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Editorial Luxueux et imposant, le dernier paquebot de la saison quitte son escale bordelaise annonçant l’arrivée proche de l’hiver. Plusieurs dizaines de Bordelais le fixent des yeux, ravivant un instant l’attachement à leur passé maritime, avant de disparaître avec le paquebot. Pour les touristes, c’est le début de la descente de l’estuaire. Ils apercevront plusieurs ports dont ils ignorent sans doute le rôle qu’ils ont joué pour la région tout juste visitée. Un rôle qui semble pourtant perdurer. Alors, pour le vérifier, nous avons décidé de faire le chemin inverse à notre vision quotidienne, en remontant l’estuaire depuis l’océan. Bateau de croisière, pétrolier, barge de l’A380,… ce voyage à bord de plusieurs navires explique l’importance économique mais aussi sociologique du port et de son estuaire. C’est aussi cette vue à contre-courant que nous avons adopté pour vous faire découvrir l’aventure extraordinaire de la construction des ponts. Suspendu ou romain, en béton ou en pierre, ferroviaire, routier ou pont-canal,… on les traverse sans même les remarquer, avalant le bitume ou le ballast à toute vitesse. Ici, nous vous proposons de vous arrêter et de les observer à contre-plongée. Cette vue « des dessous » permet de révéler leurs évolutions et leurs techniques sans cesse améliorées par les prouesses des constructeurs. Découvertes révolutionnaires pour les malades d’Alzheimer ou de Parkinson dans le cadre du Neurocampus qui prendra forme en 2011, ou bien culture multiséculaire et toujours active du tabac en Dordogne et Lot-et-Garonne, ces pages vous font partager des univers que l’on a découverts pour vous. Alexandre Marsat, Rédacteur en chef H20 LA REVUE DES SCIENCES & DE L’INDUSTRIE EN AQUITAINE 2011

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Revue H20 2011, part

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Page 1: Revue H20 2011, part

Editorial

Luxueux et imposant, le dernier paquebot de la saison quitte son escale bordelaise annonçant l’arrivée proche de l’hiver. Plusieurs dizaines de Bordelais le fixent des yeux, ravivant un instant l’attachement à leur passé maritime, avant de disparaître avec le paquebot.Pour les touristes, c’est le début de la descente de l’estuaire. Ils apercevront plusieurs ports dont ils ignorent sans doute le rôle qu’ils ont joué pour la région tout juste visitée. Un rôle qui semble pourtant perdurer.Alors, pour le vérifier, nous avons décidé de faire le chemin inverse à notre vision quotidienne, en remontant l’estuaire depuis l’océan. Bateau de croisière, pétrolier, barge de l’A380,… ce voyage à bord de plusieurs navires explique l’importance économique mais aussi sociologique du port et de son estuaire.

C’est aussi cette vue à contre-courant que nous avons adopté pour vous faire découvrir l’aventure extraordinaire de la construction des ponts. Suspendu ou romain, en béton ou en pierre, ferroviaire, routier ou pont-canal,… on les traverse sans même les remarquer, avalant le bitume ou le ballast à toute vitesse. Ici, nous vous proposons de vous arrêter et de les observer à contre-plongée. Cette vue « des dessous » permet de révéler leurs évolutions et leurs techniques sans cesse améliorées par les prouesses des constructeurs.

Découvertes révolutionnaires pour les malades d’Alzheimer ou de Parkinson dans le cadre du Neurocampus qui prendra forme en 2011, ou bien culture multiséculaire et toujours active du tabac en Dordogne et Lot-et-Garonne, ces pages vous font partager des univers que l’on a découverts pour vous.

Alexandre Marsat,Rédacteur en chef H20

LA REVUE DES SCIENCES & DE L’INDUSTRIE EN AQUITAINE 2011

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Visites 7 Visites en Aquitaine Un territoire qui investit pour son avenir 8 Casteljaloux (47) Une fonderie d’ouvriers qui a su traverser les siècles 11 Eysies-de-Tayac (24) La Dordogne, référence européenne sur la préhistoire 13 Bordeaux (33) Plongée dans le système anti-inondations du sous-sol bordelais 15 Langon-Pau (40) L’A65, le plus grand chantier autoroutier de France

17 Bidart (64) Robosoft, un bijou de technologie au cœur basque

Portfolio20 Au cœur d’une forêt plurielle

Mémoire 32 Le tabac en son jardin aquitain

Rencontres

41 Myriam Desainte-Catherine La musique et l’informatique chevillées au corps 43 Antoine Grémare Maestro des stations marines 45 Jacques des Courtils L’helléniste et le (re)bâtisseur 47 Jean-François Marailhac Un scaphandrier au secours de la vie sous-marine

Question de société50 Un port en son estuaire 52 L’estuaire le plus sauvage d’Europe53 Grands périls et petits dangers55 Au centimètre et à la minute près58 Les trois apogées du port59 Préserver l’accès au port de la Lune61 Devoir de mémoire62 Un ogre pacifié

Question de recherche64 Neurocampus : de la molécule au malade 66 Parkinson, Alzheimer, des découvertes révolutionnaires67 Le projet Neurocampus70 Trois questions à Pier Vincenzo Piazza72 Rivaliser avec Yale, Harvard ou Oxford ! 73 Daniel Choquet : une tête dans les neurones75 Des recherches sur le stress78 Les mots des neuros

Question de technique80 Les dessous des ponts 82 Orthez, fille du Pont-Vieux83 Le bow-string mal-aimé84 Quand les péniches survolent la Garonne88 Le béton version Belle-époque90 Sur la passerelle de l’imagination formelle91 Un viaduc autoroutier à la veine écolo94 Entre tube Jacquard et cathédrale gothique96 Dans le ventre du pont de Pierre

Enquête101 L’Aquitaine va-t-elle avoir enfin le vent en poupe ?

Références107 Livres à consulter

LA REVUE DES SCIENCES & DE L’INDUSTRIE EN AQUITAINE 2011 S O M M A I R E

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Chef d’orchestre de notre corps, de nos pensées et de nos émotions, le cerveau est un organe d’une extraordinaire complexité. Il est composé de 100 milliards de neurones dont chacun peut former jusqu’à 100 000 connexions, le tout dans un volume équivalent à une brique de lait ! Mais parfois le cerveau s’enraye, comme lors d’une maladie d’Alzheimer ou de Parkinson. Si pour l’heure, il n’existe pas de traitements pour lutter contre ces pathologies, la recherche progresse. Bordeaux entend s’imposer au niveau européen en créant un « Neurocampus » dédié à cet organe si mystérieux.

///////////////////////////////// QUESTION DE RECHERCHE

/ / Dossier réalisé par Florence Heimburger✇ / Reportage photos de Frédéric Desmesure

Neurocampus : de la molécule au malade

64 65H20 2011

Q U E S T I O N D E R E C H E R C H E

66 Parkinson, Alzheimer, des découvertes révolutionnaires67 Le projet Neurocampus70 3 questions à Pier Vincenzo Piazza72 Rivaliser avec Yale, Harvard ou Oxford ! 73 Daniel Choquet : une tête dans les neurones75 Des recherches sur le stress78 Les mots des neuros

Alzheimer*, épilepsie, sclérose en plaques, Parkinson*, autisme… En France une personne sur huit est touchée par une maladie neurologique.

Nous connaissons tous quelqu’un dont le passé a été affecté par la maladie d’Alzheimer ou a été victime d’un accident vasculaire cérébral. La situation ne devrait pas s’améliorer avec le vieillissement de la population. Or, l’arsenal thérapeutique dont on dispose à ce jour ne permet pas de guérir toutes ces maladies, et certaines d’entre elles demeurent mortelles. Mais la recherche s’active pour venir à bout de ces fléaux, et l’Aquitaine est à la pointe dans ce domaine. Depuis plus de trente ans, les neurosciences s’y sont forgées une renommée au niveau mondial. Et cela dans de nombreux domaines allant de la connaissance des mécanismes moléculaires de fonctionnement des neurones aux maladies neurodégénératives en passant par le stress, l’addiction ou la mémoire. Le futur nous réserve sans doute encore bien d’autres découvertes majeures. Car aujourd’hui, les neurosciences en Aquitaine connaissent un nouveau coup d’accélérateur grâce au projet Neurocampus (voir encadré p.67). Lancé en 2008, « il consiste à doter la région d’un ensemble scientifique et immobilier

couvrant toutes les dimensions des neurosciences, de la molécule au malade, explique Pier Vincenzo Piazza, directeur du Neurocentre Magendie, à Bordeaux, et coordonateur du projet Neurocampus (voir le « Trois questions à » p.70-71). Ce futur campus vise à renforcer les synergies entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée et à générer de la croissance externe via la création de start-up et le développement d’entreprises. » Pour ce faire, plusieurs structures verront le jour d’ici 2013 à proximité du centre hospitalier Pellegrin à Bordeaux et du Neurocentre Magendie : l’Institut interdisciplinaire de Neurosciences (IINS), dirigé par Daniel Choquet, directeur de recherche au CNRS et responsable de l’équipe « dynamique de l’organisation membranaire des récepteurs » au Laboratoire physiologie cellulaire de la synapse (voir portrait p.73) ; l’Institut des maladies neurodégénératives (IMN), dirigé par le Dr Erwan Bezard, directeur de recherche à l’Inserm et chef de l’actuelle équipe « physiopathologie des syndromes parkinsoniens » au laboratoire « mouvement, adaptation et cognition » à l’Université Bordeaux 2 ; et, un peu plus tard, une Ecole internationale des neurosciences, pilotée par

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(*voir glossaire p.78)

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50 51H20 2011Q U E S T I O N D E S O C I É T É

/ / Dossier réalisé par Donatien Garnier✇ / Reportage photos de Hélène David

Un port en son estuaire

52 L’estuaire le plus sauvage d’Europe

53 Grands périls et petits dangers

55 Au centimètre et à la minute près

58 Les trois apogées du port

59 Préserver l’accès au port de la Lune

61 Devoir de mémoire

62 Un ogre pacifié

62 Vers le tout tourisme ?

62 Un paysage à réinventer

Une grande masse d’eau saumâtre et capricieuse, des rives et des îles rendues à la nature sauvage, aux oiseaux migrateurs et aux espèces végétales endémiques, des berges et des coteaux travaillés par la viticulture et la céréaliculture, la Gironde n’est pas seulement un espace naturel, elle est aussi ponctuée d’espaces industriels. Principalement, la centrale nucléaire de Braud-et-Saint-Louis et, disséminé sur toute la longueur de l’estuaire, le port de Bordeaux. Le port pourrait aujourd’hui dominer l’estuaire. L’Histoire en a décidé autrement : il n’est que l’une de ses composantes. Discrète mais essentielle pour l’économie de tout le Sud-Ouest. Pour son identité aussi. Pourtant, alors que les relations entre le port et son support se sont pacifiées, l’un et l’autre semblent avoir disparu de l’imaginaire collectif. Reportage.

14h20 Au Nord, le phare de la Coubre. Au sud, celui de Cordouan. Le temps

est au beau fixe. La mer est d’un calme inhabituel. Sur la pilotine, une vedette rapide et puissante construite pour naviguer par tout type de temps, Marc Blanchy a dix minutes pour se détendre en discutant avec les deux marins du bord. A peine débarqué du Libelle, un pétrolier allemand de 146 mètres de long, il doit rembarquer à bord du Coral Maya, un petit gazier hollandais. Il est chargé de butane liquéfié qui sera mis en bouteille au port pour être distribué dans tout le Sud-Ouest. Marc Blanchy, 44 ans, est l’un des vingt et un pilotes du port de Bordeaux. Toute l’année et quel que soit le temps, ils sont chargés de guider les navires de commerce dans l’estuaire de la Gironde. Par leur connaissance parfaite de cet espace immense, le plus grand et le plus sauvage d’Europe,

ils sont les garants de l’économie portuaire et de l’intégrité écologique.

Le premier contact a eu lieu ce matin, un peu avant dix heures au bureau des pilotes de Bassens, un bâtiment moderne installé dans la zone industrielle bordant le port. Grand, mince, chevelure poivre et sel et sourcils broussailleux, Marc est d’un abord à la fois direct et grave. Disponible aux questions mais avec une part de lui-même concentrée sur la mission à venir. Une allure classique mâtinée d’une pointe d’exotisme. Deux bracelets d’origines lointaines au poignet gauche et un souvenir des mers du sud dans le fond du regard. Avant de devenir pilote Marc a été commandant au long cours. Sur les côtes occidentales et orientales de l’Afrique puis dans les îles méridionales de l’Océan indien.

////////////////////////////////////////// QUESTION DE SOCIÉTÉ

Le Brion, l’une des deux barges assurant le transport des éléments de l’A380, a été pris en charge par

le pilote Guillaume Blondet, un peu en amont du pont de pierre, où commence le domaine maritime.

Il sera chargé dans la nuit, à Pauillac.

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80 81H20 2011 Q U E S T I O N D E T E C H N I Q U E

/ / Dossier réalisé par Marianne Peyri✇ / Reportage photos de Pierre Baudier

Les dessous des ponts

82 Orthez, fille du Pont-Vieux83 Le bow-string mal-aimé84 Quand les péniches survolent la Garonne88 Le béton version Belle-époque90 Sur la passerelle de l’imagination formelle91 Un viaduc autoroutier à la veine écolo94 Entre tube Jacquard et cathédrale gothique96 Dans le ventre du pont de Pierre

On file dessus, le pied sur le champignon, sans même parfois y jeter un coup d’œil. Les ponts méritent cependant qu’on prenne le temps de contempler la pureté de leurs lignes, de sentir leurs vibrations sous nos pieds, d’aller flâner sous leurs voûtes. On ne les appelle pas pour rien des ouvrages d’art. Ils combinent l'art de l'architecte, la science de l'ingénieur et le métier de constructeur. Du pont en arc, au pont suspendu en passant par le bow-string, ils adoptent des visages pluriels, représentatifs d’une maîtrise toujours plus grande des matériaux. Chacun d’entre eux cache un exploit technique et possède sa personnalité. Notre voyage à travers tous les départements d’Aquitaine, sur la trace des ouvrages d’art les plus remarquables et insolites, en témoigne. Bonne route !

L’un défie la Nive, l’autre enjambe le gave de Pau : le pont en pierre « Noblia » de Bidarray (voir photo ci-dessus) et la passerelle high-tech de Laroin.

Tous deux se nichent dans les contreforts pyrénéens, entre monts arrondis, forêts généreuses et eaux verdoyantes. Pourtant plus de 600 ans les séparent, soit des siècles marqués par une maîtrise crescendo de l’homme à défier les éléments naturels, à dompter les matériaux, à épurer les formes, à perfectionner l’art de construire un pont. On peut imaginer le gouffre qui les oppose. Notre voyage commence, ici, au cœur des Pyrénées-Atlantiques, entre ces deux symboles.

Le pont Noblia, du XIVème siècle, commandité par des moines augustins de Roncevaux installés près du village, en impose par ses piles massives bien ancrées dans l’eau et son tablier étroit, légèrement bombé, dit en forme de « dos d’âne ». Parées pour faire face aux crues, son arche centrale en plein cintre s’élève tout en hauteur et ses piles s’évasent en de trapus becs triangulaires. Il porte sur lui les stigmates du temps : les guerres napoléoniennes qui ont détruit son arche centrale, les assauts de crues ravageuses, l’urbanisation qui, l’a, au final, amputé de deux arches. Que de contrastes avec la jeune silhouette, blanche, aérienne de la passerelle haubanée de Laroin qui s’élance, tel un oiseau dépliant ses ailes, sans

aucun appui en rivière, entre ces deux pylônes de 20 mètres de haut en forme de V inversé ! L’élégance de la courbure de la travée est renforcée par la finesse du tablier constitué d’une double poutre métallique. Que d’évolutions de même dans l’utilisation des matériaux ! L’un a pris forme, entre les mains vigoureuses d’artisans navarrais, par un savoir-faire ancestral d’assemblage tout en compression de la pierre rougeoyante issue des carrières locales. L’autre a pris corps avec le nec plus ultra des matériaux composites : les fibres de carbone. Les seize haubans de la passerelle expérimentale de Laroin, composés de trois faisceaux eux-mêmes comprenant sept joncs de six millimètres de diamètre, sont, en effet, entièrement en composites de carbone. Une première en Europe pour l’utilisation de ce matériau du futur, cinq fois plus léger que l’acier, ultra-résistant (chaque hauban peut porter de 100 à 150 tonnes) et insensible à la corrosion. Sans compter l’ancrage hypersophistiqué des câbles, clés de la technologie des ponts haubanés, ouvrages d’art qui aujourd’hui permettent d’atteindre des records de portée situés vers 900 mètres.

On peut imaginer également le nombre d’années qu’il a sans doute fallu attendre pour édifier le pont Noblia, les appuis des ouvrages à cette époque ne pouvant être construits qu’à l’étiage, durant les étés.

///////////////////////////////// QUESTION DE TECHNIQUE