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Quoi de neuf ? 77 Médecine des maladies Métaboliques - Mars 2007 - Vol. 1 - N°1 Resvératrol et métabolisme énergétique : potion magique ? L e resvératrol (RSV) est un micro- constituant polyphénolique présent dans la peau du raisin – et au fond du verre – dont les propriétés anti-oxy- dantes et phytoestrogéniques sont bien connues [1]. Le RSV, aux effets pléiotropes, a entre autres la faculté d’activer SIRT1 par une interaction allostérique. Or SIRT1, histone déa- cétylase de classe III (sirtuine), a des actions métaboliques nombreuses et complexes. Il favorise l’adaptation à la restriction calorique en modulant la pro- grammation génétique de la glycolyse et de la néoglucogenèse hépatique, il catalyse la désacétylation protéique NAD-dépendante, il facilite la traduction des modifications du statut nutritionnel au niveau du métabolisme cellulaire et enfin, il est considéré comme un élé- ment de la longévité cellulaire en agis- sant sur l’apoptose et la réparation de l’ADN. SIRT1 coopère également avec le co-activateur du PPAR (PGC-1 ) pour favoriser l’adaptation à la restric- tion calorique [2]. Ces données ont inspiré à l’équipe de Johan Auwerx (Strasbourg), un superbe travail à la fois fondamental, physiopa- thologique et pharmacologique centré sur les actions possibles du RSV sur un modèle de souris rendue obèse par un régime hyperlipidique [3]. L’administration de RSV à doses pharmacologiques (200 à 400 mg/kg/j, soit l’équivalent de 15 à 30 g chez un homme de 70 kg), pendant 15 semaines entraîne de nombreux effets sur le plan métabolique. Le RSV empê- che la prise de poids et l’inflation du tissu adipeux, sans modifier l’apport alimen- taire du fait d’une augmentation de la dépense énergétique de repos alors que le quotient respiratoire reste inchangé. Le RSV entraîne de surcroît une amélioration de la tolérance au froid avec une meilleure adaptation de la thermogenèse et surtout, une plus grande endurance à l’effort. Les souris sous RSV courent deux fois plus loin que leurs congénères non traitées et ce à poids égal. Outre une action sur le tissu adipeux brun, peu important chez l’homme, le RSV agit sur le muscle périphérique en contribuant à un remodelage fonction- nel des myofibrilles. Il accroît le nombre et la taille des mitochondries dans les fibres musculaires non oxydatives et augmente leur métabolisme oxydatif en les transformant en fibres de type 1, ce qui explique vraisemblablement l’amé- lioration de l’endurance. Plus globalement, le RSV agit sur les enzymes favorisant la biogenèse des mitochondries et sur les enzymes impliquées dans le process de l’ARNm, des sous-unités ribosomales et dans J.-L. Schlienger Service de médecine interne et nutrition, Hôpital de Hautepierre, Strasbourg. Correspondance : Jean-Louis Schlienger Service de médecine interne et nutrition Hôpital de Hautepierre 67098 Strasbourg Cedex [email protected] Résumé A doses pharmacologiques, le resvératrol, microconstituant contenu en abondance dans la peau du raisin, est un agent insulino-sensibilisateur et de résistance à la prise de poids qui mime de surcroît les bienfaits de l’acti- vité physique sur le remodelage des fibres musculaires tout en accroissant la résistance à l’effort ! A confirmer chez l’homme. Mots-clés Nutrition Métabolisme énergétique • Resvératrol Le point sur... © 2007 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.

Resvératrol et métabolisme énergétique : potion magique ?

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Quoi de neuf ? 77

Médecine des maladies Métaboliques - Mars 2007 - Vol. 1 - N°1

Resvératrol et métabolisme énergétique : potion magique ?

Le resvératrol (RSV) est un micro-constituant polyphénolique présent dans la peau du raisin – et au fond du verre – dont les propriétés anti-oxy-dantes et phytoestrogéniques sont bien connues [1]. Le RSV, aux effets pléiotropes, a entre autres la faculté d’activer SIRT1 par une interaction allostérique. Or SIRT1, histone déa-cétylase de classe III (sirtuine), a des actions métaboliques nombreuses et complexes. Il favorise l’adaptation à la restriction calorique en modulant la pro-grammation génétique de la glycolyse et de la néoglucogenèse hépatique, il catalyse la désacétylation protéique NAD-dépendante, il facilite la traduction des modifications du statut nutritionnel au niveau du métabolisme cellulaire et enfin, il est considéré comme un élé-ment de la longévité cellulaire en agis-sant sur l’apoptose et la réparation de l’ADN. SIRT1 coopère également avec le co-activateur du PPAR (PGC-1 )pour favoriser l’adaptation à la restric-tion calorique [2].Ces données ont inspiré à l’équipe de Johan Auwerx (Strasbourg), un superbe

travail à la fois fondamental, physiopa-thologique et pharmacologique centré sur les actions possibles du RSV sur un modèle de souris rendue obèse par un régime hyperlipidique [3]. L’administration de RSV à doses pharmacologiques (200 à 400 mg/kg/j, soit l’équivalent de 15 à 30 g chez un homme de 70 kg), pendant 15 semaines entraîne de nombreux effets sur le plan métabolique. Le RSV empê-che la prise de poids et l’inflation du tissu adipeux, sans modifier l’apport alimen-taire du fait d’une augmentation de la dépense énergétique de repos alors que le quotient respiratoire reste inchangé. Le RSV entraîne de surcroît une amélioration de la tolérance au froid avec une meilleure adaptation de la thermogenèse et surtout, une plus grande endurance à l’effort. Les souris sous RSV courent deux fois plus loin que leurs congénères non traitées et ce à poids égal.Outre une action sur le tissu adipeux brun, peu important chez l’homme, le RSV agit sur le muscle périphérique en contribuant à un remodelage fonction-nel des myofibrilles. Il accroît le nombre et la taille des mitochondries dans les fibres musculaires non oxydatives et augmente leur métabolisme oxydatif en les transformant en fibres de type 1, ce qui explique vraisemblablement l’amé-lioration de l’endurance.Plus globalement, le RSV agit sur les enzymes favorisant la biogenèse des mitochondries et sur les enzymes impliquées dans le process de l’ARNm, des sous-unités ribosomales et dans

J.-L. SchliengerService de médecine interne et nutrition, Hôpital de Hautepierre, Strasbourg.

Correspondance : Jean-Louis SchliengerService de médecine interne et nutritionHôpital de Hautepierre67098 Strasbourg [email protected]

RésuméA doses pharmacologiques, le resvératrol, microconstituant contenu en abondance dans la peau du raisin, est un agent insulino-sensibilisateur et de résistance à la prise de poids qui mime de surcroît les bienfaits de l’acti-vité physique sur le remodelage des fibres musculaires tout en accroissant la résistance à l’effort ! A confirmer chez l’homme.

Mots-clés• Nutrition

• Métabolisme énergétique

• Resvératrol

Le point sur...

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78 Quoi de neuf ?

la contraction musculaire (troponines). Il induit l’expression de gènes contrô-lant l’homéostasie énergétique dont le PGC-1 qui induit les gènes facilitant la béta-oxydation des acides gras et l’UCP-1 mRNA, protéine découplante impliquée dans la production de cha-leur par le tissu adipeux brun. Diverses manipulations permettant d’invalider SIRT1 et PGC-1 démontrent que les effets du RSV sont médiés par les gènes régulant ces protéines [4].Last but not least, le RSV n’est pas seulement un agent de résistance à la prise de poids, il est aussi un insulino-sensibilisateur. Cet effet du RSV n’est pas lié à une perte de poids, mais est un effet intrinsèque comme le démontre un clamp euglycémique hyperinsulinique. En revanche, le RSV n’a pas d’action sur le métabolisme lipidique.Les données de ce beau travail mené chez la souris ne peuvent évidemment pas être extrapolées à l’homme [3]. Pourtant, le polymorphisme de SIRT1 est un cofacteur de variation de la dépense

énergétique chez des sujets non diabéti-ques de poids normal, soumis à un jeûne ou à un clamp hyper insulinique [5]. Ceci prouve que SIRT1 participe à l’homéos-tasie énergétique chez l’homme, et laisse à penser que le RSV pourrait être un trai-tement possible de l’obésité et de l’insu-linorésistance ou du moins, renforcer la résistance à la prise de poids.Le RSV semble mimer les bienfaits de l’activité physique sur le remodelage des fibres musculaires avec l’avantage d’ac-croître la résistance musculaire à l’effort… sans effort. Bref, une potion magique pour l’homme moderne englué dans sa sédentarité et soumis à une offre alimen-taire excessive [6]. Compte tenu du para-doxe français et des bénéfices attribués au RSV quant à la longévité, les auteurs ne manquent pas de spéculer et voient dans le RSV un moyen de prolonger la vie en luttant contre les maladies cardio-vasculaires et métaboliques. A n’en pas douter, il va falloir compter avec le RSV… sans succomber aux milliers de litres de jus de raisin qu’il faudrait ingérer chaque

jour pour atteindre la dose préconisée par l’équipe de Johan Auwerx ! [7].

Références[1] Baur JA, Sinclair DA. Therapeutic potential of

resveratrol : the in vivo evidence. Nature Reviews

Drug Discovery 2006 ; 5 : 493-506.

[2] Anastasiou D, Krek W. SIRT1 : linking adap-

tative cellular responses to aging-associated

changes in organismal physiology. Physiology

2006 ; 21 : 404-10.

[3] Baur JA, Pearson KJ, Price NL, et al. Resveratrol

improves health and survival of mice on a high-calo-

rie diet. Nature 2006 ; 444 : 337-42.

[4] Lapouge M, Argmann C, Gerhart-Hines Z, et

al. Resveratrol improves mitochondrial function

and protects against metabolic disease by acti-

vating SIRT1 and PGC-1alpha. Cell 2006 ; 127 :

1109-22.

[5] Baur JA, Pearson KJ, Price NL, et al. Resveratrol

improves health and survival of mice on a high-calo-

rie diet. Nature 2006 ; 444 : 337-42.

[6] Ferrannini E, Buzzigoli G, Bevilacqua S, et al.

Interaction of carnitine with insulin-stimulated glu-

cose metabolism in humans. Am J Physiol 1988 ;

255 : E946-52.

[7] Koo SH, Montminy M. In vino veritas : A Tale

of Two Sirt1s ? Cell 2006 ; 127 : 1091-3.

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