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184 Le monde plein * Une analyse du dernier livre de Robert Hainard mCrite de figurer dans notre revue. De nombreuses pages - et des meilleures - sont consacrCes B des problbmes de mC- thode. Et l’auteur ne manque pas de faire rCfCrence, fort apropos, B Ferdinand Gonseth - le fondateur et l’animateur, pendant prbs de trois dCcennies, de Dialectica. Tout 1’intCrEt de cet ouvrage vient du fait que Hainard est un grand artiste. Son texte, sur lequel je reviendrai plus bas, est port6 par des reproductions de quelques-unes de ses ceuvres. On retrouve d’admirables croquis, rCalisCs en quelques traits vigoureux, de re- marquables gravures aux coloris raffinCs et discrets, des photographies de sculptures pleines de force. L‘auteur reconstitue le monde animal, celui des plantes aussi, avec un rare talent. Son dessin simple, presque schtmatique, rigoureux, donne aux sujets qu’il reprCsente une vie exceptionnelle. L‘Ccriture de Robert Hainard est a la mesure de ses dons &artiste naturaliste: des phrases breves, directes, suggestives. Une courte introduction lui permet de rCaffirmer ses positions vis-a-vis de la vraie Ccologie, celle dont il fut - il y a plus de soixante ans - un pionnier. Le premier chapitre, intitulC ((Questionsde mCthode>> montre l’artiste prCoccupC de ce qu’il voit et veut exprimer. I1 se met a la place des choses, a I’intCrieur. ((Encore en- fant, j’ai voulu saisir la demarche de l’animal. J’ai d’abord voulu la constater podment: lorsque les pattes arriere sont dans telle position, les pattes avant ..., impossible, tout avait bougC. Alors je suis devenu la bEte, j’ai CpousC son mouvement et c’est dans la mC- moire de mes muscles, bien plus encore que dans celle de mes yeux, que je l’ai retrouvb. D’ailleurs, toute connaissance est participation physique., Plus loin, Hainard justifie le titre de son livre <(A cause de notre lenteur, de notre poids, nous ressentons l’air comme un vide (a part le vent). Mais l’oiseau ignore le vertige: pour h i , l’air est plein. J’ai dit pourquoi je pense que nous vivons, affectivement et mentalement, dans un monde vide. Je vais essayer de reprendre mes problemes dans un monde plein. Un monde qui nous rCsiste, nous limite mais nous rCpond et nous soutient, nous nourrit et nous fCconde,. Des rapports privilCgiCs ont liC F. Gonsethl B R. Hainard qui Ccrit ((Nous nous sommes rencontrks venant de versants opposCs de la connaissance et notre accord a va- leur de preuve, disait F. Gonseth de lui et moi. Lui, le mathkmaticien quasiment aveu- gle, moi, le peintre quelque peu illettrC. I1 ne m’a pas enseignt les mathCmatiques, je ne lui ai pas appris a peindre. Nous confrontions nos positions par le sens commun. L‘un commenGait une phrase, l’autre la finissait. On peut jouer a caractkriser l’art ou la science et passer a l’autre ClCment en inversant les termes. Ainsi: la science exige une rC- ponse exacte, aussi complbte que possible; I’art, une rCponse complbte, aussi exacte que possible. Gonseth a dit: toutes choses Ctant Cgales d’ailleurs, la science vise a la puis- sance, l’art B la possession>>. Le second et le troisibme chapitres explicitent, en toute franchise et par des exem- ples concrets, les rCflexions personnelles de Robert Hainard, ce que j’appellerais sa ((philosophie de la Nature,. On y retrouve les grandes theses que l’artiste engagC dC- fend, depuis longtemps, avec un enthousiasme lucide et gCnCreux. Paul-Emile Pilet Robert Hainard, ccLe monde pleinn, 94 p., Editions Melchior, 1991 F. Gonseth avait prCfacC le second livre de R. Hainard ((Nature et mecanismen publiC aux Editions du Griffon, 1946.

Reviewing Studies – Etudes critiques – Betrachtungen zur Literatur

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Le monde plein * Une analyse du dernier livre de Robert Hainard mCrite de figurer dans notre revue.

De nombreuses pages - et des meilleures - sont consacrCes B des problbmes de mC- thode. Et l’auteur ne manque pas de faire rCfCrence, fort apropos, B Ferdinand Gonseth - le fondateur et l’animateur, pendant prbs de trois dCcennies, de Dialectica. Tout 1’intCrEt de cet ouvrage vient du fait que Hainard est un grand artiste. Son texte, sur lequel je reviendrai plus bas, est port6 par des reproductions de quelques-unes de ses ceuvres. On retrouve d’admirables croquis, rCalisCs en quelques traits vigoureux, de re- marquables gravures aux coloris raffinCs et discrets, des photographies de sculptures pleines de force. L‘auteur reconstitue le monde animal, celui des plantes aussi, avec un rare talent. Son dessin simple, presque schtmatique, rigoureux, donne aux sujets qu’il reprCsente une vie exceptionnelle.

L‘Ccriture de Robert Hainard est a la mesure de ses dons &artiste naturaliste: des phrases breves, directes, suggestives. Une courte introduction lui permet de rCaffirmer ses positions vis-a-vis de la vraie Ccologie, celle dont il fut - il y a plus de soixante ans - un pionnier.

Le premier chapitre, intitulC ((Questions de mCthode>> montre l’artiste prCoccupC de ce qu’il voit et veut exprimer. I1 se met a la place des choses, a I’intCrieur. ((Encore en- fant, j’ai voulu saisir la demarche de l’animal. J’ai d’abord voulu la constater podment: lorsque les pattes arriere sont dans telle position, les pattes avant ..., impossible, tout avait bougC. Alors je suis devenu la bEte, j’ai CpousC son mouvement et c’est dans la mC- moire de mes muscles, bien plus encore que dans celle de mes yeux, que je l’ai retrouvb. D’ailleurs, toute connaissance est participation physique., Plus loin, Hainard justifie le titre de son livre <(A cause de notre lenteur, de notre poids, nous ressentons l’air comme un vide (a part le vent). Mais l’oiseau ignore le vertige: pour h i , l’air est plein. J’ai dit pourquoi je pense que nous vivons, affectivement et mentalement, dans un monde vide. Je vais essayer de reprendre mes problemes dans un monde plein. Un monde qui nous rCsiste, nous limite mais nous rCpond et nous soutient, nous nourrit et nous fCconde,.

Des rapports privilCgiCs ont liC F. Gonsethl B R. Hainard qui Ccrit ((Nous nous sommes rencontrks venant de versants opposCs de la connaissance et notre accord a va- leur de preuve, disait F. Gonseth de lui et moi. Lui, le mathkmaticien quasiment aveu- gle, moi, le peintre quelque peu illettrC. I1 ne m’a pas enseignt les mathCmatiques, je ne lui ai pas appris a peindre. Nous confrontions nos positions par le sens commun. L‘un commenGait une phrase, l’autre la finissait. On peut jouer a caractkriser l’art ou la science et passer a l’autre ClCment en inversant les termes. Ainsi: la science exige une rC- ponse exacte, aussi complbte que possible; I’art, une rCponse complbte, aussi exacte que possible. Gonseth a dit: toutes choses Ctant Cgales d’ailleurs, la science vise a la puis- sance, l’art B la possession>>.

Le second et le troisibme chapitres explicitent, en toute franchise et par des exem- ples concrets, les rCflexions personnelles de Robert Hainard, ce que j’appellerais sa ((philosophie de la Nature,. On y retrouve les grandes theses que l’artiste engagC dC- fend, depuis longtemps, avec un enthousiasme lucide et gCnCreux.

Paul-Emile Pilet

’ Robert Hainard, ccLe monde pleinn, 94 p., Editions Melchior, 1991 F. Gonseth avait prCfacC le second livre de R. Hainard ((Nature et mecanismen publiC aux

Editions du Griffon, 1946.