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| formation Cancérisation : de la connaissance des mécanismes au développement d’applications OptionBio | Lundi 18 juillet 2011 | n° 458 15 L’ innovation se distingue de l’invention en cela que la seconde peut être une idée brillante mais que la pre- mière n’existe que si elle s’incarne. Dans le monde éco- nomique, on ne parle d’innovation que si celle-ci va jusqu’au marché 1 . Ces mots sont applicables aussi aux avancées, aux déceptions, aux écueils de la recherche de la connaissance des mécanismes du cancer, et de leurs potentielles applications pour une meilleure prise en charge des patients. La génomique Dans les années 2000, l’aboutissement du séquençage du génome humain a nourri de grands rêves de connaissance et donc de maîtrise des anomalies génétiques de nombre de pathologies. Ceci a conduit à une accélération dans la mise au point des méthodes de séquençage ( tableau I), qui font penser que d’ici quelques années, il sera possible de connaî- tre son génome pour... moins de 1 000 dollars ! Mais, pour autant, on ne connaît toujours pas les gènes responsables de pathologie ! Cela n’empêche cependant pas le marché d’avancer... La com- pagnie 23andMe propose, sur internet, d’établir un check-up pour, dit-elle, « révéler vos risques de développer certains can- cers, la maladie d’Alzheimer, le diabète et autres maladies... » à partir d’un simple prélèvement de salive (1 000 dollars en 2008, 399 dollars aujourd’hui...). Que faut-il penser de cette proposi- tion offerte au grand public ? L’étude porte sur 500 000 SNP (les mutations les plus communes, voir encadré) et la réponse serait donnée avec un risque relatif allant de 1,1 à 1,5 seulement... donc bien peu significatif. La pharmacogénomique Côté médicament, les recherches avancent aussi. La pharma- cogénomique, elle aussi basée sur les SNP, consiste à étu- dier les facteurs génétiques qui établissent la façon dont une personne réagira à un médicament. Mais les résultats sont jusqu’ici décevants. Les circuits moléculaires Bishop, prix Nobel 1989 pour sa découverte de l’origine cel- lulaire d’oncogènes rétroviraux, a développé une vue globale des circuits moléculaires. Six altérations clés gouverneraient l’ontogenèse et emprunteraient souvent pour cela les mêmes voies métaboliques (un peu comme des réseaux de métro complexes) : la perte des propriétés d’apoptose, la perte de sensibilité aux anti-facteurs de croissance, la génération de facteurs de croissance, l’invasion tissulaire et métastase, l’angiogenèse, le pouvoir de réplication (figures 1 et 2). La connaissance de plus en plus fine de ces réseaux et de leur complexité conduit à prendre en compte l’existence de cer- taines mutations, pour s’assurer de l’efficacité d’un traitement ciblé sur ce réseau complexe (notion de théragnostic). Par exemple, un traitement par cétuximab visant les récepteurs Rêves et réalités sur les avancées de la biologie du cancer La recherche en matière de biologie du cancer a connu de grandes avancées ces dernières années, tant du point de vue du diagnostic que de la médecine prédictive. Cependant, un équilibre reste à trouver entre recherche fondamentale et utilisation “à tout crin” pour un diagnostic de masse. Tableau I. Le séquençage du génome humain : plus vite et moins cher... Génome séquencé (année de publication) HGP (2003) Venter (2007) Watson (2008) Durée du séquençage 13 ans 4 ans 4.5 mois Coût du séquençage 2,7 milliards dollars 100 millions dollars < 1,5 million dollars Nb de scientifiques listés comme auteurs > 2 800 31 27 Nb d’instituts impliqués 16 5 2 Nb de pays impliqués 6 3 1 Source : D. Bellet. Les SNP Les SNP

Rêves et réalités sur les avancées de la biologie du cancer

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OptionBio | Lundi 18 juillet 2011 | n° 458 15

L’innovation se distingue de l’invention en cela que la seconde peut être une idée brillante mais que la pre-mière n’existe que si elle s’incarne. Dans le monde éco-

nomique, on ne parle d’innovation que si celle-ci va jusqu’au marché1. Ces mots sont applicables aussi aux avancées, aux déceptions, aux écueils de la recherche de la connaissance des mécanismes du cancer, et de leurs potentielles applications pour une meilleure prise en charge des patients.

La génomiqueDans les années 2000, l’aboutissement du séquençage du génome humain a nourri de grands rêves de connaissance et donc de maîtrise des anomalies génétiques de nombre de pathologies. Ceci a conduit à une accélération dans la mise au point des méthodes de séquençage (tableau I), qui font penser que d’ici quelques années, il sera possible de connaî-tre son génome pour... moins de 1 000 dollars ! Mais, pour autant, on ne connaît toujours pas les gènes responsables de pathologie !Cela n’empêche cependant pas le marché d’avancer... La com-pagnie 23andMe propose, sur internet, d’établir un check-up pour, dit-elle, « révéler vos risques de développer certains can-cers, la maladie d’Alzheimer, le diabète et autres maladies... » à partir d’un simple prélèvement de salive (1 000 dollars en 2008, 399 dollars aujourd’hui...). Que faut-il penser de cette proposi-tion offerte au grand public ? L’étude porte sur 500 000 SNP (les mutations les plus communes, voir encadré) et la réponse serait donnée avec un risque relatif allant de 1,1 à 1,5 seulement... donc bien peu significatif.

La pharmacogénomiqueCôté médicament, les recherches avancent aussi. La pharma-cogénomique, elle aussi basée sur les SNP, consiste à étu-dier les facteurs génétiques qui établissent la façon dont une personne réagira à un médicament. Mais les résultats sont jusqu’ici décevants.

Les circuits moléculairesBishop, prix Nobel 1989 pour sa découverte de l’origine cel-lulaire d’oncogènes rétroviraux, a développé une vue globale des circuits moléculaires. Six altérations clés gouverneraient l’ontogenèse et emprunteraient souvent pour cela les mêmes voies métaboliques (un peu comme des réseaux de métro complexes) : la perte des propriétés d’apoptose, la perte de sensibilité aux anti-facteurs de croissance, la génération de facteurs de croissance, l’invasion tissulaire et métastase, l’angiogenèse, le pouvoir de réplication (figures 1 et 2). La connaissance de plus en plus fine de ces réseaux et de leur complexité conduit à prendre en compte l’existence de cer-taines mutations, pour s’assurer de l’efficacité d’un traitement ciblé sur ce réseau complexe (notion de théragnostic). Par exemple, un traitement par cétuximab visant les récepteurs

Rêves et réalités sur les avancées de la biologie du cancer

La recherche en matière de biologie du cancer a connu de grandes avancées ces dernières années, tant du point de vue du diagnostic que de la médecine prédictive. Cependant, un équilibre reste à trouver entre recherche fondamentale et utilisation “à tout crin” pour un diagnostic de masse.

Tableau I. Le séquençage du génome humain : plus vite et moins cher...

Génome séquencé (année de publication)

HGP (2003)

Venter (2007)

Watson (2008)

Durée du séquençage 13 ans 4 ans 4.5 mois

Coût du séquençage 2,7 milliards dollars 100 millions dollars < 1,5 million dollars

Nb de scientifiques listés comme auteurs

> 2 800 31 27

Nb d’instituts impliqués 16 5 2

Nb de pays impliqués 6 3 1Source : D. Bellet.

Les SNPLes SNPL SNP

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16 OptionBio | Lundi 18 juillet 2011 | n° 458

EGF (epidermal growth factor) peut se révéler inefficace s’il existe une mutation du gène Ras, la recherche de cette mutation a ainsi une valeur prédictive de non-réponse au traitement ciblé.

Quelle leçon retenir ?En conclusion de ce bref panorama, il ne faut préjuger de rien lorsque l’on cherche des voies nouvelles et surtout qu’il faut pouvoir rester libre :– libre de chercher d’abord à comprendre, et ne pas oublier l’intérêt de la recherche fondamentale. C’est ainsi que les anticorps monoclonaux, avec toutes les applications que l’on connaît, ont été mis en évidence par l’étude du fonctionnement immunitaire ;– libre de ne pas s’enfermer dans sa “spécialité”. C’est ainsi que le génie génétique est la résultante d’une activité inter-disciplinaire, de la rencontre entre deux spécialistes (enzyme/plasmide) ;

– libre de persévérer, même si les travaux semblent n’aboutir sur rien de probant. C’est ainsi que les médicaments anti-an-giogéniques ont été décevants jusqu’en 2003 (Avastin®) ; de même pour le rituximab (anticorps monoclonaux) ;– libre de « voir comme tout le monde, et penser comme personne... ». |

ROSE-MARIE LEBLANC

consultant biologiste, Bordeaux (33)

[email protected]

L’auteur n’a pas déclaré de conflit d’intérêts en lien avec cet article.

SourceCommunication de D. Bellet, lors du 26e colloque Corata, en juin 2009 à Marne-la-Vallée (77).

Note1. Sérieyx H. Ce que je crois. Éditions de l’Organisation, 2001.

| Figure 2. Gènes impliqués dans six altérations clés gouvernant l’oncogenèse.

| Figure 1. Une vue globale des circuits moléculaires.

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