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REPRÉSENTATIONS DES RECOMMANDATIONS PROFESSIONNELLES PAR LES MÉDECINS GÉNÉRALISTES Patrick Laure et Jean-Yves Trépos S.F.S.P. | Santé Publique 2006/4 - Vol. 18 pages 573 à 584 ISSN 0995-3914 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-sante-publique-2006-4-page-573.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Laure Patrick et Trépos Jean-Yves, « Représentations des recommandations professionnelles par les médecins généralistes », Santé Publique, 2006/4 Vol. 18, p. 573-584. DOI : 10.3917/spub.064.0573 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour S.F.S.P.. © S.F.S.P.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of Calgary - - 136.159.235.223 - 13/03/2013 14h33. © S.F.S.P. Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of Calgary - - 136.159.235.223 - 13/03/2013 14h33. © S.F.S.P.

Représentations des recommandations professionnelles par les médecins généralistes

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REPRÉSENTATIONS DES RECOMMANDATIONSPROFESSIONNELLES PAR LES MÉDECINS GÉNÉRALISTES Patrick Laure et Jean-Yves Trépos S.F.S.P. | Santé Publique 2006/4 - Vol. 18pages 573 à 584

ISSN 0995-3914

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-sante-publique-2006-4-page-573.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Laure Patrick et Trépos Jean-Yves, « Représentations des recommandations professionnelles par les médecins

généralistes »,

Santé Publique, 2006/4 Vol. 18, p. 573-584. DOI : 10.3917/spub.064.0573

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Santé publique 2006, volume 18, no 4, pp. 573-584

PRATIQUES

Représentationsdes recommandationsprofessionnellespar les médecins généralistesRepresentations of clinical practiceguidelines by general practitionersP. Laure (1), J.Y. Trépos (2)

Résumé : L’objectif de cette étude est de comprendre les représentations desmédecins généralistes par rapport aux recommandations professionnelles. Deuxéchantillons de praticiens exerçant la médecine générale libérale ont été étudiésselon deux méthodes d’analyse : la méthode des scénarios, adressés par courriel àdes médecins appartenant à un réseau de recueil de données et la méthode detable-ronde rassemblant des volontaires ayant répondu au scénario et tirés au sort.Deux cent soixante dix-neuf réponses ont été reçues, parmi lesquelles 252 hommeset 27 femmes (taux de retour de 80 %). Onze médecins dont 4 femmes ont participéà la table ronde. L’analyse des résultats montre que l’adhésion au scénario est trèsbonne. Seuls 39 % des répondants estiment que les recommandations sont peuutiles. L’idéal-type de l’univers des réponses est constitué. Cinq thèmes ressortentdu débat, dont les deux principaux sont l’élaboration des recommandations etl’opposition mesurée entre médecin individuée et épidémiologie. La majorité desmédecins considère les recommandations comme un atout, à la fois comme outil etcomme incitation, bien qu’ils les jugent difficiles à tenir et qu’ils demandent à lesaméliorer.

Correspondance : P. Laure Réception : 02/03/2005 - Acceptation : 31/08/[email protected]

(1) DRDJS, 13, rue Mainvaux, BP 69, 54139 Saint-Max Cedex.(2) ERASE, UFR Sciences humaines et Arts, Ile du Saulcy, 57045 Metz Cedex 1.

Summary: The objective of this study is to understand the representations of generalpractitioners in regards to clinical practice guidelines. Two general practitioners sampleshave been studied according to two analytical methods: the method of scenarios, sentby e-mail to doctors belonging to a network, and a round table gathering volunteershaving answered the scenario and drawn lots. 279 answers were received from 252 menand 27 women (response rate of 80%); eleven doctors (4 women) participated in theround table. Results analysis shows that the credibility of the scenario is judged as verygood. Only 39% of the referees estimated that practice guidelines are little useful. The

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IntroductionL’évolution récente de la médecine

a été marquée par la publication d’unequantité considérable d’informationsmédicales relevant de domaines aussivariés que la biologie clinique, la phar-macologie, l’imagerie médicale, lapneumologie et autres spécialités.

Issues de la recherche appliquée,nombre de ces données étaient pré-sumées pouvoir s’intégrer à la pra-tique médicale générale ou spécia-lisée, hospitalière ou de ville, afind’améliorer les stratégies de prise encharge préventive ou curative despatients.

Cependant, leur nombre consé-quent, leur complexité potentielle etleur perpétuelle évolution ont vite ren-du malaisées leur accessibilité, leurmanipulation et leur appropriation parles praticiens.

Aussi, dès les années 1980, sontélaborés des textes qui en font la syn-thèse, afin de fournir aux médecins unétat actualisé et assimilable desconnaissances sur des sujets relevantde leur pratique quotidienne. La plu-part de ces articles comportent des« recommandations professionnelles »,définies comme des propositions dé-veloppées méthodiquement pour ai-der le praticien et le patient à recher-cher les soins les plus appropriésdans des circonstances cliniques don-nées [25].

Le souci principal de ces recom-mandations était triple [35] :

– améliorer la qualité les soins ;

– augmenter la satisfaction despatients ;

– réduire les dépenses de santé.

Elles avaient également d’autresobjectifs, en particulier la nécessitéressentie de recourir à une expertisecollective et la volonté de se défaire del’emprise de l’industrie pharmaceu-tique sur la formation des prescrip-teurs.

Toutefois, à la fin des années 1980,les premières évaluations de l’impactdes recommandations, dont le nom-bre ne cesse de croître [15], sont miti-gées.

Certaines concluent à leur efficacité.Ainsi, dans la revue de Grimshaw etRussel, 55 des 59 études portant surles recommandations montrent aumoins un changement bénéfique dansla prise en charge des patients, et 9sur 11 rapportent une améliorationdans la qualité des soins [14].

D’autres s’interrogent [21]. En effet,encore faut-il, pour se montrer effi-caces, que les recommandationssoient prises en compte par les princi-paux intéressés : les médecins. Or,différents travaux suggèrent un écartentre les pratiques médicales et cesrecommandations [22]. Cet écart n’estpas pour autant toujours négatif : on a

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Mots-clés : recommandations professionnelles - médecins généralistes.Key words: clinical practice guidelines - general practitioners.

ideal type of answers was established. Five themes appeared from the debate, the maintwo being the elaboration of the guidelines and the measured opposition betweenmedicine applied to individuals and epidemiology. The majority of the physiciansconsidered clinical guidelines as a trump card, at the same moment as a tool and as aninstigation, but found them difficult to hold and asked for their improvement.

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pu montrer, à propos de la cancéro-logie, que la modulation de ces règles,rendue possible par leur relative im-précision, est un facteur qui est res-senti positivement par les médecinsconcernés [5].

De nombreuses études s’attachentalors à décrire les facteurs qui pour-raient augmenter l’efficacité des re-commandations, et en premier lieuleur l’utilisation par les médecins,comme les audit-retour d’information,la formation médicale continue inter-active, les rappels (en anglais, remin-ders), les systèmes informatiquesd’aide à la prescription et autre diffu-sion sur Internet [7, 20, 26, 29]. Ainsi,en France, le service médical de l’As-surance Maladie a eu recours auxéchanges confraternels au cabinetdes médecins à l’occasion de pro-grammes destinés à améliorer les pra-tiques (hypertension artérielle, dia-bète, antibiothérapie) [23, 30, 32].

Il apparaît cependant que les résul-tats de ces travaux sont difficilementcomparables, en particulier car lesméthodes d’évaluation utilisées nesont pas toujours fondées sur un pro-tocole validé [77]. En outre, ces étudess’intéressent surtout à la mesure dudegré d’efficacité des facteurs évo-qués ci-dessus et très peu aux méca-nismes d’appropriation des recom-mandations par les praticiens.

L’objectif du présent travail est decomprendre les représentations desrecommandations professionnellespar les médecins généralistes, et desaisir les différents facteurs qui en in-fluencent les structures, donc lepotentiel de changement et/ou derésistance au changement.

Cette étude a été financée parl’Agence nationale d’accréditation etd’évaluation en santé (ANAES).

Contexte

On peut présenter la recommanda-tion comme un dispositif de politiqueprofessionnelle top-down, expressiond’une conception rationnelle et scien-tifique de la médecine et d’uneconception sociétale liée au doubleimpératif de santé publique et d’éco-nomie de la santé.

En somme, tout se passe comme siles instances professionnelles cher-chaient à aller au-devant d’attentes etde pratiques des acteurs de base pourpermettre leur expression réglée [17].Une démarche d’autant plus fondée, apriori, que le médecin est un être àconvertir en permanence, tant il estpris entre la réactivation automatiquedes savoirs appris sur les bancs del’université lors de sa formation initialeet l’incorporation progressive des en-seignements qu’il tire de sa proprepratique [18].

Toutefois, ce dispositif semble pré-senter certains inconvénients. D’unepart, il ne permet pas, ou difficilement,aux médecins de faire remonter(bottom-up) leurs attentes ou leurssuggestions quant à la pertinence ou àl’applicabilité de certaines recomman-dations [3]. D’autre part, ces dernièressont élaborées par un collège d’ex-perts qui statue le plus souvent surdes segments (par exemple : le dia-bète ou l’hypertension artérielle), alorsque les professionnels qui les reçoi-vent ont affaire, quant à eux, à desentités globales, c’est-à-dire à despatients caractérisés par leur âge, leursexe, leurs origines sociales, leurscroyances, leur savoir, leur culture,leurs antécédents médicaux, etc. Ladifficulté est donc de faire coïnciderces deux approches.

En pratique, nous recourrons àl’hypothèse qui distingue « plis »,« prise » et « repères » [4]. Selon elle,

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toute réalité sociale se présentecomme dotée de « plis », qui lui sontconférés par le temps : ce sont les« plis » de l’usage. L’ambition de toutepersonne qui cherche à se l’approprierest d’avoir « prise » sur cette réalité :il s’agit de sa prise à elle, qui n’est pasinterchangeable. D’où la tentative d’yapposer des « repères », qui figurentautant de dispositifs d’utilisation etqui visent précisément à permettrela réitération de la prise. Cette notionrenseigne sur le lien qu’une personneétablit entre son expérience, sesreprésentations, ses valeurs, etc.

Une recommandation arrive dansl’univers cognitif des médecins, por-teuse des « plis » de la rhétorique desexperts, qui sont en fait leurs repères,invisibles pour les autres. Elle fait alorsl’objet de différentes catégories de« prises » : la méprise (confondueavec d’autres), la déprise (acceptéedans un premier temps, elle est viterejetée, par exemple, « d’un niveau depreuve insuffisant »), la surprise (on nesait qu’en penser). Ces différentes« prises » passent par l’installation de« repères » (post-it, découpage, surli-gnage, mise « à portée de la main »,etc.), qui représentent autant de che-mins de pragmatique cognitive entreles savoirs.

Population et méthodes

1) Population

La population d’étude est compo-sée de 350 médecins généralistesexerçant la médecine dite « de ville »et participant aux enquêtes diligen-tées par le réseau Thalès (BKLConsultant SA, Boulogne Billancourt).Ces praticiens, motivés, sont géogra-phiquement répartis sur l’ensemble duterritoire national. Les répondantssont rémunérés au tarif de 20 euros.

2) Recueil de données

Deux phases ont été prévues.

La première repose sur la méthodedes scénarios. Elle consiste à diffuserun scénario auprès d’un échantillonde médecins généralistes (MG) exer-çant en France métropolitaine. Cetteméthode qualitative, projective et par-ticipative, a pour objet l’identificationet le recueil des représentations depremier plan ou d’arrière-plan mobili-sées par les personnes pour une prisede décision, pour élaborer une solu-tion ou pour trouver un accord. Enpratique, il s’agit de soumettre auxpersonnes que l’on veut interroger,une série de propos volontairementschématiques, en forme de récit dé-bouchant sur une impasse ou unedifficulté à résoudre. On demande àl’enquêté de proposer une issuecorrespondant à son approche de lasituation évoquée (Encadré 1). Le scé-nario a été adressé par courriel. Lesretours étaient possibles par courriel,courrier ou fax, auprès de Thalès, quiles a fait parvenir à l’équipe derecherche sous une forme anonyme.

Ce texte est accompagné de laconsigne écrite suivante :

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Vous avez assisté à cette discussion etvous souhaitez, à votre tour, répliquer àl’un ou l’autre, ou bien dire votre accordavec tel ou tel, ou encore rapporter uneanecdote tirée de votre pratique, oubien même faire tout cela à la fois.Développez votre opinion en quelqueslignes.

La deuxième phase est une opéra-tion de négociation, au cours d’unetable-ronde, visant un consensus àpartir de ces réponses. Quinze méde-cins, désignés par tirage au sort parmiles sujets volontaires ayant retournéleur feuille de scénario, ont été invitéspar téléphone à participer à une

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Encadré 1 :Scénario adressé aux médecins

Plusieurs médecins se rencontrent lors d’un pot offert par un laboratoire.Régine, jeune praticienne, évoque la dernière recommandation qu’elle vient derecevoir. Elle dit qu’elle essaiera de l’appliquer comme les autres, mais que ça prenddu temps. Elle est curieuse de connaître l’opinion et la pratique de ses confrères dansce domaine.Pierre lui répond : « Je n’ai pas le temps de lire intégralement les recommandationscar je consacre toute mon énergie à mes patients. C’est cela la priorité. De toutefaçon, les recommandations ne sont que du bon sens, il suffit donc d’en faire preuvepour ne pas avoir besoin d’y recourir. »Quentin serait plutôt d’accord avec Régine, mais, dit-il, « Il est impossible de lesconnaître toutes par cœur. Je reçois tellement de paperasse que je ne peux pas toutéplucher. Et surtout me rappeler où j’ai lu telle ou telle recommandation. Par exemple,celle sur la rhinopharyngite aiguë est de l’AFSSAPS, celle sur la prise en charge del’urticaire chronique provient de l’ANAES et celle sur l’utilisation des gouttes etpoudres à usage auriculaire a été élaborée par la SFORL… Il faudrait un guide desrecommandations ! » ajoute-t-il en riant.« Et encore, ajoute Nicole, ça ne suffirait pas, car les experts qui produisent lesrecommandations n’ont pas toujours une vision pratique de notre exercice quotidien.Par exemple, la recommandation pour la prise en charge du diabétique. On y lit qu’ilfaut conseiller au patient de faire du sport. D’accord, mais quel sport ? À quellefréquence ? Comment dois-je adapter ses doses d’insuline ? Faut-il qu’il mangequelque chose avant ou pendant, et si oui quoi ? Et qu’advient-il si le patient est à lafois diabétique et hypertendu, ou coronarien, fumeur, etc ? ».Sylvain, qui les observe depuis un moment, profite d’un temps mort pour apporter sacontribution à la discussion : « Trente ans de pratique m’ont donné l’occasion deprendre toutes ces proclamations avec philosophie. Quand tous les experts, lesassociations de patients, les sociétés savantes et les organisations professionnellesse mettront d’accord entre eux à propos des recommandations, alors peut-être que jem’y intéresserai. Par exemple, quand on adresse un patient pour endoscopie, l’ANAESdit qu’il n’est pas nécessaire de lui faire signer un formulaire de consentement éclairé.Mais de nombreux gastro-entérologues lui font tout de même signer un papier commequoi il a reçu une information et des réponses aux questions qu’il se pose. Après,quand on revoit le patient, on entend : “docteur, vous m’aviez dit que… mais enréalité…”, alors qu’on lui avait expliqué que c’était les dernières données de la scienceet qu’il pouvait être confiant ! ».Michelle est choquée par ce pessimisme et défend la pratique des recommandations :« Les recommandations de l’ANAES me servent de référence dans ma pratiquequotidienne. Les groupes d’experts qui les produisent ont une vision globale etapprofondie de la thématique concernée et prennent en compte toutes les étudespubliées dans les revues sérieuses. Grâce aux recommandations, on peut faire de lamédecine basée sur des preuves. Ainsi, face à des patients difficiles parce qu’ils sontatteints de plusieurs pathologies chroniques, par exemple hypertendu, artéritique,coronarien et alcoolo-tabagique, l’utilisation des différentes recommandations permetde hiérarchiser les risques. Tout médecin devrait se les approprier au nom de laqualité des soins et du respect des patients. »« Les recommandations partent d’un bon sentiment, améliorer la qualité des soins, luiconcède Thierry. Mais elles oublient une chose : l’avis du patient sur la question. Parexemple, dans la recommandation sur l’allaitement maternel, il y a un schéma quidécrit la position de la langue du nourrisson par rapport à l’aréole du sein : je me voisbien en train d’expliquer ça au bébé ! Plus sérieusement, la plupart de mes patientsdiabétiques de type 2 ne font pas tous les contrôles glycémiques “recommandés”.Quand je tente de les convaincre de leur bien-fondé, ils répondent : “J’en ai assez deme piquer le doigt” ou encore “Depuis le temps, je sens bien dans quelle zone deglycémie je me situe”. Il faut donc sans arrêt négocier et les recommandations neprennent pas cette dimension en compte. »

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table-ronde commune (leurs frais dedéplacement ont été pris en chargeet les participants ont reçu une indem-nité).

3) Analyse des données

Les données ont été analysées surModalisa® 4,6, logiciel de traitementd’enquête, et Prospero®, logicield’analyse de contenu permettant dedécrire et comparer des corps detextes hétérogènes et complexes.

Résultats

1) Les sujets répondants

Sur 350 praticiens sollicités dans leréseau Thalès, 279 ont retourné unscénario après deux relances, soit untaux de retour de 80 % : 252 hommeset 27 femmes, la tranche d’âge la plusreprésentée étant celle des plus de50 ans. Sur ces 279 retours, 16 s’avè-rent inexploitables pour une analysede contenu.

Onze médec ins , don t qua t refemmes, sur les quinze praticienssollicités, se sont déplacés pour parti-ciper à la table-ronde organisée àParis. Ils exercent essentiellement enIle-de-France. Le débat, qui a durédeux heures, a été enregistré, avecl’accord des participants.

2) Résultats, méthodedes scénarios

Le scénario proposé est crédiblepuisque seules 3 réponses en récu-sent la vraisemblance.

a) Adhésion au principedes recommandations

L’ensemble des réponses peut êtrerecodé en trois propositions concer-nant les recommandations :

– Elles sont plutôt inutiles (parexemple, « peu utiles, le bon sens

suffit », « instrument discutable decontrôle », « difficiles à appliquer enpratique », « sont dangereuses »).Cette position concerne 39 % desrépondants.

– Elles sont plutôt utiles (parexemple, « pas des obligations maisdes outils », « un atout pour le méde-cin », « sont au service du patient »,« permettent d’harmoniser les pra-tiques ») pour 33 % des répondants.

– Elles sont utiles, « oui mais » (parexemple, « il faut les améliorer », « ilfaut les adapter »), pour 28 % des ré-pondants.

b) L’idéal-type de l’universdes réponses

Cet univers, constitué des items ex-traits des réponses, s’organise autourde six opinions principales :

– « Les recommandations sont peuutiles » : cette position montre la partiela plus négative de l’idéal-type. Celle-ci est dominée par l’idée que les re-commandations ne font que redire cequ’on sait déjà à force de pratiquer, desuivre la formation médicale continueou de lire la presse médicale. Elle ren-voie la médecine à son classementcomme « art ».

– « Les recommandations sont uninstrument discutable de contrôle »,également porteur de connotationsnégatives, est plus radical, puisqu’ildénonce la recommandation commesupercherie ou embrigadement (àterme, le médecin rationalisé est assi-milable à un « robot », puis remplacépar lui).

– « Les recommandations ne sontpas des obligations mais des outils »insiste sur le caractère non obligatoiredes recommandations : c’est uneorientation, un objectif à approcher ouà atteindre, tout en gardant sa libertéde manœuvre.

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– « Les recommandations sont diffi-ciles à tenir » est surtout porteur desopinions qui font référence à la diffi-culté de s’approprier et/ou de mettreen œuvre les recommandations : le faitqu’elles soient figées dans le tempsou contradictoires, le manque detemps, la difficulté de les appliquer enpratique, y dominent. Ce sont plutôtdes médecins ayant un grand nombred’années d’exercice qui y adhèrent(27 ans en moyenne, versus 23 anspour ceux qui n’y adhèrent pas,p < 0,05).

– « Les recommandations sont unatout pour le médecin généraliste » re-groupe tout ce qui souligne l’intérêtdes recommandations pour le MG :c’est un outil méthodique, bien éla-boré, qui permet au MG de prendre durecul.

– « Améliorer les recommanda-tions » regroupe tout ce qui insiste surla nécessité de les améliorer, tant ence qui concerne leur construction, leurprésentation, leur fonction formativeque leur accessibilité. Ce sont plutôtdes médecins ayant un petit nombred’années d’exercice qui y adhèrent(22 ans en moyenne, versus 26 anspour ceux qui n’y adhèrent pas,p < 0,05).

c) Les différentes formesde raisonnements tenus

L’idéal-type permet de montrer lesdifférentes alternatives suscitées parle scénario. Il reste à savoir commentcirculent les argumentations à l’inté-rieur de cet univers abstrait.

La combinaison de l’ensemble desopinions permet d’obtenir 64 phrasesdéclaratives simples et schématiques.On en retiendra un tiers, car la majoritédes combinaisons n’a pas de sens,comme adhérer à l’ensemble des opi-nions (effectivement, aucun médecinne se trouve dans ce cas). Les combi-

naisons retenues apparaissent dans letableau I.

On observe que 59 raisonnementssur 259 ont une connotation positive,contre 34 qui en ont une négative. Laforme centrale du raisonnement prenden compte l’atout que constituent lesrecommandations pour le médecingénéraliste, mais le pondère par la pri-se en compte des difficultés. Le soucide les améliorer y est fort logiquementassez souvent associé (N = 26).

Il se dégage donc de ces raisonne-ments une forme de pragmatisme(attitude d’ailleurs revendiquée parplusieurs répondants).

3) Résultats, table-ronde

Appelés à s’exprimer sur la placedes recommandations dans leur pra-tique médicale, les MG ont répondu àpeu près la même chose qui peut êtrerésumée par : « On va dire que c’estbien de les avoir, mais qu’elles sontperfectibles ». Sur ce dernier point,selon eux, les recommandations sont« trop nombreuses », « trop com-plexes », « mal présentées », elles« manquent de réactivité » et elles en-trent parfois « en contradiction avecl’avis d’autres spécialistes ».

Cinq thématiques, de durée d’im-portance inégale, ont structuré ledébat. Les deux principales ontconcerné d’une part les modalités de« fabrication » des recommandationset le contexte d’expertise, et d’autrepart l’opposition entre la médecineindividuée et l’épidémiologie. Lesautres, moins saillantes, portent surles relations entre spécialistes, hospi-taliers et généralistes (considérées àdeux ou trois reprises comme plus for-matrices que les recommandations),sur les ajustements par rapport auxpatients et la liberté de manœuvre, surles rapports entre références médi-cales opposables (RMO) et recom-

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mandations (« Les recommandationssont le positif dont les RMO étaient lenégatif », dit un MG).

DiscussionNotre étude comporte quelques

limites, dont l’appartenance desmédecins au réseau Thalès, au seinduquel ils ont été recrutés dans un butéconomique par une entreprise privée.De plus, au sens statistique du terme,

l’échantillon n’est pas représentatif dela population des omnipraticiens en2003, pour la France métropolitaine.Toutefois, bien que cette situationconstitue une source de biais, celle-cin’est pas problématique dans l’en-quête. En effet, ce réseau a déjà étéutilisé par ailleurs, notamment pourétablir une typologie des consultationset visites des médecins généralistes[6] et surtout, notre démarche n’estpas tant descriptive et explicative, que

Types de raisonnements tenus N

Les recommandations...... ne sont pas très utiles 8

... ne sont pas très utiles et sont difficiles à tenir 13

... ne sont pas très utiles et sont un instrument discutable de contrôle 1

... ne sont pas très utiles, sont difficiles à tenir et sont un instrument de contrôle 5

… SONT UN ATOUT 12

... SONT UN ATOUT, MAIS DIFFICILES À TENIR 33

... SONT UN ATOUT, MAIS IL FAUT LES AMÉLIORER 10

... SONT UN ATOUT, MAIS PAS DES OBLIGATIONS 3

... SONT UN ATOUT, MAIS DIFFICILES À TENIR, IL FAUT LES AMÉLIORER 12

... SONT UN ATOUT, ET CE NE SONT PAS DES OBLIGATIONS, MAIS IL FAUT 1LES AMÉLIORER

... SONT UN ATOUT, MAIS DIFFICILES À TENIR, QUOIQUE INCITATIVES 14

... SONT UN ATOUT, MAIS DIFFICILES À TENIR, QUOIQUE INCITATIVES ET IL FAUT 4LES AMÉLIORER

… sont difficiles à tenir 31

... sont difficiles à tenir et il faut les améliorer 14

... sont difficiles à tenir, mais ce ne sont pas des obligations 13

... sont difficiles à tenir, quoique incitatives et il faut les améliorer 4

... sont un instrument discutable de contrôle 4

... sont un instrument discutable de contrôle et sont difficiles à tenir 3

… doivent être améliorées 9

... ne sont pas des obligations 2

… ne sont pas des obligations, mais il faut les améliorer 1

Ne se trouve dans aucun idéaltype 4

Autres cas 62

Tableau I : Principaux types de raisonnements tenus par les médecins.

N = nombre de médecins concernés.En italiques : les raisonnements à connotation négative.En majuscules : les raisonnements à connotation positive.

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compréhensive. Les données quenous avons recueillies et traitées sontdonc de nature qualitative.

Enfin, nos résultats recoupent ceuxdes études qui explorent les modalitésd’utilisation et la perception des re-commandations par le corps médical :les pratiques de nos médecins nesemblent donc guère éloignées decelles de leurs confrères, au moins surle point de l’usage des recommanda-tions.

Ainsi, comme d’autres, nos répon-dants pensent que les recommanda-tions constituent un atout pour le pra-ticien [13, 19, 27, 31, 33], même s’ilsn’y recourent pas toujours dans leurpropre pratique [34].

Ils disent aussi qu’elles sont troplongues, pas assez synthétiques,complexes et difficiles à mémoriser[12, 28, 36] et qu’elles sont élaboréespar des experts éloignés de la pra-tique de terrain, ou qui ne la compren-nent pas [16].

Comme dans d’autres travaux, cesont plutôt des médecins installésdepuis longtemps qui avancent queles recommandations sont, dans l’en-semble, difficiles à tenir [10, 37], etnous n’observons aucune différencedans les réponses en fonction du sexeou du lieu de résidence du praticien[33].

D’une façon générale, les recom-mandations sont prises au sérieux parla majorité des MG interrogés, mêmes’ils sont nombreux à émettre des ré-serves. Cependant, il apparaît toutaussi clairement que les recomman-dations font partie d’un tout, dont lesdifférentes parties sont inégalementvalorisées : elles côtoient les informa-tions de la presse médicale et cellesdes formations post-universitaires. Onvoit alors certains récuser leur intérêt,tout en affirmant l’utilité de ces deux

dernières composantes, qu’ils se sen-tent, au fond, capables de transformerde facto en « recommandations ».Toutefois, il est nécessaire de souli-gner leur apparente absence de cri-tique quant à l’influence potentielle del’industrie pharmaceutique sur cesdeux moyens de formation continue.

La conversion permanente du mé-decin est donc possible parce qu’elleest fondamentalement acceptée (« Ona appris à apprendre », dit un MG).Pour autant, en l’absence de dispositifnon commercial d’observation despratiques médicales, on ne peut pasfacilement savoir si cette conversionreste toute théorique ou si elle se tra-duit par des changements de pratique(certains médecins interrogés l’ontpourtant déclaré).

Enfin, les MG interrogés ont peuparlé de leurs « prises » et de leurs« repères » et davantage des « pliures »des recommandations. Ces « plis »sont d’abord ceux de l’organismeémetteur de la recommandation(ANAES, AFSSAPS), de la conférencede consensus (ou de recommandationpour la pratique clinique) et du jury quila rédige.

L’étude montre également certainesformes de « prises ». À celles évo-quées initialement (méprise, déprise,surprise), il faut ajouter la reprise (cequ’il faut reprendre pour comprendre)et l’emprise (la pratique saisie par larecommandation). Ce travail soulignesurtout qu’au-delà de l’apparente di-versité des modes d’organisation pra-tique des médecins, les « prises » sontassez homogènes.

La méprise repose sur une confu-sion. Dans notre étude, la principalesource de méprise est la difficultéd’identifier l’organisme émetteur(ANAES, AFSSAPS), mais elle n’a au-cune incidence dommageable auxyeux des médecins interrogés.

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La déprise, comme la surprise, sontliées aux retournements de tendance(certains vont jusqu’à parler de chan-gement de mode) : les MG interrogésévoquent l’évolution permanente de lamédecine et la difficulté de s’en tenirune fois pour toutes à une série d’indi-cations. On pourrait aussi y lire unetraduction du constat de la majoritédes travaux ayant porté sur la mise enœuvre des recommandations, quimontrent une disparition rapide del’impact des interventions à l’arrêt decelles-ci [1]. Leurs « mauvaises sur-prises », exprimées dans la table-ronde, viennent de ce qu’ils ont pu « ycroire » et qu’« on » leur dit un jourqu’il ne fallait plus « y croire ». Ils lesjugent d’autant plus « mauvaises »qu’elles étaient initialement présen-tées comme importantes aux yeuxdes promoteurs et/ou que leur appro-priation avait nécessité un effort no-table. Il y a aussi les « bonnes sur-prises », comme ce MG, heureux devoir qu’une recommandation revienneen arrière sur une pratique qui lui pa-raissait suspecte (en l’occurrence letraitement hormonal substitutif).

Ces surprises sont le plus souventsources de déprises : « Au début on aété très attentifs et puis de moins enmoins ». Le mouvement le plus fort dedéprise est en fait celui que produit laconjonction entre l’accumulation desrecommandations et la surcharge dutravail de consultation médicale. Iln’est toutefois pas exclu que lemanque d’harmonisation entre cer-taines recommandations, pourtantélaborées à partir des mêmes don-nées scientifiques comme le souligneDurieux, contribue également à cettedéprise [9].

La reprise est certainement l’unedes formes majeures de la « prise »dans cette enquête : on reprend la re-commandation lorsqu’on en a besoin(et ce sera d’autant plus facile qu’on y

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aura apposé ses « repères » person-nels) et à force de la mobiliser de lasorte, on la fait sienne. Malheureuse-ment, les MG n’ont pas été très disertssur ces « repères ».

Quant à l’emprise, qui serait la voieidéale visée par une recommandation(c’est-à-dire son intégration quasi na-turelle dans une routine de travail sousla forme d’une injonction inaperçue),elle a peu de chance d’être verbaliséecomme telle : les MG revendiquentfort de faire de leur « bon sens » la cléde voûte de leur exercice. Comme lemontrent Urfalino et al., la véritableemprise sur les médecins, reconnuecomme telle, est celle de la pratique[31].

En définitive, comment caractériserl’art de la prise de recommandationschez les MG ? Pour la grande majoritéde nos sujets, la recommandation leurparvient « plissée » par des impératifsde politique publique de la santé et ilsla mettent à distance. Mais ils recon-naissent aussi que ces « plis » sontnécessaires pour l’entretien de leurpropre vigilance : ce sont des guides,des outils incitatifs, ou encore, selonGranovetter, des « liens faibles » [11].La prise dominante est donc une prisedistanciée, selon un « usage faible »du dispositif : la recommandation estprise si elle laisse la possibilité de nepas être strictement et intégralementappliquée ou, au moins, si son appli-cation intégrale peut être gouvernéepar la relation médecin-patient.

Conclusions

Deux points semblent importantsdans la prise des recommandationspar les médecins généralistes :

– Le rapport à l’expertise : les mé-decins souhaitent encore plus detransparence. Car s’il est indéniableque celle-ci existe déjà (par exemple,

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les textes courts ou longs del’ANAES), ils insistent pour savoir quisont les promoteurs des recomman-dations, quelle est leur « philosophie »et quels sont leurs objectifs. Ce quisuggère, comme ils le disent parailleurs eux-mêmes, que les institu-tions éditrices de recommandationsmériteraient une action de promotionauprès des médecins. En outre, ilsémettent également le vœu d’une plusgrande participation « de la base »,notamment pour intégrer « le petitsouci quotidien » dans les recomman-dations.

– Les tensions de nature éthique :nos praticiens semblent voir uneforme d’opposition entre la relationmédecin-patient et les données scien-tifiques issues, notamment, de l’épi-démiologie. Selon eux, le lien quis’établit entre le professionnel de lasanté et son patient ferait figure de clé

de voûte de la consultation et de l’actemédical dans son ensemble. Presqueà l’opposé, ils placent la démarcheperçue comme fondée sur la Scienceet les preuves (l’épidémiologie), éven-tuellement moins soumise à des aléasextérieurs [2], mais dénuée d’émo-tions. Cette représentation – qui ren-voie au choix potentiel, mais sansdoute infondé, entre bon sens oustatistique [24] – constitue une vraiequestion d’éthique biomédicale, nonseulement par rapport à l’utilisation derecommandations par le médecin,mais, au-delà, pour l’appropriation desa santé par le patient. En effet, mêmesi elle ne correspond pas nécessaire-ment à la réalité – peut-on réellementopposer deux démarches dont l’objet,le patient, et l’intention, sa prise encharge optimale, sont identiques ? –elle constitue néanmoins un facteurpotentiel de résistance au change-ment de pratique.

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