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Spirale

Résistance de l’engagement littéraire / Le roman faceà l’histoire. La littérature engagée en France et enItalie dans la seconde moitié du XXe siècle, de SylvieServoise, Presses universitaires de Rennes,« Interférences », 340 p.

Christian Guay-Poliquin

Jean Genet, toujours en fuiteNuméro 240, printemps 2012

URI : id.erudit.org/iderudit/66526ac

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Éditeur(s)

Spirale magazine culturel inc.

ISSN 0225-9044 (imprimé)

1923-3213 (numérique)

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Citer cet article

Guay-Poliquin, C. (2012). Résistance de l’engagement littéraire/ Le roman face à l’histoire. La littérature engagée en France eten Italie dans la seconde moitié du XXe siècle, de SylvieServoise, Presses universitaires de Rennes, « Interférences »,340 p.. Spirale, (240), 64–66.

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d’une liberté individuelle gagnée sur etcontre les représentations du monde alen-tour. Le critique les repère au plus fort desséquences où a lieu ce que WalterBenjamin appelait « le duel de l’amour etde la société ». C’est une loi souventdémontrée par la sociocritique des textes :l’anthropos (la vision du monde) n’estjamais aussi lisible que dans l’eros (la miseen texte de la libido, sous toutes cesformes). À ce presque théorème Duboisajoute que les refoulés et les écartés nar-ratifs sont par excellence les lieux d’unetelle contention et comptent autant sinonplus que les allées centrales.

Figures du désir et son appel Pour une cri-tique amoureuse sont loin, très loin, de lalourdeur obligatoire et dévitalisante destravaux théoriques des années soixante-

dix et quatre-vingt. Les derniers essais surProust et Stendhal signés par l’auteuravaient clairement affiché cette prise dedistance à l’égard du surmoi académiqued’hier (ce qui n’exclut évidemment pasl’intention de connaissance). C’est unJacques Dubois désinstitutionnalisé, si jepuis dire, qui s’avance ici, bien prêt de semettre lui-même au roman (ce n’estqu’une question de… désir). Sa prose entout cas n’a jamais été aussi vivante,jamais aussi animée par une façonréjouissante d’aller librement au texte.Cette vitalité et cette liberté étaient sansnul doute là depuis toujours, mais diable-ment refoulées, et j’ose croire queSéverine, Marie et les autres lui avaientainsi rendu par avance la liberté qu’il vientde leur donner. Parlant de Séverine et deses consœurs, un dernier survol de l’essai

avant de conclure profile l’image d’unefemme. Dirais-je que Dubois les aimecomme cela ? Imprévues, d’une grâce sansaffection, rétives, modernes, vivaces, d’uneréputation ferme mais fictive, attirantesplus que séduisantes, indépendantes,social-démocrates, battantes, secrètes, àl’affût de la beauté du geste, un rien vio-lentes quand il faut l’être dans l’action, enun seul mot : romanesques.

1. Cf. Spirale, n° 238 (automne 2011), p. 67-69.

2. Je n’aurai pas l’espace pour le développer ici,mais je tiens à signaler qu’une telle approchedynamique de la lecture des textes pourrait don-ner de très intéressants résultats sur le planpédagogique en études littéraires.

3. Merci à l’auteur pour ce nécessaire rappel : « ilest un “moi” angotien qui n’est pas en scène, quoique l’on en pense ».

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S i les décennies formalistes et struc-turalistes furent consacrées à l’éla-

boration d’une littérature davantage préoccupée par elle-même que par lemonde, c’est que la recherche et l’expéri-mentation de nouvelles formes étaientprincipalement alimentées par une vivecontestation des anciennes pratiques lit-téraires. En faisant la promotion de la litté-rarité, le formalisme et le structuralismeont tourné le dos au roman engagéd’après-guerre en proposant un nouveaupartage des rapports entre littérature etpolitique. À cela, il faut ajouter la mélanco-lie de fin de siècle qui marqua lesannées 1980 et 1990. En effet, ce siècle queLénine avait prophétisé comme étant celuides guerres et des révolutions fut scellé

par des théories dont l’aspect terminalsemblait consolider une ère des « fins ».Fin de la modernité, fin des idéologies, finde l’histoire, les derniers soubresauts duXXe siècle semblaient être ceux d’unedésolidarisation qui frappait d’obsoles-cence l’engagement en général et, plusparticulièrement, l’engagement littéraire.

Toutefois, il faut noter, avec des obser-vateurs de la littérature contemporainetels que Dominique Viart et LionelRuffel, que la fin du XXe siècle et ledébut du XXIe sont aussi marqués, dansle domaine littéraire, par un renouveaude l’engagement. Au lieu de sombrerdans la nostalgie de l’ère des « fins »,certaines œuvres contemporaines

Résistance de l’engagement littéraire

PAR CHRISTIAN GUAY-POLIQUIN

LE ROMAN FACE À L’HISTOIRE.LA LITTÉRATURE ENGAGÉE EN FRANCE ET EN ITALIE DANS LA SECONDE MOITIÉ DU XXe SIÈCLE de Sylvie ServoisePresses universitaires de Rennes, « Interférences », 340 p.

ESSAI

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s’approprient ces positions crépuscu-laires de manière à en faire le point dedépart de leur engagement, c’est-à-dire enles problématisant de façon à assurer leurdépassement. Mais si, comme le souligneSylvie Servoise, le rapport au temps et àl’histoire est la clé de voûte de la littéra-ture engagée, comment peut-on définir lechangement de paradigmes qui s’estopéré de l’engagement littéraire del’après-guerre à sa résurgence contempo-raine ? En revisitant la réflexion faite dansLe roman face à l’histoire, suite à l’étudecomparatiste entre un corpus d’après-guerre et un corpus contemporain, tousdeux composés de romans français et ita-liens (I. Calvino, A. Camus, E. Vittorini, V.Pratolini et J.-P. Sartre, d’un côté et E. DeLuca, P. Modiano, O. Rolin, A. Tabucchi et A.Volodine, de l’autre).

L’ENGAGEMENT D’APRÈS-GUERRE : SARTRE L’INCONTOURNABLESi l’on peut affirmer, avec Benoît Denis, quela littérature à portée politique est un phé-nomène transhistorique, il faut rappelerque l’engagement de l’écrivain, au sensmoderne du terme, prend son élan initialavec Zola, dans l’affaire Dreyfus. Toutefois,l’âge d’or de la littérature engagée corres-pond aux années d’après-guerre aveccomme figure de proue, en France, Jean-Paul Sartre pour qui les notions de dévoile-ment, de liberté et de responsabilité fon-dent le socle de l’engagement littéraire. Enfait, pour Sartre, l’engagement répond àune situation qu’il est impossible d’accep-ter comme telle. Plus précisément, c’est lacroyance en la « factibilité » de l’histoire quipousse Sartre à concevoir l’engagementcomme une prise de conscience « de sapropre historicité, de son présent, et [qui per-met] de se projeter dans l’avenir en fonctionde cette situation ». Affirmation qui faitindubitablement écho au fameux « Il fautparier » de l’auteur de la présentation desTemps modernes, en octobre 1945, à la sor-tie de la guerre. Ce « pari », c’est le dévoile-ment sartrien, c’est-à-dire une vérité miseen lumière par le travail de l’écrivain demanière à conférer au roman engagé uneexemplarité qui, dans sa proximité avecl’Histoire, pousse le lecteur à saisir sapropre responsabilité, sa propre liberté et,par conséquent, à cerner les choix qui s’im-posent à lui. Car, aux yeux de Sartre, l’écri-vain est en situation dans son époque etc’est pourquoi la littérature engagée doit

être une littérature de la praxis ou, end’autres termes, « une action dans l’histoireet sur l’histoire ».

Cependant, bien que Sartre évoque l’impor-tance de la liberté et de la responsabilité dulecteur, il faut mentionner qu’il subordonnece dernier aux dévoilements de l’écrivain.De la même façon, les récits engagés decette époque prennent la forme d’uneappréhension subjective de l’histoire, entrefiction et témoignage, où l’accès à l’intério-rité des personnages est souvent au serviced’une visée didactique. Mais, aux détrac-teurs de l’engagement sartrien, il estimportant de rappeler, à l’instar de SylvieServoise, que nous sommes ici très loind’une pratique littéraire liée au roman àthèse qui, en se faisant l’expression systé-matique d’un principe autoritaire et imma-nent, binarise le réel en réduisant ses com-plexités en dichotomies.

Ainsi, s’il est possible d’observer le romanengagé d’après-guerre comme une« croyance en une action efficace del’homme dans l’histoire et sur le principed’espérance, tourné vers le futur », c’est qu’ilépouse avec enthousiasme le régime d’his-toricité moderne selon lequel l’avenir, seul,est garant du présent. Néanmoins, au seinmême de la littérature engagée de cettepériode, il existe quelques failles. Parexemple, La peste d’Albert Camus anticipe-rait plutôt la crise du régime d’historicitémoderne à la manière de l’Angelus Novusde Walter Benjamin, qui regardait s’accu-muler devant lui les ruines du progrès.Selon Sylvie Servoise, Camus, en prenant laperspective des vaincus à qui l’espoir d’unavenir est dès lors refusé, « semble associerl’engagement à une lutte non pas pour l’his-toire mais contre elle, non pas au nom dufutur des vainqueurs, mais au nom du pré-sent des victimes ». De cette façon, chezCamus, « l’espoir dans l’avenir n’est donc pascondamné, mais contrairement à ce quepostulent les philosophies de l’histoiremoderne et l’engagement sartrien, cetespoir est à comprendre en termes de résis-tance et non de coïncidence au mouvementde l’histoire ».

L’ENGAGEMENT CONTEMPORAIN : D’UN PASSÉ LOINTAIN À UN AVENIR MENAÇANTSi le rapport au temps et à l’histoireentretenu par l’époque contemporaine

prend la forme d’une double inquiétude,c’est que ce dernier est divisé, d’un côté,par le poids de son passé et, de l’autre, parl’appréhension de son avenir. Autrementdit, qu’il soit inachevé pour certains ouanéanti pour d’autres, le projet modernefondé sur l’espérance d’une améliorationconstante de la condition humaine sembleavoir succombé aux coups portés par l’his-toire du XXe siècle. Ainsi, cet héritage del’échec des espérances passées remodèleinévitablement la perception de l’avenir. Lefutur, dès lors désarticulé de l’idée de pro-grès, n’est plus rempli de promesses maisbien d’incertitudes qui nous empêchentde l’imaginer comme désirable.

Ce nouvel ordre du temps, que FrançoisHartog a qualifié de présentiste, seraitdonc le point de départ de la littératureengagée contemporaine. Plus précisé-ment, si la prégnance de l’histoire carac-térise l’engagement littéraire d’après-guerre, c’est, selon les termes de PierreNora, par la remémoration « de ce quenous savons ne plus être à nous » et l’in-vestissement d’un avenir dénué degaranties que l’engagement contempo-rain oppose au « Il faut parier » de Sartre,le « Ici je me tiens » de Ricœur.

En fait, ce retour contemporain vers unecertaine forme d’engagement se feraitdans un rapport médiatisé avec l’histoirepassée, c’est-à-dire selon un rapport dedistance, voire d’héritage spectral aveccette dernière, qui tiendrait de la trace, dela ruine et de la mémoire. Ainsi, s’il estquestion, dans un premier temps, de res-tituer l’historicité du passé, c’est qu’ils’agit, dans un deuxième temps, de por-ter vers l’avenir quelques-unes de sespromesses. Dans cette perspective, direque les œuvres contemporaines étudiéesdans Le roman face à l’histoire entretien-nent « un rapport au temps et à l’histoirede type spectral » ne signifie pas seule-ment qu’elles sont hantées par le passé,mais aussi qu’elles le refigurent et, d’unecertaine façon, qu’elles lui donnent unavenir, tant il est vrai de dire [avecDerrida] que « le propre du spectre, s’il yen a, c’est qu’on ne sait pas s’il témoigneen revenant d’un vivant passé ou d’unvivant futur ».

Les remémorations, anticipations etfabulations de la littérature contempo-raine témoignent d’un rapport à l’his-toire nouveau, parcellé, fragmentaire,

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hésitant parfois, mais qui certainement« affirme la dimension politique de laquestion des usages de l’histoire ». C’estpourquoi, si l’on définit le présentisme entant que superposition du règne de lamémoire à la crise de l’avenir, on peutavancer, avec Sylvie Servoise, que l’enga-gement littéraire contemporain se réap-proprie l’ère des « fins » de manière à enfaire une ère des recommencements où« aux morts s’opposent les spectres, àl’acte de décès l’héritage, à la fin de l’his-toire une configuration du tempsinédite ». Ainsi, les œuvres engagées desdernières années doivent être perçuescomme des oeuvres qui, sans apporter deréponses claires, interrogent et reformu-lent le présentisme en témoignant d’unnouvel ordre du temps possible, critiqueet à contre-courant.

L’exemple le plus prenant de ce renou-veau de l’engagement est sûrement celuid’Antoine Volodine qui, dans ses écrits

post-exotiques, présente un monde dansun état de globalisation si avancée quel’exotisme n’y a plus de sens. Ainsi cemonde « sans ailleurs », ces récits del’après, dont les personnages vaincusmais encore désirants nous parlentdepuis un « futur actualisé », historicisentnotre propre présent, en le rejetant.

Contrairement à la vision sartrienne,avance A. Tabucchi cité par Servoise, nonseulement l’œuvre littéraire contempo-raine exige une activité proprementcréatrice de la part du lecteur, maisencore ce dernier fournit à l’écrivain desinterprétations (ou des dévoilements)qui ont échappé aux prévisions de l’au-teur et qui complètent son œuvre en yajoutant quelque chose d’inattendu.C’est pourquoi, aujourd’hui, à l’expres-sion de littérature engagée il faut juxta-poser celle de lecture engagée. Ainsi, lafabulation historique implique dansl’activité de lecture une double prise de

conscience, non seulement envers lepassé mais envers les futurs possibles.En d’autres termes, dans les récits del’après, « il ne s’agit plus seulement degarder en mémoire les totalitarismes dupassé, mais encore d’être attentif à ce qui,dans le présent, annonce la possibilité deleur retour, voire de leur existence sousd’autres formes ».

Enfin, si l’engagement des écrivainsd’après-guerre souhaite créer la plusgrande proximité possible avec l’expé-rience historique, celui des auteurscontemporains se concentre principale-ment sur un rapport médiatisé avec l’his-toire passée et une anticipation du futurqui renvoie aux incertitudes du présent,c’est que, dans un cas comme dansl’autre, les œuvres engagées tentent d’as-signer le lecteur à sa conscience histo-rique, voire à sa responsabilité devantl’histoire passée et l’histoire à faire.

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D ans Résistances de la psychana-lyse, Jacques Derrida affirmait

que la lecture de l’œuvre de JacquesLacan constituait un acte de résistanceculturelle. Je dirais qu’il en va aujour-d’hui de même en ce qui concernel’œuvre de Derrida, nous qui venonsaprès, pour autant que nous entendionsdans cette postériorité la tenace cohé-rence d’un projet hanté par l’après-coup.Car la situation s’est considérablementaggravée : on tente d’effacer son style,son ton, sa diction, bref, toute cetteépoque du phallogocentrisme sur lequels’appuie aujourd’hui la violente dicta-ture néolibéraliste.

Avec la publication de ce second volumedu séminaire La bête et le souverain

— qui fait suite au premier, publié en2008 —, prononcé en 2002-2003, Derridase tient au plus près au plus loin de l’ins-tant de la mort, de sa mort. Déjà souf-frant en février 2003, il apprend en avrilqu’il a le cancer du pancréas, livre sa der-nière séance le 20 mars, six jours après ledéclenchement de la guerre d’Irak, maisfait encore plusieurs voyages pour don-ner jusqu’en août 2004 des conférences.C’est en septembre qu’il est hospitalisé.On comprend que ce dernier moment duSéminaire — si proche de Chaque foisunique, la fin du monde — engage unaccent et un souffle fortement auto- ethétéro-biographiques, le posthume four-nissant le fil rouge d’une pensée habitéedésormais par la différance entre inhu-mation et incinération, laquelle envahit

Le tour de l’ÎleMICHEL PETERSON

SÉMINAIRE LA BÊTE ET LE SOUVERAIN, VOLUME II (2002-2003) de Jacques DerridaGalilée, 407p.

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