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131 REVUE DES LIVRES Jean-Claude Fitoussi Jean Pisani-Ferry Emmanuel Todd et Hervé Le Bras Jean-Paul Betbèze Isaac Getz et Brian M. Carney Hervé Kempf Sempels Christophe et Hoffmann Jonas Collectif Institut Montaigne sous la direction de Julien Damon

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REVU

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Le théorème du lampadaireJean-Claude Fitoussi

La crise de l'euro et comment nous en sortirJean Pisani-Ferry

Le mystère françaisEmmanuel Todd et Hervé Le Bras

Si ça nous arrivait demain...Jean-Paul Betbèze

Liberté et cie. Quand la liberté des salariés fait le succèsdes entreprisesIsaac Getz et Brian M. Carney

Fin de l'Occident, naissance du mondeHervé Kempf

Chindiafrique – La Chine, l'Inde et l'Afrique serontle monde de demainSempels Christophe et Hoffmann Jonas

Le monde en 2030 vu par la CIACollectif

Intérêt général. Que peut l’entreprise ?Institut Montaigne sous la direction de Julien Damon

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REVUE DES LIVRES

Jean-Claude FitoussiLes liens qui libèrent, 2013

En cette période de crise, beaucoupd’ouvrages économiques et politiquesinvitent à adhérer à la "ligue des optimistes"pour voir s’ils sont encore de ce monde.Celui de Jean-Paul Fitoussi est un peu dansla même veine mais laisse davantaged’espoir en considérant que c’estfinalement l’angle de vue porté sur lesdifficultés actuelles qui n’est pas adapté.

Le théorème du lampadaire s’attaque auxpensées dominantes qui s’engluent dans lepassé et apportent des éclairagestrompeurs sur la réalité d’aujourd’hui et surses causes.

Jean-Paul Fitoussi s’en prend, de manièreparticulièrement virulente, à l’Unioneuropéenne qui "a peu à peu vidé le siègede la souveraineté nationale sans pourautant investir celui de la souverainetéeuropéenne".

L’Union européenne se trompe de cheminen oubliant la croissance, le bien-être et unprojet politique. Elle répète à l’enviqu’"aucun salut n’est à attendre d’un effortd’investissement public" sans qu’aucunealternative ne soit proposée. Elle se focalisesur le PIB, se contente d’objectifséconomiques mesurables et ignore ceux quine sont pas encore mesurés comme la"sustainability" et le bien-être. Elle détruitdu capital humain et réduit ainsi lespossibilités de construction pour l’avenir.L’Europe croit à tort qu’en prenant desdécisions techniques, le politique suivra.Or, "c’est la volonté politique qui a présidé àla construction économique européenne, etc’est l’absence de volonté politique quipourrait conduire à son effondrement".

Jean-Paul Fitoussi croit que la lumière estportée trop largement sur la crise écono-mique et insuffisamment sur la crisepolitique et la crise décisionnelle de l’UE.

Les gouvernements nationaux utilisent tropsouvent l’Europe comme un leitmotiv pourdire qu’ils ne peuvent agir autrement.

L’auteur plaide largement pour une Europefédérale et pour plus de démocratie auniveau européen. Mais pour susciterl’intérêt du "peuple européen", ne faut-ilpas, d’abord, définir des valeurscommunes ? Ne faut-il pas non plus desleaders européens emblématiques ?L’Union européenne ne devrait-elle pasdavantage communiquer sur le "coût de lanon-Europe" pour mobiliser l’intérêt ?

Béatrice Richez-BaumSecrétaire général d’ecoDa

Jean Pisani-FerryPluriel, 2013

Était-il utile de publier une seconde versiondu livre de Jean-Pisani Ferry intitulé Le Réveildes démons, paru en novembre 2011 ? Laréponse est clairement oui. Si lesinterrogations de l’auteur restent, en partie,les mêmes, l’environnement économique etpolitique européen a clairement évolué.Depuis les premiers tourbillons de 2008, lacrise s’est transformée dans la zone euro :de financière, elle est devenue économiqueet sociale et, enfin, politique.

Ce nouvel ouvrage, constitué de troisparties, d’un glossaire et d’une chronologiepourrait être considéré comme un thrilleréconomique… s’il ne reflétait pas notreréalité économique.

Tous les éléments du roman noir y sontprésents : des acteurs à la solidarité limitée(États, banquiers), un péché originel (lecontrat, tacite et politique, fondateur del’euro) et un crime (la Grèce révèle, enoctobre 2009, que les chiffres de sa dettepublique sont faux) ; un mélangedynamique qui fait de ce livre un outil

Le théorème du lampadaire

La crise de l’euroet comment nous en sortir

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indispensable et très pédagogique à lacompréhension de la crise et de sessolutions… si elles existent !

Et pourtant, comme l’écrit l’auteur dans lechapitre 1, tout avait si bien commencé :"Pendant dix ans, de 1999 à 2008, l’euro aété aussi ennuyeux qu’il était possible. Latransition entre les anciennes monnaies etla nouvelle avait été impeccable". L’histoirede la monnaie unique, qualifiée de"dernière utopie du siècle", avait permisd’aboutir à la création de ce qui n’avaitjamais été vu jusque-là : une monnaie quine repose pas sur un État !

La première partie de l’ouvrage estconsacrée à cette construction. Passion-nante, elle nous fait revivre les débats desannées 1970 avec le Plan Werner et cetteéternelle question qui taraude lesdirigeants européens : la monnaie est-elleun moyen ou une fin en soi ? Derrière cettequestion se cache toutes les ambiguïtés del’euro. De la position française : l’Euro est-ilseulement le jalon d’une future fédérationd’États-nations, comme le souhaite JacquesDelors ?... à la position allemande d’unemonnaie ancrée dans une communauté. Aufinal, il ressortira que "l’Allemagneacceptera de faire monnaie commune à lacondition que cette monnaie soit gérée surle modèle allemand". Un défaut deconstruction initial ?

La deuxième partie aborde le tournant desannées 2000 et recèle une lecturemacroéconomique saisissante de l’asy-métrie des trajectoires française etallemande : un boom des économiesd’Europe du Sud, une atonie de l’économieallemande… et une Banque centraleeuropéenne qui gère les intérêts écono-miques agrégés des pays membres.Asymétrie, absence de consensus…

À ce titre, le chapitre 9 (Aider ou pas ?)rappelle à tous que le temps des décisionsdes dirigeants européens n’est pas celuides marchés… et il amène le lecteur à s’interroger sur les mécanismes de

coordination et de solidarité dans la zoneeuro : ceux qui appartiennent au passé etceux qui se doivent d’exister !

La dernière partie se tourne vers le futur :que faire ? "En 2008, les États ont sauvé lesfinanciers. En 2011, les financiers mettentles États à genoux. Le raccourci est exact. Ilest profondément choquant. Mais il nefournit pas un guide pour l’action". L’auteurpasse en revue d’une plume dynamique lesévolutions des différents acteurs au coursdes crises successives, leurs logiquespropres. Il trace également les grands axesdu futur chantier européen : une intégrationéconomique plus poussée, un fédéralismebancaire et financier, mais surtout lanécessité de renouer avec un certain idéaleuropéen.

Dans sa conclusion, Jean Pisani-Ferryl’expose : "à défaut d’y être prêts, lesEuropéens sont-ils capables, face au risquede désagrégation, de renouer avecl’ambition ? C’est le cœur du problème".

Au final, ce livre haletant apporte toutes lesclefs de compréhension du passé, duprésent et du futur de la zone euro ; on ajuste très envie de remercier l’auteur !

Emmanuel HacheÉconomisteProfesseur

Emmanuel Todd et Hervé Le BrasSeuil, 2013

Voilà plus de 30 ans qu’Hervé Le Bras etEmmanuel Todd aiment à ausculter laFrance et à interpréter les dynamiqueséconomiques, sociales, culturelles etpolitiques de ses habitants à l’aune del’anthropologie et de l’histoire. Enparticulier, les deux auteurs insistent surl’influence du système familial sur lesidéologies qui servent de matrices auxcomportements collectifs de long terme.

Le mystère français

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L’entreprise commune débutée en 1981avec L’invention de la France se poursuitaujourd’hui avec Le mystère français quiexplore le changement social qu’a connu lasociété française entre 1980 et 2010. S’ils’est raffiné avec le temps, le dispositifméthodologique déployé par les auteursreste le même : une vaste cartographie –120 cartes ! – permettant de mettre enévidence les grandes structures du territoirenational et de les mettre en perspective lesunes par rapport aux autres.

Sont ainsi successivement abordés, dansonze chapitres d’une lecture agréable, "lesfondements anthropologiques et religieux",les inégalités culturelles, l’émancipationdes femmes, les transformations de lafamille, l’émergence trop rapide d’unesociété post-industrielle, les difficultés desclasses populaires, les inégalités écono-miques, les migrations et la transformationdes comportements électoraux et des partispolitiques, au premier rang desquels, leFront national.

Dès leurs premiers travaux, Hervé Le Bras etEmmanuel Todd ont identifié au moins deuxFrance :

une France "centrale" du Bassin parisien,du Nord et, partiellement, du pourtourméditerranéen, où une tradition de famille"nucléaire" et une déchristianisationprécoce ont développé un sentimentd’individualisme égalitariste propice à ladémocratie ;

une France "périphérique" de la Bretagneau Grand Sud-Ouest jusqu’aux Alpes, oùune tradition de famille "complexe"("souche" ou "communautaire") pluslonguement christianisée a développéune plus grande sensibilité à la hiérarchieet l’autorité.

Dans la construction et l’affirmation de laNation française par un État qui l’a précédé,ce sont les valeurs et les normes de laFrance "centrale" qui se sont imposéesdepuis le 18ème siècle pour faire tenir

ensemble la grande variété anthropo-logique qui constitue, de fait, la réalité dupays. Par la même occasion, cette France"centrale" allait constituer les territoires lesplus dynamiques, ceux par lesquels sediffusent les innovations sociales, écono-miques et politiques. Mais la donne achangé. C’est ce qu’illustre Le mystèrefrançais.

Julien AldhuyResponsable département prospective

DGA/EMC, CCI Paris Ile-de-France

Jean-Paul BetbèzePlon, 2013

Avec son dernier ouvrage, Et si ça nousarrivait demain…, Jean-Paul Betbèze signeun essai à mi-chemin entre prospectivealarmiste et roman d’anticipation écono-mique. Il y décrit quelles pourraient être lesdéconvenues de la France et de l’Europedans les mois à venir sans un changementd’envergure, nous explique pourquoi il est"urgent d’en faire plus, et surtoutautrement" pour sortir de cette crise quin’en finit plus.

Point de départ de l’ouvrage : les plans desauvetage se succèdent à travers l’Europesans parvenir à recréer les conditions de lacroissance. On prête de l’argent à des paysqui ne seront pas capables de rembourser,pour financer une désinflation salariale quileur permet de gagner en compétitivité parrapport à leurs prêteurs et entraînent, parconséquent, ces derniers dans unalignement par le bas qui dessine unespirale du moins-disant social et menace lebien-être de 500 millions de citoyenseuropéens.

Le lecteur est rapidement plongé dans unecapitale grecque où l’électricité est coupée,avant que los indignados se mettent enscène à la tribune d’un Parlement espagnoloccupé et que le fonds China Investment

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Si ça nous arrivait demain...

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Corporation acquiert 47 % de la Sociétégénérale… À mi-mandat, un grand rema-niement a lieu en France : Pierre Moscovicidevient Premier ministre, François Bayrouest appelé à la rescousse pour occuper ungrand ministère d’État chargé de la stratégieéconomique et sociale. La France n’a d’autreperspective que de lancer une alliancestratégique globale avec l’Allemagne pourrecréer un noyau dur capable de parler d’uneseule voix et de mettre fin aux ratés dumoteur de l’UE.

Et cela pourrait vraiment nous arriverdemain si la France ne sort pas du "déni", siles réponses apportées à la crise restentdramatiquement sous-dimensionnées. Pourl’auteur, "un pays meurt en cinq étapes, et laFrance est en phase III", celle des mauvaisdiagnostics et des mauvaises mesures. Encontinuant sur cette voie, le pays entreradans une phase de récession grave etdurable ; bref, cette fois, c’est vraiment ladernière chance.

Une fois le lecteur rassasié de science-fiction économique, l’auteur n’omet pas des’attacher à mettre en valeur des idéesfortes sur les fondements de la situationactuelle et la catastrophe à laquelle nouscourons, selon lui, si la mesure de cettecrise n’est pas prise. Il en ressort despréconisations à suivre d’urgence, commecela est plus d’usage dans ce type d’essai :par exemple, cesser d’opposer services àindustrie, compétitivité coût à compétitivitéhors-coût, pour aller vers une nouvelleproductivité et une nouvelle industrie quireposeraient sur une approche plus intégréede l’appareil productif.

De manière plus classique et presqueincantatoire, il aborde également lesquestions de la flexibilité du travail, labaisse des coûts de production, lamodernisation publique, mais aussi lanécessité d’accélérer sur la voie dufédéralisme en Europe, sous la houletted’une locomotive franco-allemanderetrouvée. Pour lui, la seule politiquepossible aujourd’hui est celle de l’offre. Et la

meilleure manière de la mettre en œuvre estla thérapie de choc, car "le dialoguefavorise ceux qui ont intérêt au statu quo".

Quatre ans après la publication par le mêmeauteur de Crise : une chance pour laFrance ?, avons-nous su tirer parti de lacette situation où, dos au mur, les réformesdevaient, enfin, s’imposer d’elles-mêmes,pour dépasser la tendance naturelle àl’immobilisme de la politique économiquepoliticienne ? Visiblement, non.

Au final, la tonalité générale de l’ouvrage,plus narratoire que didactique, en rendindéniablement la lecture plus dynamiqueque la plupart des essais économiques. Elletient le lecteur en haleine, se demandant aufil des pages ce qui pourrait bien nousarriver de pire encore, demain. Le concepten fait un livre à usage immédiat, car il seconcentre sur un futur très proche : il estdonc d’autant plus urgent de le lire…

Romain SaudraisÉconomiste

CCI Paris Ile-de-France

Isaac Getz et Brian M. CarneyFlammarion, 2013

L’idée première des deux auteurs est demontrer, exemples à l’appui, que les formesd’organisation des entreprises reposant surla liberté et la responsabilité permettentd’obtenir des résultats bien meilleurs.

Quelle est la méthode employée pour menerla démonstration ? Il s’agit d’une enquêteréalisée auprès de quelques entreprisesdont la culture repose sur ces principes. Soitles fondateurs (trices) eux-mêmes ont étéinterrogés, soit ce sont les dirigeants ayantprovoqué la transformation organisa-tionnelle de l’entreprise. Toutes les per-sonnes rencontrées présentent un pointcommun : avoir accordé à leurs salariés

Liberté et cie. Quand la liberté dessalariés fait le succès des entreprises

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(quelle que soit leur fonction – encadre-ment ou exécution) une large autonomie.

Au fil des pages et des illustrations, oncomprend que si chaque cas décrit estunique, le dirigeant a le plus souventsouhaité se soustraire aux contraintes liéesà des formes de gouvernance trophiérarchisées et bureaucratiques. End’autres termes, le souci principal n’est pasla direction au sens strict de l’entreprise,mais la libération de l’initiative afin depermettre à chaque salarié d’apporter sapart de créativité, pour le plus grand profitde l’entreprise. Le leader se conforme ainsiaux quelques principes de base suivants :

cesser de parler et commencer à écouter ;renoncer à tous les symboles et pratiquesqui empêchent les salariés de se sentirégaux ;partager ouvertement et activement savision de l’entreprise afin que les salariéspuissent se l’approprier ;mettre en place un environnementpermettant à chacun de s’auto-diriger, dese motiver et de se développer ;rester vigilant et garant de la culture del’entreprise.

C’est le terreau sur lequel doit fructifier laculture… de l’entreprise qui doit êtrepartagée par tous. Sans vision commune, laliberté des salariés ne pourrait s’exprimerpleinement. Et pour que cette culture ait deschances de s’implanter, encore faut-il quece leader soit véritablement "nourricier",qu’il apporte à ses salariés des soinsattentifs, qu’il sache les rendre heureux ! Etau final, pour que celle-ci perdure, des soinsrenouvelés doivent être prodigués, ce quipasse par une communication régulière endirection de tous les salariés, car il n’y a pasde "salariés insignifiants".

Ce livre nous conte de fort belles réussites.Une question immédiate vient tout de mêmetarauder le lecteur : la réussite de cesentreprises est-elle seulement liée à laforme d’organisation originale mise enplace ? Et l’on reste un peu sur sa faim : il

aurait été intéressant de mesurer le poidsde divers facteurs comme les produitsdéveloppés, la capacité à se remettre enquestion, la force d’entraînement dumeneur… Mais ce serait sans doute la suitepossible à l’ouvrage… Une tout autre étudeplus lourde encore à mener.

Claudine Alexandre-CaselliResponsable de la cellule statistique du CREDA

Rédacteur en chef de La Lettre de l'OCED& Anne Outin-Adam

Directeur des politiques législatives et juridiquesDGA/EMC, CCI Paris Ile-de-France

Hervé KempfSeuil, 2013

Dans son dernier ouvrage, Hervé Kampfnous donne une nouvelle vision du mondedont l’écologie serait l’élément central.Celle-ci a, en effet, constitué un facteuressentiel de domination de l’Occident(notamment l’Europe) sur le monde et, plusparticulièrement, l’Orient. Si l’Europe avait,aux 17-18ème siècles, un niveau identique à laChine ou l’Inde, elle a depuis connu undéveloppement fulgurant et a constitué unesociété d’une capacité inégalée, dominanttoutes les sociétés du monde. Cela est dû,selon l’auteur, non pas à une différenced’essence entre l’Occident et l’Orient mais àdes opportunités écologiques particulières(exploitation du charbon, découverte desAmériques et colonisations) qui ont permisun accès facilité aux ressources.

Après deux à trois siècles de domination,l’Occident laisse place à des mouvementsinverses conduisant à un resserrement desécarts entre les deux blocs, à unrééquilibrage des forces et à la fin de sasuprématie. La perte des anciens facteursécologiques (perte de compétitivitéécologique) en faveur d’autres pays en estl’explication. L’auteur constate troischangements majeurs qui ont conduit à lanaissance du monde nouveau :

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Fin de l’Occident,naissance du monde

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d’une part, le pouvoir s’étend à des pays-continents dotés de richesses écolo-giques et humaines sans pareil tels que laChine, l’Inde et le Brésil ;

d’autre part, le système social dans lequelles riches dominent la société s’étendmaintenant aux pays émergents ; sur les 1 226 milliardaires (en dollars) recensésdans le monde, la Russie et la Chineviennent respectivement en 2ème place eten 3ème place après les États-Unis.

La particularité de cette transformation est,toutefois, le changement de nature dupouvoir lui-même. Les riches de ce monde,ou ce que l’auteur appelle les oligarques,forment une classe transfrontalière. Celle-ci"partage un intérêt commun – maintenir lesconditions de leur richesse –, se conduitsolidairement".

enfin, des valeurs universelles centréessur l’écologie apparaissent et deviennent,théoriquement, la préoccupation de toutun chacun ; celles-ci constitueraient,selon l’auteur, le contrepoids de lagéopolitique classique et des velléitésguerrières des uns et des autres ou cequ’il appelle "la logique de la solidaritéobligée", l’équivalent de l’actuel"équilibre de la terreur nucléaire".

Ainsi, naîtrait un monde nouveau –transfrontalier et imbriqué – où les valeursuniverselles seraient centrées sur l’éco-logie. Utopie ou rêve atteignable ?

L’histoire nous a toujours montré au moinsdeux choses : premièrement, rien n’arrêteles égoïsmes des humains, conduisantinéluctablement à la domination des plusforts sur les plus faibles ; deuxièmement,les velléités de revanche sont souvent trèsfortes : les dominés des siècles derniersdevraient, à leur tour, entrer dans l’histoirepar la grande porte comme l’ont fait leursanciens dominants.

Ce monde kempfien n’est, à notre sens,qu’une période transitoire – plus ou moins

équilibrée – avant l’apparition d’un mondedominé par de nouvelles puissances.

Hacène BenmansourÉcrivain

Jean-Joseph Boillot, Stanislas DembinskiOdile Jacob, 2013

Chindiafrique ? Les mauvais esprits par-leront de surenchère, de la nécessitéd’inventer un nouvel acronyme, plusattrayant qu’un Chindia déjà dépassé… Lessceptiques resteront… perplexes : commentoser mettre en regard un continent,l’Afrique, dont le renouveau est encorerécent, et deux géants asiatiques, l’Inde etla Chine, à l’émergence bien plus ancienneet établie ?

Mais finalement, tout le monde y trouverason compte ! Dès les premières pages, lerapprochement de ce trio infernal qui "ferale monde de demain" trouve tout son sens.

Sur la forme, l’ouvrage de J.-J. Boillot et deS. Dembinski, accessible aux non-initiés,est d’une lecture très agréable. L’équilibre aété trouvé entre rappels historiques et étudeprospective, entre références théoriques etillustrations graphiques, ou encore entredescriptions factuelles et analyses ; lesdigressions indispensables sur les casparticuliers que représentent les trois"acteurs" de l’ouvrage permettent d’éviter lepiège des généralités et alternent avec uneapproche comparée (relation triangulaire)donnant la mesure de l’imbrication, de laconcurrence ou de la complémentarité del’Inde, de la Chine et du continent africain.

Enfin, c’est le positionnement global del’ensemble Chindiafrique vis-à-vis du restedu monde qui retient l’attention. Car c’estbien de cela qu’il s’agit : prendre la mesurede la puissance montante que représente

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Chindiafrique –La Chine, l’Inde et l’Afriqueferont le monde de demain

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Chindiafrique et des conséquences que celaimplique à horizon 2030 pour l’économiemondiale.

Sur le fond donc, la richesse des idéess’organise selon un cheminement attendu.Quoi de plus naturel, en effet, que decommencer l’analyse par le poidsdémographique de ces géants : "en 2030, lamoitié de l’humanité sera chinoise,indienne ou africaine" rappellent lesauteurs ; "chacun de nos trois géants vadépasser le milliard et demi d’habitants".Les États-Unis et l’Europe n’ont qu’à bien setenir…

Mais l’analyse quantitative est rapidementbalayée par une vision qualitative de lamontée en puissance de Chindiafrique : nonseulement les "temps démographiques destrois géants" vont se chevaucher, mais nulne sait s’ils sauront individuellement tirerparti de leur "fenêtre d’opportunitédémographique" : créer des emplois, gérerles migrations internes, renverser "la notionde brain drain (fuite des cerveaux) au profitdu brain gain (retour des cerveaux)",renforcer les efforts en matière d’éducation,etc. sont autant de défis qui se posent dès àprésent.

L’approche par la puissance économiquealimente encore le malaise, unedésagréable sensation de "menacerelative": "Chindiafrique passerait d’un peuplus d’un quart du PIB mondial aujourd’hui[en termes de PPA] à près de la moitié en2030, pour bondir à 60 % de l’ensemble en2050" selon les prévisions du CEPII.

Certes, ces perspectives reposent sur deshypothèses fortes quant à l’évolution desdeux facteurs de production – travail etcapital – et de la productivité ; certes, laquestion de la relation triangulaire resteouverte : "Chindia va-t-elle contribuer à fairedécoller le continent noir, ou au contraire lemaintenir dans une relation économiquedéséquilibrée ?". Mais les solutions alter-natives, d’ores et déjà, mises en place parl’Inde ou la Chine ne laissent, quant à elles,

aucun doute : l’objectif de ces géants estbien de s’adapter pour exister dans le jeudes grandes nations économiques desprochaines décennies, et le pari del’innovation est en passe d’être remporté.

De la conquête du knowledge power (via unpositionnement sur les nanotechnologiesou les biotechnologies) au développementde nouveaux business models (innovationfrugale pour intégrer le "bas de lapyramide", économie circulaire ou logiquecradle to cradle – berceau au berceau – pourtenir compte de la contrainte environ-nementale, etc.) en passant par l’inno-vation managériale (Indian way), voilà quelques-unes des réponses pragmatiquesapportées par ces trois géants, preuve quela bataille des idées est bien enclenchée.

La dernière "pièce du puzzle de ce NouveauMonde" en gestation, le politique, clôturel’ouvrage de J.-J. Boillot et de S. Dembinskiet conduit ces derniers à la conclusionsuivante : "le basculement du mondeva donc s’accélérer considérablementjusqu’en 2030, rebattant les cartesdémographiques, économiques, technolo-giques, et celles des ressources naturellesen faveur de la Chine, de l’Inde et del’Afrique prises séparément mais aussi dutriangle Chindiafrique, dont les interactionsse renforcent. Pourtant à cet horizon,basculement ne rime toujours pas avecrenversement du pouvoir à l’échelle de laplanète".

Voilà la "menace" une fois encorerelativisée… Reste alors aux États-Unis et àl’Europe à contribuer à bâtir (et vite !) unemondialisation "modérée", aux côtés de etavec Chindiafrique pour préserver leurpuissance politique.

Sandrine RolRédactrice en chef d’Accomex

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CollectifÉdition des Équateurs, 2013

Un document de prospective écrit par unecentrale de renseignement (américaine desurcroît) a tout pour susciter la méfiance :ne sommes-nous pas en présence d’unetentative de désinformation sophistiquée ?Au risque de décevoir les amateurs deroman d’espionnage, ce nouvel opus (lecinquième depuis 1999) est un "vrai"ouvrage de prospective écrit selon lesstandards les plus rigoureux de ce typed’exercice. Au risque d’être parfoisennuyeux, tant le style manque de fantaisie,il présente, de façon raisonnée, une visiondu futur à la lumière des grandsmouvements auquel est confrontée laplanète. Pour chaque nœud identifié, deuxunivers possibles sont proposés de façonbinaire : l’explosion d’Internet peut ainsiêtre un facteur de démocratisationaccélérée de nos sociétés comme uninstrument de mort au service de cyber-terroristes. Au risque de susciter lafrustration du lecteur, aucune probabilitén’est attribuée aux deux options, tant il estvrai qu’en prospective, "demain est moins àdécouvrir qu’à inventer", selon GastonBerger.

Bien évidemment, la récurrence del’exercice – tous les cinq ans – invite àcomparer la présente vision avec celle quiprévalait en 2007. Comment les difficultésrencontrées par les États-Unis dans leursconflits moyen-orientaux, comment lamontée plus rapide que prévue de lapuissance chinoise modifient-ils la visionaméricaine du futur ?

Le Rapport part de quatre tendances fortes,qu’il combine avec six catalyseurs dechangement pour construire quatrescénarios, deux extrêmes (pessimiste etoptimiste) et deux intermédiaires :

1) Quand les moteurs calent (le scénariopessimiste).

2) Fusion (le scénario optimiste reposantsur une collaboration entre Chine etAmérique).3) Le Gini de la lampe (en référence auxinégalités sociales croissantes).4) Un monde non étatique (en référence àl’empowerment du monde par les réseaux,les individus…).

L’intérêt de la démarche est de mettre enexergue que rien n’est écrit, que le champdes opportunités est aussi vaste que celuides risques de crises et que le monde nesera pas un long fleuve tranquille, ce donton se doutait.

Avec un regard d’entreprise, on retrouverades tendances déjà identifiées dans lesprécédents ouvrages (basculement dumonde vers les pays émergents, montéedes tensions autour des ressources rares –énergie et surtout eau –, puissancetransformatrice des nouvelles technologiesde l’information, etc.). Outre la plus granderapidité des transformations prévues, lepoint nouveau, qui fonde l’une des quatregrandes tendances identifiées est l’appa-rition d’une classe moyenne mondialeévaluée à 1 milliard d’individus. Outre lemarché potentiel qu’elle représente, cettepopulation est appelée à jouer un rôlecentral dans les évolutions politiquesfutures. Les tensions sociales en Turquie etau Brésil doivent nous alerter que cettenouvelle étape dans la mondialisations’annonce aussi bouleversante que lesprécédentes.

Par l’ampleur de la vision et des analysesmobilisées, ce document est unique et sertdonc de référence pour élaborer unetypologie des futurs possibles. Si denombreux développements s’adressent,avant tout, à des décideurs publics, lemonde de l’entreprise pourra y trouverd’utiles réflexions pour repérer les"mainstreams" mondiaux comme lesprincipales menaces pesant sur lesdifférentes régions du monde. On pourrabien sûr noter qu’il s’agit d’une visionaméricaine du monde et de son avenir. Mais

Le monde en 2030 vu par la CIA

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cette dimension n’est pas la moinsintéressante d’un ouvrage, par ailleurs,sans grand équivalent.

Jean-Luc BiacabeDirecteur des politiques économiques

DGA/EMC, CCI Paris Ile-de-France

Institut Montaigne sous la directionde Julien DamonManitoba/Les Belles Lettres, 2013

Quelle belle idée que de "confronter"l’entreprise à la notion d’intérêt général !Certains diront qu’à travers cette réflexion,on rejoint la dialectique plus traditionnellede la finalité de l’entreprise….

Pourtant, l’ensemble d’entretiens quedélivre l’Institut Montaigne sous la directionde Julien Damon insuffle quelque chose devéritablement "frais" et riche qui tientautant à la conviction des grands témoinsconvoqués pour ces échanges croisés qu’àla portée de leurs actions et/ou de leursanalyses, pour partie, vérifiées sur leterrain. Et quand, de surcroît, l’actualitérejoint le mouvement – comme l’illustrel’implication croissante des entreprisesdans le développement des territoires –, onne peut être que convaincu par ladémonstration.

Plus prosaïquement, comme le fontremarquer certaines personnalités dans cetouvrage, force est de constater que lasegmentation État/entreprise/collectivitéspubliques n’est plus forcément valide ouopérante. Aujourd’hui, une entreprise quiconstruit un hôpital ou une autoroute rendun intérêt général.

Selon Marianne Laigneau, DRH Groupe EDF,dès qu’une entreprise produit, crée de larichesse, emploie des hommes et desfemmes, etc., elle "entretient néces-sairement un lien avec l’intérêt général".C’est la densité de ce lien au dévelop-pement durable, aux territoires, à la

cohésion sociale, etc. qui diffère selon lesentreprises.

L’État n’a donc plus le monopole de l’intérêtgénéral si tant est qu’il dut le représenter :"il doit en être le garant, ce qui estdifférent", rappelle Marc Desplats,Président du Mouvement national deschômeurs et des précaires. Le curseur s’estd’autant plus déplacé entre les acteursprivés et publics que les demandesadressées aux entreprises sont de plus enplus fortes, de plus en plus larges et ce,dans de nombreux domaines comme on levoit à travers des thématiques comme laRSE, la diversité, la protection sociale, lehandicap, la qualité de vie, etc.

Pour autant, il ne faut pas être maximaliste,souligne Alain Frérot, Président de VeoliaEnvironnement : "il ne faut pas non plus toutdemander à l’entreprise, elle ne peut êtrechargée de l’ensemble des misères dumonde".

L’intérêt général et l’intérêt de l’entreprisese rejoignent sur le long terme, mais cettecorrespondance n’est pas spontanée ; ellesuppose volontarisme et effort, estimeNicole Maestracci, ex-Présidente de laFédération nationale des associationsd’accueil et de réinsertion sociale. Celasuppose aussi confiance dans l’entreprise,c’est-à-dire ne pas inscrire cette dernièredans l’intérêt général à coup de sanctions etde pénalités mais par la volonté d’innover etde préparer l’avenir.

Reste à savoir si un "objectif social" peutrésister à la crise. Jean-Luc Vergne,Président de l’Agence nationale pourl’amélioration des conditions de travail,souligne qu’"en période de crise, on ne peutqu’observer l’affaiblissement des enga-gements et des moyens qui avaient étédébloqués par les entreprises, notammenten matière d’insertion et tout particu-lièrement pour les jeunes".

Au final, l’on est de moins en moins dansdes positions irréductibles de part et

Intérêt général. Que peut l’entreprise ?

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d’autre. L’important, c’est d’inscrire l’entre-prise dans une relation durable avec lasociété. Loin des débats infructueux sur unchangement de modèle entrepreneurial,elle y trouvera manifestement "son âme".

Corinne VadcarRédacteur en chef

CAHIERS DE FRIEDLAND

Les Cahiers de Friedland n° 11 - 1er semestre 2013

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