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Restructurations, RSE et gouvernance RH : un pari impossible ? Anne-Marie de Vaivre, Christian Goux & Jacques Bouvet, 31 ème Université d’Eté Mons 2013 281 RESTRUCTURATIONS, RSE ET GOUVERNANCE RH : UN PARI IMPOSSIBLE ? Anne-Marie DE VAIVRE DA TITANE ITC WS, VP IAS Fondatrice du Cercle Entreprises et Santé Christian GOUX CMG et TITANE ITCWS, VP IAS Professeur associé à l’IAE Université de Bourgogne Jacques BOUVET Président du Cercle Entreprises et Santé Président d’Association AINF 1. Restructurations, mauvaise presse ... et après ? ou plutôt et avant …? Un premier ouvrage de synthèse sur les restructurations, établi par la fondation de Dublin en 2006 150 le soulignait « Restructuring is at the root of a widespread sense of insecurity in Europe. ». Les restructurations sont vécues douloureusement, et ce que l’on appelle la ‘crise’ accentue le sentiment d’impuissance (mais qu’est-ce qu’une crise qui dure plus de 5 ans .. ?). Comment réagir, ou plutôt « anté-agir » pour l’avenir - en responsabilité sociale et sociétale ? La question parait d’emblée insoluble, ou antinomique. Les restructurations, particulièrement en France ont mauvaise presse, et alors que le mouvement (mondial) s’intensifie, en nombre de restructurations, en passant quasiment un palier à chaque décennie depuis la fin des trente glorieuses, et cela dans quasiment tous les pays de l’OCDE (le nombre et l’intensité des restructurations des années 90 étaient très supérieurs à ceux des années 80 , le début de la crise de l’Etat Providence– cf. étude précise réalisée au Canada par une grande banque 151 -, et le nombre et l’intensité des restructurations des années 2000 et plus encore des années ‘crise et post crise’ des années 2010, ont été idem bien supérieurs aux décennies antérieures..), dans les perceptions communes, les appréciations du phénomène continuent de se contraster en noir et blanc : en blanc pour la sphère financière, censée se réjouir, sur le court terme, des cures d’amaigrissement et de compétitivité, et de ce qui en découle en tant que perspectives puis résultats financiers, en noir pour les salariés et territoires, qui « subissent » les restructurations, dans les rôles-titres de ‘victimes’, ceux qui sont liquidés, de « rescapés et survivants », ceux qui survivent, « exécuteurs » , les DRH et staffs qui procèdent aux ajustements, PSE et licenciements, « terres brûlées » les territoires et régions qui subissent les conséquences. Chaque type d’acteurs se trouvant dans les analyses souvent cantonnés à un (seul) jeu de rôle, et à quelques types de positions possibles : évitement, tentatives de blocage ou de freins, ou, une fois le désastre arrivé, compensation curative « Les acteurs socio-économiques tendent, pour des raisons différentes, à en limiter les conséquences sociales. Les salariés, premiers concernés, et leurs représentants souhaitent ne plus subir mais agir. Les employeurs cherchent globalement à atteindre la paix sociale ou du moins à préserver leur activité et leur image tout en concentrant les moyens mis à disposition des services de ressources humaines dans un but stratégique, voire de stratégie sociale, ou bien de seul « règlement » des problèmes sociaux. Les acteurs publics (collectivités locales ou 150 European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions/ 2006_ Donald Storrie. Restructuring and employment in the EU: Concepts, measurement and evidence 151 Revue de la Banque du Canada-été 2000-- Carolyn C. Kwan, département des Recherches

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Restructurations, RSE et gouvernance RH : un pari impossible ? Anne-Marie de Vaivre, Christian Goux & Jacques Bouvet,

31ème Université d’Eté Mons 2013 281

RESTRUCTURATIONS, RSE ET GOUVERNANCE RH : UN PARI IMPOSSIBLE ? Anne-Marie DE VAIVRE DA TITANE ITC WS, VP IAS Fondatrice du Cercle Entreprises et Santé Christian GOUX CMG et TITANE ITCWS, VP IAS Professeur associé à l’IAE Université de Bourgogne Jacques BOUVET Président du Cercle Entreprises et Santé Président d’Association AINF

1. Restructurations, mauvaise presse ... et après ? ou plutôt et avant …?

Un premier ouvrage de synthèse sur les restructurations, établi par la fondation de Dublin en 2006150 le soulignait « Restructuring is at the root of a widespread sense of insecurity in Europe. ». Les restructurations sont vécues douloureusement, et ce que l’on appelle la ‘crise’ accentue le sentiment d’impuissance (mais qu’est-ce qu’une crise qui dure plus de 5 ans .. ?). Comment réagir, ou plutôt « anté-agir » pour l’avenir - en responsabilité sociale et sociétale ? La question parait d’emblée insoluble, ou antinomique. Les restructurations, particulièrement en France ont mauvaise presse, et alors que le mouvement (mondial) s’intensifie, en nombre de restructurations, en passant quasiment un palier à chaque décennie depuis la fin des trente glorieuses, et cela dans quasiment tous les pays de l’OCDE (le nombre et l’intensité des restructurations des années 90 étaient très supérieurs à ceux des années 80 , le début de la crise de l’Etat Providence– cf. étude précise réalisée au Canada par une grande banque151 -, et le nombre et l’intensité des restructurations des années 2000 et plus encore des années ‘crise et post crise’ des années 2010, ont été idem bien supérieurs aux décennies antérieures..), dans les perceptions communes, les appréciations du phénomène continuent de se contraster en noir et blanc : en blanc pour la sphère financière, censée se réjouir, sur le court terme, des cures d’amaigrissement et de compétitivité, et de ce qui en découle en tant que perspectives puis résultats financiers, en noir pour les salariés et territoires, qui « subissent » les restructurations, dans les rôles-titres de ‘victimes’, ceux qui sont liquidés, de « rescapés et survivants », ceux qui survivent, « exécuteurs » , les DRH et staffs qui procèdent aux ajustements, PSE et licenciements, « terres brûlées » les territoires et régions qui subissent les conséquences. Chaque type d’acteurs se trouvant dans les analyses souvent cantonnés à un (seul) jeu de rôle, et à quelques types de positions possibles : évitement, tentatives de blocage ou de freins, ou, une fois le désastre arrivé, compensation curative « Les acteurs socio-économiques tendent, pour des raisons différentes, à en limiter les conséquences sociales. Les salariés, premiers concernés, et leurs représentants souhaitent ne plus subir mais agir. Les employeurs cherchent globalement à atteindre la paix sociale ou du moins à préserver leur activité et leur image tout en concentrant les moyens mis à disposition des services de ressources humaines dans un but stratégique, voire de stratégie sociale, ou bien de seul « règlement » des problèmes sociaux. Les acteurs publics (collectivités locales ou 150 European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions/ 2006_ Donald Storrie. Restructuring and employment in the EU: Concepts, measurement and evidence 151 Revue de la Banque du Canada-été 2000-- Carolyn C. Kwan, département des Recherches

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représentants de l’état) intègrent la vie des entreprises dans les enjeux de la politique économique et sociale. »152. La réalité est douloureuse, et aller au-delà pour préparer l’avenir suppose sans doute d’exposer douloureusement cette douleur ou cette révolte devant les conséquences sociales et humaines. De facto, les restructurations sont le plus souvent analysées, en matière sociale, dans leurs répercussions et impacts, a posteriori, donnant lieu notamment à interrogations et mises en cause sous forme d’anathèmes, voire d’excommunication, dans les medias d’opinion, mais aussi dans les études des sociologues : France Culture, avril 2013 « contre l’accélération des restructurations d’entreprises ? » reprenant certains titre du dossier d’avril 2013 de l’IRES 153« Affronter les restructurations d’entreprise en Europe»… Et certes, lorsque l’on considère et mesure tous les impacts négatifs, humains, sociaux, territoriaux, et les réactions en chaine sur les tissus économiques et territoriaux, on ne saurait lier positivement restructurations et RSE, sans risquer l’anathème, et le blasphème. Dans l’océan de la mondialisation, le mouvement parait pourtant inéluctable, et aujourd’hui en intensification accélérée, intimement lié aux mouvements internationaux des marchés, marchés financiers et marchés commerciaux, marchés d’approvisionnement et de main d’œuvre, touchant désormais aussi bien les secteurs publics que privés, non-marchands et marchands.Comment ne pas se cantonner à la déploraison, qui fut celle des 7 plaies d’Egypte ou du récit miroir de Séceph l’Hispéen : « Qui vient ici, sinon le désarroi, en des parties de villes, et en des villes maudites où le délaissement se renvoie, et se verse en soi, et quelque part, du fond des affres qui répand ses sons éraillés pour submerger la mer de telles pluies aigres et déploraisons sans espoir… » 154.

2. Et si on antéportait le regard et l’action sur les restructurations ?

A ne mesurer que les « effets » a posteriori des restructurations, on est quasiment condamné à la déploration, portant des appréciations, certes justes et fondées sur les exclusions, les pertes de compétences, les dévitalisations en chaine. Qui sont une réalité, réalité non seulement douloureuse dans les périodes qui les voient se dérouler, mais aussi souvent perçues en cercle vicieux pour l’avenir. Et si, - aussi sur un plan humain et social, et pas seulement sur le plan de la productivité économique -, on essayait de porter un autre regard sur les restructurations, peut-être moins anxiogène, pour aborder les enjeux continus d’adaptations et de recréations de compétences, pour nous rendre tous acteurs collectivement et individuellement responsables d’attitudes efficaces et positives, tournées vers le devenir, « l’avenir que je construis au présent » ? Pour objectiver le regard sur les restructurations, à un niveau macroéconomique et macrosocial, Les économistes conseillent de regarder l’ensemble des flux d’emplois, et simultanément les créations et destructions d’emplois. Citons les experts de l’INSEE155 : « Chaque année, pour 100 personnes en emploi, on observe au moins 40 entrées dans l’emploi et autant de sorties. Ce chiffre très élevé ne signifie pas que 40% des individus changent d’emploi ou perdent leur emploi chaque année. À peu près 80% des individus qui

152 Pascal Michaud-Colloque d’Essen AGIRE- 28-29 juin 2007-Les conditions permettant une limitation desconséquences sociales des restructurations 153Revue de l’IRES 6 Institut de Recherches Economiques et Sociales - n° 72 - 2012/1, numéro spécial : "Modes de gestion des restructurations" 154 Seceph l’Hispéen Guy R Vincent, l’Harmattan. 155 INSEE 2008 : ‘’Flux de main d’œuvre, flux d’emplois et internationalisation/ L’économie française, édition2007’’.

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sont dans un emploi une année donnée sont toujours dans le même emploi l’année suivante. Les mouvements se concentrent sur les 20% restants, qui connaissent souvent plusieurs entrées-sorties d’emploi au cours de la même année, accompagnées de passages par le chômage. » En termes de flux, si l’on prend le cas de la France en 2012156, on observe «une forte dégradation de l’emploi en 2012: 65.261 (+30%) créations contre 99.689 (+189%) destructions d’emplois identifiées. (Comparaison 2011-2012) »

Le constat du solde net est lourd, et dur. Mais pour ouvrir les perspectives, et voir comment développer au mieux les potentiels d’adaptation et de création de valeur des collectifs comme des individus au travail, pourquoi ne pas appliquer les préceptes mis en avant par la DG Employment et Social Affairs de l’UE, dès 2005 : l’anticipation par une analyse des tendances lourdes des restructurations et des mutations socio-économiques dans lesquelles elles s’inscrivent, en termes de tendances, de métiers et de besoins futurs en compétences, tels qu’ils peuvent s’interpréter des tendances mondiales. Dans un rapport sorti en novembre 2007157, un collectif de chercheurs et économistes issus de Secafi Alpha/ CEREQ/ OSE rappelait que l’on distingue habituellement deux types de restructurations : « les restructurations subies d’un côté aux effets très difficiles à maîtriser, et les restructurations voulues de l’autre qui peuvent être conduites et gérées beaucoup plus calmement à condition d’être préparées et accompagnées ». Les analystes de l’INSEE nous rappellent ainsi que les flux et mutations d’emplois se font selon trois mouvements : 1) L’évolution du niveau et de la structure de la demande : la demande pour certains biens s’affaiblit ou disparaît, alors qu’elle s’accroît pour d’autres biens. Des emplois sont détruits et créés pour accompagner ces mouvements de la demande. 2) Les chocs technologiques. En général l’effet de ces changements technologiques est plutôt perçu en termes de destructions d’emplois. À demande donnée, le progrès technique permet en effet de produire les mêmes quantités avec moins de main-d’œuvre. Mais il accroît le revenu disponible pour acquérir ces biens et il est aussi à l’origine de nouveaux produits et de nouveaux besoins. Ces effets sont créateurs d’emplois.

156 Etude FIE KurtSalmon Créations et destructions d’emploi en France en 2012 (22 mai 2013) 157 Novembre 2007 Rapport DARES : ANTICIPATION , FORMATION, MOBILITES (anticipation et accompagnement des restructurations)

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3) Le développement de la concurrence internationale. Là encore, l’accent est souvent mis sur le côté négatif. À demande et technologie inchangées, la production peut être mise en œuvre dans d’autres pays où le prix des facteurs de production (le travail en particulier) est moins élevé, ce qui conduit à des pertes d’emplois sur le territoire national. Toutefois, la croissance des débouchés à l’étranger pour d’autres biens ou services est simultanément un facteur de créations d’emplois.

3. Les outils et les méthodes développés au niveau européen : analyser les risques … et aussi les opportunités, et prévoir

Depuis le milieu des années 2000, par le biais de plusieurs programmes, l’Europe (UE et spécifiquement aussi la Fondation de Dublin) s’est dotée d’outils d’analyse des restructurations (l'European Restructuring Monitor, ERM ; European Monitoring Centre on Change (EMCC)) European Labour Force Survey (ELFS). Et la position de l’Union est énoncée depuis 2005 : « Restructuring – company reorganisation, closures, mergers & acquisitions, downsizing, outsourcing, relocation etc. – is a necessary part of economic life but the consequences can be painful for all concerned. The EU is working to reduce the negative impact of restructuring and help people capitalise on the opportunities it presents.”, position réitérée encore en 2012158 « Les restructurations sont un facteur essentiel pour l'emploi et la compétitivité de l'économie européenne ». Au niveau des Etats, des régions, on a encore l’impression que malgré maintenant près de trois décennies de restructurations récurrentes, l’optique principale demeure celle de « minimiser les impacts ».Visée certes nécessaire, mais qui témoigne d’une pensée a posteriori, et risque une fois encore d’enfermer les acteurs et les efforts dans la recherche et la négociation de compensations, de réparations, ou de mécanismes d’évitement ou de retardement. Certes les régulations d’Etat sont bien là pour jouer le rôle d’amortisseur social. Si éviter autant que faire se peut les conséquences douloureuses d’un changement est indispensable à la paix sociale, cet objectif est loin d’être suffisant pour la préparation des valeurs d’avenir, des compétences individuelles et collectives qui permettront dans chaque région et dans chaque pays de faire face aux / et d’anticiper les demandes des marchés en nouveaux produits, nouveaux services, nouveaux biens de consommation ou d’équipements qui seront attendus sur les marchés locaux comme sur les marchés mondiaux, d’intégrer de façon suffisamment anticipée chocs et innovations technologiques, et de se positionner individuellement et collectivement au mieux dans la compétition internationale. De ce côté, le constat porté par l’UE sur les voies pour sortir de la crise est porteur d’espoir : « En dépit d'une conjoncture économique et financière extrêmement défavorable, les entreprises et leurs salariés se sont largement engagés dans toute l’Europe dans des processus de restructuration créatifs qui se sont avérés constructifs, efficaces et déterminants pour la sauvegarde des emplois, grâce à des mesures innovatrices souvent soutenues par les pouvoirs publics et la Commission européenne. »159. Et le livre vert poursuit : « Face à la nouvelle division internationale du travail], .., la compétitivité de l'économie européenne, la sauvegarde de ses activités et de ses emplois ainsi que la création de nouveaux produits et les perspectives d'emplois y afférentes, dépendront de plus en plus de la capacité des entreprises européennes à renforcer leur base compétitive grâce à l’innovation et à une adaptation rapide mais fluide au changement ».

158 Commission Européenne- 012012_ LIVRE VERT « Restructurations et anticipation du changement: quelles leçons tirer de l'expérience récente? » 159 Id.

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4. Les enjeux de gouvernance du capital humain dans les restructurations,dans un monde globalisé en transformation continue

Le premier levier de transformation positive sera d’aborder positivement les restructurations et leur préparation. Le principe de réalité doit s’imposer : « Les opérations de restructuration font partie de la vie quotidienne des entreprises, des travailleurs, des pouvoirs publics et des autres parties prenantes. »160. Le second levier devrait être celui d’une obsession constante de la meilleure gestion du capital humain, dans la réalité du contexte actuel, et pour l’avenir, en ayant clairement en tête que « Le développement des ressources humaines et l’amélioration des compétences sont d'une importance primordiale dans ce contexte », la corrélation étant clairement établie par ce même livre vert, dans la visée de l’innovation et de la compétitivité : ‘adaptabilité des entreprises’, et ‘employabilité des travailleurs’ ? Et le rapport de la Commission le rappelle, en la matière « … les faiblesses qui existaient déjà avant la crise sont aujourd’hui exacerbées ». Et sur le fond, le constat du livre vert est sans appel « Il devient de plus en plus évident qu’en l’état actuel, le système [de gestion et anticipation utilisé jusqu’ici] ne permet pas le redéploiement rapide et efficace des ressources, particulièrement humaines, d’activités en déclin vers des secteurs émergents. Il est également de moins en moins capable d’offrir de réelles possibilités d’évolution professionnelle aux travailleurs dont les emplois sont menacés, parce qu’il ne développe pas leur capacité d'adaptation au changement ». Comment faire ? Si le cap est fixé, celui d’une « tendance claire à l’abandon des stratégies purement correctives en faveur d’actions préventives, c'est-à-dire de stratégies plus proactives qui contribuent à limiter autant que possible l'incidence sociale du processus de restructuration »161, la mise en œuvre efficace est moins évidente, car elle dépend tout autant de réelles politiques RH de long terme de la part des employeurs, comme d’attitudes nettement proactives des travailleurs eux-mêmes dans l’ajustement en continu de leurs propres compétences et aptitudes. Si les mesures de gestion sociale/ humaine prises le plus souvent par gros temps de récession et de restructurations, sont d’abord, comme le pointent tous les rapports publics nationaux et européens, des mesures de réduction et gestion des horaires de travail, pour créer une flexibilité immédiate, les mesures les plus porteuses pour l’avenir, mais aussi les plus longues, peut-être, à mettre en place tiennent à la gestion des compétences et des aptitudes pour le futur. D’abord en vision générale : ne plus parler et raisonner en termes de destructions et créations d’emplois, mais plutôt en termes de transformations d’emplois, et création de compétences, et ceci est de la pleine responsabilité de tous les acteurs du monde du travail, i.e. employeurs, travailleurs, représentants des travailleurs, et (ensuite) des institutions et structures, publiques ou privées dont c’est directement ou indirectement la mission que de faciliter, accompagner ou structurer ces transformations d’emplois. Le vrai défi de cette gestion nouvelle est de « de faire en sorte que les entreprises disposent d’une main-d’œuvre aux qualifications adaptées pour éviter les pénuries et les inadéquations de compétences et pérenniser une croissance intelligente, durable et inclusive »162. Plusieurs axes peuvent être creusés : anticiper systématiquement les besoins en compétences futures : compétences «vertes» ou dans des domaines tels que la santé ou les services sociaux, par exemple, mais aussi compétences liées aux TIC et la culture numérique. Des emplois se créent dans le domaine des nouveaux semi-conducteurs économes en énergie, des services liés à l'informatique dématérialisée, de la cybersécurité et la virtualisation d’applications.

160 id 161 Id. 162 Id.

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La tonalité générale est donnée : en matière de gestion du capital humain et de préparation des compétences, « les attitudes passives et la résistance au changement ont un coût économique considérable et menacent les investissements et la croissance de l'emploi. C’est pourquoi il est essentiel de créer un climat de confiance qui permettra à toutes les composantes de la société (les entreprises, les travailleurs et leurs représentants, les pouvoirs publics, etc.) d’affronter l'avenir de manière dynamique »163.

5. Fluidité et prospective des compétences dans un monde en mutation rapide : Une responsabilité de tous les acteurs, et au 1er chef de l’employeur, comme des travailleurs, bien au-delà du concept d’ « employabilité »

S’il y a une décennie environ ou un peu plus, l’un des maitres mots de la GRH était celui d’employabilité, force est de constater qu’il n’a pas complètement réussi à « greffer » dans les pratiques des employeurs comme des travailleurs, et que le terme comme les pratiques qui lui étaient liés sont mal perçus, des salariés comme des organisations syndicales, et désormais étouffés, et sans peu de ressorts autres que des mobilités forcées, ou des mesures d’âge. Pourquoi ce relatif échec et cette vacuité qui a gagné le concept, alors même que la volonté de départ était bien celle d’un développement des capacités d’adaptation et de renforcement des compétences, et alors même que l’objectif (inscrit aussi dans le traité de Lisbonne) est bien d’aider/inciter les travailleurs à s’inscrire dans l’emploi tout au long de leur vie ? En relisant la définition même donnée par le ministère du travail et de l’emploi, on comprend la faille, apparemment celle d’une trop grande centration (défausse ?) sur l’individu, sur la presque seule responsabilité du travailleur : « l’employabilité est « la capacité d'évoluer de façon autonome à l'intérieur du marché du travail, de façon à réaliser, de manière durable, par l'emploi, le potentiel qu'on a en soi… L'employabilité dépend des connaissances, des qualifications et des comportements qu'on a, de la façon dont on s'en sert et dont on les présente à l'employeur »164. L’OIT elle-même donnait une définition similaire, la même année 2000 « est « l'aptitude de chacun à trouver et conserver un emploi, à progresser au travail et à s'adapter au changement tout au long de la vie professionnelle ». Définition « par défaut » , sur le mode « faute de garantir l’emploi, l’employeur (et les institutions) doivent inciter le travailleur à développer son employabilité », renvoyant le travailleur et futur ex-salarié à sa pleine ( et seule ..) responsabilité de se débrouiller comme il le peut avec sa future insertion dans les emplois de demain, le DIF étant un dispositif octroyé – et donc ‘dédouanant’ pour les employeurs, comme sans doute pour les institutions – pour permettre à tout un chacun de faire seul face à son avenir professionnel. A-t-on dévoyé le terme, ou bien le concept était-il creux et « dévoyant » de départ ? Le débat n’est sans doute plus pertinent, mais force est de constater que 10 ans après son lancement, l’employabilité est plutôt un échec, précisément parce qu’elle a reposé sur des fondations incomplètes, i e l’appel à l’implication du seul salarié en voie de désuétude. Comme le soulignait Julien Daimon dans un numéro de la revue « Sciences Humaines » d’octobre 2008165, - et avec les quelques années de retard que la novlangue publique a parfois sur la novlangue privée… . « L’employabilité a connu sa consécration juridique avec son apparition dans la loi du 13 février 2008 relative au service public de l’emploi. La nouvelle institution, issue de la fusion de l’ANPE et des Assedic, a explicitement vocation à « améliorer » l’employabilité des personnes. Grande mission… ». Si le terme ‘employabilité’ connaît aujourd’hui quelques résurgences – on a vu par exemple l’actuel Ministre du travail l’utiliser dans ses vœux aux 163 id 164 Définition donnée par le ministère en charge de l’emploi au début des années 2000. 165 Sciences Humaines - Mensuel N° 197 - octobre 2008 - Les rouages de la manipulation -

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partenaires sociaux pour l’année 2013, en s’interrogeant sur ce que serait l’employabilité en 2043166, il a généralement fait long feu, se contentant de venir parfois assoner (au sens d’assonance condescendante)_ à défaut d’assommer-, dans les tirades bien pensantes des chantres des « nouveaux paradigmes de l’emploi » - . On verra plus loin qu’il serait peut-être plus simple de creuser et d’utiliser en perspective d’avenir la notion d’« aptitude » : aptitude-capacité, et aptitude-potentiel. (cf infra)

6. Une optique RSE pour renouveler la dynamique des aptitudes et des compétences dans des univers professionnels en profonde mutation

Ce que l’optique globale et résolument « parties prenantes » de la RSE doit pouvoir permettre, c’est précisément de repenser la dynamique et le futur de la gestion des compétences et aptitudes, des individus, comme des collectifs de travail. En interne aux structures de travail ( privées comme publiques), la mission d’une vraie DRH est de constamment veiller à la meilleure optimisation et mobilité de son capital humain, pour à la fois faire en sorte que les ‘cases de travail’167 d’aujourd’hui soient les mieux armées et les mieux pourvues pour répondre aux défis de la compétitivité, de l’intégration des technologies, et de la réponse aux besoins des nouveaux marchés, non seulement aujourd’hui, mais aussi demain, dans un jeu économique et social globalisé et mondial, qui est aussi un jeu collectif. Il nous semble que deux voies, déjà ouvertes, sont toujours plus à approfondir :

1. La voie du développement du dialogue social : du dialogue social quotidien, du dialogue social opérationnel, et pas seulement dans le dialogue social ‘rituel’, tel qu’il est mesuré, et nécessaire, mais pas suffisant, par la signature des accords, des ANI, et des négociations des mécanismes de réparation ou d’évitement des restructurations. Certes, les voies rituelles du dialogue ‘canalisé » sont fort utiles, notamment pour tous les rôles d’amortisseur social des crises, mais il faut aussi développer, en confiance, dans les instances représentatives, mais aussi de façon quotidienne, une information large sur les défis d’activité, les besoins d’évolution des compétences. Une étude de l’ILO parue en décembre 2010168, portant principalement sur des entreprises européennes, le met bien en avant : la maîtrise, ou le moindre impact des restructurations est toujours fortement corrélée à un réel dialogue social, appuyé, pour les entreprises internationales, à des accords et des négociations menés à un niveau international, et, à un niveau national, sur des mécanismes solides d’anticipation des évolutions économiques. Citons les orientations de l’ILO « "in a world of growing interdependence and complexity and the internationalization of production, [...] social dialogue and the practice of tripartism between governments and the representative organizations of workers and employers within and across borders are now more relevant to achieving solutions and to building up social cohesion and the rule of law through, among other means, international labour standards" En France, il semble que la toute récente loi de sécurisation de juin 2013 aille un peu dans ce sens du développement d’une information clarifiée et plus largement

166Voeux de Michel Sapin aux partenaires sociaux. 28 janvier 2013 – site web du Ministère du Travail. 167Il est difficile désormais de parler de ‘poste’ de travail : les fonctionnements en projets, la pluridisciplinarité, les processus collaboratifs ont largement rendue caduque l’approche du travail par poste. D’où le terme de « case de travail », idée du damier où les acteurs sont en mouvement, et doivent se trouver à tout moment dans la « meilleure » case, la plus adaptée au jeu collectif . 168 ILO- Restructuring enterprises through social dialogue: Socially responsible practices in times of crisis - Konstantinos Papadakis DEC 2010

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accessible sur les enjeux économiques et les incidences en termes d’emploi et de gestion des compétences. Les pratiques peuvent aller plus vite et plus large que la loi : un récent rapport d’ASTREES (avril 2013)169 met en avant des pratiques innovantes face à des restructurations, et cite quatre expériences, où l’expression et l’interaction avec les salariés a largement dépassé le seul « dialogue social » tel qu’il est souvent entendu dans le sens d’un rituel canalisé entre partenaires sociaux : La Poste, et son « grand dialogue » , et quatre composantes au-delà du traditionnel dialogue social : (1) la présence et l’action d’une médiatrice du travail (membre du Comex) – (2) : une pratique intensifiée de ‘dialogue local’ (12 000 tables rondes, 125 000 postiers participant, avec une présence forte aussi de l’encadrement ; (3) Une commission ‘visible’, rassemblant dirigeants et représentants des salariés, autour de Jean Kaspar et (4) l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan programme d’action fort pour aider les transitions. Le rapport cite plusieurs autres expériences porteuses, soit à la main de la direction de l’entreprise/organisation : AG2R La Mondiale, avec un large processus d’enquête, au moment délicat d’une fusion ; ou encore la MGEFI, mutuelle générale de l’économie, des finances et de l’industrie, avec la mise en place d’un fort dispositif d’expression directe, pour faire réussir la fusion. Ou encore, en l’absence de dialogue organisé par la direction, ce sont des initiatives d’expression spontanée, voire dure, de la part des salariés et leurs représentants (blog ‘SFR en colère’) avec des issues pas toujours positives.

2. La voie de l’information systématique sur la prospective des compétences, métiers et orientations sectorielles d’avenir. La 2e voie, indispensable pour inscrire tous les acteurs dans une vision d’avenir, et éviter des négociations entre partenaires sociaux a posteriori, sur de seuls mécanismes compensatoires est celle d’un partage en continu de l’information sur les besoins d’avenir en compétences, compétences métier, et compétences sectorielles. Pour et par la mobilisation des RH, certes, mais aussi pour et par la mobilisation des managers et des travailleurs au quotidien, des instances représentatives, et cela aussi en dialogue avec les établissements d’enseignement et de formation, et les instances territoriales. L’identification prospective ou projetée des compétences, des métiers et des mobilités doit devenir un réflexe et une aide pour revisiter les atouts des personnes comme ceux des entreprises.

Comme le rappelle Pascal Michaud170, les deux voies ci-dessus – dialogue social et information partagée - sont liées, « Tout d’abord la qualité de l’information fournie par l’entreprise fonde un dialogue mieux préparé. Les rapports sociaux sont d’abord des rapports humains alimentés par le débat, la force de persuasion voire de contestation, et conduits dans un contexte où culture et personnalités donnent le ton ». Encore faut-il que le dialogue ne soit pas uniquement établi, avec ces informations sur la prospective des compétences, aux seuls moments de crise et de perspectives de restructurations. Développer une information socialement et sociétalement ‘utile ‘ des acteurs dans l’anticipation des restructurations, c’est mettre régulièrement à disposition des acteurs, tous acteurs, IRP et salariés directement, une information sur les grandes tendances de marchés, de techniques et de besoins qui vont déterminer les besoins en compétences, en formations, et en main d’œuvre .

169 Astrées : « Expression directe au travail, le retour ? Les enseignements d’Astrees Lab » 170 AGIRE-Colloque d’ESSEN, juin 2007

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Il nous parait qu’en France, cette information n’est pas vraiment largement partagée, et peut- être pas même encore largement accessible, voire organisée, ou même élaborée. Les schémas qui suivent171 sont pour nous des exemples d’informations diffusées et accessibles, informations issues de pratiques internationales ( Dk ou USA, ou même Irlande), en recherche d’identification des compétences de demain dans une Europe prise dans le mouvement des restructurations, nous paraissent une bonne préfiguration de l’information systématique à développer, au sein des entreprises et organisations, comme au sein des établissements d’enseignement et de formation : conscience des tendances lourdes des transformations d’emplois, orientations générales des besoins en compétences selon les secteurs, conscience des tendances lourdes de transformation des marchés, et donc des besoins de compétences, impacts des tendances démographiques, pour les niveaux macro et méso-économiques. Puis, au niveau de chacune des lignes de métiers, mise en avant des impacts « emplois et compétences » des grands facteurs de transformation(ex : TIC, développement des besoins de management interculturel et de management des achats internationaux, ...), et établissement systématique de fiches, comme on en trouve aux USA, pour définir les emplois et les profils de compétences dont les activités économiques auront besoin demain. A noter : les sources et émetteurs sont ailleurs très divers : départements des ministères, ‘alliances’ rassemblant représentants des entreprises ou des secteurs économiques, et représentants du monde académique / monde de la formation. …

Ex1 : Oxford Research 2010 « Evolution des besoins en compétences dans 19 secteurs »

171 Oxford Research AS Dk 0410 pour UE : « Analyse transversale de l’évolutiondes besoins en compétences dans19 secteurs économiquesRapport préparé par Oxford Research pour le compte de laDG Emploi, affaires sociales et égalité des chances

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Future Work Skills 2020_ Institute for the Future Phoenix Univ.

LBS Usa Occupational Employment Projections to 2020

LBS Usa Occupational Employment Projections to 2020

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(Les derniers tableaux ci-dessus sont issus des rapports et notes mensuelles ou trimestrielles du Bureau of Labor Statistics / US Department of Labor). Une information continue sur les changements de l’économie mondiale et subrégionale/nationale, sur les besoins en compétences selon les secteurs et les régions est indispensable, comme il sera indispensable aussi, - en optique RSE comme en optique d’efficacité -, d’en apprécier en continu les évolutions pour faire évoluer les offres de formation, formation initiale et formation continue , et cela de façon concertée : les exemples qui marchent ailleurs, sont toujours des programmes collectifs /concertés, ou impulsions d’Etats, méthodes universitaires, et soutien des groupements d’employeurs sont conjointement à l’œuvre. Ailleurs, des programmes multipartenaires existent pour analyser les besoins et voir comment y répondre : citons l’EOP - Economic Opportunities Program - de l’Aspen Institute (‘Skills for America’s future’)172, programme d’initiative patronale ; en Irlande, citons le programme du « Expert Group for Future Skills Needs» du programme d’état irlandais ‘skillsireland.ie ‘173. Les mêmes types de programme existent aussi au Canada, avec le plus souvent une convergence d’efforts et d’apports des divers acteurs pour rendre le partage d’information opérationnel dans le but de former les compétences nécessaires demain. En France, le CAS (ex Centre d’Analyse stratégique, (re)devenu récemment le Commissariat général à la Stratégie et à la Prospective) a publié en 2011 un rapport intitulé « le travail et l’emploi dans 20 ans », rapport de recherche174, rapport d’experts, et l’on trouve également des informations de conjoncture sur l’emploi émis par l’APEC ou Pôle Emploi, mais pas, à notre connaissance, d’informations opérationnelles qui permettent de faire le pont vers les besoins de l’économie de demain. Et pourtant, le partage d’information sur les besoins en

172 Aspen Institute SAF(Skills for America's Future) : “America’s ability to compete in a global economy depends on a workforce that possesses the skills required by employers.Skills for America’s Future (SAF) is an employer-led policy initiative of the Economic Opportunities Program at the Aspen Institute. SAF identifies solutions in which education and training providers work together with employers to prepare individuals with the skills that will allow American businesses to be more productive, innovative and competitive.” 173The Expert Group on Future Skills Needs (EGFSN) advises the Irish Government on current and future skills needs of the economy and on other labour market issues that impact on Ireland’s enterprise and employment growth. It has a central role in ensuring that labour market needs for skilled workers are anticipated and met. - Established in 1997, the EGFSN reports to the Minister for Jobs, Enterprise and Innovation and the Minister for Education and Skills. 174 CAS Centre d’Analyse Stratégique - Juillet 2011 - Le travail et l’emploi dans vingt ans, Rapport du groupe de travail présidé par Odile Quintin

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compétences de l’économie future serait l’une des bonnes façons d’anticiper les restructurations.

7. Responsabilité sociale : tenir compte aussi des aptitudes.

Au final, une autre dimension sera nécessaire aussi à prendre en compte systématiquement, dans la gestion des compétences individuelles et collectives, comme dans celle de la prospective des emplois : la gestion des aptitudes. Nous souhaitons ici lever la question, plus que la résoudre : dans le périmètre du travail, la notion d’aptitude est une notion floue à la fois définie réglementairement par une aptitude physique, par absence de pathologies ou sensibilités pathologiques à certains environnements ou à certaines substances ;; sur un plan plus qualitatif, la notion est aussi celle d’un potentiel à développer, en deçà ou au-delà des compétences. Mais au global, la notion en France est plutôt, en déshérence, alors que sa juste considération pourrait aider à voir autrement l’avenir du capital humain, dans une meilleure optique d’efficacité et de responsabilité de tous. Avec une réflexion et une prise en compte des deux aspects de l’aptitude : (1) aptitude santé, i.e. capacité physique (voire aussi capacité en santé mentale et sociale, pour suivre la définition de l’OMS à inscrire son devenir professionnel dans le monde du travail – le plus souvent en lutte contre l’entropie. Et (2) potentiel de développement des compétences, i.e. capacité à développer de nouveaux talents, des facultés nouvelles et des compétences nouvelles à inscrire dans le monde du travail, via peut-être d’autres cursus professionnels à explorer. Il nous semble qu’une juste prise en compte responsable des mutations socio-économiques et des besoins en compétences autour des restructurations devra aussi prendre en compte, sur un plan démographique, comme sur un plan individuel, l’avenir des aptitudes, et particulièrement des segments les plus « sensibles » sur les marchés du travail : seniors, juniors, femmes, et migrants. Dans le même sens, aider individuellement et collectivement les travailleurs à identifier et développer leurs aptitudes (dans la double conscience entropie / negentropie) serait sans doute à la fois plus efficace, et plus respectueux du capital humain que d’inciter chacun à se maintenir « employable ». Pour les DRH et leur gestion du « capital humain », cela voudra peut-être dire de revoir la GPEC en GPEAC : gestion prévisionnelle des emplois, aptitudes et compétences, gestion d’avenir intégrant les besoins en compétences de demain de l’organisation et de son secteur, mais aussi les caractéristiques et qualités et aptitudes de la ressource humaine disponible demain.