

    d) la composition de la Cour suprme du Canada;

    e) la modification de la prsente partie.

    [41] Larticle 41 exige le consentement unanime du Snat, de la Chambre des

    communes et de toutes les assembles lgislatives provinciales pour les catgories de

    modifications qui y sont dcrites. Il [TRADUCTION] confre le plus haut niveau de

    protection et de conscration constitutionnelles aux questions numres :

    W. J. Newman, Living with the Amending Procedures : Prospects for Future

    Constitutional Reform in Canada (2007), 37 S.C.L.R. (2d) 383, p. 388. Cette

    disposition constitue une exception la procdure normale de modification. Elle cre

    une procdure de modification exigeante destine sappliquer certains

  • changements fondamentaux apports la Constitution du Canada. Le professeur

    Pelletier dcrit avec justesse la raison pour laquelle lunanimit est exige pour les

    catgories de modifications numres :

    [L]a rgle de lunanimit, affirme par larticle 41 de la Loi de 1982, se justifie par la ncessit quil y a [. . .] de confrer chacun des

    partenaires du compromis fdratif canadien un droit de veto par rapport aux sujets qui sont considrs comme les plus fondamentaux pour la

    survie de ltat.

    (B. Pelletier, La modification constitutionnelle au Canada (1996), p. 208)

    La procdure relative aux arrangements spciaux

    [42] Larticle 43 de la Loi constitutionnelle de 1982 prvoit ce qui suit :

    43. Les dispositions de la Constitution du Canada applicables certaines provinces seulement ne peuvent tre modifies que par proclamation du gouverneur gnral sous le grand sceau du Canada,

    autorise par des rsolutions du Snat, de la Chambre des communes et de lassemble lgislative de chaque province concerne. Le prsent

    article sapplique notamment :

    a) aux changements du trac des frontires interprovinciales;

    b) aux modifications des dispositions relatives lusage du franais ou de langlais dans une province.

    [43] Larticle 43 vise les modifications portant sur les dispositions de la

    Constitution du Canada applicables uniquement certaines provinces.

    Ltablissement de son champ dapplication et des effets de son interaction avec les

    autres dispositions de la partie V prsente de grandes difficults conceptuelles. Ces

  • dernires ont amen le professeur Scott qualifier cet article de [TRADUCTION] cube

    Rubik de la partie V : S. A. Scott, Pussycat, Pussycat or Patriation and the New

    Constitutional Amendment Processes (1982), 20 U.W.O. L. Rev. 247, p. 292 298.

    Nos remarques sur lart. 43 se limiteront ce qui est ncessaire pour rpondre aux

    questions du renvoi dont nous sommes saisis.

    [44] Lart. 43 entre en jeu, tout le moins, lorsquune modification

    constitutionnelle touche une disposition de la Constitution du Canada qui prvoit un

    arrangement spcial , applicable uniquement une ou certaines des provinces.

    En pareil cas, le recours la procdure 7/50 aurait une porte trop large, car il

    subordonnerait ladoption de la modification au consentement de provinces

    auxquelles ne sapplique pas la disposition. Larticle 43 permet aussi dviter quune

    disposition qui prvoit un arrangement spcial puisse tre modifie sans le

    consentement des provinces vises par larrangement : Monahan et Shaw, p. 210.

    Les procdures unilatrales fdrale et provinciale

    [45] Les articles 44 et 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 prvoient des

    procdures de modification unilatrales par le fdral et par les provinces :

    44. Sous rserve des articles 41 et 42, le Parlement a comptence exclusive pour modifier les dispositions de la Constitution du Canada

    relatives au pouvoir excutif fdral, au Snat ou la Chambre des communes.

    45. Sous rserve de larticle 41, une lgislature a comptence

    exclusive pour modifier la constitution de sa province.

  • [46] Ces articles jouent essentiellement le mme rle que jouaient les

    par. 91(1)4 et 92(1)5 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui ont t abrogs lors de

    ladoption de la Loi constitutionnelle de 1982 : Accord constitutionnel : Projet

    canadien de rapatriement de la Constitution, notes explicatives 7 et 8; P. W. Hogg,

    Constitutional Law of Canada (feuilles mobiles), p. 4-31 4-34; Pelletier, Rponses

    suggres quant au renvoi sur le snat , p. 462 et 463; G. Tremblay, La porte

    largie de la procdure bilatrale de modification de la Constitution du Canada

    (2011), 41 R.G.D. 417, p. 428; W. J. Newman, Defining the Constitution of

    Canada Since 1982 : The Scope of the Legislative Powers of Constitutional

    Amendment under Sections 44 and 45 of the Constitution Act, 1982 (2003), 22

    S.C.L.R. (2d) 423, p. 494; Pelletier, La modification constitutionnelle au Canada,

    p. 117 et 181; voir aussi R. I. Cheffins, The Constitution Act, 1982 and the

    Amending Formula : Political and Legal Implications (1982), 4 S.C.L.R. 43,

    p. 52-53.

    4 Le paragraphe 91(1) confrait au Parlement comptence lgislative sur :

    1. La modification, de temps autre, de la constitution du Canada, sauf en ce qui concerne les

    matires rentrant dans les catgories de sujets que la prsente loi attribue exclusivement aux

    lgislatures des provinces, ou en ce qui concerne les droits ou privilges accords ou garantis, par la

    prsente loi ou par toute autre loi constitutionnelle, la lgislature ou au gouvernement d une province, ou quelque catgorie de personnes en matire d coles, ou en ce qui regarde lemploi de langlais ou du franais, ou les prescriptions portant que le parlement du Canada tiendra au moins une

    session chaque anne et que la dure de chaque chambre des communes sera limite cinq annes,

    depuis le jour du rapport des brefs ordonnant llection de cette chambre; toutefois, le parlement du Canada peut prolonger la dure dune chambre des communes en temps de guerre, dinvasion ou

    dinsurrection, relles ou apprhendes, si cette prolongation n est pas lobjet dune opposition exprime par les votes de plus du tiers des membres de ladite chambre. 5 Le paragraphe 92(1) confrait aux lgislatures provinciales comptence sur :

    1. Lamendement de temps autre, nonobstant toute disposition contraire nonce dans le prsent acte, de la constitution de la province, sauf les dispositions relatives la charge de

    lieutenant-gouverneur;

  • [47] Les paragraphes 91(1) et 92(1) de la Loi constitutionnelle de 1867

    accordaient aux gouvernements fdral et provinciaux le pouvoir de modifier leurs

    constitutions respectives, condition que les modifications ne mettent pas en cause

    les intrts des autres ordres de gouvernement. Rdig en termes gnraux, le

    par. 91(1) permettait au Parlement de modifier la Constitution du Canada , sous

    rserve de certaines restrictions. En 1980, le gouvernement fdral a demand la

    Cour si le Parlement pouvait procder unilatralement une rforme majeure du

    Snat en vertu du par. 91(1). La Cour a conclu que ce paragraphe autorisait le

    Parlement modifier la constitution du gouvernement fdral dans les matires qui

    concernent uniquement ce gouvernement : Renvoi relatif la Chambre haute, p. 71.

    Le par. 91(1) ne confrait donc pas au Parlement le pouvoir dapporter

    unilatralement des changements constitutionnels telles labolition du Snat ou la

    modification de ses caractristiques essentielles parce que ces changements mettaient

    en cause les intrts des provinces tout autant que ceux du gouvernement fdral :

    ibid, p. 74, 75 et ss. De mme, le par. 92(1) permettait aux lgislatures provinciales

    dadopter des modifications dans la mesure o elles portaient uniquement sur le

    fonctionnement dun organe du gouvernement de la province, pourvu quelle ne soit

    pas par ailleurs intangible parce quindivisiblement lie la mise en uvre du

    principe fdral ou une condition fondamentale de lunion : SEFPO, p. 40, le juge

    Beetz.

    [48] Les art. 44 et 45, qui ont remplac ces dispositions, accordent au

    Parlement fdral et aux lgislatures provinciales la capacit de modifier

  • unilatralement certains lments de la Constitution qui concernent leur propre ordre

    de gouvernement, mais qui ne mettent pas en cause les intrts des autres ordres de

    gouvernement. Ce pouvoir limit deffectuer des changements unilatralement reflte

    le principe selon lequel le Parlement et les provinces sont des acteurs gaux dans la

    structure constitutionnelle canadienne. Aucun des ordres de gouvernement, agissant

    seul, ne peut modifier les nature et rle fondamentaux des institutions cres par la

    Constitution. Toutefois, ces institutions peuvent tre maintenues et mme changes

    jusqu un certain point en vertu des art. 44 et 45, condition que leur nature et leur

    rle fondamentaux demeurent intacts.

    V. Comment peuvent tre apports les changements envisags dans le renvoi?

    [49] Les questions du renvoi requirent que nous donnions notre avis sur la

    capacit du Parlement, agissant seul, de rformer le Snat en instaurant des lections

    consultatives pour slectionner les candidats aux postes de snateurs choisis par les

    lecteurs des diffrentes provinces et territoires, en limitant la dure du mandat des

    snateurs par ltablissement dun mandat dure dtermine, et en supprimant les

    conditions relatives la fortune personnelle et lavoir foncier auxquelles doivent

    satisfaire les snateurs. Nous aborderons chacune de ces questions tour de rle.

    A. lections consultatives

    [50] Le libell de la Loi constitutionnelle de 1867 prvoit la nomination

    officielle des snateurs par le gouverneur gnral :

  • 24. Le gouverneur-gnral mandera de temps autre au Snat, au nom de la Reine et par instrument sous le grand sceau du Canada, des personnes ayant les qualifications voulues; et, sujettes aux dispositions de

    la prsente loi, les personnes ainsi mandes deviendront et seront membres du Snat et snateurs.

    32. Quand un sige deviendra vacant au Snat par dmission, dcs ou toute autre cause, le gouverneur-gnral remplira la vacance en adressant un mandat quelque personne capable et ayant les qualifications voulues.

    En pratique, lorsquil comble les vacances au Snat, une convention constitutionnelle

    oblige le gouverneur gnral suivre les recommandations du premier ministre du

    Canada.

    [51] Le procureur gnral du Canada (avec lappui des procureurs gnraux de

    la Saskatchewan et de lAlberta ainsi que dun des amicus curiaes) soutient que la

    mise en place dlections consultatives pour choisir les snateurs nest pas une

    modification de la Constitution du Canada. Selon lui, cette rforme ne modifierait ni

    le texte de la Loi constitutionnelle de 1867 ni la faon de choisir les snateurs. Il

    souligne que le mcanisme formel de nomination de ces derniers leur nomination

    par le gouverneur gnral sur avis du premier ministre resterait intact. Il soutient

    subsidiairement que, si lintroduction dlections consultatives constitue une

    modification de la Constitution, le Parlement peut alors y procder unilatralement en

    vertu de lart. 44 de la Loi constitutionnelle de 1982.

    [52] notre avis, largument selon lequel lintroduction dlections

    consultatives nest pas une modification de la Constitution est trop formaliste. En

    effet, il rduit la notion de modification constitutionnelle la question de dterminer

  • si le texte de la Constitution se trouve modifi. Cette approche restrictive ne respecte

    pas les exigences de linterprtation et de la conception larges et tlologiques de la

    Constitution qui ont t exposes prcdemment. Certes, le libell des dispositions

    concernant la nomination des snateurs resterait le mme, mais les nature et rle

    fondamentaux du Snat en tant que corps lgislatif complmentaire charg de donner

    un second regard attentif aux projets de loi seraient considrablement modifis.

    [53] Nous concluons que chacune des propositions dlections consultatives

    constituerait une modification de la Constitution du Canada et exigerait un

    consentement apprciable des provinces selon la procdure normale de modification,

    sans toutefois que les provinces aient le droit de se soustraire la modification

    (art. 42). Nous concluons ainsi pour trois raisons : (1) les lections consultatives

    proposes transformeraient fondamentalement larchitecture de la Constitution; (2) la

    partie V rend expressment la procdure normale de modification applicable une

    modification de cette nature; et (3) la modification propose se situe en dehors du

    champ dapplication de la procdure de modification unilatrale fdrale (art. 44).

    Des lections consultatives transformeraient fondamentalement larchitecture de

    la Constitution

    [54] La mise en place dlections consultatives modifierait la Constitution du

    Canada en en transformant fondamentalement larchitecture. Elle modifierait le rle

    tenu par le Snat dans notre ordre constitutionnel en tant quorganisme lgislatif

    complmentaire responsable de porter un second regard attentif aux projets de loi.

  • [55] La Loi constitutionnelle de 1867 prvoit, pour le Parlement fdral, une

    structure prcise reposant sur les mmes principes que celle du Royaume-Uni :

    prambule. Elle cre la fois une chambre lgislative basse compose dlus et une

    chambre lgislative haute dont les membres sont nomms : art. 17. Elle dispose

    expressment que les dputs de la chambre basse, la Chambre des communes, sont

    lus ( shall be elected dans la version anglaise) par la population des diffrentes

    provinces : art. 37. En revanche, aux termes de la Loi, les snateurs sont

    mand[s] (c.--d. nomms) par le gouverneur gnral : art. 24 et 32.

    [56] Le contraste entre llection des dputs la Chambre des communes et

    la nomination des snateurs par lexcutif ne reprsente pas un accident de lhistoire.

    Les rdacteurs de la Loi constitutionnelle de 1867 ont dlibrment choisi le mode de

    nomination des snateurs par lexcutif pour que linstitution o ils sigent puisse

    jouer le rle prcis dorganisme lgislatif complmentaire charg de porter un

    second regard attentif aux projets de loi.

    [57] Comme la crit la Cour dans le Renvoi relatif la Chambre haute, [e]n

    crant le Snat de la manire prvue lActe, il est vident quon voulait en faire un

    organisme tout fait indpendant qui pourrait revoir avec impartialit les mesures

    adoptes par la Chambre des communes : p. 77 (nous soulignons). Les rdacteurs

    ont cherch soustraire le Snat au processus lectoral auquel participaient les

    dputs de la Chambre des communes, afin dcarter les snateurs dune arne

  • politique partisane toujours soumise aux impratifs des objectifs politiques court

    terme.

    [58] Paralllement, la dcision de confier lexcutif la tche de nommer les

    snateurs visait aussi garantir que le Snat deviendrait un organisme lgislatif

    complmentaire, plutt quun ternel rival de la Chambre des communes dans le

    processus lgislatif. Les snateurs nomms nauraient pas le mandat de reprsenter la

    population : ils ne devraient pas rpondre aux attentes dcoulant dune lection

    populaire et ne jouiraient pas de la lgitimit quelle confre. Ainsi, ils sen

    tiendraient leur rle de membres dun organisme dont la fonction principale est de

    revoir les lois, et non dtre lgal de la Chambre des communes. Comme la

    expliqu John A. Macdonald lors des dbats parlementaires sur la Confdration,

    [TRADUCTION] [i]l y aurait [. . .] de plus grands dangers de conflits entre les deux

    chambres si la constitution du conseil lgislatif au lieu dtre laisse entre les mains

    de la couronne devait tre remise entre celles du peuple (Dbats de 1865, 6 fvrier

    1865, p. 37). Un snat dont les membres sont nomms aurait pour rle de modrer

    et [de] considrer avec calme la lgislation de lassemble et [d] empcher la

    maturit de toute loi intempestive ou pernicieuse passe par cette dernire, sans

    jamais oser sopposer aux vux rflchis et dfinis des populations : ibid., p. 36

    (nous soulignons).

    [59] Le fait que les snateurs soient nomms, de mme que le postulat correct

    en dcoulant selon lequel leur nomination empcherait le Snat doutrepasser sa

  • fonction dorganisme lgislatif complmentaire, faonnent larchitecture de la Loi

    constitutionnelle de 1867. Pour ces raisons, les rdacteurs de cette dernire nont pas

    jug ncessaire de prciser par crit comment sarticuleraient les relations entre les

    pouvoirs du Snat et ceux de la Chambre des communes non plus que les moyens de

    rsoudre une impasse entre les deux chambres. En effet, la Loi constitutionnelle de

    1867 confre, premire vue, une comptence lgislative aussi grande au Snat qu

    la Chambre des communes, lexception de la rgle selon laquelle les projets de loi

    relatifs aux impts et laffectation des crdits doivent tre prsents par la Chambre

    des communes (art. 53). Comme le rsume bien le professeur Smith :

    [TRADUCTION] La premire solution [des rdacteurs] au conflit invitable entre des

    assembles dlus tait de nommer les snateurs. Cela permettait au gouvernement jouissant de la confiance de la Chambre des communes dtre normalement mme de faire adopter ses lois par le Parlement,

    tout en habilitant le Snat agir comme instance de contrle dans les rares cas o ctait absolument ncessaire.

    (D. E. Smith, The Canadian Senate in Bicameral Perspective (2003),

    p. 169; voir aussi A. Heard, Constitutional Doubts about Bill C-20 and Senatorial Elections , dans Smith, The Democratic Dilemma, 81, p. 95.)

    [60] Les lections lgislatives proposes transformeraient fondamentalement

    larchitecture constitutionnelle que nous venons de dcrire. Il sagirait alors, par

    extension, dune modification de la Constitution. Ces lections affaibliraient le rle

    du Snat en tant quentit charge de porter un second regard attentif aux projets de

    loi et lui confreraient la lgitimit dmocratique voulue pour bloquer

    systmatiquement les projets de la Chambre des communes, contrairement la

    fonction constitutionnelle qui lui tait assigne.

  • [61] En pratique, une loi fdrale prvoyant llection consultative des

    snateurs les soumettrait aux pressions politiques du processus lectoral et leur

    confierait un mandat populaire. Les snateurs choisis parmi la liste des candidats

    deviendraient des reprsentants du peuple. Ils auraient remport un vritable duel

    lectoral (Renvoi qubcois sur le Snat, par. 71) au cours duquel ils auraient

    vraisemblablement prsent une plateforme de campagne et fait des promesses

    lectorales : Pelletier, Rponses suggres quant au renvoi sur le Snat , p. 470 et

    471. Ils se joindraient au Snat aprs avoir obtenu le mandat et la lgitimit que

    confre une lection au suffrage populaire.

    [62] Le procureur gnral du Canada rplique que ce changement structurel

    denvergure ne se produirait pas parce que le premier ministre conserverait le pouvoir

    de ne pas tenir compte des rsultats des lections consultatives et de nommer qui il

    veut au Snat. Nous ne pouvons accepter cette prtention. Les projets de loi C-20 et

    C-7 ont t conus pour entraner la nomination au Snat de candidats choisis par la

    population des provinces et des territoires. Le projet de loi C-7 est le plus explicite

    des deux puisquil prvoit que le premier ministre tient compte des personnes

    dont le nom figure sur la liste des candidats lus. Certes, en thorie, le premier

    ministre pourrait ignorer les rsultats des lections et ne recommander au gouverneur

    gnral que rarement, voire jamais, les gagnants des lections consultatives.

    Cependant, lobjet des projets de loi est clair : que le Snat devienne une entit dote

    dun mandat populaire. Nous ne pouvons tenir pour acquis que les futurs premiers

    ministres contrecarreront cet objet en ignorant les rsultats dlections consultatives

  • coteuses et prement disputes : voir titre dexemple la rflexion de M. D. Walters,

    The Constitutional Form and Reform of the Senate : Thoughts on the

    Constitutionality of Bill C-7 (2013), 7 J.P.P.L. 37, p. 47 et 48. Une analyse

    juridique de la nature et des incidences constitutionnelles de projets de loi ne peut se

    fonder sur lhypothse que la loi chouera entraner les changements quelle vise

    mettre en uvre.

    [63] En bref, la mise en uvre des propositions visant la tenue dlections

    consultatives contenues dans les questions soumises en lespce modifierait la

    Constitution du Canada. En effet, elle transformerait le rle du Snat au sein de notre

    structure constitutionnelle; dun organe lgislatif complmentaire charg de porter un

    second regard attentif aux lois, il deviendrait un organe lgislatif dot dun mandat

    populaire et dune lgitimit dmocratique.

    Le texte de la partie V indique que la mise en uvre de la proposition visant la tenue dlections consultatives entrane lapplication de la procdure

    normale de modification

    [64] Notre conclusion suivant laquelle la mise en uvre des propositions

    relatives la tenue dlections consultatives modifierait la Constitution canadienne

    trouve appui dans le texte de la partie V. Les termes qui y sont utiliss servent de

    guides pour dterminer quels aspects de notre systme de gouvernement font partie

    du contenu constitutionnel protg. Suivant lal. 42(1)b) de la Loi constitutionnelle

    de 1982, la procdure normale de modification (par. 38(1)) sapplique aux

    modifications constitutionnelles portant sur le mode de slection des snateurs

  • ( the method of selecting Senators en anglais). Cette expression au sens large

    couvre la mise en place dlections consultatives, et indique quune modification

    constitutionnelle effectue conformment la procdure normale de modification est

    requise : H. Brun, G. Tremblay et E. Brouillet, Droit constitutionnel (5e d. 2008),

    p. 343; Whyte, p. 106; voir aussi C.-E. Ct, Linconstitutionnalit du projet

    dlections fdrales snatoriales (2010), 3 R.Q.D.C. 81, p. 83, cit dans le Renvoi

    qubcois sur le Snat, par. 50; Walters, The Constitutional Form and Reform of

    the Senate , p. 52.

    [65] Lexpression mode de slection des snateurs ne vise pas uniquement

    la nomination officielle des snateurs par le gouverneur gnral.

    [TRADUCTION] [L]alina 42b) renvoie au mode de slection, et non au mode de

    nomination, des personnes aptes tre nommes : Whyte, p. 106 (italiques dans

    loriginal). En utilisant ce libell, les auteurs de la Loi constitutionnelle de 1982 ont

    tendu la protection constitutionnelle prvue par la procdure normale de

    modification tout le processus de slection des snateurs. Les lections

    consultatives envisages dans les questions du renvoi permettraient dtablir des listes

    de candidats, dont seraient censs se servir les premiers ministres au moment de

    procder des nominations au Snat. La compilation de listes de candidats

    snatoriaux par la tenue dlections nationales ou provinciales et territoriales et la

    prise en considration de ces listes par le premier ministre avant la prsentation de ses

    recommandations au gouverneur gnral seraient incluses dans le mode de slection

    des snateurs . En consquence, la mise en place dlections consultatives relve de

  • lal. 42(1)b) et est assujettie la procdure normale de modification, sans que les

    provinces puissent sy soustraire .

    [66] Dans un mme ordre dide, le procureur gnral du Canada plaide que

    des lections consultatives ne constitueraient pas, de par leur caractre vritable ,

    des modifications portant sur le mode de slection des snateurs . Il sappuie ici

    sur la doctrine du caractre vritable utilise par les tribunaux dans les affaires de

    partage des comptences pour dcider si une loi a t validement adopte par un ordre

    de gouvernement : voir Hogg, p. 15-7 15-10. Les tribunaux se demandent dans de

    tels cas si la loi, de par son objet et ses effets, relve dun des chefs de comptence

    constitutionnelle de lautorit lgislative : Renvoi relatif la Loi sur les valeurs

    mobilires, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837, par. 63-66. Selon le procureur

    gnral, une loi visant la mise en place dlections consultatives ne constituerait pas,

    de par son objet et ses effets, une modification relative au mode de slection des

    snateurs . Il restreint ainsi le sens de cette expression au mcanisme officiel de

    nomination des snateurs par le gouverneur gnral.

    [67] Comme nous lavons vu, lexpression mode de slection des

    snateurs , suivant le sens ordinaire des termes qui le composent, ne vise pas

    uniquement le mcanisme officiel de nomination. Lemprunt dune doctrine issue de

    la jurisprudence sur le partage des comptences ncarte pas les difficults que pose

    le texte constitutionnel. Mme si la doctrine du caractre vritable tait pertinente

    pour la prsente analyse, son application ne saurait justifier une interprtation

  • restrictive des dispositions pertinentes relatives la modification de la Constitution.

    En effet, il convient de rappeler que les art. 38 et 42 de la Loi constitutionnelle de

    1982 visent assurer quun consentement provincial apprciable sera obtenu pour les

    modifications constitutionnelles mettant en cause des intrts provinciaux. La

    procdure 7/50 constitue la rgle gnrale applicable pour modifier la Constitut