Saussure Et Le Structuralisme

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  • Cecilia Serra, Inst. de Ling. UniL Introduction la Linguistique Gnrale 2005-06 Cours n2 1

    Saussure et le StructuralismeF. de Saussure, Cours de linguistique gnrale, Paris, Payot.

    Saussure a t le premier dfinir et utiliser une mthode permettant la construction de lobjet de la linguistique.

    Il opre par distinctions ("bifurcations"):

    Matire VS objet de la linguistique Langue comme nomenclature VS systme de signes Langue VS parole Linguistique diachronique VS synchronique Linguistique interne VS externe Signifiant VS signifi Signification VS valeur Rapports syntagmatiques VS paradigmatiques

    L'objet de la linguistique est ltude, interne et synchronique, des systmes de signes que constituent les tats de langue. (J.Moeschler 01: www.unige.ch/lettres/linge/moeschler)

    1. Objet de la linguistiqueLa premire dmarche de Saussure consiste dlimiter l'objet "intgral et concret" de la linguistique. Une dmarche difficile car, dit-il, "le phnomne linguistique prsente perptuellement deux faces qui se correspondent et dont l'une ne vaut que par l'autre." "Le langage a un ct individuel et un ct social, et l'on ne peut concevoir l'un sans l'autre. En outre, chaque instant il implique la fois un systme tabli et une volution; chaque moment il est une institution actuelle et un produit du pass. Il semble premire vue trs simple de distinguer entre ce systme et son histoire, entre ce qu'il est et ce qu'il a t () De quelque ct que que l'on aborde la question, nulle part l'objet intgral de la linguistique ne s'offre nous; partout nous rencontrons ce dilemme; ou bien nous nous attaquons un seul ct de chaque problme, et nous risquons de ne pas percevoir les dualits signales plus haut; ou bien, si nous tudions le langage par plusieurs ct la fois, l'objet de la linguistique nous apparat un amas confus de choses htroclites sans lien entre elles. () Il n'y a, selon nous, qu'une solution toutes ces difficults: il faut se placer de prime abord sur le terrain de la langue et la prendre pour norme de toutes les autres manifestations du langage. En effet, parmi tant de dualits, la langue seule parat susceptible d'une dfinition autonome et fournit un point d'appui satisfaisant pour l'esprit."Pour Saussure, la langue ne se confond pas avec le langage. La langue est " la fois un produit social de la facult du langage et un ensemble de conventions ncessaires, adoptes par le corps social pour permettre l'exercice de cette facult chez les individus. Pris dans son tout, le langage est multiforme et htroclite; cheval sur plusieurs domaines, la fois physique, physiologique et psychique, il appartient encore au domaine individuel et au domaine social; il ne se laisse classer dans aucune catgorie des faits humains, parce qu'on ne sait comment dgager son unit.

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    La langue, au contraire, est un tout en soi et un principe de classification. Ds que nous lui donnons la premire place parmi les faits de langage, nous introduisons un ordre naturel dans un ensemble qui ne se prte aucune autre classification. () Pour attribuer la langue la premire place dans l'tude du langage, on peut enfin faire valoir cet argument, que la facult naturelle ou non d'articuler des paroles ne s'exerce qu' l'aide de l'instrument cr et fourni par la collectivit; il n'est donc pas chimrique de dire que c'est la langue qui fait l'unit du langage"(F. de Saussure, Cours de Linguistique Gnrale (CLG): 23-27)

    2. La langue comme systme de signes"La langue est un systme de signes exprimant des ides, et par l comparable l'criture, l'alphabet des sourds-muets, aux rites symboliques, aux formes de politesse, aux signaux militaires, etc. Elle est seulement le plus important de ces systmes.On peut donc concevoir une science qui tudie la vie des signes au sein de la vie sociale; () nous la nommerons smiologie (du grec semeon, signe) () la tche du linguiste est de dfinir ce qui fait de la langue un systme spcial dans l'ensemble des faits smiologiques." (CLG: 34)

    3. Linguistique de la langue et linguistique de la paroleL'tude du langage comporte deux parties: l'une, essentielle, a pour objet la langue, qui est sociale dans son essence et indpendante de l'individu; () l'autre, secondaire, a pour objet la partie individuelle du langage, c'est--dire la parole y compris la phonation. Sans doute, ces deux objets sont troitement lis et se supposent l'un l'autre: la langue est ncessaire pour que la parole soit intelligible et produise tous ses effets; mais celle-ci [la parole] est ncessaire pour que la langue s'tablisse () c'est la parole qui fait voluer la langue. () Il y a donc interdpendance de la langue et de la parole; celle-l [la langue] est la fois l'instrument et le produit de celle-ci.La langue existe dans la collectivit sous la forme d'empreintes dposes dans chaque cerveau, peu prs comme un dictionnaire dont tous les exemplaires, identiques, seraient rpartis entre les individus. () Ce mode d'existence de la langue peut tre reprsent par la formule:

    1+1+1+1+ = I (modle collectif)

    De quelle manire la parole est-elle prsente dans cette mme collectivit? Elle est la somme de ce que les gens disent, et elle comprend: a) des combinai-sons individuelles, dpendant de la volont de ceux qui parlent, b) des actes de phonation galement volontaires, ncessaires pour l'excution de ces combinaisons. () Dans la parole () il n'y a rien de collectif, rien de plus que la somme des cas particu-liers selon la formule:

    (1+1'+1''+1''')

    Pour toutes ces raisons, il serait chimrique de runir sous un mme point de vue la langue et la parole. Le tout global du langage est inconnaissable, parce qu'il n'est pas homogne, tandis que la distinction et la subordination proposes clairent tout (CLG: 37-39)"Nous avons distingu, au sein du phnomne total que reprsentae le langage, deux facteurs: la langue et la parole. La langue est pour nous le langage moins la parole. Elle est l'ensemble des habitudes linguistiques qui permettent un sujet de comprendre et de se faire comprendre" (CLG: 112)

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    4. lments internes et externes de la langueSaussure carte du systme de la langue tout ce qu'il appelle tre le propre de la linguistique externe, notamment tous les points par lesquels la linguistique touche l'ethnologie, toutes les relations qui peuvent exister entre l'histoire d'une langue et celle d'une race ou d'une civilisation. Ces deux histoires se mlent et entretiennent des rapports rciproques. De mme pour les relations entre la langue et l'histoire politique: La colonisation, qui n'est qu'une forme de la conqute, transporte un idiome dans des milieux diffrents, ce qui entrane des changements dans cet idiome; ou pour les relations avec les institutions de toutes sortes, l'glise, l'cole, etc. et, enfin, tout ce qui se rapporte l'extension gographique des langues et au fractionnement dialectalLa linguistique externe peut accumuler dtail sur dtail sans se sentir serrer dans l'tau d'un systme. () Pour la linguistique interne il en va tout autrement: elle n'admet pas une disposition quelconque; la langue est un systme qui ne connat que son ordre propre. Une comparaison avec le jeu d'checs le fera mieux sentir. L, il est relativement facile de distinguer ce qui est externe de ce qui est interne: le fait qu'il a pass de Perse en Europe est d'ordre externe; interne, au contraire, tout ce qui concerne le systme et les rgles () et de conclure est interne tout ce qui change le systme un degr quelconque. (CLG: ch. 5)

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    5. Nature du signe linguistiquePartant de la pense courante de son poque, selon laquelle la langue ne serait qu'une nomenclature, c'est--dire une liste de termes correspondant autant de choses, Saussure transforme cette conception en un concept fondateur: Cependant cette vue simpliste peut nous rapprocher de la vrit, en nous montrant que l'unit linguistique est une chose double, faite du rapprochement de deux termes. ()Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique. Pour lever toute ambigut au concept de "signe" qui, dans l'usage courant, peut dsigner un mot, Saussure propose de dsigner les trois notions en prsence par des noms qui s'appellent les uns les autres tout en s'opposant. Nous proposons de conserver le mot signe pour dsigner le total, et de remplacer concept et image acoustique respectivement par signifi et signifiant.

    Le signe linguistique est donc une unit psychique deux faces qui peut tre reprsente par la figure:

    concept arbre, il est clair que seuls les rapprochements consacrs par la langue nous apparaissent conformes la ralit, et nous cartons n'importe quel autre qu'on pourrait imaginer. (CLG: 99)

    CONCEPT SIGNIFI

    IMAGE ACOUSTIQUE SIGNIFIANT

    Que nous cherchions le sens du mot latin arbor ou le mot par lequel le latin dsign e le

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    5.1 Caractres du signe: l'arbitraireLe signe linguistique est arbitraire.Ainsi l'ide de "sur" n'est lie par aucun rapport intrieur avec la suite de sons s--r qui lui sert de signifiant; il pourrait aussi bien tre reprsent par n'importe quelle autre: preuve les diffrences entre les langues et l'existence mme de langues diffrentes. () Le mot arbitraire appelle aussi une remarque. Il ne doit pas donner l'ide que le signifiant dpend du libre choix du sujet parlant () nous voulons dire qu'il est immotiv, c'est--dire arbitraire par rapport au signifi, avec lequel il n'a aucune attache naturelle dans la ralit Ce qui nous empche de regarder la langue comme une simple convention, modifiable au gr des intresss, c'est que, d'une part, pour qu'il y ait une langue il faut une masse parlante et, d'autre part, c'est l'action du temps qui se combine avec celle de force sociale; en dehors de la dure, la ralit linguistique n'est pas complte et aucune conclusion n'est possible.

    5.2 Caractres du signe:la linarit du signifiantLe signifiant, tant de nature auditive, se droule dans le temps seul et a les caractres qu'il emprunte au temps: a) il reprsente une tendueb) cette tendue est mesurable dans une seule dimension: c'est une ligne "Ce principe est vident, mais il semble qu'on ait toujours nglig de l'noncer, sans doute parce qu'on l'a trouv trop simple; cependant il est fondamental et les consquences en son incalculables; son importance est gale celle de la premire loi ((cf. 5.1)).Tout le mcanisme de la langue en dpend" ((cf. 8.))(CLG: 100-113)

    6. Synchronie et diachronieLe facteur temps () place la linguistique devant deux routes absolument divergentes: ()- l'axe des simultanits concernant les rapports entre choses coexistantes, d'o toute intervention du temps est exclue; est synchronique tout ce qui se rapporte l'aspect statique de la linguistique; - l'axe des successivits, sur lequel on ne peut jamais considrer qu'une choses la fois, mais o sont situes toutes les choses du premier axe avec leur changement; est diachronique tout ce qui a trait aux volutions."Synchronie et diachronie dsignerons respectivement un tat de langue et une phase d'volution. () On peut ajouter que tout ce qui est diachronique dans la langue ne l'est que par la parole.Un fait d'volution est toujours prcd d'un fait, ou plutt d'une multitude de faits similaires dans la sphre de la parole; () dans l'histoire de toute innovation on rencontre toujours deux moments distincts: 1 celui o elle surgit chez les individus; 2 celui o elle est devenue un fait de langue, identique extrieurement, mais adopt par la collectivit. La vrit synchronique parat tre la ngation de la vrit diachronique () [mais] l'une des vrts n'exclue pas l'autre. () La grammaire traditionnelle du franais moderne enseigne que dans certains cas le participe prsent est variable et s'accorde comme un adjectif (cf. "une eau courante"), et que dans d'autres il est invariable (cf. "une personne courant dans la rue"). Mais la grammaire historique nous montre qu'il ne s'agit pas d'une mme forme: la premire est la continuation du participe latin (currentem) qui est variable, tandis que l'autre vient du grondif ablatif invariable (currendo). La vrit synchronique contredit-elle la vrit diachronique, et faut-il condamner la grammaire traditionnelle au nom de la grmmaire historique? Non, car ce ne serait voir que la moiti de la ralit (). Au point de vue des

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    origines, il y a deux choses dans le participe courant; mais la conscience linguistique les rapproche et n'en reconnat plus qu'une: cette vrit est aussi absolue et incontestable que l'autre"(CLG: 115-139)

    7. Valeur et significationQuel est le contenu conceptuel du signe rivire ?- Le signifi rivire associ au signifiant /rivjr/ = la signification du signe- Le contenu conceptuel de rivire dpend du fait quil nest ni ruisseau, ni fleuve ni torrent ni affluent= la valeur du signe (J.Moeschler 01)

    Quand on parle de la valeur d'un mot, on pense la proprit qu'il a de reprsenter une ide, et c'est l en effet un des aspects de la valeur linguistique. mais s'il en est ainsi, en quoi cette valeur diffre-t-elle de ce qu'on appelle la signification?

    E

    Signifi"rivire"Signifiant"rivjr"

    fleuve affluent torrent ouedrivire courant flot gave lit

    etc.

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    En franais, le concept "rivire" est uni l'image acoustique "rivjr"; en un mot il symbolise la signification; mais ce concept n'a rien d'initial, il n'est qu'une valeur dtermine par ses rapports avec d'autres valeurs similaires, et sans elles la signification n'existerait pas.Ce qui prcde revient dire que dans la langue il n'y a que des diffrences. Ce qu'il y a d'ide ou de matire phonique dans un signe importe moins que ce qu'il y a autour de lui dans les autres signes. la preuve en est que la valeur d'un terme peut tre modifie sans qu'on touche ni son sens ni ses sons, mais seulement par le fait que tel autre terme voisin aura subi une modification.Deux signes par exemple "pre" et "mre" ne sont pas diffrents, ils sont seulement distincts. Entre eux il n'y a qu'opposition.Tout le mcanisme du langage () repose sur des oppositions de ce genre et sur les diffrences phoniques et conceptuelles qu'elles impliquent."(CLG: 155-169)

    8. Rapports syntagmatiques et paradigmatiquesSaussure distingue 2 types de relations entre signes:Rapports syntagmatiques (IN PRAESENTIA);Rapports paradigmatiques (IN ABSENTIA)." Les rapports et les diffrences entre termes linguistiques se droulent dans deux sphres distinctes dont chacune est gnratrice d'un certain ordre de valeurs; l'opposition entre ces deux ordres fait mieux comprendre la nature de chacun d'eux: Ils correspondent deux formes de notre activit mentale, toutes deux indispensables la vie de la langue" (CLG: 170)

    8.1 Rapports syntagmatiquesRapport de successivit et de contigut entre signes dans la chane parle."Dans le discours, les mots contractent entre eux, en vertu de leur enchanement, des rapports fonds sur la linarit de la langue, qui exclut la possibilit de prononcer deux lments la fois. Ceux-ci se rangent les uns la suite des autres sur la chane de la parole. Ces combinaisons qui ont pour support l'tendue peuvent tre appels syntagmes. Le syntagme se compose donc toujours de deux ou plusieurs units conscutives (par exemple: re-lire; contre tous; la vie humaine; Dieu est bon; s'il fait beau temps, nous sortirons, etc.). Plac dans un syntagme, un terme n'acquiert sa valeur que parce qu'il est oppos ce qui prcde ou ce qui suit, ou tous les deux.Le rapport syntagmatique est in praesentia; il repose sur deux ou plusieurs termes galement prsents dans une srie effective

    ExemplesSuites de sons- [b a r] VS [b r a]Le son [a] entretient une relation syntagmatique diffrente avec les sons [b] et [r].Ordre des mots- Les enfants aiment la matresse.- La matresse aime les enfants.Lordre des mots dtermine laccord et les fonctions des groupes nominaux.SYNTAGME Toute combinaison de deux ou plusieurs units linguistiques qui se suivent lune lautre (des composants du mot la phrase).

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    8.2 Rapports paradigmatiquesAssociations entre signes hors de la chane parle.- Rapports associatifs in absentiaenseignement voque in absentia- enseignerRapport au niveau du signifiant et du signifi- apprentissageRapport au niveau du signifi- armementRapport au niveau de la formation du mot (suffixe)- clmentRapport au niveau du signifiant seul (rime)

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    BIBLIOGRAPHIE DE CE COURS

    de Saussure, Ferdinand (1915): Cours de linguistique gnrale, Paris, Payot. Par exemple Edition critique de Tullio de Mauro, Paris, Payot, coll. Payotheque, 1981.J. Moeschler, A. Auchlin (2000). Introduction la linguistique contemporaine, Paris: A.Colin.Dubois, J., M. Giacomo, L. Guespin, C. Marcellesi, J.-B. Marcellesi & J.-P. Merel (1994): Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse.Gary-Prieur, M.-N. (1999): Les termes cles de la linguistique, Paris, Le Seuil.Normand, C. (2000): Saussure, Paris, Les Belles Lettres.Roulet, E. (1975) Le cours de linguistique gnrale de F. de Saussure. Paris: Hatier