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Tortious Liability of European Union, English, French, German, European Administrative Law
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1
La responsabilité sans faute de l´Union Européenne
et le dédommagement des victimes de mesures de rétorsion américaines.
Par
PD Dr. Athanasios Gromitsaris
Faculté Juridique de l´ Université Friedrich-Schiller, Jena, Allemagne
Résumé
L´article examine les chances d´indemnisation des entreprises européennes touchées par les
mesures de rétorsions américaines à la suite de l´institution d´un embargo contre la viande
bovine américaine traitée avec des hormones de croissance. Les exportateurs européens vers
les Etats Unis subissent un préjudice spécial et anormal qui doit être indemnisé. En même
temps une analyse comparative du principe français de la rupture de l´égalité devant les
charges publiques et du principe allemand du sacrifice particulier est effectuée.
I. APPLICABILITÉ DU RECOURS EN RÉPARATION DU FAIT D´UN ACTE LI-
CITE
A.- La limitation considérable du recours en annulation
Dans les suites de l´affaire dite de la viande aux hormones le juge communautaire a déjà dû se
pencher quelques fois sur la question de la protection juridictionnelle des entreprises euro-
péennes touchées par l´embargo européen. Etant donné que plusieurs producteurs de roque-
fort, de foie gras, de produits de luxe, de parfum, de vin, de piles, de draps, ou de papier, dont
les exportations vers les Etats Unis ont été sévèrement atteintes par les contre-mesures améri-
caines, ont déjà préparer leur recours en indemnité, le juge communautaire va devoir se pen-
cher de nouveau sur la question. Je rappelle rapidement le contexte de cette affaire: On a vu
que la Communauté a pris la décision d´instituer un embargo contre la viande bovine améri-
caine traitée avec des hormones de croissance ; elle a ensuite défendu cet embargo devant les
organes de règlement des différends de l´OMC en s´appuyant sur le principe de précaution.
On a vu aussi que, à la suite du rapport défavorable à l´Europe présenté par l´Organe d´appel,
les Etats-Unis ont pris des mesures de rétorsion qui atteignent durement un certain nombre
d´entreprises européennes. Les entreprises européennes qui se heurtent à l´embargo commu-
nautaire ou qui subissent les contre-mesures américaines se voient confrontées au problème
2
qu´elle n´arrivent pas à établir l´incompatibilité de l´embargo avec les accords OMC. Ceci est
dû à la jurisprudence du juge communautaire. Les effets des accords internationaux au sein de
l´ordre juridique communautaire ont engendré une jurisprudence qui reste fermement établie
malgré la mise en place d´une procédure plus contraignante de règlement des différends dans
le cadre du commerce international.1 Le juge communautaire ne permet le contrôle de légalité
des actes communautaires au regard des accords internationaux que dans deux hypothèses :
dans le cas de la transposition d´une obligation particulière, et dans l´occurrence d´un renvoi
explicite à des dispositions précises.2 Cette limitation considérable du contrôle de légalité
oblige les entreprises, qui se voient lésées dans leurs intérêts par la décision d´embargo prise
par l´Union européenne, à tenter leurs chances en introduisant un recours en réparation selon
l´article 288 du traité. Comme elles n´arrivent pas à établir l´illégalité du comportement re-
proché à l´organe communautaire, elles se rabattent sur la responsabilité sans faute de la
Communauté.
B.- Les conditions de la responsabilité sans faute de l´Union Européenne
Il semble que, pour l´instant, une entreprise ayant subi un dommage anormal et spécial du fait
d´une décision communautaire a peu de chances d´obtenir réparation en fondant son recours
sur la simple constatation d´une rupture de l´égalité devant les charges de la politique com-
munautaire. Néanmoins, ces chances ne sont pas nulles, car la Cour n´a pas exclut totalement
l´existence d´une responsabilité sans faute dans l´exercice par la Communauté de son pouvoir
normatif.3 Elle a rappelé que, « dans l’hypothèse où le principe d’une responsabilité non con-
tractuelle de la Communauté du fait d’un acte licite devrait être reconnu en droit communau-
taire, celle-ci supposerait, en tout état de cause, que trois conditions soient cumulativement
remplies, à savoir la réalité du préjudice prétendument subi, le lien de causalité entre celui-ci
et l’acte reproché aux institutions de la Communauté ainsi que le caractère anormal et spécial
1 Voir les conclusions de l´avocat général M. SIEGBERT ALBER présentées le 15 mai 2003 dans l´affaire C-
93/02 P Biret International SA c. Conseil ainsi que les conclusions de l´avocat général M. ANTONIO TIZZANO
présentées le 18 novembre 2004 dans l´affaire C-377/02 Léon Van Parys NV c. Belgisch Interventie- en Restitu-
tie bureau. 2 Arrêt du Tribunal de première instance du 11 janvier 2002, Biret et Cie/Conseil (T-210/00, Rec. p. II-47) ; arrêt
de la Cour du 30 septembre 2003, Établissements Biret et Cie SA c. Conseil de l'Union européenne, affaire C-
94/02 P. 3 Arrêts de la Cour du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil et Commission, C-237/98 P, Rec. p. I-4549, points
17 à 19, et du Tribunal du 6 décembre 2001, Area Cova e.a./Conseil et Commission, T-196/99, Rec. p. II-3597,
point 171.
3
de ce préjudice ».4 La responsabilité sans faute n´est ainsi admise qu´à titre théorique.
5 Il est
cependant intéressant d´examiner les chances d´indemnisation des entreprises touchées par les
mesures de rétorsions américaines. Il est question d´entreprises qui n´exercent pas le négoce
de viande traitée avec les hormones interdites par la Communauté. Les victimes de ces me-
sures de rétorsion auront, à mes yeux, quelques chances de succès, si elles envisagent de de-
mander à la Communauté de les indemniser des dommages qu´elles ont subi de ce fait.
1.- Réalité, anormalité et spécialité du préjudice et lien de causalité
Une responsabilité extra-contractuelle du fait d´un acte licite suppose que trois conditions
soient réunies, à savoir la réalité du préjudice subi, le lien de causalité et le caractère anormal
et spécial de ce préjudice.6 En effet, les entreprises victimes des mesures de rétorsion subis-
sent un « dommage spécial ». Le préjudice invoqué affecte une catégorie particulière d'opéra-
teurs économiques, dès lors que sont affectées seulement celles qui subissent les contre-
mesures arrêtées par les autorités américaines. Ces contre-mesures sont limitées dans le temps
et discriminent par définition les produits en fonction de leur provenance (spécialité du préju-
dice).
a) « Normalité » du principe de précaution
En ce qui concerne l´anormalité du préjudice, il convient de rappeler la différence entre les
importateurs de viande vers la communauté et les exportateurs vers les Etats Unis. Dans le
premier cas la condition du caractère anormal du préjudice n´est pas remplie, et ce pour les
raisons suivantes. Les risques économiques inhérents aux activités commerciales dans le sec-
teur du négoce de viande de provenance américaine ne sont pas dépassés. Il suffit de rappeler
que les institutions communautaires disposent d´une marge d´appréciation dans le choix des
moyens nécessaires pour la réalisation de leur politique, en particulier dans un domaine
comme celui du principe de précaution. L´objet et l´application de celui-ci comportent des
divergences d´appréciation qui s´étaient déjà manifestées sur le plan international avant que
4Arrêt du Tribunal du 10 février 2004 (affaires jointes T-64/01 et T-65/01) Afrikanische Frucht-Compagnie
GmbH et Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert & Co. c. Conseil et Commission, point 150. 5Voir les arrêts du 13 juin 1972 (précité, note 5), points 45 et 46; 6 décembre 1984, Biovilac/CEE (59/83, Rec. p.
4057, point 28); 24 juin 1986, Développement SA et Clemessy/Commission (267/82, Rec. p. 1907, point 33), et
29 septembre 1987, De Boer Buizen/Conseil et Commission (81/86, Rec. p. 3677, points 16 et 17). 6 Arrêt de la Cour du 15 juin 2000, Dorsch c. Conseil et Commission, C-237/98, points 17 à 19.
4
les entreprises7 n´entament leur activité. En plus, le statut même et la valeur normative du
principe de précaution dans le droit international coutumier ne sont pas clairs. A partir donc
du moment où les mesures communautaires sont considérées par la communauté comme des
mesures de précaution, les opérateurs économiques n´étaient pas en droit d´attendre qu´une
interdiction d´administration d´hormones à des animaux puisse être fondée que sur des don-
nées scientifiques. Par ailleurs, il n´est pas nécessaire que tous les scientifiques du monde
entier soient d´accord sur la possibilité et l´ampleur du risque ni que tous les membres de
l´OMC ou la plupart d´entre eux prévoient ou évaluent les risques de la même façon. En parti-
culier, les activités de la requérante étaient exposées au risque d´une interdiction
d´importation dans la Communauté de viande bovine américaine, c. à. d. au risque d´une ap-
plication unilatérale du principe de la précaution. Il s´agit là de « risques prévisibles »8,
compte tenu du fait, que la volonté de certains membres de l´OMS de s´opposer, pour des
raisons de santé, à l´importation de produits considérés comme nuisibles à la santé, allait for-
cément susciter des litiges. Les importateurs ne peuvent donc pas légitimement espérer que
l´interdiction des hormones en cause ne serait que temporaire. Les dommages subis par les
importateurs à cause de l´interdiction d´importation de viande aux hormones ne peuvent pas
constituer un dommage anormal.
b) Anormalité des effets d´application du principe de précaution
En ce qui concerne les exportateurs européens vers les Etats Unis, ils doivent bien entendu
supporter sans compensation, sous peine qu´il n´y ait pas de commerce extérieur, les risques
et inconvénients ordinaires des échanges commerciaux avec les Etats-Unis. Cependant, le
dommage subi par eux ne fait pas partie des «malchances» des opérateurs engagés dans des
transactions comportant des risques économiques. Il doit être considéré comme un préjudice
extra-ordinaire qui dépasse les risques inhérents à toute activité de prestation de services ou
de vente de produits dans un État tiers, puisque il découle d´une situation exceptionnelle. Les
contre-mesures ne constituent pas un risque prévisible inhérent à une activité habituelle et
normale d´exportation de produits vers les Etats-Unis. L´application de mesures de rétorsion
7 Dans le cas de Biret International SA cette filiale avait été constituée avec pour objet statutaire le négoce de
viande et elle a été gravement atteinte par l´embargo : le tribunal de commerce de Paris a dû ouvrir à son égard
une procédure de liquidation judiciaire. Ni l´entreprise mère ni sa filiale n´étaient sensées ignorer les divergences
concernant l´application du principe de précaution. 8 Sur cette notion voir l´arrêt du TPI, T-184/95, Dorsch, point 83.
5
marque justement la fin de la normalité des échanges commerciales et le début de
l´exception ; la norme de la normalité ne s´y applique pas (anormalité du préjudice).
2.- Service d´un intérêt général et prééminent
Est-ce que maintenant le service de l´intérêt général et prééminent (et non, plus ou
moins sectoriel) de la protection préventive de la santé publique est de nature à exclure toute
indemnisation ?
a) Régime inévitablement ou délibérément discriminatoire
Dans l´affaire de la viande aux hormones, l´embargo a pour objet de satisfaire un intérêt tout à
fait général et prééminent, la santé publique. Est-ce que l'importance de ces objectifs poursui-
vis par l´embargo contre la viande aux hormones est de nature à justifier des conséquences
négatives, même considérables, pour certains opérateurs ? Il est évident, que l´institution de
l´embargo au nom du principe de précaution comporte, par définition, des effets qui affectent
le libre exercice des activités économiques. Mais ici il faut distinguer encore une fois les ef-
fets affectant les importateurs de viande vers la communauté de ceux affectant les exporta-
teurs vers les Etats Unis.
Dans le premier cas9 des entreprises important de la viande américaine traitée avec des hor-
mones interdites par la Communauté, ayant échoué à établir l´illégalité de l´interdiction de ces
produits, demandent à la Cour de faire évoluer sa jurisprudence vers un régime de responsabi-
lité sans faute de la Communauté du fait de ses actes normatifs. La nature de l´embargo est
telle, qu´elle a pour raison d´être d´instituer un régime discriminatoire par le biais du refus
d´une autorisation. On retrouve ici une exception qui empêche les victimes de réclamer répa-
ration sur le terrain de l´égalité devant les charges publiques. On constate que l´embargo est
délibérément discriminatoire, parce que nécessaire à l´obtention des résultats voulus : Portant
l´inégalité en soi, il est défavorable aux importateurs de viande traitée avec certaines hor-
mones et favorable aux autres. Le bénéfice de la responsabilité sans faute n´est donc pas invo-
9 Par exemple l´affaire Etablissement Biret c. Conseil (du 30 septembre 2003, C-94/02). Le Tribunal et la Cour
n´ont pas examiné l´ argumentation de la requérante, car elle constituait un moyen nouveau ne pouvant être in-
voqué en cours d´instance.
6
cable, compte tenu du fait que les préjudices résultent de mesures normatives régulières, dont
la raison d´être est incompatible avec le principe d´égalité devant les charges publiques.
a) Nécessité d´indemnisation d´un sacrifice particulier au nom de l´intérêt général
Dans le deuxième cas l´embargo cause des préjudices à des parties qui n'ont aucune responsa-
bilité dans la situation ayant conduit à l´institution de l´embargo. Il s´agit d´ entreprises euro-
péennes qui ne sont absolument pour rien dans l´apparition du risque qui a suscité la décision
d´embargo. Si l´on considère le principe de l´égalité devant les charges publiques comme un
corollaire du principe de la corrélation entre avantages et charges, ces entreprises supportent,
au profit de l´intérêt général, une charge qui normalement ne leur incombe pas. Elles ne profi-
tent pas plus que les autres membres de la collectivité européenne de l´application du principe
de précaution ; pourtant, elles paient pour cela un prix hautement plus élevé que le reste de la
collectivité. La corrélation, l´équilibre entre les avantages et les charges ne peut ici être rétabli
que par le biais d´une indemnisation.
3.- Théorie de la répercussion
Cette indemnisation pourrait être diminuée si l´entreprise exportatrice ne s´est pas comportée
en « justiciable averti »10
et si le juge communautaire applique la théorie de la « répercus-
sion ». Dans l´application du principe de la causalité, le juge communautaire pourrait tenir
compte de l´attitude des exportateurs qui, par leur comportement, ont peut-être concouru à la
réalisation du dommage. Si l´entreprise exportatrice ne s´est pas comportée en « justiciable
averti », le lien de causalité est alors rompu. Les exportateurs sont censés être bien informés
des conditions du marché et des normes juridiques, ils doivent être constamment sur leurs
gardes et cherchant toujours à s´informer.11
En l´occurrence, ils n´ont pas provoquer les rétor-
sions américaines. Pourraient-ils les éviter ? Mais les éviter, reviendrait pour eux à une cessa-
tion de leur activité d´export. Leur seule solution serait d´essayer d´éliminer le préjudice en
répercutant sur leur prix de vente le désavantage résultant de l´embargo et des contre-mesures.
Ils se retrouvent ainsi dans une situation paradoxale : d´une part doivent ils augmenter leur
prix de vente pour être « justiciables avertis », d´autre part ceci donnerait au juge communau-
10
Cf. en droit allemand et anglais le concept de la faute de la victime : « Mitverschulden », « contributory negli-
gence ». 11
CJCE, 4 février 1975, Compagnie Continentale/Conseil, affaire 169/73, point 28.
7
taire l´occasion d´appliquer sa théorie de répercussion. Selon la jurisprudence de la Cour,12
aux fins de mesurer le préjudice subi par les requérants, l´augmentation des prix doit être con-
sidérée comme se substituant au moins en partie au dommage et comme rendant les exporta-
teurs en partie indemnes. Bien entendu, il ne suffit pas que la société ait eu la possibilité
d´opérer la répercussion, pour que cette répercussion ait été obligatoirement faite de manière
efficace. Or, la Cour se base normalement sur la possibilité et non sur la réalité de la répercus-
sion. En tout cas, il appartiendra au défendeur, pour que l´indemnisation soit diminuée, de
prouver qu´il aurait pu y avoir répercussion.13
II. MODIFICATIONS LIÉES A LA RESPONSABILITÉ DU FAIT DES CONVEN-
TIONS INTERNATIONALES
Cette catégorie d´exportateurs bien définie, qui se voit obligée de payer un prix élevé pour la
santé des consommateurs européens, pourrait donc parvenir à récupérer aux moins une partie
des pertes infligées par les rétorsions américaines. Et pourtant, si le juge communautaire ap-
plique, comme à son habitude, les principes du droit français de responsabilité, il y a fortes
chances que les victimes ne soient pas indemnisées. Car, selon le régime français de respon-
sabilité du fait des conventions internationales la réparation dépend de la volonté expresse ou
implicite des auteurs de cette convention. Cette responsabilité est beaucoup moins fréquem-
ment reconnue qu´elle pourrait l´être, ses conditions étant réunies. Le juge communautaire
pourrait ainsi supposer l´existence d´un refus implicite d´indemnisation, explicité par lui, in-
terprétant la décision de institution de l´embargo. La réparation du dommage dépendrait de la
volonté même des auteurs du dommage résultant de l´application du principe de précaution.
La Communauté se trouverait en l´occurrence, vue la particularité de l´affaire, exonérée de la
responsabilité qu´elle pourrait, selon le droit commun, encourir.
Un élément milite au premier abord en faveur d´un refus implicite de toute indemnisation : le
respect de la marge d´appréciation des organes communautaires dans le domaine de la poli-
tique économique et commerciale. Par contre il y a quelques éléments militant en faveur d´
une solution plus équilibrée et nuancée: la protection des droits fondamentaux des victimes,
12
Par ex. arrêts de la Cour du 4 octobre 1979 (aff. 238/78 Ireks-Arkady, 241/78 DGV). 13
Arrêt de la Cour du 13 novembre 1984, Birra Wührer SpA, point 26 et s. ; 18 mai 1983, Pauls Agriculture Ltd,
points 9 et 10.
8
l´autonomie du recours en indemnité et le respect de la marge d´appréciation de l´Union Eu-
ropéenne.
A.- La protection des droits fondamentaux des victimes
La demande en indemnisation du fait d'un acte licite est fondée sur les concepts de droit alle-
mand de «sacrifice spécial» (Sonderopfer) et de droit français de «rupture de l'égalité devant
les charges publiques». Selon la jurisprudence en la matière, l'engagement de la responsabilité
sans faute présuppose soit qu'un particulier supporte, au profit de l'intérêt général, une charge
qui normalement ne lui incombe pas14
soit qu'un groupe particulier d'entreprises spécialisées
dans certains produits assume une part disproportionnée des charges découlant de l'adoption
par la Communauté de certaines mesures économiques.15
La responsabilité de la Communauté
du fait d'un acte licite ne saurait être engagée que si le dommage invoqué n'était pas prévisible
ou ne pouvait pas être évité par un opérateur économique diligent.
Conformément à l'article 1er
du protocole additionnel n° 1, joint à la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales («CEDH»), ainsi qu'aux
principes généraux du droit international relatifs à l'obligation d'indemniser les atteintes à la
propriété, l'article 14, paragraphe 3, de la Constitution allemande (Grundgesetz) prévoit
qu'une expropriation décidée dans l'intérêt général ne peut être effectuée que contre paiement
d'une indemnité. Cette même règle s'applique, selon la jurisprudence allemande, également
dans les cas d'«une atteinte équivalant à une expropriation» où il y a obligation de versement
d'une indemnité lorsque des actes étatiques licites, sans constituer des mesures formelles d'ex-
propriation, ont, cependant, pour conséquence accessoire de porter atteinte à des droits patri-
moniaux.
Cependant, il convient de rappeler que la notion d´intérêt général et prééminent est utilisée
dans le système français de la responsabilité de la puissance publique pour rejeter la respon-
sabilité. Il y a là une différence avec le concept allemand de «sacrifice particulier» («Sonde-
ropfer») qui, bien qu´équivalent à plusieurs égards, ne connaît pas cette restriction sous cette
forme. Le Conseil d´Etat considère que toute loi intervenue dans un intérêt général et préémi-
nent a entendu exclure le droit à réparation. Il s´agit d´une des deux exceptions principales à
14
Arrêt de la Cour du 24 juin 1986, Développement SA et Clemessy/Commission, 267/82, Rec. p. 1907. 15
Arrêt de la Cour du 29 septembre 1987, De Boer Buizen/Conseil et Commission, 81/86, Rec. p. 3677.
9
la règle du régime de responsabilité pour rupture de l´égalité devant les charges publiques, la
deuxième exception ayant trait à des situations inévitablement discriminatoires. Le régime de
la rupture de l´égalité devant les charges publiques régit des hypothèses où les dommages
n´ont pas un caractère accidentel, contrairement à ce qu´il en est en matière de responsabilité
pour risque ; il s´agit de dommages qui sont la conséquence naturelle, et même nécessaire, et
prévisible à coup sûr, de certaines mesures par l´effet desquelles des membres de la collectivi-
té sont sacrifiés aux exigences de l´intérêt général. Néanmoins, lorsque les mesures norma-
tives régulières ont eu pour objet de satisfaire des intérêts tels que ceux de la santé publique,
de la protection de la nature, de la défense nationale ou, ce qui est finalement assez fréquent,
de l´économie nationale dans son ensemble et des finances politiques, le Conseil d´Etat exclut
le droit à réparation. Le problème avec cette jurisprudence est que l´objectif général des lois
est tout à fait de nature à faire fréquemment obstacle à la réparation. En tout cas, les méca-
nismes appliqués dans le système français et le système communautaire sont identiques : La
Cour a établi sans ambiguïté que si l'acte normatif à l'origine du prétendu préjudice est justifié
par un intérêt général fondamental (par ex. l'intérêt économique visant à atténuer les consé-
quences résultant, notamment pour l'ensemble des importateurs français, de la décision du
gouvernement français de procéder à une dévaluation de la monnaie nationale), il est par là
même exclu, même en présence de préjudices anormaux et spéciaux, que cet acte puisse en-
gager la responsabilité patrimoniale de la Communauté.16
Le juge communautaire est invité à
réfléchir sur la question, si le service d´un intérêt général prééminent qui exclut quasiment par
avance le droit à réparation n´est pas une condition dépassée. Le renvoi même à l´intérêt gé-
néral comme cause d´exclusion de la responsabilité est erroné dans les circonstances des vic-
times de mesures de rétorsion, dans la mesure où la responsabilité au titre des préjudices
anormaux et spéciaux causés par un acte licite est prévue justement dans le cas où l'acte en
question poursuit un objectif d'intérêt général. Il s´agit d´un cas superposable à celui d´une
expropriation pour cause d´utilité publique.
B.- L´autonomie du recours en indemnité
L'autonomie de l'action en responsabilité des articles 235 et 288 du traité est justifiée par le
fait qu´elle garantit, dans le système des recours du traité, une protection accrue des justi-
16
Voir l´arrêt du 13 juin 1972, affaires jointes 9/71 et 11/71, Compagnie d'approvisionnement et grands moulins
de Paris/Commission (Rec. p. 391, point 46, 47).
10
ciables;17
de même, la priorité donnée aux voies de recours internes n´est exigée que si ces
voies de droit nationales assurent de manière efficace la protection des particuliers qui se sen-
tent lésés par un acte d´une institution communautaire. L´autonomie n´est mise de coté que
quand il s´agit d´éviter le risque d´un travestissement des recours de légalité en actions en
indemnités ou quand, dans le cadre des litiges entre la Communauté et ses agents, l´annulation
perturberait excessivement le fonctionnement du service. Dans le cas d´une responsabilité
sans faute de la communauté l´autonomie du recours en indemnité par rapport au recours en
annulation est encore plus importante étant donné que ce dernier est exclut par définition.
L´exclusion du recours en annulation n´implique justement pas l´exclusion automatique d´une
responsabilité du fait d´un acte licite. Celle-ci doit reste possible à condition que la marge
d´appréciation de l´Union Européenne sur le plan de la politique international soit respectée.
C.- Le respect de la marge d´appréciation de l´Union Européenne.
En effet, la marge d´appréciation des organes communautaires n´est pas contestée. La res-
ponsabilité sans faute n´est pas sans intérêt pour la Communauté, justement dans la mesure où
la reconnaissance de sa responsabilité n´implique aucun jugement de valeur sur son compor-
tement dommageable c. à. d. aucun blâme ou reproche par rapport à sa politique commerciale
extérieure. Sa marge d´appréciation est respectée : Au lieu de retirer une mesure déclarée in-
compatible avec les accords OMC, elle peut choisir délibérément de la maintenir en vigueur ;
elle n´est pas jugée là dessus. Bien entendu, la responsabilité sans faute fonctionne aussi
comme une sanction préventive qui exerce une certaine pression sur la communauté. Elle est
pourtant le moindre mal, et elle est surtout exigée par le principe d´une protection juridiction-
nelle efficace et exhaustive découlant de l´article 6 de la Convention Européenne des Droits
de l´Homme.
III. CONCLUSION
Si il est difficilement acceptable que les producteurs et vendeurs de bovins forcent à l´aide du
contrôle de légalité ou de l´action en réparation la Communauté à lever l´embargo sur les
hormones de croissance au mépris des peurs des consommateurs, il est également difficile-
ment acceptable que le préjudice spécial, anormal et imprévisible subi par les exportateurs
d´autres produits au profit de la santé des consommateurs ne soit pas du tout réparé. Le juge
17
Arrêt T-246/93, Güther Bühring, 1998, point 68.
11
communautaire doit franchir un pas. Certes, il en va de la souveraineté de la Communauté
européenne, mais même l´exercice de la souveraineté est une source d´obligations. Elle n´est
pas étrangère à l´état de droit. La CEDH nous oblige de nous interroger non seulement sur la
volonté hypothétique du législateur communautaire d´exclure toute indemnisation. Elle ne
nous oblige pas seulement de réfléchir sur ce que le législateur avait voulu faire, mais aussi et
surtout sur ce qu´il aurait dû faire. Et si il a omis de prévoir une indemnité des victimes de
rétorsion, une exclusion d´emblée de la responsabilité sans faute de l´Union Européenne ne
serait pas compatible avec l´exigence d´une protection juridictionnelle effective des droits
fondamentaux des citoyens européens.