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Point de vue
Révisons notre modèle de croissance, par Henri LachmannLE MONDE | 17.02.09 | 14h00
'ampleur de la crise appelle un diagnostic à sa mesure. Au-delà du discours convenu sur les failles de la
régulation et le comportement inacceptable de certains acteurs économiques, c'est à une véritable
révision du modèle de croissance mis en exergue au cours des dernières années que nous devons nous
atteler. Dans sa version la plus pure, ce mode de croissance était celui des Etats-Unis, gigantesque hedge
fund (fonds spéculatif) financé par le reste du monde.
Rappelons-en les principales caractéristiques : recours excessif à l'effet de levier ; endettement non
soutenable des ménages qui seul a permis le maintien de la consommation ; croissance fondée
essentiellement sur la valorisation des actifs, en particulier immobiliers, par essence inégalement répartie
entre les générations. Au total, une accumulation de mécanismes d'enrichissement artificiel dont la crise a
mis à nu tous les risques qu'ils comportent... Ce mode de croissance n'a pu servir de modèle que parce qu'il
se fondait sur l'oubli de lois économiques élémentaires, dont la situation actuelle montre toute la
pertinence a contrario.
Les rendements exigés par les investisseurs, tout d'abord. Alors que ces derniers devraient être en ligne
avec la croissance à long terme de l'économie, le diktat du Return on Equity ou ROE (retour sur fonds
propres) de 15 % a agi comme un pousse-au-crime, et ne pouvait être atteint que par une politique
malthusienne de réduction des fonds propres et un recours excessif à l'endettement.
Les déterminants de la consommation, ensuite. On voit mal comment le rythme de cette dernière pourrait
s'écarter durablement de l'évolution des salaires, eux-mêmes théoriquement en ligne avec la croissance de
la productivité. Or cette dernière découle en très grande partie de la croissance de l'activité industrielle, les
gains de productivité étant moins évidents à réaliser dans le secteur des services. Aux Etats-Unis, dans le
contexte de désindustrialisation massive de la dernière décennie, la consommation n'a pu se maintenir
qu'au prix d'un appel croissant à l'endettement des ménages, lui-même favorisé par la politique monétaire
expansionniste conduite à partir de 2001.
Enfin, alors que c'est la croissance organique qui, à long terme, crée le plus de valeur, l'accent mis sur la
croissance externe a contribué à la constitution de bulles spéculatives, quand il ne s'est pas traduit par une
destruction de valeur dans un cas sur deux...
SAVOIR-FAIRE PRÉCIEUX
Cet oubli des fondamentaux n'a pu se produire qu'en raison d'une logique "court-termiste"
dramatiquement répandue au sein d'un monde financier. On ne saurait trop dénoncer l'arrogance et la
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cupidité de professions financières dont la domination sur le reste de l'économie est responsable du
marasme actuel. Le mal est d'autant plus profond que par leur diktat de la "création de valeur", ils avaient
presque réussi à détourner l'entreprise de sa fonction première : créer des richesses pour le plus grand
nombre, au-delà de ses seuls actionnaires...
Mais si le présent donne aujourd'hui raison à ceux qui, depuis longtemps déjà, dénoncent le hiatus entre
une logique financière court-termiste et une logique industrielle nécessitant de la durée pour se déployer,
c'est l'avenir qui importe. A ce titre, un certain nombre d'éléments apportent de réels espoirs.
Les groupes industriels vont retrouver une plus grande liberté. Sauf à voir les fonds souverains étrangers
s'emparer de leurs fleurons industriels, les Etats occidentaux n'éviteront pas la révision nécessaire du
cadre réglementaire et comptable actuel afin de favoriser la constitution d'investisseurs de long terme. Il
faut espérer que ces derniers épouseront à nouveau l'horizon économique des entreprises, et sauront tenir
compte de leurs fondamentaux. Les entreprises retrouveront donc une liberté de manoeuvre en matière
stratégique, liberté d'autant plus grande que les analystes financiers qui ont imposé leurs modes ces vingt
dernières années se trouvent délégitimés pour longtemps.
Cette liberté retrouvée sera nécessaire pour renouer avec la croissance. Une croissance différente, non plus
tirée par la seule consommation, mais par la demande extérieure, et dans laquelle les opérateurs
industriels retrouveront toute leur place.
Les marchés émergents, à long terme, restent un immense réservoir de croissance ; les besoins en énergie,
en infrastructures et en équipements y sont gigantesques. La Chine, en particulier, est amenée à vivre un
phénomène comparable aux "trente glorieuses", avec une croissance de 8 % à 10 % d'ici à 2020. Elle
constituera à cette date le premier ou le deuxième marché mondial pour la plupart des industries. Pour
autant, les marchés développés ne seront pas en reste : les "cleantechs" ("éco-technologies") et la
croissance verte devraient offrir de formidables opportunités de croissance. Sur le seul marché de
l'efficacité énergétique, la croissance structurelle est ainsi estimée à plus de 10 % par an.
Les autres atouts sont intrinsèques aux groupes européens. Positionnement haut de gamme, maîtrise dans
l'approche et le ciblage commercial, capacité à atteindre de nouveaux marchés, qualité du service après-
vente... Un savoir-faire précieux, venu d'un héritage industriel multiséculaire, et qu'il est possible de
dupliquer sur de nouveaux vecteurs de croissance. Toute l'histoire de l'industrie européenne montre en
effet, entre volontarisme et innovation, sa capacité à se réinventer en permanence, en traversant les crises
économiques et autres chocs pétroliers. Il faut également souligner la nécessité pour la France et
l'Allemagne d'être à nouveau le moteur de l'Europe.
Henri Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider Electric
Article paru dans l'édition du 18.02.09
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