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Sans tre europens ou de faux musulmans, les Kabyles savaient se gouverner Rpondreculture,histoire4/28/2015 06:33:00 PMA+A-SHARE ON PRINTIMPRIMERSHARE ON EMAILEMAILDans cet entretien ralis par Daikha Dridi, San Francisco, Hugh Robert, auteur de Berber Government* sattaque au "mythe kabyle" trs dvelopp dans la littrature coloniale. Il met en exergue la singularit de lorganisation politique de la Kabylie pr-coloniale qui a atteint un niveau permettant de faire face aux crises et de trouver des solutions qui sauvegardent lintrt gnral. Il explique quil sest pass quelque chose de "remarquable" dans le Djurdjura avec le dveloppement dun systme politique extraordinaire, comme on n'en trouve "nulle part ailleurs". Il est question dans l'entretien de Kabylie, des Igawawen, de lexhrdation, du royaume de Koukou Mais aussi de la Libye. Passionnant!

En Afrique du Nord, les berbrophones et plus prcisment les Kabyles algriens sont "moins musulmans" et donc forcment "plus dmocrates" que le reste de la population arabophone. C'est en gros cela le "mythe kabyle", une construction coloniale franaise qui continue tre frquemment utilise par journalistes et chercheurs dans leurs analyses de l'Algrie contemporaine. Hugh Roberts, tout en immunisant contre ce type d'analyses, votre livre Berber Government sur la Kabylie pr-coloniale rend compte d'une singularit exceptionnelle de la socit kabyle cette poque...

Hugh Roberts: Oui, sauf que les tenants du "mythe kabyle" me semblent avoir raisonn plutt linverse: Partant des analyses admiratives des "rpubliques" du Djurdjura faits par les ethnologues quand mme srieux tels Hanoteau et Letourneux, ils ont saut la conclusion "puisque les Kabyles sont dmocrates, ils sont comme nous et donc ne peuvent pas tre de vrais musulmans", ce sur quoi Hanoteau et Letourneux ne les suivaient point.

Pour ma part, je soutiens que la Kabylie pr-coloniale et, en particulier la socit des Igawawen du Djurdjura offrent lexemple le plus dvelopp -on peut mme dire le plus raffin- de la tradition dorganisation politique centr sur la Jema'a, lassemble du village ou de la tribu.

Les tenants du "mythe kabyle" ne voyaient cette tradition que chez les Kabyles ou la limite chez les populations berbrophones en gnral et, ce faisant, opposaient les Kabyles (ou Berbres) aux "Arabes", catgorie rsiduelle aux contours flous. En mme temps, ce mythe soutenait que les Kabyles ntaient que des musulmans "tides" voire carrment "anticlricaux" la franaise, contrairement aux "Arabes" censs tre tous des fanatiques religieux.

Donc ce mythe vhiculait une version prcoce de ce qui est devenu un dogme pour une bonne partie de lopinion occidentale jusqu nos jours, savoir lincompatibilit fondamentale entre lIslam et la dmocratie. Or, dune part, beaucoup des populations arabophones, dont personne ne mettait en question la foi religieuse, se gouvernaient par la Jema'a, et, dautre part, la cit -la communaut politique- kabyle tait une cit musulmane: Seuls des musulmans pouvaient en tre membres et y participer.

La thse que les Kabyles en Algrie pr-coloniale avaient un rapport la religion tout fait diffrent de ce qui existait chez les Arabophones est fausse. Ceci ne signifie pas pour autant que les Kabyles ntaient pas exceptionnels. Ce qui les distinguait, surtout les Igawawen, tait la complexit de leur organisation politique et du caractre de leur droit coutumier.

Les meilleurs ethnologues franais du 19e sicle, Hanoteau et Letourneux et mile Masqueray, quil ne faut pas confondre avec les tenants du "mythe kabyle", voyaient et dcrivaient cela, du moins en partie, mais ne parvenaient pas lexpliquer.

Cest ce que jai voulu faire dans mon livre, en dmontrant en quoi cette complexit et singularit taient les produits, non pas dun quelconque "gnie berbre", mais de lHistoire sociale, conomique et politique trs particulire -et, de surcrot, plutt rcente- de la rgion depuis le dbut du 16e sicle, la prise de Bjaa par les Espagnols et lavnement de la Rgence ottomane.

La Kabylie est un sujet qui passionne beaucoup en Algrie et en France et qui continue inspirer normment d'ouvrages d'universitaires, historiens, anthropologues. Berber Government pourtant constitue nul doute un vritable tournant. Par exemple, vous commencez par dmonter les thses des deux "matres penser" en la matire, Pierre Bourdieu et Ernest Gellner...

Ce sont deux auteurs pour lesquels jai du respect. Je ne pouvais pas crire mon livre sans les citer et, avant de dvelopper mon analyse, il fallait expliquer pourquoi je ne partage pas les leurs. Pour tre concis, jai rompu avec la thse de Gellner en proposant une lecture non-segmentariste de lorganisation politique kabyle en insistant sur la prsence et limportance des institutions.

Ce sur quoi jai pris mes distances aussi avec Bourdieu, qui, pour des raisons diffrentes, avait galement tendance ne pas saisir -voire nier- limportance de ces institutions. En deuxime lieu, jai insist sur lapproche historique pour complter et, au besoin, corriger les analyses des anthropologues et des sociologues.

Bourdieu tait contre la guerre et avait un message passer

Les contributions de Pierre Bourdieu sur la Kabylie sont considres en Algrie et ailleurs comme les fondements des travaux de recherches modernes sur le sujet, et pourtant vous dmontrez une presque insoutenable lgret de Bourdieu dans son analyse, quel point ses conclusions sont htives et ne sont nullement ancres dans un raisonnement rationnel...

Oui, il a fait des erreurs de taille que jai releves. Il sagit des premiers crits de Bourdieu sur la Kabylie dans son Sociologie de lAlgrie et la version anglaise, The Algerians, o il offre sa lecture de lorganisation politique.

Jai beaucoup de respect pour certains de ses autres crits, dont Le dracinement et travail et travailleurs en Algrie, et son bel article, "Le sens de lhonneur", que je considre comme une grande contribution la connaissance de la socit kabyle et de la socit algrienne en gnral.

The Algerians tait un des premier livres que jai lus tout au dbut de mes recherches sur lAlgrie et jai certainement profit de cette lecture, mais en le relisant plus tard la lumire de mes propres recherches jai constat beaucoup daffirmations que je ne pouvais pas accepter.

Notons que Bourdieu a fait ses enqutes sur le terrain en pleine guerre dAlgrie, le pire des moments pour observer la vie politique locale puisque chaque Jema'a tait sous le coup de larme franaise ou aux ordres de lALN.

Je pense quil faut aussi comprendre que, tant contre cette guerre, Bourdieu avait un message passer et voulait faire vite. Sociologie de lAlgrie est sorti en 1958. Le problme, cest quil na pas revu et corrig sa premire lecture.

Je pense que cest parce quil croyait avoir trouv, dans son analyse du code dhonneur, la clef de lorganisation kabyle et, optant ainsi pour une analyse essentialiste, ne savait pas concilier limportance de ce code ni avec limportance des institutions, sur laquelle Hanoteau et Letourneux et Masqueray avaient raison dinsister, ni avec le fait que les communauts villageoises en Kabylie ntaient pas toutes fondes sur des rapports de parent, loin sen faut, et ce fait lui a chapp.

Ernest Gellner, lui, a tout simplement raisonn par prsomption: Que les Kabyles d'Algrie (qu'il ne connaissait pas) devaient avoir une organisation sociale (et politique) similaire celle des Berbres de l'Atlas marocain (qu'il a longuement tudis). Pour vous, cela est une erreur colossale.

Oui. Sa thse de la segmentarit, qui suppose labsence radicale dinstitutions politiques et explique le maintien de lordre par le jeu -opposition et quilibre- des segments, qui sont tous des groupes de parent, et la mdiation des saints, ne peut point rendre compte de la vie politique kabyle.

Cependant, on voit dans Saints Of The Atlas, son beau livre sur les Ihansalen du Haut Atlas Central marocain, que Gellner avait dj lambition de gnraliser partir de son analyse du pays Ihansalen, rgion des pasteurs transhumants, aux autres populations berbrophones.

Il manifeste cela dans la critique quil a faite de la thse de Montagne sur les Chleuh entirement sdentaires du Haut Atlas Occidental et lAnti-Atlas, que Gellner na jamais tudis de prs non plus. Montagne tant mort depuis longtemps, seul Jacques Berque, fort de sa propre tude Structures sociales du Haut-Atlas, aurait pu contester srieusement la thorie de Gellner.

En fait, Berque a laiss entendre, dans la deuxime dition de son livre, quil ne croyait pas cette thse sur la segmentarit mais il na pas pris la peine de la contester frontalement. Ceci tant, ayant revendiqu les Chleuhs sdentaires pour son modle, Gellner a suppos quil pouvait faire de mme pour les Kabyles, dont lhabitat, la vie conomique et le rapport aux villes, pour ne pas parler de lorganisation politique, ne ressemblent en rien ceux du pays Ihansalen, comme si rien ne compte part les liens de parent et la religion.

Une organisation politique qui tenait en chec les facteurs de division

Pour en arriver au cur de votre dmonstration: La "modernit" du Kabyle pr-colonial. La modernit dans le sens ou l'organisation des relations sociales dans les villages kabyles Igawawen n'tait pas fonde primordialement sur les filiations parentales et tribales, loin s'en faut, il s'agissait bien d'un systme politique assez complexe!

Tout fait, sauf qu aucun moment je ne lui attribue une quelconque modernit. En fait, je nai que faire du couplet socit moderne-socit traditionnelle, qui appartient, mon avis, lpoque coloniale et au discours auto-lgitimant des puissances occidentales.

La thse quil ny avait que la parent (clans, tribus etc.) et la religion ( 'ulama,igurramen/imrabdhen, zawy) tait une manire de dire que les populations en question navaient pas de vie politique propre, donc ne savaient pas se gouverner et avaient besoin quon les gouverne.

Et voil la justification du rgime colonial en Algrie ou du sultanat au Maroc, de la combinaison des deux sous le Protectorat et de la thse de Gellner que le Haut Atlas Central au Maroc tait rgi par une combinaison de sociologie -la structure sociale de type segmentaire- et de Hagiarchie - lautorit, fonde sur la baraka, des saints de la ligne Ihansalen.

(Sur ce point, le cas kabyle est particulier dans ce sens quen leur prtant une capacit hors commun de se gouverner, le mythe kabyle a soutenu que les Kabyles devaient forcment tre soit dune souche lointaine europenne soit de toute faon pleinement aptes devenir des Franais : leur capacit de se gouverner tait elle-aussi mise contribution pour justifier la prsence franaise).

Ce que jessaie de dmontrer est que, sans pour autant tre dorigine europenne ou de faux musulmans enclins se laisser assimiler par la France, les Kabyles et en premier lieu les Igawawen savaient se gouverner.

Ils staient dots dune organisation politique qui tenait en chec les facteurs de division lis aux clivages entre familles et lignes par le biais dun code de droit (qnn) qui se faisait respecter par tout le monde parce qudict par une assemble reprsentative dans laquelle tous les groupes taient impliqus et dont les dbats taient structurs par des alliances politiques (les sff) qui transcendaient les liens de parent.

Masqueray, qui avait compris beaucoup de cela, y voyait non pas la "modernit" mais des parallles avec la cit antique des Grecs et des Romains. Plutt dassimiler le cas kabyle dautres histoires, quelles soient modernes ou antiques, je me contente dinsister sur le fait quil sest pass quelque chose de remarquable dans le Djurdjura, le dveloppement dun systme politique extraordinaire, comme on n'en trouve nulle part ailleurs en Afrique du Nord, systme complexe, certes, mais aussi cohrent et assez stable, dont est ne une tradition politique qui na pas encore fini de porter ses fruits.

Donc ce que jattribue aux Kabyles de la priode pr-coloniale, cest surtout une certaine crativit politique, une capacit remarquable de faire face une situation de crise et trouver des solutions susceptibles de sauvegarder lintrt gnral en innovant dans leur organisation politique.

Faire l'impasse sur la Rgence rend la Kabylie incomprhensible

Cette organisation politique merge petit petit principalement -vous le montrez travers une fascinante, longue et minutieuse analyse de l'origine de la dcision "d'officialiser" en quelque sorte l'exhrdation de la femme en Kabylie- des interactions et frottements avec la Rgence ottomane.

Oui, cest cela. Les observateurs franais ont eu tendance se rabattre sur la thse raciale du "gnie berbre" pour expliquer les "rpubliques" kabyles. En partie parce quils ne voulaient ou ne pouvaient pas tenir compte du rle de la Rgence ottomane, dont il fallait sous-estimer voire nier linfluence dans larrire-pays et la dpeindre comme seulement oppressive afin de soutenir la thse que la France a "libr" le pays dune tyrannie.

Discours dj expriment en gypte par Napolon et revenu la mode de nos jours, de manire on ne peut plus grotesque, en Irak, en Libye, etc. Or, faire limpasse sur le rle de la Rgence, cest rendre le cas kabyle incomprhensible. Jai donc essay de penser et de raconter lhistoire des relations entre le Djurdjura et les Ottomans.

Et je soutiens que, aprs la fin du "royaume" de Koukou, les tentatives de la Rgence de pntrer la rgion ont provoqu une rsistance qui, chez les Igawawen, a dbouch sur des dveloppements dans leur organisation politique. Et, surtout, lmergence de ce que jappelle "les systmes de sff " la faveur des proclamations de lexhrdation de la femme, vnements -car il ny avait pas une seule runion qui a dcid de cela mais au moins trois si ce nest pas quatre- quil convient de repenser compltement et voir sur un tout autre angle.

Presss de trouver des indignes susceptibles de se laisser assimiler et donc de devenir des supports de la prsence franaise, des administrateurs et dautres mythomanes franais ont saut sur cette histoire de lexhrdation de la femme comme la preuve que les Kabyles ntaient pas de vrais musulmans sous prtexte que les Kabyles rejetaient la Shari'a.

Ce faisant, ils ont tabli une interprtation de la soi-disant exhrdation de la femme qui ne fait pas de sens, puisque la femme kabyle tait dj "exhrde" et ceci depuis longtemps, tout comme les femmes dans les autres rgions de lAlgrie, arabophones comme berbrophones.

Tout cet difice dinterprtation est donc faux. Ces runions et ces dcisions des Kabyles navaient pas pour objectif de priver la femme de ses droits dhritage mais un tout autre objectif, que jexplique dans mon livre. Et leur consquence la plus importante tait une modification ou dveloppement de lorganisation politique kabyle qui na pas eu dquivalent ailleurs et a dur jusqu la conqute en 1857 et, sous dautres formes, bien au-del.

"Les lectures essentialistes expriment lintrt de ceux qui les noncent"

Je mets des guillemets autour de "modernit" prcisment pour ne pas tomber dans les clichs, qui sont trs enracins ce jour, sur le "mythe Kabyle", que vous russissez trs subtilement viter. On sent en le chercheur que vous tes une part indubitable de grande affection et admiration pour le sujet de votre recherche et pourtant comment faites-vous pour ne pas vous laisser happer par la tentation de la lecture essentialiste?

Dabord, parce que je suis sur mes gardes, car les lectures essentialistes, je ne les aime pas. Celles-ci sont toujours rductionnistes, parce quelles expriment lintrt de ceux qui les noncent, qui est une volont de dominer dune manire ou dune autre la socit ou la population objet de leur regard -quelles soient les Kabyles ou les Algriens ou les Arabes ou les Musulmans, etc.- en les rduisant une essence quelconque.

Ce faisant, une lecture essentialiste inflige des blessures une socit en en faisant un portrait simpliste qui nie sa complexit et donc des lments de sa vitalit.

En second lieu, parce que jaime -et jen suis trs conscient- la complexit car celle-ci pose des dfis lanalyste qui sambitionne, comme cest mon cas, den rendre compte. Personnellement, je savoure les dtails et jessaie toujours de les comprendre dans mes analyses.

Troisimement, par principe scientifique, parce que je considre quune hypothse qui rend compte de plus de faits, de plus daspects du rel, est videmment suprieure celle qui ne rend compte que de ce quelle considre, normalement par a priori intress et dogmatique, comme "essentiel". Lhypothse qui respecte la complexit est plus scientifique que celle qui ne la respecte pas.Un chapitre fascinant est comment cette organisation politique de la socit kabyle a t influence si ce n'est produite par l'conomie particulire de cette rgion. Comment expliquez-vous la trs forte densit de la population dans la rgion des Igawawen?

Avouons que cette densit extraordinaire est un peu mystrieuse et quil est probable que nous nen saurons jamais exactement les causes.

Je suggre dans Berber Government que la socit kabyle a connu une grande crise partir du 16e sicle, suite la prise de Bjaa par les Espagnols, lavnement des frres Barberousse et les Ottomans et les guerres qui ont maill cette priode -entre musulmans et Espagnols, entre la Rgence et Koukou, entre la Rgence et Qal'a N'Ath Abbas et entre Koukou et Qal'a.Je soutiens que tout ce chambardement et linscurit gnrale qui tait son corollaire ont provoqu des vagues dimmigration des populations du bas pays cherchant refuge la montagne, mais apportant avec eux dans pas mal des cas des lments de la culture urbaine, dont lartisanat commercial et parfois raffin.

Ceci a fini par devenir un apport immense la vie conomique de la socit montagnarde et a permis une croissance dmographique qui est alle de pair avec la croissance conomique mais aussi avec un changement trs important dans le mode de lhabitat des Kabyles, lmergence du grand thaddarth des Igawawen, qui nexistait pas avant cette priode et qui a amen dautres changements dans le droit local et lorganisation politique par la suite.

Cest du moins mon opinion. Le manque de documentation, pour ne pas parler de chiffres, pour cette priode est peu prs total, mais jai mis en rapport des informations qui appuient mon hypothse.

Le puzzle du royaume de Koukou

Votre livre relate longuement l'avnement et la disparition du royaume de Koukou, mais vous en faites une lecture totalement nouvelle et originale, pourtant vous partez des sources documentaires et historiques disponibles et connues de tous.

Disponibles, en principe, de tous, sans doute, mais ce nest pas sr quelles aient t connues de tous. Jai mis beaucoup de temps glaner, droite et gauche, des informations et des traditions sur Koukou et sur les Ath L-Qadi, puis jai mis autant du temps rflchir sur ces informations.Le travail de ce chapitre a t un travail de synthse, comme avec un puzzle: Le problme tait de trouver comment mettre toutes ces informations ensemble pour quelles donnent un rsultat, un tableau si vous voulez, consistant avec les faits, cohrent et plausible. L, encore une fois, il sagissait de faire trs attention lHistoire et la chronologie en particulier. votre avis, comment cette forme d'organisation politique particulire influence-t-elle le systme politique algrien daujourdhui?

Cest un sujet que je ne traite pas dans Berber Government, mais que jai abord provisoirement dans plusieurs de mes crits dj sortis, dont le chapitre sur le FLN ("The FLN: French Conceptions, Algerian Realities") dans The Battlefield.

Jai soutenu que, pour comprendre le FLN et, partant, ltat-FLN, il faut tenir compte du rle, dans son organisation politique interne, des traditions spcifiquement algriennes et, en premier lieu, la tradition de la jema'a comme instance la fois de la dcision politique et de la reprsentation politique de la population concerne, condition de la lgitimit des dcisions prises.Cette tradition nest pas lapanage exclusif des Kabyles ni des Berbrophones, elle appartient la plupart des populations des campagnes algriennes, mme si nous en rencontrons la variante la plus dveloppe chez les Igawawen du Djurdjura, ce qui facilite ltude de sa logique et de ses rgles tacites.

Ceci dit, il reste bien des aspects inclure dans un traitement comprhensif du rle des traditions politiques algriennes. Ce sujet vaut lui seul un tout autre livre, sur lAlgrie post-coloniale, que je suis en train dcrire.

Vous avez crit et publi ce livre en anglais, y a-t-il un projet de traduction en franais ou en arabe pour le rendre plus accessible aux lecteurs algriens?

Cest mon souhait. Je tiens beaucoup ce que les lecteurs algriens puissent me lire. Jusqu prsent, il ny rien de concret mais mon livre est rcent et cette possibilit a t voque avec une maison ddition.

Sur la Libye, argumenter contre lorthodoxie des puissants

En dehors de l'Algrie vous avez dans les rcentes annes fait des contributions brillantes sur la descente aux enfers en Libye mais aussi sur la fausse rvolution gyptienne, vous avez un style d'criture trs particulier, comment parvenez-vous crire de manire la fois trs rudite et trs personnelle?Jai crit sur des sujets qui minterpellent parce que dimportance politique mes yeux, en particulier sur des questions dactualit qui font l'objet dune propagande mensongre et mystificatrice fond la caisse, comme ctait le cas de lintervention militaire en Libye en 2011 et du coup militaire en gypte en 2013.Je pense que, pour combattre des thses mensongres, il faut pouvoir faire la lumire sur une situation, ce qui exige de dployer des arguments qui, tout en contestant lorthodoxie des puissants et de leurs mdias, soient susceptibles de convaincre parce que solidement appuys par des preuves et ordonns par un raisonnement cohrent.

Je mefforce donc de matriser au maximum le dossier en question, dtre sr de mes faits. En mme temps, il sagit des pays ou des questions dans lesquelles je me suis personnellement investi. Javais vcu au Caire entre 2001 et 2012 et je connaissais un certain nombre des acteurs politiques mais surtout les circonstances particulires de ce qui sest pass en 2011 et donc le background de ce qui sest pass en 2013.

Pour la Libye, cette crise a clat au moment o je reprenais du service lICG (International Crisis Group) et ctait moi, en tant que directeur du projet Afrique du Nord, de proposer la ligne politique du Groupe sur cette affaire.

Jai soutenu auprs de mes collgues que lICG ne devait pas cautionner une intervention militaire mais appeler, arguments lappui, un cessez-le-feu et des ngociations, ce que lICG a fait trs publiquement avant mme le vote au Conseil de Scurit qui a donn lautorisation recherche par les va-t-en-guerre.Cette prise de position sest avre la position de lUnion Africaine aussi. Javais t trs engag dans les dbats autour de cette affaire, ce qui a fait que, quand jen suis venu crire mon article dans la London Review Of Books, ctait en partie un tmoignage personnel que jy livrais.

Vous venez de publier en Algrie, aux ditions Barzakh, un recueil de textes de rflexion sur la Kabylie et la crise institutionnelle en Algrie de manire plus large, cela veut-il dire que les lecteurs algriens vont pouvoir dsormais lire vos contributions passes et futures directement sans devoir attendre de passer par des diteurs occidentaux?

Je suis trs reconnaissant Sofiane Hadjadj et Selma Hellal davoir bien voulu publier un recueil de mes crits. Jai toujours espr pouvoir madresser des lecteurs algriens et, grce aux ditions Barzakh, jai enfin commenc. Bien sr, je souhaite continuer dans ce sens.

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* "Berber Government. The Kabyle Polity In Pre-Colonial Algeria". I.B. Tauris. London, New York: 2014.